Annales Médico-Psychologiques 166 (2008) 585–594 FORMATION CONTINUE Mise à jour sur les considérations pharmacocinétiques, pharmacodynamiques et les interactions médicamenteuses dans le choix d’une benzodiazépine Update on the pharmacokinetics and pharmacodynamic properties, drug interactions and therapeutic usage of benzodiazepines P. Landry a,*, M. Gervais b, K.P. O’Connor c a Module de psychopharmacologie, centre de recherche Fernand-Seguin, clinique de psychopharmacologie, pavillon Bourget, hôpital Louis-Hyppolite-Lafontaine, 7401, Hochelaga, H1N 3M5, Montréal, Québec, Canada b Hôpital Louis-Hyppolite-Lafontaine, Montréal, Québec, Canada c Centre de recherche Fernand-Seguin, université de Montréal, hôpital Louis-Hyppolite-Lafontaine, Montréal, Québec, Canada Disponible sur Internet le 25 juillet 2008 Résumé Au cours des 50 dernières années, nous avons cumulé beaucoup d’informations cliniques sur les aspects pharmacocinétiques, pharmacologiques, les interactions médicamenteuses et l’utilisation thérapeutique des benzodiazépines. L’objectif de cette revue de la littérature est d’identifier les principales différences entre les benzodiazépines afin d’aider le prescripteur dans son choix de traitement. La demi-vie demeure l’une des caractéristiques la plus importante dans le choix d’une benzodiazépine, celles ayant une demi-vie intermédiaire (six à 12 heures) étant recommandées pour un usage ponctuel ou pour pallier une insomnie initiale, alors que les benzodiazépines avec une longue demi-vie (plus de 12 heures) sont recommandées lorsqu’un effet plus soutenu est souhaité. Néanmoins, ces dernières comportent le risque d’augmenter l’occurrence d’effets secondaires dus à l’accumulation du médicament. Leur métabolisme hépatique nous contraint à utiliser les benzodiazépines avec précaution chez les patients souffrant d’une maladie du foie, chez les personnes âgées ou les personnes qui prennent des médicaments modifiant l’activité enzymatique hépatique. Chez ces patients, il est préférable d’utiliser le lorazépam, l’oxazépam ou le témazépam, puisqu’ils sont peu métabolisés par la voie hépatique. Pour plusieurs, mais pas pour toutes les benzodiazépines, les risques d’interactions médicamenteuses concernent principalement les réactions d’oxydation médiées par l’isoenzyme P-450 CYP3A4. Les antibiotiques kétoconazole et érythromycine, les corticostéroïdes, certains antidépresseurs de la classe des inhibiteurs spécifiques du recaptage de la sérotonine (ISRS) et le jus de pamplemousse sont tous des inhibiteurs du métabolisme médié par le cytochrome P-450 CYP3A4 et peuvent donc provoquer une accumulation de benzodiazépines métabolisées par cette voie lorsqu’ils sont administrés conjointement. Dans les situations qui exigent l’usage d’une benzodiazépine intramusculaire, le lorazépam est préféré à d’autres en raison d’une absorption plus fiable et de son action rapide. Le mode d’action des benzodiazépines consiste à potentialiser l’effet inhibiteur de l’acide gamma-aminobutyrique (GABA) dans le système nerveux central et, à ce niveau, il ne semble pas y avoir de différence entre elles, sauf pour le clonazépam qui agit également sur la transmission sérotoninergique. Cette propriété augmenterait l’effet anxiolytique du clonazépam et pourrait expliquer son efficacité à réduire les rechutes chez certains déprimés. Le récepteur Gaba est constitué de cinq sous-unités protéiniques, elles-mêmes organisées sous la forme d’une rosette. Les benzodiazépines potentialisent l’effet du GABA en se liant aux sous-unités a, b et g de la rosette. La * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Landry). 0003-4487/$ see front matter ß 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.amp.2008.06.008 586 P. Landry et al. / Annales Médico-Psychologiques 166 (2008) 585–594 liaison d’une benzodiazépine à la sous-unité a1, localisée surtout dans le tronc cérébral, favorise la sédation alors que la liaison avec la sous-unité a2, localisée dans le système limbique, est davantage associée à une réponse anxiolytique. L’usage prolongé d’une benzodiazépine modifie l’expression génique et réduit la synthèse des ARN messagers codant pour les sous-unités a1, a2, a3 et, possiblement, b. Cette modification dans la composition du récepteur GABA est en fait une autorégulation du récepteur et expliquerait le phénomène de tolérance aux benzodiazépines. Toutefois, les aspects pharmacodynamiques sont très similaires pour toutes les benzodiazépines et le clinicien n’a pas à en tenir compte dans son choix de traitement. Ainsi, les aspects pharmacocinétiques et les interactions médicamenteuses constituent les éléments les plus significatifs à considérer dans le choix d’une benzodiazépine. ß 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Over the past 50 years, significant clinical information has been obtained on numerous aspects of benzodiazepines, notably on their pharmacokinetics and pharmacodynamic properties, drug interactions and therapeutic usage. The main objective of this review is to determine which of these aspects a clinician should consider when choosing a benzodiazepine. Benzodiazepines can be distinguished by their half-lives and those with an intermediate half-life (6–12 h) are indicated for punctual usage and for initial insomnia while those with a longer half-life (over 12 h) are indicated for clinical situations requiring sustained therapeutic treatment. Benzodiazepines with longer half-lives are more at risk of causing side effects due to accumulation of the drug. Most, but not all, benzodiazepines are metabolized by the liver and should be used carefully in patients known to have a hepatic disease, in geriatric patients or in patients taking other medication modifying hepatic metabolism. In these cases, lorazepam, oxazepam or temazepam should be chosen because they are less dependant on hepatic metabolism. Most but not all benzodiazepines are metabolized by the intestinal and hepatic cytochrome P-450 3A4 system. A number of medication namely ketoconazole, erythromycin, corticosteroids, fluoxetine, fluvoxamine, sertraline, calcium channel blockers and grapefruit juice may increase plasma concentrations of some benzodiazepines by inhibiting P-450 3A4 cytochrome activity. Cigarette smoking has been reported to significantly increase the clearance of alprazolam. The mechanism of action of benzodiazepines consists in increasing the inhibitory effect of gamma-aminobutyrique acid (GABA) in the central nervous system. GABA receptor contains five sub-units organised in the form of a rosette. The canal in the centre of the rosette permits the entrance of chloride ions and the opening of the channel is modulated by GABA through changing the configuration of the proteins constituting the rosette. Benzodiazepines alone have no inhibitory activity on neurones but will potentiate the effect of GABA by binding to the sub-units a, b and g of the rosette. Binding to the sub-unit a1 localised mainly in the brain stem will increase sedation while binding to the sub-unit a2 in the limbic system will confer anxiolytic properties to benzodiazepines. No differences among benzodiazepines have been reported concerning their binding to different sub-units. However, clonazepam does appear to modify serotoninergic transmission and this pharmacodynamic characteristic may increase clonazepam inhibitory properties and also stabilise mood in patient with unipolar depression. Benzodiazepines prolonged usage will modify the DNA expression and decrease synthesis m-RNA coding for sub-units a1, a2, a3 and possibly b. These modifications in the composition of GABA receptors are thought to be a mechanism of autoregulation of the receptor and could explain tolerance which is observed in prolonged usage of benzodiazepines. Overall, pharmacokinetics properties and drug interaction remain the most important characteristics when choosing a benzodiazepine while pharmacodynamic properties have little relevance because differences are not significant within this class of medication. ß 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Benzodiazépine ; Interactions médicamenteuses ; Pharmacocinétique ; Pharmacodynamique Keywords: Benzodiazepine; Drug Interaction; Pharmacodynamic; Pharmacokinetic 1. INTRODUCTION Depuis la commercialisation du chlordiazépoxide (Librium1) en 1960, suivi du diazépam (Valium1) en 1963, on estime que plus de 3000 benzodiazépines ont été synthétisées. Entre 35 et 50 seraient actuellement disponibles sur le marché international [2,8,23]. Au cours des 50 dernières années, nous avons cumulé beaucoup d’informations cliniques sur les aspects pharmacocinétiques, pharmacodynamiques, les interactions médicamenteuses et l’utilisation thérapeutique des benzodiazépines autant en médecine physique qu’en psychiatrie [11,29]. Malgré les inquiétudes liées à leur pharmacodépendance, les benzodiazépines offrent une avenue thérapeutique temporaire ou à plus long terme pour plusieurs patients atteints d’un trouble psychiatrique. D’ailleurs, les benzodiazépines demeurent un des trois choix privilégiés par les psychiatres dans le traitement d’un trouble anxieux réfractaire à un antidépresseur [43]. Une étude récente indique qu’au Canada l’usage de benzodiazépines n’a pas diminué au cours de la dernière décennie. Dans la population générale, la fréquence d’utilisation se situerait entre 4,9 et 6,1 %, et atteindrait 11 % chez les gens ayant un diagnostic psychiatrique [26]. Dans cet article, nous proposons de revoir les caractéristiques pharmacologiques des benzodiazépines et d’utiliser cette information pour guider le prescripteur dans son choix de traitement. P. Landry et al. / Annales Médico-Psychologiques 166 (2008) 585–594 2. CONSIDÉRATIONS PHARMACOCINÉTIQUES DANS LE CHOIX D’UNE BENZODIAZÉPINE Les aspects pharmacocinétiques sont parmi les caractéristiques les plus importantes dans le choix d’une benzodiazépine. La pharmacocinétique s’intéresse au processus de transformation d’un médicament dans le corps à partir de son absorption dans la circulation sanguine, ensuite sa distribution à son site d’action et, finalement, sa biotransformation et son élimination par le foie et les reins. 2.1. Forme d’administration La majorité des benzodiazépines peuvent seulement être administrées par voie orale, mais quelques-unes sont également disponibles pour administration par voie intramusculaire et/ou intraveineuse. Le choix de l’une ou l’autre des voies d’administration relève de considérations cliniques, par exemple, une urgence thérapeutique commandant un début d’action rapide, l’incapacité pour un patient de prendre un médicament par la bouche en raison de nausées importantes ou d’une perte de conscience, notamment lors d’une crise épileptique, la nécessité de prendre des doses quotidiennes multiples, le refus de coopérer, etc. Les préparations sublinguales (S/L) ont été développées avec l’idée qu’elles agiraient plus rapidement que les formes orales standard. On croyait, en effet, qu’elles seraient rapidement absorbées à travers la muqueuse buccale, malgré une petite surface d’absorption, et qu’en drainant directement dans la veine cave supérieure, elles seraient vite acheminées vers leurs organes cibles. Cependant, les études récentes concernant le lorazépam et le clonazépam, seules benzodiazépines couramment disponibles sous forme S/L, aucune accélération significative de la vitesse d’absorption et, conséquemment, du début d’action n’a pu être mise en évidence par comparaison aux comprimés standards [16,37]. D’autres études ont tout de même avancé le contraire [1]. Pour ce qui est de la voie intramusculaire, elle provoque un pic plasmatique plus rapide et marqué que la voie orale en raison d’une vitesse et d’un taux d’absorption accru. Il y a donc un effet clinique plus soudain et intense et cet outil thérapeutique s’avère très utile et sécuritaire en situation d’urgence pour calmer rapidement l’agitation ou l’agressivité, par exemple, chez des patients psychotiques ou en manie qui manifestent des comportements violents. L’absorption est cependant plus lente dans le muscle grand-fessier que dans le deltoïde [10] en raison d’une plus forte proportion de tissus graisseux faiblement perfusés dans cette partie de l’anatomie [3]. Cela est encore plus marqué chez les femmes et les personnes obèses. Pour plusieurs pays occidentaux, quatre benzodiazépines sont disponibles sous forme intramusculaire, soit le midazolam, le lorazépam, le chlordiazépoxide et le diazépam. Le midazolam est presque exclusivement réservé à la préanesthésie. Parmi les trois autres, seul le lorazépam est absorbé de manière fiable et rapide ; ce qui expliquerait que les médecins le préfèrent au 587 diazépam et au chlordiazépoxide pour les injections intramusculaire [25]. L’usage intraveineuse des benzodiazépines, quoique plus rare, permet à 100 % de la médication d’être distribuée, puisqu’elle se retrouve d’emblée dans la circulation sanguine. L’action commence en quelques secondes à peine, tout au plus quelques minutes. En effet, une fois injectée, la benzodiazépine est rapidement acheminée vers les organes les mieux perfusés, y compris le cœur, le foie, les reins et le cerveau. Son caractère lipophile lui assure une grande affinité pour le tissu cérébral, où elle se distribue aisément en diffusant à travers les jonctions serrées des cellules endothéliales des capillaires cérébraux. Le midazolam et le diazépam pourraient d’ailleurs avoir un début d’action plus rapide que le lorazépam, car ils sont davantage liposolubles et traverseraient donc plus vite la barrière hématoencéphalique [17,18]. Cette approche est habituellement réservée pour le traitement de crises convulsives (status épilepticus) en anesthésie ou chez le patient en delirium. L’administration d’une benzodiazépine par voie rectale demeure exceptionnelle mais utile chez des patients aux prises avec certains problèmes médicaux qui compliquent la prise d’un médicament par voie orale ou encore chez ceux qui refusent de prendre une médication. Au Canada, la seule benzodiazépine disponible sous cette forme est le diazépam. L’absorption par la muqueuse rectale serait cependant erratique [3]. Tout comme la voie sublinguale, la voie rectale permet d’éviter en partie l’effet de premier passage hépatique. Cela est avantageux puisque, durant le premier passage hépatique, qui a lieu lorsqu’un médicament est administré par la bouche, une certaine quantité de médicament est métabolisée par le foie avant même de se lier aux protéines plasmatiques pour voyager jusqu’à son site d’action. L’alprazolam est disponible sous une forme à libération lente (Xanax TS1) qui permet de limiter la prise quotidienne de la médication à une ou deux prises par jour plutôt que trois ou quatre, comme c’est le cas avec l’alprazolam régulier. De plus, la libération de la médication étant plus graduelle, la formulation à libération lente assure une concentration constante du médicament pendant plusieurs heures, ce qui évite des pics ponctuels et associés à des effets indésirables. Il faut informer le patient de s’abstenir de mastiquer ou de briser le comprimé, puisque le médicament perdra ses propriétés à libération lente. 2.2. Absorption Comme règle générale, plus la vitesse et le degré d’absorption d’une benzodiazépine sont grands, plus la molécule a un pic plasmatique élevé. Cela se traduit par des effets thérapeutiques rapides mais aussi par des effets indésirables qui risquent d’être plus marqués. Une plus grande rapidité d’absorption risque également de favoriser davantage une dépendance psychologique en raison d’un soulagement thérapeutique plus rapide. L’absorption des benzodiazépines, comme de tout autre médicament, est affectée par plusieurs variables, parmi lesquelles la voie d’administration, le véhicule pharmaceutique, les caractéristiques physicochimiques de la molécule (liposolubilité, degré d’ionisation), la médication 588 P. Landry et al. / Annales Médico-Psychologiques 166 (2008) 585–594 Tableau 1 Caractéristiques pharmacocinétiques des benzodiazépines Nom générique Alprazolam Bromazépam Chlordiazépoxide Clonazépam Clorazépate Diazépam Flurazépam Lorazépam Midazolam Nitrazépam Oxazépam Témazépam Triazolam a Début d’action 1–2 heures 0,5–4 heures 1–4 heures 1–4 heures 0,5–2 heures 1–2 heures 0,5–1 heures 1–6 per os 45–75 minutes intramusculaire 0,5–1 minutes intraveineuse 0,5–7 heures 1–4 heures 2,5 heures 1–2 heures Liposolubilité [39]a Demi-vie (heure) Métabolites actifs 0,54 0,24 – 0,28 0,79 1,00 – 0,48 9–20 8–30 4–29 19–60 1,3–120 30–200 40–250 8–24 Oui Non Oui Non Oui Oui Oui Non – 0,29 0,45 0,50 0,64 1–4 15–48 3–25 3–25 1,5–5 Oui Oui Non Non Non Un chiffre élevé indique une plus grande liposolubilité. conjointe, etc. Pour la plupart des benzodiazépines prises par la bouche, l’effet apparaît 30 minutes à deux heures après leur ingestion [10]. Le bromazépam, le clorazépate, le diazépam, le flurazépam et le triazolam sont parmi les benzodiazépines ayant un début d’action rapide et sont habituellement moins utilisées, sauf pour des situations commandant un effet thérapeutique rapide, tel qu’une insomnie initiale (Tableau 1). Dans leur forme orale standard, les benzodiazépines sont toutes facilement absorbées par le tractus gastro-intestinal, étant donné leur caractère liposoluble qui leur assure une diffusion passive à travers l’épithélium de la muqueuse intestinale vers les capillaires sanguins. La forme liquide est absorbée plus rapidement que la forme solide, car elle n’a pas besoin d’être dissoute par les sucs gastriques. Les comprimés seraient également absorbés plus rapidement que les capsules. Tout ralentissement de la vidange gastrique, par exemple par la prise de nourriture, d’agents anticholinergiques ou antiacides, entraîne par ricochet une absorption plus graduelle et, ainsi, un pic plasmatique moins marqué [15]. L’effet ressenti par le patient est donc moindre. La quasi-totalité des benzodiazépines est dissoute par les enzymes des sucs gastriques sans aucune modification métabolique avant d’être absorbées à travers la muqueuse intestinale. Seul le clorazépate subit une modification métabolique dans l’estomac. Ce dernier est, en effet, un promédicament qui est inactif dans sa forme originale. Il doit d’abord être hydrolysé dans l’estomac en desméthyl-diazépam ; ce qui permet alors à la molécule d’être absorbée et d’acquérir des propriétés thérapeutiques. Toutefois, cette transformation chimique ne retarde pas l’effet thérapeutique du médicament. 2.3. Distribution La grande affinité des benzodiazépines pour les lipides favorise non seulement leur distribution dans le cerveau mais également leur redistribution vers les tissus adipeux périphériques. Cela se traduit par une chute des concentrations cérébrale et plasmatique en deçà de la concentration minimale effective, et la molécule cesse alors de produire son effet thérapeutique [9]. La phase de redistribution dans les tissus adipeux périphériques a lieu d’autant plus vite que la benzodiazépine a une liposolubilité élevée. Une plus grande liposolubilité est davantage associée à l’apparition d’un trouble mnésique, mais toutes les benzodiazépines auraient un impact sur les capacités mnésiques, particulièrement la mémoire épisodique [12]. Parmi les benzodiazépines, la liposolubilité est la plus grande pour le diazépam, suivi du clorazépate, puis du triazolam (Tableau 1). 2.4. Métabolisme, élimination et demi-vie et implication clinique Toutes les benzodiazépines sont hautement métabolisées par le système enzymatique hépatique. Le foie doit préalablement les rendre hydrosolubles de manière à ce qu’elles puissent être éliminées avec l’urine. Une partie des médicaments est également excrétée sous forme de bile et peut alors être éliminée avec les selles ou encore être réabsorbée dans la circulation pour subir un second passage hépatique avant d’être excrétée dans l’urine. Le flurazépam, le diazépam, le clorazépate et le chlordiazépoxide subissent une première réaction qui aboutit à la formation de deux métabolites actifs ayant une longue demi-vie. Par la suite, ces métabolites subissent une réaction d’oxydation qui les transforme en dérivés 3-hydroxy. Ce sont aussi des métabolites actifs. Un de ces métabolites, le nordazépam, est métabolisé en oxazépam, une molécule avec une demi-vie intermédiaire, elle-même, d’ailleurs, commercialisée. Finalement, les dérivés 3-hydroxy sont conjugués à un acide glucuronique et transformés en métabolites hydrosolubles inactifs pouvant être excrétés dans l’urine. Les benzodiazépines avec des métabolites actifs peuvent s’accumuler et causer plus d’effets secondaires, notamment, au niveau mnésique à moyen et long terme que les molécules sans métabolites actifs. Ces benzodiazépines ne devraient donc pas être utilisées chez les personnes âgées, car le risque d’accumulation est d’autant plus grand qu’il y a diminution de l’activité métabolique hépatique avec l’âge (Tableau 1). P. Landry et al. / Annales Médico-Psychologiques 166 (2008) 585–594 Le triazolam, l’alprazolam et le midazolam sont également transformés par oxydation en composés 3-hydroxy. Ces métabolites actifs sont cependant très rapidement conjugués par glucuronidation de sorte qu’ils ne s’accumulent pas de façon significative. Malgré ces propriétés pharmacocinétiques avantageuses, la courte demi-vie du triazolam est mise en cause pour expliquer une amnésie antérograde et d’autres troubles cognitifs liés à l’usage de ce médicament [22]. Soulignons que le métabolisme hépatique du triazolam serait peu modifié avec l’âge chez la femme, mais réduit chez l’homme [19]. Quant au lorazépam, à l’oxazépam et au témazépam, qui sont eux-mêmes des dérivés 3-hydroxy, ils n’ont pas besoin de subir une oxydation préalable et sont d’emblée conjugués à un acide glucuronique. Leur élimination ne produit aucun métabolite actif. L’altération de la fonction hépatique affecte très peu leur élimination. Pour cette raison, ils représentent un premier choix chez les personnes âgées et les patients souffrant d’un trouble hépatique, tel qu’une cirrhose ou une hépatite. Quant aux dérivés 7-nitro, comme le clonazépam, ils sont métabolisés en amines inactives, ensuite acétylés et excrétés. L’élimination des benzodiazépines et de leurs dérivés par métabolisme hépatique et excrétion rénale se fait à un taux propre à chaque molécule. Ce taux est représenté par le temps de demi-vie d’élimination (t1/2). Les dérivés d’un même sousgroupe ont des demi-vies d’élimination comparables, puisqu’ils sont biotransformés par les mêmes voies métaboliques [8]. Ces temps de demi-vie servent à classer les benzodiazépines en molécules avec durée d’action courte (t1/2 inférieur à cinq heures), intermédiaire (t1/2 5–24 heures) ou longue (t1/2 supérieur à 24 heures) [20]. La demi-vie des métabolites actifs peut contribuer à la durée d’action de la molécule mère. Le flurazépam en est un exemple éloquent, puisque sa demi-vie est d’environ deux à trois heures alors que la demi-vie de son métabolite principal, le Ndésalkylflurazépam, est de plus de 50 heures [2]. À cet égard, le taux d’élimination du lorazépam, de l’oxazépam et du témazépam est un index plus fiable de leur durée d’action puisqu’ils ne produisent aucun métabolite actif [23]. Il en va de même pour le triazolam et le midazolam, dont les métabolites actifs sont très rapidement éliminés. Cela étant dit, même si une benzodiazépine a une plus longue demi-vie d’élimination, elle n’a pas nécessairement une durée d’action plus longue. Par exemple, le diazépam a une plus longue demi-vie que le lorazépam mais sa plus grande liposolubilité réduit la durée de son action. Le diazépam est donc plus promptement redistribué en périphérie que le lorazépam ; ce qui met fin plus rapidement à son action sur ses récepteurs centraux [10]. Avec un usage prolongé, en revanche, le diazépam s’accumule et son effet est soutenu malgré sa grande liposolubilité. Cela est également vrai pour les autres benzodiazépines avec longue demi-vie d’élimination, par exemple, le chlordiazépoxide ou le clonazépam. L’accumulation est de plus favorisée par des doses rapprochées. Cette accumulation se poursuit jusqu’à ce que la benzodiazépine atteigne une concentration plasmatique à l’équilibre. La plupart des médicaments, y compris les benzodiazépines et leurs 589 métabolites, y parviennent après cinq demi-vies. L’élimination plasmatique d’un médicament nécessite également cinq demivies. Quant aux benzodiazépines avec de plus courtes demivies, elles s’accumulent moins, surtout si les intervalles entre les doses sont importants. L’accumulation est souhaitable lorsqu’on désire un effet soutenu, par exemple pour traiter une symptomatologie anxieuse chronique, des tics, une dystonie tardive ou une épilepsie, raison pour laquelle on utilise alors les benzodiazépines ayant une longue demi-vie. L’accumulation empêche les fluctuations plasmatiques et la survenue de symptômes interdoses. En revanche, l’accumulation est moins souhaitable lorsqu’on recherche un effet ponctuel, par exemple pour traiter une insomnie initiale. À cet égard, le choix d’une benzodiazépine avec une demi-vie intermédiaire limitera l’effet de nausée au lendemain de la prise de médicament. Pour ce qui est des benzodiazépines ayant une courte demi-vie, elles ne sont habituellement pas recommandées sur une base régulière en raison d’un risque plus élevé d’effets rebonds et de troubles mnésiques. Une benzodiazépine avec une longue demi-vie peut présenter certains avantages en réduisant l’intensité des symptômes de sevrage lorsqu’elle est cessée rapidement, mais les caractéristiques pharmacocinétiques ont peu d’importance lorsque la diminution se prolonge sur plusieurs semaines ou plusieurs mois [40,42]. 3. INTERACTIONS MÉDICAMENTEUSES DANS LE CHOIX D’UNE BENZODIAZÉPINE 3.1. Interactions pharmacocinétiques Par définition, une interaction pharmacocinétique produira une modification du taux plasmatique d’un médicament. Ce type d’interaction lié à l’usage de benzodiazépines peut survenir à l’un ou l’autre des processus d’absorption, de distribution, de métabolisme ou d’élimination. Ainsi, la modification de l’acidité gastrique avec les antiacides peut diminuer la vitesse d’absorption des benzodiazépines, notamment du chlordiazépoxide et du diazépam. Par ailleurs, les benzodiazépines et leurs métabolites se lient aux protéines plasmatiques et toute condition qui réduit la disponibilité des protéines peut augmenter la fraction libre de médicament dans le plasma, soit la fraction libre active qui peut se lier à son récepteur et produire un effet thérapeutique ou toxique. Entre autres, l’âge avancé, la malnutrition et la cirrhose hépatique sont des conditions caractérisées par une diminution de la synthèse de protéines et peuvent donc être accompagnés d’une fraction libre ou active augmentée du médicament. L’administration conjointe de médicaments qui rivalisent pour un même site de liaison aux protéines, par exemple l’acide valproïque et le diazépam, peut également augmenter la fraction libre de benzodiazépine plasmatique. Il semble cependant qu’aucune conséquence clinique d’importance n’ait pu être démontrée jusqu’à maintenant en lien avec ce phénomène [8,16,23]. C’est au niveau du métabolisme des benzodiazépines par les enzymes du cytochrome P450 (CYP450) que les interactions 590 P. Landry et al. / Annales Médico-Psychologiques 166 (2008) 585–594 les plus importantes sont susceptibles de survenir. Le système du CYP450 regroupe près de 40 isoenzymes, principalement hépatiques et intestinales, responsables du métabolisme des médicaments, de certaines substances endogènes et d’agents toxiques. Les familles d’isoenzymes CYP1A2, CYP2C9, CYP2C19, CYP2D6, CYP2E1 et CYP3A4 sont celles impliquées dans le métabolisme médicamenteux [21]. Selon cette classification, le premier chiffre représente la famille de l’isoenzyme tandis que la lettre majuscule représente son sous-groupe. Le dernier chiffre permet de distinguer entre elles les isoenzymes d’un même sous-groupe. Un médicament peut être un substrat, un inhibiteur ou un inducteur d’un isoenzyme. En tant que substrat, il est métabolisé par l’isoenzyme. En tant qu’inducteur, il augmente son activité métabolique et, en tant qu’inhibiteur, il diminue cette activité. Les interactions médicamenteuses surviennent lorsqu’un inhibiteur ou un inducteur d’une isoenzyme est administré conjointement avec un médicament substrat de cette même isoenzyme. En cas d’inhibition, la concentration du médicament substrat sera augmentée puisqu’il sera moins bien métabolisé ; en cas d’induction, sa concentration sera au contraire diminuée puisqu’il sera plus rapidement métabolisé. Pour plusieurs mais pas pour toutes les benzodiazépines, les risques d’interactions médicamenteuses concernent principalement les réactions d’oxydation médiées par le CYP3A4 (Tableau 2). D’autres isoenzymes sont impliqués dans le métabolisme de certaines benzodiazépines, notamment le CYP1A2 (alprazolam), le CYP2B4 et 2E1 (clonazépam), le CYP2C9, 2C19 et 2B6 (diazépam), le CYP2E1 (nitrazépam) et le CYP2C et 2D6 (flurazépam). Les antibiotiques kétoconazole et érythromycine, les corticostéroïdes ainsi que certains antidépresseurs de la classe des inhibiteurs spécifiques du recaptage de la sérotonine (ISRS) tels le fluoxétine, le fluvoxamine et la sertraline sont tous des inhibiteurs du métabolisme médié par le CYP3A4 et peuvent donc provoquer une accumulation de benzodiazépines métabolisées par cette voie lorsqu’ils sont administrés conjointement. Trois à quatre verres de jus de pamplemousse suffisent pour inhiber significativement dans l’intestin l’oxydation médiée par le CYP3A4 [46]. Il semble, en revanche, que le métabolisme par conjugaison serait relativement épargné [10]. Les hydrocarbures polycycliques aromatiques présents dans la fumée de la cigarette accélèrent le métabolisme des médicaments métabolisés par l’isoenzyme CYP1A2 mais augmenteraient le métabolisme du diazépam, du lorazépam et de l’alprazolam, quoique la voie métabolique reste à être précisée [13]. Tableau 2 Substrats, inhibiteurs et inducteurs de l’isoenzyme hépatique CYP3A4 4. CONSIDÉRATIONS PHARMACODYNAMIQUES DANS LE CHOIX D’UNE BENZODIAZÉPINE Substrats de l’enzyme Inhibiteurs du CYP3A4 Inducteurs du CYP3A4 Alprazolam Bromazepam Clonazepam Diazepam Midazolam Triazolam Antiépileptiques Carbamazépine Barbituriques Oxacarbazépine Phénytoïne Glucocorticoïdes Dexaméthasone Autres Oméprazole Millepertuis Pioglitazone Rifampine ISRS Fluoxétine Fluvoxamine Paroxétine Sertraline Antibiotiques Ciprofloxacine Clarithromycine Érythromycine Kétoconazole Itraconazole Norfloxacine Bloqueurs calciques Diltiazèm Vérapamil Inhibiteur de la protéase Indinavir Ritonavir Autres Cimétidine Contraceptifs oraux Corticostéroïdes Jus de pamplemousse Néfazodone 3.2. Interactions pharmacodynamiques Ce type d’interaction survient lorsqu’un médicament augmente l’activité pharmacologique d’un second médicament. Dans le cas des benzodiazépines, leur effet inhibiteur sur le système nerveux, qui se manifeste bien souvent par de la somnolence, est potentialisé par les antihistaminiques, les antidépresseurs de la classe des tricycliques, les antipsychotiques ayant des propriétés antihistaminiques, les opiacés, les barbituriques et l’alcool. Il est donc préférable d’éviter, si possible, de les joindre aux benzodiazépines car le risque d’effets indésirables augmente. Enfin, l’usage du lorazépam intramusculaire ou intraveineux est déconseillé avec l’olanzapine en raison du risque d’hypotension sévère [49] et avec la clozapine, puisque quelques décès sont rapportés [27]. 4.1. Mécanisme d’action L’acide gamma-aminobutyrique (GABA) est un neurotransmetteur dont la synthèse se fait par des neurones localisés à plusieurs endroits dans le SNC. Le GABA constitue le neurotransmetteur inhibiteur le plus répandu dans le SNC chez l’humain ; il facilite l’entrée du chlore (Cl ) dans les neurones et augmente, par le fait même, la charge négative du neurone. Ce processus physiologique favorise l’inhibition de l’activité cellulaire et ralentit la transmission nerveuse. Le mode d’action des benzodiazépines consiste à potentialiser l’effet inhibiteur du GABA [7,34]. Il y a au moins trois types de récepteurs GABA, soit le GABAA, le GABAB et le GABAC. Toutes les benzodiazépines se lient aux récepteurs GABAA uniquement. En se liant à ces récepteurs, les benzodiazépines seules n’ont aucun effet sur l’activité neurale. Leur efficacité provient du fait qu’elles potentialisent l’effet inhibiteur du GABA en augmentant l’entrée du chlore dans les neurones. Cette observation suscite plusieurs questions sur la présence des sites benzodiazépiniques dans le cerveau humain et suggère qu’il y aurait P. Landry et al. / Annales Médico-Psychologiques 166 (2008) 585–594 591 Fig. 1. Représentation schématique du récepteur GABAa. (a) Organisation en rosette du récepteur. (b) Vue latérale du récepteur et sites de liaison de différents médicaments. possiblement une substance endogène dans le système nerveux central (SNC) qui agit comme les benzodiazépines. Certains ont proposé que la diminution de cette substance endogène, non identifiée jusqu’à maintenant, serait responsable de divers troubles anxieux et du sommeil [38]. Les études en imagerie cérébrale ont de plus montré une diminution des sites de liaisons aux benzodiazépines dans l’encéphale des patients souffrant d’un trouble panique [5,31], et dans le lobe temporal des patients avec un trouble anxieux généralisé [47]. La Fig. 1 est une représentation schématique du récepteur GABAA. Ce récepteur est, en fait, une protéine composée de cinq sous-unités, elles-mêmes organisées sous la forme d’une rosette insérée dans la membrane du neurone (Fig. 1a). L’entrée d’ions de chlore se fait par le canal situé au centre de la rosette et l’ouverture du canal est modulée par le GABA, qui induit des changements dans la configuration des protéines de la rosette en se liant surtout à la sous-unité b [31,38]. Les benzodiazépines potentialisent l’effet du GABA en se liant aux sous-unités a, b et g. Les études plus récentes suggèrent un rôle spécifique pour chacune des sous-unités de la rosette. Par exemple, la liaison d’une benzodiazépine à la sous-unité a1, localisée surtout dans le tronc cérébral, favorise la sédation [32] alors que la liaison avec la sous-unité a2, localisée dans le système limbique, est davantage associée à une réponse anxiolytique [30]. Ces connaissances ont permis de mieux comprendre les propriétés sédatives des hypnotiques non benzodiazépinique tels le zopiclone, qui sont utilisés comme somnifères mais qui s’avèrent très peu efficaces comme anxiolytiques. Les hypnotiques non benzodiazépinique comportent néanmoins des effets indésirables similaires aux benzodiazépines, notamment l’amnésie antérograde et des symptômes de sevrage. L’usage prolongé d’une benzodiazépine modifie l’expression génétique et réduirait la synthèse des ARN messagers codant pour les sous-unités a1, a2, a3 et possiblement b. Cette modification dans la composition du récepteur GABA est en fait une autorégulation du récepteur et expliquerait le phénomène de tolérance aux benzodiazépines [4]. Le clonazépam, en plus de se lier comme les autres benzodiazépines aux sous-unités a, b et g, serait également un agoniste de la sérotonine. Cette caractéristique conférerait au clonazépam des propriétés thérapeutiques additionnelles pour réduire l’anxiété et la dépression chez le patient souffrant d’une dépression majeure mais non une dépression bipolaire [35,36,45,48]. Cette hypothèse est soutenue par les études en génétique moléculaire démontrant que l’absence de récepteurs sérotoninergiques modifie le nombre des sousunités dans la rosette et favorise l’anxiété dans un modèle animal [44]. Néanmoins, vu l’absence d’étude comparative avec une autre benzodiazépine, nous ne pouvons, pour l’instant, affirmer que cette caractéristique thérapeutique avantage le clonazépam. Soulignons qu’une étude récente rétrospective rapporte une réduction significative des rechutes et des hospitalisations chez les patients bipolaires traités avec une benzodiazépine, sans préciser lesquelles étaient prescrites [24]. Dans la Fig. 1b, on observe que le récepteur GABAA comporte plusieurs sites de liaison distincts, notamment pour le GABA, les benzodiazépines, les barbituriques, les neurostéroïdes (estrogène et autres) et l’alcool. On comprend donc mieux la dépendance croisée qu’on observe cliniquement entre ces différents produits. Les études récentes suggèrent qu’en présence d’une benzodiazépine, la sensibilité des récepteurs aux neurostéroïdes serait augmentée et ce phénomène d’adaptation réduirait les symptômes de sevrage lors de l’arrêt de la benzodiazépine [33]. Toutefois, les études sont insuffisantes pour conclure que ces nombreux mécanismes d’adaptation cellulaire diffèrent selon le type de benzodiazépine utilisée. En résumé, la recherche a permis de préciser les mécanismes d’inhibition du SNC, de la dépendance et de tolérance, mais aucune différence significative entre les 592 P. Landry et al. / Annales Médico-Psychologiques 166 (2008) 585–594 benzodiazépines n’a pu être démontrée quant à leur mécanisme d’action, sauf pour une activité sérotoninergique du clonazépam. Les avantages thérapeutiques de cette caractéristique du clonazépam demeurent à être comparés à d’autres benzodiazépines dans des études contrôlées plus spécifiquement dans la dépression majeure unipolaire. Ainsi, les connaissances moléculaires apportent peu d’information probante pouvant orienter le prescripteur dans son choix d’une benzodiazépine. 5. CONSIDÉRATIONS PHARMACOLOGIQUES ET SITUATIONS MÉDICALES PARTICULIÈRES En général, il y a peu de problèmes médicaux associés à l’utilisation d’une benzodiazépine qui nécessiteraient une surveillance accrue lors du suivi thérapeutique. Mentionnons tout de même qu’il est préférable d’éviter les benzodiazépines durant le premier trimestre d’une grossesse, car il y a un risque, quoique très minime, d’un effet tératogène [14]. Aussi, la fonction hépatique d’un nouveau-né est peu développée et le bébé ne peut métaboliser les médicaments de façon adéquate. Pour cette raison, il est généralement recommandé de cesser les benzodiazépines au moins une à deux semaines avant l’accouchement pour prévenir l’apparition d’effets indésirables durant les jours qui suivent la naissance (par exemple, un trouble de succion ou une diminution du tonus musculaire). Chez l’adulte qui souffre d’une insuffisance hépatique, comme c’est le cas avec la cirrhose du foie ou l’hépatite, il faut réduire les doses de la plupart des benzodiazépines, car le métabolisme hépatique est grandement altéré. Telle que soulignée précédemment, cette précaution est moins indiquée pour l’oxazépam, le lorazépam et le témazépam. Chez la personne âgée, les changements pharmacocinétiques causés par une réduction du métabolisme hépatique et une diminution de la liaison aux protéines plasmatiques peuvent augmenter la demi-vie des benzodiazépines et induire davantage d’effets indésirables. Les modifications physiologiques du SNC qui surviennent avec l’âge avancé favoriseront la somnolence et une plus grande atteinte cognitive, ce qui se traduira par de la désorientation et de l’agitation. Pour ces raisons, il est recommandé de réduire la dose des benzodiazépines de moitié chez les personnes âgées et d’éviter les benzodiazépines avec une longue demi-vie ou qui ont des métabolites actifs. Enfin, les benzodiazépines sont contre-indiquées chez le patient qui souffre d’apnée du sommeil, de trouble respiratoire sévère ou de myasthénie grave. Il faut réduire considérablement les doses chez les patients en attente d’une greffe pulmonaire, cardiaque, hépatique ou rénale, car une défaillance d’un organe majeur entraîne des changements physiologiques importants et généralisés, notamment au niveau de l’absorption intestinale, de la concentration de protéines plasmatiques et de la redistribution de la circulation sanguine, en particulier la circulation hépatique qui a comme effet de modifier la vitesse d’élimination des médicaments. Chez les sujets en attente d’une greffe pulmonaire, le traitement de l’anxiété avec un antidépresseur est recommandé, car il y a un risque de dépression respiratoire avec les benzodiazépines [11]. 6. USAGE DES BENZODIAZÉPINES EN PSYCHIATRIE Le choix d’un médicament est déterminé par son efficacité thérapeutique, son profil d’effets secondaires et sa facilité d’administration [28,29]. Les benzodiazépines ont sensiblement le même profil d’efficacité, et les effets sédatif ou hypnotique sont fonction des doses utilisées. En raison du potentiel élevé de dépendance, le prescripteur doit toujours se demander s’il y a un médicament autre qu’une benzodiazépine ou encore une approche thérapeutique autre que pharmacologique qui permettrait d’atteindre le même objectif clinique sans exposer le patient à un problème de sevrage éventuel aux benzodiazépines. Ainsi, en tenant compte des considérations pharmacologiques que nous avons développées jusqu’à maintenant, le prescripteur devrait être en mesure de répondre aux questions suivantes avant de débuter une benzodiazépine pour un trouble psychiatrique : quel est le diagnostic psychiatrique et quels sont les symptômes ciblés par la médication ? s’agit-il de symptômes ponctuels et transitoires ou sont-ils présents sur une base continue ? le patient prend-il d’autres médicaments ? le patient souffre-t-il d’un problème médical pouvant modifier l’absorption ou l’élimination d’une benzodiazépine ? Généralement, le médecin devrait prescrire la plus petite dose disponible et augmenter très graduellement la posologie en fonction de la réponse clinique. Dans ces conditions, la médication est bien tolérée, mais il demeure tout de même préférable pour le patient non hospitalisé de faire un premier essai lors d’une journée de congé et ne pas conduire son automobile. Cette approche réduira les conséquences des effets indésirables potentiels, notamment la sédation pouvant nuire au travail ou lors d’autres activités quotidiennes. Dans l’éventualité où une benzodiazépine serait administrée plus de trois à quatre semaines, les risques de dépendance et de sevrage à l’arrêt sont réels et une approche graduelle à la cessation est recommandée pour minimiser les symptômes de sevrage et l’inconfort du patient [28]. Les benzodiazépines sont très souvent utilisées dans les troubles anxieux. Il est bon de rappeler qu’elles ne sont pas indiquées pour le traitement d’un trouble de stress posttraumatique, puisque le risque d’une comorbidité dépressive serait augmenté [6,20] et elles peuvent aussi réduire l’efficacité d’un traitement cognitivocomportemental, notamment dans le trouble panique [41]. 7. CONCLUSION Au cours des 50 dernières années, nous avons cumulé beaucoup d’informations cliniques sur les aspects pharmacocinétiques, pharmacologiques, les interactions médicamenteuses et l’utilisation thérapeutique des benzodiazépines. Les aspects pharmacocinétiques sont parmi les caractéristiques les plus importantes dans le choix d’un médicament. Les benzodiazépines avec une demi-vie intermédiaire sont indiquées pour un usage ponctuel le jour ou pour insomnie, alors P. Landry et al. / Annales Médico-Psychologiques 166 (2008) 585–594 que les benzodiazépines avec une longue demi-vie sont indiquées lorsqu’on désire un effet plus soutenu, mais cellesci peuvent augmenter l’occurrence des effets secondaires dus à l’accumulation du médicament. Le métabolisme des benzodiazépines par la voie hépatique nous contraint à les utiliser avec précaution chez les patients souffrant d’une maladie hépatique, les personnes âgées ou chez ceux qui prennent des médicaments qui modifient l’activité enzymatique hépatique. Le mode d’action des benzodiazépines consiste à potentialiser l’effet inhibiteur de GABA dans le système nerveux central et, à ce niveau, il ne semble pas y avoir de différence entre elles sauf pour le clonazépam qui agit également sur la transmission sérotoninergique qui permettrait une plus grande stabilité chez les déprimés unipolaires. Grâce à la recherche fondamentale, on espère assister à l’émergence de traitements pharmacologiques plus spécifiques des divers troubles liés aux récepteurs GABA, notamment les troubles anxieux et les troubles du sommeil, qui minimiseraient les effets indésirables liés à l’utilisation et au sevrage du médicament. CONFLIT D’INTÉRÊT Aucun. 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