Approche sociologie du progrès scientifique

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NATURE ET FINALITÉ DE
L’ÉPISTÉMOLOGIE
Hodo-Abalo Jean-Baptiste AWESSO
Docteur de l’Université de Lyon
Université Jean Moulin Lyon 3
Épistémologie et Histoire des Sciences
Les différentes branches de la philosophie
La philosophie est une discipline où se confrontent plusieurs champs
de réflexions :
La métaphysique : "y a-t-il des réalités immatérielles ?", "Dieu
existe-il ?", "l'âme est-elle immortelle? incorporelle ?»
Elle traite aussi du problème de l'ontologie : «qu'est-ce que l'être ?»,
«Pourquoi y a-t-il de l'être plutôt que rien ?»
La philosophie de la religion : tente de définir le divin et pose la
question de l'existence de Dieu, qu'elle double d'une interrogation
sur la nature du sacré en général
La morale : « Quelle est la fin des actions humaines ? », « le bien et
le mal sont-ils des valeurs universelles permettant de définir cette
fin ? »
L’éthique : discipline pratique et normative permettant de définir la
meilleure conduite pour chaque situation. Elle est liée à la métaéthique (« que dois-je faire ? »), et à la bio-éthique (« quelle
attitude faut-il tenir dans la manipulation du vivant ? »)
La philosophie du droit : « quels sont les relations entre Droit et
Justice ? », « comment naissent les normes judiciaires ? », « selon
quels critères faut-il les juger ? »
La philosophie politique : «d'où peut provenir la légitimité du
pouvoir ? », « quel est le meilleur régime politique ? » La morale
doit-elle et peut-elle guider l'action politique ?
L’esthétique :« Qu'est-ce que le Beau ? »
La philosophie de l'histoire : « l'histoire est elle régie par des lois,
une nécessité, ou est-elle le fruit absurde de la contingence ? »
La philosophie de la logique
La philosophie du langage : « Quelles est l'origine du langage ? »
« En quoi le langage se distingue-t-il d'autres systèmes de
communications ? » « Quelles relations entretiennent langage et
pensée ? »
L'épistémologie : discours sur la connaissance, en général, et sur la
science, particulier. Elle se réfère également à la méthodologie et
aux philosophie du langage et de la logique
Le « credo » de l’épistémologie contemporaine
« Nunquam in aliqua aetate inventa fuit aliqua scientia, sed a
principio Mundi paulatim crevit sapientia, et adhuc non est completa
in hac vita ». BACON (Roger), Compendium studii, cap. 1.
« Jamais, en aucun âge, une science quelconque ne fut trouvée.
Mais, dès le commencement du monde, la sagesse s’est développée
peu à peu, et jusqu’ici elle n’a pas été parfaite en cette vie »
Définition de l’épistémologie :
L'épistémologie est la partie de la philosophie qui se charge de
l’étudie critique de la science, sous quatre angles essentiels:
La nature de la science (qu'est-ce que la science?)
Les méthodes et les différentes techniques employées par la
science (comment la connaissance scientifique est-elle constituée
ou engendrée?)
Les résultats des investigations scientifiques (comment évaluer la
connaissance scientifique?)
L’histoire des sciences (comment la science progresse-t-elle?)
Cette posture de la science va interpeller la philosophie des
sciences (l’épistémologie) à travers plusieurs questions:
1) Qu’est-ce qui prouve que la science, en optant pour une théorie
au détriment d’une autre, acquiert véritablement plus
d’intelligibilité ou une meilleure représentation de la réalité
étudiée ?
2) Si la science se veut objective et rationnelle, peut-on affirmer
que les théories scientifiques épuisent les phénomènes qu’elles
explorent ?
3) Quels sont les mécanismes internes et externes du progrès
scientifique ?
L'intérêt et la pertinence de ces questions montrent que
l'épistémologie est une discipline sinon incontournable, tout au
moins indispensable à l’évaluation de la connaissance
La science, dans sa partie pratique tout comme dans sa partie
théorique, demeure la référence en termes de représentation des
phénomènes de la nature, dans l’échelle des disciplines de
connaissance
Les progrès en science sont acquis: sur ce point, personne, en
toute conscience, ne peut émettre le moindre doute
Les progrès réalisés dans les domaines tels que la biologie, la
médecine, la physique, l’astronomie, etc., le confirment
Quelques points fondamentaux
légitiment et justifient les
objectifs que se fixe l’épistémologie :
1) La place de la science dans l’échelle des disciplines de
connaissance
2) Les réflexions sur Le regard historique sur le progrès
scientifique
La pertinence épistémologique des ces questions tient, pour
l’essentiel, dans l’enseignement que fournit l’histoire des
sciences.
Le développement historique de la science révèle des crises
qui ont conduit à des refontes partielles ou radicales de
certaines théories.
Ces crises engendrent de la confusion et le doute dans une
science où l’homme avait cru à jamais avoir imprimé les
sceaux de la certitude rationnelle.
Plusieurs exemples, à
peuvent en témoigner
travers
l’histoire
des
sciences,
Newton (1643-1727), donnera les preuves mathématico-expérimentales
du système copernicien, par sa théorie de la gravitation universelle.
Début du XXème siècle, Einstein (1879-1955), montre les
insuffisances de la théorie de Newton.
Il invente la théorie de la relativité restreinte (1905), puis celle
de la relativité générale qui supplantent la théorie
newtonienne de la gravitation
La relativité générale est fondée sur des concepts radicalement
différents de ceux de la gravitation newtonienne.
La gravitation n'est plus une force absolue, mais la
manifestation de la courbure de l'espace (de l'espace-temps)
Cette courbure est produite par la distribution de l'énergie, sous
forme de masse ou d'énergie cinétique, qui diffère suivant le
référentiel de l'observateur.
L'essor de la physique quantique, avec toutes les remises en
cause des concepts de la science classique (Le problème du
rapport entre le sujet cherchant et l’objet de recherche)
Pendant plusieurs siècles, l’homme s’est construit la conviction selon laquelle
la terre se tient immobile au centre de l’univers, et tous les astres tournent
autour d'elle.
Aristote (385 av J.C – 322 av J.C), l’un des plus grands savants de l’Antiquité,
a fortement soutenu cette position (Contre Aristarque de Samos)
C'est le modèle géocentrique.
Ptolémée (l'an 90 – l'an 168) essayera d'apporter des preuves mathématiques
aux géocentrisme.
Et pourtant, quelques siècles plus tard, Copernic (1473-1543) montre que cette
conception est erronée.
Copernic place le soleil au centre de l'univers et estime que la terre tourne
autour d’elle-même.
Cette nouvelle conception des mouvements des planètes est appelée
l’héliocentrisme, et autour du soleil, ainsi que les autres planètes.
A la suite de Copernic, Galilée soutient l’hypothèse de l’héliocentrisme. En
1609, il fabrique des lunettes astronomiques.
Entre 1609 et 1610, Galilée observe les astres et les planètes : Jupiter et ses
satellites, les phases de la lune, les phases de venus, etc. Galilée est
désormais convaincu, il tient des preuves tangibles : le système de Copernic
est vrai. L’héliocentrisme renverse le géocentrisme.
Le domaine de la biologie
La découverte de l'ADN (acide désoxyribonucléique) comme
responsable de la transformation génétique et donc support de
l’hérédité (biologie moléculaire)
Cette découverte bouscule et révolutionne plusieurs disciplines
de connaissance: la biologie et la médecine, la sociologie, etc.
Elle révolutionne certaines institutions : la justice
On avait toujours distingué la matière vivante de la matière
inerte (matière organique/matière inorganique)
Avec les progrès réalisés dans le domaine des nanosciences ou
des nanotechnologies, les scientifiques on peut fabriquer de la
matière vivante à base d’une matière inorganique (les
frontières entre le vivant et la matière inorganique deviennent
poreuses)
Dans le domaine des mathématiques
La crise des fondements des mathématiques au
milieu du XIXème siècle avec Gauss, Lobatchevski
(1839) et Bolyai (1832):
l’émergence des géométries non-euclidiennes, etc.
Tous ces exemples témoignent en faveur de quatre idées principales :
1. les mécanismes internes des théories scientifiques sont toujours en
confrontation avec les phénomènes de l’univers.
2. Il y aurait une confrontation entre l’intelligence humaine et la réalité
phénoménale
3. Les phénomènes de la nature conservent toujours une part de secret
4. La possibilité pour la science d’acquérir une certitude absolue est un
leurre.
On retrouve ainsi la conviction de Xénophane (VIème et Vème siècles
avant J.-C.) : « Il n'y a jamais eu, il n'y aura jamais un homme qui
connaisse avec certitude ce que je dis des dieux et de l'univers. Quand
même il rencontrerait la vérité sur ces sujets, il ne serait pas sûr de la
posséder : l'opinion règne en toutes choses » (Xénophane de
Colophon). Voir aussi Karl R. Popper, Conjectures et Réfutations.
L’épistémologie du XXème siècle nous révèle que la nature est
complexe
Il existe un important fossé entre ce que sont effectivement les
phénomènes de la nature et les représentations théoriques que nous
en fournissent les théories scientifiques.
Cette première conclusion montre l’importance et la place de
l’épistémologie dans l’histoire de la connaissance scientifique, en
particulier, et du savoir, en général. Quelques approches épistémologiques du de la nature et du
progrès des sciences
Quels sont les mécanismes internes de la recherche qui font qu’on
passe d’une théorie à une autre, et en quoi ce passage induit-il
réellement une avancée en termes de connaissance et de maîtrise des
phénomènes de la nature ?
Trois mécanismes du progrès scientifique qui ont été défendus par des
épistémologues du XXème siècle retiennent notre attention:
Le néopositivisme (Le Cercle de Vienne)
Le falsificationnisme (K. R. POPPER)
Approche sociologique (Thomas S. KUHN)
Le positivisme logique, défend l’idée que la science peut accéder
à la certitude, en se fondant sur la méthode inductive : le
vérificationnisme.
exemple :
à partir de l’observation des cygnes à travers le monde, on
affirme de façon absolue et certaine que tous les cygnes sont
blancs.
Mais qu’est-ce qui prouve qu’il n’existe pas, quelque part dans
l’univers, un cygne noir ?
C’est cette dernière question qui va interpeller Karl Popper:
Approche falsificationniste
Popper pense que la science progresse plus en apprenant de
ses erreurs qu’en voulant établir des vérités absolues.
Popper propose la méthode dite de falsification. Il s’agit,
pour les scientifiques, d’éprouver leurs théories avec des
tests sévères, au lieu de les vérifier.
Chercher des moyens théoriques et des techniques
d’observation et de mesure pour démontrer qu’une théorie est
fausse, serait plus fructueux que d’en montrer la certitude.
On retrouve dans la démarche de Popper celle de Xénophane,
démarche selon laquelle la certitude n’existe pas dans le
domaine de la connaissance.
La science ne progresserait pas par accumulation de théories
vérifiées
Popper propose l’idée de « révolutions permanentes ».
Toute nouvelle théorie réfute la théorie qu’elle veut remplacer, et
la nouvelle théorie reste en attente d’être à son tour supplantée
par une autre théorie qui la contredira.
Popper fixe deux conditions pour qu’une théorie renverse sa
rivale :
1) La nouvelle théorie doit rendre compte de tout ce dont la
précédente parvenait à expliquer ;
2) Elle doit en plus expliquer les faits que l’ancienne théorie ne
parvenait pas à expliquer.
(Exemples : Aristote/Copernic, Newton/Einstein).
Conclusion : Pour Popper, la science progresse
produisant des conjectures qu’elle tente de réfuter.
en
Approche sociologie du progrès scientifique
Thomas Samuel Kuhn (1922-1996) révolutionne l’épistémologie:
dimension sociologique
Le projet épistémologique de Kuhn consiste principalement à montrer
que la science n’est pas une activité purement rationnelle, qu’elle a
une dimension socioculturelle, voire pragmatique.
Kuhn part de l’idée que la science commence par l’adoption d’un
paradigme.
Le paradigme est un cadre conceptuel à l’intérieur duquel un groupe
de savants développe des lois, hypothèses et théories pour rendre
compte de phénomènes naturels précis.
Le paradigme recouvre un ensemble de convictions, de certitudes,
voire de croyances avec des applications et dispositifs expérimentaux
bien définis.
Le paradigme revêt une triple dimension, sociologique, normative et
une dimension linguistique.
La dimension normative
le paradigme se constitue comme un espace d’ordre, de discipline
et d’exemples communs.
Le paradigme s’impose comme une source d’inspiration pour tous
les autres sujets de la discipline en vigueur: Les manuels
universitaires, les ouvrages couramment utilisés dans les
bibliothèques de recherche, les programmes officiels de
l’enseignement, etc.
Ces outils sont à la fois expression et vecteurs privilégiés du
paradigme
Le paradigme constitue ainsi un ensemble de règles admises et
intériorisées comme « normes » par la communauté scientifique,
dans le but de délimiter et de problématiser les faits jugés dignes
d’étude.
La dimension linguistique
Le paradigme se donne un outil de communication : c’est la
dimension linguistique du paradigme.
Les partisans du paradigme optent pour un langage spécifique
pour traduire leur croyances-certitudes en généralisation
symboliques (ce qui reste en harmonie avec la dimension
sociologique).
Il s’agit de formaliser mathématiquement les convictions et
croyances.
Cette opération permet de déterminer le champ d’action de
l’activité de recherche, de la maîtriser rationnellement et de la
développer.
Conclusion : Le paradigme constitue un cercle hermétique et
les chercheurs qui y travaillent s’enferment dans leurs
préjugés.
Les hommes engagés dans un paradigme ont pour but essentiel
d’approfondir les phénomènes et théories déjà fournis par le
paradigme
Conséquences de la nature du paradigme
La rigidité du paradigme implique une
communication entre les théories concurrentes.
absence
de
On parle de l’incommensurabilité entre paradigmes concurrents.
Kuhn fonde l’incommensurabilité sur la différence de langage et
de sensibilité entre les partisans de paradigmes rivaux.
Néanmoins Kuhn estime qu’il existe des normes classiques
objectives ou des critères permettant aux savants de statuer sur
la valeur de paradigmes rivaux et de déterminer la supériorité
de l’un sur l’autre : la précision, la simplicité, la cohérence et la
fécondité.
Mais, lorsqu’il s’agit d’appliquer ces normes, elles entrent en
conflit les unes avec les autres dans l’esprit des savants:
« Quand des scientifiques doivent choisir entre diverses théories
en concurrence, il peut arriver que deux personnes, disposant
de la même liste de critères, arrivent cependant à une décision
différente ». KUHN, La tension essentielle. Tradition et changement
dans les sciences, traduction de l’américain par M. Biezunski, A.
Lyotard-May et G. Voyat, Paris, Gallimard, 1990, p. 429.
La dimension sociologique:
Le paradigme un consensus initial d’un groupe de scientifiques sur
un problème concernant une réalité donnée.
Cette entité sociologique se donne un domaine de définition :
techniques d’investigation, méthodes de calcul, mode de circulation
ou de diffusion des connaissances, etc.
le paradigme instaure une communauté de savants, et la
communauté, à son tour, se charge de promouvoir le paradigme,
de l’exploiter en le développant au mieux, et de le défendre
lorsqu’il est remis en cause :
« Un paradigme est ce que les membres d’une communauté
scientifique possèdent en commune, et, réciproquement,
une communauté scientifique se compose d’hommes qui se
réfèrent au même paradigme », (KUHN, La structure des
révolutions scientifiques, op. cit., p. 240).
Les membres du paradigme forment un corps social solide et
hermétique qui offre à l’activité scientifique un contexte différent
du contexte purement logique ou rationnel. C’est dans ce contexte
davantage sociologique que rationnel que naissent les hypothèses.
Ce n’est plus la réalité à étudiée qui prime, ce sont plutôt les
convictions des savants, les projets à atteindre qui guident la
recherche.
Si les savants sont juges, sont-ils pour autant bons juges ? Les
savants jugent-ils de manière impartiale ?
Les chercheurs sont guidés moins par des critères dont ils disposent
que par la diversité de traditions, l’éducation et surtout par les
convictions qu’ils ont mûries sur l’étendue des domaines où les
critères doivent s’appliquer.
Conclusion : le choix entre des théories concurrentes n’est pas que
purement rationnel
On retrouve aussi cette idée chez Duhem :
« là où la logique ne trace pas au physicien une voie dont il
ne peut s’écarter, la tournure spéciale de son esprit, ses
facultés dominantes, les doctrines répandues dans son
entourage, la tradition de ses prédécesseurs, les habitudes
qu’il a prises, l’éducation qu’il a reçue vont lui servir de
guides »
DUHEM (Pierre), Prémices philosophiques, p. 145.
Les conclusions auxquelles aboutit la conception kuhnienne des
mécanismes internes et externes du progrès en science sont assez
rigides, et on peut dire que le choix entre théories rivales est une
affaire de goût. Mais les hommes de science, peuvent-il
transcender leur subjectivité de manière absolue ?
Conclusion : Pour Kuhn, le progrès en science s’explique
essentiellement par des raisons sociologiques, culturelles, voire
idéologiques.
La science n’est pas à l’abri de la tradition, des préjugés socioéducatifs et culturels, voire des croyances.
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