Méthodologie de l`évaluation des pratiques dans le champ

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10ème Université d'automne
Méthodologie
de l’évaluation des pratiques
dans le champ de l’autisme
L
’évaluation des pratiques est fondée sur des méthodologies issues des essais thérapeutiques.
Lorsqu’on considère le poids économique du médicament qui représente 1 % de la richesse mondiale on
ne s’étonne pas de l’investissement majeur qui est consacré à l’évaluation. Le coût d’une phase III d’un essai thérapeutique pour une nouvelle molécule est de l’ordre de
500 millions d’euros. En regard, le budget d’une évaluation de pratiques dans l’autisme, à l’échelle de la planète,
est dix fois moins important. Réfléchir à l’évaluation a
un côté rébarbatif puisqu’il est question de méthodes
et plus encore, de choix de critères. Pour certains, c’est
complexe et décourageant. D’autres considèrent que l’on
est « parasité » par ces méthodes d’évaluation venues du
médicament. Faut-il le rappeler, mener une évaluation
suppose le risque de mettre en évidence l'inefficacité de
ce qui a été entrepris.
Synthèse de la conférence de Bruno Falissard2
sible à viser la simplicité, et à éprouver une préférence
pour travailler avec des personnes présentant un autisme
avec bon niveau de fonctionnement plutôt qu’avec celles
ayant un autisme sévère.
Plus encore que pour d’autres pathologies, dans le domaine de l’autisme, l’hétérogénéité des profils est la règle
plus que l’exception : d’où la nécessité de définir la population et le « type » de patient auprès de qui l’évaluation
sera focalisée.
Quels traitements ? Chaque équipe ayant sa propre pratique de prise en charge, s’il n’est pas reproductible, le
traitement demeure-t-il évaluable ? Comment introduire
une évaluation ? Cette
Quels patients ?
question se pose aussi
pour le médicament,
Quels traitements ? Comment
car l’effet d’un méévaluer qualitativement
dicament tient égaet quantitativement
lement au médecin
l’évolution
du patient ?
et à la relation qu’il
Comment construire
entretient avec ses
patients. La singulaun protocole ?
rité est propre à toute
évaluation des thérapeutiques. Expliciter le plus possible
ce qui est fait avec les patients, entraîne-t-il une réduction
abusive ? Non, cela aide à réaliser concrètement ce qui a
été entrepris, à trouver une ligne commune et de tenter
d’évoluer, lorsque cela est possible, vers une homogénéisation de la prise en charge. Il y a nécessairement un
compromis à trouver entre l’explicitation et l’indistinct.
La question de la singularité n’est pas spécifique à nos
domaines. Dans le domaine du cancer, les collègues généticiens sont confrontés à la personnalisation de plus
en plus grande de leurs outils : avec une puce on peut
singulariser une tumeur, et adapter la thérapeutique. En
conséquence l’approche spécifiquement ciblée qui vise à
une médecine personnalisée, ne permet pas d’obtenir une
reproductibilité. La psychiatrie n’est pas le seul domaine
où se pose ce type de question.
Sur quels patients va-t-on centrer l’attention ? Cette attitude réflexive peut faire apparaitre un certain nombre de
biais. A titre d’exemple il y a une tendance compréhen-
Comment évaluer l’évolution des patients ? De quels
outils dispose-t-on pour rendre compte de l’amélioration ? Le choix des critères est un enjeu complexe. Il est
Quelles sont les questions à se poser pour construire une
évaluation ? En tout premier lieu, il importe d’abandonner
l’idée que l’on peut « tout » évaluer d’une manière globale. Ensuite il faut s’attacher à délimiter certains aspects
de la question afin de s’obliger à une certaine rigueur. S’il
est nécessaire de formaliser les questions posées, de les
expliciter, il y aura un passage indispensable autour de
quatre sous-groupes de questions : Quels patients ? Quels
traitements ? Comment évaluer qualitativement et quantitativement l’évolution du patient ? Comment construire
un protocole ?
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Professeur des universités, praticien hospitalier (biostatistique), Responsable du département de santé publique de l’hôpital
Paul-Brousse, Directeur de l’unité INSERM 669 (santé mentale de l’adolescent), Paris
conférence résumée par Dominique Donnet-Kamel et Karima Taleb-Mahi
le Bulletin scientifique de l’arapi - numéro 25 - printemps 2010
Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification v.4.0 Internationale (cc-BY-NC-ND4.0)
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préférable d’avoir de multiples solutions qu’une pauvreté
de recours possibles. Encore une fois, cette question n’est
pas spécifique au domaine des TED qui nous préoccupe
ici. Le diabète donne une bonne illustration : quel critère
choisir pour évaluer l’évolution des patients : la normalisation de la glycémie ou la prévention de survenue des
complications ? Il est évident que l'étude de la normalisation de la glycémie coûte moins cher que celle de la prévention des complications. Dans la cognition, la question
de la sensibilité au changement est-elle un critère ? Si la
personne est plus performante, peut-on dire pour autant
qu’elle va mieux ? La réponse est non, le changement
constaté ne signifie pas qu’il y ait amélioration de l’état
de la personne. Dans la schizophrénie, les psychiatres ont
proposé des mesures cognitives que la FDA ( Food and
Drug Administration, bureau américain de contrôle alimentaire et pharmaceutique) a refusé en tant que mesures
de l’efficacité. Cela
se discute, car les
Comment évaluer la qualité
modèles cognitifs ont
de vie ? Les instruments
leur pertinence dans
existent, également, mais
la compréhension du
on leur reproche d’être
fonctionnement psychique de la personne.
prétentieux et normatifs.
Peut-on utiliser un instrument Cela ne remet pas en
question la pertinence
normé pour un trouble
des instruments qui
autistique ? De quelle qualité
existent pour mesurer
de vie parle-t-on ?
les symptômes, qui
cristallisent le savoirfaire médical. Pour autant ils présentent l’inconvénient
majeur d’être médico-centrés. Les médecins peuvent négliger d’autres dimensions de la maladie comme l’attestent les syndromes déficitaires dans la schizophrénie, qui
ne peuvent être appréhendés que par une investigation
de nature cognitive. Comment évaluer la qualité de vie ?
Les instruments existent, également, mais on leur reproche d’être prétentieux et normatifs. Peut-on utiliser un
instrument normé pour un trouble autistique ? De quelle
qualité de vie parle-t-on ? De celle du patient ou de celle
de sa famille ? En l’absence de plainte du sujet concerné,
la qualité de vie de l’entourage est-elle un meilleur indicateur ?
Comment mettre en place un protocole ? Y a t-il nécessité
d’un « groupe contrôle » ? La réponse est globalement affirmative. Si un groupe s’améliore, il importe de pouvoir
attribuer l’amélioration à la méthode observée, et pas à
d’autres facteurs. Néanmoins, dans certaines situations,
si une personne présente une dégradation, une rupture,
il n’est pas besoin d’un groupe contrôle. Il existe des
méthodes alternatives au groupe contrôle, par exemple
la comparaison historique avant-après, mais la difficulté
réside, là encore, dans l’interprétation des résultats.
Qu’en est-il du tirage au sort pour former les groupes ?
Cette méthode est la seule façon d’interpréter les données
recueillies. Il ne s’agit pas, cependant, de se laisser obnubiler par le tirage au sort. On peut aussi inventer d’autres
modèles, mais la condition est la prise en considération
des biais possibles. La question fondamentale reste celle
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de la transférabilité des résultats. Enfin, la question du
nombre de sujets à inclure dans le protocole est, là aussi,
une question méthodologique importante. Si la pratique
qu’on évalue est très efficace, il faudra un nombre moins
conséquent de patients à inclure et à comparer. En revanche, si la méthode n’est pas d’une très grande efficacité,
il faudra inclure un grand nombre de patients.
L’apport fondamental de l’évaluation est de clarifier les
pratiques, ce n’est pas si difficile, nous disposons des
moyens utiles, et cela nous aide à progresser efficacement. Aujourd’hui, il y a une vraie prise de conscience de
la nécessité d’évaluer les pratiques psychiatriques mais il
s’agit d’être vigilant sur les raccourcis et les risques de
« dérapage ». Ce n’est pas parce qu’on ne se prête pas à
l’évaluation que ce que l’on fait est mauvais ! Derrière
l’évaluation, il y a des enjeux de pouvoirs.
le Bulletin scientifique de l’arapi - numéro 25 - printemps 2010
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