Prise en charge des effets secondaires des thérapeutiques ciblées

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M ini-revue
Prise en charge
des effets secondaires
des thérapeutiques ciblées
(hors dermatologiques)
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Management of non-dermatologic
adverse events of targeted biotherapies
Olivier Bouché, Elodie Scaglia,
Stéphanie Lagarde
Service d’hépatogastroentérologie
et cancérologie digestive,
hôpital Robert-Debré,
CHU de Reims,
avenue du Général-Koenig,
51092 Reims cedex, France
doi: 10.1684/hpg.2009.0368
e-mail : <[email protected]>
Résumé
Les limites des chimiothérapies anticancéreuses ont réorienté les recherches vers des biothérapies dites « ciblées », visant l’angiogenèse et la prolifération cellulaire initiée par des récepteurs tyrosines-kinases aux facteurs
de croissance. Bien que l’action des biothérapies soit plus ciblée que les
chimiothérapies, de nouveaux effets secondaires, différents des effets
iatrogènes classiques, ont été décrits et nécessitent une prise en charge spécifique. Ces effets, même mineurs, peuvent retentir sur la qualité de vie des
pattients, provoquer une moindre observance du traitement et imposer
des reports, voire des arrêts thérapeutiques délétères. Une hypomagnésémie et une hypocalcémie doivent être recherchées avant chaque cure
d’anti-EGFR (cetuximab, panitumumab) avec supplémentation intraveineuse adaptée si nécessaire. Une prémédication intraveineuse par antihistaminique H1 et corticoïdes ainsi que la présence à proximité d’un médecin
et d’un matériel de réanimation sont recommandées lors de l’administration du cetuximab compte tenu du risque exceptionnel d’allergie grave.
L’hypertension artérielle (HTA) et la protéinurie sont des effets de la classe
des antiangiogéniques (bevacizumab, sorafenib, sunitinib). La mesure de la
pression artérielle (PA) doit être ambulatoire. La prise en charge diagnostique et thérapeutique de l’HTA doit s’effectuer conformément aux recommandations de la HAS. Pour le bevacizumab, un délai de quatre semaines
avant et après une chirurgie majeure doit être respecté et la cicatrisation
des plaies doit être vérifiée. Le patient doit être informé des risques exceptionnels de complications graves : thromboses artérielles, perforation
digestive, hémorragie. Les effets secondaires de l’imatinib sont fréquents,
mais souvent non sévères et transitoires, à type d’œdèmes, de troubles
digestifs, d’arthralgies, de myalgies, de crampes, d’éruptions cutanées. Un
traitement adapté précoce de ces symptômes doit être prescrit pour améliorer la compliance à l’imatinib. Une surveillance de la fonction cardiaque
est nécessaire sous trastuzumab. La collaboration interdisciplinaire entre le
médecin prescripteur et ses confrères généralistes et spécialistes doit être
étroite pour optimiser la prise en charge.
n Mots clés : thérapie ciblée, iatrogénie, thérapeutique, anti-EGFR, médicament
antiangiogénique, hypertension, protéinurie, imatinib, cancer
Abstract
HEPATO GASTRO
et Oncologie digestive
n
The limits of the antineoplasic chemotherapies reoriented the research
to “targeted” biotherapies, aiming the angiogenesis and the cellular
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vol. 17 n° spécial, avril 2010
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proliferation initiated by tyrosine-kinase receptors to growth factors.
Although the action of the biotherapies is more targeted than chemotherapies, new adverse staleness, different from the classic iatrogenic effects
of chemotherapies, have been described and require a specific management. These effects, even minor, can impact the patient’s quality of life,
provoke a least observance of the treatment, and even impose deleterious
delays or therapeutic stops. A hypomagnesemia and a hypocalcemia must
be checked before every administration of anti-EGFR (cetuximab, panitumumab) with parenteral supplementation adapted. An intravenous premedication by antihistaminic H1 and corticosteroids, as well as the close
presence of a physician and resuscitation equipment, are recommended
during the administration of cetuximab, considering the exceptional risk
of serious allergy. The arterial hypertension (AHT) and the proteinuria are
effects of the angiogenesis inhibitors class (bevacizumab, sorafenib, sunitinib). The measure of the arterial pressure must be ambulatory. The diagnostic and therapeutic managements of AHT must be done in accordance
with national or international guidelines. For the bevacizumab, a delay of
four weeks before and after a major surgery must be respected and the
wound healing must be verified. The patient must be informed of exceptional risks of serious complications: arterial thromboembolic events, digestive perforation, hemorrhage. The toxicities of imatinib are frequent, but
often stern and transient, such as oedema, digestive unrests, arthralgia,
myalgia, muscle cramps, and cutaneous rash. An early adapted treatment
of these symptoms must be prescribed to improve the compliance with
imatinib. Cardiac function follow-up is required with trastuzumab. The
multidisciplinary collaboration between the physician prescriber and his/
her/its colleagues general and specialists practitioners must be narrow to
optimize cares.
n
Key words: targeted therapies, side-effects, treatments, safety, EGFR inhibitor,
angiogenesis inhibitor, hypertension, proteinuria, imatinib, cancer
efficacité de biothérapies ciblant EGFR (cetuximab et
panitumumab pour les cancers colorectaux métastatiques [CCRM], erlotinib pour les cancers pancréatiques
métastatiques), l’angiogenèse (bevacizumab, sunitinib et
sorafenib pour les CCRM, les GIST et les carcinomes hépatocellulaires respectivement) [1], KIT (imatinib pour les
GIST), mTOR (everolimus pour les tumeurs endocrines
bien différenciées) et HER2 (trastuzumab pour les cancers
gastriques) a validé le concept d’inhibition ciblée en cancérologie digestive. Le clinicien se doit de connaître, prévenir
et traiter les toxicités « nouvelles » de ces thérapies ciblées
auxquelles il n’était pas confronté avec les chimiothérapies
anticancéreuses classiques [2, 3].
L’
Prérequis à la prescription
Prise en charge des effets secondaires
des inhibiteurs de EGFR
Lésions cutanées
Les effets secondaires cutanés sont les plus fréquents [3] :
folliculite aseptique acnéiforme, xérose, paronychies,
hyperpigmentation et anomalies des phanères (cf. chapitre
infra).
Abréviations
La lecture des résumés des caractéristiques des produits est
un préalable nécessaire avant leur utilisation. Des revues
récentes ont rappelé les prérequis d’information, d’éducation, de prévention et de surveillance [1, 3, 4]. Les données
spécifiques principales sont résumées dans la figure 1.
16
La remise de documents d’information ou de carnets de
liaison est conseillée, notamment pour les biothérapies
orales (erlotinib, sorafenib, sunitinib, imatinib, everolimus).
Cancers colo-rectaux métastatiques
Hypertension artérielle
Recommandations de Pratiques Cliniques
Pression artérielle
Bandelette urinaire
Fraction d’éjection ventriculaire gauche
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(CCRM)
(HTA)
(RPC)
(PA)
(BU)
(FEVG)
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Figure 1. Contre-indications, prérequis et surveillance de la prescription des biothérapies ciblées (d’après Bouché et al. [3, 4]).
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Réactions à la perfusion
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Des réactions précoces à la perfusion du cetuximab et plus
exceptionnellement à celle de l’anticorps humain panitumumab, sont possibles, le plus souvent lors de la première
injection. Elles peuvent aller jusqu’au choc anaphylactique
pour le cetuximab. Une prémédication intraveineuse par
antihistaminique H1, et surtout par corticoïdes [5], ainsi
que la présence à proximité d’un médecin et d’un matériel
de réanimation sont recommandées lors de l’administration du cetuximab, à chaque cycle. En revanche, la prémédication et la proximité du matériel de réanimation ne sont
pas nécessaires pour le panitumumab. La survenue d’un
bronchospasme, d’un œdème laryngé et/ou d’un choc anaphylactique doit faire arrêter et débrancher immédiatement
la perfusion et mettre en œuvre en urgence le traitement
médical symptomatique. Le cetuximab est dans ce cas définitivement contre-indiqué avec possibilité d’un relais par le
panitumumab [6].
Asthénie, crampe et hypomagnésémie
Une hypomagnésémie et une hypocalcémie (par fuite
rénale) doivent être recherchées avant chaque cure, puis
régulièrement après l’arrêt des anti-EGFR. Les hypomagnésémies sévères peuvent être symptomatiques avec des
complications neurologiques ou cardiaques. Une supplémentation parentérale adaptée (4 g de sulfate de magnésium i.v. en deux heures à chaque cure) est recommandée
dès que la magnésémie est inférieure à 1,2 mg/dL [7]. En
cas d’hypomagnésémie sévère (inférieure à 0,9 mg/dL), un
arrêt temporaire de l’anti-EGFR et une supplémentation
(8 g i.v. en quatre heures par jour jusqu’à normalisation)
sont conseillés. L’apport oral de magnésium est généralement inefficace et mal toléré [7].
Lésions oculaires et des muqueuses
Des lésions de type xérophtalmie, blépharite, conjonctivite
et exceptionnellement kératite et ulcération de cornée sont
possibles. Les lésions oculaires peuvent être favorisées par
la trichomégalie, notamment s’il existe un trichiasis. Le traitement comprend la taille des cils, des larmes artificielles,
des collyres antibiotiques ou corticoïdes après avis ophtalmologique [3]. Des lésions muqueuses non spécifiques à
type de chéilite, de glossite, voire d’ulcérations buccales,
nasales ou génitales ont également été observées. Les traitements symptomatiques locaux des lésions muqueuses
n’ont pas de spécificité : antiseptiques, lubrifiants [3].
Troubles digestifs et respiratoires
La diarrhée semble plus fréquente avec l’erlotinib (50 %)
qu’avec les anticorps cetuximab et panitumumab. Des perforations digestives ont été rapportées sous erlotinib.
Le traitement symptomatique des troubles digestifs n’a
18
pas de spécificité [3]. Si les patients se plaignent de dyspnée
ou de toux, il est recommandé de rechercher une pneumopathie interstitielle [3].
Prise en charge des effets secondaires
du bevacizumab
Hypertension artérielle et protéinurie
Dans les essais thérapeutiques, la prise en charge de
l’hypertension artérielle (HTA) n’a pas tenu compte des
recommandations internationales de diagnostic et de traitement de l’HTA. Il existe un double risque de sousestimation et de surestimation de l’HTA [3]. C’est pourquoi,
sous l’égide de plusieurs sociétés savantes françaises, un
groupe de travail d’hypertensiologues, de néphrologues,
de cardiologues et d’oncologues a élaboré des recommandations de pratiques cliniques (RPC) concernant la prise en
charge des effets vasculaires et rénaux des antiangiogéniques [8]. Les objectifs seront d’éviter, d’une part, un arrêt
inapproprié du bevacizumab et, d’autre part, une complication grave de l’HTA.
Les RPC sont les suivantes [8] :
– la première administration ne doit pas être retardée
en raison d’une pression artérielle (PA) élevée ou d’une
protéinurie (hors urgence hypertensive et protéinurie
massive) ;
– la mesure de la PA doit au mieux être réalisée en ambulatoire par le médecin traitant et/ou par automesures à
domicile par un appareil validé par l’AFSSAPS. Le « schéma
des 3 » édicté par la HAS est conseillé [9] : trois prises de
la PA le matin au réveil et le soir au coucher, à cinq minutes d’intervalle, trois jours de suite ;
– un traitement de l’HTA doit être débuté si la PA est
supérieure à 135 et/ou 85 mmHg en ambulatoire ;
– bandelette urinaire (BU) [et le cas échéant, quantification de la protéinurie], estimation de la fonction rénale
(formule de MDRD simplifiée plutôt que Cockcroft et
Gault) doivent être faites avant traitement et au cours
du suivi (avis néphrologique si clairance est inférieure à
30 mL/min) ;
– la prise en charge se fera au mieux dans le cadre d’un
travail en réseau comprenant médecin généraliste, oncologue, cardiologue et néphrologue avec carnet de suivi.
Seule une « urgence hypertensive » (encéphalopathie, HTA
maligne, insuffisance cardiaque, dissection aortique, accidents artériels ou leucoencéphalopathie postérieure) nécessite un arrêt définitif du traitement. La conduite à tenir est
résumée dans la figure 2 [8]. En l’absence de protéinurie, les
antihypertenseurs classiques peuvent être utilisés : IEC,
ARA2, inhibiteurs calciques, bêtabloquants et diurétiques
[8]. Des exemples d’ordonnances sont disponibles dans le
Thésaurus national de cancérologie digestive [10].
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PA ambulatoire (MG ou AMT) systématiquement
à S1, S2, S4 puis chaque mois
Situation
PA normale ou
HTA contrôlée
PA non contrôlée* chez un patient
asymptomatique
PA non contrôlée* chez un
patient symptomatique
Surveillance
PA : 1 fois/mois
(MG ou AMT)
1 fois par mois ou plus fréquent
tant que la PA n'est pas contrôlée
1 fois par semaine tant que
l'HTA est symptomatique ;
obtention d'un contrôle PA
adéquat indespensable
Conduite à tenir
Pas de
modification
thérapeutique ;
continuer AA
Traitement anti-HTA adapté au
niveau de PA et évolutivité ;
monothérapie initiale si PA
modérement élevée,bithérapie
d'emblée si + sévère ; continuer AA
Traitement antiHTA
institué ; bithérapie d'emblée
le + souvent ; intensification
rapide du traitement ;
continuer AA
Traitement antihypertenseur
Urgence
hypertensive
Hospitalisation ;
prise en charge de
l'urgence ;
arrêt des AA
Traitement antiHTA initial : en l'absence de protéinurie : choisir
parmi 1 des 5 grandes classes d'antihypertenseurs ;
si protéinurie : IEC ou ARA2 en 1re intention.
*PA non contrôlée : > 135 et/ou 85 mmHg (PA en AMT) ou ≥ 140 et/ou 90 mmHg (PA de consultation)
MG : médecin généraliste
AMT : auto-mesure tensionnelle
AA : anti-angiogéniques
S1, S2, S4 : semaine 1, 2 et 4
Figure 2. Prise en charge de la pression artérielle (PA) au cours du suivi (d’après Halimi et al. et Thésaurus national de cancérologie digestive [8, 10]).
Une protéinurie à ++ ou +++ à la BU est une indication à la mesure de la protéinurie sur 24 heures (ou
échantillon matinal) et de la créatininémie durant
l’intercure (figure 3). Le bevacizumab peut être prescrit
jusqu’au seuil de protéinurie inférieur à 3 g par
24 heures, sous réserve d’un avis néphrologique [8].
Dès le seuil supérieur à 1 g par 24 heures, l’utilisation
d’un antihypertenseur de la classe des IEC ou des
ARA2 est conseillée, compte tenu de leur effet
antiprotéinurique [8].
Perforations gastro-intestinales
La perforation gastro-intestinale est une complication rare
(2 %) qui justifie un examen clinique chez tout patient se
plaignant de douleurs abdominales [11]. Elle est habituellement précoce (trois premiers mois). Elle survient le plus
souvent sur une muqueuse inflammatoire : diverticulite,
colite, ulcère gastro-intestinal, tumeur en place, carcinose
péritonéale [11]. Sa prise en charge doit être si possible
conservatrice, avec aspiration nasogastrique sans chirur-
gie [11]. La présence d’une tumeur en place ne contreindique pas le bevacizumab, car le risque de perforation
reste faible.
Hémorragies
Diverses manifestations hémorragiques cutanéomuqueuses
sans gravité peuvent survenir, à type d’épistaxis, de gingivorragies ou de saignements vaginaux [1, 3]. La prise d’anticoagulants nécessite une surveillance rigoureuse du bilan de
coagulation. Les hémorragies tumorales graves sont rares
(5 %) mais potentiellement responsables de décès, notamment en cas d’hémoptysie massive ou d’hémorragies intracérébrales.
Complications de la cicatrisation des plaies
Il convient de respecter un délai de 28 jours entre une chirurgie majeure et le début du traitement par bevacizumab
et d’interrompre, à l’inverse, le traitement pendant une
durée de quatre à cinq semaines avant une chirurgie
programmée [1, 3, 10]. En pratique, la dernière cure de
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Protéinurie bandelette urinaire 2+ ou 3+
OK Anti-angiogénique (AA) 100 %
avant la cure suivante
protéinurie des 24 h (g/24 h) ou échantillon matinal
(g/g créatinine urinaire) et créatininémie
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<
– 1g/24 h
ou < 1g/g
Continuer
AA
1 à 3 g/24 h
ou 1 à 3g/g
Continuer AA
- avis néphrologue
- IEC ou ARA2
> 3 g/24 h
ou > 3 g/g
Syndrome néphrotique
(> 3 g/24 h et
albuminémie < 30 g/L)
Avis néphrologue
avant AA
AA contre-indiqués
AA : anti-angiogéniques
IEC : inhibiteurs de l'enzyme de conversion
ARA2 : antagonistes des récepteurs AT1 de l'angiotensine ll
Figure 3. Conduite à tenir si protéinurie à la bandelette urinaire 2+ ou 3+ (d’après Halimi et al. et Thésaurus national de cancérologie digestive [8, 10]).
chimiothérapie sera réalisée sans bevacizumab. Une intervention mineure, telle que l’implantation d’un accès veineux, ne doit pas retarder le début du traitement. En revanche, il semble prudent de suspendre le bevacizumab en cas
d’extraction dentaire ou de coloscopie avec polypectomie
[10]. Lorsqu’une intervention est envisagée en urgence, le
rapport bénéfice/risque sera évalué, et le chirurgien
informé des risques accrus de complications [12].
Accidents thromboemboliques artériels
et veineux
Les thromboses artérielles sont plus fréquentes qu’en cas
de chimiothérapie seule (environ 4 %) [13]. Ce risque est
majoré en cas d’antécédents de thromboses artérielles et
chez les patients de plus de 65 ans et/ou hypertendus
[13]. La survenue d’un accident artériel impose l’arrêt définitif du bevacizumab. En cas de survenue d’une thrombose
veineuse, le bevacizumab sera suspendu deux à trois semaines, puis repris après anticoagulation efficace et stable [10].
Réactions à la perfusion
Les exceptionnelles réactions justifient un débit de perfusion faible à la première administration (90 minutes). Il est
cependant maintenant démontré que l’administration
initiale en 30 minutes, puis ultérieure en 10 minutes ne
présente aucun risque [14].
Autres effets secondaires rares
D’autres événements rares ont été rapportés : insuffisance
cardiaque, HTA pulmonaire, fistules, perforation de la
20
cloison nasale, infarctus splénique, ostéonécrose mandibulaire, syndrome dépressif, leucoencéphalopathie postérieure réversible [1, 3].
Prise en charge des effets secondaires
du sorafenib et du sunitinib
Les effets indésirables peu sévères fréquemment rapportés sont les troubles digestifs, les lésions cutanées, les
lésions buccales, l’asthénie, l’HTA, l’alopécie, l’enrouement, les hémorragies et l’hypophosphatémie asymptomatique [1, 3]. Le syndrome main-pied et la diarrhée
peuvent être sévères chez environ 10 % des patients
[3, 15]. Le risque hémorragique justifie de vérifier, avant
sorafenib, la présence de varices œsophagiennes et d’instaurer un traitement prophylactique si le grade est supérieur ou égal à 2 [15]. Des anomalies cardiaques, une
hypothyroïdie et des œdèmes sont plus souvent décrits
avec le sunitinib. Les rares toxicités hématologiques justifient une surveillance de l’hémogramme toutes les quatre
à six semaines.
Conduite à tenir en cas de chirurgie
Les conséquences du sunitinib et du sorafenib sur le processus de cicatrisation sont méconnues. Suite aux résultats
rassurants d’une étude rétrospective, il est proposé de poursuivre le sunitinib jusqu’à la veille d’une chirurgie et de le
reprendre dès la première consultation postopératoire [16].
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Pour le sorafenib, en l’absence de données, une interruption
temporaire d’au moins deux semaines est recommandée
avant une intervention chirurgicale [15].
HTA et toxicité rénale
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La prise en charge est la même que celle proposée pour le
bevacizumab [8] (figure 2). Cependant, les inhibiteurs calciques, notamment non dihydropyridiques (vérapamil et
diltilziem), sont déconseillés compte tenu d’un risque
d’interaction [8]. Pour le sunitinib, une surveillance ECG
du PR et du QT est nécessaire sous bêtabloquants [3, 8].
Toxicité cardiaque
Le sunitinib peut favoriser un allongement de l’espace QT et
une diminution de la fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) [17]. Une mesure de la PA, de la FEVG et un ECG
sont donc recommandés en préthérapeutique chez tous les
patients, puis tous les deux cycles (12 semaines) en cas de
comorbidités cardiovasculaires [3, 8].
Toxicités digestive et muqueuse
Les troubles digestifs (diarrhée, dyspepsie, nausées, vomissements et anorexie), mais aussi des muqueuses (xérose buccale, mucite, dysgueusie, glossodynie, enrouement, dysphonie), sont plus fréquents qu’avec le bevacizumab [1, 3].
La prise en charge de ces effets secondaires doit être précoce
et consiste en un traitement symptomatique classique.
Syndrome mains-pieds et autres lésions
dermatologiques,* asthénie, anémie,
hypothyroïdie et hypogonadisme
Un dosage de l’hémoglobine à la recherche d’une anémie,
mais aussi de la TSH, sera systématique en cas d’asthénie, car
le sunitinib [18] et plus rarement le sorafenib peuvent induire
une hypothyroïdie. Une modification de la voix ou un
enrouement est un autre point d’appel clinique possible.
Le traitement de l’hypothyroïdie sera conforme à la pratique
standard [18]. L’hypogonadisme induit par le sorafenib et le
sunitinib pourrait être une autre cause d’asthénie [19].
Prise en charge des effets secondaires
de l’imatinib
volumineuse très nécrotique, une résection chirurgicale
doit être discutée compte tenu du risque de rupture tumorale avec hémopéritoine [21]. Des toxicités hépatiques et
hématologiques rares justifient une surveillance biologique : hebdomadaire pendant un mois, puis mensuelle,
puis trimestrielle.
Œdèmes
Un œdème périorbitaire modéré est très fréquent. Une surveillance régulière du poids est recommandée, car des
rétentions hydriques plus sévères ont été décrites. Une
prise de poids rapide et inattendue devra faire rechercher
une insuffisance cardiaque associée. Les œdèmes superficiels peuvent être contrôlés par des diurétiques de type
furosémide [22].
Troubles digestifs
Les nausées et/ou vomissements sont souvent transitoires.
Il faut conseiller la prise de l’imatinib au milieu du repas le
plus important de la journée [22]. La dose quotidienne peut
être divisée par deux et prise lors de deux repas différents,
en particulier pour les doses de 800 mg/j [22]. Un traitement antiémétique (métoclopramide, dompéridone) peut
s’avérer nécessaire. La diarrhée peut être traitée par mesures diététiques et antidiarrhéiques de type lopéramide.
Douleurs osseuses, arthralgies, myalgies
et crampes musculaires
Ces symptômes transitoires peuvent être contrôlés par des
AINS. Un antalgique opiacé faible de type tramadol est une
alternative en cas de contre-indication [22]. Le paracétamol
n’est pas contre-indiqué à faible dose, mais il doit être utilisé avec précaution compte tenu du risque d’interaction
médicamenteuse avec hépatotoxicité. Les crampes musculaires à type de contractions tétaniques sont parfois soulagées par des traitements symptomatiques empiriques
(quinine ou supplémentation en magnésium). Une hypocalcémie doit être recherchée en cas de crampes invalidantes
[23]. Une hypophosphatémie avec anomalies du métabolisme osseux est fréquente mais sans conséquence symptomatique à moyen terme [24]. L’apport oral de phosphate
est mal toléré et peu efficace. Un dosage systématique
n’est donc pas indiqué.
Lésions cutanées (éruptions, xérose
et hypopigmentation),* toxicité
hématologique
Les événements indésirables en rapport avec l’imatinib sont
fréquents, très variés, mais le plus souvent non sévères et
transitoires, à type par ordre de fréquence, d’œdème,
d’asthénie, de troubles digestifs, d’arthralgies, de myalgies,
de crampes, d’éruptions cutanées [20]. Les hémorragies
tumorales sont possibles. C’est pourquoi, en cas de tumeur
L’érythropoïétine est efficace dans l’anémie induite
par l’imatinib [25]. En l’absence d’AMM dans cette
indication, on peut recommander l’EPO en cas d’anémie
*
*
cf. chapitre infra
cf. chapitre infra
HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 17 n° spécial, avril 2010
21
symptomatique inférieure à 10 g/dL d’hémoglobine.
Les neutropénies sévères sont plus rares ; elles surviennent
essentiellement dans les premières semaines [20]. En
l’absence d’indication validée, on peut recommander
un traitement par G-CSF pour des neutropénies inférieures à 0,5 × 109/L, et s’il n’y a pas d’autre alternative à
l’imatinib [3].
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Prise en charge des effets secondaires
de l’everolimus
Les effets secondaires les plus fréquents [3] sont les aphtes,
l’asthénie, la diarrhée, les céphalées, les rashs cutanés et les
infections [26]. Des anomalies biologiques sont possibles à
type de neutropénie, thrombopénie, protéinurie, hyperglycémie et dyslipidémie [26].
Le traitement des aphtes buccaux fait appel aux bains de
bouche, à base de chlorhexidine aqueuse et de bicarbonate, et de topiques anesthésiants (lidocaïne gel). En cas
d’infection fongique, les antifongiques locaux sont préférables aux antifongiques imidazolés systémiques, car ceux-ci
sont des inhibiteurs du métabolisme de l’everolimus.
L’interaction entre everolimus et anticholesterolémiants
(sauf pravastatine) augmente le risque de toxicité musculaire tel que la rhabdomyolyse. Tout signe clinique musculaire implique le dosage des enzymes CPK.
Il a été décrit quelques cas de pneumopathies non infectieuses, le plus souvent non sévères et régressives. Tout
symptôme respiratoire doit donc faire réaliser une radiographie thoracique.
Prise en charge des effets secondaires
du trastuzumab
Les effets indésirables les plus importants du trastuzumab
sont les réactions liées à la perfusion (fièvre, frisson et
exceptionnelle allergie grave) et les troubles respiratoires
et/ou cardiaques.
Les réactions possibles à la première perfusion justifient une
surveillance, et un débit initial de perfusion faible (90 puis
30 minutes). Le trastuzumab peut induire une diminution
de la FEVG réversible et favorisée par un antécédent de chimiothérapie par anthracycline ou de cardiopathie [27]. Une
évaluation cardiaque (clinique, ECG et mesure de la FEVG
par échographie, scintigraphie ou IRM) est donc recommandée en préthérapeutique, puis tous les trois mois. Si la
FEVG diminue de dix points et qu’elle est inférieure à 50 %,
le traitement doit être suspendu avec nouvelle évaluation
dans un délai de trois semaines. Si une insuffisance cardiaque symptomatique apparaît, elle doit être traitée avec
les médicaments habituellement adaptés (diurétiques, digitaliques, bêtabloquants et/ou IEC) [27].
22
Tout symptôme respiratoire sous trastuzumab doit faire
réaliser une radiographie thoracique.
Conclusions et perspectives
La prise en charge des effets secondaires des thérapies
ciblées reste encore à améliorer afin de limiter les réductions de posologies ou les interruptions thérapeutiques, et
surtout l’impact sur la qualité de vie [3]. L’utilisation des
outils de liaison entre médecins et patients est encore insuffisante. La collaboration interdisciplinaire entre le médecin
prescripteur et ses confrères médecins généralistes et spécialistes, notamment dermatologues, cardiologues et
n
néphrologues, doit être confortée et plus étroite [3].
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