La radiographie pulmonaire : interprétation et astuces

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La radiographie pulmonaire
Interprétation et astuces
Sylvain Caron, M.D., est résident sénior en radiologie diagnostique au Département de radiologie de
l’Université de Montréal.
Louise Samson, M.D., FRCPC, est radiologue au Département de radiologie de l’Université de Montréal.
Article tiré de la conférence
L’imagerie pulmonaire : quoi voir, quoi prescrire donnée le 9 novembre 2012 dans le cadre des
21es Journées annuelles du Département de médecine de l’Université de Montréal.
Régions radiotransparentes
triangulaires
Objectifs de l’article
Le but de cet article est d’illustrer, à l’aide de vignettes cliniques, certains messages clés
afin de permettre au lecteur d’être en mesure :
• d’adopter une approche systématique d’analyse de la radiographie pulmonaire;
• d’identifier les signes radiologiques des pathologies courantes;
• d’identifier les pièges à éviter.
L
a radiographie pulmonaire est l’examen de radiologie le plus souvent
prescrit à l’urgence, représentant entre
30 et 50 % des examens d’imagerie. Un
grand nombre de pathologies pulmonaires, pleurales, aortiques, cardiaques,
osseuses et des tissus mous peuvent se
manifester à la radiographie pulmonaire.
Les signes radiologiques se chevauchent entre les différentes pathologies
et sont parfois non spécifiques : cet examen doit être interprété à la lumière des
éléments cliniques. La maîtrise de la
sémiologie radiologique de la radiographie pulmonaire est difficile, et le succès
réside parfois dans la reconnaissance de
certains pièges et l’application d’une
analyse systématique.
La radiographie pulmonaire standard
est effectuée en position debout et com42 Clinicien plus • septembre 2013
porte deux incidences : vue postéroantérieure (PA) et vue latérale. L’incidence latérale est exécutée en positionnant le détecteur à gauche du patient. De
cette façon, la distance entre le cœur et le
détecteur est réduite, et l’effet de magnification du cœur est minimisé.
Interprétation
systématique : la
radiographie latérale
Il est important d’adopter une séquence d’interprétation systématique.
L’incidence latérale doit être évaluée,
même si celle-ci est un peu moins familière que l’incidence PA. Certaines
régions sur le cliché latéral méritent une
attention particulière.
On devrait toujours y retrouver
trois régions radiotransparentes triangulaires situées en rétrosternal, en rétrotrachéal et en rétrocardiaque. Une opacité
dans une de ces régions peut ne pas être
remarquée sur la vue PA, car elle peut se
confondre avec les structures médiastinales ou cardiaques. Aussi, un élément clé
dans l’analyse de la radiographie de profil
comprend toujours la recherche d’un gradient de radiotransparence pulmonaire
postérieure progressant du haut vers le
bas, de « blanc » vers « plus noir », se
superposant aux corps vertébraux. Un
autre élément de sémiologie incontournable est le signe de la perte de la silhouette (appelé « signe de la silhouette ») des
structures médiastinales ou du diaphragme dans les cas de remplissage des
alvéoles du poumon adjacent à ces structures. Les Figures 1a et 1b illustrent l’apport de ces signes. De profil (Figure 1a),
on détecte une opacité postérieure se
superposant à la colonne thoracique avec
perte de l’accentuation normale de la
radiotransparence pulmonaire du haut
Radiographie pulmonaire standard
vers le bas. Sur l’incidence PA (Figure 1b),
l’opacité est difficile à percevoir, de localisation rétrocardiaque. Toutefois, cette
opacité fait perdre la silhouette du diaphragme gauche sur le PA et sur le profil,
signe facilitant la détection de cette anomalie. En présence d’une suspicion clinique d’un processus infectieux, cette trouvaille devient compatible avec une consolidation pulmonaire en lien avec une pneumonie bactérienne probable.
La consolidation
Le terme « consolidation » fait référence à
une opacité alvéolaire. Ce type d’opacité
est causée par un remplissage des alvéoles
pulmonaires par du matériel qui peut être,
dans un contexte infectieux, du pus et des
cellules inflammatoires au sein des
alvéoles. Ce remplissage peut aussi représenter du sang (contusion pulmonaire),
de l’eau (œdème pulmonaire alvéolaire),
des cellules (adénocarcinome), des protéines (protéinose alvéolaire) et autres
(aspiration, cellules inflammatoires,
graisse). Quand dans ces cas les bronches
demeurent perméables et aérées, alors
apparaît un bronchogramme aérien provoqué par le contraste entre le contenu aérien
radiotransparent des bronches et le contenu
alvéolaire radio-opaque.
La qualité technique
de l’examen
Avant d’interpréter une radiographie pulmonaire, il est important d’évaluer la
qualité technique de l’examen. Un examen de mauvaise qualité technique est
moins sensible pour la détection de
pathologie et peut également nous orienter vers un diagnostic erroné. Les éléments clés à regarder sont la position, la
rotation, l’exposition et le
degré d’effort inspiratoire.
La position
Le positionnement habituel est
debout. Selon la condition du
patient, l’examen peut être fait
en position assise ou couchée.
En position couchée, l’incidence du faisceau de rayons X
est en direction antéropostérieure (AP) au lieu d’une
direction PA, accentuant ainsi
la magnification des structures
médiastinales antérieures se
retrouvant plus éloignées du
détecteur derrière le patient.
La rotation
La rotation est évaluée en estimant la distance entre les
apophyses épineuses sur la
ligne médiane et l’extrémité
proximale des clavicules. Cette
distance devrait être équivalente entre la droite et la
gauche. Une rotation vers la
droite peut élargir le diamètre
du médiastin parfois de 30 %.
Figure 1a.
L’exposition
L’exposition devrait être suffisante pour permettre de discerner les corps vertébraux et de voir
la vascularisation pulmonaire.
Un cliché surexposé est plus
« noir ». Les corps vertébraux
sont trop bien visualisés, et une
pathologie pulmonaire peut ne
pas être visible. Les problèmes
d’exposition sont toutefois plus
rares avec les équipements
modernes de radiographie.
Figure 1b.
Figures 1a et 1b. Patient dyspnéique avec
leucocytose. Radiographie pulmonaire de profil
(a) et PA (b) montrant une consolidation
pulmonaire au lobe inférieur gauche.
Clinicien plus • septembre 2013 43
Radiographie pulmonaire standard
la 6e côte devrait se projeter sur
le parenchyme pulmonaire avec
la coupole diaphragmatique
située inférieurement. L’évaluation des examens en position
assise et couchée est plus difficile. Une comparaison avec les
examens antérieurs est très utile.
Les opacités interstitielles
À la Figure 2a, on note la
présence d’opacités interstitielles
périhilaires et périphériques prédominants à la moitié inférieure
des poumons. Il n’y a pas d’évidence d’épanchement pleural ni
Figure 2a.
de redistribution vasculaire vers
les sommets. Le cœur semble un
peu élargi. Un observateur non
averti pourrait suspecter un
œdème pulmonaire ou une infection virale ou par Pneumocystis
jiroveci. Par contre, le degré
d’inspiration est inadéquat, l’arc
postérieur de la 10e côte et l’extrémité antérieure de la 6e côte se
projetant sur le foie. L’examen
est repris à la Figure 2b, l’inspiration est adéquate et la radiographie est correctement interprétée
comme normale.
Le diagnostic différentiel
Figure 2b.
d’opacités interstitielles est égaleFigures 2a et 2b. Patient dyspnéique se présentant
ment vaste et varie selon la distrià l’urgence. Les 2 radiographies (a et b) sont du
même patient, prises à quelques minutes
bution des opacités. Aux bases
d’intervalle.
pulmonaires, on retient les
hypothèses principales d’œdème
L’inspiration
pulmonaire, de pneumonie virale, à
Le dernier élément technique à regarder Mycoplasma pneumoniæ ou Pneumoest la qualité de l’effort inspiratoire. Sur cystis, de collagénose (polyarthrite rhumaun examen PA en position debout avec un toïde, sclérodermie), de lymphangite carbon effort inspiratoire, l’arc postérieur de cinomateuse (atteinte asymétrique), d’atla 10e côte et/ou l’extrémité antérieure de teinte médicamenteuse et de maladie
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interstitielle chronique (fibrose pulmonaire idiopathique, pneumoconiose, etc.).
La cause la plus fréquente est l’œdème
pulmonaire. Ces signes les plus fréquents
sont : la redistribution vasculaire vers les
sommets, des opacités linéaires horizontales et périphériques avec contact pleural
aux bases (ligne de Kerley B), une mauvaise distinction des hiles pulmonaires
(flou périhilaire) et la présence d’épanchements pleuraux et scissuraux.
Douleur thoracique aiguë
La radiographie pulmonaire est souvent
utilisée chez les patients avec douleur thoracique aiguë comme examen complémentaire. Un pneumothorax est l’exemple
typique d’entité à rechercher. Dans le cas
d’un patient incapable d’effectuer l’examen debout, le diagnostic est plus difficile
à poser. Sur un cliché AP en décubitus
dorsal, l’air intrapleural va se distribuer
Figure 3. Radiographie pulmonaire AP
couchée d’un patient âgé aux soins
intensifs avec un pneumothorax gauche
se manifestant en inférieur par une
hyperclarté.
Radiographie pulmonaire standard
dans l’espace pleural antérieurement au
poumon et se projette le plus souvent au
tiers inférieur de l’hémithorax. La collection d’air pleural accumulée ainsi donne
l’illusion d’un cul-de-sac costophrénique
antérieur profond (Figure 3).
Parfois, un pli cutané peut produire une
mince interface se projetant sur la partie
supérieure du poumon (Figure 4) qui peut
être méprise pour un pneumothorax. Audessus de la mince ligne visualisée, il peut
être difficile de statuer sur la présence
d’air ou de poumon normal à l’apex. En
cas de doute, il est utile de suivre attentivement la trajectoire complète de la ligne
détectée. Si celle-ci est suivie jusqu’à
l’extérieur du patient, on peut être assez
confiant qu’il ne s’agit pas d’un pneumothorax, mais d’une image de composition. De plus, de l’air emprisonné dans un
pli cutané se manifeste par une mince
ligne noire alors qu’un pneumothorax est
délimité par une mince ligne blanche,
correspondant à la plèvre viscérale.
Dissection aortique
Le diagnostic de dissection aortique est
souvent redouté. Malheureusement, les
signes radiologiques de cette entité sont
peu spécifiques (élargissement du
mé-diastin, dilatation de l’aorte, épanchement pleural gauche). Un signe utile, si
visualisé, est de celui
du déplacement des
calcifications intimales
de l’aorte thoracique
(Figure 5). Secondairement à l’hématome
se formant dans la
couche
musculaire
(média) de l’aorte, les
calcifications intimales
internes vont donc
s’éloigner du rebord
externe de l’aorte (adventice). La mesure du
déplacement des calcifications intimales jugée significative varie
dans la littérature, on
retient un déplacement
de plus de 6 mm. Si
disponible, une comparaison à un examen
antérieur est avantageuse. En cas de
doute, une évaluation
prioritaire par angiographie par tomodensitométrie est à discuter avec votre équipe
d’imagerie médicale.
Figure 4. Radiographie pulmonaire en position assise. Une
région hypertransparente en périphérie des tiers moyen et
inférieur du poumon droit correspond à un pli cutané. On
peut voir la petite scissure droite traversant la région en
question.
Cp
Bibliographie :
1. Webb, Richard W., Charles B. Higgins. Thoracic imaging: pulmonary and cardiovascular
radiology. 2e Éd., Lippincott Williams & Wilkins, 2010, 914 p.
2. Collins, J, Eric J. Stern. Chest radiology : the essentials. 2e Éd., Lippincott Williams & Wilkins,
2007, 340 p.
3. De Lacey, Gerald, Simon Morley et Laurence Berman. La radiographie thoracique : manuel
pratique. 1re Éd. Elsevier, 2009.
4. Corne, Jonathan, Kate Pointon. La radiographie thoracique facile. 1re Éd. Elsevier, 2010.
Figure 5. Schéma illustrant le signe du déplacement des
calcifications intimales dans le cas de dissection aortique.
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