H i g H l i g H t s 2 010 : M É D E C i N E D U t R AVA i l Absence de longue durée et arrêt de travail prolongé: n’avez-vous rien oublié? Laurence Wasem Introduction En Suisse, depuis 2008 une absence du poste de travail pour maladie ou accident est dite de longue durée dès trente jours d’arrêt de travail. Elle peut faire directement l’objet d’un signalement à l’Assurance-Invalidité (AI) dans le cadre de la détection précoce, par le patient, son employeur, un proche de l’assuré ou encore son médecin traitant. Case-manager, assureur, médecin-conseil, employeur, responsable de ressources humaines, gestionnaire de dossiers, nombreux sont les intervenants qui jalonnent le parcours du patient-travailleur. Contrairement à certaines croyances, tous les «professionnels» qui gravitent autour du patient n’ont ni les mêmes intérêts, ni les mêmes contraintes et encore moins les mêmes niveaux de formation. Dans de nombreuses situations, la spécificité et l’expérience du médecin du travail permettraient de sortir de douloureuses et coûteuses impasses. Actuellement Laurence Wasem L’auteur certifie qu’aucun conflit d’intérêt n’est lié à cet article. Une sorte de méthodologie d’évaluation de l’absence de longue durée est en vigueur dans la plupart des entreprises qui ne disposent pas de service de santé au travail. Après un temps déterminé d’arrêt de travail, le patient-travailleur est supposé revenir, sinon à son poste, du moins dans l’entreprise. Selon la taille de cette dernière et son domaine d’activité, des mesures précoces de suivi d’absence se mettent très rapidement en place – ou s’enlisent. Pour l’employeur, le retour est attendu pour autant que le cahier des charges puisse être rempli ou tout au moins qu’une activité aménagée soit compatible avec les intérêts de l’entreprise. Pour l’assureur, perte de gain ou invalidité, et pour le médecin-conseil, la recherche de critères objectifs d’incapacité de travail fait sous-entendre que l’on considère le travailleur comme un individu neutre et standard. Il est beaucoup insisté dans la littérature de médecine assécurologique sur l’évaluation normative, par ailleurs bien connue en médecine du travail. Dans cette même approche, l’estimation du taux d’incapacité de travail d’un individu particulier, il ne devrait pas être fait mention de ses caractéristiques particulières telles que sa langue maternelle, son statut social, ses origines ethniques, etc. Apparemment trop souvent, les médecins traitants ont tendance à évoquer des paramètres caractérisant leurs patients, mais dont les assureurs et médecins-conseil ne peuvent intégrer les individualités. Quand a posteriori on analyse l’octroi de rentes d’assurance invalidité pour motif psychique par exemple, n’est-il pas curieux de retrouver une sur-représentation de femmes élevant seules leurs enfants, ou d’immigrés de niveau de formation très basique qui maîtrisent mal une de nos quatre langues nationales? Dans un souci de réserver les rentes ou prestations à ceux qui en ont réellement besoin, et parallèlement de relever le défi de l’économie des caisses, des barèmes sont institués visant à permettre une équité de reconnaissance des conséquences de handicaps divers. Dans le langage assécurologique, mais également managérial, on veut établir les limitations fonctionnelles, c’est-à-dire la liste des opérations que l’employé devrait effectuer mais ne peut pas, du fait de son problème de santé. Habituellement, ces limitations fonctionnelles sont exprimées en nombre de kg de charge à soulever, en durée de posture déterminée, en nombre de km à parcourir, etc. Ces unités sont faciles à accepter mais qu’il s’agisse de limiter le service au guichet, l’effectif des élèves d’une classe, voilà que cela suscite autant de crispations que si l’on proposait de passer au dessert sans avoir fini la soupe … Quelle unité appliquer pour quantifier le degré de tension d’un secteur, le nombre de collaborateurs en conflit dans un bureau? Dans un article de référence [1], après avoir bien prévenu les médecins traitants de rester objectifs, il est tout de même admis que les chances de réinsertion sont aussi fonction du réseau de personnes qui peuvent être mobilisées et motivées à trouver des solutions pour le retour d’un employé après un arrêt de travail de longue durée … Les auteurs, plutôt du pôle assureur, vont même aller jusqu’à proposer au médecin traitant de prendre contact avec l’employeur ou le responsable de ressources humaines afin de trouver des solutions efficaces. De telles attentes sont souvent vaines puisqu’il est difficile pour un praticien de se plier à un tel exercice. Il n’a d’ailleurs pas de formation spécifique sur laquelle il pourrait s’appuyer. Si l’on ne veut pas réduire le patient-employé à une entité infantilisée, si l’on veut éviter de se poser en patriarche, certes débonnaire, mais pas très professionnel, une autre approche est nécessaire. Vers quoi il faudrait évoluer Dans les entreprises qui bénéficient d’un service médical de santé au travail, l’employé qui tombe malade est souvent déjà identifié, fait l’objet d’un monitoring des risques professionnels inhérents à sa tâche: Des visites Forum Med Suisse 2011;11(1–2):5–6 5 H i g H l i g H t s 2 010 : M É D E C i N E D U t R AVA i l de postes, qui se font notamment en cas d’analyse des dangers (en particulier important à mettre à jour par rapport aux femmes enceintes), ou lors de réseaux organisés pour résoudre des conflits. Pour les spécialistes en santé et sécurité au travail, la réinsertion est un de leurs domaines de compétences. Un lien est créé entre le collaborateur et l’instance médicale déontologiquement neutre de l’entreprise. A ce propos, relevons que le médecin du travail et l’infirmière de santé au travail, seuls à même d’apprécier l’interface entre santé et travail, sont formés spécifiquement pour occuper leur rôle dans la dialectique employeur-employé. L’évaluation de l’aptitude au poste de travail, en particulier après un arrêt de travail de longue durée, est l’occasion pour le médecin du travail de faire le bilan des problèmes de santé dont a souffert le travailleur et de parcourir avec lui les ressources dont il dispose encore, tout en les inscrivant dans la perspective d’activités qui pourraient être maintenues. De par sa connaissance de l’entreprise, ses contacts avec les supérieurs hiérarchiques et les responsables de gestion du personnel, le médecin du travail, ou quand il y a lieu, l’infirmière spécialisée en santé au travail, peuvent émettre des propositions réalistes pour faire revenir précocement un collaborateur. Le cas échéant, une analyse ergonomique ou des examens complémentaires peuvent permettre d’affiner les conditions de reprise d’activité. Une visite de pré-reprise permet de vérifier dans quelle mesure le patient est prêt à revenir à son poste et de quel aménagement il pourrait avoir besoin. Parallèlement, le médecin du travail s’assurera qu’au niveau de l’entreprise, les collègues et supérieurs ont véritablement préparé son retour en activité. Le patient, quant à lui, est souvent très reconnaissant de savoir que sa situation est suivie de façon appropriée, professionnelle, par le médecin du travail ou l’infirmière d’entreprise qui connaît son parcours individuel. La détermination de l’aptitude, aptitude sous réserve ou inaptitude à effectuer une tâche par le médecin du travail devrait permettre à l’assureur d’apprécier les taux de capacité de travail, converti en prestations, de façon plus pertinente qu’actuellement. Si l’on en croit les recours d’assurés en augmentation contre les décisions de l’Assurance-Invalidité, qui de gratuits sont devenus coûtant pour l’assuré, il s’avère nécessaire de bien évaluer les handicaps, si possible en amont des tribunaux. Conclusion Il serait souhaitable que le domaine de la réinsertion professionnelle … se professionnalise! Il est temps de faire intervenir des spécialistes plutôt que de laisser s’affronter les sumotori de l’évaluation de l’incapacité de travail ou de l’estimation du taux d’invalidité … Dans ce match de sumo, on pourrait se lasser de voir un héros porter les couleurs de l’Assurance-Invalidité, un autre le drapeau du case-manager, tandis qu’un troisième concourt pour l’assurance perte de gain (fig. 1 x). Et dans le public, respectueusement assis, des responsables de ressources humaines suivent attentivement les protagonistes, surprenant d’agilité juridique, avec leurs différents poids financiers, qui s’entrechoquent dans un bruit de chairs éclaffées inimitable … Dans ce combat, il ne resterait plus au patient-travailleur qu’un rôle possible: celui du cercle de pierre, bien brossé, sur lequel évoluent, piétinent, trébuchent les héros. N’est-il pas temps que cela change? Correspondance: Dr Laurence Wasem Rue du Moulin 3 CH-1110 Morges [email protected] Référence Figure 1 Match de sumo (Wikimedia Commons). 1 Olivieri M, Kopp HG, Stutz K, Klipstein A, Zollikofer J. Principes fondamentaux de l’appréciation médicale de l’exigibilité et de la capacité de travail. 1ère partie. Forum Med Suisse. 2006;6 (18):420–31. Forum Med Suisse 2011;11(1–2):5–6 6