Toxicité médicamenteuse et ophtalmologie

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REVUE MÉDICALE SUISSE
Toxicité médicamenteuse
et ophtalmologie
Drs GEORGES SOUTEYRAND a, ARGYRIOS CHRONOPOULOS a et Pr GABRIELE THUMANN a
Rev Med Suisse 2015 ; 11 : 2374-80
Touchant essentiellement la partie antérieure de l’œil, toutes les
structures de l’organe ophtalmologique peuvent cependant être
atteintes lors d’effets indésirables toxiques ou médicamenteux :
paupières et conjonctive dans les syndromes de Lyell ou StevensJohnson, cornée avec l’amiodarone, muscle ciliaire (accommoda­
tion) ou pupille sous antidépresseurs, cristallin avec la cataracte
cortico-induite, rétine avec les antipaludéens de synthèse, ou
nerf optique sous éthambutol.
Trop souvent méconnus en raison de leur habituelle bénignité, ces
effets secondaires médicamenteux, typiquement bilatéraux, peuvent
pourtant être sévères. Une surveillance simple, consciencieuse et
planifiée permet dans une grande majorité des cas de réduire au
maximum le risque d’atteinte fonctionnelle et de préserver ainsi
une fonction visuelle optimale.
Drug-induced toxicity and ophthalmology
Affecting primarily the anterior part of the eye, all the structures of
ophthalmological body may however be reached in case of drug-­
induced toxicity : eyelids and the conjunctiva for example in the syndromes of Lyell and Steven-Johnson, cornea with cornea verticillata
related to amiodarone, ciliary muscle (accommodation) or pupil related to antidepressants, lens with glucocorticoid-induced cataract,
retinal toxicity of anti malarial synthesis or optical neuropathy with
ethambutol.
Unfortunately often underrated because of their usual benignity,
drug side effects affecting the eye yet can be severe. Simple,
conscientious and planned monitoring however allowes for a large
majority of our patients to minimize the risk of visual function impairment, thus preserving optimal visual function over time.
TOXICITé PALPéBRO-CONJONCTIVALE
ET FILM LACRYMAL
Elle entraîne le plus souvent une sècheresse oculaire. Le plus
souvent bénigne : sensation de corps étrangers, brûlures, flou
visuel, intolérance aux lentilles de contact, etc., l’ophtalmologue n’est le plus souvent pas inquiet mais le patient parfois
très incommodé. L’examen du film lacrymal (figure 1) et de la
surface cornéenne s’impose. Le traitement par lubrifiants
soulagera efficacement la symptomatologie.
Médicaments et sècheresse oculaire
Rétinoïdes, atropiniques, bêtabloquants, hormonothérapies,
­lithium, etc.
Toxidermies médicamenteuses
Toxicités les plus graves, les syndromes de Lyell et StevensJohnson peuvent être responsables de perte visuelle dramatique. Leur rareté (~ 2 / million habitants) ne doit surtout pas
en faire oublier la gravité, vitale initialement (20 à 25 % de
mortalité) ni leurs complications cutanéo-muqueuses (50 %)
principalement oculaires.
Elles débutent une dizaine de jours après le début du traitement. Le tableau est caractéristique : érosions des muqueuses
et bulles cutanées. Après arrêt immédiat du (des) médi­ca­
fig 1
Test à la fluorescéine cornéen
Rupture du film lacrymal (sècheresse oculaire).
L’œil participe à presque 80 % de l’ensemble de nos perceptions sensorielles. Les thérapeutiques pharmacologiques
modernes ou princeps, pourtant toujours au plus près de
l’organe cible ou de l’atteinte nosologique, sont cependant
trop souvent potentiellement toxiques pour les yeux. Le
rappel, pour le médecin prescripteur ou référent, des effets
secondaires ophtalmologiques revêt ainsi une importance
évidente.
Nous aborderons ici quelques principaux produits (fréquence de prescription, gravité potentielle ou connaissance
récente d’effets oculaires) en précisant la surveillance nécessaire, pour faciliter la collaboration entre praticien généraliste et ophtalmologue.
a Service d’ophtalmologie, HUG, 1211 Genève 14
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fig 2
Déformation cutanée palpébrale supérieure
droite cicatricielle, postsyndrome de
­Stevens-Johnson (SJS)
TOXICITé CORNéENNE
Elle peut toucher toutes les structures cornéennes : épithélium,
stroma, endothélium.
Amiodarone
Les atteintes cornéennes sont majoritairement des dépôts
sous-épithéliaux (cornea verticillata). A concentration tissulaire efficace, 100 % des patients présenteront après six mois
de traitement une atteinte cornéenne bilatérale (figure 4).2
Celle-ci est asymptomatique ne nécessitant aucunement l’arrêt
du traitement.
Médicaments et atteinte cornéenne
Amiodarone, antipaludéens de synthèse, atovaquone, ibupro­fène,
indométacine, naproxène, tamoxifène, phénothiazine, immunoglobulines intraveineuses, cytarabine, etc.
Aucune surveillance ophtalmologique nécessaire
habituel­lement.
ment(s) sus­pecté(s), la réépidermisation est souvent rapide
(10 à 30 jours) mais les séquelles cutanéo-muqueuses sont très
­fréquentes, princi­palement oculaires : remaniements palpébraux
et brides conjonctivales, sécheresse et inflammation oculaires
majeures, opacification cornéenne séquellaire.1 Le pronostic
fonctionnel doit impérativement être envisagé en collaborant
dès le premier jour avec l’ophtalmologue (figures 2 et 3).
Médicaments à « haut risque » de toxidermie médicamenteuse
Allopurinol, sulfamides anti-infectieux, névirapine, carbamazépine, lamotrigine, phénobarbital, phénytoïne, anti-inflamma­toires
non stéroïdiens dérivés de l’oxicam.1
Urgence fonctionnelle ophtalmologique
Pose immédiate d’anneaux à symblépharon, collyres lubrifiants,
collyres anti-inflammatoires. Surveillance journalière.
fig 3
Néovascularisation et opacification
stromales cornéennes
Conséquence : amputation de l’axe optique après un syndrome de Stevens-Johnson
(SJS).
TROUBLEs RéFRACTIFS
La réfraction va permettre la mise au point des images sur la
rétine : cornée et cristallin transparents, ce dernier modulant
son pouvoir réfractif grâce au muscle ciliaire auquel il est accroché, variations pupillaires modulant l’entrée de la lumière
dans l’œil – sous la dépendance du système nerveux parasympathique pour le sphincter pupillaire et du sympathique pour
les fibres musculaires radiaires. Ces perturbations sont majoritairement bilatérales, brutales mais transitoires et bénignes.3
Médicaments à effet atropinique (tableau 1)
Mydriatiques, ils freinent l’accommodation, créant ainsi une
« hypermétropisation ». La gêne est ressentie en vision de
près : pseudopresbytie pour le jeune patient ou aggravation
d’une presbytie. Ils peuvent aussi créer un accolement du
­rebord pupillaire au cristallin chez des patients prédisposés,
fig 4
Dépôts cornéens classiques
sous-épithéliaux cornea verticillata
Ces dépôts sont provoqués (bande sinueuse jaunâtre) par prise au long cours
d’amiodarone.
Reproduction avec l’aimable autorisation du Dr Stéphanie Amarger, CHU Estain,
Clermont-Ferrand, France.
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Tableau 1
Principaux médicaments avec risque
de fermeture de l’angle irido-cornéen
Risque de glaucome aigu par fermeture de l’angle (GAFA).
Action
Médicaments
Mydriatiques
A effet atropinique
• Atropine, scopolamine
• Neuroleptiques : phénothiazines, loxapine, pimozide
• Neuroleptiques antiémétiques à effet anti-H1
• Antidépresseurs imipraminiques
• Antihistaminiques anti-H1 : alimémazine doxylamine,
prométhazine
•Disopyramide
•Néfopam
• Antispasmodiques utilisés dans l’incontinence
urinaire par impériosités : trospium, flavoxate,
oxybutynine, solifénacine, toltérodine
• Antispasmodiques antalgiques : tiénomium, clidinium
• Bronchodilatateurs : ipratropium, tiotropium
• Antiparkinsoniens atropiniques : bipéridène,
trihexyphénidyle, tropatépine
•Mémantine
• Inhibiteurs de la recapture de la sérotonine
A effet sympathomimétique alpha
• Adrénaline et noradrénaline
• Vasoconstricteurs nasaux : oxymétazoline,
naphazoline, tuaminoheptane
• Hypotenseur artériel : midodrine
• Amphétamines : méthylphénidate, bupropion,
sibutramine
Levodopa
Blocage par effusion
des corps ciliaires
Topiramate
créant alors une fermeture mécanique de l’angle irido-cornéen
puis une hypertonie intra-oculaire rapide appelées glaucome
aigu par fermeture de l’angle (cf. Glaucomes secondaires par
fermeture de l’angle).
Médicaments cholinergiques
Myotiques, ils peuvent causer un spasme accommodatif, créant
ainsi une « myopisation ». Ces troubles réfractifs seront alors
ressentis en vision de loin mais celle de près sera elle aussi inhabituellement modifiée pour le patient.
Diurétiques, sulfamides et topiramate
Ils modifient l’hydratation et le volume de structures oculaires (cristallin, corps ciliaires) entraînant des troubles réfractifs rapides ou brutaux.
Morphiniques
Myotiques par action parasympathique centrale, ils provo­
quent par ailleurs peu d’autres troubles oculaires.
Corticoïdes
Que ce soit par voie systémique, mais aussi en inhalation,4,5 la
corticothérapie au long cours reste la principale pourvoyeuse
de cataractes dites « cortico-induites », à tout âge. La dose
­cumulée semble être le principal facteur de risque, mais les
variabilités interindividuelles sont indéniables et nombreu­ses.
Les corticoïdes topiques (collyres) peuvent eux entraîner rapide­
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ment une hypertonie oculaire. (cf. Hypertonie oculaire). Par voie
nasale, ils ne semblent pas avoir de toxicité ophtalmologique.
Tous troubles réfractifs brutaux : suspecter une étiologie
médicamenteuse
Consultation ophtalmologique rapide (avant 2 semaines).
Mydriases pharmaco-induites (tableau 1) :
Consultation ophtalmologique en urgence, dès la moindre suspicion de glaucome aigu par fermeture de l’angle (GAFA).
Corticothérapie au long cours
Surveillance annuelle : pression intra-oculaire, examen du cristallin, des papilles optiques (cf. Glaucomes cortico-induits). OCT
maculaire (notre CT ophtalmologique ou Optical Coherence Tomography) si choriorétinite séreuse centrale (CRSC) (cf. Toxicité
rétinienne).
TOXICITé RéTINIENNE
L’irréversibilité potentielle des rétinopathies toxiques médicamenteuses et l’absence habituelle de symptômes initiaux
en font un enjeu capital de dépistage.
Antipaludéens de synthèse (APS)
L’hydroxychloroquine (HCQ, Plaquenil) et le phosphate de
chloroquine (CQ, Nivaquine) peuvent avoir des conséquen­
ces rétiniennes sévères, justifiant ainsi un dépistage ophtalmologique régulier. Utilisés en première ligne de diverses
connectivites, les APS restent les composés les mieux tolérés dans l’arsenal thérapeutique anti-inflammatoire existant. Cependant, leur toxicité rétinienne potentielle même
rare, focalisée dans la région maculaire, reste un enjeu de
surveillance au long cours. Responsables de baisses significatives de l’acuité visuelle, non réversibles, il faudra rechercher les signes préco­ces d’attein­tes rétiniennes durant toute
la durée du traitement. L’atteinte maculaire reste longtemps
asymptomatique et l’arrêt des APS et leur substitution dès
les premiers signes ophtalmologiques peuvent souvent permettre une stabilisation maculaire. C’est un véritable enjeu
de dépistage.6
L’ophtalmologue établira, en collaboration étroite avec le praticien référent, une démarche de surveillance bien codifiée
(cf. ci-dessous). Le classique électrorétinogramme maculaire
(ERG multifocal) reste l’examen de référence en cas de lésions
maculaires suspectes ou avérées, ou si le champ visuel n’est
pas fiable (figure 5).
HCQ, Plaquenil : facteurs de risque de maculopathie aux APS 6,7
Durée de la prise > 5 ans, dose cumulée > 1000 g, dose journalière
> 400 mg ou > 6,5 mg / kg.
Facteurs de risque associés : âge > 60 ans, dysfonction rénale
ou hépatique, surcharge pondérale, rétinopathie préexistante.
Surveillance ophtalmologique annuelle au minimum, selon
l’atteinte rétinienne
Examen du fond d’œil, champ visuel, OCT-SD maculaire (tomo­
graphie maculaire) ± autofluorescence maculaire, ± ERGmf.
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OPHTALMOLOGIE
fig 5
Proposition de protocole de suivi ophtalmologique
Pour les patients sous antipaludéens de synthèse (APS) aux HUG en 2015. CV : champ visuel.
Si altérations
du CV ou maculopathie =
refaire les examens à 6 mois
APS
< 5 ans
Systématiquement,
tous les ans
APS
entre 5 et 10 ans
APS
> 10 ans
Si examens altérés
ou non fiables
1.
CV automatisé
des 10° centraux
(maculaire)
Si altérations
du CV ou maculopathie =
refaire les examens à 3 mois
2.
Coupes en OCT-spectral Domain
maculaires
(problème de participation
par exemple)
3.
ERG mf
(électrorétinogramme
multifocal (maculaire))
Si altérations
du CV ou maculopathie =
refaire les examens rapidement
Corticoïdes
Ils sont aussi responsables d’atteinte rétinienne sous forme
de chorio-rétinite séreuse centrale (CRSC), quelle que soit leur
galénique. Touchant souvent les hommes jeunes, cette CRSC
est un décollement séreux maculaire se manifestant par l’apparition d’un scotome central relatif – c’est-à-dire une opacification modérée du champ visuel central. L’acuité visuelle est
très souvent conservée. Mise en évidence par un examen du
fond d’œil mais surtout par OCT maculaire, l’angiographie à
la fluorescéine permettra aussi de visualiser le (les) « point(s)
de fuite » sous-rétinien(s) (figure 6). D’évolution spontanément favorable en quelques semaines à quelques mois, elle
est de très bon pronostic. L’arrêt du traitement corticoïde
doit être discuté.
léances des patients sont variables : troubles visuels (flou, baisse
d’acuité, gêne en vision nocturne), altérations du champ visuel,
voire dyschromatopsie.
fig 6
Chorio-rétinopathie séreuse centrale
(CRSC) chez une patiente de 29 ans
Angiographie à la fluorescéine avec une hyperfluorescence paracentrale supérieure
(tache blanche) due au point de fuite choriorétinien, créant une plus large bulle
de soulèvement rétinien séreux discrètement hyperfluorescente (halo rond gris
blanc) emportant le centre maculaire.
Acuité conservée à 8 / 10. Scotome relatif central.
Tamoxifène
La toxicité du tamoxifène pour la rétine reste rare (0,6 %
­selon l’International Breast Cancer Study Group en 2006)8 et
semble être dose- et temps-dépendants. Au fond d’œil, on
note classiquement de multiples dépôts jaunes, maculaires,
réversibles à l’arrêt du traitement.9 Plus rarement, ils sont
responsables d’un véritable œdème maculaire. Cette atteinte
rétinienne ne nécessite pas d’arrêt thérapeutique, sauf en cas
de baisse de l’acuité visuelle.
Aucune surveillance ophtalmologique conseillée
habituel­lement.
Déféroxamine
Les atteintes à la déféroxamine, utilisée principalement dans
le traitement de certaines hémochromatoses, sont souvent
méconnues des ophtalmologues : neuropathie optique aiguë,
réversible, rétinopathie irréversible. Selon l’atteinte, les do-
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La rétinopathie à la déféroxamine semble être dose-dépendante, nécessitant d’ajuster les doses selon la ferritinémie.
Elle nécessite un dépistage régulier. L’examen ophtalmologique s’attachera à rechercher un œdème maculaire cystoïde
notamment.
fig 7
Œdème maculaire rétinien droit
sous fingolimod
OCT-SD maculaire avec mapping – œdème en rouge – et profil maculaire – œdème,
kystes noirs intrarétiniens, angiographie à la fluorescéine – œdème en blanc.
Résolution après arrêt du traitement. Patiente de 41 ans, monophtalme droite.
Déféroxamine, facteurs de risque de toxicité rétinienne10
Dose moyenne journalière non adaptée, ± jeune âge ± diabète.
Surveillance ophtalmologique annuelle au minimum, voire
semestrielle
Examen ophtalmologique, OCT-SD maculaire, ERG.
Interférons
Connue depuis les années 1990, la rétinopathie à interférons
(a2a, a2b, b) touche selon les études, de 4 à 86 % des patients
sous traitement, apparaissant dès les premières semaines jus­
qu’à plusieurs mois.3,11 Les atteintes rétiniennes sont asymptomatiques, réversibles après arrêt du traitement. L’examen
du fond d’œil retrouve des signes non spécifiques liés à une
ischémie microvasculaire : nodules cotonneux et hémorragies
rétiniennes. La normalisation du fond d’œil, sans arrêt ni
­modifications thérapeutiques, intervient entre deux semaines
et quatre mois après le diagnostic.
Hypertonie oculaire et neuropathie optique
médicamenteuse
Risque de toxicité rétinienne. De très bon pronostic.
Urgence ophtalmologique si symptomatologie.
Fingolimod (Gilenya)
Immunomodulateur utilisé dans le traitement de la sclérose
en plaques, il peut entraîner des œdèmes maculaires. Ce ris­
que d’atteinte maculaire, à craindre principalement dans les
quatre premiers mois, serait augmenté pour les patients diabétiques ou ayant des antécédents d’uvéite. Nous rapportons
le cas d’une jeune patiente monophtalme ayant présenté un
œdème maculaire rétinien, dans le premier trimestre sous
fingolimod, résolutif après arrêt du traitement (figure 7).
Surveillance ophtalmologique : avant la mise sous fingolimod,
trois et six mois après le début du traitement.
Héparine et autres anticoagulants
En pratique, les anticoagulants comme les antiagrégants plaquettaires ne sont majoritairement pas responsables d’atteinte
oculaire. Par contre, ils peuvent secondairement aggraver une
pathologie choriorétinienne hémorragique existante (néovaisseaux choroïdiens dans les dégénérescences maculaires
liées à l’âge (DMLA), les néovaisseaux rétiniens des rétinopathies diabétiques proliférantes, etc.).
HYPERTENSION OCULAIRE
ET TOXICITé SUR LE NERF OPTIQUE
Le glaucome est la perte progressive des fibres optiques
constituant le nerf optique. Les glaucomes secondaires aux
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toxicités médicamenteuses sont bilatéraux et demeurent un
diagnostic d’exclusion. Les patients demeurent longtemps
asympto­matiques (acuité visuelle con­servée), justifiant un
dépistage régulier et précoce. Nous ne passerons pas en revue
l’ensemble des principes actifs pouvant être responsables
d’atteinte glaucomateuse et / ou hypertonique oculaire mais
aborderons ci-dessous les classes les plus courantes et nécessitant une attention ophtalmologique particulière.
L’hypertension intra-oculaire isolée est en soi une instabilité
oculaire non dangereuse pour nombre de nos patients. Cepen­
dant, elle est le principal facteur de risque d’apparition ou
d’ag­gra­vation de pathologie glaucomateuse. A ce titre, les corticoïdes restent les plus fréquemment en cause avec un effet
dose-­dépendant. Seuls les corticoïdes par voie nasale ne semblent
pas avoir de toxicité du segment antérieur de l’œil. La normalisation tensionnelle, non systématique, se fait en quelques
jours à quatre semaines après arrêt du traitement. La poursuite
d’une corticothérapie peut, à l’opposé, entraîner un glaucome
cortico-induit, souvent non réversible. Ce glaucome est non
différenciable du glaucome chronique à angle ouvert et sa prise en
charge est similaire (traitement topique par collyre(s) hypo­to­ni­
sant(s), chirurgie oculaire filtrante dans les cas les plus sévères).
Vulnérable lors d’intoxication alcoolotabagique ou de trou­bles
carentiels, le nerf optique peut aussi souffrir par toxicités médicamenteuses. Les principales molécules reconnues comme
responsables de glaucomes secondaires sont listées dans le
tableau 2 (non exhaustif ).12 Les mécanismes suspectés de
toxicité sont variables, directs (éléments structurels ou cellulaires du nerf optique) ou indirects (hypertension intracrânienne et souffrance du nerf optique), précisés ou méconnus
selon les molécules incriminées.
Antituberculeux et autres anti-infectieux
L’éthambutol principalement, mais aussi l’isoniazide, sont à
risque de toxicité sur le nerf optique justifiant une adaptation
rigoureuse des doses (toxicité dose-dépendante pour l’éthambutol) et un bilan lors de l’initiation du traitement. En cas de
neuropathie suspectée ou avérée, l’éthambutol sera arrêté en
premier.
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Tableau 2
Principaux médicaments toxiques pour
le nerf optique
Action
Médicaments
Toxicité sur le nerf optique (1)
Ethambutol
Chloramphénicol
Streptomycine
Isoniazide
Interféron alpha
Chlorpropamide
Tacrolimus
Linézolide
Digitaline
Disulfirame
Ciclosporine A
Dapsone
Infliximab
Vincristine
Cisplatine
5-Fluorouracil
Tacrolimus
Toluène
Hypertension intracrânienne (2)
Mécanismes possibles 1 et 2
come aigu par fermeture de l’angle. L’urgence est extrême en
raison du risque de perte massive et irréversible des fibres optiques nerveuses. Céphalées et vomissements peuvent égarer
le diagnostic, mais l’œil rouge et douloureux systématiquement
présent doit faire consulter un ophtalmologue en urgence.
­Divers mécanismes responsables ont été évoqués : dilatation
pupillaire entraînant un blocage de la circulation de l’humeur
aqueuse avec les bêta2-mimétiques (salbutamol), anticholinergiques comprenant de nombreux antidépresseurs, atropini­
ques, disopyramide (Rythmodan) ou encore antihistamini­ques H1
de première génération.
Aucune surveillance ophtalmologique consensuelle, mais
par principe de précaution : examen ophtalmologique en début
de traitement
Comprenant une analyse de l’ouverture de l’angle irido-cornéen.
Urgence ophtalmologique si symptomatologie suspecte.
Tétracyclines
Acide nalidixique
Lithium
Surdosage de quinine
Hypervitaminose A
Arrêt brutal d’une corticothérapie
générale prolongée
Erythromycine
Amiodarone ±
(D’après réf.12 ).
Ethambutol (Myambutol : facteurs de risque de neuropathie
optique
Dose > 15 mg / kg / j, âge > 65 ans, insuffisance rénale, durée de traitement > 2 mois.
Surveillance ophtalmologique lors de l’initiation du traitement
puis au minimum / an
Examen ophtalmologique complet, champ visuel automatisé, OCT
papillaire, vision des couleurs, potentiels évoqués visuels.
D’autres anti-infectieux sont incriminés dans les atteintes
neurotoxiques oculaires : le chloramphénicol reste le plus à
risque avec des atteintes dose-dépendantes, mais aussi les anti­
septiques intestinaux, l’érythromycine ou la streptomycine par
exemple.
Neuropathie optique par glaucome aigu
par fermeture de l’angle (GAFA)
CAS PARTICULIERs : PSYCHOTROPES,
ANTIéPILEPTIQUES ET RéTINOïDES
Psychotropes
Neuroleptiques, antidépresseurs tricycliques, inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, lithium, benzodiazépines peuvent tous
entraîner une toxicité ophtalmologique. Les atteintes sont
fréquentes et diverses : sécheresses oculaires (lithium), troubles
ou baisse visuels, mydriases parfois à risque de GAFA, mou­
vements oculaires anormaux, altération de la vision des couleurs ou des contrastes.3
Antiépileptiques
S’il y a un risque de GAFA avec le topiramate, la vigabatrine
­nécessite, elle, une surveillance avec examen ophtalmologique complet avant traitement au long cours et tous les six
mois pendant le traitement en raison du risque de déficits
campimétriques.
Rétinoïdes
La sévérité des atteintes oculaires impose d’en informer
­préalablement les patients : syndrome sec bien connu des
porteurs de lentilles de contact, baisse de l’acuité visuelle,
­atteintes campimétriques, rétinopathie, diplopie.
Aucune surveillance ophtalmologique préconisée.
Urgence ophtalmologique si symptomatologie.
Ce type de glaucome survient plus facilement chez les patients
prédisposés présentant déjà un angle irido-cornéen étroit ou
d’autres facteurs de risque (fortes hypermétropies par exem­
ple, cataracte intumescente, etc.).
Sous certaines conditions de dilatations pharmacologiques
(semi-mydriase), l’angle irido-cornéen peut se fermer, ralentissant ainsi le flux de résorption de l’humeur aqueuse. Cela
entraîne alors une augmentation de la pression intraoculaire
rapide : hypertonie aiguë dans les cas les plus sévères, créant
un obstacle au flux sanguin irriguant le nerf optique et une
­dégénérescence très rapide des fibres optiques. C’est le glau-
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Conflit d’intérêts : Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation
avec cet article.
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Implications pratiques
Les effets secondaires oculaires de nombreux médicaments ne
doivent pas être ignorés, sous peine de faire face à de nombreu­ses
doléances du patient, les effets même mineurs, comme la sécheresse oculaire, pouvant être très invalidants et possiblement
responsables de mauvaise compliance thérapeutique
La toxicité rétinienne ou les atteintes du nerf optique dues à
des médicaments souvent bien connus doivent amener le
prescripteur à adapter au mieux la posologie nécessaire et
débuter une collaboration avec l’ophtalmologue. Des examens
complémentaires seront souvent indispensables comprenant
principalement le champ visuel et l’OCT-SD
La sévérité et la possible irréversibilité des toxicités rétiniennes
et du nerf optique, évoluant le plus souvent de manière asymptomatique, doivent conduire le prescripteur à informer le patient
de ces toxicités potentielles comme de la nécessité d’un suivi
ophtalmologique spécialisé
1 Roujeau JC. Syndromes de Lyell et
de Stevens-Johnson. Rev Prat 2007;57:
1165-70.
2 Mehta S, Bunya VY, Orlin SE,
Sulewski ME, Dunaief JL. A significant
drug-drug interaction detected
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through corneal examination : Resolution of cornea verticillata while using
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3 ** Rousseau A, Labetoulle M.
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l’interféron. Rétine (Lavoisier, Paris)
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12** Milea D. Neuropathies optiques
médicamenteuses, toxiques et
carentielles. EMC – Ophtalmologie
2014;11: 1-5.
* à lire
**à lire absolument
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16 décembre 2015
10.12.15 08:32
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