VIH/SIDA Nous avons rencontré le Pr Stéphane De Wit Le professeur Stéphane De Wit est spécialisé en médecine interne et en infectiologie. Il est chef de service adjoint du Centre de Référence pour le VIH/SIDA du CHU Saint-Pierre et a été, de 1989 à 1998, coordinateur clinique de l'European Network for the Treatment of Aids (ENTA). Dès les premières années, le Pr De Wit s'est trouvé au centre des développements dramatiques autour du VIH et du sida. Dr Pieter Van Boom, d'après un entretien avec le Professeur Stéphane De Wit (Département de maladies infectieuses, Centre Hospitalier Universitaire Saint-Pierre, Bruxelles) Tempo Médical : Professeur De Wit, vous vous trouvez au cœur de la pratique clinique depuis la période initiale de l'épidémie du sida, voici près de trente ans. Pouvez-vous esquisser vos premières expériences comme médecin traitant ? appelé depuis Syndrome d'Immunodéficience Acquise ou sida. TM : Peu après, le virus a été isolé simultanément des deux côtés de l'Atlantique. SDW : En effet. Depuis, il est généralement admis que Françoise Barré-Sinoussi (Institut Pasteur, Paris) a été la Pr S. De Wit : Les premiers patients première à isoler le virus de ganglions sidéens que j'ai pu traiter étaient deux lymphatiques infectés. Elle se trouvait femmes africaines, ici, dans un hôpital donc de bon droit aux côtés de son bruxellois. PR STÉPHANE DE WIT mentor Luc Montagnier sur le podium à Stockholm en 2008. Leurs travaux ont TM : C'était en… tracé la voie vers une méthode permetSDW : …1982. Nous nous trouvions tant de détecter des anticorps du VIH chez un patient. Ce qui est face à une énigme médicale. Il s'agissait d'un mal mystérieux, resté le seul test diagnostique dont nous disposions pendant de qui présentait d'importantes analogies avec un certain nombre nombreuses années. d'infections opportunistes rares et le sarcome de Kaposi, signalés quelques mois auparavant à Los Angeles. Jusque… TM : Une grande incertitude diagnostique a dû régner à l'époque ? SDW : Exactement. Mais il est rapidement apparu que le système immunitaire de ces patients était profondément compromis. Il n'existait alors qu'une seule méthode nous permettant de documenter la faiblesse immunitaire de ces patients : le comptage des lymphocytes T CD4+. Ce test a également servi de critère diagnostique pour démontrer que les patients présentaient le syndrome, SDW : Jusqu'au début des années 90. A cette époque s'est développée la PCR (Polymerase Chain Reaction, pour amplification ou réaction en chaîne par polymérase), d'abord semi-quantitative, quantitative ensuite. Elle nous a permis de déterminer directement la charge virale. Au cours des années suivantes, la sensibilité et la précision de ces tests de PCR ont été continuellement optimalisées. Depuis, ils sont également appliqués dans le suivi de l'efficacité d'un traitement. TEMPO MÉDICAL – SEPTEMBRE 2012 – WWW.MEDIPRESS.BE TMB348FRpDeWit2Colonnes.indd 69 69 31/08/12 13:43 VIH/SIDA Une pandémie se dessine à l'échelle mondiale TM : Une fois le VIH identifié comme cause du sida, l'étape suivante était… SDW : … que pouvons-nous y faire ? TM : Pouvez-vous décrire brièvement les stratégies adoptées à cet effet ? SDW : A l'époque, nous ne disposions que d'antibiotiques pour enrayer les infections opportunistes. Il n'existait aucun médicament permettant de traiter l'immunodéficience. Nous étions quasiment impuissants. Il faut se rappeler le contexte de cette époque : il était possible de guérir un patient porteur d'une maladie infectieuse dans la plupart des cas… jusqu'à l'entrée en scène du VIH. Les médecins et virologues appelés à soigner des patients sidéens étaient devenus à brève échéance des thérapeutes palliatifs. Il était devenu évident depuis que l'origine historique du VIH se situait en Afrique et que des millions de personnes étaient déjà infectées ou se situaient au seuil de la mort. C'était une époque sombre, rappelant des images des grandes épidémies de peste du Moyen Âge, où des populations entières ont été balayées. Il devint rapidement clair que, outre les soins médicaux que les patients recevaient, des soins non médicaux et palliatifs devaient également être proposés pour leur garantir tant bien que mal un minimum de qualité de vie. "La période qui a vu le développement de HAART était rétrospectivement aussi une période où le sida a progressivement évolué d'une maladie mortelle vers une affection chronique. A l'époque même, très peu de gens l'ont perçu ainsi." Pr Stéphane De Wit De fiévreuses recherches conduisent aux premiers médicaments TM : Que s'est-il passé en matière de recherche ? SDW : De fiévreuses recherches étaient entamées dans le monde entier. Une stratégie se dessinait rapidement, pour tenter de bloquer dans les cellules la synthèse de l'ADN contrôlée par l'ARN viral. De tels médicaments étaient déjà connus dans le domaine de l'oncologie et le premier médicament issu de cette recherche – à peine un an après la découverte du virus – était l'inhibiteur nucléosidique de la transcriptase inverse, la zidovudine (AZT ou azidothymidine). Je me rappelle comme si c'était hier le premier essai contrôlé par placebo (avec une cohorte de 260 patients sidéens symptomatiques). Il fut arrêté peu de temps après la mise en route parce que l'avantage clinique de l'AZT était tellement évident. Or, ce médicament devait être administré rigoureusement toutes les quatre heures, jour et nuit ! Les autres analogues nucléosidiques ont été développés peu après. Au cours des années suivantes, il a été démontré que ces médicaments antiviraux pouvaient également être mis en œuvre chez des patients séropositifs au VIH mais non ou faiblement symptomatiques. Permettons-nous quelque lyrisme : les lourds nuages à l'horizon thérapeutique semblaient se dissiper… Pas pour longtemps, l'étude européenne CONCORDE, avec une période de suivi plus longue (2 - 3 ans) que certaines études effectuées aux Etats-Unis, a en tout cas fortement mitigé l'enthousiasme initial. En effet, l'étude a montré que l'AZT offrait peu d'avantages à long terme et ne pouvait ralentir l'évolution de la maladie. C'était la première démonstration de la capacité du VIH de développer une résistance envers le traitement antiviral, marquant la défaite de la monothérapie. Il était clair que pour tenir sous contrôle le virus qui mutait constamment, des bi- ou trithérapies devaient être développées : des cocktails de plusieurs analogues nucléosidiques. 70 TEMPO MÉDICAL – SEPTEMBRE 2012 – WWW.MEDIPRESS.BE TMB348FRpDeWit2Colonnes.indd 70 31/08/12 13:43 VIH/SIDA Actuellement, plusieurs médicaments sont administrés à l'aide d'un seul comprimé, Figure 2. Image au microscope à balayage électronique d'un virion de VIH-1 (en vert), qui se sépare d'un lymphocyte en culture. Au milieu des années 90, nous avons été les témoins des premiers résultats spectaculaires avec les inhibiteurs de la protéase virale, le saquinavir et le lopinavir, des molécules antivirales très puissantes qui visaient pour la première fois une autre cible thérapeutique que la transcriptase inverse du VIH. Ces médicaments ont été repris avec les inhibiteurs nucléosidiques dans un schéma de trithérapie, selon le principe HAART (High Active Antiretroviral Therapy), qui demeure à ce jour le traitement standard. De maladie mortelle, le sida devient une affection chronique TM : C'était une époque particulièrement passionnante, sans aucun doute. SDW : Comme vous le dites ! N'oubliez pas que nous ne disposions d'aucun test quantitatif permettant de mesurer la charge virale jusqu'au début des années 90, ce qui est devenu possible avec la PCR. Nous pouvions bien enregistrer une augmentation abrupte et spectaculaire du nombre de lymphocytes T CD4+ après une intervention thérapeutique. Ce que l'on peut qualifier sans plus comme une des principales avancées dans la lutte contre le VIH. Depuis lors, après le millénaire, l'arsenal des inhibiteurs de transcriptase inverse, de protéase et d'intégrase s'est constamment étendu et nous disposons actuellement d'une nouvelle génération de molécules qui n'engendrent pas les graves effets secondaires d'un HAART prolongé (augmentation des affections cardiovasculaires, lipodystrophie et diabète). De même, un patient atteint du sida n'est plus soumis à des schémas draconiens comme il y a vingt ans, qui imposaient la prise rigoureuse, à heures fixes, de 18 comprimés par jour. Actuellement, plusieurs médicaments sont administrés à l'aide d'un seul comprimé, par voie orale. TM : Ces meilleurs médicaments ont-ils entraîné un changement de mentalité chez les médecins traitants et/ou les patients ? par voie orale. HAART a aussi été la période où le sida a progressivement évolué d'une maladie mortelle vers une affection chronique. Ces nouveaux traitements efficaces ont également eu pour conséquence que l'éventail des complications s'est modifié de fond en comble chez les patients sidéens. Il y a vingt ans, les patients recevaient un traitement prophylactique pour des maladies infectieuses comme la pneumonie ou la méningite. Par contre, lorsqu'un patient porteur du VIH se présente à la consultation de nos jours, le médecin traitant doit avant tout se soucier de l'ostéoporose, de la bronchite chronique et de l'insuffisance rénale. Autrement dit, une gamme complexe d'affections possibles en tant qu'effets secondaires du HAART. Mais elles sont tout autant la conséquence de l'infection virale et de la réponse inflammatoire. On peut tranquillement affirmer que l'infection par le VIH est passée dans le domaine de la médecine interne. ■ SDW : Je pense que oui. Après coup – très peu l'ont perçu ainsi au moment même – la période du développement du TEMPO MÉDICAL – SEPTEMBRE 2012 – WWW.MEDIPRESS.BE TMB348FRpDeWit2Colonnes.indd 71 71 31/08/12 13:43