Pour aborder la question de la condition féminine dans Tartuffe

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Pour aborder la question de la condition féminine dans Tartuffe
Comment un homme travaille sur le thème du mariage arrangé ? Faut-il être
féministe pour parler de ça ?
D’abord, j’espère que l’on peut être un homme et être féministe ! C’est la première
chose. Je pense en tous cas que Molière l’était à sa manière. Sa singularité, c’est qu’il
écrit à une époque où les femmes des hautes classes s’émancipent. Avec le
développement des salons et des galantes qui tenaient les salons au XVIIe siècle, c’est
un moment où il y a dû avoir une liberté assez grande pour les femmes.
Mais la question, c’est aussi celle du pouvoir patriarcal, masculin et paternel. Ce qui est
intéressant, c’est que l’on voit bien comment Orgon a dû être un père libéral –
relativement épris de liberté. Avant sa rencontre avec Tartuffe, il était soucieux du bienêtre de sa fille, il lui avait choisi un amoureux possible pour elle. Donc ça raconte bien
l’histoire d’un homme qui passe d’une forme de générosité et d’amour attentif au bienêtre de ses enfants à une sorte de folie un peu fascisante, quelque chose comme cela.
A côté de la politique, la lutte des femmes…
Oui et là, vous êtes au cœur des tensions qu’il y a dans la pièce. Il y a deux fronts, le
premier, explicite qui est celui de l’émancipation féminine, c’est tout le travail de Dorine
et d’Elmire, qui essaient de sauver Marianne de cette loi patriarcale archaïque à laquelle
elle est soumise. Mais en même temps, ce front féminin est fracturé, parce que Dorine
est du côté des servantes et Elmire et Marianne sont du côté des maîtres.
D’ailleurs à la fin de l’histoire, les maîtres se retrouvent entre eux et les valets restent à
leur place. Oui il y a une lutte des genres et une lutte des classes qui ne se conduisent
pas sur les mêmes fronts, ni suivant les mêmes lignes de combat. C’est ce qui fait la
richesse de la pièce.
Et il y a un autre point aveugle qui est qu’en même temps, le théâtre de Molière est très
conservateur sur un plan social. Le retour à l’ordre se fait à la fin de la pièce : chacun
dans sa classe, chacun à sa place. Il n’y a aucun rapport entre un métayer breton et une
galante du centre de Paris en 1669. Et c’est irréconciliable, c’est impensable, il faudra
attendre 1789 pour avoir l’idée d’une humanité commune.
Extrait d’un entretien accordé par Benoît Lambert au journal « Le Miroir » (10
novembre 2014), à lire en intégralité sur http://www.miroir-mag.fr/65655-lejour-ou-tout-a-derape-benoit-lambert-revient-sur-son-tartuffe/
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