L’EPILEPSIE AUX URGENCES Jean Louis GASTAUT Données Épidémiologiques • environ 1/3 des Urgences sont Médicales • parmi elles : 20% environ sont des Urgences Neurologiques SAU des Hôpitaux Sud de Marseille (O. Garosi, 1997) : – neurologie : 17.3 % – pneumologie : 13,4 % – cardiologie : 12,6 % intoxications : 13 % • 0.7 à 3.4 % des admissions sont dues à une crise d’épilepsie (CE) [J. Ninet et al, 1992] • dans l ’Unité de Neurologie d ’Urgence de l ’Hôpital H. Mondor (F. Bernard, 1994) : 25 % des patients sont admis pour une CE • Il s ’agit essentiellement de crises généralisées tonico-cloniques (CGTC), qu ’elles le soient d’emblée ou secondairement 86 % de CGTC dans la série de M King et al (1998) 81 % " » M. Neufeld et al (2000) • les autres formes de CE, généralisées ou partielles, convulsives ou non convulsives, font plus souvent l ’objet d ’une consultation auprès d ’un médecin généraliste ou d ’un neurologue • parmi les CE admises en urgence : l ’épilepsie est déjà connue dans 2/3 des cas il s ’agit d ’une 1ère crise dans 1/3 des cas M. Reuber et al (2000) : dans 68 % des cas l ’épilepsie est connue (modification de la sémiologie des CE) dans 20 % des cas, il s ’agit d ’une 1ère crise dans 8 % des cas il s ’agit d ’un état de mal dans 4 % des cas il s ’agit de pseudo-crises Fig.2: Patients seen in A&E with seizures: causes of attendance. Unusual single seizure (51/190) 8% 4% 27% Worsening of seizures (48/190) New seizure disorder 16% Seizure in public place (31/190) Status epilepticus 20% 25% Psychogenic seizures (7/190) Incidence globale d ’une 1ère CE : 69/100.000 h/an (J. Loiseau et al, 1990) 76/100.000 h/an (W. Hauser et al, 1993) Incidence variable selon l ’âge : 40/100.000 h/an entre 15 et 24 ans 20 à 30/100.000 h/an entre 25 et 64 ans 65/100.000 h/an entre 65 et 74 ans 120/100.000 h/an au-delà de 75 ans • Néanmoins : faible proportion de sujets âgés admis pour CE • U.N.U de l ’Hôpital H Mondor (F. Bernard, 1994) : 13 % des sujets admis pour CE ont plus de 65 ans la plus forte représentation se situe entre 76 et 85 ans M. Reuber et al (2000) : « les personnes âgées sont beaucoup moins utilisatrices des SAU que ne le sont les adultes jeunes » Fig.1: Age distribution of A&E attendances with epilleptological emergencies. 30 25 20 Number 15 Male Femelle 10 5 0 16 to 19 20 to 29 30 to 39 40 to 49 50 to 59 Age 60 to 69 70 to 79 80 to 89 • Le Risque de Récurrence d’une Première crise d’épilepsie • Longtemps apprécié de façons très diverses • admis comme élevé : de 70 à 80 % à 3 ans • R Elwes (1985;1988) : 20 % à 1 mois 32 % à 3 mois 46 % à 6 mois 62 % à 1 an 71 % à 3 ans • Une méta-analyse (A.T. Berg et S.Shinnar, 1991) : supérieur à 40 % en 2 ans • le risque dépend du syndrome épileptique dans lequel s ’intègre éventuellement cette 1ère CE. Le Diagnostic Positif • Interrogatoire +++ : – importance de la qualité des informations recueillies { auprès du patient { auprès des témoins – importance de l ’expérience du médecin (d ’autant que la sémiologie des C.E est très diverse) – si la description (sémiologie-critique et post-critique) est typique : diagnostic facile – mais souvent : description imprécise et/ou incomplète absence de témoin direct amnésie de la crise • La survenue d ’une chute, souvent suivie de convulsions, est habituellement à l ’origine d ’une admission dès le premier épisode. • En l ’absence de chute et/ou de convulsions, l ’admission dans un SAU est plus rare et le plus souvent retardée par rapport à la première crise. • La répétition des crises rend leur diagnostic plus facile. • Rechercher un facteur favorisant : cause responsable d ’une crise symptomatique aiguë (ou accidentelle) dette de sommeil réveil SLI mauvaise observance Le Diagnostic Différentiel Le risque d ’erreur est important ; - entre 5 et 33 % des patients adressés dans les centres spécialisés ne sont pas épileptiques (K. Owczareck et J. Jedrzejczak, 2001) - principaux diagnostics différentiels : . - Syncopes - AIT - Migraines avec Aura - Attaques de Panique - Crises pseudo-épileptiques Les Syncopes : La diminution de la perfusion artérielle cérébrale perte de la conscience et- du tonus postural Quel que soit le mécanisme (S. vagales ou S. cardiaques) : possibilité de S. « Convulsivantes » (H. Gastaut et M. Fischer-Williams, 1957) comportant spasmes toniques secousses cloniques CGTC Début brutal Chute souvent traumatisante Cyanose Morsure latérale de langue Perte d ’urines fréquente Mouvements convulsifs Coma stertoreux Confusion et asthénie post-critiques SYNCOPE Malaise prémonitoire fréquent Chute non traumatisante Pâleur Pas de morsure de langue (ou pointe) Perte d ’urines rare Sujet le plus souvent inerte (mais parfois quelques convulsions) Perte de connaissance très brève Pas de confusion post-critique Les A.I.T : Ils doivent être distingués : • des crises partielles motrices suivies d ’un déficit postcritique (paralysie de Todd) • des crises somato-inhibitrices (exceptionnelles) En revanche certains mouvements anormaux ou clonies sont d ’origine ischémique et peuvent mimer une crise partielle motrice. De survenue positionnelle (troubles hémodynamiques), ces phénomènes sont exceptionnels (L.R Caplan et S Sergay, 1976). Les Migraines avec aura • doivent être différenciées des C.E occipitales avec hallucinations visuelles (colorées, complexes, mobiles) parfois prolongées, parfois associées à d ’autres symptômes (paresthésies), parfois suivies de céphalées • connaître la possibilité d ’auras migraineuses isolées, non suivies de céphalées (installation progressive, durée prolongée) Les Attaques de Panique - peuvent comporter des phénomènes observables dans certaines crises partielles : angoisse, bouffées de chaleur, oppression thoracique, palpitations, sensation épigastrique désagréable, sentiment d ’éloignement d ’avec la réalité - mais : installation progressive, durée prolongée, sensation de « mort imminente » Les crises pseudo-épileptiques • Pseudo-crises convulsives : début souvent progressif, conscience préservée, attitude fréquente en opisthotonos, mouvements désordonnés et asynchrones des membres, yeux fermés (occlusion irréductible), durée supérieure à deux minutes, réveil rapide, suggestibilité. • Pseudo-crises non convulsives : – état d ’obnubilation plus ou moins prolongé (intérêt de l ’EEG critique) – troubles du comportement : agitation, vociférations, déambulation, insultes, aggressivité. • Antécédents : épileptique(s) dans l ’entourage, traumatismes dans l ’enfance (sévices sexuels) • chez certains patients : coexistence de crises authentiques et de crises factices. Le Diagnostic Etiologique • Le diagnostic de C.E n ’est pas synonyme de celui d ’Épilepsie - une 1ère C.E n ’est pas nécessairement inaugurale d ’une E - elle peut être accidentelle, provoquée par une agression cérébrale aiguë (symptomatique aiguë) - elle peut être parfaitement isolée, sans cause apparente • pour parler d ’E, il faut que les C.E se répètent de façon spontanée - rechercher des C.E antérieures, identiques ou différentes, et parfois passés inaperçus (discrètes, mal interprétées, nocturnes…) les « premières crises » sont parfois des « fausses premières crises ». Les C.E Symptomatiques Aiguës Elles nécessitent un diagnostic (et un traitement) urgent(s) Un grand nombre d ’agressions cérébrales donnent lieu à des crises symptomatiques aiguës (accidentelles) uniques ou répétées. – causes métaboliques : hypo ou hyperglycémie hyponatrémie hypocalcémie encéphalopathies aiguës – causes toxiques : psychotropes (antidépresseurs, antipsychotiques) sevrage en benzodiazépines en barbituriques ou en alcool drogues, éthylisme aiguë (alcool : 17 à 25 % des 1ères C.E). - maladies infectieuses (pendant la période active de l ’infection) : - traumatisme crânien (cause ou conséquence ?); dans les 7 premiers jours méningo-encéphalite (herpès), abcès cérébral complications de l ’immunodéficience endocardite - AVC; dans les 7 premiers jours : infarctus (5% des cas), hématomes (5-25 % des cas), thrombophlébite (13 %, surtout après 60 ans) - tumeurs cérébrales (redoutées mais relativement peu fréquents : 4 à 6 %) - plusieurs de ces causes peuvent donner lieu ultérieurement à une épilepsie véritable. Nécessité d’une enquête étiologique rapide • recherche d ’une cause métabolique ou toxique • neuroradiologie urgente (scanner et/ou IRM) surtout si : – – – – – crises multiples de survenue récente symptômes neurologiques accompagnateurs de survenue récente fièvre signes de localisation neurologique certains antécédents : néoplasie, antécédents CV, immunodépression… En fait toute 1ère C.E chez un adulte doit être considérée à priori comme symptomatique Imagerie • EEG : • en urgence en cas : - de trouble de conscience persistant (E.d.M. confusionnel?) - de suspicion d ’encéphalite • bien qu ’indispensable pour la conduite pratique ultérieure il peut le plus souvent n ’être réalisé que secondairement; si possible dans les 24 heures. •il peut confirmer le diagnostic mais sa normalité ne l ’infirme pas et justifie un nouvel enregistrement standard et/ou un EEG de sieste Au terme de cette Enquête Étiologique une première CE, peut : - correspondre à une crise symptomatique aiguë, « accidentelle » - être révélatrice d ’une Epilepsie : · Syndrome Épileptique Idiopathique (âge, antécédents, sémiologie clinique et EEG) : EMJ, E Généralisée à crises Grand Mal du réveil · Syndrome épileptique Cryptogénique E Partielles · Syndrome Épileptique Symptomatique +++ E Partielles Diagnostic Epileptologique dès la 1ère crise • M.King et al (1998) : – 300 patients – 86% de CGTC – les données cliniques permettent de choisir entre Epilepsie Généralisée et Épilepsies Partielles dans 47 % des cas (141/300) – les données EEG permettent de préciser le Syndrome Epileptique dans 77 % des cas (232/300). – Un EEG dans les 24 heures est plus informatif qu ’un EEG plus tardif (51 vs 34 %) – L ’Imagerie (IRM dans 95 % des cas) retrouve une lésion épileptogène dans 14 % des cas. Au total : le diagnostic du syndrome épileptique est fait dans 81 % des cas dès la première crise Épilepsies Généralisées 68 " " idiopathiques 67 " " cryptogéniques/ symptomatiques 1 Épilepsies Partielles 175 " " idiopathiques 13 " " cryptogéniques/ symptomatiques 162 Épilepsies inclassables 57 - ceci permet de faire le choix du médicament le plus adapté • ceci permet d’établir d’emblée un pronostic évolutif : par exemple une 1ère CGTC avec EEG normal a 25 % de risques de récidiver à 2 ans ; ce risque est de 75 % s ’il existe des anomalies paroxystiques généralisées • M. Neufeld et al (2000) : – 91 patients – 81 % de CGTC – les EEG pratiqués dans les 48 h sont informatifs dans 69 % des cas Quand faut-il hospitaliser ? S ’il s’agit d’ une 1ère C.E. l ’hospitalisation n ’est pas toujours nécessaire Contre Pour • • • • causes nécessitant un traitement immédiat = crises symptomatiques aiguës âge 60 ans troubles neurologiques persistants éthylisme • crise isolée • • • sujet jeune bon entourage examen général et neurologique normaux Si le patient présente des crises successives (crises « sérielles ») l’hospitalisation est impérative… d ’autant plus que les crises sérielles annoncent souvent à bref délai un État de Mal Épileptique. Si la crise survient chez un épileptique connu l’hospitalisation est inutile..à moins de crises répétées, d ’un trouble de la conscience prolongé, de blessure, de détresse physique ou de grossesse. Dans tous les cas l ’observation du patient pendant quelques heures est nécessaire afin de s ’assurer de l ’absence de récidive ou de confusion durable. Attitude Thérapeutique • en cas de crise unique : l ’injection IV d ’une benzodiazépine ne se justifie pas – si l’épilepsie est connue s ’assurer de l ’observance (intérêt d ’un dosage sérique du médicament) et adapter si besoin le traitement – s’il s’agit d ’une 1ère crise la mise en route d ’un traitement anti-épileptique n ’est jamais systématique : • crise isolée (EEG et imagerie normaux) ne pas traiter • crise inaugurale d ’un syndrome épileptique bien défini ou révélatrice d ’une lésion hautement épileptogène ne pas attendre une 2ème CE pour traiter. • En cas de crises sérielles : l ’injection IV d ’une benzodiazépine (Clonazépam ou Diazépam) est nécessaire, notamment pour éviter la survenue d ’un état de mal. • En cas de crise symptomatique aiguë : traiter la cause chaque fois que c ’est possible (cause métabolique, infectieuse…). Le recours à une benzodiazépine IV se justifie essentiellement en cas de sevrage alcoolique, pour éviter l’apparition d ’un délirium trémens.