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Bernard Ginisty est philosophe de formation Il a été responsable national de la formation des Travailleurs Sociaux, directeur de l’hebdomadaire Témoignage Chrétien,
président de la Maison des chômeurs de Toulouse et co-fondateur de l’Association
« Démocratie et Spiritualité ».
Débat
Un Participant - Je voudrais revenir sur l'intervention de Michel Fromaget, qui pour
moi était un discours religieux. Car il faut marquer la différence entre discours religieux,
pratique religieuse, et recherche et réflexion sur la connaissance et le savoir, il faut le
garder à l'esprit. Car l'inconvénient, quand on s'appuie sur un discours religieux, c'est
qu'il se base sur la croyance, par opposition au discours sur le savoir qui se base sur une
approche scientifique plus rationnelle et critique, qui admet la remise en question ce que
n'est pas le discours religieux.
Car le paradoxe est que le discours religieux, qui est donc en réalité le moins sûr, est
celui qui a le plus de mal à se remettre en question et à s'adapter ! Il se présente comme
sûr de lui.
Michel Fromaget, dans son discours, s'est référé à de nombreux auteurs anciens, mais
à aucun penseur actuel. On n'imaginerait pas un chercheur scientifique proposer une
réflexion qui ne prenne pas en compte la pensée contemporaine. Et même dans le
domaine de la philosophie, nul ne peut nier que Freud a changé la connaissance de
l'homme par lui-même. Et il y a aujourd'hui une branche de la physique quantique qui
propose l'existence d'univers multiples, qui relativise l'importance de notre univers. Et
d'autres physiciens se posent la question de l'avant-big-bang… On voit donc cette perpétuelle remise en question par les scientifiques de leur représentation du monde : il n'en
est pas de même de la pensée religieuse !
Michel Fromaget - Je voudrais dire que je ne fonctionne pas comme vous, et que ces
vieilles oppositions que l'on retrouve sous la plume de philosophes médiatiques comme
Luc Ferry entre l'homme religieux et l'homme philosophique, scientifique et rationnel,
lequel valoriserait l'expérience et le réel, par opposition à l'homme religieux qui ne se réfèrerait qu'à Dieu et à des croyances, ces oppositions convenues sont très artificielles et le
plus souvent sans fondement. Pour s’en convaincre il suffit de relire Pierre Hadot qui met
si bellement en lumière que les philosophies antiques étaient éminemment spirituelles
ou Raimon Panikkar qui montre en quoi la philosophie bouddhique, quoiqu’athée, est
aussi une religion. D’autre part, à vous entendre, on croirait qu’il convient de classer
les gens qui accordent quelque crédit à l’expérience spirituelle du côté de la religion.
Cette attitude n’est pas convenable. Je vous en donne un seul exemple : pensez-vous que
Marcel Proust était un individu religieux ? Absolument pas ! Il se contentait d’être luiCOLLOQUES 2015-2016 - QUEL HUMANISME POUR DEMAIN ?
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même, attitude heuristique qui le conduisit naturellement à accorder à son expérience
personnelle, à ses expériences subjectives, tout le poids d’objectivité qui leur revenait et,
par suite, à s’ouvrir à sa dimension spirituelle, autrement dit : à la totalité de son être.
D’où ce sentiment de joie qui, après l’expérience de « la petite madeleine » (et quelques
autres), le convainquit de consacrer son œuvre à la recherche du « temps perdu » ce qui
est dire de son éternité et qui nous vaut l’œuvre incomparable que nous connaissons.
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Une participante - Quand je discute avec des jeunes, même croyants, je m'aperçois que
leur connaissance de leur religion est très faible. On en a eu l'illustration avec ces jeunes
convertis au Jihad qui ne connaissent rien à l'Islam et se réclament d'Allah. Avant,
c'était surtout au sein des familles que se faisait l'éducation religieuse, mais cela a pratiquement disparu, et ce n'est pas l'école publique qui peut s'en charger : alors n'y a-t-il
pas là un problème ?
Ghaleb Bencheikh - Permettez moi une précision sémantique : Allah n'est que l'appellation arabe de la divinité, ce n'est pas un nom propre, ce n'est pas le Dieu des musulmans,
la « Divinité mahométane « comme on dit dans les encyclopédies de prestige. Là où
vous avez raison, au-delà des approches pédantes sur la religion, comme l'approche
ternaire…, la religion forme comme un cadre humain du sacré, la religion devient le lieu
de la réponse aux sempiternelles questions qui taraudent l'homme et qui lui donnent
sens (juste ou pas c'est une autre affaire), la question des origines et des fins dernières, la
question de la téléologie, sommes-nous en Absurdie dans un univers kafkaïen, ou y at-il une raison de notre présence ici-bas… La religion forme se divise elle-même en religion refuge, religion tremplin, et religion comme un cadre de l'expérience humaine du
sacré ou du divin Alors quand vous dites que ces jeunes gens sont des convertis : voyez
ce qu'on apprend sur Coulibaly, qu'il aurait été vu il y a quelques mois sur une plage
avec sa copine en bikini, et voila qu'il se découvre des velléités d'aller défendre l'honneur du prophète bafoué par une caricature. Comme on dit dans la Divine Comédie de
Dante, il voit qu'il est placé dans le Pandémonium, mais cela n'a pas choqué les musulmans lettrés qui savent qu'il y a un pastiche de l'épître du Pardon de Brahami dans la
Divine Comédie. Deuxième cas, cette fille de 28 ans qui s'est fait exploser : quelques mois
avant elle menait une vie dissolue, se droguait, puis elle s'était présentée à Pôle emploi
pour trouver du travail ; et la voila qui trouve plaisant de mettre le voile ou la burqa.
Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas une responsabilité des idéologues, mais ces jeunes
sont aussi des paumés qui pensent donner un sens à leur vie en agissant de la sorte, par
ressentiment, par haine, par envie de donner un coup de pied dans la fourmilière pour
se venger des autres. On ne naît pas monstre, on le devient. C'est pour cela qu'il faut
faire un énorme travail de préparation des individus en dilatant les cœurs à l'amour et à
la tendresse, parce que c'est par manque d'amour et de tendresse que nous succombons.
Un participant - Jean Cardonnel a écrit en 1968 le livre « Dieu est mort en Jésus-Christ ».
Qu'en pensez-vous ?
Bernard Ginisty - Je rappelle les dernières paroles du Christ en croix : « Dieu, pourquoi
m'as-tu abandonné ? » puis « Père, je remets mon âme entre tes mains ». Je le disais tout
à l'heure, le mot Dieu n'est pas utilisé dans le « Notre Père » la seule prière que le Christ
ait enseignée. Si vous me poussez dans mes retranchements, je pense que le mot Dieu
est un concept païen !
Une participante - (à Mr Fromaget) A propos de la différence que vous faites entre
l'esprit et l'âme : comment situez-vous l'inconscient par rapport à Dieu.
L'AVENIR DE L'HOMME DANS NOS SOCIÉTÉS - DEUXIEME DEBAT
Michel Fromaget - Freud a ouvert la porte d'un inconscient essentiellement nourri par
le refoulement du sexuel. Pour employer un mot de Frankl (troisième grand psychanalyste viennois), l'inconscient freudien est fait de représentations refoulées parce que
jugées « ignobles » par le Moi (et le Surmoi). Cet inconscient, fait de contenus issus des
pulsions, est comme à la limite du biologique. C'est un inconscient affectif, psychique.
Mais, ainsi que le montre Frankl, il existe aussi un inconscient spirituel où se trouvent
refoulées des données issues non pas du corps, mais de l’esprit. Non pas du bas, mais du
haut. Non pas « ignobles », mais « nobles ». Alors que le premier serait d’ordre « affectif », le second serait un inconscient fondamentalement « cognitif ». Cette approche qui
est celle de la « logothérapie » de Frankl est d'un extrême intérêt. Je n'ai pas le temps de
la développer ici, mais elle est étroitement en phase avec la conception anthropologique
ternaire qui saisit l’homme comme un « être intermédiaire » dont la psyché, le mental,
qui est le lieu de son moi, a pour vocation de marier le matériel et le spirituel, le corps et
l’esprit, la terre et le ciel comme disent les taoïstes. Mais mettre à jour ces deux strates
de l’inconscient exige une écoute particulière.
Une participante - Est-ce que chaque intervenant pourrait essayer, en une phrase, de
résumer sa pensée pour que nous puissions poursuivre notre réflexion sur la question
« Quel humanisme pour demain ? »
Michel Fromaget - J'indiquerai volontiers une piste dont j'ai déjà parlé : la voie de la méditation, du silence, de l'intériorité. Laissons nous vivre entièrement, ne conceptualisons
pas tout, ne réduisons pas le réel à ce que nous pouvons en expérimenter, en toucher, en
comprendre. Fonctionner ainsi porte la marque d’un « chauvinisme intellectuel », d’un
« provincialisme de la pensée » infiniment regrettable. L'univers et l'humain sont bien
autres choses que ce que nous pouvons en concevoir ! Telle est la raison, pour laquelle
j'essaie de prêcher pour un humanisme « ouvert ». Que certains pourront considérer
« sans Dieu », ceci ne me gêne pas. L’important est qu’il soit ouvert.
Jacques Périé, Animateur GREP - Je rappellerai aussi cette phrase qu'à prononcée
M. Bencheikh dans son intervention, et qui pourrait nous servir de conclusion :
« Nous ne sortirons de nos tragédies que par une quête solidaire du sens de l'avenir.
Et cela ne peut se concevoir qu'en soutenant un humanisme qui assume les héritages
des peuples dans leur diversité. Et en reconnaissant aussi l'apport historique des
différentes traditions »
Merci encore à nos quatre conférenciers.
COLLOQUES 2015-2016 - QUEL HUMANISME POUR DEMAIN ?
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