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Faculteit Letteren en Wijsbegeerte
2007-2008
Aurélie Tillekaerts
Master in de taal-en letterkunde Frans - Italiaans
Molière et la philosophie du XVIIe siècle
Mémoire réalisé sous la direction du Dr. A. Roose
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Je tiens à remercier le Dr. Alexander Roose de ses multiples conseils, de son
aide précieuse, ainsi que de sa patiente lecture tout au long de l’élaboration de
mon mémoire.
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1. Introduction
Depuis bien longtemps, la vie de Molière est une énigme jalonnée de mystères, de
rumeurs et de légendes spectaculaires. Cette tendance a été encouragée par le manque de
manuscrits ou de correspondance de sa main. Ceci pose un problème fondamental. Une légende
populaire est née de cette carence de témoignages écrits de l’époque: aux alentours de 1820 un
paysan se serait présenté à la Bibliothèque Nationale, avec dans sa charrette tirée par un âne
« tous les papiers de Molière »1. On aurait renvoyé le paysan qui disparut avec tous les
documents.
« Molière avait-il une philosophie? Ou peut-être en avait-il plusieurs? Peut-être n'a-t-il
jamais choisi2 » ? Que savons-nous vraiment de Molière qui a laissé si peu de traces hormis ses
pièces de théâtre ? « On ne connaît de Molière […] que deux fois quatre lignes autographes, et
encore suspectes : deux quittances pour de l’argent reçu au nom de sa troupe »3. De nombreux
biographes ont tenté de reconstruire la vie de Molière, jusqu’à aller dans les plus menus détails,
tel Grimarest, par exemple.
Est-il seulement concevable qu’un des plus grands écrivains du XVIIe siècle n’ait laissé
aucune trace ? On ne conserve de lui que quelques signatures en bas d’actes d’état-civil ou de
contrats. En 1919 Pierre Louÿs avance d’un pas en lançant la théorie que l’auteur des
nombreuses comédies de Molière n’était autre que Corneille. Cette théorie se base surtout sur des
préjugés utilisés par les ennemis de Molière au XVIIe siècle : un farceur et un autodidacte
n’aurait pas pu écrire de telles comédies et connaître une telle ascension dans le monde théâtral.
Cette popularité reviendra cher à Molière, accusé de débauche, de libertinage et d’inceste ( il
aurait épousé sa propre fille).
Molière était-il un grand comédien ou un bouffon farceur ? Avait-il des intentions édifiantes
ou cherchait-il simplement à faire rire son public ? Les historiens et les critiques ont vu en
Molière une multitude de personnalités différentes. Jusqu’au début du XXe siècle l’Église, par
exemple, cherchait toujours à dépeindre Molière comme un bouffon, athée par sa propre
ignorance. Si toutes ces histoires et légendes sont intéressantes pour connaître l’importance de
Molière du XVIIe siècle à nos jours, elles ne constitueront pas le principal argument de cette
étude. Nous allons tenter d’identifier l’influence ou non de la philosophie du XVIIe siècle dans
1 Roger DUCHENE, Molière, Fayard, Paris, 2006, p. 7.
2 Henri BUSSON, La Religion des Classiques (1660-1685), Presses Universitaires de France, Paris, 1948 , p. 229.
3 Roger DUCHENE, op.cit., p. 7.
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l’œuvre de Molière. À cette intention nous allons nous concentrer sur trois pièces majeures : Le
Tartuffe, Dom Juan et Le Misanthrope.
Tartuffe est un pauvre homme qui passe tout son temps à l’église quand il rencontre Orgon,
bourgeois fortuné. Ce dernier se laisse impressionner par la dévotion religieuse dont témoigne
son nouvel ami. Empressé de garantir son salut dans l’au-delà, Orgon invite Tartuffe à rester
chez lui jusqu’à en faire son unique héritier, au détriment de ses propres enfants. Les autres
habitants de la maison sont pourtant convaincus de la fourberie et de l’imposture de Tartuffe. Il
sera finalement démasqué quand il essaie de séduire Elmire, la femme d’Orgon. On constate
qu’il s’agit d’un type de personne peu louable. Tartuffe, cet imposteur, est rattaché à la religion
et à la dévotion. Un hasard ?
Dom Juan est un aristocrate suivi de son fidèle valet, Sganarelle. Son principal plaisir est de
séduire les jeunes femmes jusqu’à les convaincre de l’épouser, après quoi il les délaisse et s’en
va. Grand raisonneur il discute de religion et de philosophie avec son valet. Ce dernier est
désespéré devant l’apparente impiété de son maître qu’il se voit contraint de servir. Dom Juan,
ayant abandonné sa future femme, est poursuivi par ses futurs gendres, soucieux de défendre
l’honneur de leur sœur. Dom Juan finit par insulter le tombeau d’un homme qu’il a tué.
Finalement Dom Juan sera puni pour son impiété et son absence de toute moralité. Frappé par la
foudre, il disparaît de la scène. S’agit-il simplement d’une punition exemplaire d’un vil
personnage ?
Dans Le Misanthrope, Alceste dénonce la société factice et coquette dans laquelle il est forcé
de vivre. Méconnu et misérable il ne désire que se retirer dans le « désert », en paix, loin de tous
les marquis et coquettes. Pourtant Célimène, jeune veuve dont il est désespérément amoureux,
l’empêche de quitter cette société. S’agit-il uniquement d’une moquerie de la société
aristocratique ?
Le Tartuffe et le Dom Juan ont été l’objet de graves querelles et polémiques vers la
deuxième moitié du XVIIe siècle. Un grand nombre de personnes se sont acharnées à condamner
et à faire interdire ces deux pièces, ainsi que L’école des femmes. Si Molière n’avait été qu’un
simple bouffon, comme le soutenaient ces mêmes critiques, comment ses pièces auraient-elles pu
avoir un tel impact sur la société parisienne du XVIIe siècle ? Il est évident que ces deux pièces
ont causé un tel scandale parce qu’elles choquaient les mœurs et le bon goût.
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Le Misanthrope quant à lui n’a pas causé un tel scandale. Pourtant cette pièce partage la
thématique de l’hypocrisie et celle du masque avec les deux autres pièces. Les pièces ont en effet
étés accusées de faire l’éloge de l’hypocrisie, un des pires vices de la société. « Si Molière
n’avait pas écrit Tartuffe, Dom Juan et le Misanthrope, il vivrait sa gloire posthume en
compagnie d’Aristophane, de Plaute et d’autres bons ouvriers du rire. Mais cette trilogie lui
donne pour compagnons les génies solitaires, Eschyle ou Shakespeare, dont l’envergure exalte et
la profondeur inquiète.4 »
Molière écrit ces pièces à une époque les dévots sont particulièrement hostiles à l’égard
du théâtre. La comédie était accusée de « perpétuer, dans une culture aspirant à la délicatesse et
à la distinction, les turpitudes et l’impudence de la farce »5. C’est également peu après la création
de l’Académie française par Richelieu que Molière connaît les premiers succès. Malgré tous les
scandales et les querelles entourant Molière et ses pièces il a connu un grand succès au XVIIe
siècle. Auprès de la populace certes, il a maintes fois fait rire « le parterre », mais également
auprès de la cour et du roi. Molière jouissait d’une certaine protection du roi qui fit de lui le chef
de la Troupe du roi au Palais Royal.
Malgcette faveur royale, Molière a subir de nombreuses critiques et attaques contre
sa propre personne. Ses ennemis le dépeignaient volontiers en tant que bouffon et farceur
ignorant, qui n’avait pas le droit d’aspirer à une position d’élite dans le milieu du théâtre. Ce
mythe du bouffon comédien persiste encore jusqu’à nos jours. Alfred Simon signale pourtant
qu’« il y a un autre mythe réservé aux universitaires : celui d’un Molière homme de lettres
bourré de thèses philosophiques et morales, peintre de caractères universels, défenseur d’une
morale bourgeoise du juste milieu6 ».
Le XVIIe siècle est également l’époque de l’essor du libertinage et de la libre-pensée.
L’Église voyait dans le libertinage un comportement de mœurs dissolues et d’athéisme. Bien sûr
Molière fut accusé de libertinage à l’époque. Cette idée a persisté à travers l’histoire de la
critique littéraire, bien qu’il s’agit plutôt de la liberté de pensée.
4 Alfred SIMON, Molière par lui-même, Seuil, Paris, 1957, p. 81.
5 Michel JEANNERET, Éros rebelle, littérature et dissidence à l’âge classique, Seuil, Paris, 2003, p. 277.
6 Alfred SIMON, op.cit., p. 18.
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