VIE PROFESSIONNELLE Nouvelles compétences infirmières : l’infirmière référente en neuro-oncologie F. Laigle-Donadey*, C. Lecaille*, J. Perennes*, M.H. Lorreyte*, J.Y. Delattre* Infirmière référente en neurooncologie : origines du projet L’idée de créer une nouvelle fonction infirmière appelée “référente” s’inspire des modèles des nurses practitioners d’Amérique du Nord (États-Unis et Canada) et des clinical nurse specialists du RoyaumeUni. Ce projet répond à plusieurs objectifs. Améliorer la continuité des soins Devant un diagnostic de tumeur cérébrale, une stratégie thérapeutique est élaborée au sein de la réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) entre neurochirurgiens, radiothérapeutes et neuro-oncologues. Le patient est donc pris en charge consécutivement par plusieurs équipes, ainsi que par son médecin traitant. Ce fractionnement de la prise en charge peut être source de difficultés pour le patient et sa famille, qui ne savent parfois plus à qui s’adresser. Placée au centre de ce dispositif multidisciplinaire et facilement joignable, l’infirmière référente a pour mission de conseiller le patient ou de le diriger vers le meilleur interlocuteur pendant toute l’évolution de sa maladie. Elle contribue ainsi à maintenir la continuité des soins. Améliorer la prise en charge familiale et sociale *Service de neurologie Mazarin, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris. Les tumeurs cérébrales affectent souvent des adultes dans la force de l’âge, ayant des responsabilités professionnelles et familiales. Le service social a donc un rôle prépondérant. Il doit être capable d’anticiper les problèmes sociaux et familiaux (reconnaissance d’invalidité, aides financières, tutelle, etc.). Un des objectifs importants de l’infirmière référente est de faciliter une prise en charge sociale personnalisée qui pourra être adaptée au cours de l’évolution, cela en réalisant un bilan psycho-social dès le stade de la consultation d’annonce, en lien étroit avec le service social. 220 | La Lettre du Neurologue • Vol. XII - n° 7 - septembre 2008 Anticiper et organiser l’accompagnement Lorsque l’évolution est défavorable, les décisions concernant la prise en charge de la fin de vie sont trop souvent inadaptées, car elles n’ont pas été suffisamment préparées. Une mission essentielle des infirmières référentes est donc d’anticiper, d’organiser et de coordonner cette phase de la maladie en concertation avec le patient, sa famille et les équipes soignantes (hospitalières et extrahospitalières). Formation de l’infirmière référente en neuro-oncologie La fonction d’infirmière référente en neuro-oncologie nécessite une formation, clinique et universitaire, d’une durée de 6 mois, afin d’acquérir des connaissances médicales dans la spécialité. Formation théorique L’infirmière suit l’enseignement dispensé aux étudiants en médecine : cours d’anatomie et de physiologie du système nerveux, puis de sémiologie et de pathologies neurologiques, afin de pouvoir développer dans sa pratique un raisonnement diagnostique et thérapeutique. Si cette formation théorique ne la dispense en aucun cas de travailler sous la responsabilité d’un médecin, elle lui permet de mieux comprendre les décisions prises. Formation pratique La formation est également axée sur l’acquisition de compétences pratiques : réalisation d’un examen clinique neurologique, lecture des scanners et des IRM, surveillance biologique, connaissance des différents traitements et de leurs effets indésirables. Cet VIE PROFESSIONNELLE apprentissage s’effectue dans les différents services prenant en charge les malades atteints de tumeurs cérébrales (neuro-oncologie, neurochirurgie, anatomopathologie, radiothérapie, neuroradiologie, unités de soins palliatifs [USP] et équipe mobile de soins palliatifs). Cette formation s’achève par un contrôle des connaissances réalisé dans les mêmes conditions de validation que pour les étudiants en médecine. L’ensemble de la formation a pour objectif d’assurer l’efficacité et la légitimité de l’infirmière référente lors de sa prise de fonction, et de lui octroyer une crédibilité auprès des malades et des familles mais aussi des médecins de ville. Missions et responsabilités au sein de l’équipe médicale et soignante À l’issue de sa formation, l’infirmière référente intègre l’équipe de neuro-oncologie dans le cadre d’une fonction transversale incluant différents pôles d’activité. Activité clinique Son travail s’effectue principalement à l’hôpital de jour, où l’infirmière intervient auprès des patients dès la mise en route d’une chimiothérapie pour analyser les problèmes médicaux, sociaux, familiaux ou psychologiques, en fonction desquels elle fait des propositions au médecin, qui reste le seul responsable de la décision. La proposition peut ainsi être de continuer la chimiothérapie en cours, de changer de traitement en cas de progression tumorale ou bien de l’interrompre pour organiser les soins palliatifs. Activité de suivi des patients à domicile et de soutien des familles L’infirmière référente effectue un suivi téléphonique régulier des patients à domicile, qu’ils soient en cours de traitement ou en phase palliative. Elle constitue un interlocuteur disponible qui les écoute, répond à leurs interrogations, les soutient psychologiquement, mais trouve aussi des solutions rapides lorsqu’une complication survient ou que le maintien au domicile n’est plus envisageable. Ce travail est mené en collaboration avec le neuro-oncologue référent, qui prend le relais si nécessaire. Consultation d’annonce Suite aux recommandations du Plan cancer, l’infirmière référente assure également la consultation d’annonce : tout nouveau malade vu par un neuro-oncologue bénéficie d’une consultation dans les 8 jours avec une infirmière référente afin que celle-ci reformule les explications médicales fournies et réponde aux questions que se posent malades et familles. Rôle d’anticipation des placements en unité d’intercure et en USP Son travail en hôpital de jour permet à l’infirmière référente d’aborder plus tôt la question de l’intercure et des soins palliatifs avec les patients dont la maladie progresse. Il s’agit de préparer moralement et pratiquement la famille à la phase terminale de la maladie, et d’anticiper la décision d’arrêt des traitements curatifs qui sera prise par le médecin. Ainsi, avant d’envisager une admission dans une USP ou un accompagnement à l’hôpital, une prise en charge à domicile est proposée lorsque cela semble envisageable. Les contacts et les partenariats que les infirmières référentes ont su établir par anticipation avec les médecins traitants, les organismes d’hospitalisation à domicile et les réseaux de soins palliatifs locaux facilitent considérablement cette prise en charge personnalisée. Intérêts de la fonction infirmière référente en neuro-oncologie Après plusieurs années d’exercice et malgré quelques réticences initiales, la fonction d’infirmière référente a clairement prouvé son intérêt non seulement pour le patient et sa famille, mais aussi pour tous les intervenants, professionnels de santé hospitaliers ou à domicile. Pour les malades Dans un contexte de maladie grave, il est important pour les malades et leur famille d’avoir un professionnel référent qu’ils peuvent joindre facilement dès qu’une question se pose. Voir régulièrement les patients permet à l’infirmière référente d’instaurer une relation de confiance et d’assurer un La Lettre du Neurologue • Vol. XII - n° 7 - septembre 2008 | 221 VIE PROFESSIONNELLE suivi personnalisé. L’anticipation des soins palliatifs permet ainsi d’éviter au malade le passage par les urgences et d’organiser, pour ceux qui le souhaitent, l’accompagnement au domicile. beaucoup de motivation et de satisfaction à l’infirmière référente. Pour le personnel La nurse practitioner des pays anglo-saxons a servi d’exemple en neuro-oncologie pour développer un projet pilote de formation “d’infirmière référente”, projet mené en étroite concertation par les équipes médicales, les cadres et la direction hospitalière. Cette nouvelle fonction a été mise en place en fonction des objectifs de prise en charge des patients atteints de tumeurs cérébrales, mais cette expérience peut s’imaginer dans de nombreuses disciplines médicales et chirurgicales. Sa formation permet à l’infirmière référente d’être un interlocuteur privilégié pour le patient et sa famille, mais aussi d’assurer une fonction de coordination entre différents acteurs, hospitaliers et extrahospitaliers. Ce projet d’expérimentation sur le rôle de l’infirmière référente en neuro-oncologie vient de faire l’objet d’une évaluation quantitative par la Haute Autorité de santé (HAS), aux résultats très concordants, ce qui renforce sa légitimité. Aujourd’hui se pose la question de la reconnaissance de ces nouvelles compétences : peut-on envisager une évolution de statut pour ces infirmières ? Cette nouvelle organisation contribue à mieux lutter contre l’épuisement professionnel des soignants à l’hôpital. L’infirmière référente assiste le médecin, et son rôle est complémentaire de celui des autres infirmières. La perception par ses collègues est positive, car ils apprécient la proximité et la disponibilité de l’infirmière référente, qui les renseigne sur les décisions médicales, l’évolution de la maladie, le contexte familial et psychologique, etc. Pour les médecins Un nouveau type de collaboration entre l’infirmière référente et les médecins s’est développé. Ces nouvelles compétences infirmières permettent aux médecins de consacrer plus de temps aux malades dont les cas sont plus complexes à prendre en charge ainsi qu’à leurs activités de recherche et d’enseignement. Conclusion Pour en savoir plus… Pour l’infirmière référente La reconnaissance de l’activité et du rôle de l’infirmière référente au sein de l’équipe de neuro-oncologie par les médecins, les cadres, l’ensemble des équipes mais surtout par les malades et leur famille procure 222 | La Lettre du Neurologue • Vol. XII - n° 7 - septembre 2008 > Nicolas G, Duret M. Propositions sur les options à prendre en matière de démographie médicale. 9e proposition : Reconnaître le rôle des professionnels de santé non médecins et déterminer pour chaque spécialité les actes qui pourraient être transférés dans leur champ de compétence propre. Paris : Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, juin 2001.