LE TRAUMATISÉ VERTÉBROMÉDULLAIRE : Imagerie et stratégie thérapeutique J. Beaurain (Service de neurochirurgie CHU Dijon ) En dépit des progrès thérapeutiques, les traumatismes rachidiens graves gardent un pronostic fonctionnel sévère du fait des complications neurologiques qui sont retrouvées dans 14 à 30 % des fractures vertébrales. Les traumatismes médullaires concernent environ 1000 nouveaux patients par an en France. La moitié résulte d’accidents de la route, le reste d’accidents de travail (30 %) et de sports (12 %). Les sports les plus exposés sont le parapente, le ski, le rugby. La moyenne d'âge est de 30 ans, le sex ratio de 70 % d'hommes. Si les soins de réanimation, le nursing et la réadaptation fonctionnelle ont permis d’en diminuer la mortalité, les séquelles neurologiques restent souvent dramatiques. Traditionnellement, les traumatismes vertébromédullaires sont classés cliniquement selon le niveau segmentaire de la lésion, le caractère complet ou partiel de l'atteinte neurologique et le mécanisme physique responsable du traumatisme. Les lésions de l'étage cervical et de la jonction thoracolombaire sont les plus fréquentes. Les principes d’orientation thérapeutique peuvent être mieux définis sur la base d’une classification non seulement topographique mais plutôt anatomo-radiologique des lésions. Le bilan radiologique précoce comportant des radiographies, un scanner du rachis et le cas échéant une imagerie en résonance magnétique contribue utilement à l’analyse globale de la lésion non seulement osseuse mais aussi ligamentaire. L’instabilité post-traumatique, la menace neurologique, le risque d’aggravation conditionnent la prise en charge neurochirurgicale. Dans cette optique, trois groupes lésionnels peuvent être distingués. Le premier où prédominent les lésions discocorporéales, un autre où prédominent les lésions disco-ligamentaires et un troisième dit de lésions mixtes associant les formes précédentes. Les lésions discocorporéales affectent majoritairement le rachis dorsolombaire (classiques fractures tassements et comminutives, Burst fracture des anglo-saxons). Le diagnostic radiologique de l’écrasement corporéal, voir de l’éclatement vertébral produit par des forces plus importantes, est généralement facile sur de simples radiographies standards. L’analyse des dégâts osseux est affinée par la tomodensitométrie en coupes fines avec reconstruction multiplanaire. L’instabilité de ces lésions est surtout osseuse, antérieure, verticale. Le risque nerveux résulte de la sténose canalaire occasionnée par l’angulation sagittale et l’importance du fragment osseux interpédiculaire détaché (recul du mur postérieur). Le traitement vise à la réduction de la déformation, par hyperlordose. La décompression des éléments nerveux passe par une laminectomie, associée le cas échéant à l’impaction et la résection des fragments sténosants intracanalaires. Le maintien de la réduction est obtenu par une ostéosynthèse jusqu’à consolidation. Les lésions disco-ligamentaires prédominent au rachis cervical inférieur (C3-C7) sous la forme de fractures luxations, luxations et entorses graves. Le diagnostic radiologique est porté sur la perte des rapports anatomiques habituels entre les surfaces articulaires témoignant des lésions des moyens d’union intervertébraux. Les formes graves aboutissent à de véritable transections rachidiennes. L’instabilité est de type ligamentaire, horizontale, et de toute façon durable. L’affrontement des articulaires pointe à pointe représente une situation extrêmement instable pouvant basculer soit favorablement en position anatomique soit aboutir à une luxation complète. La menace neurologique est non seulement radiculaire mais aussi médullaire par cisaillement. En cas d’accrochage articulaire, a fortiori de luxation bilatérale, toute manœuvre en lordose est formellement proscrite car elle majore la sténose canalaire. Au contraire une légère flexion du rachis cervical est bénéfique. La stabilisation de la lésion est obtenue après la réduction des déplacements par une arthrodèse monosegmentaire. La voie antérieure permet à la fois la fixation, la greffe intersomatique et la recherche de hernie discale associée. Toutefois l’irréductibilité de la lésion peut imposer une réduction sanglante par voie postérieure. Les formes mixtes associant lésions corporéales et discoligamentaires sont typiquement représentées par la fracture en Tear-Drop du rachis cervical. La forme habituelle concerne C5 (fracture du plongeon en eau peu profonde). Elle associe le détachement du coin antéroinférieur du corps vertébral, la partition sagittale du corps et une lésion discoligamentaire sous jacente responsable du recul des fragments corporéaux qui fait toute la gravité de cette fracture. L’instabilité de ces formes est grande. La moindre ébauche de flexion cervicale impacte le coin postéro-inférieur du corps dans le canal. Les dégâts ostéoligamentaires imposent souvent la réalisation d’une corporectomie décompressive et une reconstruction par greffe intersomatique et plaque cervicale antérieure. La physiopathologie des lésions médullaires et la meilleure connaissance des mécanismes d’aggravation lésionnelle secondaire ont modifié le comportement des acteurs de la prise en charge de ces blessés. L’intérêt d’une prise en charge précoce et coordonnée est dorénavant reconnu associant : - sur le terrain, le diagnostic rapide de la lésion médullaire, l’évaluation clinique neurologique précise, l'immobilisation du blessé, le maintien d'une bonne perfusion médullaire et le bilan précis des lésions associées pouvant mettre en jeu le pronostic vital.. - l'acheminement le plus rapide possible du blessé vers un centre doté des équipements et des compétences requises de réanimation, de radiologie et de chirurgie rachidienne. Tout patient traumatisé vertébromédullaire doit avoir un bilan radiologique complet associant des radiographies de l'ensemble de la colonne vertébrale et un scanner rachidien centré sur la lésion. Les charnières craniocervicale et cervicodorsale, souvent difficiles à étudier par des radiographies simples, sont mieux visualisées par la tomodensitométrie. L’intérêt de l’imagerie en résonance magnétique reste discuté surtout en raison des difficultés d’accès aux machines et des conditions particulières exigées par l’examen. Seule l’IRM permet de visualiser la lésion médullaire, de délimiter son étendue. Elle permet en outre de mieux évaluer les lésions discales et ligamentaires associées aux dégâts osseux. En urgence, elle est utile en présence d’un déficit sans lésion vertébrale déplacée, pour vérifier l'existence d'une hernie discale traumatique. Elle est indiquée quand existe une aggravation secondaire du déficit ou une discordance entre le niveau médullaire et le niveau de la fracture vertébrale. Elle permet d’expliquer le déficit clinique quand il n'existe pas de lésion osseuse en recherchant une compression d'origine discale, un éventuel hématome intrarachidien. Toute instabilité menaçante ou lésion rétrécissant le calibre du canal rachidien et comprimant la moelle impose un traitement orthopédique ou chirurgical. L’expérimentation animale concernant les mécanismes secondaires d'extension des lésions médullaires a permis de montrer qu'une moelle libre avait plus de chance d'être sensible aux thérapeutiques médicales qu'une moelle comprimée. Bien qu’aucune étude clinique humaine n’ait permis de démontrer l’intérêt d’une chirurgie décompressive précoce sur le résultat fonctionnel, il est admis que si l’intervention veut avoir une chance de rendre réversibles certaines lésions, elle doit être réalisée dans les 4 à 6 heures au plus tard après l'accident. Il faut donc tout mettre en œuvre pour que le ramassage du blessé, sa mise en condition, son acheminement dans le centre spécialisé, le bilan radiologique et le démarrage de l'intervention puissent être réalisés au plus tard dans les 6 heures qui suivent l'accident. La chirurgie précoce doit toutefois répondre à certaines conditions : - que l’état ventilatoire et hémodynamique du blessé soient stables, - que le bilan des lésions associées soit négatif ou qu'aucune autre atteinte ne mette en jeu le pronostic vital immédiat du blessé, - que l'équipe chirurgicale qui va réaliser cette intervention ait une parfaite habitude de ce type d'intervention. Deux situations peuvent faire différer l’urgence chirurgicale. En cas de déficit neurologique complet, installé d’emblée, de niveau dorsal avec dislocation radiologique du canal rendant les chances de récupération nulles. En cas d’amélioration neurologique précoce avec un canal radiologiquement libre. Dans les autres situations les objectifs de la chirurgie précoce sont : - la décompression de la moelle épinière, - le calibrage du canal rachidien afin d'assurer la liberté de la moelle, - la stabilisation de la lésion rachidienne afin d'éviter les déplacements ou luxations secondaires qui entraîneraient des déformations secondaires ou des compressions médullaires différées.