Mélanome primitif de l`estomac. À propos d`un cas

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DIAGNOSTIC DIFFICILE
Mélanome primitif
de l’estomac. À propos d’un cas
Primary gastric melanoma. About one case
Ertan Yilmaz*, Karl Barange**
L
es tumeurs mésenchymateuses gastriques sont
peu fréquentes, essentiellement représentées
par les tumeurs stromales gastro-intestinales
(GIST), les léiomyomes et les schwannomes.
Nous rapportons ici une observation de mélanome
primitif gastrique métastatique hépatique chez une
patiente de 60 ans, découvert à la faveur d’un bilan
d’anémie ferriprive.
Cas clinique
* Service d’hépato-gastroentérologie,
CHG de Rodez.
** Service d’hépato-gastroentérologie, CHU de Toulouse Purpan.
Une femme âgée de 60 ans nous est adressée par
son médecin traitant dans le cadre du bilan d’une
anémie de découverte fortuite sur un bilan sanguin
en novembre 2009.
À l’interrogatoire, il est retrouvé un antécédent
personnel d’hystérectomie, d’hémorroïdectomie
et de glaucome chronique, ainsi que la réalisation
de plusieurs coloscopies en raison d’un antécédent
familial de néoplasie colique au premier degré. La
Photo 1. Fibroscopie gastrique : formation tumorale d’allure sous-muqueuse ombiliquée
au niveau de la grande courbure sous-cardiale.
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dernière coloscopie a été réalisée un an plus tôt. Il n’y
a pas d’allergie. On ne retrouve pas d’éthylo-tabagisme. La patiente n’a aucun traitement habituel.
L’examen clinique est strictement normal, hormis
une pâleur cutanéo-muqueuse et un certain degré
d’asthénie. Il n’y a pas d’extériorisation hémorragique
gynécologique ou digestive. Les touchers pelviens
sont normaux. Les constantes hémodynamiques
restent correctes. À ce stade, le diagnostic d’anémie
chronique a priori ferriprive sans point d’appel
évident est évoqué, au vu des résultats biologiques
initiaux.
Ce bilan biologique permet de retrouver une anémie
à 5,7 g Hb/dl, sans leucopénie ni thrombopénie
associées, et microcytaire, avec un VGM à 70 μ3. Le
ionogramme plasmatique et la fonction rénale sont
normaux. Le bilan hépatique est également normal.
La CRP est discrètement élevée. La ferritinémie est
effondrée (< 3 ng/ml). Il n’y a pas de carence en
vitamines B12 ni en folates.
Il est décidé de procéder à la réalisation d’un bilan
endoscopique. Une fibroscopie et une coloscopie
sont effectuées. La coloscopie se révèle être normale.
Quant à la fibroscopie gastrique, elle permet de
retrouver une volumineuse formation polypoïde
suspecte dans le fundus, d’allure sous-muqueuse,
avec une ulcération à son sommet, évocatrice de
prime abord d’une tumeur stromale gastro-intestinale, ou GIST (photo 1). Les biopsies initiales
sont non contributives, retrouvant une muqueuse
fundique normale.
Une échoendoscopie gastrique complémentaire
est donc réalisée dans l’hypothèse d’une GIST. Cet
examen permet de conclure à une volumineuse
formation hétérogène, développée aux dépens de la
quatrième couche hypoéchogène, estimée à 43 mm
sur 33 mm de plus grands axes, sans adénopathie
adjacente, mais avec une discrète lame d’ascite périhépatique (photo 2). L’aspect est compatible avec
une GIST. Le scanner thoraco-abdomino-pelvien
confirme la présence d’une formation tissulaire
fundique associée à quatre lésions hépatiques
DIAGNOSTIC DIFFICILE
suspectes d’allure métastatique, se rehaussant au
temps artériel (photo 3).
À ce stade, nous concluons donc à une probable
GIST gastrique métastatique hépatique, et une
ponction-biopsie hépatique est programmée.
L’anatomopathologie conclut à une prolifération
cellulaire peu différenciée d’allure maligne. L’immunohistochimie ne permet pas d’éliminer formellement une GIST. On note une expression douteuse
des marqueurs mélaniques PS 100, HMB 45 et
PNL 2. Il est donc procédé à de nouvelles ponctions, et des métastases hépatiques et de la tumeur
gastrique, dans un centre secondaire. Ces ponctions
sont réalisées sous scanner. Les conclusions anatomopathologiques orientent formellement vers un
mélanome malin.
La patiente est vue en consultation de dermatologie, et l’examen se révèle normal. Une consultation d’ophtalmologie est également réalisée, et un
éventuel mélanome de la choroïde est écarté. Un
PET scan est réalisé, et permet de conclure à une
lésion tissulaire modérément hypermétabolique de
la petite courbure fundique, sans autre foyer d’hyperfixation ailleurs. Le diagnostic de mélanome
primitif de l’estomac avec métastases hépatiques
est finalement retenu.
digestive (hématémèse et/ou méléna). Les métastases des mélanomes malins au tractus digestif
peuvent être synchrones ou survenir après plusieurs
années d’intervalle libre, comme chez ce patient de
72 ans qui s’était présenté avec une lésion ulcérée
jéjunale, celle-ci se révélant être, a posteriori, la
métastase d’un mélanome dont il avait été opéré
13 ans plus tôt (4). Le plus souvent, qu’elles soient
primitives ou secondaires, ces lésions ont l’aspect
d’une formation tumorale ulcérée, développée aux
dépens du corps de l’estomac (5). Les prélèvements
effectués permettent une orientation diagnostique à
l’aide de l’immunohistochimie, avec notamment une
recherche d’expression des marqueurs mélaniques
que sont le HMB 45, la PS 100 et le PNL 2 (6).
Commentaires
Les mélanomes constituent 1 à 3 % de la totalité
des cancers. Le plus souvent, ils sont cutanés ou
développés aux dépens de la choroïde. Les mélanomes primitifs du tube digestif sont rares, et leur
caractère primitif est souvent difficile à établir. Le
tube digestif peut être incriminé, principalement au
niveau du tractus œso-gastroduodénal supérieur et
du grêle proximal. Certains mélanomes ont même
été diagnostiqués dans le canal cholédoque (1).
Les mélanomes, notamment primitifs, de l’estomac
sont rares. À ce jour, une dizaine d’observations sont
recensées (2). Il est souvent difficile d’affirmer si leur
nature est primitive ou secondaire. Dans une étude
rétrospective, de Palma et al. ont analysé les métastases gastriques survenues chez 64 patients entre
1990 et 2005 (3). Ces métastases étaient uniques
dans 62 % des cas, et multiples dans 37,5 % des cas,
localisées préférentiellement au niveau des deux tiers
supérieurs de l’estomac. Les lésions primitives les
plus fréquentes étaient pulmonaires et mammaires,
et le mélanome malin venait en troisième position.
La symptomatologie était constituée de douleurs
épigastriques, associées parfois à une hémorragie
Photo 2. Échoendoscopie radiale : formation hétérogène, globalement hypoéchogène
développée dans la quatrième couche hypoéchogène.
Photo 3. Scanner abdomino-pelvien : formation fundique hypodense se rehaussant au
temps artériel.
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DIAGNOSTIC DIFFICILE
Dans le cas de notre patiente, nous avons évoqué
initialement le diagnostic d’une GIST gastrique
au vu de l’aspect endoscopique à la fibroscopie
gastrique et des résultats de l’échoendoscopie. En
effet, la majeure partie des tumeurs sous-muqueuses
gastriques sont des tumeurs mésenchymateuses,
et, parmi ces dernières, les GIST représentent le
contingent le plus important (7). Cette formation
tumorale hétérogène d’allure sous-muqueuse,
ulcérée, développée aux dépens de la quatrième
couche hypo échogène pouvait être compatible
avec ce diagnostic (8, 9). Les résultats du scanner
thoraco-abdomino-pelvien réalisé dans le cadre du
bilan d’extension nous avaient amenés à évoquer
le diagnostic de GIST gastrique avec métastases
hépatiques. Devant ces localisations secondaires
hépatiques, il paraissait judicieux de proposer une
ponction-biopsie hépatique. L’anatomopathologie
concluait à une prolifération cellulaire tumorale peu
différenciée, d’aspect malin. L’immuno-histochimie
ne permettait pas d’éliminer formellement une GIST,
et il y avait une expression du CD117 focalement,
sans expression du CD34 (10). On notait une expression douteuse des marqueurs mélaniques PS 100,
HMB 45 et PNL 2.
La patiente a donc bénéficié d’une nouvelle ponction-biopsie hépatique, associée à une ponction de la
formation tumorale gastrique. L’anatomopathologie
concluait à un aspect similaire sur le plan morphologique, avec un profil immuno-histochimique
compatible avec le diagnostic de mélanome malin,
à savoir négativité de CD117 et CD34 ,et positivité
de HMB 45 et PNL 2.
Pour ce qui est de la ponction sous échoendoscopie
de ces formations tumorales d’allure sous-muqueuse,
sur une série récente de 40 patients, 67,5 % des
lésions correspondaient à des GIST (11). La sensibilité
et la spécificité de la ponction sous échoendoscopie
étaient en moyenne respectivement de 58 % et 7 %.
Selon le siège et la taille des lésions, les aiguilles
utilisées étaient de 19 ou 22 gauges. Certains auteurs
ont suggéré une meilleure rentabilité des microprélèvements par Trucut, ce qui n’était pas démontré
dans l’étude de Fernandez-Esparrach et al., avec 55 %
d’étude immuno-histochimique par ce biais et 52 %
pour les cytoponctions à l’aiguille fine. Dans une
autre étude récente, sur une série de 47 patients,
la sensibilité et la spécificité de la ponction sous
échoendoscopie étaient respectivement de 58 % et
8 %, superposables à ce qui est couramment retrouvé
dans la littérature. Les aiguilles de ponction étaient
de 19 ou 22 gauges, leur choix se faisant en fonction
de la taille de la masse à ponctionner (diamètre
< ou > 2 cm, présence ou absence de vaisseaux à
proximité et positionnement plus ou moins aisé
en regard de la cible). Il n’y avait pas d’avantage à
utiliser une aiguille de 19 gauges comparativement
à une aiguille de 22 gauges (12).
Conclusion
Les aspects cliniques, endoscopiques, écho-endoscopiques et radiologiques de cette lésion gastrique
orientaient à tort vers le diagnostic de tumeur stromale gastro-intestinale gastrique. Le diagnostic
différentiel n’a pu être porté que grâce à l’examen
anatomopathologique avec immunohistochimie. En
cas de tumeur atypique, positive pour la protéine
PS 100 et c-kit, le diagnostic de métastase digestive
d’un mélanome ou de mélanome primitif doit être
■
évoqué (13).
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