Pouvoir du soignant : notion d’humilité Rosette Marescotti, directrice CEC-IGM, co-auteur de la Méthodologie de soin Gineste-Marescotti® dite « Humanitude » Yves Gineste, directeur de formation, co-auteur de la Méthodologie de soin Gineste-Marescotti® dite « Humanitude » RÉSUMÉ Pour ne pas prendre le pouvoir sur l’autre, il nous semble que l’humilité doit être une attitude professionnelle. Le manque d’humilité, la prise de pouvoir peut humilier la personne fragilisée mais aussi, dangereusement, sans en avoir conscience, nuire à la santé de la personne. Les réponses de l’Humanitude. Mots-clés : Humilité - Pouvoir – Professionnel – Prendre soin – Interdépendance – Humanitude – Méthodologie de soin Gineste-Marescotti L e mot humilité qui vient du latin Humus signifiant « terre », a par ailleurs donné le terme « homme », et il est généralement considéré comme un trait de caractère d’un individu. L’humilité n’est pas une qualité innée chez les humains ; il est communément considéré qu’elle s’acquiert avec le temps, le vécu et qu’elle va de pair avec une maturité affective ou spirituelle. Elle s’apparente à une prise de conscience de sa condition et de sa place au milieu des autres et de l’univers. Humus, terre, cela semble signifier que l’humilité consiste, pour l’homme, à se rappeler qu’il est poussière, fait de terre. L’humilité est une attitude proprement humaine. Si l’homme paraît être le seul vivant à le savoir, du coup, il est aussi le seul à pouvoir l’oublier, ou même, à vouloir l’oublier. Le soignant, homme parmi les hommes, professionnel à qui le malade est confié, dont il PREND soin, pourrait-il oublier l’humilité ? Quelles en seraient les conséquences ? Le soin deviendrait-il une prise de pouvoir ? Pour ne pas prendre le pouvoir sur l’autre, il nous semble que l’humilité doit être une attitude professionnelle. Le manque d’humilité, la prise de pouvoir peut humilier la personne fragilisée mais aussi, dangereusement, sans en avoir con- science, nuire à la santé de la personne. Est-ce une même chose d’être humble et d’être humilié ? Être humble, est-ce se rabaisser, se manquer de respect à soi-même ? Où situer le pouvoir dans tout cela ? Dans les définitions du pouvoir, nous retiendrons celle-ci : « Le pouvoir est l’ascendant, l’emprise, la domination qui sont exercés sur une personne ou un groupe d’individus. Il peut être physique, moral ou psychologique. Il permet à un individu ou à un groupe d’appliquer, de faire exécuter ou d’imposer, éventuellement par la force, des décisions dans des domaines très variés ». Et si la prise de pouvoir consistait aussi à humilier une personne ? « Humilier quelqu’un consiste à nier sa dignité, ou du moins à manifester uniquement ses pauvretés et ses déficiences ; concrètement, cela revient souvent à le réduire à son animalité, ou à sa dimension purement physique : rien de plus humiliant pour un homme, par exemple, que de voir l’accomplissement de ses fonctions organiques privé du secret ou de l’habillage qui l’humanisent1 ». sciente, elle n’est que résultat d’une prise de pouvoir sur l’autre, prise de pouvoir parfois et même souvent peu conscientisée. Prise de pouvoir lié à la culture « Ne bougez pas, on s’occupe de tout », « Laissez vous faire », dans la recherche médicale, le patient est nommé « sujet »… Cette humiliation n’est pas recherchée mais elle est souvent vécue par le client comme telle. Nous sommes persuadés que cette prise de pouvoir nuit à la santé de la personne fragilisée, et ce n’est pas l’objectif du soignant. Il s’agit en revanche de pouvoir accepter que le soignant n’ait pas la réponse pour l’Autre, mais qu’il va falloir la construire ensemble Il faut de l’humilité, c’est-à-dire être humble, pour pouvoir accompagner l’Autre, considérer qu’il a des possibilités, et que ses désirs, donc ses projets, ses motivations doivent rester notre priorité, la priorité de tous les intervenant soignants avec cette personne qui reste unique. Intéressons nous au soignant Comment éviter cela, comment lutter contre cette culture si prégnante ? Nous pensons qu’une attitude professionnelle, donc commune à chaque personne travaillant dans l’institution, une autre vision du prendre soin rend le pouvoir à la personne soignée, nous ramène à l’humilité que le soignant doit avoir. L’humiliation que l’on fait subir à l’autre n’est pas forcément con- La dimension affective ne peut pas être présente dans la toute puis- 16 | Approches non-médicamenteuses de la maladie d’Alzheimer • 13 et 14 novembre 2014 sance. Il faut reconnaître l’autre pour avoir des sentiments. Il faut accepter de ne pas tout contrôler. Or ne pas contrôler signifie ne pas être tout puissant, perdre de son pouvoir. Cela signifie ne pas aider l’Autre dans sa toilette à 8 h du matin, mais accepter de ne pas le réveiller, accepter qu’il s’attarde le soir à table, ne pas le coucher à 17 h, ne pas lui servir son repas dans le lit parce qu’il est paraplégique, lourd, frapper et attendre une réponse avant d’entrer dans sa chambre, ne pas faire une toilette, un change, une mobilisation de force…. « L’humilité véritable se manifeste par l’acceptation du fait que l’aide d’autrui m’est absolument indispensable. L’aide dont j’ai eu besoin pour être, tout simplement, en ce sens que je dois ma venue à l’être, et mon statut d’être pourvu de dignité, à autre chose ou à quelqu’un d’autre que moi-même. L’aide dont j’ai besoin, ensuite, pour tenter de ne pas être trop indigne de ma dignité. Être humble, ce n’est pas se considérer comme sans valeur, c’est au contraire voir sa propre grandeur et se sentir petit devant elle2 ». Pour cela, il faut se « chapeauter » d’une philosophie. La philosophie de l’Humanitude® en repositionnant la définition du soignant, en portant un éclairage sur le professionnalisme et en définissant ce qu’est le prendre soin nous permet de garder cette humilité nécessaire à la relation avec l’Autre, qui nous écarte du pouvoir que nous pourrions prendre et qui maintient les liens d’Humanitude : une évidence l’interdépendance. « Il n’y a que toi qui peut le faire, mais seul tu n’y parviendras pas...3 ». La relation soignant-soigné est avant tout une relation d’égalité : égalité en Humanitude et en citoyenneté. Celle-ci impose à chacun un premier niveau de droits et de devoirs. Le respect des lois et des principes fondamentaux de notre société exigible pour tous. Il est essentiel de ne pas déresponsabiliser les personnes fragilisées. Il est essentiel de reconnaître que chacun possède les mêmes droits et devoirs en tant que citoyen (bien sûr, cette exigence pour les personnes malades s’exerce dans les limites de leur pathologie). Chaque profession possède ses règles de l’art, des savoirs et savoirfaire établis au fur et à mesure de son existence et modifiées en permanence en fonction de multiples facteurs. Comme tout professionnel, les soignants doivent connaître et respecter les règles de l’art de leur profession. Elles seront indispensables à une pratique commune qui évitera de prendre la personne accompagnée pour « une girouette ». Dans toute équipe, nous avons besoin d’un « superviseur » qui permettra la cohérence du soin, l’homogénéité des pratiques, qui recueillera les désirs de la personne fragilisée. Ce superviseur doit être reconnu et accepté par toute l’équipe. Il s’appuie sur les connaissances et l’expérience de chacun pour assurer en collaboration avec l’équipe et le résident un accompagnement cohérent et dont chacun sera le garant. Un soignant ne peut pas décider de l’évolution d’une maladie ou d’une capacité. Un soignant n’est pas maître de la lutte qui se joue entre les forces de vie et les forces de mort. Il peut en revanche maitriser le soin, savoir s’il l’a bien accompli, dans le respect des règles de l’art de sa profession. Le prendre soin que nous proposons rend tout le pouvoir à la personne soignée mais n’exclut pas le soignant. Chacun a sa place et chacun a besoin de l’Autre. C’est l’interdépendance qui est indispensable. Les anglophones distinguent deux verbes pour déterminer le champ d’action des soignants. Le CURE qui signifie soigner dans le sens de guérir et le CARE qui signifie prendre soin. Nous pensons que la culture du soigner-guérir, peut donner au soignant un pouvoir et une responsabilité qu’il n’a pas. Le care, le prendre soin apporte à la personne ce qu’elle va ou non utiliser pour la lutte qu’elle mène. Prendre soin d’une personne, c’est l’aider à prendre soin d’elle même. C’est bien sûr procéder à des traitements ciblés sur sa pathologie mais c’est aussi prendre soin de ses forces vives, de tout ce qui la nourrit dans ses désirs, ses plaisirs. Et c’est bien là la difficulté pour les soignants : une véritable révolution culturelle du soin. La distance thérapeutique ne peut pas être une distance affective fondée sur la négation des émotions. Nous préférons une distance philosophique qui permet à un soignant d’être librement en lien émotionnel avec une personne, sans y laisser sa peau, parce qu’il a abandonné ce pouvoir et cette prise de possession de l’autre. RÉFÉRENCES 1-2. www.philo.pourtous.free.fr/Atelier/ Textes/humilite.htm 3. Citation établissement néerlandais (Het Olgaardhuis) 4. Gineste Y., Pellissier J. Humanitude, Comprendre la vieillesse, prendre soin des Hommes vieux, Paris, Armand Colin, 2007 Approches non-médicamenteuses de la maladie d’Alzheimer • 13 et 14 novembre 2014 | 17 Rosette Marescotti est formatrice, psychogérontologue, auteur d’un mémoire universitaire sur la maltraitance en institution, « Le silence des soignants ». Elle enseigne depuis plus de 35 ans en situation réelle de soins la « Méthodologie de soin GinesteMarescotti® dite Humanitude », conçue avec Yves Gineste. Elle est co-auteur de la manutention relationnelle®, de la capture sensorielle®, méthode de pacification des CAP, spécialiste des communications non-verbales. Yves Gineste est formateur, conférencier international. Il enseigne depuis plus de 35 ans en situation réelle de soins la Méthodologie de soin Gineste-Marescotti® conçue avec Rosette Marescotti. Il est co-auteur avec Rosette Marescotti de la Philosophie de l’Humanitude®, de la capture sensorielle®, méthode de pacification des CAP, de la manutention relationnelle®, spécialiste des communications non-verbales. À l’international, en 2014 il est nommé professeur de l’Université de Shizuoka au Japon. Notes :__________________________________________________________________________________________________________ _________________________________________________________________________________________________________________ _________________________________________________________________________________________________________________ _________________________________________________________________________________________________________________ _________________________________________________________________________________________________________________ _________________________________________________________________________________________________________________ _________________________________________________________________________________________________________________ _________________________________________________________________________________________________________________ _________________________________________________________________________________________________________________ _________________________________________________________________________________________________________________ _________________________________________________________________________________________________________________ _________________________________________________________________________________________________________________ _________________________________________________________________________________________________________________ _________________________________________________________________________________________________________________ _________________________________________________________________________________________________________________ 18 | Approches non-médicamenteuses de la maladie d’Alzheimer • 13 et 14 novembre 2014