CAS CLINIQUE Mots-clés Baisse d’acuité visuelle – Uvéite – Sclérose en plaques Keywords Decreased visual acuity – Uveitis – Multiple sclerosis Quand la vue sème le trouble… When the view sow disorder… A. Fromont*, P. Koehrer**, T. Moreau* Observation Mme RS, âgée de 37 ans, sans antécédent médical personnel mais dont la mère est suivie pour un trouble ophtalmologique nécessitant une corticothérapie au long cours, présente entre mars 2012 et septembre 2013 6 épisodes neurologiques, de quelques semaines, d’instabilité ou de faiblesse du membre inférieur droit ou d’impériosités mictionnelles. Elle ne consulte qu’en décembre 2013, alors qu’elle a une marche avec embardées et une paraparésie avec paresthésies de la main droite. Le bilan biologique ne montre pas de syndrome inflammatoire. La ponction lombaire (PL) est normale. La recherche de synthèse intrathécale d’immunoglobulines G (IgG) et de bandes oligoclonales n’est alors pas réalisée. L’IRM encéphalique révèle plusieurs hypersignaux T2 FLAIR périventriculaires et un hypersignal du pédoncule cérébelleux moyen gauche non rehaussés après injection de gadolinium. L’IRM médullaire est considérée comme normale. La patiente est traitée par bolus de méthylprednisolone, puis un traitement immunomodulateur (interféron β-1a [IFNβ-1a] en sous-cutané [s.c.]) est commencé pour une sclérose en plaques (SEP) rémittente. En août 2014, la patiente consulte au CHU de Dijon. Depuis 3 semaines, elle a constaté l’apparition d’un scotome devant l’œil gauche sans douleur à la mobilisation du globe oculaire. L’acuité visuelle est de 1/10 P2 à gauche. Le fond d’œil révèle des plis choroïdiens bilatéraux avec un certain degré de dépigmentation choroïdienne sans inflammation du segment antérieur ou postérieur, ni papillite ou vascularite (figure 1). La tomographie par cohérence optique (OCT) confirme des plis choroïdiens et montre de larges décollements séreux rétiniens (DSR) cloisonnés (figure 2). L’angiographie à la fluorescéine montre, du côté gauche, une discrète diffusion de fluorescéine papillaire et, aux temps tardifs, des points de fuite (pin-points) avec remplissage des DSR (figure 3). * Service de neurologie 2, pathologies inflammatoires et neurologie générale, CHU de Dijon. ** Service d’ophtalmologie, CHU de Dijon. 68 | La Lettre du Neurologue • Vol. XIX - no 3 - mars 2015 ▲ Figure 1. Fond d’œil avec plis choroïdiens bilatéraux et aspect de pâleur choroïdienne à gauche. L’angiographie au vert d’indocyanine montre un remplissage choroïdien hétérogène avec aspect de vascularite choroïdienne et des hypocyanescences ponctiformes bilatérales aux temps tardifs, en faveur d’un CAS CLINIQUE ▲ Figure 2. Cliché infrarouge du pôle postérieur (à gauche) corrélé au SD-OCT maculaire (plan de coupe : la ligne verte, à droite) de l’œil gauche : aspect de plis choroïdiens et larges DSR multicloisonnés. processus inflammatoire choroïden (figure 4). Les ophtalmologistes concluent à une maladie de Vogt-Koyanagi-Harada (VKH). L’examen neurologique retrouve un périmètre de marche limité à 1 km avec une marche cérébellospastique. La marche du funambule est impossible. La patiente n’a aucun déficit moteur, les réflexes ostéotendineux sont très vifs et symétriques avec un signe de Babinski bilatéral. La sensibilité au tact et au froid est préservée avec une hypopallesthésie des hallux. L’examen retrouve un syndrome cérébelleux cinétique du membre supérieur droit et des membres inférieurs. L’extrémité céphalique est normale en dehors de la baisse de l’acuité visuelle à gauche. La patiente rapporte des impériosités mictionnelles. Elle n’a ni poliose, ni livedo, ni alopécie. La consultation ORL est normale. Son typage HLA est HLA DRB1*04-05. Après enquête auprès des ophtalmologistes, sa mère souffrait d’un VKH. La patiente est hospitalisée. Le bilan biologique standard est normal sans syndrome inflammatoire ; le bilan auto-immun est sans particularité. La PL retrouve 46 globules blancs/mm3, dont 97 % de cellules mononucléées, des globules rouges, une protéinorachie et une glycorachie normales. Elle révèle la présence d’une synthèse intrathécale d’IgG avec index de Link à 0,78 et présence de bandes oligoclonales. L’IRM cérébrale est stable (figure 5, p. 70). L’IRM médullaire révèle un hypersignal T2 à la hauteur de C4 latéralisé à gauche et un C5 latéralisé à droite, non rehaussés par le gadolinium (figure 6, p. 70). Un traitement par bolus de méthylprednisolone pendant 3 jours, relayé par une corticothérapie per os à 1 mg/kg/j est instauré avec arrêt de l’IFNβ-1a. Au bout de 2 mois, l’acuité visuelle à gauche est normalisée avec disparition des DSR en OCT (figure 7, p. 71). Un traitement par diméthyl-fumarate est commencé. ▲ Figure 3. Angiographie au vert d’indocyanine aux temps précoces objectivant un remplissage choroïdien hétérogène et un aspect de vascularite choroïdienne. ◀ Figure 4. Angiographie à la fluorescéine (à gauche) montrant des points de fuite (pin-points) et un pooling du colorant dans les poches de DSR aux temps tardifs. Angiographie au vert d’indocyanine (à droite) montrant des hypocyanescences tardives. La Lettre du Neurologue • Vol. XIX - no 3 - mars 2015 | 69 CAS CLINIQUE ▲ Figure 5. IRM encéphalique séquence T2 FLAIR : hypersignaux périventriculaires et du pédoncule cérébelleux moyen gauche. ◀ Figure 6. IRM médullaire : séquence T2 sagittale et T2 axiale. Hypersignal T2 à la hauteur de C4 latéralisé à gauche et un C5 latéralisé à droite. 70 | La Lettre du Neurologue • Vol. XIX - no 3 - mars 2015 CAS CLINIQUE ▲ Figure 7. Disparition des DSR en OCT. Discussion Le VKH est une méningo-encéphalo-uvéite qui répond à des critères diagnostiques précis (encadré) [1]. La physiopathologie du VKH serait liée à l’activation de lymphocytes T par des peptides dérivés des mélanocytes présentés par des cellules présentatrices d’antigènes. Les lymphocytes T activés seraient dirigés contre les tissus contenant des mélanocytes (méninges, uvée, peau, oreilles) [2]. F.M. Damico et al. (3) ont montré que les lymphocytes T des patients HLA DRB1*04-05 et VKH reconnaissent un répertoire de peptides dérivés des mélanocytes plus large que ceux HLA DRB1*04-05 négatifs. Le VKH comporte 4 phases (3). Les prodromes de la première phase se manifestent par un syndrome pseudogrippal (fièvre, nausées, etc.), des signes et des symptômes neurologiques (céphalées, méningoencéphalite aseptique, atteinte des nerfs crâniens, syndrome cérébelleux, hémiparésie, aphasie, dysarthrie, troubles vésicosphinctériens, atteintes périphériques à type de polyradiculonévrite aiguë). À ce stade, le liquide cérébrospinal révèle une pléiocytose dans 80 % des cas dans la semaine qui suit le début. Les prodromes peuvent être suivis en quelques jours par une phase d’uvéite aiguë, bilatérale, rarement symétrique, diffuse avec hyperhémie et DSR. L’inflammation peut s’étendre au segment antérieur de l’œil. Après plusieurs semaines, une phase de convalescence survient pendant laquelle peuvent apparaître des dépigmentations des téguments et de la choroïde. Chez les deux tiers des patients, une phase récurrente 1. Absence d’antécédent de traumatisme oculaire ou de chirurgie avant le début de l’uvéite 2. Absence d’autres pathologies oculaires 3. Atteinte oculaire bilatérale 4. Présence de symptômes neurologiques/auditifs 5. Présence de signes cutanés ne précédant pas le début de la maladie ophtalmologique ou les manifestations neurologiques ➜ VKH complet si présence des 5 critères ; incomplet si présence des critères 1 à 3 et l’un des quatrième ou cinquième critères, probable si présence uniquement des critères 1 à 3 Encadré. Critères diagnostiques du VKH. ou chronique apparaît caractérisée par des épisodes récidivants d’uvéites antérieures. Les récurrences d’uvéites postérieures sont plus rarement observées au fond d’œil. Notre observation soulève une question : s’agit-il d’un VKH seul ou d’un VKH associé à une SEP ? Plusieurs arguments plaident en faveur de la deuxième hypothèse : l’histoire clinique de la patiente, la présence de bandes oligoclonales et l’existence d’une atteinte médullaire. Si cette dernière est rapportée dans quelques cas de VKH (4), elle s’explique mal puisqu’il n’y a pas de mélanocytes dans la moelle. De plus, 1 cas de VKH associé à une SEP est rapporté dans la littérature (5). Le rôle de l’IFNβ dans la survenue du VKH se pose. Des cas de VKH ont été rapportés sous IFNα utilisé pour le traitement de l’hépatite B, mais pas sous IFNβ (6, 7). Le traitement du VKH repose sur une corticothérapie au long cours avec diminution progressive sur 6 mois afin d’éviter les récurrences et pour un meilleur pronostic visuel. En cas de récidive malgré un traitement adéquat par corticoïdes, des traitements immunosuppresseurs peuvent être nécessaires (ciclosporine, azathioprine, mycophénolate mofétil, anti-TNF α) [8]. ■ Les auteurs n’ont pas précisé leurs éventuels liens d’intérêts. Références bibliographiques 1. Read RW, Holland GN, Rao NA et al. Revised diagnostic criteria for Vogt-Koyanagi-Harada disease: report of an international committee on nomenclature. Am J Ophthalmol 2001;131(5):647-52. 2. Sakata VM, da Silva FT, Hirata CE et al. Diagnosis and classification of Vogt-Koyanagi-Harada disease. Autoimmun Rev 2014;13(4-5):550-5. 3. Damico FM, Cunha-Neto E, Goldberg AC et al. T-cell recognition and cytokine profile induced by melanocyte epitopes in patients with HLA-DRB1*0405-positive and negative Vogt-Koyanagi-Harada uveitis. Invest Ophthalmol Vis Sci 2005;46(7):2465-71. 4. Gu S, Liu Y, Song Z et al. Acute myelitis in a patient with Vogt-Koyanagi-Harada disease: case report and review of the literature. J Clin Neurol 2013;9(1):61-4. 5. Montero JA, Sanchis ME, Fernandez-Munoz M. Vogt-Koyanagi-Harada syndrome in a case of multiple sclerosis. J Neuroophthalmol 2007;27(1):36-40. 6. Al-Muammar AM, Al-Mudhaiyan TM, Al Otaibi M et al. Vogt-Koyanagi-Harada disease occurring during interferon-alpha and ribavirin therapy for chronic hepatitis C virus infection. Int Ophthalmol 2010;30(5):611-3. 7. Lim JH, Lee YN, Kim YS et al. Vogt-Koyanagi-Harada disease occurring during pegylated interferon-α2b and ribavirin combination therapy for chronic hepatitis C. Korean J Hepatol 2011;17(1):61-5. 8. Greco A, Fusconi M, Gallo A et al. Vogt-Koyanagi-Harada syndrome. Autoimmun Rev 2013;12(11):1033-8.