La gestion conservatoire des dépressions tourbeuses intra

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ÉOCARREFOUR
Yves
PETIT-BERGHEM
Laboratoire Géophen
CNRS LETG UMR 6554
Université de Caen
RÉSUMÉ
Le littoral du nord-ouest de
la France est occupé en
grande partie par des dunes
d’ampleur variable dont la
valeur patrimoniale est
aujourd’hui reconnue. Ces
dunes offrent aux visiteurs
qui les parcourent des
paysages variés parmi
lesquels émergent des
dépressions tourbeuses
chargées d’une valeur
affective et dignes du plus
grand intérêt pour les
naturalistes. Ces zones
humides représentent des
territoires d’exception dans
la mesure où elles
constituent des sites
d’accueil pour des espèces
végétales ou animales
menacées de disparition. La
survie de ces espèces est
conditionnée par des
pratiques de gestion
respectueuses de la qualité
de l’environnement. Une
gestion conservatoire est
appliquée de nos jours et
permet grâce à des
réglementations et à des
outils techniques adaptés de
conserver ou restaurer une
biodiversité dans les espèces
ou dans les paysages.
MOTS CLÉS
Tourbe, dune littorale,
gestion durable, génie
écologique, suivi, France
septentrionale.
ABSTRACT
The north-western coast of
France is mainly covered
with dunes of variable
extent whose value as part
of the national heritage is
nowadays fully recognized.
To people visiting them,
these dunes offer a variety of
landscapes including peaty
slacks well-loved by those
familiar with them and of
the greatest interest to
naturalists. They can be
considered as exceptional
areas in that they provide
privileged sites for
endangered plant and
animal species. The survival
of these species depends on
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La gestion conservatoire des
dépressions tourbeuses intradunales : l’exemple des dunes du
Nord de la France
Le littoral du nord de la France (Nord-Pas-deCalais, Picardie, Normandie) est occupé par des
dunes d’ampleur variable dont la valeur
patrimoniale est aujourd’hui reconnue. Lorsque les
conditions topographiques s’y prêtent (bas de
dune, proximité de la nappe phréatique), des
dépressions humides apparaissent et permettent à
l’hygrosère dunaire1 de se développer. Une petite
couverture de tourbe dans ces dépressions
autorise la venue de plantes turficoles dont
certaines sont menacées de disparition. Ces
plantes répondent à des conditions de pleine
lumière et représentent les stades initiaux des
séries dynamiques de végétation. La fixation de la
dune (qui ne se justifie plus aujourd’hui) a bloqué
la dynamique dunaire qui, elle seule, conditionne
la genèse, puis le développement des dépressions
tourbeuses. Cette fixation a figé les massifs
dunaires et a du même coup généré un processus
de vieillissement des dépressions existantes. La
végétation a répondu à ce processus en se
densifiant et en se banalisant (développement de
fourrés arbustifs). Dans un contexte de
développement durable et de préservation des
écosystèmes tourbeux de la dune, les structures
gestionnaires ont réagi en mettant en place une
stratégie de gestion conservatoire de ces
dépressions. Quels sont les principes généraux de
cette stratégie ? Quels sont les moyens mis en
œuvre ? Quelles sont les difficultés rencontrées sur
le terrain ? Nous tenterons de répondre à ces
questions après avoir présenté ces dépressions et
les enjeux qui leur sont associés.
la présence d’espèces particulières à tendance
hygrophile.
DES TOURBIÈRES JEUNES ET DE DIMENSIONS
VARIABLES
La biodiversité des dépressions est plurielle. Elle
est d’abord écologique puisqu’elle repose sur la
diversité des habitats. Elle est ensuite biologique
puisque associée à des espèces sensibles
(diversité spécifique) qui trouvent dans les
dépressions les conditions de site (microtopographie, hauteur d’eau, ouverture du milieu)
nécessaires à leur survie. Elle est aussi de nature
fonctionnelle et illustrée par la coexistence, dans
un même habitat, d’espèces qui utilisent, de façon
différente mais complémentaire, les ressources du
milieu. Cette biodiversité est enfin culturelle, car
liée à un passé et à une identité régionale avec des
pratiques et des choix sociétaux (protections,
atteintes, etc.) qui ont pu avoir des conséquences
sur la valeur patrimoniale des dépressions.
En bord de mer, des petites dépressions fermées
peuvent avoir, saisonnièrement ou durablement,
un fond humide voire marécageux. Dans le nordouest de la France, ces dépressions humides sont
plus ou moins allongées et situées à l’arrière des
cordons dunaires littoraux. Ces dépressions sont
propices à la formation de tourbières
thalassogènes qui naissent au contact entre les
eaux douces et les eaux marines (Dupieux, 1998).
En position basse, des dunes paraboliques
développées perpendicu-lairement aux vents
dominants vont être à l’origine de la plupart des
dépressions humides. La nappe d’eau douce dans
les dépressions est alimentée par l’infiltration des
pluies, mais aussi par les suintements souterrains
provenant des reliefs environnants (plateau
arrière-côtier, ancienne falaise littorale). Mais le
niveau d’eau dépend surtout des précipitations et
s’avère donc fluctuant d’une saison à l’autre. En
été, même si l’eau s’est complètement retirée, les
dépressions se signalent par une végétation
originale, plus verte, plus dense, mais surtout par
En Basse-Normandie, les dunes du littoral abritent
des dépressions de dimensions variées dont
certaines se sont transformées en mares
permanentes plus ou moins végétalisées
(l’exemple de la mare de Vauville classée en
réserve naturelle depuis 1976). Les dépressions les
plus représentatives se situent dans les deux
massifs dunaires les plus imposants du littoral, le
massif de Vauville-Biville situé entre deux caps (La
Hague et Flamanville) et celui d’Hatainville sis
entre la pointe de Rozel et le cap de Carteret (PetitBerghem, 2002). Ces deux grands édifices
dunaires montent à l’assaut de la falaise fossile et
en tapissent les flancs. Dans le Cotentin occidental,
et plus particulièrement au nord du cap de
Carteret, les dépressions humides sont
nombreuses à tel point que le Symel 2 en a
recensées plus de 350 pour une superficie estimée
à 145 ha (Galloo et al., 2002). Dans les massifs
dunaires picards ou flamands, à l’exception de
quelques sites au sud de Boulogne-sur-mer, les
dépressions sont plus isolées au sein d’une
xérosère fortement embroussaillée. Elles ne
représentent qu’une assez faible superficie par
rapport à la dimension totale des sites.
DES DÉPRESSIONS
BIODIVERSITÉ
RÉSERVOIRS
DE
Une biodiversité à plusieurs niveaux
Les dépressions tourbeuses abritent des
communautés végétales caractéristiques des
systèmes dunaires tourbeux alcalins nordatlantiques. L’habitat générique correspond aux
dépressions humides intradunales (code 2190 de
l’Union européenne). Cet habitat est décliné en
cinq habitats élémentaires3 selon des critères
biogéographiques et écologiques. Lorsque le
substrat est minéral, ou peu enrichi en matière
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La gestion conservatoire des dépressions tourbeuses intra-dunales du nord de la France
organique, apparaissent des pelouses rases riches
en espèces patrimoniales (Sagina nodosa var.
monoliformis, Littorella uniflora, Gnaphalium
luteo-album). Ces espèces sont caractéristiques
des eaux peu profondes, oligotrophes et très
légèrement chlorurées. Plus en retrait, nous
trouvons des bas-marais tourbeux de bas niveau
riches en espèces turficoles comme le choin
noirâtre (Schoenus nigricans) et la linaigrette à
feuilles étroites (Eriophorum polystachion). On
retrouve également des espèces végétales de
grande valeur patrimoniale, certaines ayant des
affinités boréales ou thermo-atlantiques, comme la
parnassie des marais (Parnassia palustris), la
pyrole à feuilles rondes (Pyrolus rotundifolia) ou
diverses orchidées comme l’épipactis des marais
(Epipactis palustris) ou le liparis de Loesel (Liparis
loeselii) (Photo 1).
La plupart de ces espèces sont très sensibles aux
variations des hauteurs d’eau et affectionnent les
sols avec un horizon tourbeux supérieur. Sur les
sols organo-minéraux moins longuement inondables, prend place une végétation herbacée plus
haute et moins ouverte dominée physionomiquement par les monocotylédones (graminées,
joncacées, cypéracées). Une plus grande fermeture du milieu aboutit à des formations prairiales
dominées par les graminées puis à des végétations
hautes et fermées de type roselière ou mégaphorbiaie.
Les dépressions et marais arrière-dunaires sont
des sites très attractifs pour certaines espèces
d’oiseaux liées aux zones humides à condition que
les perturbations y soient limitées. Le chevalier
gambette, l’huîtrier pie, le vanneau huppé, la
bécassine des marais ou la mouette
mélanocéphale sont, entre autres, des espèces
amenées à séjourner dans les dépressions et aussi
à s’y reproduire. De même, la diversité en insectes
aquatiques et en amphibiens (tritons, grenouilles,
crapauds) est grande et certaines espèces sont
menacées de disparition comme le triton crêté,
espèce visée à l'annexe II de la directive Habitats.
Une biodiversité étonnante et la présence
d’espèces très rares en France, voire en Europe,
font de ces écosystèmes des milieux privilégiés et
de véritables laboratoires à ciel ouvert.
Une biodiversité menacée
Les dépressions tourbeuses sont donc reconnues
par leur valeur biologique, écologique et
paysagère, mais aussi par leur valeur d’usage.
Mais aujourd’hui, la pérennité à long terme de ces
dépressions humides ne semble pas totalement
assurée. La raison de cet état de fait est liée au
degré d’ancienneté de ces dépressions et à la
dynamique de la végétation qui s’y est développée. En effet, les massifs dunaires sont, de nos
jours, bien végétalisés et stabilisés et la
dynamique éolienne n’est pas suffisamment active
pour engendrer la création de nouvelles
dépressions au fond des caoudeyres 4 . Les
dépressions sont donc anciennes et les différentes
communautés pionnières qui se différencient
normalement en auréoles plus ou moins
concentriques, depuis les niveaux aquatiques
permanents (herbiers aquatiques, bas-marais)
jusqu’aux fourrés bas longuement inondables, ne
sont plus toujours apparents. Au contraire, le
développement localisé de massifs arbustifs s’est
généralisé dans et autour des dépressions. Un
autre facteur n’est pas étranger à cette progression
des ligneux : la diminution du lapin de garenne
sous l’effet de la myxomatose depuis les années
1950-1960. Le lapin ne contrôlant plus la
végétation dunaire, d’importants fourrés se sont
développés ; l’extension des ligneux s’est
accompagnée d’une baisse du niveau de la nappe
par augmentation de l’évapotranspiration. Certes,
le développement des arbustes sur le rebord des
dépressions crée une zone abritée du vent
favorable aux oiseaux d’eau. Mais, cette évolution
porte atteinte à la valeur du patrimoine naturel et
aux milieux aquatiques associés. Avec l’atterrissement et l’assèchement progressif, il y a accélération de la dynamique végétale, par densification
de la végétation puis embroussaillement à la
faveur d’années de sécheresse. La progression
des ligneux devient problématique à partir du
moment où la tourbe atteint un stade dit
minéralisé. L’assèchement conduit à la disparition
des communautés végétales les plus originales,
celles qui caractérisent les niveaux moyens et bas
les plus longuement inondables dans les vastes
dépressions herbacées parfois creusées de mares
anciennes toujours en eau. En se fermant, les
dépressions disparaissent ou du moins
deviennent moins nombreuses, surtout depuis
que les gestionnaires ont interrompu le cycle
naturel des dunes en les stabilisant et en les
fractionnant avec le développement des stations
balnéaires au cours du siècle passé. Dans le
département de la Manche, l’assèchement peut
être aggravé avec l’intensification des pratiques
agricoles sur les mielles (cultures maraîchères sur
sable) et la multiplication des pompages qui
l’accompagne. En Flandre, le drainage des polders
ou de l’arrière-dune, associé à l’installation de
captages d’eau souterraine, a produit les mêmes
effets. Près de la frontière belge, il faut également
noter les remblaiements ou décharges liés aux
aménagements touristiques ou portuaires mal
contrôlés (Provoost et al., 2002). Ces processus
conduisent à moyen terme à la disparition des
végétations tourbeuses. Ailleurs, la politique
d’enrésinement menée jusqu’aux années 19701980 dans ou autour des dépressions a pu
remplacer les habitats naturels et encourager
l’apparition de broussailles. Dans beaucoup de
sites, les pins subventionnés par le Fonds forestier
management practices
respecting the quality of the
environment. Today a
management policy of
conservation is being
implemented and, thanks to
regulation and the use of
technical means adapted to
the situation, it has become
possible to preserve or
restore biodiversity in the
species or the landscapes.
KEY WORDS
Peat, coastal dune,
sustainable management,
ecological engineering,
monitoring, Northern
France.
1 - Succession végétale dont le
premier stade est un substrat
humide nu. L’antonyme correspond à la xérosère dunaire.
2 - Le Symel est le Syndicat
mixte des espaces littoraux de
la Manche.
3 - Ces cinq habitats élémentaires sont : les mares dunaires, les pelouses pionnières
des pannes, les bas-marais
dunaires, les prairies humides
duna ires , les ros eliè re s e t
cariçaies dunaires.
4 - Les c a o u d e y r e s ( t e r m e
gascon) désignent des excavati ons de petite dim ens ion
(quelques m2) susceptibles de
se développer en largeur et en
profondeur si les conditions du
milieu s’y prêtent (vent fort,
absence de stabilisation par la
végétation). Les caoudeyres
qui s’élargissent constituent
l’amorce des futures dunes
paraboliques.
La gestion conservatoire des dépressions tourbeuses intra-dunales du nord de la France
national ont réduit la mobilité du sable, baissé la
nappe phréatique et acidifié les sols.
Pour contrer ces phénomènes, les structures
gestionnaires ont réagi en mettant en place une
gestion conservatoire du milieu. La gestion
conservatoire des dépressions tourbeuses s’est
développée progressivement en France depuis
une dizaine d’années. Initiée dans la région NordPas-de-Calais, elle s’est ensuite étendue en
Picardie puis en Haute et en Basse-Normandie.
L’échange d’expériences et de connaissances
permet aujourd’hui d’intervenir au plus juste. Le
savoir-faire des techniciens permet de mettre en
œuvre différents protocoles d’intervention et de
suivi et aussi de mieux comprendre les mécanismes de réponse des milieux tourbeux aux expérimentations et aux modes de gestion appliqués.
LA
GESTION
DÉPRESSIONS
CONSERVATOIRE
DES
Une bonne gestion passe par une meilleure
connaissance du milieu. Le fonctionnement hydropédologique des tourbières, tout comme la
localisation précise des espèces remarquables,
sont par exemple des données fondamentales
qu’il faut acquérir avant d’entreprendre la gestion.
De même, un diagnostic écologique des sites
d’étude est absolument nécessaire, car il permet
d’établir un état des lieux et d’évaluer les enjeux et
les potentialités. Quelles sont la faune et la flore
existantes ou potentielles ? Existe-t-il des espèces
à forte valeur patrimoniale ? Quelle valeur attribuer
aux différentes dépressions et comment évoluentelles actuellement ? Cette phase de diagnostic met
souvent en exergue la raréfaction d’habitats
pionniers associée à la disparition d’espèces
herbacées à intérêt patrimonial. Elle montre aussi
que les sites ont souvent été modifiés tant à
travers la dynamique de la végétation (disparition
des cortèges turficoles typiques) qu’à travers du
fonctionnement hydrologique. A partir du
diagnostic, il est ensuite possible de définir un
certain nombre d’objectifs de gestion et de
moyens permettant de les atteindre.
Les objectifs de gestion et les outils techniques
employés
Ces objectifs de gestion peuvent se décliner en
plusieurs points :
Assurer le bon fonctionnement hydrologique des
sites
Dans les dépressions dunaires, l’eau est fondamentale, car c’est elle qui conditionne le
fonctionnement et la dynamique des communautés végétales et animales. L’hydrologie du site est
une préoccupation première et permanente qui
passe avant tout traitement appliqué à la
végétation. La gestion de l’eau est à la fois
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qualitative et quantitative. Si la préservation des
habitats est étroitement liée à la qualité de la
nappe sous-jacente (teneur réduite en nitrates,
acidité modérée, etc.), elle est aussi fortement
dépendante des variations des niveaux
saisonniers. Les périodes de sécheresse sont
particulièrement redoutées. Pour faciliter le
maintien de l’eau, il est nécessaire de réaliser un
rajeunissement périodique de certaines
dépressions par curage et/ou faucardage. Il s’avère
important d’améliorer les conditions d’habitats en
adoucissant la pente des berges, en diversifiant les
substrats et les vitesses d’écoulement. De telles
opérations permettent d’accroître la diversité des
biotopes et de favoriser aussi l’expression des
végétations semi-aquatiques.
Optimiser la biodiversité
Les habitats herbacés sont les plus diversifiés sur
le plan floristique et les plus menacés. Pour
favoriser ceux dont les potentialités floristiques
sont les plus remarquables, le maintien d’un
niveau d’eau optimal doit être associé à la
réhabilitation de pratiques de gestion extensives
traditionnelles, seules garantes de la conservation
de ces habitats. Comme aux Pays-Bas (Van Boxel
et al., 1997), des pratiques novatrices, telles que la
réactivation de la dynamique dunaire, permettent
de voir réapparaître des cortèges végétaux
typiques de l’hygrosère dunaire. En effet, depuis
quelques années, la tendance est de réinitialiser
les processus dynamiques caractéristiques de la
dune en mouvement et donc de permettre à des
plantes pionnières de réapparaître. Cette tendance
d’abord observée aux Pays-Bas puis en Belgique
et dans les Iles Britanniques (Owen et al., 2004)
s’est étendue dans le nord-ouest de la France
principalement dans les sites suffisamment
étendus et classés en réserve naturelle ou
biologique (dunes flamandes, du Pas-de-calais ou
de Picardie). Si la libre expression des processus
dynamiques de la dune est essentielle pour rouvrir
le milieu et créer de nouvelles formes et donc de
nouvelles dépressions, elle ne suffit pas toujours,
car beaucoup de dépressions sont parvenues à
des stades de maturité trop avancés. Aussi, pour
contrer cette évolution dynamique signe
d’appauvrissement de la biodiversité, l’intervention humaine est nécessaire et consiste à rajeunir
certaines dépressions en utilisant des outils
techniques adaptés (voir plus loin). Même si les
ligneux sont combattus, toutes les expérimentations n’ont pas pour effet de les supprimer.
D’ailleurs, la cohabitation sur une même station de
jeunes et de vieux arbres s’avère un dispositif
expérimental inestimable pour l’étude des effets
de la végétation sur le sol. Les vieux arbustes
peuvent être maintenus au titre de la vocation de
"laboratoire de nature" affiché par le massif
dunaire.
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VOL 79 4/2004
La gestion conservatoire des dépressions tourbeuses intra-dunales du nord de la France
Parvenir à une gestion durable en impliquant
efficacement les acteurs, dont les agriculteurs
Les gestionnaires s’engagent à maintenir en bon
état de conservation les terrains acquis et à en
assurer la surveillance. Pour gérer des dépressions
tourbeuses en proie à une dynamique permanente, le personnel employé par la force publique ne
suffit pas, d’autant plus que les tâches des agents
deviennent de plus en plus nombreuses (surveillance, entretien et suivi de la végétation, visites
guidées, formation, réunions diverses etc.). Pour y
parvenir, le Conservatoire du Littoral fait par
exemple appel à des partenaires motivés, associations, classes vertes de lycée agricole, agriculteurs.
Chaque acteur préalablement formé participe ainsi
à la gestion conservatoire des dépressions.
Dans le département de la Manche, encore à forte
connotation rurale, l’investissement des agriculteurs est important. Les exploitants utilisent les
dunes en agriculteurs soucieux d’une gestion
durable, en respectant scrupuleusement le
patrimoine naturel et paysager des biens grâce à
des pratiques agricoles adaptées. Les animaux
introduits (vaches et chevaux dans le Cotentin)
fréquentent les dunes sèches et la périphérie des
dépressions. Autour des mares, des travaux
d’entretien favorisent des espaces de végétation
basse "en mosaïque" avec des effets de lisière en
grande quantité. La gestion des parcelles
concernées doit permettre le développement de la
diversité de la flore et de la faune en favorisant
l’existence d’habitats favorables. Certains de ces
habitats pourront aussi servir de zones refuges
pour les espèces animales (zones de reproduction,
nourrissage d’abri). Le Conservatoire du Littoral
impose à l’exploitant qui accepte d’intervenir le
respect d’un cahier des charges. Il lui est bien sûr
interdit de drainer ou de modifier le
fonctionnement hydraulique des terrains. Il lui est
interdit d’écobuer ou d’affourager les animaux
(sauf lors de conditions météorologiques
exceptionnelles). Cette pratique ne doit pas être
intégrée dans un système de production intensif et
les dunes ne doivent pas servir de stabulation de
plein air pour des troupeaux de plus en plus
nombreux. Le nombre d’animaux par exploitant
est contrôlé. Une bonne gestion des dépressions
passe par un faible chargement à l’hectare. Au
dessous de 0,5 UGB/ha, il est possible de laisser
les animaux s’alimenter avec les réserves du
milieu. Mais lorsque la charge est trop forte, les
fourrages produits par la dune représentent une
part faible à négligeable du besoin des animaux,
ce qui implique un apport important de l’éleveur et
un risque de dégradation fort de la dune. Si les
animaux sont trop nombreux, les dépressions
tourbeuses ne peuvent plus les accueillir. Il faut
alors envisager la création de mares artificielles.
Ces mares offrent des points permanents où les
animaux en pâture peuvent venir s’abreuver.
Ainsi, les dépressions tourbeuses, autres mares,
mais souvent temporaires car susceptibles de
s’assécher en été, sont préservées.
Bien que représentés également, les agriculteurs
ont tendance à être relayés par d’autres acteurs
(milieux associatifs, ONF, bénévoles etc.) dans les
départements du Nord ou du Pas-de-Calais. Dans
ces départements, les dépressions de petite
dimension (quelques dizaines de m 2 au plus)
caractérisées par une évolution tourbeuse sont
appelées pannes (terme d’origine flamande). Ces
pannes abritent des végétations ouvertes de
gazons herbacés ras, annuelles ou vivaces. C’est,
par exemple, le cas de la Réserve biologique
domaniale de Merlimont (Pas-de-Calais) où les
pannes humides se développent à l’arrière du
cordon bordier dans les creux des dunes à
tendance parabolique. Dans ces pannes, des
travaux de restauration et d’entretien ont été
engagés depuis une dizaine d’années par les
forestiers aidés par une association intervenant en
milieu naturel, "les Blongios". Dans les dunes
flamandes, le Conseil général fait appel pour la
gestion courante (nettoyage et débroussaillage
manuel des dépressions) à des associations ou à
des entreprises d’insertion (Ecoflandres), voire à
des maisons de quartiers. Des collaborations
basées sur le volontariat existent même avec les
pays voisins : c’est, par exemple, le cas des dunes
du Mont-Saint-Frieux fréquentées chaque année
par des Hollandais qui viennent y réaliser des
chantiers écologiques depuis 1989. Cela crée ainsi
de nouvelles formes de sociabilité puisque des
groupes sociaux qui n’étaient pas au départ en
contact les uns avec les autres se rencontrent et
apprennent en échangeant. Tous œuvrent dans la
recherche d’un résultat à produire (restaurer la
biodiversité) et dans la manière dont il convient de
conduire telle action pour arriver à ce résultat. La
participation active de tous ces acteurs engendre
un sentiment d’appartenance et de soutien en
faveur des structures gestionnaires.
Les objectifs de gestion sont budgétisés et clarifiés
dans un plan de gestion soumis à l’approbation
d’un comité de gestion consultatif. Les budgets
annuels de fonctionnement d’un site peuvent
varier considérablement. Chaque année, les
dépenses inhérentes à la gestion sont réservées
pour les équipements d’accueil du public et pour
l’animation des sites. Mais il faut garder à l’esprit
que la plupart des investissements nécessaires à
la gestion, même s’ils sont réalisés par les
organismes gestionnaires, entraînent à l’aval des
charges d’entretien élevées. Les collectivités
territoriales prennent souvent en charge les
gardes du Conservatoire5, ainsi qu’une partie des
frais des aménagements et des opérations de
génie écologique. Afin de réduire les dépenses,
les travaux d’entretien sont souvent réalisés par
les communes, les associations ou les classes
vertes des lycées agricoles.
5 - Les recrutements des gardes font généralement l'objet
de conventions avec les départements qui les financent par
la Taxe départementale des
espaces naturels sensibles
(TEDENS).
La gestion conservatoire des dépressions tourbeuses intra-dunales du nord de la France
6 - Un entretien régulier par
fauche exportatrice entraîne un
rajeunissement périodique du
milieu et permet de restaurer
les différents habitats caractéristiques des substrats sableux
peu organiques, en particulier
c eux do nt l es poten ti alités
flo ri stiqu es s ont le s p lus
remarquables.
7 - L’argousier est un arbuste
épineux doté d’un mode de
dissémination par drageons. Le
comportement de l’argousier
diffère suivant qu’il est coupé
sur terrains secs ou humides :
en zone sèche, il dépérit alors
qu’en zone humide il rejette
très bien. Pour que la gestion
conservatoire soit efficace, il
importe donc aux gestionnaires d’extraire si possible les
s ouc hes et d’ex porter les
rémanents (ramassage, brûlage , p uis év ac uatio n d es
cendres en décharge).
Ces travaux font appel à des techniques variées et
ont pour but soit de restaurer les habitats dégradés,
soit de les entretenir dès qu’ils ont été restaurés.
Des pratiques comme le pâturage extensif
itinérant ou la fauche exportatrice6, largement
employées aussi bien dans certains systèmes
dunaires nordiques (îles Hébrides) que dans ceux
à caractère cantabro-atlantique (Galice), sont
aujourd’hui privilégiées. La pratique du pâturage
n’est pas nouvelle, puisque les dunes servaient de
terres de parcours et ont été de tout temps
parcourues par les bestiaux. Le pâturage exercé
par les lapins durant des siècles est aujourd’hui
contrôlé, mais il n’est plus suffisant sur tous les
sites en cours d’embroussaillement. L’absence de
fréquentation ou l’accès limité dans beaucoup de
sites à caractère tourbeux a rendu l’établissement
du pâturage domestique possible (chevaux,
poneys). Le pâturage redonne le sens de la vie
sauvage à des animaux de race rustique. En
général, les animaux sont contenus sur des petites
parcelles puisque les conventions de pâturage
écologique établies entre les structures gestionnaires et les agriculteurs s’appliquent sur quelques
hectares. Si le bétail est générateur de microperturbations favorables à l’apparition des plantes
pionnières, la surcharge pastorale doit absolument
être évitée (cf. ci-dessus) afin d’empêcher des
problèmes de dégradation du milieu (tassement
des sols, enrichissement en nitrates) ou
d’appauvrissement floristique. Dans les sites
fortement embroussaillés, le pâturage n’est pas
mis en œuvre pour ouvrir les milieux mais plutôt
pour maintenir l’ouverture des milieux restaurés et
pérenniser les résultats obtenus.
La fauche assortie d’un décapage superficiel du sol
peut s’avérer intéressante à condition qu’elle soit
réalisée à la bonne période et sur des surfaces
réduites (quelques mètres carrés). Une fauche
estivale annuelle est nécessaire pour limiter
l’extension des formations prairiales ou ligneuses
(jonchaies, roselières, saulaies). La croissance
vigoureuse de certaines graminées (Calamagrostis
e p i g e i o s) peut également être jugulée par cette
pratique. De nombreuses espèces patrimoniales
se réveillent à la mise en lumière (E p i p a c t i s
palustris, Dactylorhiza incarnata, Ophioglossum
vulgatum) et redonnent aux dépressions leur
caractère juvénile et oligotrophe. Lorsque les
dépressions sont de petite taille, une fauche
tournante est appliquée de façon différenciée, afin
de disposer d’une mosaïque d’habitats, surtout en
période de basses eaux (Galloo et al., op. cit.) .
Dans beaucoup de dunes tourbeuses, la fauche est
simplement utilisée pour contrôler la hauteur et la
densité des populations de saules. Le matériel de
coupe doit être enlevé pour éviter une accumulation de nutriments et un étouffement des
banques de semences. Dans certains massifs
fréquentés par les touristes, le matériel de coupe
enlevé est utilisé pour recouvrir les chemins
sableux afin de les consolider.
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281
A Merlimont, le gyrobroyage, d’abord réalisé par
les chasseurs (présence de mares de chasse sur le
site), a permis de rétablir des stades pionniers et
de faire face à l’envahissement par le saule des
dunes et autres espèces buissonnantes comme
l’argousier. Ce dernier a tendance à conquérir
rapidement les zones ouvertes des dunes, qu’elles
soient sèches ou humides, et son extension doit
être contrôlée7, car sinon il risque d’uniformiser la
végétation et surtout d’assécher les pannes. Le
gyrobroyage a limité l’embroussaillement mais
l’éparpillement sur place des débris végétaux a
favorisé l’eutrophisation de ces milieux humides et
leur restauration complète a ensuite nécessité (à
partir de 2000) un étrépage. L’étrépage recrée une
situation de départ abiotique favorable aux
espèces pionnières. Le fond des pannes, mais
aussi les côtés, sont aujourd’hui traités afin de
laisser s’exprimer la végétation de bordure
conditionnée par la hauteur d’eau. Dans cette
réserve, les pannes ne sont pas les seuls écosystèmes humides pour lesquels des actions de
conservation sont engagées : d’autres zones à
évolution tourbeuse apparaissent dans leur
continuité comme les habitats de bas-marais ou
les nombreux trous de bombe, vestiges de la
dernière guerre.
D’une manière générale, en France et dans les
pays limitrophes (Adema et al., 2002 ; Petersen,
2000), les méthodes manuelles ont fait leurs
preuves, mais restent fastidieuses. Les engins
mécaniques sont parfois utilisés pour remodeler le
profil des dépressions humides et ainsi retrouver
un niveau topographique plus favorable aux
espèces hygrophiles. Mais lorsqu’il est fait appel à
la mécanisation (utilisation d’engins agricoles), il
faut être très prudent car il existe des risques de
compaction du sol et de modification de la
topographie de la dépression. Comme en
Angleterre (utilisation d’herbicides dans les dunes
de la côte de Sefton), des erreurs ont été
commises au début et cette pratique qui
uniformise la surface du sol et la végétation n’est
pas toujours adaptée dans les dépressions
dunaires à cause de la présence des amphibiens
(Rooney, 1997). Aujourd’hui, des règles de bonnes
conduites sont établies pour optimiser la
biodiversité qu’elle soit végétale ou animale.
Lorsque le gestionnaire veut tester l’effet de telle
ou telle pratique, les outils de gestion (pâturage,
fauche, étrépage et témoins sans intervention)
sont testés sur des surfaces écologiquement
homogènes où sont placés des blocs
expérimentaux de plusieurs quadrats permanents.
Bref, toutes les opérations mentionnées visent à
éclaircir la végétation et à favoriser la reprise
spontanée des espèces caractéristiques des
premiers stades de la succession écologique. Ces
stades pionniers et post-pionniers sont les moins
compétitifs, mais les plus riches : l’enjeu
écologique est donc important.
282
VOL 79 4/2004
La gestion conservatoire des dépressions tourbeuses intra-dunales du nord de la France
Les problèmes de gestion rencontrés
Bien que la gestion des dépressions tourbeuses
soit planifiée dans le plan de gestion établi pour
une période de 5 à 10 ans, le déroulement des
opérations n’est pas toujours respecté pour des
raisons de nature variée. Le personnel peut
manquer, comme les moyens financiers, et les
aléas climatiques (inondations de 2001) rendent
quelquefois les interventions délicates ou
impossibles. Un événement catastrophique
(submersion marine, débordement des eaux de
surface, etc.) peut ruiner plusieurs années de
travail et bouleverser durablement le fonctionnement de l’écosystème. Il faudrait apprendre à
gérer l’imprévisible, mais cela n’entre pas encore
dans les plans et les têtes des gestionnaires qui
ont des échéanciers à respecter.
Les difficultés de gestion sont aussi souvent liées à
un manque de connaissance scientifique des sites.
De ce fait, un problème qui nécessite une
intervention humaine est parfois mal apprécié. Et
il arrive que l’on traite les symptômes plutôt que
les causes du problème. Par exemple, la véritable
cause de l’embroussaillement et de la disparition
d’habitats pionniers est liée sans conteste au bilan
hydrique (rôle des précipitations, de l’ETP) et au
fonctionnement hydro-pédologique des dépressions dunaires. La circulation de l’eau dans les
sols est complexe et des études restent à faire
pour comprendre les mécanismes d’assèchement
ou au contraire d’inondation prolongée (relation
entre la nappe d’eau douce des dunes et les autres
aquifères, origine des apports d’eau, etc.). Les
fluctuations des niveaux d’eau sont essentielles,
car elles règlent en grande partie la mobilité des
plantes et conditionnent leur survie. C’est, par
exemple, le cas du liparis de Loesel, petite
orchidée hygrophile dont la faible diversité
génétique est un facteur de fragilisation des
populations. Déjà fragilisée, l’espèce est très
sensible aux modifications hydriques de l’habitat.
Pour parvenir à une meilleure connaissance des
sites, le rôle des scientifiques est essentiel de
concert avec les autres acteurs du littoral. À ce
titre, des travaux de recherche ont été engagés en
2004 par le laboratoire Géophen en collaboration
avec le Conservatoire du littoral et Syndicat mixte
des espaces littoraux de la Manche. Ces travaux
ont eu pour principal objectif de mieux
comprendre la relation sol-végétation des
dépressions dunaires. En effet, la variable
édaphique est souvent négligée dans les études
naturalistes alors que la texture du sol, sa chimie,
et son économie en eau sont des précieux
indicateurs de l’état du milieu et de ses
potentialités (Le Gouée et al., à paraître). La
pédologie dunaire s’avère aussi d’un grand intérêt
pour mieux comprendre les différences observées
dans la composition et l’évolution de la
végétation. Cette étude a permis de montrer que
des plantes rares comme l’ache rampante ou la
littorelle uniflore étaient strictement inféodées aux
dépressions humides enrichies en limon (Photo 2).
D’un autre côté, le caractère juvénile de tous les
sols rencontrés a montré qu’il fallait rester très
prudent dans l’utilisation de certaines pratiques.
Par exemple, l’étrépage, qui se traduit par un
décapage des premiers centimètres du sol,
modifie radicalement le contexte édaphique. Les
techniques de lutte contre les formations
envahissantes peuvent conduire à la disparition
complète du matériel édaphique et modifier de
manière irréversible le patrimoine écologique.
Compte-tenu d’une pédogenèse locale récente et
d’un contexte naturel limitant le processus de
formation des sols, les interventions humaines
doivent donc être menées sur la base de
connaissances pédologiques solides.
D’autres recherches peuvent consister à étudier
plus finement l’écologie des plantes et leur
comportement vis-à-vis de certains stress. Le
Conservatoire botanique national de Bailleul s’est
penché depuis quelques années sur le liparis de
Loesel ou la germandrée des marais. Par ailleurs,
des ateliers techniques sont nécessaires pour
confronter les méthodes, échanger les
informations, et donc progresser. Des rencontres
organisées par le GET en 1997 (pannes du NordPas-de-Calais) ou chaque année par l’EUCCFrance8 permettent de renforcer le nécessaire
dialogue entre praticiens et chercheurs. Mais les
nécessaires discussions n’aboutissent pas
toujours à des consensus, car il peut y avoir
accord sur les objectifs et les moyens, mais
désaccord sur les échelles d’application. Une
approche holistique comme la réactivation de la
dynamique dunaire légitimée par le fait qu’elle
peut être bénéfique à de nombreuses espèces
s’oppose à une approche plus ciblée où l’on
s’attache à sauvegarder un élément particulier,
une espèce (végétale ou animale) ou un habitat.
Certes, l’espèce est un bioindicateur plus facile à
identifier que l’habitat ou le système. À ce titre, elle
se voit parfois accorder une plus grande attention
par les élus ou les décideurs. Mais on ne
comprend pas toujours la façon dont les espèces
interagissent avec leur environnement et leurs
exigences particulières en matière de qualité de
l’habitat. De plus, chaque espèce peut avoir son
défenseur comme son détracteur et il n’est pas
toujours simple de s’y retrouver. Bien souvent, la
gestion consiste à intégrer les stratégies de
conservation des espèces dans le cadre d’une
stratégie générale de conservation de la nature.
Dans certaines régions, la question n’est pas
toujours tranchée entre une gestion interventionniste ou le choix de laisser évoluer d’ellesmêmes les dunes lorsque la pérennité du système
dunaire ne semble pas menacée. En GrandeBretagne, tout programme de restauration des
espèces doit viser en partie au rétablissement des
8 - EUCC-France correspond à
la branche française de l’Union
Européenne pour la Conservation des Côtes (European
Union for Coastal Conservation). Cette association internationale, créée en 1989, a
pou r but d’a ide r à une
meilleure prise de conscience
de l’enjeu représenté par la
protection du littoral, tout en
tenant compte des nécessaires
aménage- ments dans le cadre
d’un e ges tio n intégré e des
espaces côtiers. En la matière,
elle s’attache à promouvoir la
rech erch e sc ientifiq ue et à
diffus er u ne informa tion
pertin ente
aup rès
des
décideurs.
La gestion conservatoire des dépressions tourbeuses intra-dunales du nord de la France
conditions et processus écologiques caractéristiques de la dynamique dunaire, ceci afin
d’optimiser la biodiversité et de réduire les
interventions humaines à l’avenir. En France, on
s’inspire des méthodes britanniques ou
néerlandaises (Jungerius et al., 1995 ; Arens et al.,
2004) conscient qu’il faut "redynamiser" la dune,
mais cela s’avère délicat en raison notamment de
la pression touristique. Les documents d’objectifs
des sites Natura 2000 ne donnent pas la priorité à
la non-intervention. L’enjeu principal de la gestion
se situe toujours dans la conciliation des objectifs
entre les impératifs d’accueil et de protection du
milieu et des espèces. Si la dynamique libre de la
dune est intéressante tant d’un point de vue
géomorphologique que biogéographique, il arrive
qu’elle se révèle dangereuse si le choix des
gestionnaires est de conserver un maximum
d’espaces ouverts accessibles au public et
susceptibles d’abriter des dépressions humides à
fort potentiel de biodiversité. La mobilité dunaire
est souhaitable à condition qu’elle n’aboutisse pas
au démantellement complet de la dune qui peut
aller jusqu’à la disparition totale du cordon dunaire
en quelques années selon l’importance des agents
dynamiques. Un contrôle souple de la dynamique
dunaire est nécessaire conciliant maîtrise des
sables mobiles, conservation d’écosystèmes
originaux et accueil raisonné du public. Enfin, dans
un conteste de pénurie sédimentaire et de
vieillissement des massifs dunaires, la végétation
ligneuse progresse sans intervention humaine : la
finalité peut alors consister à se rapprocher d’une
intervention minimaliste dont le contenu est à
définir dans les plans de gestion.
Conclusion
La gestion conservatoire consiste dès le départ à
mener des actions de restauration du milieu. En
ayant pour objectif de rajeunir l’écosystème, la
restauration fait appel à des interventions
humaines conduisant à bloquer la dynamique de
fermeture du milieu. La gestion conservatoire ne
se limite pas à la réinstallation des stades
pionniers, elle vise plus généralement à reproduire
et à protéger un assemblage de milieux ayant déjà
existé à des époques historiques proches. En
réinitialisant les potentialités et en maximisant la
biodiversité, le choix est fait de réordonnancer la
nature et de ne pas conduire à un effacement de la
marque de l’homme dans le paysage. Mais dans
beaucoup de sites, la gestion interventionniste se
limite encore à de l’expérimentation scientifique : il
importe donc de continuer les travaux de
recherche et de suivre surtout les effets des
pratiques préconisées.
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284
VOL 79 4/2004
La gestion conservatoire des dépressions tourbeuses intra-dunales du nord de la France
Photo 2 : Littollera uniflora
(cliché Y. Petit-Berghem, massif dunaire de Biville, 2004)
Photo 1 : Liparis loeselii
(cliché Y. Petit-Berghem, massif dunaire d'Hatainville, 2004)
Adresse de l'auteur :
Laboratoire Géophen
LETG UMR 6554 du CNRS
Université de Caen
Esplanade de la Paix
BP 5186 14032 CAEN CEDEX
E.mail :
[email protected]
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