Savoir LES MAUX QU'IL FAUT DIRE La douleur “Il n'est point de petite douleur pour celui qui souffre” La douleur, ce fardeau de la nature, longtemps subi avec résignation, est devenue aujourd'hui une forme de punition inacceptable. A l'heure actuelle, il est toujours possible de la soulager, à défaut de la vaincre La douleur chronique rebelle durant plus de six mois affecte 10 à 20 % en moyenne de la population. Ces douleurs sont d’origine diverse, et les facteurs expliquant cette chronicisation sont nombreux (traitement de la douleur initiale insuffisant, facteurs socioprofessionnels, psychologiques…). La douleur chronique aboutit à l’installation de nombreux cercles vicieux comme le déconditionnement physique, la fatigue, les troubles du sommeil, le repli sur soi, l’anxiété, la perte de l’élan vital. Les centres de la douleur, en relais des médecins généralistes et de spécialités, participent à cette prise en charge de la douleur chronique rebelle. Mais l’objectif important demeure la gestion précoce de la douleur et la nécessité de prévenir l’installation de ces cercles vicieux et d’éviter ainsi la pérennisation des douleurs. Deux pathologies très fréquentes en consultation douleur sont revues au travers de ces problèmes de prévention : la lombalgie et la céphalée chronique. La lombalgie La lombalgie est une affection fréquente, 60 à 90 % de la population en souffrent au moins une fois au cours de la vie. C’est un motif fréquent de consultations médicales (10 % chez les généralistes) et d’absentéisme professionnel (13 % des accidents du travail). Elle représente un problème majeur de santé publique. La lombalgie peut s’installer progressivement ou être déclenchée brutalement par un effort de soulèvement ou lors d’un léger faux mouvement. Elle s’accompagne d’une contracture des muscles paravertébraux avec une mobilité lombaire réduite, adoption d’une position antalgique pour protéger son dos et d’une incapacité dans les gestes de la vie quotidienne comme se lever de la position assise ou couchée, se pencher, s’habiller, réaliser les tâches ménagères. La majorité des lombalgies communes est peu durable et spontanément résolutive. Cependant, 10 % environ des patients vont souffrir pendant plus de trois mois et évoluer ainsi vers une lombalgie chronique avec un handicap plus ou moins sévère affectant la vie familiale, sociale et professionnelle, avec des chances de reprise d’une activité professionnelle qui diminuent si la durée d’arrêt dépasse six mois. Traiter à temps pour éviter la chronicité Le traitement de la lombalgie commune comporte des médicaments antalgiques, un repos au lit de courte durée ne dépassant pas 48 heures. Au-delà, il augmente le risque de passage à la chronicité en favorisant le déconditionnement physique, les troubles psychologiques comme l’anxiété, la perte de confiance. Le maintien des activités de la vie quotidienne, dans la limite autorisée par la douleur, est fortement encouragé, car l’évolution est souvent plus favorable que s’il existe une immobilisation totale. La peur de bouger, les croyances erronées des patients sur leur incapacité à faire certaines choses sont source de maintien de la douleur. Le rôle du médecin est d’informer le patient, de le rassurer et de l’encourager. Dès que la phase aiguë est passée, une rééducation s’avère nécessaire. Elle est basée sur une éducation gestuelle et posturale, des exercices assouplissants, le travail de la musculature statique et dynamique, une rééducation proprioceptive. Ce travail de rééducation va permettre d’éviter les rechutes. La prévention de la lombalgie commence dès le plus jeune âge en milieu scolaire par une action éducative et de sensibilisation sur les moyens de protéger son dos. Elle se poursuit dans la vie quotidienne par le maintien d’une certaine hygiène de vie associant une alimentation équilibrée, la poursuite d’une activité de marche, de plein air qui joueront à la fois sur la mobilité de notre corps et les contractures musculaires, souvent en rapport avec le stress. En milieu professionnel, on prévient en donnant des conseils sur l’hygiène posturale (port des charges lourdes, protection du dos, flexion des cuisses, se positionner près des charges à porter afin de diminuer le bras de levier…), en adaptant les gestes répétitifs pour éviter les surcharges de travail de certains muscles, en intervenant directement sur le poste de travail pour adapter les contraintes aux capacités du patient. Des populations plus exposées Le repérage des populations à risque est essentiel, comme celle des travailleurs de force qui vont soumettre leur rachis à des contraintes importantes au cours de leur activité professionnelle et qui doivent être surveillés de manière spécifique par la médecine du travail. Mais d’autres populations, avec des métiers plus statiques ou des postes de travail sur écran ou répétitifs, vont se plaindre de dorsalgies et de cervicalgies avec des phénomènes de contracture liés aux postures, et aux conditions de travail stressantes. La prévention secondaire par les écoles du dos vise à améliorer l’ergonomie du travail, de réassurer le patient afin d’éviter les récidives. Les facteurs psychologiques et sociaux sont importants à prendre en compte. Ils peuvent aggraver et expliquer la chronicisation des douleurs. La détresse psychologique, l’anxiété, la dépression, la croyance que nous ne sommes plus bons à rien, la perte de l’estime de soi, l’insatisfaction sociale, la charge de travail importante, la non-considération dans son milieu de travail, la dévalorisation, les difficultés économiques sont autant de facteurs qui vont expliquer que la « douleur dure ». La prise en charge multidisciplinaire est essentielle et doit comporte un volet médical, psychologique et social où le médecin du travail est un acteur important. Migraine et céphalées La migraine est une affection fréquente présente chez 7 à 10 millions de Français (17 % en moyenne). Elle affecte tous les âges (même l’enfant), aussi bien les gens vivant à la ville qu’à la campagne et ce quel que soit le niveau culturel. Il existe une prédominance féminine très nette, trois à quatre fois plus de femmes que d’hommes. C’est une maladie, très souvent familiale, plus ou moins handicapante en fonction de la fréquence des crises et de leur sévérité. La douleur est décrite comme un mal de tête d’un seul côté, qui peut durer de 4 à 72 heures, pulsatile comme un cœur qui tape, souvent modérée à intense, augmentée par l’activité avec des signes accompagnateurs très désagréables, à savoir nausées, vomissements, gêne à la lumière et au bruit. Ces crises vont être plus ou moins fréquentes et déclenchées par des facteurs favorisants comme certains aliments (fromage, vin blanc, chocolat…), des modifications du mode de vie (week-ends, vacances ou au contraire surmenage, travail posté), des facteurs hormonaux (période des règles, traitements hormonaux, période de préménopause avec, par contre, une amélioration lors de la grossesse), et surtout des facteurs psychologiques (stress, anxiété, difficultés professionnelles ou familiales). Dangers de l'automédication Ce diagnostic de migraine peut être méconnu des patients une fois sur deux. La migraine est très souvent banalisée, considérée comme une fatalité, et les patients ne consultent pas et vont s’automédiquer en prenant des antalgiques simples, moins actifs et en grande quantité. Ces traitements spécifiques de la migraine, mal connus des patients, diabolisés parfois, et non prescrits vont participer à cette évolution vers des céphalées chroniques. Ces patients, du fait de la prise excessive d’antalgiques de manière régulière et pendant plus de trois mois, vont développer une céphalée chronique présente plus de 15 jours par mois et dite céphalée par abus médicamenteux. Ce mal de tête est un peu différent de la migraine, c’est une céphalée de rebond, directement en lien avec la prise d’antalgiques et améliorée par le sevrage. Cet abus médicamenteux peut concerner des antalgiques très différents : le paracétamol, les antiinflammatoires, ou des associations de médicaments, voire des triptans, tous pris plus de 10 jours par mois. Ces céphalées chroniques par abus médicamenteux sont responsables d’un handicap important altérant la qualité de vie des patients, aussi bien sur le plan personnel, social, affectif que professionnel. Les moyens de prévention de ces céphalées chroniques passent d’abord par l’information des populations et des acteurs de soins sur les dangers des médicaments pris en excès et la nécessité d’une prise en charge adéquate de la migraine en termes de traitement spécifique (traitement des crises plus efficace, traitement de fond si le patient présente plus de trois accès de migraine par mois). Cette information doit être réalisée à tous les niveaux : milieu scolaire, professionnel, pharmaciens, médecins, sous forme de campagne d’information ou de formation pour les acteurs de santé. Un agenda des crises Il faut aider le patient à déceler les facteurs aggravants susceptibles de déclencher les crises, comme le stress, les troubles du sommeil, les facteurs alimentaires, et l’inciter à améliorer son hygiène de vie (alimentation équilibrée, éviter les excitants [café, thé], sport, détente…) et son milieu social et professionnel. L’agenda des crises est essentiel. Il permet de bien noter la fréquence des maux de tête, la prise médicamenteuse réalisée, les facteurs éventuels déclenchants. Une fois bien repéré, le mal de tête doit être convenablement traité, et le médecin généraliste consulté va aider le patient en prescrivant des médicaments spécifiques de la migraine, l’encourager à ne pas exagérer la prise médicamenteuse, en particulier de caféine, de codéine, accepter qu’il y ait d’autres solutions que les médicaments (comme le froid, la relaxation…) et assurer un suivi comme toute autre pathologie. Tous les migraineux peuvent évoluer à un moment de leur vie vers une céphalée chronique avec abus médicamenteux s’ils ne sont pas vigilants sur les facteurs possibles d’aggravation (stress, abus de café, thé…), sur le fait que le médicament bien prescrit est utile mais que, pris en excès, il est délétère et nocif. M. Navez Centre de la douleur CHU de Saint-Etienne