Définir les `migrations environnementales`

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LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES ET LES DÉPLACEMENTS
Définir les ‘migrations
environnementales’
Olivia Dun et François Gemenne
Actuellement, il n’existe pas de consensus sur les définitions dans
ce secteur d’études. Par conséquent, la variété de termes est non
seulement gênante mais elle crée aussi la confusion.
Les termes et les concepts tels que
migrations environnementales, migrations
provoquées par les changements
climatiques, réfugiés environnementaux
ou écologiques, migrants dus aux
changements climatiques et migrants
forcés par l’environnement sont dispersés
tout au long des textes. La raison
principale de ce manque de définition
concernant les migrations dues à la
dégradation environnementale ou aux
changements est liée à la difficulté
d’isoler les facteurs environnementaux
des autres causes de migrations. Un
autre obstacle important réside dans la
confusion entre les migrations forcées et
les migrations volontaires. Les migrations
environnementales sont-elles une forme
de déplacement forcé en soi ? Peuventelles prendre la forme de réinstallation
volontaire ? Que penser des plans
de réinstallation gouvernementaux
en anticipation, ou à la suite d’un
bouleversement environnemental ? La
distinction entre forcée et volontaire
est-elle pertinente ? Ces questions
ont un impact sur les typologies des
migrations environnementales et il
n’est pas facile de les contourner.
Mis à part les cas évidents où le
déclenchement soudain de changements
environnementaux tels que ceux causés
par les tremblements de terre ou les
inondations mènent à des déplacements
forcés, le problème est que les migrations
environnementales se produisent lors
d’un déclenchement lent des changements
environnementaux ou du processus de
dégradation (come la désertification)
qui touche les personnes dépendant
directement de l’environnement pour
leur subsistance et qui cause la précarité
de leurs moyens de subsistance. Lorsque
la dégradation environnementale est un
facteur additionnel mais non un facteur
majeur, la question peut se poser si le
terme ‘migrations environnementales’ est
approprié pour de telles migrations. La
complexité accrue des mouvements de
migration contribue aussi à la difficulté
d’arriver à un consensus sur les définitions.
Depuis les années 1970, il existe une
division nette entre ceux qui prédisent des
vagues de ‘réfugiés environnementaux’
et ceux qui adoptent une position plus
sceptique. En termes généraux, on peut
décrire les premiers, qui ont tendance
à isoler les facteurs environnementaux
comme causes majeures de migration,
comme ‘alarmistes’ et les derniers, qui
ont tendance à insister sur la complexité
des processus de migration, comme
‘sceptiques’. Il est intéressant de noter
que les alarmistes viennent souvent
de disciplines comme les études sur
les désastres environnementaux et
les conflits, alors que les sceptiques
appartiennent presqu’exclusivement
au domaine des études sur les
migrations forcées et sur les réfugiés.
Il n’est pas surprenant que les rapports
faisant le lien entre les changements
climatiques et la sécurité se rangent
généralement du côté des alarmistes.
A l’instar de la plupart des théories
classiques sur les migrations qui ont
tendance à ignorer les environnements
comme cause des migrations, la
plupart des théories sur la gouvernance
environnementale ignorent les
mouvements de migrations. La
priorité la plus urgente dans un
agenda de recherches dans ce domaine
serait de combler cette carence.
Progresser
Dans un but académique, l’intérêt porté au
développement d’une définition demeure
de comprendre les facteurs sous-jacents
aux décisions de migrer. Tandis que
ceci intéresse et inquiète les preneurs de
décisions, ils ont aussi besoin de savoir
de quels droits bénéficient les personnes
touchées. Sans définition précise, il
n’est pas facile pour les praticiens et
les preneurs de décisions d’établir des
plans et d’accomplir les progrès ciblés.
Les migrants et les personnes déplacées
tombant sous la définition ne sont pas
facilement identifiables et il est donc
possible qu’ils ne reçoivent pas d’assistance
appropriée. Sous cet angle, alors qu’une
grande partie des débats académiques
et des recommandations politiques ont
jusqu’à présent mis en garde contre la
confusion entre les personnes déplacées
par des causes environnementales
et les personnes reconnues comme
réfugiés par la convention de Genève
de 1951, il existe de nombreux éléments
aidant au processus de définition des
personnes au titre de la Convention
de Genève qui peuvent contribuer à la
définition des personnes déplacées par
les changements environnementaux.
En ce qui concerne la question des
migrations environnementales, la
concentration à ce jour tient à prouver
d’une manière ou d’une autre que les
facteurs environnementaux peuvent
être une cause majeure unique de
déplacements et de migrations. Toutefois,
il est intéressant de noter que, pour
déterminer si une personne est un ‘Réfugié
selon la Convention’ ou non, il n’est pas
nécessaire de déterminer si la raison
menant à la persécution (opinion politique,
race, nationalité, religion ou appartenance
à un groupe social particulier) est le
facteur principal du déplacement, mais
si le déplacement a eu lieu. Une fois ce
lien établi, le preneur de décisions peut
alors accorder le statut de réfugié à cette
personne sans prendre en considération
si cette raison était la cause principale
qui a mené à la persécution, ou non.
Peut-on / faut-il en faire de même pour
les personnes déplacées par les facteurs
environnementaux ? Est-il suffisant
de prouver le rapport causal entre
l’environnement et le déplacement, ou
faudrait-il que le rapport causal ait comme
résultat un certain degré de détresse ou
une brèche des droits humains avant
qu’il puisse y avoir quelque forme de
protection internationale à long terme ?
Conclusion
La nécessité d’une définition est une étape
cruciale dans la conceptualisation des
migrations environnementales, et dans
l’élaboration de politiques en réponse à ces
flux. Cependant, deux facteurs principaux
poussant à la nécessité d’une définition
peuvent entraver son élaboration.
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LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES ET LES DÉPLACEMENTS
Tout d’abord, beaucoup
de spécialistes souhaitent
établir les migrations
environnementales en tant
que domaine spécifique
au sein des études sur
les migrations. Il existe
une tendance à mettre
ce domaine à part et
à le traiter en dehors
des théories classiques
sur les migrations, tout
comme si les migrations
environnementales étaient
d’une autre nature. Il y
aurait plus à gagner en
tentant d’intégrer les
facteurs environnementaux
aux études existantes
sur les migrations.
Deuxièmement, il existe une
tendance généralisée pour
les chiffres et les prédictions
parmi les journalistes et les
preneurs de décisions. Afin de rendre leurs
recherches pertinentes aux politiques,
beaucoup d’entre eux se sentent forcés
de fournir des estimations des nombres
de personnes qui sont ou pourraient
devenir ‘déplacées par l’environnement’.
Evidemment, ces chiffres doivent
s’appuyer sur une définition claire de ce
qui constitue un migrant environnemental.
Les définitions plus larges entraînent
des chiffres plus élevés ; il existe donc
une tendance à élargir la définition afin
d’inclure le plus de personnes possible.
Toutefois, une définition trop large
des migrations environnementales
serait néfaste aux personnes dans le
plus grand besoin de protection.
Olivia Dun ([email protected]) est
Associée de Recherches auprès de l’Institut
Universitaire des Nations Unies pour
l’Environnement et la Sécurité des
Personnes (UNU-EHS) (www.ehs.unu.
edu/) à Bonn, Allemagne et elle prépare
un Doctorat à l’Université de Sydney,
Australie. (www.geosci.usyd.edu.
au/). François Gemenne (F.Gemenne@
ulg.ac.be) est Chargé de Recherches
FNRS auprès du Centre d’Etudes sur
l’Ethnie et les Migrations de l’Université
de Liège (www.cedem.ulg.ac.be) et
au Centre d’Etudes et de Recherches
Internationales (CERI) de Sciences Po,
Paris (www.ceri-sciencespo.com). Tous
deux participent au projet de l’UE sur
les Changements Environnementaux et
sur les Scenarios de Migrations Forcées
(EACH-FOR www.each-for.eu).
Noyés sous les définitions?
Maria Stavropoulou
Sont-ils des réfugiés ou des migrants? Ont-ils besoin de nouvelles
formes de protection juridique ou sont-ils adéquatement protégés
par les instruments déjà en place? Aucune réponse claire ou
évidente ne s’impose pour l’instant.
D’aucuns affirment que les personnes
déplacées suite à des changements
climatiques ou environnementaux sont
des réfugiés et demandent ainsi une
extension de la définition de réfugié
selon la Convention sur les réfugiés de
1951; d’autres appellent à l’adoption
de nouveaux instruments afin de leur
offrir une protection similaire à celle
que reçoivent actuellement les réfugiés.
Enfin, il y a ceux qui estiment que toute
notion de « réfugiés environnementaux »,
y compris leur besoin de protection
semblable à celle des réfugies, est au
11
Réfugiés
de retour
en train de
construire
des digues
contre les
inondations
à Kalota,
province de
Kapisa, en
bordure de
la rivière
Panjshir,
Afghanistan.
UNHCR/J Redden
RMF31
mieux exagérée et au pire le fruit de
dangereuses motivations politiques. Selon
ces derniers, de telles idées contribuent
à brouiller le concept traditionnel
de réfugié et font le jeu de ceux (les
gouvernements) qui voudraient tous les
classifier comme migrants économiques,
afin d’échapper à leurs obligations
de protection envers les réfugiés.
L’intensité du débat rappelle celle d’il
y a vingt ans au sujet de l’existence, de
la définition et du besoin de protection
des personnes déplacées de l’intérieur.
A l’époque, un camp s’était formé,
comprenant les personnes fortement
opposées à la « création » de cette catégorie
car ils considéraient alors que cela
offrirait une excuse aux gouvernements
pour retenir les populations concernées
à l’intérieur des frontières de leur
pays. Toutefois, la grande acceptation
des Principes directeurs relatifs au
déplacement des personnes à l’intérieur de
leur propre pays et leur adoption depuis
1988, ainsi que la reconnaissance croissante
des besoins des personnes déplacées de
l’intérieur par les gouvernements, les
organes de l’ONU et les ONG, et enfin
la compétence de ces derniers et leur
obligation de répondre à ces besoins,
offrent une version différente de la réalité:
une réalité dans laquelle exposer les
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