STAGE ACADEMIQUE THEATRE ET DISCOURS CRITIQUE LYCEE MARIE CURIE A VIRE VENDREDI 11 FEVRIER 2011 Accueil : un partenariat engageant La tenue du stage au lycée Curie, à Vire, et par Françoise Hygon, enseignante en lettres et théâtre, a permis de mettre en valeur la qualité d’un partenariat entre l’établissement et le Préau, Centre Dramatique Régionale de Vire. Co-dirigé par Vincent Garanger (comédien) et Pauline Sales (comédienne et auteur), la structure multiplie les liens avec les publics, notamment adolescents : offre de stage, animation d’options ou d’atelier (avec Aurélie Edeline et Anthony Poupard, comédiens associés), rencontres autour des spectacles, suivi des créations, ainsi que le Festival Ado dont l’ambition est de rendre la fréquentation du théâtre aussi usuelle que celle du cinéma. Sans être nécessaire à un travail sur le compte-rendu critique de spectacle, un tel partenariat ne peut qu’engager tout un chacun à vérifier et éprouver la pertinence de telles relations avec une structure artistique (lieu d’accueil, centre de création, compagnie, comédiens faisant le déplacement…) : écrire sur le théâtre c’est s’en rapprocher, et se rapprocher du théâtre ne peut qu’aider à écrire sur les spectacles. Le stage, consacré au discours critique sur le théâtre, puise sa matière dans le spectacle Occupe-toi du bébé, mise en scène d’Olivier Werner, crée au Théâtre de la Colline1. Il fait appel également à divers documents ― reproduits ici2 ― et à la grande expérience pratique acquise par la formatrice, Mme Françoise Hygon. Le public du stage étant composé d’enseignants de lettres de collège, lycée et d’enseignants de théâtre, la formation a émis un certain nombre de propositions, de pistes, découvert certains outils dont on soulignera la possible adaptation à des niveaux différents. Comme le rappellent diverses opérations ― comme le Carnet du spectateur dans le Nord Cotentin ― la formation de l’élève spectateur ne prend son sens que dans un parcours, un suivi, une progression sur l’année scolaire voire à l’intérieur de l’établissement sur plusieurs années. I. Définition et cadre de l’activité. 1.1. Que se propose-t-on exactement ? Objectif du discours critique sur le théâtre : inciter les élèves à la rencontre d’un parti pris de mise en scène, à un jugement fondé sur des attentes. Dans le cadre du discours critique sur la représentation théâtrale, il s’agit moins d’apporter des connaissances que de susciter chez l’élève le désir d’apprendre. Aussi à la question récurrente « Faut-il préparer la représentation ? », la réponse est clairement positive : le meilleur moyen même d’être surpris, c’est d’avoir nourri des attentes. Forger des attentes aboutit aussi à récuser la perception du théâtre comme « de la littérature en costumes », voire à éviter la réduction trop prompte du théâtre à un secteur de la littérature. Le théâtre est avant tout de l’espace qui joue : le faire sentir, noter comment une parole et des corps relaient et déploient un texte dans l’espace sont autant d’opérations qui invitent à ne pas considérer la représentation comme une traduction du texte, une simple observance de ses réquisits. S’attacher à l’espace, à ce qui sera vu et entendu, permet ainsi de lutter contre l’écueil de l’histoire ou du rapport texte-parole : il n’y a pas de vérité du texte que la mise en scène conserve, mais un regard libre qui s’exerce et que le théâtre interroge3. En outre, préparer est une nécessité dès lors que tous, élèves et professeurs, savent qu’après le spectacle, il y aura une tâche à accomplir. On s’y attachera d’autant plus, qu’au-delà des classiques, le théâtre est aussi un moyen par excellence de rencontrer la littérature contemporaine. Préparer permet de répondre ainsi à l’état positif d’insécurité intellectuelle, pour les élèves, qui 1 Le programme élaboré par le Théâtre de la Colline, reproduit ici en annexe, permettra de se faire une idée de la tonalité et des thèmes du spectacle. 2 Voir la bibliographie en fin de compte-rendu ainsi que les textes joints. 3 On relira l’extrait d’Artaud donné en annexe. découle du spectacle : que penser ? à quel avis s’en remettre ? Il s’agit donc de trouver les moyens de guider sans entraver la liberté du regard. Ne s’agit-il pas avant tout de garder une trace du spectacle (et de son spectateur) ? Le spectacle et la mise en scène sont des moments éphémères, volatiles, qui ne peuvent ― en dépit même des captations vidéo ― perdurer ensuite qu’à l’état de traces, car c’est la relation du spectacle et du spectateur un jour donné qui donne sens à la représentation théâtrale. La préparation en amont et le compte-rendu en aval du spectacle ne sont pas la poursuite d’un sens donné, mais la manifestation du regard individuel, la construction de sa perception et de son jugement. N’oublions pas que le théâtre se définit essentiellement par l’assemblée théâtrale, l’accent mis sur la communauté d’un soir, sur le rapport au public : tout spectacle pose constamment la question de sa réception. 1.2. Enjeux et conditions de la démarche : favoriser l’expression individuelle tout en exigeant une construction. Si le théâtre est l’art de « faire lever les mots », il est tout autant celui de « faire lever les élèves ». Le parti pris défendu ici est celui de toujours partir des élèves et de leurs réactions ; même si leur avis n’est intégré qu’à la fin de l’exercice, il s’agit de leur donner des outils pour s’approprier la réflexion. Rédiger un compte-rendu est d’abord un moment à soi : il ne faut rien dire, prescrire, pointer, mais au contraire amener les élèves à avoir confiance en leur jugement. Jacques Copeau, grand metteur en scène de la première moitié du 20ème siècle le rappelait avec humilité : « je ne vais pas voir que faire de cette pièce, mais ce que cette pièce va faire de moi ». D’où l’importance du « je », du pont de vue subjectif qui n’est pas simple étiquetage (« j’aime/ je n’aime pas »), mais mise en œuvre de son expérience de spectateur, de ce qui a été traversé lors du spectacle. L’idéal ? D’abord, voir trois ou autre pièces dans l’année pour créer des attentes entre les différentes occasions, des surprises, des écarts, des contrastes. Si possible, voir plusieurs mises en scène différentes de la même pièce. Le nec plus ultra pour des élèves passionnés ou des optionnaires : assister plusieurs fois au même spectacle à partir de places différentes dans la salle, s’enquérir de ce que les circonstances (lieu, place, date, moment, contexte…) apportent à la représentation. De fait, le théâtre est un art du présent, il est épidermique tant il nous touche, à fleur de peau, et tant il est matière, corps, espace, manifestation sensible. Conseillons donc d’une part de toujours noter les réactions à chaud, la vision de l’espace et de la scénographie, même de façon brute, en s’interdisant de l’autre de répondre aux questions inévitables : « ça vous a plu, madame ? ». De même, on privilégiera toujours le « pourquoi ?» au « comment ? » car il en va de même pour l’élève qui assiste au spectacle et pour l’acteur qui répète : « pourquoi est-ce que je/il rentre, parle ? » est une question concrète, qui met en situation, qui s’adresse ; le « comment » supposerait que l’objectif soit déjà défini, fixé, sans nous, et que nous n’ayons qu’à en retrouver le chemin. Néanmoins, le spectacle répond aussi à une logique de construction, qui appelle à une certaine distance : il faut ressentir & s’interroger. Assister à un spectacle est un exercice de tutoiement du metteur en scène : « qu’est-ce que tu me dis quand tu dis cela ? ». Au théâtre, on assiste (grec theatron : le lieu d’où l’on voit) à des actions (dramatique vient du grec drama, action) ; aussi, de même qu’un acteur joue des actions et non des sentiments, il faut insister sur le primat des actions, de ce qui se passe, et dont découlent les sentiments. D’ailleurs l’émotion n’est pas jouée au théâtre, elle est ressentie par le spectateur ― ainsi Bernard-Marie Koltès écrivait « on ne dit jamais je suis triste, on dit je vais faire un tour ». C’est la situation qui importe pour l’acteur comme pour le spectateur : que penser de cette situation, de ces faits ? A l’aune de ces éléments, il est nécessaire de préciser que le travail d’élaboration du texte critique relève toujours de l’atelier en quelque sorte : les attentes issues de la préparation, la réaction à chaud, les convictions qui naissent ensuite quand le spectacle décante dans l’esprit… Tout ceci relève d’un bricolage, au sens le plus noble du terme. Aux élèves qui les interrogent sur le sens d’un élément, d’une action (« pourquoi faire ça ? qu’est-ce que ça veut dire ? »), les comédiens répondent souvent par une esquive ― « on n’en sait rien (…) et toi, qu’est-ce que tu en penses ? ». Ce mouvement rappelle que le travail du compte-rendu consiste à établir des hypothèses, à ne pas se demander ce que cela veut dire, mais ce que cela peut dire. II. Le travail du compte-rendu. 2.1. La préparation. Au préalable, il s’agit de préparer les élèves. Le texte de Michel Vinaver est éclairant ; sans forcer quiconque à assister plusieurs fois à la même pièce, il relève que « nous avons besoin, pour adhérer à un spectacle, d’avoir au préalable une certaine familiarité avec les éléments qui le composent ». Si la mise en scène est un redéploiement du texte, une nouvelle lecture, une interprétation, la préparation consiste donc principalement à proposer un contact avec le texte de théâtre (ou le texte non théâtral dans certains cas de spectacles). Ces éléments ne font pas disparaître le plaisir et le sens du spectacle, ils lui offrent un terrain de manœuvre : qu’est-ce qui sera repris tel qu’on se l’imagine ? qu’est-ce qui peut varier ? Le plaisir de la musique et du théâtre, note Michel Vinaver, c’est « le couple que forment la répétition et la variation ». Faire un compte-rendu c’est comme refaire la pièce, voir une nouvelle fois. Dans le cas d’Occupe-toi du bébé de Dennis Kelly, on propose le début du texte (incluant la liste des personnages) et la fin. Quid de l’intérêt si la fin est connue ? On rappellera aux élèves que le théâtre ne fonctionne pas sur la surprise du dénouement ― les tragédies et la réutilisation du matériau mythique ou historique l’indiquent ― mais sur l’événement, le fait que l’on assiste au déroulement, et sur le processus qui mène du début au dénouement. En outre, pour répéter la fameuse formule d’Anne Ubersfeld, le texte de théâtre est « texte troué », si l’on s’intéresse au spectacle, c’est moins dans la mesure où il nous répète le texte, que dans la mesure où il en propose une variation, l’interprète. En travaillant sur le début du passage, on fait en sorte qu’un travail de formulation d’hypothèses commence : qui parle ? à qui ? pourquoi ? dans quel cadre est-on ? Il ne faut pas hésiter à laisser s’énoncer des erreurs ; il s’agit de proposer des scénarios cohérents à partir des éléments fournis ; c’est un travail proprement dramaturgique. Plus que l’histoire, c’est l’adresse qui est déterminante et on peut songer à faire lire des extraits : à qui parle-t-on ? dans quel cadre ? Ainsi par exemple ici : l’avertissement en italiques est-il destiné aux spectateurs ou aux lecteurs ? Qui raconte cette scène de prison ? Pourquoi la prison ? Quel est le lien entre les paroles de Donna et celle de Lynn ? Entre la prison et la campagne électorale ? Que s’est-il passé, dans les deux cas, qui reste implicite ? Faire lire aussi la fin du texte : qu’est-ce qui s’est passé entre deux ? Qu’est-ce qui s’est modifié ? On peut s’interroger ici sur cet échange, mi-interrogatoire mi-interview, sur le parcours de Donna. S’agissant d’un texte et d’un spectacle qui jouent des leurres, de la croyance illusoire en une vérité, les hypothèses participent au doute, à la variation. Ainsi, on peut également choisir des passages intermédiaires suivant les enjeux du texte. Ici le choix s’est porté sur des cartons à afficher qui se répètent au cours du spectacle mais avec une disparition progressive de la lisibilité et du sens. Font ici l’objet du même traitement : le parcours du rôle de Martin entre répétition (la volonté de refus), et variation (la volonté de rester au centre), la confrontation de deux récits de la même soirée. L’ambiguïté de la démarche de Dennis Kelly, son rapport ambivalent au théâtre verbatim pratiqué outre-manche1 se retrouvent ainsi au fil des remarques sur ces textes, naturellement. 1 Voir le programme du Théâtre de la Colline. 2.2. Le spectacle et les outils du compte-rendu. Le jour du spectacle, on conseillera de se désintéresser du programme et de ses notes d’intention, distribués généreusement à l’entrée dans la salle. Tout au plus seront-ils consultés a posteriori. Il faut s’émanciper de la dépendance au modèle du programme audiovisuel. Au contraire, s’installer dans la salle est l’occasion déjà de se montrer attentif à la scénographie, du moins à sa configuration de départ. Comme l’espace vide de Peter Brook nous l’apprend, toute scénographie, même minimale, est déjà un choix qui s’affirme, sinon le vide serait seul visible. Prendre conscience aussi que la scénographie construit le rapport au public : comment nous place-t-elle vis-à-vis de la scène et de ce qui s’y passe ? On proposera d’en faire un schéma rapide en s’installant dans la salle (pas pendant le spectacle !), ce qui permettra de nourrir le compte-rendu. (scénographie de Occupe-toi du bébé mis en scène par Olivier Werner ; scénographie signée Olivier Werner et Jean-Claude Gallet) On peut proposer des grilles de lecture du spectacle ; néanmoins, il ne s’agit pas de questionnaires à remplir servilement, mais d’éléments pouvant possiblement attirer l’attention dans tel ou tel spectacle. La revue Continu[um] de l’ANRAT proposait « un mémento d’analyse chorale » : Pour la rédaction du compte-rendu même, un certain nombre d’exigences sont donc à fixer : - (a) Les noms de la liste technique doivent apparaître dans le compte-rendu : on assiste à la mise en scène d’Olivier Werner, non au spectacle de Dennis Kelly ; on mentionne les noms des acteurs par exemple Aurélie Edeline, Olivia Wuillaumez, Vincent Garanger, Anthony Poupard…etc. plutôt que ceux des personnages (Donna, Lynn, Docteur Millard, Martin…) ; on précise l’auteur de la scénographie, le créateur des lumières que l’on commente. On n’évoquera pas un choix au niveau de la fiction (Donna semble malade, isolée, perturbée…) mais au niveau de la construction (le metteur en scène demande à la comédienne de se maintenir isolée, sans échange…). - (b) On commence toujours par mentionner le spectacle, les moyens de production, la mise en scène, la date et le lieu. On y sera d’autant plus attentif que la représentation est ouverte aux incidents que le jeu doit intégrer mais qui peuvent modifier l’effet du spectacle, aux changements de lieu qui peuvent modifier le rapport au public. - (c) La fable (le récit des actions qui se déroulent) tient en deux lignes : il s’agit de poser la situation, non la psychologie de chaque personnage. - (d) La scénographie est sans nul doute l’entrée la plus accessible pour les élèves ; elle s’impose et se remémore plus facilement que le jeu et permet de comprendre le fonctionnement esthétique de la pièce, l’enjeu de la mise en scène. Il faut donc faire le schéma et le légender. On peut ensuite essayer de dégager les choix du metteur en scène quant à la question de la mimésis : espace naturaliste ? citation naturaliste ? abstraction ? symboles ? fantaisie ? lieu du théâtre même ?... Totale, elle comprend autant le traitement du sol que les objets qui s’y trouvent ; tout ce qui est sur le plateau doit servir, avoir sa nécessité propre, rien n’est laissé au hasard ; ainsi c’est le passage de la chose (qui en existe en elle-même) à l’objet (qui a un sens, qui sert). Plus encore, la scénographie aboutit à organiser le rapport scène-salle, la relation au public. Il faut aussi faire la part de la dénotation et de la connotation : distinguer ce qui a été vu et ce à quoi cela nous renvoie. La scénographie montre quelque chose, et peut suggérer autre chose par un jeu d’allusions où le regard du spectateur entre pour une grande part. - (e) Les lumières. Sont-elles stables ou changeantes ? Créent-elles un climat, une atmosphère ou ont-elles pour rôle de rythmer le spectacle, de marquer les performances des acteurs ? - (f) la vidéo et/ou la musique au besoin. - (g) La performance de l’acteur. S’agit-il d’incarnation (l’acteur donne sa peau au personnage) de personnage ou de la proposition de figure (métaphore, abstraction, symbole) ? On tiendra compte de ce qui permet de définir le jeu de l’acteur : ses déplacements (fréquents ou rares, limités ou libres…), sa gestuelle, son interaction avec le costume, le choix de celui-ci, et enfin le rapport au groupe (jeu collectif, individuel ?). - (h) Donner son avis. 2.4. Une adaptation selon les niveaux. Avec des lycéens, en théâtre comme en lettres, on peut organiser ainsi la progression : - En seconde, on peut viser un travail très structuré (plan simple à suivre) pour privilégier l’objectif majeur : manifester un point de vue argumenté. - En première et en terminale, il s’agit plus d’une réflexion personnelle sur un point particulier de la mise en scène, élu par l’élève. En tablant sur une plus grande maîtrise du vocabulaire technique, on peut inciter l’élève à inscrire la mise en scène dans un courant, un mouvement. C’est l’occasion de travailler à une problématique. - On peut réfléchir à l’usage qui pourrait être fait de ces principes : (a) en cours (pour former les élèves non initiés à des comptes-rendus personnels ultérieurs, (b) pour le collège, en réduisant les entrées de l’analyse, en concentrant le regard sur des éléments parlants. L’enjeu sera peut-être alors davantage de faire percevoir ce que sont des choix de mise en scène, la lecture qui est faite des événements, du texte. III. Prolongement : une rencontre. Le stage inclut la rencontre avec des comédiens de l’équipe du spectacle. C’est une double occasion, d’une part pour évoquer le discours critique sur le théâtre du point de vue des comédiens (comment parler de son spectacle, de sa performance ? comment ou que peut-on répondre à des élèves qui interrogent sur son travail ?), de l’autre pour éprouver sa propre vision de la pièce, son propre regard critique. 3.1. Sur Occupe-toi du bébé. La rencontre est l’occasion de retracer aussi la genèse du spectacle : contre toute attente, ce sont ici les comédiens qui ont chois le texte et ont ensuite fait appel à un metteur en scène pour le monter (à noter que le texte est traduit notamment par Pauline Sales, comédienne, auteur et codirectrice du Préau). Le choix du texte est lui-même issu d’une opération lors du festival de la Mousson d’été : Michel Didym avait formé des couples comprenant un traducteur et un auteur travaillant sur la même pièce étrangère. Pauline Sales s’était alors intéressé à Débris, autre pièce de Dennis Kelly. Occupe-toi du bébé répond à la vague du théâtre documentaire anglaise ; on y pratique un théâtre verbatim qui consiste à mettre en scène un fait divers réel en se limitant aux seules paroles effectivement prononcées. Il y a donc réaction à une mode et à la place d’auteur qui en découle ; aussi Dennis Kelly a-t-il monté la pièce ― car l’agencement des séquences à mi-chemin entre l’enquête et l’interview relève du montage et nous met en garde contre lui dans le même temps ― comme un canular, un vrai faux théâtre verbatim. Les personnages affligés par le fait divers n’auraient-ils pas déformé la réalité, attisé la curiosité des médias, profité de la parole qu’on leur donne ? Outre-manche, la pièce a été reçue comme la transcription d’un fait réel au point que les médias faisaient ensuite allusion à « cette fameuse affaire MacAuliffe », montée de toute pièce par Dennis Kelly… Un aperçu aussi du travail des comédiens est donné : à la Colline les premières lectures ont été faites en commun, puis chacun a travaillé sur ses répliques, sur la parole qui s’en dégage. Il ne s’agissait pas de préméditer, d’injecter des états d’âme ou des émotions, mais de travailler le sousentendu, ce qui échappe. On remarque les similitudes avec la confrontation des hypothèses et les travaux de lecture effectués au cours de la préparation. (Rencontre au Préau avec des comédiens d’Occupe-toi du bébé : Aurélie Edeline, Olivia Wuillaumez, Anthony Poupard et Jean-Pierre Becker). 3.2. Un autre prolongement du discours critique la rencontre des élèves et de l’équipe de création. Faire rencontrer aux élèves les comédiens du spectacle peut être un substitut ou un complément précieux pour le compte-rendu de spectacle. Qu’en disent les intéressés ? Ils relèvent que trop souvent les élèves leur disent ne pas avoir compris le spectacle (pas du tout, pas vraiment, pas tout à fait) ; pourtant, quelques questions des comédiens suffisent à mettre en évidence qu’ils en ont une compréhension tout à fait recevable et pertinente. On retrouve la difficulté liminaire : comment guider l’élève tout en l’amenant à avoir confiance en son jugement ? Pour mieux comprendre la position de l’élève-spectateur, la situation de l’acteur fournit un éclairage intéressant. Entre eux les acteurs gardent un mystère sur leur propre jeu, ils retiennent leur point de vue d’acteur (sur le personnage, la situation) pour éviter que ne se dégage un consensus, de l’univocité. Dans la rencontre avec les élèves, il est toujours préférable d’évoquer ce que l’on a ressenti, ce que l’on a pensé, plutôt que ce que le personnage pense, ressent. Pour un acteur, parler de ton, d’émotion est une opération délicate. Sur le plateau n‘existent que les situations, les relations, les présences. La psychologie relève de l’interprétation non du jeu. Aussi les élèves doivent-ils aiguiser leur propre jugement, fournir leur interprétation du spectacle, et non penser que le metteur en scène ou l’acteur ― pas plus que le professeur ― détiendraient une clé unique qui révèlerait le sens du spectacle. Le propre du théâtre, art de la représentation sociale et de la communauté, consiste sans doute justement dans cette aptitude moins à signifier des messages univoques au travers des spectacles, qu’à appeler l’interrogation, le discours critique, les échanges des spectateurs. *** Annexes : bibliographie et textes d’accompagnement. - Jacques Copeau, Anthologie subjective, Gallimard, 1999. - Collectif, Itinéraire de Roger Planchon [communication de Michel Vinaver], l’Arche, 1970. - Georges Banu (dir.), les Répétitions de Stanislavski à aujourd’hui [échange de Claude Régy avec Daniel Jeanneteau], Actes Sud, 2005. - Antonin Artaud, le Théâtre et son double [« Théâtre oriental et théâtre occidental »], Gallimard, 1964. - Peter Brook, le Diable c’est l’ennui, Actes Sud Papiers, 1991. - Antoine Vitez, Ecrits sur le théâtre, tome 1, POL, 1994. - ANRAT, revue Continu[um] #01, « mémento pour une analyse chorale », février 2010. - Dennis Kelly, Occupe-toi de bébé, 2007, l’Arche, 2010 pour la traduction française. - Programme de Occupe-toi de bébé de Dennis Kelly par le Théâtre de la Colline. *** Compte-rendu : Ivan Perrot La Colline — théâtre national Olivier Werner Dennis Kelly mise en scène de “Narrative in Contemporary Drama”, entretien avec Aleks Sierz, 6 juin 2010 Dennis Kelly prendre ce genre de risques. une faiblesse de la pièce. Mais je pense qu’il faut savoir le théâtre en pensant que tout était réel, c’est peut-être que ce n’était pas vrai. En fait, beaucoup de gens quittaient verbatim et qu’ils se rendent compte, au milieu de la pièce, voulais qu’au départ ils croient qu’il s’agissait d’une pièce McAuliffe”. Mon intention n’était pas de mentir aux gens. Je bien que l’un d’entre eux ait parlé du fameux cas “Donna les critiques dans l’ensemble ont compris que rien n’était réel, dans la salle. C’était une expérience bizarre. Je crois que s’ils pensaient que tout était réel, un froid glacial s’installait réel, ils trouvaient la pièce très drôle. Mais s’ils l’ignoraient, Le plus étrange est que si les gens savaient que ce n’était pas verbatim qui n’était pas vraie... d’écrire sur la vérité était de mentir. J’ai donc écrit une pièce encore un peu plus loin. Et j’ai pensé que le meilleur moyen était vraie. Une fois que j’avais établi ça, j’ai voulu aller pouvaient prouver la véracité d’une information, alors elle n’avait aucune importance, dans la mesure où les médias se trouvait compromise. Que les choses ne soient pas vraies J’avais le sentiment que la vérité, dans notre vie publique, Mais je voulais surtout écrire sur la vérité... les personnages n’existent pas et que j’ai tout inventé. “pièce verbatim”. Et je n’ai cessé de le revendiquer, sauf que de ce genre, mais en inventant tout. J’ai donc écrit une construit à partir d’interviews. Et je voulais écrire une pièce j’ai écrit la pièce. Bien sûr, le théâtre documentaire est le théâtre documentaire était très répandu à l’époque où Occupe-toi du bébé est une pièce étrange. En Angleterre, Mentir pour dire le vrai Dennis Kelly Olivier Werner 3 diffusion Fadhila Mas - [email protected] et au Préau CDR de Basse-Normandie-Vire du 9 au 11 février 2011 le mardi à 19h, du mercredi au samedi à 21h, le dimanche à 16h Petit Théâtre du 8 janvier au 5 février 2011 durée du spectacle : 2h construction du décor les ateliers du Préau habilleuse Sonia Constantin régie lumière Thierry Le Duff machiniste Christian Felipe régie Bruno Arnould régie son Sylvère Caton régie vidéo Marina Masquellier Cédric et Lise Baudu, Gérald et Roseline Leverrier avec l’aimable participation de Marie-Françoise Sida, Robert Hickish, Chris Sanders, Le texte a paru à L’Arche Éditeur qui en est le représentant théâtral. La Colline – théâtre national production Le Préau, Centre dramatique régional de Basse-Normandie-Vire, Olivia Willaumez Lynn Barrie Olivier Werner Dennis Kelly Anthony Poupard Martin McAuliffe/Brian Marie Lounici Mrs Millard Vincent Garanger Dr Millard Aurélie Edeline Donna McAuliffe Jean-Pierre Becker Jim avec assistante à la mise en scène Marie Lounici costumes Dominique Fournier création lumière Kévin Briard création son Fred Bühl création et régie vidéo Marina Masquelier scénographie Olivier Werner et Jean-Pierre Gallet mise en scène traduction de l’anglais Philippe Le Moine et Pauline Sales de création Occupe-toi du bébé Ce qui suit a été retranscrit mot pour mot perception et de ses intérêts : la mère de Donna qui se et menace Kelly de poursuites judiciaires. Seule Donna paraît être faites. Les noms n’ont pas été changés. Première didascalie d’Occupe-toi du bébé (Oberon Books/Modern Plays) 4 Quatrième de couverture de l’édition anglaise de Taking Care of Baby Dennis Kelly la vérité, tout est question de point de vue. Il y a la vérité et ce que les gens croient être Olivier Werner 5 la carte de sa propre émotion et de sa “sincérité” ? horrible, ne fait-elle pas toujours le profit de celui qui joue n’aura autant fait recette. Après tout, la confession, même jamais la représentation de soi-même, si obscène soit-elle, grand pour ne pas céder aux sirènes de la représentation, et audiovisuels, l’attrait de la rédemption publique est trop marche. Comme on peut le voir dans la presse ou les médias avant tout acteurs de leurs souvenirs et de leur destin en gens qui disent des choses. C’est entièrement subjectif. témoigner publiquement sur une scène de théâtre, ils seraient Rien de ceci n’est vrai. Ce sont simplement des Si effectivement les acteurs d’un vrai fait divers venaient à impossible. présenter les faits à sa manière prime sur une objectivité Témoignages réels ou fiction ? Dans Occupe-toi du bébé, la vérité n’a pas vraiment d’importance : l’aptitude de chacun à Dennis Kelly ne pas avoir conscience des enjeux de sa mise à nue en public. observé chez Donna ; Martin, mari de Donna, qui refuse de parler reconnu le syndrome de Leeman-Ketley qu’il a mis à jour et présente aux élections locales ; le Dr Millard qui espère voir ceux employés même si certaines coupes ont pu Rien n’a été ajouté et les mots utilisés sont à partir d’entretiens et de correspondances. ou accepté d’être filmés. Chacun parle à la lueur de sa propre certains témoins se souviennent en public, d’autres ont écrit relaxée. Le jugement rendu, Kelly enquête, interroge en direct : Donna, jugée irresponsable d’un double infanticide, a été Un dramaturge invite sur scène les acteurs d’un fait divers. Au bénéfice du doute Or, l’expérience nous l’enseigne, la vraisemblance Occupe-toi du bébé 6 “Verbatim theatre in Britain today”, 2004 Aleks Sierz sceptiques. Plus il se vante de sa nature factuelle, plus vous devriez être le résultat d’une mise au point et d’une sélection rigoureuses. Dennis Kelly complexe. Comme tout autre théâtre, le théâtre verbatim est 7 on connaît toujours plus ou moins la vérité. soi-même ou qu’on mente à un autre être humain, Quand on y réfléchit bien. Qu’on se mente à Anecdotes et petits écrits Heinrich von Kleist Mais ne vous y trompez pas. La réalité, bien sûr, est plus Et il prétend dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. plus respectables, il propose de distraire tout en instruisant. journalistiques et d’immédiateté théâtrale : comme tout art des Le théâtre verbatim est un mélange séduisant de faits (http://www.raison-publique.fr/article271.html) “Figuration du pouvoir politique dans le théâtre verbatim”, 18 mai 2010 Jérémy Mahut réellement sur l’autre. n’est pas toujours du côté de la vérité. la vérité, c’est qu’elle soit vraisemblable. d’information et théâtre politique, entre objectivité et subjectivité, sans qu’un type de figuration ne l’emporte jamais la première condition que les gens exigent de est subjectif. C’est pourquoi il oscille entre théâtre les raconter, de passer pour un bonimenteur. Car enfin celui d’être objectif alors qu’il est un art, et que tout art d’être authentique alors que le théâtre est le lieu de l’illusion, masques alors que le théâtre est créateur de masques, celui je cours le risque, au cas où je déciderais de personnellement une croyance absolue, même si acteurs. [...] [Il] cultive les paradoxes : celui de faire tomber des d’une soirée, auxquelles à vrai dire j’accorde rapports de commissions d’enquête parlementaires, d’émissions Je sais trois histoires, dit un vieil officier au cours télévisées ou d’interviews réalisées par l’auteur ou par les rapporte est authentique : [...] montage de propos extraits de de ses caractéristiques est d’affirmer que tout ce qu’il en Angleterre. [...] Présenté comme “théâtre citation”, une 1990, s’est développé de manière exponentielle, principalement Le théâtre verbatim est un théâtre qui, depuis les années Fiction / Réalité 8 dans un circuit de consommation quelconque que dans une néanmoins autre, disponible, capable de s’intégrer aussi bien d’une valeur ajoutée qui, sans rien changer à la chose, la rend signifiantes. Toute réalité est ainsi susceptible de s’enrichir philosophe, de la valeur aux choses : nous les rendrons ainsi percevra ainsi 17% du produit de la vente. Ajoutons, dit le de la valeur aux choses, par simple décret de plume : l’État sens philosophique est indubitable. Ajoutons, dit l’économiste, assez suggestive ; son sens économique est douteux, mais son la valeur marchande. [...] L’expression de “valeur ajoutée” est dans un poème, d’une capacité à être acheté dans le cas de sens du terme : valeur d’un rouge dans un tableau, d’un mot un ton, un parfum, un air, bref une “valeur”, dans tous les suffirait d’exhiber pour convaincre les incrédules. Mais plutôt démontrable, un fait observable, une réalité tangible qu’il La signification dont on affuble le réel n’est pas une vérité Histoire et Vérité, Seuil, 1964, p. 177 9 Le Réel. Traité de l’idiotie, Minuit, 1997, 2004, p. 35-39 Clément Rosset réel par projection de signification imaginaire. rigoureusement insignifiante [...] –, il y a valeur ajoutée au – hormis celui d’une perception de toute réalité comme d’un mécanisme exactement analogue. Dans tous les cas signification au réel, de la part de l’homme dit normal, procède qu’il en déduit. Mais, mutatis mutandis, l’attribution d’une causal quelconque entre la chose qu’il voit et la signification la plus ferme attente du sentiment. Paul Ricoeur signification imaginaire se superpose à la chose perçue sans même que l’observateur éprouve le besoin d’établir un lien ainsi que la violence simule la plus haute tâche de la raison et naturellement, de projection paranoïaque et délirante : une des passions du pouvoir. C’est à travers les passions du pouvoir que certains hommes exercent une fonction unifiante. C’est et je ne suis pas dupe : il est évident qu’il descend l’escalier surtout pour me montrer qu’il se moque de moi. Il s’agit ici, [...] L’autorité n’est pas coupable en soi. Mais elle est l’occasion (valeur ajoutée), cette course est rien moins qu’innocente, d’unifier coïncide avec le phénomène sociologique de l’autorité. vérité — ce mensonge de la vérité — apparaît quand la tâche mon voisin de palier descend innocemment, à 10 heures moins 12 précises, comme s’il allait acheter le journal ; en réalité boucler la boucle. L’unité réalisée du vrai est précisément le voit, à ce qu’il entend, une valeur, un sens, qui accordent la réalité à l’antenne qu’il en a. En apparence (fait observé) d’un indice de violence ; car c’est toujours trop tôt qu’on veut mensonge initial. Or cette culpabilité attachée à l’unité de la à sa manie persécutoire en ajoutant constamment à ce qu’il comme une tâche de civilisation, elle est aussitôt affectée même façon, le délire paranoïaque intègre sa perception du réel philosophie, dans une circulation intellectuelle du sens. De la ... dès que l’exigence d’une vérité-une entre dans l’histoire, Mensonge de la vérité du public, voyeur malgré lui, dans la mesure ou l’auteur lui-même se refuse à tenir son rôle et se cache dans ses rangs. origine un fait divers : une femme – Donna McAuliffe – accusée d’infanticide, jugée, condamnée en première instance, violent refus de témoigner de Martin, mari de Donna. à entendre les lettres d’insultes qu’il a reçues de Martin. Et quand celui-ci se décide à intervenir sur scène, sa présence paroles. Il tente – par un effet de montage de ces entretiens – de s’approcher au plus près de la vérité, là où la justice passé entre la salle et le plateau sans lequel le théâtre n’aurait pas lieu. C’est pourtant ce contrat que tente de détruire Kelly au début de la pièce en nous faisant croire que les personnages sont des personnes réelles qu’il ne contrôle pas. Mais il y a une chose à laquelle ces personnes ne peuvent échapper : c’est leur médiatisation. Une personne, même réelle, ne peut éviter de prendre la pose si elle décide de s’exposer publiquement. En se confessant de son plein gré, elle exprime son désir d’être écoutée par d’autres, d’être la sincérité avec laquelle ils semblent se confier les place au premier plan comme sujets mêmes de l’entretien. Le fait divers, lui, devient le prétexte qui les met en valeur. Ont-ils déjà conscience qu’à travers l’enregistrement dont ils font l’objet, ils ont le moyen de livrer d’eux un profil avantageux ? Dans la première partie du texte, Kelly n’intervient pas. À en croire les protagonistes, c’est bien à lui qu’ils s’adressent mais lui se contente de “retranscrire” ce qu’ils disent. En exposant ainsi les parleurs sur scène sans y être lui-même, Kelly 11 La fiction est même le postulat de départ, le contrat tacite et l’écoute de Dennis Kelly créent un champ compassionnel, et 10 Mais au théâtre, on ne peut pas – a priori pas – entrer sur scène autrement qu’en étant un personnage de fiction. à son invitation prend le pas sur le fait divers lui-même. La confession comme posture médiatique. L’intimité du huis-clos est créditée de son refus initial et donne à sa parole un interviewée par lui. Dans la première partie, Kelly donne pourtant fait divers analogue. Il les enregistre, puis retranscrit leurs surcroît de réalité dont use Kelly pour mieux abuser le public. imaginaire mais une personne réelle qui aurait refusé d’être de convoquer sur scène les protagonistes fictionnels d’un vite, “la confession” à laquelle se livrent ceux qui répondent accepter l’idée que Martin n’est pas un personnage né de son Dans Taking Care of Baby (Occupe-toi du bébé), Kelly décide n’a pu que prononcer la relaxe au bénéfice du doute. Mais très O. W. : Là encore Kelly joue avec l’effet de “réalité” de sa fiction. En faisant cette réponse, il nous fait implicitement En dépit des décisions de justice, l’opinion publique anglaise est divisée sous l’effet de la médiatisation de ces affaires. s’en font l’écho ainsi que la presse nationale et la télévision. infanticides défraient la chronique en Angleterre. Des tabloïds nécessaire d’apparaître lui-même comme personnage de la pièce, mais qu’il y a été amené surtout pour pouvoir introduire le Olivier Werner : Au moment où Kelly écrit, plusieurs cas de mères prison. Dennis Kelly dit qu’au départ, il ne pensait pas forcément d’être ainsi exposés directement au public, mais également suit a été retranscrit mot pour mot...” Le texte a pour incarcérée puis relaxée en appel après quatorze mois de qu’il met en place. Une obscénité s’en dégage, née de la complaisance et du narcissisme des protagonistes à accepter d’interviews enregistrées. Elle s’ouvre avec ces mots : “Ce qui sans lui. Il rend le public complice de la manipulation médiatique prétend devenir spectateur d’une fiction qui s’écrirait La pièce de Dennis Kelly se présente comme une suite Entretien avec Olivier Werner reconnue et désirée pour ce qu’elle dit où ce qu’elle montre 12 trouve pas la voix des mots mais qui participe tout autant à gestuelle, dans la fuite de ses regards, tout un vécu qui ne sous nos yeux d’un état à un autre, laissant deviner dans sa troubles, sa maladresse et ses silences. La personne passe dépend de la force de ses arguments, elle passe aussi par ses quelqu’un qui se confie lors d’un entretien ? Si sa crédibilité contenu, est ce qui m’intéresse. Que percevons-nous chez préalablement. La mise en scène de la parole, au-delà de son en direct, en alternance avec d’autres images enregistrées acteurs/personnages tournées au plateau seront retransmises cet aller-retour entre théâtre et audiovisuel. Les images des dramaturgie du spectacle à venir s’articulera donc autour de tant l’audiovisuel, en procède – ou du moins le fait croire ? La Comment, au théâtre, répondre à cette écriture qui évoque C’est toute la singularité de ce projet, et son paradoxe. théâtrale que ce “documentaire” trouve son épanouissement. sciemment montrés en l’état. Mais c’est dans l’économie étant déjà montés et d’autres pas encore dérushés et construction ne serait pas encore achevée. Certains entretiens propose Kelly. Un documentaire en cours de création dont la télévisé avec cette pièce. Tout s’y prête dans le collage que O. W. : Oui. On pourrait imaginer faire un vrai/faux documentaire C’est un procédé dont use fréquemment la télévision... en fonction de la séduction qu’il pense opérer. théâtrale est toujours là, mais déplacée, chacun se masquant d’être un peu ce que vous désirez que je sois.” L’illusion créé par le public. “Désirez-moi tel que je suis, et j’accepte toujours un jeu de séduction, une acceptation d’être en partie chose d’insolite qui légitimerait sa présence. Il y a donc celui d’entendre ou de voir chez celui qui s’exprime quelque d’elle. Elle sait qu’elle doit combler chez le public un désir, Olivia Willaumez, Aurélie Edeline Anthony Poupard Olivia Willaumez Jean-Pierre Becker Aurélie Edeline Marie Lounici Vincent Garanger Aurélie Edeline Olivia Willaumez, Olivier Werner Aurélie Edeline 21 butent, se reprennent, ne savent plus répondre, et sont livrés L’auteur les construit peu à peu en les faisant vaciller, ils empathie à perdre ainsi leur statut devant tout le monde. de leurs propres contradictions et suscitent désormais une en flagrant délit d’humanité. Eux se trouvent pris au piège déstabiliser ceux qu’il interroge. Il cherche à les prendre des questions dont il connaît parfois les réponses pour mieux questions de l’auteur. Dans sa quête de la vérité, Kelly pose d’improviser son propre rôle en répondant ou en éludant les lumière, réduite à sa véritable échelle. La voilà obligée son artifice, maintenant que la personne se trouve en pleine après coup dans représentation du réel avec l’image et le son, se révèle apparaît. Ce que nous avions fini par admettre comme une reprend ses droits, que l’authenticité de la personne nous gratifiant de la technique. C’est là, au moment où le théâtre gonistes doivent maintenant lui répondre sans le secours distribution. Cette voix interroge depuis la salle, et les prota- elle ne dit pas son nom et n’apparaît pas sur la page de d’une voix sans corps. Indubitablement celle de Kelly, même si Le voilà maintenant contraint de répondre aux questions mettre subitement en pleine lumière tel ou tel personnage. Dans la pièce, une des rares didascalies de l’auteur est de Quelle modification s’opère dans la perception du spectateur ? continuer de s’exprimer sans l’artifice de sa retransmission ? par le plateau. Que se passe-t-il alors quand celui qui parle doit l’image s’épuise au bout d’un moment. Elle doit être relayée projection des plus rassurants. Mais au théâtre, j’imagine que suscite une empathie et offre au public un espace de masque total. Être capté de très près crée en soi du discours, sous le contrôle d’une telle amplification, c’est jouir d’un sa voix, à l’affût de ce qui pourrait lui échapper. S’exprimer approcher au plus près le visage de la personne, le micro de l’idée que nous nous faisons d’elle. La caméra sera là pour 22 mais il change régulièrement de procédé en cours de route. pièce, utilise des formes d’entretiens éprouvées à la télévision, inoffensive qu’elle me touche : je l’innocente...” Kelly, dans sa mère a sûrement tué ses enfants, mais elle parait tellement qu’elle dit, parle sans langue de bois : je vote pour elle. Cette me touche : il a raison. Cette femme politique assume tout ce réflexes émotionnels. “Ce psychologue est convaincant, il enterrent notre capacité de réflexion en conditionnant nos qui doit construire notre opinion. Bien sûr, ces documentaires émotions. C’est l’adhésion que chacun est en mesure de susciter fictions, sollicite notre tendance à juger en fonction de nos de quelqu’un, la télévision, par le biais des documentaires / preuve tangible ne peut prouver la culpabilité ou l’innocence vérité que poursuit Kelly n’est pas démontrable. Quand aucune est le filtre qui rend possible l’illusion de sa capture et la O. W. : Le réel est multiforme, impossible à cerner. Le théâtre fiction du réel ? Au théâtre, la poursuite de la vérité passerait donc par la d’auteur de fiction, Kelly dessine les contours de la vérité. impressions de réel. En assumant ouvertement sa position progressivement une oeuvre de théâtre, donne à son tour des mouche et toucher le public. Occupe-toi du bébé, en devenant deviendra l’arme privilégiée avec laquelle ils pourront faire 23 Entretien réalisé à La Colline le 4 novembre 2010. nous préserver de la manipulation médiatique. devenir de bons personnages, prendre la mesure du plateau et convaincre par l’émotion qu’ils sauront dégager. Celle-ci tation, Kelly invite le public à se construire lui-même une écoute et un regard, où seule l’ironie de la perception peut De personnes supposées réelles, ils doivent rapidement pour eux. Dans cette mise en abîme des formes de représen- n’est pas usurpée, quitte à mentir où se dédire ouvertement. démasqués, nous donne à nouveau envie de prendre parti sentons trahis. Mais l’émotion qu’ils dégagent, une fois malgré eux. Leur parole tourne en roue libre, l’élaboration de leur pensée se fait dans le discours lui-même et s’alimente dans jour leurs mensonges et leurs contradictions et nous nous l’instant, car ils doivent prouver que la place qu’ils occupent Quand il interroge théâtralement ses personnages, il met à à leurs propres affects. On a la sensation qu’ils ne sont plus seulement en train de tenir leur rôle mais qu’ils sont présents qu’aujourd’hui, plus de trente ans après les travaux du sociologue Erving Goffman sur les interactions – il considérait la vie sociale comme un théâtre où chacun jouait un rôle –, le mot “acteurs” soit employé à tout bout de champ pour parler des “partenaires” sociaux dans leurs diverses activités, est très symptomatique de cette coupure qui s’est introduite entre le naturel et l’artificiel ou, pour reprendre la vieille opposition rousseauiste, entre l’être et le paraître. il transpose sa narration au passé simple, l’orne de digressions et de détails pittoresques, et accompagne l’ensemble d’une gestuelle à la fois emphatique et professorale. Fin de la séquence. Dumayet reprend la parole et dévoile au professeur le piège qu’il lui a tendu : la première phase – la préparation de l’entretien – a été enregistrée à son insu. Chacun a pu noter la modification radicale de son comportement dès qu’il a 1 24 Treize émissions diffusées du 19 janvier au 19 septembre 1969. vitesse augmente... électrons, il faut les éclairer, mais quand on les éclaire, la d’incertitude de la mesure : pour mesurer la vitesse des télévisée. On sait que le physicien a mis en évidence un principe pourrait appeler le principe d’Heisenberg de l’interview le dispositif et, en l’occurrence, caractérise ce qu’on l’on émission a l’avantage d’être auto-réflexive : elle réfléchit sur sur des émissions diffusées (cf. Arrêt sur image), cette Si la télévision aujourd’hui revient en certaines circonstances médiatiser... observer les conséquences de cette image de soi qu’il a voulu à un orateur pontifiant. Sivadon rit de bonne grâce à 25 Télé-réalité, Le Cavalier bleu, 2009, p. 80-81 François Jost est devenue floue à l’ère des médias audiovisuels. Le fait la même, toute son énonciation s’est profondément modifiée : pensé qu’il était filmé : l’interlocuteur cordial a laissé la place La limite entre vivre et jouer sa vie (au sens de l’interpréter) reboutonné sa veste. Bien que, sur le fond, l’anecdote reste La Télévision du quotidien, De Boeck / INA, 2e éd., 2003, p. 71-72 va être enregistré. Sivadon reprend son récit, non sans avoir Ensuite le journaliste prévient que, à présent, leur entretien souvenir d’enfance selon lui déterminant dans sa vocation. de l’interview qui va suivre. Le psychologue livre alors un François Jost devient indiscernable. un premier temps, Sivadon, un professeur de psychologie fort connu l’époque, discute avec Pierre Dumayet du thème tout interviewé en acteur de lui-même, en sorte que la frontière entre le témoignage et la représentation de soi série Vocations 1, qui se livrait à l’expérience suivante : dans provoque une réaction du même genre : la caméra transforme Tout sujet plongé dans l’univers d’un studio, pourrait-on dire, Le 2 février 1969 (à 22h45), on pouvait voir une émission de la Être et paraître le jeu des autres comme une preuve d’insincérité, de semblant cachant la “vérité” ; comme si la vérité n’empruntait pas pour se montrer les voies du jeu et du semblant, du songe et du mensonge. [...] phrase du Manifeste surréaliste : “Tant va la croyance à la vie, à ce que la vie a de plus précaire, la vie réelle s’entend, qu’à la fin cette croyance se perd.” Le contrat de croyance fictionnel – cette déréalisation du monde convenue et temporaire – 26 “Pourquoi le spectacle”, Cahiers de médiologie, n°1 : “La querelle du spectacle”, 1996 Régis Debray plain-pied “indiciel” met tôt ou tard à plat. 27 Le Jeu et la Passe, Seuil, 1997, p. 11 et p. 30-31 Daniel Sibony sujet croit qu’il est devant son jeu et qu’il le joue. n’auront lieu qu’au prix de l’illusion – notamment celle où un plus vastes dont ils espèrent quelques retours. Ces retours et que, par lui, ils prennent contact avec des jeux beaucoup sont aussi les objets de leur jeu, qu’ils sont portés par lui qu’au prix d’une autre. Du reste, les acteurs sentent bien qu’ils de son jeu ; elle a sa valeur d’illusion. On ne peut la dissiper Peu importe l’illusion qu’a le joueur d’être l’acteur ou le joueur sous forme d’image ; image bornée du grand jeu. du monde, qui est partout, et qui n’est cerné dans un jeu que Un jeu est une lucarne par laquelle on communique avec le jeu jouent, qui ne sont pas prêts à changer de jeu, qui traquent autodéfense. André Breton l’avait prévu dès 1924, première pourrait bien recharger les batteries du symbolique, que le savent pas jouer (ceux-là souffrent de buter sur eux-mêmes sans pouvoir passer), mais ceux qui ne savent pas qu’ils ce qu’on croit. Les plus naïfs étant non pas ceux qui ne comme une transposition, un discours sur le monde. À trop scoops en live, ses reality-shows, le soupçon s’installe en quand on joue à être un autre ou à être soi-même, semblable à vie ; pour un prélèvement opéré en direct sur le monde et non vouloir nous donner du crédible, avec ses docu-drames, ses bien représenter. Le théâtre n’est qu’une pratique millénaire pour ouvrir l’accès au jeu de la vie que le théâtre voudrait pour éclairer le mystère du jouable ; mystère que l’on côtoie elle passe par le jeu. Le jeu est la bonne clé – elle a du jeu – un médium d’existence. Il en faut, mais point trop. Sans quoi l’adhésion se perd. Nos tranches de vie voient diminuer pour la vie elle-même et non pour une représentation de la Quelle que soit la voie d’approche pour parler du théâtre, Un spectacle est un médium de sens, le petit écran reste inexorablement leur crédibilité. Car le flux télévisuel se donne Jeu de la réalité, réalité du jeu Le contrat de croyance fictionnel par G. Vincent (Festival actOral 7, La Colline, 2008) ou S. Delétang (Théâtre des Ateliers, Lyon, 2009). Mon prof est un troll (coll. Théâtre Jeunesse) et Occupe-toi du bébé (les deux pièces traduites par P. Le Moine et P. Sales) ont dernièrement paru à L’Arche Éditeur. Whiting Award), DeoxyriboNucleic Acid/D.N.A. (National Theatre Connections Festival, Londres, 2007), Orphans (Traverse Theatre, Édimbourg / Birmingham Rep/Soho Theatre, Londres, 2009), The Gods Weep (Hampstead Theatre / Royal Shakespeare Company, Londres, 2010). 28 fait l’objet de lectures dirigées Londres, 2007, qui reçoit le John et créée en Allemagne (il est élu Meilleur auteur dramatique 2009 contemporaines aiguës. Après Debris en 2003 (créée au Theatre 503 à P. Le Moine, inédite en français) a oeuvre est régulièrement traduite textes abordent des questions (Birmingham Rep /Hampstead Theatre, Blackout (Big Talk/Film 4). Son dramatiques diversifiés, ses Saint-Étienne en 2010). A.D.N. (trad. scénario cinématographique : et l’expérimentation de styles Young Vic, 2006), Taking Care of Baby Company, 2010) et achevé un premier provocateur du théâtre in-yer-face par W. Steyaert à la Comédie de Roald Dahl (Royal Shakespeare Churchill. Conjuguant le caractère Money (Royal Exchange, Manchester / le livret de Matilda, A Musical d’après Neilson, Sarah Kane ou Caryl d’Avignon 2008 par P. Pineau, créée 2006-2009). Dernièrement, il a signé de celles développées par Antony Moscou et New York), Love and la série Pulling (Silver River / BBC 3, social réaliste anglais, à l’image reprises (notamment au Festival (avec Sharon Horgan) le scénario de formes en rupture avec le théâtre 2005, tournée à Saint-Pétersbourg, 2005), pour la télévision, co-signe théâtrale, il y affirme le choix de d’union, 2008) a été lue à plusieurs 2004) et 12 Shares (BBC Radio 4, appris en matière d’écriture Compagnie Paines Plough, Londres, radio, il écrit Colony (BBC Radio 3, de Londres. S’il dit n’y avoir guère et P. Sales, Théâtrales / Traits Warehouse, Londres, 2010). Pour la universitaires au Goldsmiths College After the end (Bush Theatre / Jean-Marie Villégier, Cosroès de de Hombourg de Kleist (Donmar années 90, il entame des études par la revue Theater Heute). En Hauptmann, plus récemment Le Prince et commence à écrire. À la fin des France, Débris (trad. P. Le Moine Kárpáti, Rose Bernd de Gerhart 20 ans une jeune compagnie théâtrale Londres), il écrit Osama the Hero Le Triomphe de l’amour de Marivaux ; La Quatrième Porte de Péter Londres), il intègre vers l’âge de (Young Vic Theatre, Londres, 2004), Il étudie à l’ENSATT de 1987 à 1989. Pour le théâtre, il adapte également Né en 1970 à New Barnet (nord de de Christophe Perton et Yann-Joël Mélisande de Maeterlinck, Les en 1994 et met en scène Pelléas et Parallèlement, il crée sa compagnie Perton. Lavelli, René Loyon, Christophe avec Daniel Jeanneteau, Jorge Handke. Il travaille également Cyril Tourneur, Gaspard de P. Brunel, La Tragédie du vengeur de de l’oiseau qui parlait ; Richard Toison d’or ; Philippe Poulain, L’album Quoi l’amour de Roland Fichet, La Électre de Giraudoux ; Adel Hakim, Roi de Joseph Reis ; Claudia Morin, La Célestine de F. de Rojas, Oedipe Juives de Garnier ; Gérard Vernay, Rotrou, Bradamante, Antigone, Les Bérénice de Racine ; Marc Zammit, Maxime Gorki ; Christian Rist, de Lluis Pasqual, Les Estivants de et Rien d’humain de Marie NDiaye. Handke, Saint Elvis de Serge Valletti en scène : Par les villages de Peter Collin et dans ses propres mises associé. Il y joue sous la direction renoncer aux deux écoles. Il joue notamment sous la direction qu’acteur et metteur en scène la Comédie de Valence en tant propose de rejoindre la troupe de En 2007, Christophe Perton lui de la Cité. à la Comédie de Reims et au Théâtre notamment au Théâtre de Lorient, formation pour comédiens, Il dirige de nombreux ateliers de Dissez et Christophe Huysman. création collective avec Vincent Ces propositions l’amènent à 29 Revenants d’Ibsen, Les Perses d’Eschyle, Les Hommes dégringolés, et La Magie sans magie de Lambert. Innocents coupables de Brosse pendant la saison 1992-1993 : Les Théâtre national de Strasbourg il participe à deux créations du rôle d’Hippolyte dans Phèdre. Puis Jean-Marie Villégier lui propose le supérieur d’art dramatique. Mais et au Conservatoire national Théâtre national de Strasbourg supérieure d’art dramatique du En 1989, il est admis à l’École Olivier Werner Dennis Kelly 30 www.colline.fr 15 rue Malte-Brun Paris 20 e La Colline — théâtre national Tous les droits de la présente publication sont réservés. Licence n° 1-100-75-15 Imprimerie Comelli, Villejust, France Maquettiste Tuong-Vi Nguyen Conception graphique Atelier ter Bekke & Behage Photographies de répétitions Élisabeth Carecchio Réalisation Élodie Régibier, Fanély Thirion, Florence Thomas Rédaction Laure Hémain Responsable de la publication Didier Juillard Directeur de la publication Stéphane Braunschweig Les partenaires du spectacle février 2011 01 44 62 52 27 ou [email protected] Renseignements Sylvie Chojnacki de 19h à 21h. Cet atelier aura lieu les 17, 20, 24 et 27 janvier 2011 à l’Université Paris Descartes en Sciences de l’Information et de la Communication animé par Francis Yaiche, professeur des universités Le fait divers Atelier d’écriture mercredi 2 février 2011 de 18h30 à 22h30 dirigé par Maïa Bouteillet, journaliste Atelier de critique théâtrale réservations 01 44 62 52 00 ou [email protected] en partenariat avec le British Council et la SACD à l’issue de la représentation mardi 1 er Pauline Sales, auteur et traductrice, Olivier Werner, metteur en scène En présence de Dennis Kelly, auteur, Philippe Le Moine, traducteur, Nouvelles écritures théâtrales : perpectives franco-brtitaniques Rencontre 32 www.colline.fr 01 44 62 52 52