INTRODUCTION LA POLITIQUE ETRANGÈRE DES ETATS

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INTRODUCTION
LA POLITIQUE ETRANGÈRE
DES ETATS-UNIS EN 2003
par
Guillaume PARMENTIER (*)
Les contrecoups des attentats du 11 septembre 2001 avaient dominé la
politique étrangère américaine en 2002. L’année 2003 a été marquée avant
tout par la décision de l’Administration Bush de « changer le régime » de
l’Iraq par la force, après avoir passé de longs mois à négocier au Conseil de
sécurité des Nations Unies pour que Saddam Hussein renonce aux armes de
destruction massive que plusieurs résolutions antérieures de ce Conseil lui
interdisaient de détenir. Si l’on excepte l’Amérique centrale, « arrière-cour »
de la République américaine, recourir à la guerre sans y être contraint par
une attaque ou une menace directe contre le territoire américain ou celui
d’un allié des Etats-Unis représente une nouveauté dans l’histoire des EtatsUnis. C’est au contraire le retard dans l’intervention qui a été traditionnellement reproché à l’Amérique, pendant les deux guerres mondiales bien sûr,
mais aussi plus récemment pendant la guerre en Bosnie. Les Américains
recourent traditionnellement au conflit par obligation. En 2003, ils ont utilisé la force par choix.
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Cette situation nouvelle, qui avait d’ailleurs été théorisée par l’Administration Bush dans son document de Stratégie nationale (1) sous l’appellation
générale de preemption, pourrait évidemment comporter des conséquences
majeures pour la sécurité internationale si elle était appelée à se pérenniser.
Une chose est en effet que la seule superpuissance, qui dépense à elle seule
près de la moitié du produit militaire mondial et beaucoup plus de la moitié
du produit militaire utile, mène une politique tendant au maintien des équilibres de puissance dans la plupart des régions du monde. De tout autre
(*) Directeur du Centre français sur les Etats-Unis à l’Institut français de relations internationales
(IFRI) et professeur associé à l’Université Paris II – Panthéon-Assas.
(1) Sur ce document, on se référera utilement, en langue française, outre à l’article d’Esther Brimmer
inclus dans le présent volume, à l’article de Philip Zelikow, « La nouvelle politique mondiale des EtatsUnis », traduit et publié par Commentaire, n o 102, été 2003, ainsi qu’à la réponse publiée dans le n o 104 de
la même revue, hiver 2003-2004, par Guillaume Parmentier, « La ‘ doctrine ’ de sécurité d’un pays transformé ».
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nature serait une situation dans laquelle cette même puissance interviendrait au choix, au vu de son jugement sur la qualité de tel ou tel régime,
pour établir ici ou là un gouvernement conforme à ses vœux. Intervenir
dans les affaires intérieures d’un Etat sans mandat international incontestable peut se justifier en cas d’urgence humanitaire et se justifie dans le
cadre de la légitime défense quand il s’agit de prévenir une agression. La
guerre du Kosovo de 1999 pouvait ainsi être défendue en se référant à l’urgence humanitaire. Rien de tel en ce qui concerne l’Iraq de 2003.
Non seulement les forces d’occupation n’ont pas découvert d’armes de
destruction massive, mais il est patent et maintenant admis par les autorités
américaines elles-mêmes que la détention probable par l’Iraq de Saddam
Hussein de ces armements n’a pas représenté le motif réel de l’intervention,
qui avait pour but véritable de débarrasser la région du régime baassiste.
Que ce régime ait été détestable et que la région puisse bénéficier de son
absence n’est pas en cause. Le problème tient à la méthode choisie par les
Américains, aux buts de guerre qu’ils avaient affiché vis-à-vis du Conseil de
sécurité et à la difficulté qu’il y aura à imposer de l’extérieur un régime politique à un pays comme l’Iraq.
Il n’est donc pas certain que l’Amérique se tienne maintenant à la « doctrine » de preemption qu’elle a adoptée en 2002. La facture est lourde, en
termes diplomatiques, en termes humains et en termes financiers. Les
Démocrates et les Républicains « internationalistes » traditionnels, qui
s’étaient caractérisés par leur discrétion dans la critique de l’Administration
jusqu’au printemps de 2003, ont été beaucoup plus directs à partir du
moment où il a été clair que les troupes américaines et alliées étaient perçues par les Iraquiens, y compris ceux qui étaient enchantés d’être débarrassés d’une féroce dictature, comme une force d’occupation. Beaucoup
d’Américains s’attendaient de bonne foi à ce que leurs hommes soient
accueillis comme des libérateurs. La désillusion a été cuisante. Le succès
populaire des deux candidats démocrates les plus critiques à l’égard de l’invasion de l’Iraq, l’ancien gouverneur Howard Dean et l’ancien général
Wesley Clark, fournit la preuve que le pays s’interroge pour le moins sur le
bien-fondé de cette opération si inhabituelle au regard de l’histoire américaine. Reste qu’une majorité d’Américains, fidèle à la tradition de ce pays,
continue de faire confiance à son Président et estime justifié le recours à la
guerre. Le discours du Président Bush à la nation, en septembre 2002, dans
lequel il estimait pour la première fois le coût de l’opération, prévoyant une
dépense de 87 milliards de dollars la première année fiscale pleine, a eu un
effet psychologique immédiat, dont la traduction dans les sondages de popularité personnelle du Président et de soutien à sa politique de sécurité a été
sensible. Les arguments du général Clark et de nombreux dirigeants démocrates au Congrès, tel le Sénateur Biden, sur l’affaiblissement de la capacité
américaine à convaincre ses partenaires de suivre le leadership américain
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après cette guerre, ont porté dans des secteurs importants de l’opinion
publique, ainsi que dans les médias.
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Reste que les Américains ne se contentent plus d’une conception classique
de la légitimité internationale pour justifier leurs interventions militaires.
De ce point de vue, le Conseil de sécurité des Nations Unies leur pose des
problèmes croissants. Il leur est de plus en plus difficile d’admettre que des
Etats dont le régime politique est peu satisfaisant puissent s’opposer à une
action envisagée par l’Amérique au nom du bien commun de l’humanité. Or,
les Nations Unies sont censées représenter le monde tel qu’il est et non tel
que les Américains ou les nations démocratiques souhaiteraient qu’il fût. De
nombreux observateurs des affaires internationales, critiquant les Nations
Unies parce que leur caractère disparate ne leur permet pas d’incarner des
valeurs acceptables par les démocraties, estiment qu’une organisation
comme l’OTAN, qui rassemble des Etats démocratiques, dispose en termes
de valeurs d’une légitimité plus forte que celle des Nations Unies. De ce fait,
l’objectif poursuivi par l’Amérique n’est plus la stabilité, mais l’émergence
d’un monde démocratique, à l’image de la République américaine. Pour certains, si le prix à payer pour cela est une instabilité passagère dans certaines
régions, cela en vaut la peine car la démocratie est la condition de la sécurité réelle. Presque personne en Europe n’exprimant un tel point de vue, il
est probable que le débat transatlantique sur les fondements de la légitimité
internationale ne fait que commencer. Il est sain qu’un débat politique préalable commence aux Etats-Unis sur ces orientations, comme cela semblait
être le cas à la fin de l’année 2003.
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Il est trop tôt pour savoir si les conséquences psychologiques des attentats du 11 septembre sur le peuple américain et la détermination des secteurs les plus fermes de l’Administration actuelle de changer l’attitude de
l’Amérique face aux questions internationales changeront de manière
durable les fondements de la politique étrangère des Etats-Unis. Pour beaucoup d’Américains, le 11 septembre a représenté la fin d’une époque pendant laquelle les Etats-Unis pouvaient poser sur le monde un regard attentif
mais serein. Il a ouvert une nouvelle ère, qui demande que les règles du jeu
changent fondamentalement. Une poursuite des troubles et de l’incertitude
en Iraq aurait cependant pour effet de gommer les effets des attentats de
2001, en rappelant au peuple américain les avantages de la constitution de
coalitions stables autour d’eux, le besoin pour les maintenir de tenir compte
des disciplines de la société internationale et des dangers de l’intervention
unilatérale et de l’occupation de pays étrangers, fût-ce au nom de principes
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respectables. Après le 11 septembre, nouvelle ère des relations internationales ou parenthèse ? Telle est toute la question. De la réponse que les événements lui donneront dépendra non seulement l’orientation de la politique
étrangère américaine, mais aussi l’avenir du système international.
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