La mondialisation, stade suprême du capitalisme

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NOTE DE LECTURE
La mondialisation,
stade suprême du capitalisme ?
Sous la direction de Wladimir Andreff
Presses universitaires de Paris Ouest, 2013, 394 p., 25 euros
L’ouvrage La mondialisation, stade
suprême du capitalisme ?, édité par
Wladimir Andreff aux Presses universitaires
de Paris Ouest, est le premier ouvrage en
langue française dédié à la crise de la mondialisation. Il offre au lecteur l’occasion de
prendre la mesure de la vigueur de l’école
française de l’économie de la mondialisation. L’ouvrage, qui vise à rendre hommage
à l’un des plus éminents représentants de
cette école, Charles-Albert Michalet, disparu voici plus de 5 ans à l’âge de 68 ans,
associe de nombreux auteurs sur les thématiques chères à ce dernier, parmi lesquelles :
les stratégies des firmes multinationales, la
dynamique de la mondialisation, le management international de la technologie,
l’attractivité des investissements étrangers,
le développement économique.
Pour de nombreux lecteurs profanes en la
matière, la référence à Michalet requiert
un éclairage complémentaire du bel éloge
de Christian de Boissieu. Le Professeur
Michalet fut un économiste iconoclaste,
possédant tout à la fois un sens fin de l’observation, une plume inspirée, une faculté
oratoire hors du commun doublée d’un
panache digne des plus grands acteurs.
Dans la grande tradition académique française, Charles-Albert Michalet a formé des
générations entières d’étudiants à la firme
multinationale et au processus de la mondialisation, qu’il avait très tôt entrevu. Dès
la fin des années soixante, il s’affranchit
du cadre étroit de l’économie politique,
l’arène d’alors des États-nation, c’est-àdire des espaces clos pour les facteurs de
production, suivant la formule consacrée
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Revue française de gestion – N° 235/2013
de François Perroux. Se démarquant de ses
contemporains, il adopta la firme transnationale pour objet d’étude et fonda le Centre
d’études et recherches sur les entreprises
multinationales (CEREM) à l’université de
Nanterre. Un choix téméraire pour l’époque
– largement dominée par l’État-nation –
mais rétrospectivement clairvoyant. Selon
lui, la dynamique naissante de l’économie mondiale ne pouvait émaner que de
jeux d’acteurs transcendant les barrières
protectionnistes. Le nombre croissant des
émules contemporains de Charles-Albert
Michalet, y compris parmi ses collègues
autrefois acquis à l’orthodoxie de l’économie politique et tardivement reconverti
à la dynamique de l’économie mondiale,
constitue d’ailleurs une marque évidente de
la justesse de ses intuitions pionnières.
À l’heure où la mathématisation des
sciences économiques s’arrogeait progressivement le monopole du mérite scientifique, conduisant à l’émergence d’une
pédagogie souvent désincarnée, l’approche
dialectique tenait lieu à la fois de démarche
scientifique et de cadre pédagogique pour
Charles-Albert Michalet. Suivant l’optique
Bachelardienne selon laquelle le réel ne se
montre pas, mais se démontre, Michalet
épuisa tous les recours théoriques possibles
pour expliquer les multiples facettes de
la mondialisation. En décalage avec certains de ses contemporains aux convictions
très affirmées, il manifesta une ouverture
intellectuelle à la mesure de la complexité
du phénomène. Se plaçant tout à la fois
au niveau de la sphère de la production
et de la sphère du marché, il emprunta
aux divers paradigmes des sciences économiques – classique, néoclassique, marxiste,
keynésien – en proportion de leur pouvoir
explicatif. Certains apports essentiels de la
discipline encore embryonnaire du management – cycle de vie du produit, théorie
comportementale des organisations, théorie
des coûts de transaction – furent également
mis à contribution. Au total, la perspective
proprement fédératrice de Michalet déboucha sur la transposition des cycles économiques de Marx au capitalisme mondial,
dont l’ouvrage édité par Wladimir Andreff
souligne la pertinence à travers l’analyse de
la crise actuelle.
Vers le milieu des années quatre-vingt,
commença à se dessiner une tendance encore
bien incertaine de partenariats et d’alliances
interentreprises. Charles-Albert Michalet
fût l’un des rares économistes de l’époque
à prédire l’amplification et la pérennisation
de ce mouvement. Il n’en fût pas autrement.
Ainsi, par exemple, le revenu global généré
par la coopération interentreprise au niveau
des 1 000 plus grosses entreprises américaines est passé de 2 % en 1980 à 21 % en
1997 (J.R. Harbison et P. Pekar Jr., Smart
Alliances: A Practical Guide to Repeatable Success, Jossey-Bass, 1998). Selon
Michalet, la coopération interentreprise
devait progressivement devenir une force
essentielle de régulation du capitalisme
mondial contemporain qui, tout en constituant une alternative viable à l’option
concurrentielle, en altérerait le principe
même. Un tel scénario rend évidemment
plus difficile, ainsi que le suggère le titre
du présent ouvrage, toute tentation prophétique, qu’elle soit sombre, à la Lénine, ou
candide, à la Kautsky, sur l’issue du mouvement dialectique de l’économie mondiale. À
sa manière, Michalet incarnait un marxisme
sans effusion, mais sans reniement, un
marxisme schumpétérien en somme.
En qualité de consultant auprès d’organisations internationales (FMI, Banque
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Note de lecture
mondiale, OCDE), Michalet fut également
un homme de terrain et évita ainsi les
pièges d’un ésotérisme stérile auxquels
s’expose parfois l’enseignant-chercheur en
sciences économiques. À l’heure où l’environnement commençait de susciter un alarmisme général justifié, Michalet soulignait
avec pertinence combien la mondialisation
offrait une opportunité sans précédent de
constitution d’un dispositif multilatéral de
gouvernance de lutte contre le réchauf­
fement climatique. Son expertise de la
firme multinationale devait naturellement le
porter à servir de conseil auprès d’instances
gouvernementales sur l’identification et la
mise en œuvre des leviers de l’attractivité
économique territoriale et nationale.
Son influence fût significative aux plus
hauts niveaux de responsabilité dans les
secteurs publics et privés. Dans les sémi-
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naires de recherche qu’il animait à l’université, le caractère magistral de sa prestation résidait dans sa capacité à initier
ses étudiants à forger des problématiques
pertinentes. Si, suivant l’aphorisme de Paul
Valéry, « l’homme de génie est celui qui
m’en donne », Michalet fut prodigue en la
matière pour ses multiples auditoires.
En somme, l’œuvre de feu Charles-Albert
Michalet fût à l’image de celle de son
contemporain outre-Atlantique John
Kenneth Galbraith, tout à la fois intel­
ligente, hétérodoxe et prolifique. À ses
collègues réunis à l’occasion du présent
ouvrage, il lègue sa démarche d’éclaireur
méthodique et sincère, de pédagogue
passionné et bienveillant.
Fouad El Ouardighi
ESSEC
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