Une nouvelle technique d’exploration du sein : la tomosynthèse N. P ERROT 1, 2, C. RIBEIRO-CREUZE 1, I. THOMASSIN-NAGARRA 2 * (Paris) Résumé Ce texte expose les principes techniques de la tomosynthèse, résume les indications et discute des principaux résultats de la technique afin d’en préciser la place parmi les examens d’imagerie dans l’exploration de la pathologie mammaire. Mots clés : tomosynthèse, sein, cancer 1 - Centre d’imagerie médicale Pyramides - 13 avenue de l'Opéra - 75001 Paris 2 - Hôpital Tenon - Service de radiologie - 4 rue de la Chine - 75020 Paris * Correspondance : [email protected] 297 THOMASSIN-NAGARRA & COLL. Déclaration publique d’intérêt Les auteurs déclarent ne pas avoir d’intérêt direct ou indirect (financier ou en nature) avec un organisme privé, industriel ou commercial en relation avec le sujet présenté. INTRODUCTION La mammographie de dépistage a démontré son intérêt pour diagnostiquer les cancers infracliniques et en permettre le traitement précocement. Son incidence sur la mortalité a été prouvée par de nombreuses études. Toutefois, malgré cet indéniable succès, la mammographie ne détecte pas tous les cancers. Les résultats des études effectuées pour évaluer la pertinence diagnostique de la mammographie ont montré un taux de sensibilité de 45 à 88 % [1]. Un des facteurs influant négativement sur la sensibilité est la densité mammaire ; la sensibilité de la mammographie décroît avec l’augmentation de la densité de la glande. Des auteurs ont montré que les trois quarts des cancers non diagnostiqués l’ont été dans des seins denses [2]. La possibilité pour un cancer d’être masqué par du parenchyme glandulaire normal est due à la loi de confusion des plans en radiologie 2D. Ceci entraîne une image obtenue par la sommation de toutes les structures superposées les unes sur les autres dans un seul plan. Cette sommation d’image glandulaire dense peut masquer l’image d’un cancer. À l’opposé, la sommation de plages de glandes peut simuler une image suspecte de cancer, créer ainsi un faux positif et demander des clichés supplémentaires (localisés) et la réalisation d’une échographie. Il apparaît donc qu’il faut essayer de se soustraire ou de minimiser la loi de confusion des plans et des images de sommation qu’elle entraîne. Un espoir important avait été émis dans la mammographie numérisée plein champ en remplacement de la mammographie analogique conventionnelle. Les performances de la mammographie 298 UNE NOUVELLE TECHNIQUE D’EXPLORATION DU SEIN : LA TOMOSYNTHÈSE numérisée se sont avérées supérieures dans les seins denses et les patientes jeunes. Mais l’échographie [3] et l’IRM ont continué à être développées en complément pour le diagnostic positif de cancer du sein. Il reste donc toujours une place pour une méthode de diagnostic mammographique qui offrirait une meilleure sensibilité pour le diagnostic de cancer du sein. L’idée est venue de développer une mammographie 3D permettant de dissocier les différents plans de la glande mammaire. Nous allons développer l’aspect technique de la méthode, puis les différents aspects des différentes pathologies en tomosynthèse versus mammographie 2D. En effet, si la tomosynthèse augmente la sensibilité pour le diagnostic de cancer du sein, il faut pour cela étudier deux possibilités : — la visualisation du cancer en mammographie 3D doit être égale, ou mieux, supérieure si le cancer est visible par les 2 techniques ; — la mammographie 3D doit détecter des cancers non vus en mammographie 2D. Ensuite nous verrons les aspects mammographiques suspects de pathologie en mammographie 2D (faux positifs nécessitant un rappel et des examens complémentaires), innocentés en mammographie 3D. Dans ce cas, l’échographie complémentaire doit confirmer ce diagnostic ainsi que le suivi sur 2 ans. I. QU’EST-CE QUE LA TOMOSYNTHÈSE ? C’est une technique d’imagerie radiologique en trois dimensions qui permet d’obtenir les images d’un sein sous différents angles pendant que le tube à rayons X décrit un arc de cercle de 15° au-dessus du sein. Les images obtenues sont reconstruites en haute résolution en une série de coupes fines espacées de 1 mm. Ceci permet une analyse beaucoup plus fine de la sémiologie, en particulier des contours d’une éventuelle pathologie. Cela permet d’autre part de s’affranchir des superpositions de tissus glandulaires, sources de difficultés diagnostiques et de faux négatifs, en particulier dans les seins denses ou hétérogènes. En pratique, les images de tomosynthèse (ou mammographie 3D) sont obtenues dans le même temps que les clichés mammographies classiques (2 D). L’acquisition des images en mammographie 3D ne prend que quelques secondes (4 secondes) de plus que pour les clichés de mammographie. L’acquisition en tomosynthèse s’obtient avec le même 299 THOMASSIN-NAGARRA & COLL. mammographe, dans le même temps que la mammographie classique, sans mobiliser la patiente ou le sein. Il est possible d’obtenir une acquisition en tomosynthèse dans les 3 plans (oblique-face-profil). Il est bien sûr possible d’effectuer toujours une mammographie seule sans tomosynthèse. Il est aussi possible d’effectuer une tomosynthèse seule sans mammographie dans le même temps. Il faut toutefois insister sur le fait que cette méthode tire son maximum d’intérêt si on réalise l’acquisition tomosynthèse et le cliché de mammographie dans le même temps d’examen sans mobiliser la patiente ou le sein. À noter que pour le confort de la patiente, il est possible en tomosynthèse d’effectuer un cliché avec une réduction modérée de la compression. Cette réduction modérée ne semble pas affecter la qualité des résultats en particulier la sensibilité de la méthode [5]. I.1. Quelle dose d’irradiation supplémentaire ? Ceci est un facteur important, en particulier pour déterminer la réalisation d’une ou de deux incidences en tomosynthèse. La dose d’irradiation en tomosynthèse est de l’ordre de 1,2 à 1,4 fois la dose correspondant à l’incidence mammographique 2D lui correspondant. Gennaro et coll. [4] ont, sur ce point, montré que la réalisation d’un seul cliché mammographique associé à une incidence de tomosynthèse n’était pas inférieure à la séquence classique de 2 clichés mammographiques face et oblique. La spécificité pour les lésions bénignes est même meilleure pour le couple mammographie-tomosynthèse. I.2. Quel temps supplémentaire pour l’interprétation ? Une mammographie 2D classique comprend 4 clichés (une face cranio-caudale et une oblique-latérale pour chaque sein). À l’opposé, une acquisition en tomosynthèse sur un sein de 4,5 cm d’épaisseur comprend la lecture d’environ 45 « mammographies » contiguës correspondant à 45 coupes d’un millimètre d’épaisseur. La plupart des auteurs s’accordent à dire que le temps supplémentaire de lecture d’une incidence de tomosynthèse varie entre 1 à 2 minutes [2]. Ceci ne change donc pas fondamentalement le temps d’interprétation, ce d’autant plus que la tomosynthèse évite la perte de temps due à la réalisation d’éventuels clichés focalisés pour une suspicion de masse, de distorsion ou pour une asymétrie de densité. 300 UNE NOUVELLE TECHNIQUE D’EXPLORATION DU SEIN : LA TOMOSYNTHÈSE I.3. Quel surcoût pour la patiente ? Aucun. L’adjonction de cette technique à la mammographie numérisée classique n’est pas, pour le moment, dans la nomenclature des actes médicaux. II. RÉSULTATS II.1. Anatomie normale du sein L’anatomie normale du sein, visible en mammographie conventionnelle, est le plus souvent beaucoup mieux définie avec l’image de tomosynthèse. Toute l’anatomie du sein projetée sur un seul cliché de mammographie se retrouve séparée en multiples plans en fonction de l’épaisseur de la glande mammaire. Chaque plan sera donc vu, étudié, évalué séparément sur le plan de la peau, du tissu cellulaire sous-cutané, des vaisseaux, de la glande mammaire ainsi que de possibles ganglions intramammaires physiologiques. Ceci est particulièrement intéressant dans les seins denses et/ou hétérogènes. II.2. Artefacts Ils sont peu nombreux. Ils sont le fait de lésions à très haut contraste telles que les macrocalcifications de kyste ou de cytostéatonécrose ainsi que de clips postchirurgicaux ou postmacrobiopsie stéréotaxique qui forment deux petits artefacts localisés se répétant sur plusieurs plans contigus. Ces images ne détériorent pas la qualité de l’image et ne diminuent pas la sensibilité du diagnostic. II.3. Les microcalcifications Elles ne sont pas modifiées par la superposition tissulaire comme le sont les distorsions et les masses. Elles sont donc bien visualisées en mammographie 2D classique, en particulier avec des appareils numériques de haute définition. Toutefois leur caractère « regroupé » dans les amas de microcalsifications est bien visible et confirmé par la tomosynthèse ; en effet un amas de microcalcifications ne sera visible 301 THOMASSIN-NAGARRA & COLL. que sur une ou deux coupes contiguës au maximum. Leur contraste est meilleur que sur la mammographie 2D surtout si le sein est dense [5]. Cependant, leur « typage » nécessite toujours la réalisation d’un cliché de face et surtout de profil en agrandissement [6]. II.4. Les masses Contrairement aux asymétries de densité, les masses sont visibles sur les deux incidences en oblique et de face. Parfaitement visibles sur les seins de densité 1 ou 2, les masses sont parfois très difficiles à voir sur les seins hétérogènes, denses, de type 3 ou a fortiori 4. De plus, même visibles, les contours sont souvent mal définissables en raison des superpositions de la glande. À l’opposé, avec la tomosynthèse, les contours sont mieux appréciés sur les quelques coupes contiguës intéressant la masse. On distingue donc mieux les masses à contours réguliers, spiculés, microlobulés ou indistincts [7-10]. L’échographie ciblée, dans un deuxième temps, confirme le diagnostic : masse liquide kystique, solides contours réguliers ou non, et permet la réalisation de microbiopsies échoguidées si nécessaire. II.5. Les distorsions architecturales Les distorsions architecturales réalisent souvent des images subtiles de diagnostic très difficile, en particulier dans les seins denses ou très hétérogènes. En effet, la visibilité d’une petite distorsion minime sous la forme d’une petite image spiculée peut apparaître extrêmement difficile à visualiser au sein de la glande mammaire si le sein est dense ou très hétérogène. La tomosynthèse réalise là, vraisemblablement, ses meilleures performances [11-13], mettant en évidence sur 1 à 2 coupes contiguës une image de la masse spiculée avec de fins prolongements de longueur variable. À cette image de type « stellaire ou nodulostellaire », le diagnostic n’est souvent visible que sur une coupe. Cette image est invisible sur le cliché standard en mammographie 2D classique. La tomosynthèse met en évidence une image suspecte. Elle permet dans un 2e temps la réalisation d’une échographie, non pas classique de « dépistage » complémentaire de la mammographie, mais ciblée sur le cadran où existe l’image suspecte en tomosynthèse. Ceci permet d’augmenter de façon très significative la sensibilité de l’examen mammographique pour le diagnostic de cancer du sein. Les 302 UNE NOUVELLE TECHNIQUE D’EXPLORATION DU SEIN : LA TOMOSYNTHÈSE premières publications montrent un gain d’environ 8 à 20 % de diagnostic de cancer du sein non visible sur les clichés en mammographie classique 2D [14-15]. Certaines études montrent même un taux supérieur de sensibilité. Il semble donc tout à fait souhaitable de continuer cette étude pour confirmer cette impression sur de plus grandes séries. II.6. Les ganglions intramammaires Les ganglions du creux ou du prolongement axillaire ne posent pas de problème particulier. En revanche, les ganglions intramammaires situés dans les secteurs externes posent le problème d’une opacité (masse). La tomosynthèse montre, sur les coupes passant par le ganglion, une opacité ovalaire à contours très réguliers, présentant un sinus (concavité) sur une des faces. De plus, on voit bien en évidence le centre clair, graisseux à l’intérieur du ganglion. II.7. Les asymétries de densité À l’opposé des masses, les asymétries de densité ne sont visibles que sur une incidence. La tomosynthèse est très utile dans ce cas, confirmant une opacité anormale au sein de la glande ou une distorsion. À l’inverse, elle montre sur plusieurs coupes que ce sont des structures conjonctives ou glandulaires de directions variées qui en se superposant forment ainsi une image construite de pseudomasse ou de distorsion. II.8. En pratique, que faire ? Aujourd’hui, l’examen de base est la mammographie 2D avec réalisation de clichés en incidence oblique et en incidence craniocaudale pour chaque sein. Nous venons de voir qu’il est possible d’y adjoindre des clichés en tomosynthèse sur ces 2 incidences. Il n’y a aujourd’hui pas de consensus sur la réalisation d’une ou 2 incidences de tomosynthèse en complément. Il semble que si l’on ne réalise qu’une seule incidence, il faille choisir l’incidence oblique. La réalisation de l’incidence cranio-caudale en tomosynthèse en complément double l’irradiation et le temps demandé pour l’interprétation. 303 THOMASSIN-NAGARRA & COLL. CONCLUSION En se perfectionnant constamment, la mammographie de diagnostic et de dépistage a montré son efficacité en réduisant le taux de mortalité dans le cancer du sein. Cependant, la mammographie 2D présente des imperfections, en particulier par sa sensibilité limitée dans les parenchymes mammaires denses. L’adjonction de l’échographie a tenté de combler ce déficit. Toutefois, la sensibilité de l’échographie en particulier dans les seins denses et surtout dans les seins très volumineux est moindre ; de plus l’examen peut être de réalisation technique difficile. L’adjonction de la tomosynthèse en complément et durant le même temps d’examen que la mammographie 2D semble être une option très intéressante pour augmenter de façon sensible le diagnostic de cancer du sein, en particulier de petits cancers visibles seulement sous la forme de petites distorsions architecturales (images subtiles) présentes seulement sur une ou deux coupes de tomosynthèse. Dans le même temps, la tomosynthèse, en « déconstruisant » l’image du sein, permet d’innocenter certaines images en particulier des plages d’asymétrie de densité sur la mammographie 2D classique. Ceci permettrait ainsi de diminuer le nombre d’échographies complémentaires. 304 UNE NOUVELLE TECHNIQUE D’EXPLORATION DU SEIN : LA TOMOSYNTHÈSE Bibliographie [1] Fletcher SW, Black W, Harris R, Rimer BK, Shapiro S. Report of the international workshop on screening for breast cancer. J Natl Cancer Inst 1993 Oct 20;85(20):1644-56. [2] Rafferty EA. Digital mammography: novel applications. 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