L`aliénation transférentielle

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L’aliénation transférentielle
Philippe. RAPPARD
CHS Barthélémy-Durand
L’aliénation transférentielle
La thérapeutique, en psychiatre, se veut procédé de changement, là où le symptôme en
général et le délire en particulier ne sont que les moyens de s'accomoder d'un statut
quo. Car en pathologie mentale la guèrison qui ne serait qu'un retour à l'état antérieur,
n'aboutit qu'à la rechute à court ou moyen terme et l'on sait que les évolutions
périodiques, caractérisées par les crises et décompensations à répétition, correspondent
à l'évolution actuelle des thérapeutiques à visée essentiellement symptômatique. Le
traitement étiologique est celui qui modifie l'infrastructure et permet le développement
de la personnalité et non la crise décompensatoire, qui la réorganise toujours en deça
de ses possibilités réelles. L'au-delà de ce "principe de plaisir" qui recherche le bienêtre psychique dans son fonctionnement le plus économique, cet au-delà se situe dans
l'ordre symbolique, c'est à dire dans le social. Or ce social, lieu des relations
interpersonnelles et des dépendances mutuelles, est à aménager pour que puisse y être
projeté ce dont la rétention dans l'individuel produit la névrose et la psychose. Toute
thérapie concerne les relations interpersonnelles, duales ou plurales dans une structure
sociale concrète.
Mais, en thérapeutique, comme en politique, il s'agit de déterminer l'autre sans le dominer ou
le réduire, car le malade mental est justement celui qui est capable d'échapper à toute
domination en se rétractant dans l'autisme. Les thérapeutes alors sans cesse doivent analyser
leur désir de guérir toujours mélé de détermination et de domination. Déterminer l'autre dans
le social sans le dominer a toujours été le grand problème de la thérapie, problème soulevé par
le désir de guérir et sa mise entre - parenthèses à travers la psychanalyse du contre - transfert.
Ce dernier en effet prédétermine toute relation transférentielle utilisée à des fins
thérapeutiques et n'opère qu'en se libérant de la domination sur laquelle se fondaient
jusqu'alors la médecine et l'hypnose.
Le travail délirant et la psychanalyse ont quelques points communs et pour cause. Disons
qu'en dehors du champ transférentiel il n'y a plus de psychanalyse mais du délire. L'hypnose
et l'identification primaire au chef réalisent, pour Freud, une "foule à deux" et fonctionnent
comme préalable nécessaire aux organisations sociales et à la psychanalyse. Cependant le
délire effectue au niveau individuel ce que l'identification primaire n'a pas réussi au niveau
collectif et réalise un travail de réparation permanent sans modifier la structure. Le transfert
rendrait possible cette modification mais encore faudrait-il que soit réussie l'identification
primaire.
Comme le fait remarquer Freud : "le transfert est un phénomène humain général, il décide du
succès dans tout traitement où agit l'ascendant médical ; bien plus, il domine toutes les
relations d'une personne donnée avec son entourage humain". Ainsi ce n'est pas la situation
analytique qui, pour Freud détermine le transfert, elle ne fait que le découvrir et l'isoler et c'est
à partir de lui que s'effectue l'analyse. Le phénomène du transfert et le rapport hypnotique ne
sont pas sans analogie et lorsque manque la tendance au transfert "comme dans la démence
précoce ou la paranoïa", Freud conclut que "la possibilité d'influencer psychiquement le
malade n'existe du même coup plus.".
La pratique cependant avait montré que les psychotiques (démence précoce et paranoïa
évoquées à l'instant) évoluaient favorablement ou défavorablement en fonction des
caractéristiques des groupes ou des établissements où ils étaient placés et qu'il était possible
d'influencer psychiquement ces malades par un biais différent de la relation médecin-malade
classique ou de la relation duelle. Le psychotique ne projette plus dans le groupe mais
s'identifie à lui et comme le disait Tosquelles en 1962 à Barcelone à propos des problèmes
cliniques et techniques du contre-transfert : "c'est le contre-transfert qui amène le thérapeute à
ne pas voir, dans sa propre originalité et dans son primat positionnel le groupe comme un fait
en soi, avec son propre dynamisme et sa propre structure." Hermann Simon avait déjà
remarqué qu'il s'agissait de ne pas agir directement sur le malade perturbateur mais sur le
milieu ambiant considéré comme cause ; tantôt il faudra appliquer ces mesures à "l'ambiance
générale du quartier en question, tantôt à d'autres malades, à la conduite inadéquate du
personnel infirmier, à celle du médecin et jusqu'à celle du Directeur lui-même."
Transfert et narcissisme
Le psychotique, quand il ne fait pas corps avec le groupe ou l'institution avec lesquels il
fusionne de façon symbiotique, doit sans cesse reconstruire son évidence basale et ce travail
de reconstruction permanent est épuisant. Même illéttré, le psychotique qui est soumis à ce
travail délirant de reconstruction, se considère comme un intellectuel, car il a parfaitement
conscience de la nature de ce travail totalement individuel et sans cesse à refaire mentalement.
Mais le mécanisme obsessionnel de reconstruction de l'évidence par la pensée n'est pas le seul
à s'offrir au psychotique en détresse. Le mécanisme hystérique intervient lui aussi, qui permet
l'établissement d'un lien interpersonnel négociable dans des conditions différentes suivant que
le patient est en mesure d'établir un lien transférentiel (névrose de tansfert) ou n'est pas en
mesure de l'établir (névrose narcissique) dans la situation duelle qui reprend, en l'aménageant,
la relation médecin-malade classique. Ces deux aspects (transfert et narcissisme)
correspondent à la répartition des pratiques en psychothérapie psychanalytique individuelle
pour les névrosés, et en prise en charge psychothérapique collective pour les psychotiques, qui
ne peuvent élaborer de relation transférentielle qu'à partir d'une identification primaire sur une
équipe qui les supporte, au sens propre et figuré du terme.
La folie en effet, n'est évitée qu'au prix d'une organisation communautaire qui entretient une
situation de dépendance transférentielle. C'est ce qu'a démontré l'expérience asilaire du début
du siècle qui, en n'organisant pas la vie sociale des malades mentaux, les condamnait à
l'autisme, au délire chronique et à l'inexistence. Car, on le verra, si les psychotiques faisaient
corps avec les établissements (appareils d'Etat) où ils s'étaient ségrégués, cette
consubstantialité n'était pas négative mais nécessitait une intervention complémentaire du
type de la relation transférentielle venant se greffer sur l'identification primaire et la symbiose
avec l'institution.
Le transfert institutionnel sur une équipe, ou le transfert contractuel sur un thérapeute
(analyste ou travailleur de la Santé Mentale) remplace les symptômes de la psychose ou de la
névrose. Seule l'analyse de ce transfert permet sa liquidation et l'autonomisation du sujet.
Mais l'analyse est souvent interminable, l'accession au symbolique se trouvant, chez certains
individus ou groupes d'individus, barrée. La thérapeutique alors se transforme en assistance à
réaliser aujourd'hui, non plus dans les établissements décretés inopportuns, mais dans la
société civile. Les psychiatres et les travailleurs de la santé ont contribué au dépérissement de
ces organes de l'appareil d'Etat que sont les établissements sans pour autant résoudre le
problème de la psychose. Parce que ce n'était pas les établissements qui produisaient la folie,
mais la folie qui secrétait l'établissement, support minimal de l'inexistence psychotique, à
travers lequel il s'agissait de permettre l'acte d'exister. C'est donc au prix d'une certaine forme
d'aliénation sociale que des sujets appelés malades mentaux se dégagent temporairement ou
définitivement de l'aliénation mentale. Cette nouvelle forme d'aliénation envisagée de façon
scientifique à travers le concept de transfert, implique un certain type de travailleurs de la
santé mentale. Car la visée de cette pratique thérapeutique, c'est bien évidemment la
liquidation du transfert qui seule aboutit à l'autonomie de l'individu dans son groupe social. Il
s'agit donc de traiter une certaine forme de dépendance subsumée en termes d'aliénation, de
transfert, voire d'identification primaire.
Toutes les formes dites historiques de la maladie mentale chronique, formes qui restent
toujours latentes dans les prises en charge thérapeutiques les plus évoluées, sont décrites selon
des terminologies similaires dans l'école française, allemande, italienne ou anglo-saxonne.
Mais après la reconnaissance de plusieurs styles d'organisations délirantes de la vie
psychique, l'intérêt s'est porté sur le style de la rencontre entre le malade et l'organisation de
soins et d'assistance. Car c'est du style de cette rencontre que dépend l'évolution de la maladie
mentale vers la guérison symptomatique ou vers certains comportements défensifs plus ou
moins compatibles avec la vie familiale, sociale ou professionnelle. L'évolution des malades
mentaux dépend en grande partie du lien symbolique qui s'est organisé avec l'organistion de
soins, formelle ou informelle. Ce lien, instance supplétive, permet à l'individu de fonctionner
comme sujet comme si la condition naturelle de l'être humain était de vouloir une servitude.
Cette servitude fait de nous un être normal si sa cause est symbolique, un être psychotique si
sa cause est imaginaire et un être pervers si sa cause est réelle. Socialité, folie et délinquance
étant les trois voies qui s'offrent à notre humanité. La névrose est incluse dans la socialité, elle
préfigure la folie et elle structure la délinquance.
La primauté n'appartient pas forcément au monde de la dualité originelle et pour Heideger,
c'est le monde du souci et de la tâche qui apparaît comme fondamental. C'est bien déjà ce
qu'avait formulé Hermann Simon, à partir des questions pratiques qui se posaient à l'hôpital
psychiatrique dans le traitement des malades mentaux. Il fallait y développer ce qui était de
l'ordre de la tâche. Toute l'oeuvre de H. Simon et le mouvement de psychothérapie
institutionnelle se situent dans cette perspective, ce qui a amené les psychiatres
psychanalystes de ce mouvement à essayer de dégager la psychanalyse du monde de la dualité
originelle d'où elle semblait au départ être née et où il fallait craindre de la voir s'enliser.
Ainsi, le médecin ou le psychanalyste s'occupait du monde noble de l'amour et l'infirmier
psychiatrique du monde roturier de la tâche. Psychothérapie individuelle ou duelle et même
de groupe d'un côté, psychothérapie collective ou ergosociothérapie de l'autre. En intégrant
dialectiquement cette dualité dans une perspective plus vaste, on rejoint ici maintenant la
conception de Freud qui avait bien précisé que l'amour ne guérissait pas et qu'il fallait le
liquider à travers un travail appelé par lui "durcharbeit" et dont la traduction française de
"perlaboration" semble un peu camoufler la nature.
Là où donc le délire apparait comme un travail de reconstruction du monde et de la personne,
le transfert apparait lui comme l'occasion de réalisation d'un autre type de travail qui serait
celui du développement. On pourrait dire alors, reprenant les critiques qui ont été adressées
aux théologies du développement, qu'il doit s'agir non de développement, mais de libération.
Le transfert permettrait un travail de libération préalable au développement qui viendrait de
lui-même à partir d'une résistance, lorsque la place serait libérée. La question à traiter est celle
des procédures à mettre en place pour que le développement puisse se manifester librement.
Pardoxalement la procédure ne doit pas venir après coup pour étayer un développement
imposée de l'extérieur, elle doit autoriser un développement qui, comme la guérison, vient de
surcroit. Et cette condition préalable consiste à mettre en place un environnement dont
l'individu ne se sente pas dépendant.
Si le psychotique ne supporte pas le leurre de la situation psychanalytique duelle orthodoxe et
s'il demande une situation authentique aménagée, c'est qu'une condition préalable lui a
manqué qui consistait en un environnement dont il avait besoin et qui ne devait être ni perçu,
ni enregistré comme situation de dépendance. Ceux dont on a à s'occuper sont justement ceux
pour qui le milieu dans l'enfance, n'a pas su jouer ce rôle et n'a pas suscité l'adaptation active.
Tel est le paradoxe de la psychiatrie qui doit donner l'impression, à ceux dont elle s'occupe,
qu'ils n'ont pas besoin d'elle. Paradoxe, car cette attitude complète celle, apparemment
opposée, induite par la loi du 30 juin 1838 sur l'internement, loi qui impose à un individu qui
ne demande apparemment rien, accueil et soins : c'est à dire sureté, bien sûr, mais également
possibilité de développement de la liberté - autonomie.
Transfert et leadership démocratique
Là où l'organisation de la prise en charge ainsi que le statut des personnes et des
établissements permettent l'identification primaire (en la maintenant ou en favorisant à partir
d'elle l'organisation méta-psychotique selon les formes habituelles des descriptions
nosographiques classiques) il convient donc de permettre l'apparition du transfert
institutionnel. Transfert particulier chez les psychotiques rassemblés ou pris en charge de
façon plus individualisée par une équipe, et qui est contemporain d'un contre-transfert
institutionnel bien typé dont l'analyse doit permettre l'aménagement de situations de
dépendance compatibles avec ce qui s'institue habituellement dans la société civile. Pour ce
faire l'organisation hièrarchique médicale et paramédical, elle même inscrite dans la structure
identificatoire primaire, doit susciter les situations favorables à un fonctionnement
démocratique, reconnu dès lors comme oedipien par de là l'organisation pré-oedipienne voire
narcissique de la masse des individus aliénés dans les appareils d'Etat, les chefs et les
établissements. Si, comme l'explique Mélanie Klein, le conflit oedipien est un stade précoce,
on conçoit que dans cette identification au chef dont le narcissisme est absolu, dans cette foule
à deux qui caractérise aussi bien la psychose que la masse, est présente l'occasion de
l'accession à l'ordre symbolique et au social à connotation oedipienne, par delà la relation
fusionnelle de l'ordre narcissique. Ce qui doit être maintenu de la structure autoritaire ou
despotique c'est bien évidemment la directivité au niveau des procédures formelles, le contenu
restant libre dans ce qui le prédétermine, l'individu étant caractérisé à la fois par le
développement et par l'histoire. Le cadre basal institutionnalisé est là et c'est à partir de lui
que le développement individuel s'effectue dans le contrat oedipien.
Daniel Lagache, dans son rapport de 1951 au congrès des psychanalystes de langue romane,
intitulé "Problèmes du Transfert", décrit la situation psychanalytique orthodoxe selon les
termes de la dynamique des groupes Kurt Lewin. Il la situe comme conduite démocratique,
distincte des conduites autoritaires et anarchiques. Pour Kurt Lewin sont autoritaires les
structures directives au niveau des procédures et au niveau des contenus ; anarchiques les
structures non directives tant au niveau des procédures que des contenus ; sont démocratiques
les structures directives au niveau des procédures et non directives au niveau des contenus. La
situation psychanalytique, directive au niveau de la procédure (règle du tout dire, etc...) et non
directive au niveau des contenus (dire n'importe quoi) est démocratique tout en instaurant une
situation de dépendance provisoire librement consentie. La loi de 1838 peut être ainsi
considérée comme un précurseur de la dépendance psychanalytique dans la mesure où elle
préconisait des procédures avec contrôle après-coup de leur opportunité, la volonté émanant
non pas de l'individu mais de son entourage ou de l'autorité publique. C'est d'ailleurs la
conjugaison de l'éthique psychanalytique et du rassemblement de nombreux psychotiques
dans un même lieu qui a suscité la psychothérapie institutionnelle, c'est à dire cette
psychanalyse générale qui s'instaura à partir des rapports de citoyenneté et non à partir des
rapports inter-individuels exclusifs. Ainsi l'établissement se devait-il, par delà la sureté, de
développer la liberté - autonomie des patients en greffant sur le narcissisme primordial des
appareils d'état et de la psychose, des associations ouvertes sur le monde extérieur et
organisées démocratiquement. Car l'identification primaire à la masse, à l'établissement, au
chef, qui fonde la psychose et aboutit à la maladie mentale chronique à prévalence délirante et
autistique, cette identification n'est pas le transfert, mais la condition préalable à tout transfert.
Elle est donc à favoriser, à étudier scientifiquement comme cadre du transfert, c'est à dire de
cette relation quasi-génitale qui s'instaure entre soignants et soignés. Et c'est l'apparition (la
plupart du temps avortée si le dispositif démocratique n'est pas mis en place), de ce transfert
qui fonde, ici, la règle dite fondamentale. Règle fondamentale qui, en situation
psychanalytique duelle ordinaire réalise la plus petite démocratie en même temps que la plus
intense, et qui, en situation institutionnelle (dans ou en dehors des établissements) réalise la
grande démocratie, la plus banale et la plus difficile.
Car il y a du transfert et notre tâche est de ne pas l'étouffer dans l'oeuf. Le narcissisme est à
traiter dans le collectif si l'on ne veut pas le voir érigé en entité nosographique réelle au
niveau d'un individu. De même que les symptômes de la névrose disparaissent dans la
situation psychanalytique duelle pour être remplacés par la névrose de transfert, de même les
symptômes du psychotique sont déplacés dans le collectif ou mieux : le psychotique, en tant
que symptôme de son groupe social, peut y fonctionner comme sujet. Lorsque le transfert
institutionnel est pris dans la règle fondamentale de la discussion en groupe, qui assume le
positif projeté sur les uns et le négatif projeté sur les autres (c'est à dire le conflit), il est
entendu que le transfert négatif est le "noeud du drame analytique" : puisque c'est à travers la
négation que toute position prend un sens et que la seule récompense qui nous reste à nous
thérapeutes est l'ingratitude. Comme le précise Freud (cité par J. Schotte) : "Peut donc
s'intituler psychanalyse, toute discipline qui reconnait ces deux faits transfert et résistance et
les prend comme point de départ de son travail d'investigation". Dès lors le mouvement de
psychothérapie institutionnelle et la politique psychiatrique dite de secteur ont contribué à
l'avènement d'une psychiatrie scientifique. Cette psychiatrie est fondée sur l'homme malade
mental en acte, là où Lacan donne du transfert la définition de "mise en acte de la réalité de
l'inconscient".
Démocratie et dépendance
(de Wilhelm Reich à Tosquelles)
Dans le "Moi et le Ca" Freud fait remarquer que le progrès culturel et moral implique une
régression libidinale. Mais il ne s'agit pas forcément d'une régression au stade anal et oral, il
s'agit plutôt d'une régression narcissique, dans ces zones de l'identification primaire où
peuvent être repris les phénomènes d'identification collective. Ainsi Reich posait-il au dessous
de la conscience et de l'inconscient une couche encore plus profonde et naturelle prédisposant
à la démocratie et au travail. Reich y adjoignait l'amour génital corrompu d'après lui, par la
société patriarcale. Manifestement Reich projette sur ces zones une vision génitale adulte,
zones où l'organisation démocratique doit faire évoluer les individus vers l'adaptation active,
dans la mesure où elle ne leur fait pas percevoir leur dépendance et favorise ainsi l'accès à la
socialité. Cet accès est manifestement entravé par l'exercice de la toute puissance d'un chef,
ou par la méconnaissance de la communauté et c'est là qu'intervient le transfert, différent donc
de cette relation autoritaire qu'est celle de la foule identifiée au chef et de l'hypnose, véritable
foule à deux, selon Freud.
Le psychotique fonctionnant comme la foule il convient de mettre en place la sureté. Mais la
sureté n'a de sens qu'à permettre la mise en place de ce qui favorise la liberté - autonomie et
correspond à notre rôle de soignant prenant en compte le transfert. Dès que sont mises en
place des procédures de type démocratique et que le médecin joue son rôle de "sujet supposé
savoir", le transfert institutionnel opère. Pinel, on le sait, avait perçu le phénomène et s'en était
inquiété, sans en faire la théorie et ne l'avait interprété que par rapport à l'identification
primaire et à la figure paternelle du médecin. Par la suite les "philosophes spécifiques"
comme Michel Foucault ont abordé le phénomène d'un point de vue antipsychiatrique en ne
voyant que l'aspect répressif du phénomène et en niant le transfert. Car comme le répétait
souvent Daumézon : "Et pourtant le vieil asile guérit...".
Il guérit à travers le transfert qui prend la forme soit de la névrose de transfert (avec les
névrosés en situation psychanalytique duelle), soit de la psychose de transfert (avec ce qu'on
appelle aujourd'hui les cas limites ou borderline en situation psychanalytique duelle), soit du
transfert institutionnel (qui vise à orienter les expériences fusionnelles du patient psychotique
sur le groupe des soignants et non plus sur un thérapeute qui ne peut réagir que de façon
contre-transférentielle intense à la massivité de l'investissement dont il est l'objet).
Pour Kernberg, la psychose de transfert et le transfert psychotique des patients psychotiques
en traitement intensif présentent des analogies. Telle par exemple la perte de l'épreuve de
réalité, telle l'organisation fantasmatique traduisant les couches les plus précoces des relations
d'objets internalisées et donc antérieures à la dyade et au triangle originaires, telle encore
l'activation massive de l'identification symbiotique au thérapeute. Si les idées délirantes et les
hallucinations incluent le thérapeute et l'entourage, les "patients-limites" pendant la psychose
de transfert ressentent une frontière entre eux-mêmes et le thérapeute, ce que n'éprouvent pas
les psychotiques en état de transfert, qui se vivent comme ne faisant qu'un avec le thérapeute.
C'est en fonction de ces caractéristiques que la psychothérapie institutionnelle, selon
Tosquelles, se devait d'organiser la rencontre thérapeutique non pas dans une relation
fantasmatique duelle, mais dans des réseaux interpersonnels multiples d'ordre symbolique où
les interprétations techniquement définies ne doivent pas être seulement vécues mais agies
dans la praxis même, c'est à dire dans le réel hospitalier ou extra-hospitalier techniquement
appareillé par les soignants. Comme l'indique en effet Elliott Jacques, l'un des éléments
primaires de cohésion reliant les individus dans des associations humaines institutionnalisées
est la défense contre l'anxiété psychotique. "En ce sens, on peut penser, dit-il, que les
individus projettent à l'extérieur les pulsions et les objets internes qui, sinon, seraient la source
d'anxiété psychotique et qu'ils les mettent en commun dans la vie des institutions sociales où
ils s'associent. Ceci n'est pas dire que les institutions utilisées de cette façon deviennent
"psychotiques", mais ceci implique effectivement que nous nous attendions à trouver dans les
relations de groupe des manifestations d'irréalisme, de clivage, d'hostilité, de suspicion et
d'autres formes de conduites mal adaptées. Ces manifestations sont le pendant social - mais
non pas l'équivalent - de ce qui apparaît comme symptômes psychotiques chez les individus
qui n'ont pas développé leur capacité pour utiliser les mécanismes d'affiliation aux groupes
sociaux afin d'éviter l'anxiété psychotique". C'est une réunion d'équipe que ces manifestations
sont étudiées afin que s'effectue la liquidation de ce transfert.
Non liquidé, le transfert institutionnel favorise les organisations paraphréniques (fantastiques,
confabulantes, expansives ou systématiques) à tonalité maximale ou minimale en fonction des
thérapeutiques psychotropes associées. Les constructions délirantes et les phénomènes
d'automatisme mental y coïncident avec une bonne adaptation à la réalité sociale et Ey
considérait ces formes comme des guérisons méta-processuelles. Elles surviennent quand le
transfert sur un thérapeute, qui constitue le malade comme sujet parlant, n'est pas articulé avec
le reste de l'institution, support elle aussi des identifications dramatiques. Il en est de même
pour les états limites qui fonctionnent eux aussi de façon bipolaire au niveau de la
personnalité et qui intègrent les phénomènes de milieu à la façon dont déjà Kretchmer
l'envisageait pour la paranoïa sensitive. C'est le transfert qui conditionne la nouvelle clinique
qui est une clinique d'activité. Mais le transfert qualifié d'institutionnel, parce qu'il apparait
dans l'institution ou le groupe de soins, est en fait de l'ordre du contrat.
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