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Aissa HAMOUCHI. «L’éducation relative à l’environnement des manuels scolaires marocains». RADISMA, Numéro
12 (2016), http://www.radisma.info/document.php?id=1565. ISSN 1990-3219
L’éducation relative à l’environnement des manuels scolaires marocains :
Conceptions et éthiques environnementales
AÏSSA HAMOUCHI : UNIVERSITÉ SIDI MOHAMED BEN ABDELLAH/ ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE - FES
E-mail : [email protected]
Résumé :
L’étude a pour but de cerner les conceptions de l’environnement, le portrait d’éducation relative à
l’environnement (ERE) ainsi que les postures éthiques des auteurs de manuels scolaires des
Sciences de la Vie et de la Terre (SVT) de l’enseignement secondaire Qualifiant marocain. Les
résultats obtenus montrent une dominance de l’environnement-ressource et de l’environnementproblème, alors que l’ERE des manuels est une éducation au sujet de l’environnement, basée sur la
transmission passive des connaissances relatives aux réalités environnementales. Quant à la valeur
accordée à l’environnement par les auteurs de manuels des SVT, notre étude a fait voir une nette
dominance de la perspective anthropocentrique propre au système des valeurs du monde occidental
et une négligence des perspectives éthiques relevant du référentiel culturel du Royaume.
Finalement, on recommande à ce que les concepteurs de manuels scolaires puissent enrichir le
champ de l’éthique environnementale par des valeurs locales, propres au patrimoine culturel Arabo
musulman et de permettre aux élèves de s’ouvrir sur les autres visions du monde afin de développer
des compétences éthiques, leur permettant de bien fonder leur engagement environnemental.
Mots clés:
ERE, Conception, perspective éthique, posture éthique, manuel scolaire, référentiel des valeurs.
Abstract:
The study based on the analysis of ecological knowledge aims to be know the conceptions of
textbooks’ authors in terms of environment and ERE concepts. The results show a dominance of the
environment-resource, whereas the adopted approach aims at transmitting passively the knowledge
constructed beforehand. The ERE of SVT textbooks is an education on the subject of environment
which allows learners to acquire an environmental sensitivity without developing the required
competences for a concrete individual and collective engagement in solving environmental
problems. Concerning the value given to the environment by SVT textbook authors, this study has
shown a significant dominance of the anthropocentric perspective. Therefore, textbook designers
are invited to be open to other ethical perspectives of the world and to enrich the field of
environmenatl ethics with local values inspired by the Arab-muslim culural heritage.
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Keywords:
Education related to environment, conception, textbook, ethical perspective, referentiel of values.
SOMMAIRE :
1- Introduction et contexte théorique
2- Méthodologie
3- Présentation des résultats
3.1- Conceptions de l’environnement
3.2- Valeur accordée à l’environnement
3.3- Approches d’ERE des manuels scolaires des SVT
3.4- Supports didactiques proposés par les manuels
4- Discussion
5- Conclusion
1- Introduction et contexte théorique
L’éducation relative à l’environnement a vu le jour officiellement lors de la conférence historique
de Stockholm sur l’environnement humain organisée par les Nations Unies en 1972. Par la suite
plusieurs rencontres internationales ont donné lieu à des déclarations et chartes permettant
l’institutionnalisation administrative et pédagogique de l’ERE à travers le monde. Cette dimension
essentielle de l’éducation fondamentale qui concerne notre relation au milieu de vie, à cette maison
de vie partagée qu’est l’environnement (Sauvé, 2006), a pour but majeur d’améliorer les relations
humaines (individuelles et collectives) vis-à-vis de l’environnement. Ce dernier étant qualifié de
concept caméléon ou polysémique puisqu’on peut lui attribuer plusieurs définitions et
représentations (Sauvé, 2002). Les travaux de Sauvé et Machabée, (2000 ; cité par Berthelot, 2007)
ont permis de cerner sept représentations-types de l’environnement à savoir: 1) L’environnementnature: à apprécier, à respecter et à préserver ; 2) L’environnement-ressource: à gérer, à partager et
à conserver ; 3) L’environnement-problème à prévenir et à résoudre ; 4) L’environnement-système à
comprendre, pour mieux décider ; 5) L’environnement- milieu de vie à connaître, à aménager ; 6)
L’environnement-biosphère où vivre ensemble et à long terme et 7) L’environnement-projet
communautaire où s’engager, coopérer et faire des partenariats. Autrement dit, le rapport à
l’environnement peut être envisagé à travers de multiples facettes complémentaires et
interdépendantes. Par ailleurs, s’intéresser à des conceptions sur l’environnement peut permettre de
mieux comprendre la valeur que l’on peut attribuer à celui-ci (Rousseau, 2013). Ainsi, selon Sauvé
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et Villemagne (2003 ; cité par Rousseau, 2013), chaque perspective éthique témoignerait d’une
certaine vision de l’environnement et de notre rapport avec celui-ci, il n’existerait pas Une éthique
universelle. Les perspectives éthiques les plus importantes seraient l’anthropocentrisme (se
concentrant sur les intérêts humains), le biocentrisme (où l’environnement naturel aurait une valeur
intrinsèque) et l’écocentrisme (mettant de l’avant les relations et dépendances réciproques des
systèmes naturels et sociaux).
Par ailleurs, les représentations-types de l’environnement de Sauvé et Garnier (2000 ; cité par
Rousseau, 2013) associent l’anthropocentrisme à une conception de l’environnement comme étant
un environnement-ressource (utilisé par les humains), un environnement-problème (pollué par
l’Homme) et un environnement-milieu de vie (aménager l’environnement pour y vivre). Le
biocentrisme est associé, dans cette même étude, à un environnement-nature (les entités naturelles
ont une valeur intrinsèque) et l’écocentrisme à l’environnement-biosphère (on fait tous partie de la
même communauté biotique).
Comme l’environnement, l’ERE est hypercomplexe et ne peut être appréhendée selon une seule
proposition pédagogique (Sauvé, 2002). Dans cette logique, la catégorisation d’ERE proposée par
Lucas (1980-1981) et reprise par Sauvé (1997), envisage trois approches complémentaires d’ERE.
Il s’agit de : 1) l’éducation au sujet de l’environnement axée sur la transmission des contenus ; 2)
l’éducation pour l’environnement, selon laquelle on apprend à résoudre et à prévenir les problèmes
environnementaux, de même qu’à gérer les ressources collectives et 3) l’éducation dans/par
l’environnement centrée sur le développement de valeurs respectueuses de l’environnement.
Autrement dit, tout enseignement/apprentissage relatif à l’environnement véhicule des valeurs
environnementales qui découlent de la vision des concepteurs de contenus à enseigner et de leur
rapport avec l’environnement. Dans ce sens, la présente étude vise à cerner les conceptions de
l’environnement, l’éthique environnementale qui en découle et le portrait d’ERE retenu par les
auteurs de manuels des SVT. Il importe de signaler la pluralité des manuels des SVT par niveau
scolaire et que ces manuels sont destinés aux enseignants et aux apprenants en même temps. Le
paragraphe suivant explique la méthodologie adoptée.
2- Méthodologie
Notre étude a touché les manuels des SVT de deux niveaux scolaires de l’enseignement secondaire
qualifiant du Maroc (qui en compte trois niveaux). Il s’agit du Tronc Commun Scientifique, du
Tronc Commun littéraire et de la 2è année du Baccalauréat ou la Terminale (Sciences physiques et
Sciences de l’Agriculture). Quant à la méthodologie poursuivie, il s’agit d’une analyse non
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exhaustive du contenu écologique des manuels, en regard des conceptions et des perspectives
éthiques environnementales. Elle est focalisée sur les grandes thématiques qui sont prioritaires dans
la problématique environnementale du Royaume, à savoir celles de l’eau, de la biodiversité et de la
forêt. Pour chaque thématique, l’étude cherche à connaitre la perspective éthique des auteurs de ces
contenus à transmettre, après analyse de leurs conceptions de l’environnement et de l’ERE. Un
quatrième volet de l’étude s’intéresse aux supports didactiques proposés pour l’enseignement des
thématiques environnementales précitées. Le chapitre suivant donne une présentation détaillée des
résultats obtenus.
3- Présentation des résultats
3.1- Conceptions de l’environnement
En se référant au représentations-types de l’environnement susmentionnées (Sauvé et Machabée,
2000), l’analyse du savoir à enseigner relatif à l’eau (12 activités d’apprentissage, et 77 documents
variés destinés aux élèves) révèle une dominance du concept d’environnement-ressource, puis celui
d’environnement-problème, alors que l’environnement-système est à peine palpable. Ainsi, une
bonne part des activités didactiques proposées pour l’enseignement/apprentissage de cette
thématique environnementale est axée sur les modalités d’exploitation et de gestion des ressources
hydriques nationales. Un nombre moins important de documents traitent les aspects de pénurie
d’eau, de sa dégradation et de sa pollution ; par contre on note la rareté de documents faisant
référence à l’eau comme composante essentielle à l’équilibre d’un environnement plus complexe et
plus global. Par ailleurs, la notion d’environnement-nature et d’environnement- milieu de vie sont
absentes. Une quantification des dimensions de l’environnement « eau » à partir des différentes
activités d’apprentissage du savoir à enseigner donne le tableau suivant.
Tableau 1. Conceptions de l’environnement eau des auteurs de manuel
Conceptions d’environnement
Effectif correspondant
Environnement-nature
0%
Environnement-ressource
59 %
Environnement-problème
39 %
Environnement-système
2%
Environnement-milieu de vie
0%
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Concernant la Biodiversité, l’analyse a révélé que celle-ci, selon les auteurs de manuel, est
appréhendée principalement selon sa dimension problématique d’environnement-problème, en
consacrant l’essentiel du contenu à transmettre aux menaces infligées à certains animaux qui sont
menacée de disparition. Quelques documents illustrent quand même la notion d’environnementressource mais en prenant en compte uniquement la diversité biologique animal. Une estimation des
différentes dimensions de la biodiversité à partir des multiples activités du contenu à transmettre est
donnée par le tableau qui suit.
Tableau 2. Conceptions de la biodiversité selon les auteurs de manuel
Conceptions d’environnement
Effectif correspondant
Environnement-nature
0%
Environnement-ressource
28 %
Environnement-problème
72 %
Environnement-système
0%
Environnement-milieu de vie
0%
Si l’on s’intéresse maintenant au savoir à enseigné relatif au thème de la forêt, il y a une quasi
absence des apprentissages relatifs à cette composante environnementale dans les manuels SVT de
l’enseignement secondaire. Certains manuels l’évoque très brièvement (quelques images) mais sous
l’angle unique d’environnement-problème en illustrant les causes de dégradations des forêts comme
le feu, la déforestation et le surpâturage.
3.2- Valeur accordée à l’environnement
Une synthèse des résultats présentés ci-dessus dévoilent que les manuels des SVT abordent
l’environnement
selon
deux
dimensions
prédominantes :
environnement-ressource
et
environnement-problème. En se référant aux travaux de Sauvé et Garnier (2000), on peut dire que la
vision de l’environnement des auteurs de ces manuels scolaires est fondée principalement sur une
perspective éthique de type anthropocentrique donnant à l’être humain une place centrale, mais
externe à la nature à laquelle il n’accorde de la valeur qu’en fonction de ce qu’elle peut lui apporter
comme ressources environnementales, nécessaires à son bien-être et à la perpétuation de ses
différentes activités. Les concepteurs de ces savoirs scientifiques à transmettre ont donc ignoré les
autres perspectives éthiques comme par exemple le biocentrisme selon lequel, à l’image des
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humains les composantes de la nature possèdent également une valeur intrinsèque, puis
l’écocentrisme qui s’intéresse au réseau des relations mutuelles et interdépendantes qui relient tous
les êtres vivants de la planète au sein d’un système où se mélangent nature et culture.
3.3- Approches d’ERE des manuels scolaires des SVT
L’analyse du contenu à enseigner relatif à l’eau est faite, cette fois-ci, en prenant en considération la
portée éducative des différentes activités d’apprentissage présentées. Dans ce sens, l’analyse à
montré que les auteurs de manuels avaient pour principal souci de mettre à la disposition des
apprenants et de l’enseignant un savoir structuré, riche et diversifié à propos des ressources
hydriques. Et si l’on se réfère à la catégorisation d’ERE proposée par Lucas (1980-1981) et reprise
par Sauvé (1997), l’environnement, selon les auteurs de manuels, est un objet d’apprentissage. Il en
découle que l’approche environnementale retenue s’apparente à une éducation au sujet de
l’environnement privilégiant l’alphabétisation environnementale des apprenants. Par ailleurs,
certaines images présentées, montrent aux élèves les éco gestes à adopter afin d’économiser l’eau
ou d’éviter sa pollution, l’environnement devient alors un but à propos duquel l’enseignant doit
donner aux apprenants les bonnes pratiques à adopter, ce qui laisse dire que l’approche retenue dans
ce cas est une éducation pour l’environnement, inscrite dans le contexte positiviste. D’autres
activités didactiques renvoient à des cours dans la nature (station d’épuration et champ d’irrigation)
dans le but de sensibiliser et d’éveiller la conscience des élèves à propos du gaspillage de cette
denrée très chère, une sorte d’éducation par l’environnement. Le tableau suivant donne une
estimation des différentes approches d’ERE susceptibles d’être véhiculées à travers le contenu à
enseigner relatif à l’eau.
Tableau 3. Catégories d’ERE des auteurs de manuel pour le thème de l’eau
Approches d’ERE
Effectif correspondant
Education au sujet de l’environnement
73 %
Education par l’environnement
13 %
Education pour l’environnement
14 %
(positivisme)
Approche par projet
0%
(socioconstructivisme)
Concernant la biodiversité notre analyse, tenant compte des finalités éducatives auxquelles
renvoient les activités d’apprentissage proposées, a montré encore une fois que les auteurs de
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manuel accordent beaucoup d’importance à la transmission d’un savoir scientifique préalablement
conçu et construit, près à être assimilé par les élèves. Les concepteurs et auteurs des manuels
scolaires visent principalement une alphabétisation des élèves quant à la diversité du monde animal
surtout, une sorte d’éducation au sujet de l’environnement. Par ailleurs, certain documents relatifs à
la biodiversité animale annoncent passivement aux élèves les comportements à suivre pour
préserver ce patrimoine vivant, une sorte d’éducation pour l’environnement qui est proposée dans
une perspective positiviste. Quelques activités d’enseignement de la diversité biologique sont
proposées dans des réserves ou des parcs naturels inspirant ainsi une éducation dans
l’environnement favorisant le développement de valeurs humaines qui génèrent le respect de
l’environnement chez les apprenants et l’appropriation des problématiques environnementales. Le
tableau suivant donne une estimation quantitative des approches d’ERE qui pourraient être
véhiculées par les manuels à propos de la biodiversité.
Tableau 4. Catégories d’ERE des auteurs de manuel pour le thème de la Biodiversité
Approches d’ERE
Effectif correspondant
Education au sujet de l’environnement
72 %
Education par l’environnement
3%
Education pour l’environnement
25 %
(positivisme)
Approche par projet
0%
(socioconstructivisme)
3.4- Supports didactiques proposés par les manuels
Pour ce qui est des aspects didactiques relatifs à l’enseignement/apprentissage de la thématique
environnementale eau, notre recherche a pu relever les points suivants:
•
documentation très riche par rapport au corps du texte, environ 80 illustrations pour une
trentaine de pages composant le module, soit à peu près 3 illustrations/ page ;
•
documentation très variée ;
•
bonne qualité des illustrations ;
•
présence nette d'outils didactiques très impressionnants pour les apprenants comme l'image.
La figure qui suit illustre un spectre des supports didactiques proposés pour l'enseignement/
apprentissage de l'eau.
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9%
27%
13%
Graphique
Carte
Image
Tableau
Schéma
15%
36%
Figure 1. Outils didactiques relatifs à l’enseignement du module de l’eau
Concernant le savoir à enseigner sur la diversité biologique, on note une diversité de supports
didactiques, largement dominés par l’image dont la qualité est moins bonne que celle des
illustrations relatives à l’eau, comme le montre la figure suivante.
7%
2%
14%
4%
Graphique
Carte
Image
Tableau
Doc texte
73%
Figure 2. Outils didactiques proposés pour l’enseignement de la Biodiversité
4- Discussion
Au plan des contenus à transmettre, l’environnement est présent dans les manuels des SVT du
secondaire qualifiant marocain, à travers plusieurs composantes comme l’eau, la biodiversité, la
forêt et la pollution, avec une très nette abondance des thématiques environnementales dans les
manuels destinés aux séries littéraires. Mais le volume horaire d’enseignement, fixé à une
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Heure/semaine ne permet pas à l’enseignant de ces filières de valoriser ses apprentissages et
d’envisager des activités environnementales pratiques et signifiantes, permettant aux élèves
d’acquérir un comportement éco responsable, comme le veut l’ERE. La non intégration explicite de
l’environnement et de l’ERE dans les programmes des SVT s’expliquerait, comme partout ailleurs,
par la résistance de ces territoires scolaires à intégrer l’environnement, un thème complexe et
transversal, comme l’affirme Vergnolle (2008) : les disciplines scolaires ont, au fil du temps,
développé une forme d’autonomie et une nette délimitation de leurs territoires respectifs en
s’appropriant telle ou telle catégorie de savoirs. Par ailleurs, la forêt, une question socialement vive
pour la société marocaine n’a pas été suffisamment appréhendée par les manuels des SVT, ce qui
remet en cause leur processus de conception, qui ne respecte pas les recommandations et
orientations des Instructions Pédagogiques Officielles (IPO) relatives à l’enseignement des SVT et
celles de la Charte Nationale d’Education et de Formation (CNEF), cadre référentiel du système
d’éducation et de formation marocain, qui insistent , tous les deux, sur la nécessité d’ouvrir l’Ecole
marocaine, qui se veut être moderne, sur les attentes et les préoccupations de la société civile.
Au plan des conceptions, l’étude a montré que l’environnement dans les manuels étudiés est
principalement une ressource (eau et biodiversité), un problème (eau, biodiversité et forêt) ou à la
rigueur, un système (eau), ce qui ne fait pas voir la complexité et la diversité de ce concept qui,
selon Sauvé (2002), ne peut exister que dans et par sa diversité. Ainsi l’absence de l’environnementnature dans le contenu à enseigner ne peut pas avoir de justification dans la mesure où les IPO et la
CNEF recommandent la prise en compte de notre patrimoine culturel dans le processus éducatif.
L’environnement dans la culture Arabo-musulmane est aussi un objet de contemplation,
d’émerveillement et d’inspiration, mais aussi un champ de réflexion profonde et raisonnée quant à
ses secrets de création. Outre les conceptions environnementales définies par Sauvé et Machabée
(2000) et à l’image des Jardins, spirituel (mystique) et poétique, de l’Andalousie de conceptions
Arabo musulmane (Bahnassi, 2008), l’environnement est appréhendé selon sa dimension spirituelle
faisant référence au jardin paradisiaque de l’au-delà et représentant l’œuvre du Dieu, Tout Puissant,
dont la dégradation représente une ingratitude vis-à-vis des bienfaits d’Allah. Sans oublier la
dimension poétique de l’environnement (Bahnassi, 2008) ayant inspiré, par ses beaux paysages
naturels, de grands poètes Arabo musulmans. La dimension religieuse de l’environnement est
présente également dans la culture du Royaume, d’ailleurs elle est fortement appuyée par les textes
sacrés qui considèrent que tous les vivants qui rampent sur terre et ceux qui volent avec leurs ailes
forment des nations comme celle des humains et sont douées de prière et de méditation que
l’Homme ne peut pas comprendre.
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Au plan des valeurs accordées à l’environnement, le contenu environnemental des manuels
marocains affichent une dominance nette de la perspective éthique anthropocentrique, propre au
référentiel des valeurs du monde occidental, caractérisé par l’hyperconsommation des ressources
environnementales. Ceci est à mettre en relation avec l’origine de ces contenus à transmettre,
inspirés principalement des manuels français. Dans la logique des choses, l’éthique
environnementale devant être véhiculée par le savoir à enseigner aux élèves marocains doit en
premier lieu, se référer au système des valeurs de la culture Arabo musulmane propre au Royaume.
Puis, les élèves pourraient échanger et débattre à propos d’autres perspectives éthiques de
l’environnement, dans le but de s’ouvrir sur les visions monde, voire même, selon Sauvé et
Villemagne (2003), de développer une certaine compétence éthique leur permettant de choisir les
valeurs appropriées face à une problématique socio-environnementale, pour fonder leur agir. Dans
ce sens, la Charte Nationale d’Education et de Formation recommande à ce que l’enseignement
permette aux apprenants de se ressourcer d’abord des valeurs propres à leur culture puis de s’ouvrir
sur les cultures du monde, dans le but de former des citoyens éclairés, tolérants et aptes à collaborer
avec la communauté internationale pour relever les défis environnementaux entre autres. Certes
toute éthique prend racine dans un champ social, une culture de référence (sauvé et villemagne,
2006) ; l’éthique environnementale, propre à la culture Arabo musulmane, inspirée principalement
des textes sacrés: le Coran (Livre saint des musulmans) et la Sunna (ensemble d’actes et de citations
prophétiques) se déploie à travers trois nobles principes à savoir, la responsabilisation, la
modération et la proscription. En vertu de sa mission de « Lieutenance de Dieu sur terre » qui lui a
été assignée par Dieu, le Très Haut, l’Homme détient la pleine responsabilité de l’état de viabilité de
son environnement, qui dans son état originel se caractérisait par l’équilibre et l’harmonie. L’idée
centrale de la « Lieutenance de Dieu sur terre » est que l’Homme est provisoirement dépositaire (et
non pas propriétaire à l’absolu) d’un environnement au sein duquel il doit faire preuve de bon
investisseur, afin de le léguer sous forme saine et viable aux générations futures. Cette équité
intergénérationnelle ne peut être réalisée sans faire appel au principe de la modération (le juste
milieu) devant imprégner tout acte humain dans sa relation avec l’autre (humain et non humain).
Par ailleurs, la modération privilégie l’action humaine collective générant partage, synergie et
solidarité et lutte contre l’individualisme à l’origine de l’hyperconsommation et du gaspillage. La
modération étant complémentée par la proscription, principe fortement appuyé par les textes sacrés,
qui interdit tout acte délibéré, irréfléchi susceptible de porter préjudice à l’autre (humain et non
humain).
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Par ailleurs, la valeur accordée à l’animal et au végétal dans le patrimoine culturel Arabo musulman
peut être illustrée par les deux citations suivantes (Hadiths) du prophète Mohammad (Salla Allaho
Alaïhi Wa Sallam). Concernant la relation au végétal, la traduction d’un appel prophétique
universel et inédit s’intitule ainsi: « Si quelqu’un de vous tient une plantule à la main et que la fin
du monde arrive qu’il la repique (s’il en a encore la possibilité) ». Il s’agit donc d’une valorisation
du végétal en tant que tel (sorte de valeur intrinsèque accordée au végétal) indépendamment des
services qu’il peut apporter à l’Homme (dans ce cas l’Homme ne sera plus là). C’est également une
incitation forte à l’engagement environnemental de l’Homme même dans les derniers moments de
sa vie, sorte d’éducation permanente. Ceci rappelle la thèse « du dernier homme » de Withley
(Girault, 2008) : lors d’un cataclysme, il ne reste qu’un homme sur terre, il sait qu’il va disparaître
dans les moments qui suivent, et cet homme a le pouvoir de faire disparaître toute vie après sa mort,
donc soit il appuie sur le bouton pour détruire toute vie, cela signifie qu’une fois que les hommes ne
sont plus sur terre la nature n’a plus aucun sens d’exister (courant anthropocentrique) ; soit au
contraire il s’abstient de cette destruction de la nature en reconnaissant qu’il y a autre chose qu’une
valeur d’usage de la nature et on se situe alors dans un courant non anthropocentrique. Cette
deuxième solution véhicule des valeurs qui se positionnent dans la même perspective éthique que
l’acte prophétique précité.
Quant à la place de l’animal dans le patrimoine culturel Arabo musulman, la Sunna nous informe
que :
-
Une femme prostituée est allée au Paradis pour avoir donné à boire à un chien très assoiffé
qui ne pouvait atteindre l’eau profonde d’un puis. (la prostitution étant interdite en Islam);
-
En revanche, une femme croyante accomplissant avec acuité tous ses actes cultuels est allée
à l’enfer pour avoir captivé une chatte, sans la nourrir ni la laisser se débrouiller d’ellemême.
Ces deux citations attestent que le droit à la vie pour le végétal et pour l’animal (bien évidemment
pour l’Homme), est une valeur noble voire une Morale dans le référentiel des valeurs musulmanes.
Il importe de dire dans ce contexte que le respect du vivant et le droit à la vie dans ses trois formes
fondamentales (humaine, animale et végétale) doivent constituer le fondement d’une éthique
environnementale qui se veut être universelle et devant cadrer le rapport de la communauté
internationale avec l’environnement dans toutes dimensions.
Au plan des approches d’ERE retenues l’étude a montré que les auteurs de manuels ont inscrit leur
approche environnementale dans le cadre d’une éducation au sujet de l’environnement, aboutissant
une alphabétisation environnementale des élèves par transmission passive d’un savoir
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préalablement construit sur les réalités environnementales. Ceci ne traduit pas fidèlement les
orientations de la CNEF et celles des IPO, qui mettent l'élève au cœur de l'acte pédagogique via
l’adoption d’un apprentissage actif ouvert sur la société et sur le monde. Par ailleurs, les activités
didactiques du contenu à enseigner dictent aux élèves les éco gestes à adopter, sorte d’éducation
pour l’environnement proposée dans la perspective positiviste qui ne permet le développement de
comportements éco responsables durables chez les apprenants. Pour ce faire, ces comportements
respectueux de l’environnement doivent être l’aboutissement d’un apprentissage de terrain via des
projets d’investigations concrets, réalisés par les élèves sous l’encadrement de leur enseignant. Par
ailleurs, l’approche pédagogique passive retenue par les manuels scolaire est à mettre en relation
avec les moyens didactiques classique qui ne peuvent intéresser des élèves habitués aux nouvelles
technologies. La présence importante de l’image des dégâts environnementaux pourrait créer une
grande sensibilité chez les adolescents scolarisés envers la nature, qui peuvent même sentir une
certaine responsabilité de la dégradation de l’environnement, tout en étant dans l’incapacité de
l’engagement environnemental pratique.
5- Conclusion
Notre étude a montré l’importance éducative d’appréhender l’environnement dans toutes ses
dimensions dans les contenus à transmettre, en faisant référence aux spécificités socioculturelles du
pays (contextualisation de l’environnement). Par ailleurs, la pluralité de l’environnement permettra
le déploiement d’une diversité d’approches complémentaires d’ERE, notamment celles dites actives
qui mettent de l’apprenant l’élément central de l’acte pédagogique, comme le veulent la CNEF et
les IPO relatives aux SVT. Une telle démarche d’apprentissage de l’environnement permettra aux
élèves de développer deux types de compétences complémentaires et synergiques. Des compétences
éthiques leur permettant de choisir les valeurs appropriées, relevant de leur patrimoine culturel ou
se rattachant à d’autres référentiels culturels du monde, afin de fonder leur agir face à un problème
socio environnemental ; et des compétences pratiques leur permettant de déployer leur savoir-faire
technique et méthodologique, dans le but de participer collectivement et individuellement dans la
préservation de l’environnement. Autrement dit, notre système éducatif doit promouvoir une ERE
qui doit questionner les différentes cultures et savoirs de l’humanité, en analysant les
représentations de l’environnement et les relations avec celui-ci, dans le but de former des citoyens
éveillés éclairés et tolérants, ayant l’art du savoir vivre ensemble sur terre, notre environnement
partagé. Pour ce faire, le Ministère de Tutelle se trouve dans l’urgence d’intégrer l’environnement et
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Aissa HAMOUCHI. «L’éducation relative à l’environnement des manuels scolaires marocains». RADISMA, Numéro
12 (2016), http://www.radisma.info/document.php?id=1565. ISSN 1990-3219
l’éducation relative à l’environnement dans le cursus de formation initiale et continue des
enseignants et des inspecteurs pédagogiques (auteurs des manuels scolaires), chose qui peut garantir
l’émergence et l’épanouissement mais aussi, et c’est le plus signifiant, la pérennisation d’une ERE
contextualisée dans les pratiques scolaires du Royaume.
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