REVUE MÉDICALE SUISSE Les urgences oncologiques : ça existe ! Dr MARIE-LAURE AMRAM a Rev Med Suisse 2016 ; 12 : 176-7 Introduction Le cancer est de plus en plus fréquent, et plusieurs patients subiront des complications de cette maladie ou de son traitement. Plusieurs situations, considérées comme des urgences médicales, sont liées soit au cancer lui-même, soit au traitement oncologique. Le terme d’urgence oncologique se réfère donc à toute situation clinique liée au cancer ou au traitement oncologique, requérant une prise en charge rapide et pré­ sentant un risque vital ou de séquelles permanentes si des mesures thérapeutiques ne sont pas entreprises rapidement. Il s’agit d’événements relativement rares, mais susceptibles de se présenter tant chez le médecin de premier recours que chez l’urgentiste ou le spécialiste. Les urgences oncologiques peuvent affecter divers organes et être classées en désordres métaboliques (hypercalcémie), neurologiques (compression médullaire, augmentation de la pression intracrânienne, con­ vulsions), cardiovasculaires et respiratoires (épanchements pleuraux et péricardiques malins, syndrome de la veine cave supérieure (SVCS)), hématologiques (hyperleucocytose et leu­ costase) ou effets indésirables de la chimiothérapie (neutropénie fébrile, syndrome de lyse tumorale, diarrhées, vomis­ sements et syndrome coronarien aigu). La reconnaissance de l’urgence est primordiale puisque certaines de ces conditions, si elles ne sont pas traitées, peuvent avoir des conséquences parfois mortelles. fig 1 Au CT : important épanchement péricardique circonférentiel (favorisées par des troubles de coagulation). Le traitement classique en cas de signes de compression des cavités est une ponction-drainage (sous contrôle ECG et échographique) avec éventuellement la mise en place d’un cathéter permettant l’injection d’une chimiothérapie intrapéricardique afin de ­diminuer le risque de récidive. Compression médullaire La compression médullaire (figure 2) est une urgence absolue qui touche jusqu’à 5 à 10 % de tous les patients ayant des Urgences liées à la maladie Epanchement péricardique fig 2 Bien que peu fréquente (< 5 % des motifs de consultation en urgence), l’épanchement péricardique malin (figure 1) est une complication potentiellement mortelle qu’il faut pouvoir diag­ nostiquer rapidement. Le tableau clinique d’épanchement ­péricardique peut comporter des douleurs (souvent atypiques, renforcées à l’inspiration et diminuées en flexion antérieure) résistant à la trinitrine, mais répondant aux anti-inflammatoires, des signes de décompensation cardiaque droite (œdème des membres inférieurs (OMI), jugulaires turgescentes, hépatomégalie douloureuse) et, en cas de tamponnade, un pouls paradoxal, une hypotension artérielle et de la tachycardie. L’échocardiographie est l’examen de choix pour le diagnostic et l’évaluation des répercussions hémodynamiques. Les étiologies à évoquer sont principalement l’infiltration néoplasique, mais aussi, de façon moins fréquente, la radiothérapie (péricardite sèche aiguë, péricardite constrictive chronique), la toxicité des agents cytotoxiques (cyclophosphamide à hautes doses), les infections (virus, tuberculose) et les hémorragies A l’IRM : compression médullaire D7 sur atteinte tumorale de D6, D7 et D8 avec tassement de D7 a Service d’oncologie, HUG, 1211 Genève 14 [email protected] 176 16_17_39013.indd 176 WWW.REVMED.CH 27 janvier 2016 21.01.16 09:35 QUADRIMED ­ étastases ou autres atteintes tumorales osseuses. L’étiologie m la plus fréquente est l’épidurite carcinomateuse. Le tableau clinique peut comporter douleurs radiculaires, parésie avec syndrome pyramidal, hypo- ou anesthésie, troubles sphinctériens ou syndrome de la queue de cheval. En cas de suspicion clinique de compression médullaire, les examens d’imagerie par résonance magnétique (IRM) de l’ensemble de la colonne vertébrale doivent être effectués sans délai. Les traitements à envisager sont une corticothérapie systémique, une radiothérapie ou une chirurgie de décompression (laminectomie). Le choix entre ces différentes options est fonction du contexte clinique et les patients doivent être pris en charge par une équipe multidisciplinaire (neurochirurgie, radiologie, onco­ logie, radiothérapie). Urgences liées au traitement oncologique Neutropénie fébrile La neutropénie fébrile est une complication potentiellement mortelle nécessitant l’instauration rapide d’une antibiothé­ rapie. On la définit par une augmentation de la température > 38,5°C pendant une durée de > 1 heure avec un compte de neutrophiles < 0,5 x 109 / l. Le risque de développer des complications infectieuses dépend de la durée et de la profondeur de la neutropénie. Ces deux variables prédisent aussi le risque de développer une infection sévère. Les recommandations de bonne pratique proposent qu’en cas de neutropénie fébrile, une antibiothérapie à large spectre couvrant Pseudomonas aeru­ginosa, bêtalactame ou carbapénème, soit administrée. Une antibiothérapie orale peut être choisie chez les patients à faible risque de complication selon le score prédictif Multi­ national Association for Supportive Care in Cancer (MASCC) (tableau 1). Score prédictif MASCC Caractéristiques Points Sévérité du tableau clinique initial : symptômes absents ou légers 5 Sévérité du tableau clinique initial : symptômes modérés 3 Absence d’hypotension 5 Absence de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) 4 Tumeur solide ou hémopathie maligne en l’absence d’infection fongique préalable 4 Absence de déshydratation 3 Patient ambulatoire au moment d’apparition de la fièvre 3 Age ‹ 60 ans 2 doit pas la retarder, car il reste souvent dif ­fi cile à déterminer de manière individuelle. Si beaucoup ­d’urgences sont de diag­ nostic relativement évident, comme l’obstruction ventilatoire, l’hémoptysie massive ou les événements thromboemboliques, il existe néanmoins un certain nombre d’urgences dont le diag­ nostic est plus délicat et dont les séquelles peuvent compromettre de manière significative la qualité de vie d’un patient. Les investigations doivent donc être entreprises sans tarder, de même qu'un traitement adéquat, car le résultat dépend souvent du délai avant sa mise en route. Implications pratiques L’urgence oncologique n’est pas rare C’est un événement aigu pouvant rapidement menacer la vie du malade Conclusion Le nombre de patients atteints de cancer ne cessent d’augmenter et les personnes souffrant de cancer constituent un groupe de patients particulièrement fragiles du fait de leur maladie oncologique et des traitements administrés. Le praticien, que ce soit le médecin traitant, l’urgentiste ou l’oncolo­gue, risque de rencontrer de plus en plus d’urgences oncologiques. Il est donc primordial pour lui de reconnaître l’urgence et de connaître le traitement de pathologies, comme la compression médullaire ou les épanchements péricardi­ques et pleuraux malins. L’urgence oncologique doit être traitée comme toute urgence médicale en tenant compte néanmoins de la situation oncologique (type de cancer, stade de la maladie, traitements administrés) et de l’attitude générale souhaitée par le patient. Le pronostic global de la maladie entre parfois en ligne de compte dans la stratégie de prise en charge mais ne www.revmed.ch 27 janvier 2016 16_17_39013.indd 177 Tableau 1 L’addition des points donne un score total. Si le score total est ≥ 21, le patient neutropénique fébrile présente un risque réduit de complications sévères (‹ 10 %). MASCC : Multinational Association for Supportive Care in Cancer. Les urgences oncologiques peuvent être en rapport direct ou indirect avec le cancer dont le patient est atteint ou être en rapport avec ses traitements Le clinicien doit pouvoir reconnaître rapidement l’urgence afin d’instaurer des soins dans les plus brefs délais •George R, et al. Interventions for the treatment of metastatic extradural spinal cord compression in adults. Cochrane Database Syst Rev 2015;9: CD006716. •Guddati AK, et al. Identifying oncological emergencies. Med Oncol 2013; 30:669. •Lewis A, et al. Oncologic emergencies : Pathophysiology, presentation, diagnosis, and treatment. Ca Cancer J Clin 2011;61:287-314. •Lyman GH. How we treat febrile neutropenia in patients receiving c­ ancer chemotherapy. J Oncol Pract 2010;6: 149-52. • Petrofsky M. Management of malignant pericardial effusion. J Adv Pract Oncol 2014;5:281-9. 177 21.01.16 09:35