VIVRE DREPANOCYTAIRE : Aspects psychologiques de la drépanocytose chez l'adulte Marie-Pierre de Torhout Lehougre Psychologue Clinicienne - Psychothérapeute [email protected] __ UMGGR – Henri Mondor – Créteil 3e Journées de la Drépanocytose 19 – 20 -21 février 2013 – Les Trois Ilets – Martinique Une maladie douloureuse La douleur chez le tout-petit La disparition progressive de l’Hb fœtale, à partir de 4 mois, expose l’enfant à sa première CVO : c’est le syndrome pied main. Comment le bébé peut-il «gérer » des douleurs aussi fortes à un âge où ses défenses psychiques ne sont pas en place ? …. Et sa maman « un bébé tout seul ça n’existe pas » ( D. Winnicott) et l’on sait le rôle fondamentale que joue l’étayage maternel Mais qu’en est-il de la maman face à une telle situation ? - culpabilisée toujours - stigmatisée parfois - perdue souvent Il est indispensable d’offrir de l’aide à la maman, au couple : puéricultrice, infirmière, médecins et psychologue (modèle de ROFSED), association de parents À fortiori lorsque la mère est seule avec son enfant malade : Disparition du père, situation d’émigration Une maladie chronique L’annonce d'une maladie grave et pour toute la vie Les premiers mots posés par les médecins sur le petit malade seront décisifs et influenceront durablement la vie de l'enfant le regard des parents, de la famille Les soins L’éducation La scolarité Les loisirs Mais aussi le rapport aux autres Quelques mots sur l’enfant drépanocytaire Il a une place particulière au sein de la famille Sa venue au monde fragilise le couple parental Il suscite beaucoup d’inquiétude, Sa maladie est un élément perturbateur de l’équilibre familial Maman qui arrête de travailler Voyages, vacances annulés La famille vit souvent au rythme du petit malade Frères et sœurs tiraillés entre tendresse et agacement et même jalousie Vivre sous la menace De quelque chose qui ne se voit pas qui sera vécue au mieux en terme de « risque » au pire sous forme « d' une condamnation à mort » Un véritable marqueur de l’identité : La manière dont il sera perçu et dont il se percevra orientera toute son existence : sa place dans la communauté, ses relations avec le monde (école, amis….), ses choix professionnels ….et sa vie amoureuse Une maladie génétique On en a hérité … Avec tout ce que ça induit en terme d’injustice : "je suis le seul malade de la famille" de ressentiment envers les parents : mise en cause du couple parental "s'ils ne s'étaient pas rencontrés .... de culpabilité : "pourquoi moi ?" "qu'est ce que j'ai fait au bon Dieu pour mériter ça ?","je leur cause tellement de soucis » … Et on peut la transmettre Le choix du conjoint Le vécu drépanocytaire Au centre du vécu drépanocytaire La crise douloureuse La douleur objective la maladie. Elle en est l’emblème, le symbole. Brutale, souvent imprévisible, lorsqu’elle arrive tout s’arrête séance tenante Chaque crise est vécue comme une nouvelle défaite face à la maladie : comment négocier avec l’arbitraire ? Frustration, colère, angoisse se mêlent à la douleur : « j’ai rien fait pour qu’elle arrive » ou « j’ai juste jouer 5 minutes au foot » La famille est souvent culpabilisante : « qu’est ce que tu as dont fait pour tomber malade …….Les médecins aussi …. parfois! Le corps douloureux devient un ennemi. Le sujet porte en lui son pouvoir de souffrance. « elle est en moi je suis obligée de composer avec elle » (certains patients se frappent) Pour le patient en crise : Plus ça fait mal plus c’est grave et éloigner la douleur c’est éloigner le danger il y a donc urgence aussi sur le plan psychique à calmer la douleur LE PLUS RAPIDEMENT POSSIBLE L’évaluation de la douleur L’évaluation subjective de la douleur fait intervenir différents paramètres : Mémoire des crises précédentes Capacités psychiques à y faire face qui se modifient avec le temps et les traitements (HU, transfusion) Niveau d’angoisse L’angoisse au centre de la crise À chaque fois la même crainte que cette crise la ne soit « la bonne » La force de la crise, sa forme, son évolution, sa résolution… tout prend sens pour le malade Croyances – certitudes – habitudes comme tentatives de maîtriser ce qui échappe encore une fois : Contrôler pour ne pas être pris de court Certains patients « surveillent » et participent aux soins, aux traitements …. D’autres sont prostrés, semblent s’abandonner, parfois même ne pas être concernés par ce qui leur arrive : syndrome dépressif Être entendu, être cru Une préoccupation depuis toujours dans l’existence du malade : être cru de maman, de la maîtresse, de l’employeur, du conjoint et surtout des médecins ! Le personnel soignant est au cœur de l’enjeu et lors de chaque crise à l’angoisse déclenchée par la douleur, s’ajoute l’angoisse d’être entendu, compris pour être soigner comme il faut. Gestion des antalgiques Certains patients ne cessent jamais de souffrir même entre deux crises : Prise d'antalgiques au long cours : Douleurs ostéoarticulaires, nécroses osseuses, ulcères de jambes ..... Prise d’antalgiques par anticipation (codéine par ex.) Pour éviter que la douleur n’apparaisse ou ne s’emballe. Tentative de contrôle Pour éviter « la peur ». Visée anxiolytique (fond dépressif) Questions particulière posée par la morphine Le dilemme : « avec la morphine on a les clés d’un gouffre mais ça nous empêche de nous autodétruire par la douleur » Risques d’appétence aux antalgiques Le passage en réa Il signale la gravité : « en réa je me suis rendue compte que ça pouvait aller loin … » Très grande anxiété, angoisses de mort massives : Vécu traumatique qui peut donner lieu parfois à la survenue de syndrome post-traumatique : souvenirs « flash-back » suscitant les mêmes angoisses, ruminations, cauchemars, hyper-vigilance, trouble du sommeil, troubles phobiques…. Mais réa rassurante aussi par la surveillance Encore une fois : importance des mots du personnel : évitons absolument les « oh la la on a eu peur pour vous ! Quelques mots sur la place possible de l’hypnose Une maladie insidieuse Elle use le corps, elle l’abîme sans que le sujet ne s’en rende compte. Ainsi, beaucoup de malade ne font pas le lien entre la drépanocytose et la survenue d’autres complications (insuffisance rénale, AVC infra cliniques, lithiase biliaire, ostéonécroses, atteintes rétiniennes, priapismes…) Les traitements sont source de complications, (hémochromatose post-transfusionnelle, risques infectieux, …) ….. et de questions : le cas de L’hydréa Suivi médical et traitements Chez l’enfant c’est l’affaire des parents …. Parfois longtemps après que le petit soit devenu grand L’adolescence : une période à « hauts risques » L’entrée dans le monde des adultes est souvent une période de doute : de soi, de l’avenir Difficile de se prendre en main, de se faire confiance Prise de conscience de la gravité de la maladie L’inquiétude engendre des phénomènes anxieux (insomnie …) ou des attitudes d’évitement : oublier les l’hôpital, les docteurs, les bilans et même les traitements pour oublier la maladie Grands moments de doutes et de remises en questions jalonneront la vie du malade et apparaitrons volontiers lors des complications, de choix thérapeutiques complexes, mais aussi de difficultés affectives ….. La culpabilité Elle est du côté des parents (parfois entretenue par la famille « vous n’auriez pas dû vous marier ! ») Du côté des frères ou sœurs bien-portants Transmission d'une maladie génétique l'incapacité à soulager le malade engendre un fort sentiment d’impuissance « Pourquoi lui ou elle et pas moi ? » Et du côté des malades De n’être « pas comme les autres », de ne pas être « l’enfant parfait » dont tous parents rêvent, sentiment de décevoir les parents Coupable de causer du soucis aux proches (parents, conjoint …) Ainsi certains malades adultes viendront à l’hôpital « en douce » Un risque accru de dépression En lien avec une image de soi dévalorisée et une estime de soi défaillante Parce que le corps se dégrade Lorsque le patient souffre d’isolement (angoisse d’abandon, de séparation ) Lorsque les crises sont trop fréquentes et que l’angoisse ne le quitte plus Souvent repérable dans son rapport au temps Pas d’avenir : le patient ne se projette pas. Il ne peut s’imaginer plus tard : pas de projets professionnels : « à quoi bon …. » Pas de passé : on observe une incapacité à se remémorer son histoire, aucun souvenir d’enfance. Car l’inscription mnémonique est conditionnée par des expériences investies et donc de plaisir. Le patient semble vivre dans un présent éternel, comme pour se protéger du temps qui passe Lorsque la mort est inscrite depuis toujours Rendez-vous programmé avec la mort à un âge déterminé ou rendez-vous inconscient qui peut être retrouvé par un travail psychothérapique. Conséquence : Augmentation de l’anxiété = recrudescence des crises Parole de mère : « je l’accompagnerai jusqu’au bout …. » ETRE même si c’est drépanocytaire Même si la maladie est présente, il y a toujours un « espace de liberté » à créer ! Importance du travail Se marier et faire des enfants Avoir une activité physique Et pour aller bien il faut aller bien physiquement, mais aussi socialement et psychologiquement Merci à mes patients et à mon équipe Je vous remercie de votre attention …