La complexité génétique de l`autisme

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Résumés des conférences
La complexité génétique de l’autisme
résumé de la conférence du Pr. Christian Andres1
L
e professeur Christian Andres a introduit son exposé en soulignant l’explosion des connaissances
dans le domaine de la génétique des pathologies
neurodéveloppementales depuis sa dernière intervention
à l’Université d’automne en octobre 2001. L’autisme est
une maladie complexe, son diagnostic repose sur l’observation clinique de signes qui traduisent un dysfonctionnement du cerveau. Bien que la référence aux critères du DSM-IV fasse consensus chez les généticiens, la
notion actuelle de « spectre » autistique est mal définie
et très liée à la qualité des outils de mesure utilisés. Le
conférencier a tenté de dessiner un modèle de « complexe autistique » qui rendrait compte des variations et
chevauchements des traits autistiques et des symptômes
des autres troubles inclus dans la catégorie plus large des
troubles envahissants du développement et du « spectre »
autistique (figure 1).
Ainsi définis, ces troubles n’aboutissent pas toujours à
un handicap et pourraient s’inscrire en continuité avec
des individus « normaux ». Bien qu’une participation
génétique soit probable, les formes en sont multiples :
maladies monogéniques, polygéniques, liées à l’environnement (exposition à l’alcool, au valproate, aux virus…),
Figure 1 : « le complexe autistique »
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multifactorielles… des combinaisons différentes de ces
facteurs pourraient être impliquées chez différents individus. De plus, la part génétique pourrait soit être transmise
soit due à une néomutation.
Pour découvrir les gènes impliqués et comprendre leurs
mécanismes d’action plusieurs stratégies sont utilisées :
1. la recherche d’anomalies chromosomiques, notamment pour préciser les points de rupture où des gènes
seraient altérés,
2. l’étude des génopathies mendéliennes associées à
l’autisme,
3. les criblages systématiques du génome en comparant
avec des personnes non atteintes, stratégie de plus en
plus facile à mettre en œuvre grâce aux développements technologiques,
4. l’exploration de gènes candidats et la caractérisation
de leur rôle dans le développement du cerveau.
Les anomalies chromosomiques
De nombreuses anomalies (translocations, duplications,
délétions…) ont été mises en évidence chez des personnes qui présentent des traits autistiques. Le conférencier
cite plus particulièrement des duplications dans la région
q11q13 du chromosome 15. L’expression des gènes de
cette région diffère selon l’origine parentale du chromosome, cela correspond à la notion d’empreinte génétique.
Si le chromosome portant l’anomalie est d’origine maternelle, cela entraîne un syndrome d’Angelman, s’il est
d’origine paternelle un syndrome de Prader-Willi. Cette
région est très complexe et très riche en gènes.
Un autre exemple est le gène KCNMA1 (Laumonnier et
al., 2006) rompu dans une translocation mise en évidence
chez une personne atteinte d’autisme. Ce gène code une
protéine qui régule le canal BK(Ca), impliqué dans le
retour au repos de la synapse. Ainsi un fonctionnement
synaptique défaillant, qui pourrait être potentiellement
réactivé, pourrait être à l’origine de l’autisme. Une telle
hypothèse soulève la question d’une possible réversibilité de certains déficits.
Professeur de Biochimie et de Biologie Moléculaire, Université François-Rabelais de Tours, Inserm U930, CHRU de Tours
le Bulletin scientifique de l’arapi - numéro 21 - printemps 2008
Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification v.4.0 Internationale (cc-BY-NC-ND4.0)
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Les génopathies mendéliennes
associées à l’autisme
Une vingtaine de génopathies mendéliennes (où le dysfonctionnement d’un seul gène entraîne la maladie, voir
la figure 2) sont associées à l’autisme. Dans la population
atteinte de sclérose tubéreuse de Bourneville, par exemple, la prévalence de l’autisme est 100 fois plus élevée
que dans la population générale. D’une part, il est important de repérer ces maladies, dont les signes spécifiques
apparaissent parfois plus tard, chez les personnes autistes. Mais d’autre part, il ne s’agit pas de réduire la personne à un diagnostic génétique et de ne pas tenir compte
des troubles associés.
L’étude de la chaîne physiopathologique de ces maladies peut éclairer le rôle des gènes dans l’apparition des
troubles autistiques. Christian Andres a cité notamment
la neurofibromatose de type 1, due à des mutations du
gène NF1. L’action de la protéine OMG, codée par un
gène situé au locus NF1 et dont le gène a été associé à
l’autisme, a été étudiée chez le rat où elle intervient à la
fin de la myélinisation. Cette protéine a deux fonctions,
au niveau de la régulation de la prolifération neuronale et
de l’inhibition de l’extension des axones. Son effet sur le
développement pourrait dépendre du stade où elle s’exprime.
Les criblages systématiques
Dans différentes études, l’autisme a été associé à de
nombreuses régions situées sur presque tous les chromosomes, notamment sur les chromosomes 2, 7 et 15.
Une région particulièrement intéressante est la région
7q32 qui comprend une soixantaine de gènes. L’équipe
de Christian Andres y a étudié le gène UBE2H, membre
d’une grande famille de gènes exprimés dans le système
nerveux central. Il pourrait constituer un gène de susceptibilité à l’autisme.
Les gènes candidats
L’autisme pourrait être le résultat de l’action combinée
de quelques gènes ou d’ une maladie polygénique dans
laquelle de nombreux gènes sont en cause. Chacun ayant
individuellement un effet assez faible c’est l’association
de leurs effets propres ou des effets de plusieurs allèles
(formes variables d’un gène), conférant chacun une part
de susceptibilité, qui déclenche la maladie. Ce modèle
rend mieux compte de pathologies où la limite entre sujet
sain et sujet malade est plus difficile à définir comme les
figures 3 et 4 le montrent.
Figure 2 : Les maladies monogéniques, une distinction
claire entre sujets atteints (porteurs de l’anomalie génétique) et sujets sains, ici l’exemple d’une maladie dominante, entraînée par la présence d’un allèle a.
Figure 3 : un modèle de maladie résultant de l’action de
trois gènes. Les personnes atteintes se situent à l’intersection des trois surfaces
Actuellement plus de 30 gènes seraient impliqués dans
des facteurs de susceptibilité à l’autisme. Des études sur
des groupes de patients plus importants seraient nécessaires pour mieux étayer ces conclusions.
Figure 4 : un modèle de l’influence de plusieurs gènes
dans une maladie, la limite entre malades et sains est plus
difficile à tracer si l’on ne considère qu’un seul gène.
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Quelques exemples de gènes candidats étudiés :
► Le gène « Engrailed », caractérisé chez la drosophile, s’exprime pendant la genèse du cervelet. Dans
des études sur des souris transgéniques le cervelet
est atrophié lorsque ce gène est inactivé. Des anomalies cérébelleuses ont été mises en évidence dans
l’autisme, notamment dans les travaux d’imagerie
de l’équipe d’Eric Courchesne. Ce gène a été associé à l’autisme dans une étude faite à Tours à 1995.
Ensuite, en 2003, une étude américaine n’a trouvé
aucune association. Enfin, en 2004 et 2005, deux publications ont apporté de nouvelles données en faveur d’une association.
La protéine codée par ce gène aurait un rôle semblable à celui du gène OGMP dans le développement
des connexions neuronales, un genre de protéine
« couteau suisse » qui intervient avec des rôles variés.
► L’autisme est souvent associé aux déficiences mentales. Ces déficiences peuvent être spécifiques liées au
chromosome X, non spécifiques liées à l’X (c’est à
dire sans autres anomalies que la déficience mentale)
ou autosomiques. Dans une même famille porteuse
d’un de ces gènes il y a souvent des sujets qui portent des pathologies différentes, environ le tiers des
individus atteints ont un autisme, les autres une déficience mentale seule. La mutation du gène NLGN4
a été décrite par l’équipe de Bourgeron dans des
cas d’autisme, cependant dans une famille étudiée
à Tours, des cas d’autisme et de retard mental sont
associés à la même
mutation. Ceci pose
Cette explosion
la question des mécade connaissances permet
nismes physiopathoau moins d’affirmer
logiques communs
que l’autisme est une maladie
aux deux pathologies
très complexe et que beaucoup et des facteurs spécifiques
entraînent
reste à faire.
le développement de
l’une ou de l’autre.
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Cette explosion de connaissances permet au moins d’affirmer que l’autisme est une maladie très complexe et que
beaucoup reste à faire. Un même gène muté pourraient
contribuer à l’apparition de plusieurs syndromes -autisme, Asperger ou déficience mentale- chez différents individus, selon où et quand il s’exprime, son association ou
non avec d’autres particularités génétiques, son interaction avec des facteurs environnementaux comme des virus ou des médicaments ou toxines. Le gène n’est qu’un
outil servant à fabriquer une protéine et le fonctionnement des protéines est un vaste domaine qui n’est
que partiellement connu.
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