RECHERCHE DE LA FORME OPTIMALE D’UN AXONE Yannick P RIVAT Institut Élie Cartan Nancy-Université, CNRS, INRIA email : [email protected] RÉSUMÉ À partir d’un modèle mathématique traduisant la propagation du courant d’un neurone à un autre, nous cherchons à déterminer quelle serait la forme optimale d’un axone, permettant une transmission de l’information sans perte. Nous sommes conduits à envisager différents critères, puis à rechercher les conditions d’Optimalité. L’intérêt d’une telle approche consiste alors à comparer la forme optimale et la forme réelle. MOTS CLEFS optimisation de forme, calcul de variations, axone 1 Introduction L’observation de la nature et la perfection de beaucoup de mécanismes liés aux êtres vivants nous pousse à croire qu’un principe d’optimalité régit ces mécanismes. Si un modèle mathématique existe pour décrire un phénomène biologique ou un composant des êtres vivants, nous pouvons être tentés de rechercher une fonctionnelle nous permettant de décrire ce principe d’optimalité. La confrontation du modèle ainsi déterminé et de la réalité nous conduirait ainsi à valider ou invalider ce modèle. Cette méthode de modélisation inverse consiste à élaborer un modèle mathématique à partir d’observations de la nature et de leur conséquences. Si la forme optimale, issue du modèle mathématique est proche de la forme réelle, nous pourrons ainsi valider le modèle. Si ça n’es pas le cas, nous pourrons par exemple tenter de l’améliorer. Pour être plus précis, considérons l’exemple d’un axone. Le rôle de l’axone est de conduire les impulsions nerveuses du soma aux terminaisons présynaptiques où les impulsions sont transmises à d’autres neurones ou des muscles. La propagation d’une impulsion électrique dans une fibre d’axone suit une équation établie par W. R ALL dans les années 60, cf [1] [2], [3]. On considère une fibre à symétrie cylindrique de longueur ` donnée et rayon a(x) : √ 1 ∂ 2 ∂v a = a 1 + a02 Cm ∂v 2R ∂x ∂x ∂t + Gm v a πa2 (0) ∂v ∂v Ra ∂x (0, t) = As Cm ∂t (0, t) + Gs v(0, t) − i0 (t) ∂v (`, t) = 0 ∂x v(x, 0) = 0. (1) où Antoine Henrot École des Mines de Nancy et Institut Élie Cartan Nancy-Université, CNRS, INRIA email : [email protected] • x ∈ [0, `] et t ∈]0; +∞[ ; • i(x, t) désigne le courant axial au point x et au temps t ; • v(x, t) désigne la différence de potentiel de la membrane par rapport à l’état au repos. • Ra désigne la résistance axiale (kΩcm) ; • Cm désigne la capacitance de la membrane(µF/cm2) ; • Gm désigne la conductance de la membrane (mS/cm2 ). • As est la surface latérale du soma. 2 Deux problèmes d’Optimisation 2.1 Analyse mathématique de (1) En recherchant les solutions éventuelles de l’équation aux dérivées partielles ci-dessus sous la forme de fonctions à variables séparables, on est conduit à écrire v sus la forme : v(x, t) = +∞ X n=0 ψn (t)un (x) ∀x ∈ [0, `], ∀t ≥ 0. On déduit de la formulation de l’équation aux dérivées partielles que un vérifie l’équation différentielle ordinaire : √ x ∈ [0, `] −(a2 u0n )0 = λn (a) a 1 + a02 un 2π 2 0 As a (0)un (0) + (λn + γ)un (0) = 0 0 un (`) = 0 (2) où γ := 2Ra (Gm − Gs ) est supposé strictement positif. λn désigne ici la nième valeur propre associée au problème (2). On peut montrer en particulier (cf. [3]) que : v(x, t) = Z t +∞ 1 X un (0)un (x) exp[λn (r−t)]i0 (r)dr. 2πCm n=0 0 Pour la suite, nous supposerons qu’à l’instant t = 0, la fibre reçoit une impulsion électrique. Nous modéliserons cela à l’aide du terme i0 en imposant i0 (t) = δ{t=0} . On obtient alors : v(x, t) = +∞ λn 1 X un (0)un (x)e−( 2Ra Gm +1)t . 2πCm n=0 Dans toute la suite, on posera A := As . 2π 2.2 Choix du critère W 1,∞ ([0, `]) désigne l’ensemble des fonctions Lipshitziennes sur l’intervalle [0, `]. On définit la classe de fonctions Aa0 ,S par : Aa0 ,S := {a ∈ W 1,∞ ([0, `]) : a(x) ≥ a0 p R` et 0 a(x) 1 + a02 (x)dx ≤ S}. Pour répondre à la question posée dans l’introduction, nous allons devoir considérer différents critères. On recherche la forme de l’axone qui rende le plus efficace possible le transfert d’un message électrique. i Atténuation en temps : d’après la décomposition précédente de la solution de l’équation aux dérivées partielles, si l’on souhaite que le message soit transmis le plus exactement possible, on peut chercher à minimiser la décroissance exponentielle en temps, auλn trement dit à ce que + 1 soit le plus proche 2Ra Gm de 0 possible. Cette quantité est toujours positive. Puisque λ1 (a) ≤ λ2 (a) ≤ ... ≤ λn (a), pour n ≥ 2, on peut considérer que le terme prépondérant dans l’expression de v(x, t) ci-dessus est donnée par le premier terme (n = 1) de la série, et s’intéresser ainsi à la résolution du problème : inf a∈Aa0 ,S 3 Quel est le meilleur profil ? 3.1 Critère d’atténuation en temps Rappelons que λ1 (a) est définie, pour a ∈ Aa0 ,S par : inf 1 u∈H ([0,`]) R` 0 Théorème 1 Minimisation globale de λ1 (a). Le problème : inf {λ1 (a)} a∈Aa0 ,S admet un unique minimum global, réalisé par la fonction identiquement égale à a0 . Preuve. Soit a ∈ Aa0 ,S . La fonction propre v associée à a réalise le minimum du quotient de Rayleigh défini par : <[a; u] := R ` 0 On a donc : R` a2 (x)u02 (x)dx − Aγu2 (0) . p a(x) 1 + a02 (x)u2 (x)dx + Au2 (0) R` a2 (x)u02 (x)dx − Aγu2 (0) . p a(x) 1 + a02 (x)u2 (x)dx + Au2 (0) 0 λ1 (a) = min u∈H 1 ([0,`]),u6=0 <[a, u]. Le numérateur de ce quotient est négatif. De plus, remarquons que l’on a Z ` 2 02 a (x)u (x)dx ≥ 0 a20 Z ` u02 (x)dx. (4) 0 On note à présent k.ka , la norme définie pour v ∈ C 0 ([0, `]) par : {λ1 (a)}. ii Atténuation en espace : on peut également chercher à ce que le message soit le moins atténué possible entre le début et le fin de la fibre nerveuse. On définit pour cela la fonction de transfert : R +∞ v(0, t)dt ∀a ∈ Aa0 ,S , T (a) = R0+∞ . (3) v(`, t)dt 0 λ1 (a) := √ Or, puisque (−a2 u01 )0 = λ1 (a)a 1 + a02 u1 < 0, alors a2 u01 est croissante, et puisque u01 (`) = 0, alors nécessairement, u1 est strictement décroissante et strictement positive sur [0, `]. kvka = Z 0 ` ! 12 p 2 2 . a(x) 1 + a02 (x)v (x)dx + Av (0) (5) On montre très simplement que : 1 1 ≤ R` . kuka a u(x)dx + Au2 (0) 0 0 Enfin, puisque u est la fonction propre associée la valeur propre λ1 (a), en écrivant λ1 (a0 ) sous la forme inf <[a0 ; u], on déduit immédiatement de (4) et (5) 1 u∈H ([0,`]) que : λ1 (a0 ) ≥ λ1 (a), et que l’ionégalité est stricte si a n’est pas la fonction constante égale à a0 . Cela prouve donc l’existence mais aussi l’unicité du minimiseur. 0 En choisissant u ≡ 1 dans la formule précédente, on se rend immédiatement compte que λ1 (a) < 0, pour tout a élément de Aa0 ,S . Avant de répondre à la question de la minimisation de λ1 (a), remarquons que u1 , la première fonction propre associée, est de signe constant que l’on peut décider positif. 3.2 Critère d’atténuation en espace Théorème 2 Minimisation globale de T (a). Le problème : inf T (a) a∈Aa0 ,S admet un unique minimum global, réalisé par la fonction identiquement égale à a0 . Étapes principales de la preuve. On désigne par L l’opérateur transformée de Laplace. On utilise indifféremment les notations : ∀x ∈ [0, `], ∀t > 0, ∀p ∈ IR∗+ , , Z +∞ e−pt v(x, t)dt. vb(x, p) = L (v(x, .))(p) = 0 vb est solution de l’équation aux dérivées partielles : √ ∂b v ∂ a2 ∂x = a 1 + a02 (Cm (pb v − v(x, 0)) + Gm vb) 2R1 a ∂x πa2 (0) ∂b v v (0, p) + Gs b v (0, p)] − ib0 (p) Ra ∂x (0, p) = As [Cm pb ∂b v (`, p) = 0 ∂x vb(x, 0) = 0. (6) Puisque nous avions fait l’hypothèse qu’une impulsion est imposée à l’axone à l’instant initial (modélisée par un dirac à l’origine), on peut écrire que : Z +∞ ib0 (p) = e−pt δ{t=0} (t)dt = 1. La seconde étape du raisonnement consiste à faire varier le critère T dans la classe Ra0 ,S . On montre ainsi que la quanT (ρ + th) − T (ρ) où h appartient au cône des ditité lim t&0 t rections admissibles, peut se mettre sous la forme : Z `1 h(y)w(y)f (y)dy. 0 On suppose dans un premier temps que ρ est majoré ponctuellement par une constante M > 0 (afin de garantir l’existence de solutions au problème de minimisation). À partir de là, on démontre à l’aide d’arguments classiques du calcul de variations que l’optimum ρ est nécessairement bang-bang, c’est-à dire de la forme indiquée par le graphe ci-dessous. Cette indication est précieuse. En effet, une fois ρM M a 0 0 Introduisons à présent le changement de variable : Z x dx y= . 2 0 a (x) (7) Posons à ce titre, et avec les notations précédentes w(y, p) := vb(x, p), pour x ∈ [0, `], p > 0 avec y ∈ [0, `1 ], Z ` p dx , et ρ(y) := a3 (x) 1 + a02 (x). où `1 := 2 0 a (x) L’équation (6) devient alors : 1 ∂2w 2Ra ∂y2 = ρ (Cm p + Gm ) w π ∂w (8) R ∂y (0, p) = As [Cm p + Gs ] w(0, p) − 1 ∂wa (` , p) = 0. ∂y 1 Faisons tendre p vers 0. On continue d’appeler w, la solution de l’équation différentielle obtenue, c’est-à dire la solution de : 1 00 w = ρGm w 2Ra π 0 (9) Ra w (0) = As Gs w0 (0) − 1 0 w (`1 ) = 0. Remarquons également que le critère T peut se réécrire sous la forme : T (a) = vb(0, 0) w(0) = . vb(`, 0) w(`1 ) On se ramène alors à la résolution du problème : min T1 (ρ) ρ∈Ra0 ,S où Ra0 ,S est l’ensemble : {ρ ∈ L∞ ([0, `1 ]) : ρ(y) ≥ a30 et Z 0 `1 ρ(y)dy ≤ S}. 0 ξM 1 l1 y F IG . 1. Profil de l’optimum pour le problème (3) que l’on connaît le profil de l’optimum, on cherche, parmi toutes les fonctions de type bang-bang, quelle est celle qui réalise le minimum de T . C’est un peu calculatoire, et on trouve que la meilleure fonction est a ≡ a0 . 4 Conclusion Cette étude montre que pour les deux critères considérés, la forme optimale de axone est le cylindre. C’est donc cette foprme qui permet de transmettre au mieux l’information d’un neurone à un autre. Nous sommes dans un cas où la nature et les Mathématiques sont en accord. Références [1] W. R ALL Theory of physiological properties of dendrites, Ann, NY Acad Sciences 96 (1962) 1071. [2] W. R ALL, H. AGMON -S NIR Cable theory for dendritic neurons, C. Koch, I. Segev (Eds) Methods in Neuronal Modeling second edition, MIT, Cambridge, MA, 1998. [3] S.J. C OX, J.H. R AOL, Recovering the passive properties of tapered dendrites from single and dual potential recordings, Math. Biosci. 190 (2004), no. 1, 9–37. [4] M.G. K REIN, On certain problems on the maximum and minimum of characteristic values and on the Lyapunov zones of stability, Amer. Math. Soc. Transl. (2) 1 (1955), 163–187. [5] A. H ENROT Extremum problems for eigenvalues of elliptic operators, Frontiers in Mathematics, Birkhäuser