Introduction aux troubles du comportement suite à une

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Introduction aux troubles du
comportement
suite à une lésion cérébrale acquise
Denise Nicolò
Psychologue spécialiste en neuropsychologie FSP
Cabinet de neurologie et de neuropsychologie de Monthey
Fondation de Nant à Corsier sur Vevey
Tous les cerveaux humains se ressemblent, composés par un
certain nombre d’aires spécialisées dont la localisation est la
même d’un individu à l’autre.
Certaines structures cérébrales sont impliquées dans la
régulation du comportement et des lésions de celles-ci
peuvent entraîner des troubles du comportement, plus ou
moins intenses, dans certains cas de manière transitoire, dans
d’autres de manière permanente. La nature des troubles du
comportement dépend de la localisation de l’atteinte
cérébrale.
Les observations cliniques et expérimentales
ont mis en lumière le rôle de structures
cérébrales impliquées dans le comportement.
Pendant plus d’un siècle, la pathologie clinique
et l’étude des cas uniques nous ont fourni un
large éventail d’informations sur les liens entre
les tissus cérébraux et les manifestations
comportementales sous-jacentes.
L’illustre description de Phineas Gage faite par son
médecin John Harlow en 1868 a marqué l’histoire. Il
s’agit en effet de l’observation anatomo-clinique qui
inaugure la question du rôle fonctionnel des lobes
frontaux. Gage a présenté une profonde
modification de la personnalité et du
comportement suite à sa spectaculaire blessure au
cerveau. Ce contremaître des chemins de fer,
apprécié pour ses compétences, a reçu lors d’une
explosion une barre de fer d’un mètre de long qui
lui a transpercé la tête en endommageant une large
partie de son cortex préfrontal.
Suite à l’accident, il a perdu sa capacité de gérer un
projet et les affaires économiques, bien traités
auparavant. Courtois et révérencieux jusqu’au
dommage cérébral, il est devenu capricieux et
versatile, vulgaire et malpoli, ‘se laissant même de
temps en temps aller à la pire des insanités’. Harlow
écrit alors que ‘l’équilibre (…) entre ses facultés
intellectuelles et ses propensions animales semble
avoir été détruit’.
En 1914, Anton Babinski désigne sous les
termes d’anosognosie et d’anosodiaphorie
les faits que le patient ignore ses troubles
et/ou montre une indifférence à leur égard.
Ces symptômes apparaissent typiquement
après lésion hémisphérique droite, en
particulier pariétale, de l’insula et de la
matière blanche sous-corticale.
En 1923, Capgras et Reboul-Lachaux décrivent
le délire des sosies, appelé aussi syndrome de
Capgras. Suite à une atteinte temporoamygdalienne, le malade est convaincu que les
membres de son entourage ont été remplacés
par des imposteurs. Sa femme et ses enfants
‘ressemblent’ ou sont ‘identiques’ aux
personnes chères, mais ‘ce ne sont pas eux’.
En 1932, Brickner consacre un ouvrage de plus de
300 pages à l’étude d’un cas unique, appelé A.
Il s’agit de José, un agent financier d’une
quarantaine d’années, opéré d’un volumineux
méningiome dans la zone préfrontale.
La qualité du travail de l’auteur en fait, encore
aujourd’hui, une entreprise inégalée en
neuropsychologie. En effet, durant huit mois, il a
suivi et observé, avec l’aide d’un de ses
collaborateurs, le patient dans sa vie
quotidienne.
Poli, modeste et prévenant jusqu’à
l’intervention chirurgicale, il se vante dès lors
sans cesse de ses prouesses, présente des
propos facétieux aux dépens des autres et ne
montre aucun signe d’embarras, de tristesse
ou d’angoisse.
L’auteur interprète les troubles émotionnels et
comportementaux comme secondaires au
changement intellectuel, en lien avec une
mauvaise analyse de la situation sociale.
Le syndrome de Kluver-Bucy qui se manifeste par
une docilité excessive, une boulimie insatiable, une
hyperoralité et une hypersexualité a été décrit en
1939 chez le singe, puis en 1955 chez l’humain
chez un jeune épileptique opéré par lobectomie
temporale.
Il survient notamment suite à une atteinte
amygdalienne et à une déconnexion visuo-limbique
après lésions bilatérales au niveau de la pointe des
lobes temporaux.
Kleist en 1934 et Kretchmer en 1956
publient leurs écrits concernant deux
malades qui frappent par leur manque
d’incitation : apathiques, ils ne montrent pas
ou peu d’initiative et de spontanéité, ils
expriment très peu d’émotion sur leur
visage et dans leur voix.
Une atteinte du cortex préfrontal dorsolatéral est mise en évidence.
En 1975, Blumer et Benson distinguent les tableaux de :
• ‘pseudo-psychopathie’ suite à une
lésion frontale orbitaire : caractérisé par
l’intensification de la tonalité émotionnelle,
une instabilité de l’humeur avec épisodes de
surexcitation et d’euphorie, une impulsivité,
des comportements puérils, un langage
prétentieux
et
mégalomaniaque,
une
désinhibition, une perte du sens des
responsabilités ainsi qu’une perte du respect
des conventions sociales et des règles morales.
• ‘pseudo-dépression’ suite à une
lésion frontale dorso-latérale : sous
forme d’apathie avec perte de l’élan vital,
réduction de l’activité spontanée et manque
apparent d’intérêt et de motivation pour les
activités dans un contexte d’indifférence
affective - sans tristesse, désespoir ni idée
suicidaire comme dans la dépression -.
Grâce aux divers progrès de la médecine,
d’abord des techniques d’interventions
neurochirurgicales notamment à partir des
années ‘70, puis de celles de la
neuroimagerie à partir des années ‘80,
l’étude des relations entre d’une part,
l’étiologie et la localisation de l’atteinte
cérébrale et d’autre part, les modifications du
comportement et de la personnalité des
patients s’est beaucoup approfondie.
Le rôle majeur des lobes frontaux, notamment
des régions dorsolatérales et orbitofrontales,
et des structures sous-corticales qui y sont
connectées ainsi que des structures limbiques
et paralimbiques, notamment de l’amygdale, a
été démontré.
En 1988, Habib et Poncet rapportent deux descriptions
de patients ayant des lacunes intéressant le néostriatum
qui présentent une baisse marquée de l’activité
spontanée, une perte des intérêts et de la motivation,
une affectivité émoussée et une docilité marquée dans le
cadre d’un syndrome athymhormique.
Dès 1981, Laplane a par ailleurs publié plusieurs écrits
décrivant des symptômes similaires avec perte de
l’autoactivation psychique et activité mentale
stéréotypée après lésions sous-corticales bilatérales, en
particulier au niveau du pallidum, ainsi qu’après lésion
frontale.
A rappeler aussi l’intéressante description concernant
‘les multiples propos d’une athymhormique’ de
Bellmann et Assal en 1996.
En 1994, Damasio développe la théorie des
marqueurs somatiques en démontrant que
l’émotion fait partie intégrante des procédures
de raisonnement et de prise de décision.
Plusieurs descriptions décrivent un changement
sous forme d’incapacité à anticiper les
conséquences de ses propres actes chez des
sujets victimes d’une lésion traumatique,
vasculaire ou tumorale touchant le cortex
préfrontal ventromédian et les régions pariétales
droites.
Habib en 1998 décrit 3 cas de mutisme akinétique
qui apparaît suite à des lésions bilatérales du gyrus
cingulaire et des régions avoisinantes – cortex
adjacent à l’aire motrice supplémentaire et fibres
calleuses notamment -, typiquement observé à la
suite de rupture d’anévrisme de l’artère
communicante antérieure, se manifestant par une
perte de la spontanéité verbale, une inertie
motrice, une perte des champs d’intérêts et des
activités ainsi que par une indifférence affective.
Ces dernières décennies, de nombreuses descriptions
sont parvenues à identifier des manifestations typiques
d’une souffrance hémisphérique :
• gauche avec réactions de catastrophe et dépression
• droite avec anosognosie, indifférence affective et
apathie.
Heller en 1998 et Davidson en 2003 ont émis
l’hypothèse d’une spécialisation hémisphérique en
terme de valence ou de motivation d’approche ou
d’évitement: l’hémisphère gauche serait plutôt impliqué
dans la génération des émotions positives et des
conduites d’approche tandis que l’hémisphère droit
dans celle des émotions négatives et des conduites
d’évitement.
A rappeler le rôle de l’amygdale dont la
fonction principale est de donner une valence
émotionnelle, positive ou négative, aux
stimuli internes ou externes, devenant ainsi le
centre responsable de l’approche et de la
fuite ainsi que de l’analyse de la peur.
La littérature récente rapporte aussi de plus en
plus d’écrits sur le développement d’addictions
après lésions cérébrales dont l’exemple
classique est l’addiction au jeu.
Les recherches dans ce domaine suggèrent un
lien avec les atteintes de la substance blanche
préfrontale et des noyaux gris.
(Cf. la présentation du Pr M. Van der Linden)
Avec l’avancement des connaissances, des cadres
théoriques permettant de mieux comprendre les
désordres comportementaux sont élaborés. Ainsi,
Whiteside et Lynam en 2001 ont identifiés quatre
facettes de l’impulsivité :
• l’urgence - tendance à manifester des réactions rapides et fortes • le manque de persévérance - incapacité à rester sur une tâche
complexe ou monotone -
• le manque de préméditation
- incapacité de prendre en compte
les conséquences d’un acte avant sa réalisation -
• la recherche de sensations
- tendance à rechercher de l’excitation
et des nouvelles expériences -.
En 2006, Bechara et Van der Linden attribuent les 3
premières à des difficultés de contrôle exécutif et de
prise de décision alors que la 4ème est attribuée à des
dispositions d’ordre motivationnel.
Sans nier l’importance de la localisation de
l’atteinte cérébrale ni la gravité du traumatisme
cranio-cérébral, les modèles récents proposent
d’analyser les troubles du comportement dans une
perspective holistique qui ne se limite pas aux
aspects organiques mais qui prend en compte
l’ensemble des facteurs bio-psycho-sociaux dans la
mesure où ceux-ci contribuent à leur maintien ou
à leur exacerbation.
La personnalité prémorbide, les troubles
thymiques réactionnels et les facteurs contextuels
sont désormais intégrés à l’analyse.
Il s’agit d’évaluer pour mieux comprendre et mieux traiter, les
troubles du comportement étant souvent source de profonde
souffrance pour la personne cérébrolésée et ses proches et
constituent une fréquente barrière à la réinsertion socioprofessionnelle, en entraînant ainsi parfois une perte très
importante de la qualité de vie.
A ce sujet, rappelons les nombreuses publications de
Prigatano et de Ben-Yishay dès la fin des années ‘90 ainsi que
celles concernant l’approche neuro-systémique développée
par l’équipe de Jean-Michel Mazaux.
(cf. présentation du Dr Jean-Marc Destaillats)
A ce jour, nous disposons de nombreux outils
pour mieux analyser les désordres émotionnels
et comportementaux. En effet, l’observation libre
fournit une compréhension limitée. La démarche
d’évaluation initiale du comportement, étape
essentielle à la prise en charge, se doit d’être le
plus objective et le plus quantitative possible. Il
s’agit d’évaluer la nature, la dispersion, la
fréquence et la gravité des comportements.
D’où le besoin de posséder des outils adaptés en
lien avec la problématique comportementale
présentée par le patient.
Il en existe certains qui recouvrent les
principales manifestations comportementales
telles que:
• l’échelle d’évaluation des changements de la
personnalité d’IOWA développée par Barrash
en 1997, traduite en français par Anne-Claude
Juillerat Van der Linden et Claire Peter Favre
en 1999, puis validée par Catia Beni et coll.
• la grille EECTC, élaborée par Godbout et
Sabourin en 2003
• l’inventaire
du
syndrome
dysexécutif
comportemental du Grefex publié par
Godefroy et coll. en 2008.
D’autres questionnaires et échelles évaluent de
manière spécifique un seul aspect telle que
l’agitation, l’impulsivité ou l’apathie.
Pour davantage d’informations sur ces outils,
je vous renvoie au chapitre de Lucien Rochat et
collaborateurs sur l’évaluation des problèmes
émotionnels et comportementaux contenu
dans le traité de neuropsychologie clinique de
l’adulte de 2014.
En 2014, Sabaz et coll. publient les données issues d’une
large étude effectuée auprès de 507 TCC sévères.
Les troubles plus fréquents sont l’apathie et l’agressivité
verbale. L’agressivité physique est par ailleurs répandue.
Le 54% présente
significatif.
un
changement
comportemental
L’étude montre une corrélation linéaire entre la durée de
l’amnésie post-traumatique et l’apparition de troubles
comportementaux :
APT entre 2-6 jours : 33%
1-4 semaines d’APT : 45%
1-6 mois d’APT: 59%
6 mois et > d’APT : 78%
Merci et excellente journée à vous tous
Références bibliographiques
•
Bellmann A et Assal G. Les multiples propos d’une athymhormique, Revue de neuropsychologie 1996 ; 6 (1) : 101-121.
•
Ben-Yishay, Postacute neuropsychological rehabilitation, a holistic perspective. In : International Handbook of
neuropsychological Rehabilitation, 2000, Christensen & Uzzel, p.127-135.
•
Damasio A. L’erreur de Descartes, la raison des émotions, 1994, Odile Jacob.
•
Habib M, Poncet M. Perte de l’élan vital, de l’intérêt et de l’affectivité (syndrome athymhormique) au cours de lésions
lacunaires des corps striés. Rev Neurol 1988 ; 144 : 571-7.
•
Laplane D et coll. Comportement compulsif d’allure obsesionnelle par nécrose circonscrite bilatérale pallido-striatale.
Encéphalopathie par piqûre de guêpe. Rev Neurol 1981 ; 137 : 269-276.
•
Laplane D, Levasseur M, Pillon B, Dubois B, Baulac M, du Moncel ST, et al. Obsessive-compulsive disorder and other
behavioural changes with bilatéral basal ganglia lesions. Brain 1989 ; 112 : 699-725.
•
Mazaux J-M, Destaillats J-M, Belio C et Pélissier J. Handicap et famille : Approche neuro-systémique et lésions cérébrales,
2011, Elsevier SAS.
•
Prigatano G. Challenges and opportunities facing holistic approaches to neuropsychological rehabilitation.
Neurorehabilitation 2013, vol. 32 : 751-759.
•
Rochat L, Belhadj S et Van der Linden M. L’évaluation des problèmes émotionnels et comportementaux. In : Traité de
neuropsychologie clinique de l’adulte. 2014 – 2ème édition, Tome 1 : 499-512.
•
Sabaz M & al. Prevalence, comorbidities, and correlates of challenging behavior among community-Dwelling adults with
severe traumatic brain injury : a multicenter study. J Head Trauma Rehabil, 2014, Vol 29, 2 : 19-30.
•
Wood R, Aldermann N & Williams C. Assessment of neurobehavioural disability : A review of existing measures and
recommendations for a comprehensive assessment tool. Brain Injury 2008, 22 : 905-918.
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