Pour citer ce document, merci d’utiliser la référence suivante : OCDE 2010, “La politique économique contra-cyclique”, OCDE Département des Affaires Économiques, Note de politique économique, no 1. NOTE DE POLITIQUE ÉCONOMIQUE no 1 DU DÉPARTEMENT DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE CONTRA-CYCLIQUE Département des Affaires économiques Organisation de coopération et de développement économiques LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE CONTRA-CYCLIQUE Dans de nombreux pays de l’OCDE, la récente crise économique a tendu les cadres d’action publique à un point proche de la rupture. De récents travaux de l’OCDE ont examiné l’interaction des politiques avec le cycle économique au fil du temps et lors de la crise récente. Les principaux enseignements de politique économique sont les suivants : Les décideurs de politique économique doivent prendre en compte les incertitudes qui entourent le fonctionnement de l’économie, la nature des chocs économiques ou les effets des politiques et prendre leurs décisions en conséquence. Dans différents domaines, la politique économique devra se doter de marges de sécurité plus importantes et être plus prudente en période de reprise. Des règles budgétaires adéquates peuvent aider à préparer la politique budgétaire à la prochaine récession en suscitant un assainissement plus rapide durant la phase de reprise. Le cadre de politique monétaire et de politique financière doit assurer une meilleure articulation entre la stabilité économique et la stabilité financière. La politique financière doit renforcer la réglementation micro-prudentielle, des interventions réglementaires peuvent s’avérer nécessaires pour cibler des bulles naissantes induites par le crédit et les politiques macroprudentielles devraient s’attaquer aux risques systémiques. Il se peut qu’une action monétaire contra-cyclique soit envisageable si la hausse des prix des actifs est alimentée par une flambée du crédit et la réglementation financière est jugée insuffisamment robuste. Des ajustements des cadres de politique structurelle peuvent améliorer la résilience de l’économie face aux chocs et influer sur le degré d’endettement que les ménages et entreprises peuvent contracter. Les cycles se modifiaient 1. Depuis le milieu des années 80, les cycles d’activité ont tendance à avoir une amplitude plus faible et une durée plus longue durant la phase expansionniste, avec moins de récessions. Cette moindre volatilité macroéconomique s’est accompagnée d’une plus grande volatilité des prix des actifs, alors que les cycles de l’activité économique et des prix des actifs se sont davantage synchronisés au niveau national et international. L’envers de la « grande modération » a été une prise de risque accrue qui, conjuguée aux innovations des marchés de capitaux, a alimenté une forte poussée de l’endettement du secteur privé, qui s’est avérée être une source de fragilité dans de nombreux pays. De plus, les systèmes bancaires sont devenus plus pro-cycliques et les banques se sont de plus en plus endettées, leur structure de financement se détournant des dépôts dans de nombreux pays. La pro-cyclicité du secteur bancaire amplifiant les cycles dans la sphère réelle de l’économie, l’instabilité des marchés de capitaux peut aboutir à de graves récessions, comme l’a encore démontré la récente crise économique et financière. L’incertitude complique l’action des pouvoirs publics 2. La décision sur les mesures appropriées face à une perturbation économique est compliquée par de multiples incertitudes. Celles-ci peuvent concerner la structure de l’économie et la nature des chocs qui la frappent, mais aussi la façon dont les choix des pouvoirs publics affectent l’économie. 1 Les chocs provenant des marchés de capitaux et des marchés immobiliers peuvent être particulièrement coûteux et, pour y faire face, il faut une politique macroéconomique agressive. Toutefois, les tentatives empiriques pour déceler les déphasages naissants des prix des actifs peuvent être sujets à déclencher de fausses alertes ; et le rapport entre les fausses alertes et les prédictions correctes peut être élevé, ce qui engendre des coûts si les autorités réagissent systématiquement à ces alertes. C’est pourquoi, il faut davantage développer des outils d’évaluation des risques, et notamment des dispositifs d’alerte précoce. Les déficits publics ne subissent pas seulement les effets de l’activité économique, mais aussi ceux des cycles des prix immobiliers et des cours des actions. En ne prenant pas en compte les fluctuations des prix des actifs, on a donné une image trop flatteuse de l’expansion qui a précédé la crise économique et financière. En utilisant de meilleurs indicateurs du solde corrigé des fluctuations conjoncturelles et en tenant compte de l’impact des prix des actifs sur les recettes, on améliorerait la politique budgétaire, en aidant à ce que les effets d’aubaine ne servent pas à des réductions d’impôt à caractère permanent ou à un accroissement des dépenses. Les évolutions des marchés de capitaux et le resserrement des liens internationaux ont rendu plus capricieux les effets de la politique monétaire, d’où des difficultés pour déterminer l’ampleur et la rapidité des impulsions monétaires nécessaires. Par exemple, les évolutions des prix des actifs et le faible niveau des taux d’intérêt à long terme ont contribué pendant un certain temps à des conditions financières accommodantes, en dépit d’une politique monétaire plus restrictive menée avant la crise économique. Précaution et marges de sécurité pour les politiques macro-économiques 3. Une leçon importante à tirer de la sévérité de la récente récession est que les politiques mises en œuvre dans divers domaines devront se montrer plus prudentes durant les phases de reprise et créer des marges de sécurité plus grandes pour pouvoir réagir à des chocs adverses de grande ampleur. Certains pays, dont la situation budgétaire était déjà en mauvaise posture, ont été contraints d’opérer un durcissement pro-cyclique pendant la crise, tandis que les pays bénéficiant d’un excédent budgétaire confortable ont pu pratiquer une relance budgétaire plus importante (graphique 1). Dans les pays qui accusent de lourds déficits, la politique budgétaire est généralement moins réactive en période de récession que dans les pays qui enregistrent des déficits faibles ou des excédents (Égert, 2010) et la politique budgétaire paraît également plus efficace lorsque l’endettement est faible (Röhn, 2010). Ces expériences laissent penser que des marges de sécurité plus larges sont nécessaires, en particulier dans la zone euro, où la politique monétaire peut ne pas être alignée avec les besoins de stabilisation. Certaines règles de politique budgétaire, notamment une combinaison de limite de déficit et de plafonnement de l’augmentation des dépenses, peuvent permettre de constituer ces marges et rendre possible une politique budgétaire plus active en période de récession. Mais des règles inappropriées de politique budgétaire, par exemple des règles simples d’équilibre budgétaire, peuvent avoir un effet déstabilisateur et, parfois, les règles budgétaires induisent des comportements qui tendent à respecter la lettre de la règle, mais pas son esprit. Les pays où l’inflation était relativement forte ont éprouvé plus de difficultés à réduire les taux pour appuyer la stabilisation de la production. Lorsque la politique monétaire avait efficacement ancré les anticipations inflationnistes, la stabilisation macroéconomique paraît avoir été plus efficace, les banques centrales ayant généralement pu réagir plus vigoureusement durant la crise récente (graphique 2). Toutefois, les taux d’intérêt étant tombés à zéro dans de nombreux pays durant la crise, les possibilités de réaction de la politique monétaire se sont trouvées restreintes. La politique monétaire n’est pas devenue totalement inefficace, mais elle a dû s’appuyer sur des 2 instruments non conventionnels, dont les effets sont plus incertains. En principe, les événements récents pourraient exiger un relèvement de l’objectif d’inflation, à propos duquel on peut formuler un certain nombre d’arguments pour et contre, mais vu la nécessité de ne pas déstabiliser les anticipations d’inflation au moment où les emprunts publics atteignent des niveaux records, s’abstenir pour le moment de toute modification semble la meilleure solution. Les petites économies ouvertes rencontrent plus de difficultés pour leur politique de stabilisation. Une politique monétaire agissant sur le taux de change peut être un puissant instrument de stabilisation, mais au prix de transferts de ressources entre le secteur ouvert et le secteur abrité. Les interventions sur les marchés des changes peuvent potentiellement compenser en partie ces effets, mais ces mesures doivent s’appuyer sur une évaluation des désalignements, qui sont difficiles à identifier. En conséquence, lorsqu’une modification de la politique monétaire entraîne des mouvements non souhaités du taux de change, la politique de stabilisation doit être davantage épaulée par la politique budgétaire. Mais l’efficacité de la politique budgétaire est elle aussi limitée, surtout parce qu’il y a déperdition des effets de relance par le biais d’une hausse des importations. Dans ces conditions, une petite économie ouverte a besoin de marges de sécurité budgétaires plus importantes pour étayer sa politique de stabilisation. Graphique 1. Situation financière à la veille de la récession et relâchement consécutif Source : Base de données des Perspectives économiques de l’OCDE, n° 87. 3 Graphique 2. Les taux d’intérêt à court-terme aux alentours (abords) du dernier point de retournement Note : Le graphique décrit l’évolution des taux d’intérêt à court terme juste avant et juste après l’entrée en récession de l’économie. Les trajectoires de taux élevés et de taux bas correspondent aux quintiles supérieur et inférieur des observations pour l’ensemble des pays de l’OCDE. Au cours de cette récession, les taux directeurs ont baissé plus rapidement que les taux d’intérêt à court terme représentés dans le graphique. Source : Base de données des Perspectives économiques de l’OCDE, n° 87. Les mesures pour faire face aux turbulences financières 4. Dans le secteur financier, les matelas de fonds propres des banques étaient trop faibles dans de nombreux pays pour qu’ils puissent résister aux pertes dues à la crise. Le cadre d’action dans le secteur financier doit être reconfiguré de façon à amortir une volatilité inutile et à assurer une réglementation micro-prudentielle robuste. Préalablement à la crise récente, une prise de risque accrue, se conjuguant aux innovations financières, a alimenté une hausse considérable de l’endettement du secteur privé, qui s’est avérée être une source de fragilité dans de nombreux pays, mais pas partout (graphique 3). Les expériences différentes d’un pays à l’autre lors de la crise récente montrent qu’une solide réglementation microprudentielle peut contribuer à protéger le secteur financier des effets les plus préjudiciables, comme cela a été le cas au Canada, où les taux d’intérêt étaient faibles à la veille de la crise. De récentes initiatives internationales illustrent comment réduire la pro-cyclicité du système financier en renforçant sa capacité d’absorption des chocs et en remédiant aux problèmes d’incitation. On peut atténuer la pro-cyclicité du système financier de la façon suivante : S’efforcer de constituer des matelas de fonds propres plus élevés, contra-cycliques et éventuellement contingents, afin de renforcer la capacité d’absorption des chocs dans le secteur bancaire. Mettre en œuvre un système de provisionnement pour mauvaises créances assurant des marges de sécurité suffisantes lors d’une récession. Mieux aligner les incitations et les formules de rémunération avec les intérêts à long terme des actionnaires. Remédier aux problèmes d’aléa moral que posent les institutions financières d’importance systémique qui sont jugées trop grandes pour qu’on les laisse tomber en faillite, en mettant en place des mécanismes de liquidation ou une séparation efficace de leurs activités. 4 Graphique 3. Engagements financiers des ménages, des administrations publiques et des entreprises non-financières En pourcentage du PIB Source : Comptes nationaux annuels de l’OCDE. 5 5. En l’absence d’indications fermes sur le sens probable des variations des prix des actifs, la politique monétaire devrait adopter une approche prudente, en évitant une orientation inutilement laxiste, génératrice de désalignements, tout en se tenant prête à traiter les conséquences de l’éclatement d’une bulle. Cela dit, il est possible de détecter les désalignements très marqués des prix des actifs, et c’est le cas en particulier lorsqu’une expansion exubérante du crédit alimente des hausses excessives de ces prix, configuration qui tend à engendrer des coûts économiques plus lourds lorsque la bulle éclate. Un ensemble de mesures permettra de réduire en partie les coûts ou de remédier directement à une flambée naissante des prix des actifs : Une réglementation et une surveillance solides des marchés de capitaux devraient être la première ligne de défense. Des interventions plus ciblées, par exemple une modification du ratio maximum prêt/valeur du bien, pourront se justifier lorsqu’on peut craindre un désalignement naissant des prix des actifs. Faute de supervision suffisamment efficace des marchés de capitaux, la politique monétaire devra se montrer vigilante. Lorsqu’une flambée des prix des actifs est associée à une forte expansion du crédit, la politique monétaire peut être efficace en modifiant le prix de l’endettement. Eu égard au coût de la crise récente, il faudrait envisager d’utiliser les instruments de politique monétaire lorsque les mesures micro-prudentielles et macro-prudentielles ne sont pas suffisamment robustes, même si ces instruments ne sont pas les mieux adaptés lorsqu’il s’agit de contrecarrer une bulle des prix des actifs. Mais la nécessité d’éviter une déstabilisation de l’économie et de préserver l’ancrage des anticipations d’inflation limite cette action contra-cyclique, qui peut s’avérer particulièrement restreinte dans les petites économies ouvertes. 6. La crise financière a bien montré que le système actuel privilégiant la réglementation et la supervision axées sur les différents établissements ne tient sans doute pas suffisamment compte des risques systémiques. L’adjonction d’une superstructure macro-prudentielle aux mécanismes de supervision microprudentielle du système financier aiderait à détecter l’accumulation de vulnérabilités. Une meilleure surveillance macro-prudentielle associerait les différentes catégories de décideurs et favoriserait un dialogue plus étroit entre les responsables de la politique monétaire, les régulateurs et les superviseurs, avec un souci partagé de surveillance macro-prudentielle. Le rôle des politiques structurelles 7. Les politiques structurelles ne visent pas principalement à accroître la résilience d’une économie, mais elles peuvent, directement et par leur interaction avec la politique macroéconomique, influer sur la façon dont les chocs affectent l’économie. Par exemple, lors d’une récession, les allocations chômage augmentent et les recettes fiscales diminuent, ce qui se traduit par une stabilisation budgétaire automatique. Certes, les stabilisateurs automatiques jouent un grand rôle, en particulier lorsqu’on se trouve en présence d’un choc au niveau de la demande, mais les instruments de politique budgétaire qui les sous-tendent sont généralement conçus en premier lieu pour répondre à des objectifs d’équité ou d’efficience, la stabilisation automatique n’étant qu’un effet bénéfique connexe. 8. D’autres mesures structurelles peuvent agir sur la vulnérabilité d’une économie à un choc. Par exemple, les réformes de la politique du logement et de la politique fiscale sont à même d’atténuer la volatilité. Les incitations fiscales en faveur de l’accession à la propriété, en particulier la déductibilité des intérêts hypothécaires, ont tendance à augmenter l’endettement des ménages, ce qui les rend plus vulnérables en cas de choc. Les impôts immobiliers, qui sont assis sur la valeur courante des logements, peuvent en revanche stabiliser le marché immobilier. 6 Les mesures fiscales qui favorisent l’emprunt par rapport au financement sur fonds propres incitent les entreprises à s’endetter, rendant celles-ci, les banques et les autres créanciers plus vulnérables face à un choc. 9. En général, les politiques et les dispositifs institutionnels qui atténuent les frictions sur le marché du travail et sur les marchés de produits peuvent accentuer l’impact initial d’un choc, mais aussi réduire sa persistance, en permettant une réallocation plus rapide des ressources, qui peut accélérer le retour à la croissance tendancielle après un choc temporaire ou l’ajustement à un choc durable. Sélection bibliographique Principal document concernant ce projet : Sutherland, D., P. Hoeller, B. Égert et O. Röhn (2010), « Counter-cyclical Economic Policy », Documents de travail du Département des affaires économiques de l’OCDE, n° 760. Autres documents : Adam, K. (2010), « Optimal Monetary and Fiscal Stabilisation Policies », Documents de travail du Département des affaires économiques de l’OCDE, n° 765. Crespo Cuaresma, J. (2010), « Can Emerging Asset Price Bubbles be Detected? », Documents de travail du Département des affaires économiques de l’OCDE, n° 772. Davis, E. P. (2010), « Asset Prices and Real Economic Activity », Documents de travail du Département des affaires économiques de l’OCDE, n° 764. Égert, B. (2010), « Fiscal Policy Reaction to the Cycle in the OECD: Pro- or Counter-cyclical? », Documents de travail du Département des affaires économiques de l’OCDE, n° 763. Égert, B. (2010), « The Nature of Financial and Real Business Cycles », Documents de travail du Département des affaires économiques de l’OCDE, n° 771. Röhn, O. (2010), « New Evidence on the Private Saving Offset and Ricardian Equivalence », Documents de travail du Département des affaires économiques de l’OCDE, n° 762. Sutherland, D. (2010), « Monetary Policy Reaction Functions in the OECD », Documents de travail du Département des affaires économiques de l’OCDE, n° 761. 7 Notes de politique économique du Département des Affaires économiques Cette série de Notes de politique économique a été conçue pour mettre à la disposition d’un public plus large certaines des études réalisées par le Département des Affaires économiques. Les commentaires sur cette Note de politique économique sont les bienvenus et peuvent être adressés à l’OCDE, Département des Affaires économiques, 2 rue André Pascal, 75775 Paris Cedex 16, France, ou par courriel à [email protected].