Critères et objectifs d’hospitalisation d’un état dépressif B. RIMLINGER (1) L’hospitalisation pour épisodes dépressifs majeurs (EDM) est assez peu fréquente comparativement à la prise en charge de la dépression en ambulatoire. Sur la base d’une prévalence annuelle de 6 % d’épisodes dépressifs (ANAES, 2002), 5 % des EDM sont hospitalisés. La dépression correspondait en 1995 à 110 000 séjours hospitaliers, représentant 7,4 % des séjours en secteur public psychiatrique et à 25 % des hospitalisations en secteur privé. Alors qui hospitaliser ? L’ANAES (2002) recommande l’hospitalisation dans les cas suivants : – risque suicidaire et crise suicidaire d’urgence élevée ; – dépression sévère et complexe dont les dépressions résistantes ; – symptômes psychiatriques ou somatiques sévères associés ; – entourage familial ou social insuffisant ou dysfonctionnel ; – réponse insuffisante au traitement en cours ou mauvaise observance du traitement ; – dépression majeure après stress aigu (agression sexuelle, violence physique …). Une fois l’indication posée, le praticien doit surmonter la stigmatisation de l’hospitalisation en milieu psychiatrique et combattre tous les préjugés. La reconnaissance de la souffrance du patient, l’information du patient et de sa famille et la justification de la nécessité de l’hospitalisation basée sur des arguments cliniques permettront de le convaincre. Idéalement, l’hospitalisation devrait s’inscrire dans un projet thérapeutique en partenariat avec le médecin traitant, le patient et sa famille. En réalité les hospitalisations se font souvent dans l’urgence, dans la rupture sans qu’il ait été possible de réaliser ce partenariat. Si le patient et sa famille acceptent, se pose la question du lieu d’hospitalisation. En France, on recense 96 établissements publics de santé, 181 services de psychiatrie dans les CHU et hôpitaux généraux et 130 établissements privés. Cependant, entre 1989 et 1997, 41 % des lits ont été supprimés et le nombre de patients hospitalisés s’est accru de 13 % avec comme corollaire une diminution de la durée d’hospitalisation. La pénurie de lits entraîne l’usage détourné des hospitalisations à la demande d’un tiers (HdT) avec une augmentation de 86 % entre 1992 et 2001 de cette modalité d’hospitalisation. En 1997, 13 % des patients hospitalisés l’étaient en HDT. En cas de tentative de suicide ou de crise suicidaire d’urgence élevée, 6 points sont à évaluer : le niveau de souffrance ; le degré d’intentionnalité ; les éléments d’impulsivité ; un éventuel élément précipitant ; la présence de moyens létaux ; la qualité de soutien de l’entourage proche. L’ANAES en 2000 notait déjà 6 points pour définir le degré d’urgence élevée : la planification du passage à l’acte, l’agitation ou l’anesthésie affective, la douleur et la souffrance omniprésentes, l’accès direct au moyen de se suicider, le sentiment d’avoir tout essayé et un patient très isolé. Ballenger (1999) énumère les formes sévères de dépression : les dépressions avec risque suicidaire, les dépressions avec symptômes psychotiques, les dépressions bipolaires caractérisées, les dépressions avec trouble panique, les dépressions avec abus de substances (alcool surtout), les dépressions atypiques avec agitation, les dépressions multirécidivantes ou résistantes et les dépressions avec trouble grave de la personnalité. (1) Psychiatre, Montpellier. L’Encéphale, 2007 ; 33 : Septembre, cahier 3 S701 B. Rimlinger Insistons sur la forme particulière de la dépression du sujet âgé : le risque suicidaire est important puisqu’un tiers des tentatives de suicide sont réussies. Il ne faut donc pas hésiter à hospitaliser devant un tableau clinique franc mais aussi devant un tableau à expression somatique (6 % seulement de ces formes sont diagnostiquées) ou de forme pseudo-démentielle. Notons la difficulté diagnostique du fait de pathologies somatiques associées telles que douleurs chroniques, AVC, Parkinson et cancers. QUELS SONT LES OBJECTIFS DE L’HOSPITALISATION ? L’hospitalisation met l’accent sur l’importance de l’examen somatique car les dépressions comorbides avec les facteurs somatiques sont fréquentes. Le moment d’hospitalisation suppose : – le temps d’informer le patient sur le contexte d’hospitalisation qu’il va connaître ; – le moment d’évaluer ses besoins et ses attentes ; – la décision entre hospitalisation en milieu particulièrement protégé ou non. L’attente du patient c’est parfois l’explication d’une causalité linéaire à sa dépression. De façon caricaturale, il attend soit un facteur environnemental, soit un facteur biologique avec à la clé une molécule miracle. C’est aussi le moment où l’on peut expliquer que dans la dépression, il n’y a pas que du négatif. On peut travailler en psychothérapie sur les remaniements psychoaffectifs qu’entraînent ces phases de crise. L’objectif médical de l’hospitalisation est d’affiner le diagnostic. L’AFSSAPS en 2005 recommandait de recher- S702 L’Encéphale, 2007 ; 33 : 701-702, cahier 3 cher systématiquement la bipolarité lors de la prescription d’un antidépresseur. Les troubles bipolaires seraient sous diagnostiqués. En cas de dépression résistante, un bilan endocrinien et neurologique est nécessaire (chez la personne âgée pour dépister AVC, Alzheimer et démence à corps de Lewy) ainsi que l’évaluation de la personnalité puisque les troubles de la personnalité entraînent une mauvaise réponse au traitement et une chronicisation des troubles (personnalités narcissiques, borderlines, dépendantes et anti-sociales). L’intérêt de l’hospitalisation est aussi la psychoéducation avec travail sur les rythmes nychtéméraux, l’exercice physique, l’information sur les consommations de toxiques, l’identification des symptômes précurseurs de la rechute et notamment les troubles anxieux. La préparation de la sortie est souhaitable en articulation avec la famille, le médecin traitant et les travailleurs sociaux. CONCLUSION L’hospitalisation pour EDM, même si elle est stigmatisée comme critère de gravité est souvent le temps d’un « bilan » dans l’évolution de la maladie dépressive : bilan clinique, psychiatrique et somatique, bilan psychologique avec mise en perspective des remaniements psychoaffectifs générés. « L’hôpital apporte aussi le traumatisme satisfaisant d’une brusque stabilisation dans une détention disciplinée et bienveillante où l’unique devoir est d’essayer de guérir » William Styron.