Organisation médicale face au terrorisme toxique

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ORGANISATION MÉDICALE FACE
AU TERRORISME TOXIQUE
D-J. Baker, C. Telion, P. Carli
SAMU de Paris, Hôpital Necker - Enfants Malades, 149 rue de Sèvres, 75015 Paris.
INTRODUCTION
DESTRUCTION MASSIVE ? LES RÉALITÉS DE LA PRISE EN CHARGE DES
VICTIMES D’UN ACCIDENT CHIMIQUE OU BIOLOGIQUE
L’inquiétude publique grandie sur le risque d’actions terroristes utilisant des agents
Nucléaire, Radiologique, Biologique et Chimique (NRBC). Cette inquiétude est alimentée par la diffusion de quelques accidents de cette nature qui sont survenus en 1995 au
Japon [1 ,3] et en 2001 aux U.S.A. [3]. Cette inquiétude a encore été accrue par l’évocation constante par les médias «d’armes de destruction massive», terme utilisé depuis
la guerre froide pour décrire les agents chimiques, biologiques et nucléaires. Cependant,
ce terme est utilisé sans qu’aucune analyse critique concernant la réalité de la toxicité
d’un point de vue médical n’ait été objectivée. Il apparaît donc nécessaire de définir la
possibilité de réponses médicales urgentes aux lésions qui seraient induites par des agents
chimiques et biologiques. Alors que les armes nucléaires ont clairement démontré leur
responsabilité dans une destruction massive d’hommes et de matériel, aucune destruction
similaire (en termes de nombre des victimes) n’a jamais été décrite lors de la dispersion
d’agents chimiques ou biologiques.
En conséquence, la littérature médicale, principalement d’origine anglo-saxonne
s’est emparée de ce sujet et a dispensé une quantité importante d’informations pour les
médecins et les professionnels de santé, (aussi bien scientifique que par l’intermédiaire
des médias). Malgré cette surabondance d’informations, l’organisation de soins, face
à un attentat NRBC produisant de nombreuses victimes, reste un défi organisationnel
majeur pour les services d’urgences et plus généralement les structures de soins d’un
pays moderne au standard de soins élevés.
1. VICTIMES MULTIPLES OU DESTRUCTION MASSIVE ?
Les agents chimiques et biologiques ont la caractéristique d’être peu onéreux, fabriqués facilement et souvent simples à répandre. Ils ont souvent été fabriqués en grande
quantité à des fins militaires et sont donc disponibles pour une action terroriste. Leur
caractéristique commune principale est la création de nombreuses victimes dans une
population mal protégée. Les agents chimiques et infectieux peuvent provoquer de nom-
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MAPAR 2004
breuses victimes sans destruction. Leur létalité est variable et dépend de la possibilité de
soins aux victimes. L’utilisation de ces armes a des points communs :
• Le plus souvent les premières victimes sont le seul signe d’alerte.
• Les victimes avec diverses cinétiques finissent par se concentrer sur les structures de
soins qui risquent d’être débordées.
• Les techniques de soins, les antidotes, les protocoles et la prise en charge sont sensiblement diffèrents des patients classiques, mais la prise en charge des fonctions vitales
y reste le point essentiel.
2. EXPÉRIENCES UTILISABLES
Jusqu’à présent, seul un petit nombre d’expériences a été relaté objectivement et
analysé scientifiquement. Ils mettent en évidence l’effet particulièrement néfaste de ces
évènements sur l’organisation des secours et la qualité de soins aux victimes. La couverture médiatique qui les a accompagnée, a contribué à développer parmi les soignants
et les autorités une crainte irrationnelle. Cette crainte largement relayée par les médias
se traduit par l’expression de besoins souvent inadaptés en matériel de protection. Elle a
été aussi largement assimilée par le public et s’est traduite par des conduites inadaptées,
tel que l’achat irraisonné par le public d’antibiotiques ou de masques à gaz aux USA.
S’il est donc difficile de tirer des conclusions pratiques d’évènements terroristes CB,
on peut par contre s’inspirer largement de la survenue d’accidents beaucoup plus fréquents
et présentant à l’évidence des caractères communs. Ainsi, les accidents de l’industrie
chimique constituent des situations proches d’une attaque toxique aussi bien par la nature des produits que par le nombre de victimes. La récente explosion de l’usine AZF
à Toulouse en septembre 2001, peu de temps après les attentats de New-York, a permis
d’analyser la prise en charge de plus de 3000 victimes par un grand groupe hospitalier
et constitue la seule référence française dans ce domaine.
Pour les risques infectieux, le modèle naturel de l’épidémie reste en vigueur. La
récente épidémie de SARS en provenance du Sud-Est asiatique a montré la difficulté de
la reconnaissance d’un agent infectieux et la rapidité avec laquelle les patients et donc
la contagion peuvent voyager par les vols intercontinentaux.
La contagion peut évoluer particulièrement vite en raison de la possibilité en un temps
très bref d’un afflux de victimes, elles mêmes contaminantes, dans les structures de soins
où elles nécessitent une prise en charge spécialisée. Particulièrement bien analysée par
les militaires, la menace chimique fait partie intégrante de l’entraînement des soldats. Ils
sont, en effet, équipés pour réagir immédiatement et résister à des concentrations élevées
de produits extrêmement toxiques.
Les circonstances du terrorisme civil sont différentes, dans ce contexte, la population
touchée n’est ni préparée, ni protégée et comprend tous les composants de la société civile
y compris enfants, personnes âgées, femmes enceintes. L’utilisation de faibles concentrations de produit, même non-létales, peut avoir un impact majeur sur cette population
et être l’origine d’un mouvement de panique surajouté.
Le seul exemple d’attentats chimiques en milieu urbain, bien étudié, est celui de
Tokyo en mars 1995. Cet attentat au Sarin a fait 5.500 victimes environ, dont 1.000 ont
du être hospitalisées et seulement 12 sont décédées [4, 5, 6].
L’analyse de cet événement met en évidence :
• Une absence quasi totale de triage pré-hospitalier et de décontamination. Presque
toutes les victimes sont arrivées par leur propre moyen à l’hôpital de proximité qui a
été envahi par surprise.
Les menaces émergentes
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• Une absence d’identification du toxique, de protocoles spécifiques de soins dans les
6 premières heures à l’hôpital.
• Une contamination des personnels soignants par les premières victimes ambulatoires
arrivées spontanément. Ces personnels ont dû être remplacés peu après, au moment
où arrivaient par ambulance les victimes plus graves.
• Du fait de l’absence de prise en charge pré-hospitalière et de régulation, les hôpitaux
ont été submergés et leur mission de soins gravement perturbée.
A la lumière de cette analyse depuis 1987, la France a mis en place un dispositif
pré-hospitalier original, le plan PIRATOX, dans la circulatoire 700 du SGDN révisée en
avril 2002 [7]. Ce plan comporte non seulement les schémas d’organisation de la prise
en charge, mais aussi des fiches techniques annexes qui recensent les connaissances
médicales et scientifiques nécessaires à la prise en charge des victimes sur les principaux
toxiques.
3. LES FACTEURS DE L’IMPACT
Pour comprendre les solutions contre une attaque NRBC, il est utile de rappeler les
facteurs qui déterminent l’impact sur la cible. Ils sont de 2 ordres :
3.1. LIÉS À L’AGENT
Chaque agent peut être schématiquement classé en fonction de ses caractères :
• La toxicité responsable de la proportion de victimes nécessitant des soins. Elle se
manifeste après une latence. Celle-ci est très courte avec les toxiques chimiques et les
toxines et conduit à un afflux rapide de victimes. C’est l’inverse avec certains agents
infectieux qui ont un long temps d’incubation.
• La persistance est définie par la durée pendant laquelle le produit reste toxique dans
l’environnement. Variable, pour les toxiques chimiques, elle est souvent brève pour
les agents infectieux vivants.
• La transmissibilité qui conditionne la contamination de la victime, par contact avec une
substance chimique (liquide ou gazeuse) ou avec un agent infectieux se développant
ensuite dans l’organisme.
3.2. LIÉS À LA STRUCTURE DE SOINS
Plusieurs facteurs structurels peuvent influer sur la réponse délivrée :
• La proximité par rapport au site de dispersion (pour un agent à action immédiate) ou
le temps qui est accordé pour réagir,
• L’importance du flux de victime, le niveau de préparation opérationnelle, c’est-à-dire
l’existence de plans, d’équipements en matériel de protection et en médicaments adaptés
à l’événement.
4. LES PRINCIPES DE L’ORGANISATION MÉDICALE
Depuis octobre 2001, le gouvernement Français a mis en place un plan national de
veille et de réponse à la menace bio terroriste appelé BIOTOX. Ce plan dépasse largement
le domaine médical, il institue notamment en 2003 :
• Une réglementation restrictive pour la détention d’agent biologique et toxique.
• La surveillance et la protection des réseaux de distribution d’eau.
• Une veille sanitaire renforcée et un renforcement des centres anti-poisons.
• La formation du corps médical au risque NRBC et la mise en place des Plans
Blancs.
• La constitution de stock de médicaments.
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MAPAR 2004
• Un plan d’action et de vaccination en cas d’épidémie de variole.
Le système de soins, et plus particulièrement sa partie dédiée aux urgences étant au
centre d’un attentat bio terroriste, c’est donc dans le domaine de l’organisation médicale
que la réponse doit être préparée très schématiquement, elle doit intégrer les dimensions
suivantes (Tableau I)
Tableau I
Base de l’organisation médicale
Principes
Reconnaissance du phénomène et identification de l’agent en cause
Protection du personnel de secours et de soins
Décontamination des agents transmissibles persistants
Traitement de la toxicité symptomatique et étiologique.
Actions
Information des professionnels
Stratégie avec des plans d’action permettant une organisation exceptionnelle des
soins
Formation théorique et pratique des personnels
Dotation en équipement de protection, en matériel ou médicaments spécifiques.
Un double mécanisme va affecter les structures de soins. En premier lieu, l’arrivée qui
peut être brutale et inopinée de nombreuses victimes submergeant les équipes soignantes. En second, la transmissibilité de l’agent peut conduire plus ou moins rapidement à
une contamination des équipes de secours, des équipes hospitalières voire des matériels
médicaux et des locaux. Ceci peut provoquer une paralysie du dispositif médical dont
les personnels deviennent de nouvelles victimes et sont incapables de soigner les victimes dont ils avaient la charge. Un tel phénomène peut se produire en quelques minutes
avec un agent chimique ou en quelques jours avec un agent infectieux. Sa conséquence
directe est la dégradation de la qualité des soins et donc l’aggravation du pronostic des
victimes.
Les structures de soins sont donc la véritable cible du bio terrorisme et c’est en conséquence leur organisation qui est le point principal de la réponse.
5. LE PLAN BLANC ET SES ANNEXES NRBC
Développée par la circulaire «Afflux de victimes» de mai 2002 la stratégie de prise
en charge de victimes du bio terrorisme en France est une variante du dispositif de prise
en charge des victimes multiples [8]. Elle repose sur une utilisation en réseau des capacités de soins et d’expertise au cours de l’évènement. Ce réseau est constitué à froid
et part de chaque établissement de santé pour s’étendre territorialement jusqu’à la zone
de défense.
Il illustre le fait que la prise en charge de victimes en grand nombre, liées au risque
NRBC, dépasse les possibilités d’un hôpital et nécessite :
• Une coordination étroite pendant l’événement de tous les services d’urgence impliqués
ou susceptibles de l’être.
• Une collaboration pour préparer, en dehors de la crise, les plans, qui pourront être mis
en œuvre, et pour former les personnels en conséquence.
Décrites dans les annexes de la circulaire 700 [7] elles comprennent :
• L’identification du toxique.
C’est un problème difficile à résoudre car l’analyse sur le terrain est difficile. Pour
certains composés, elle peut être réalisée par un détecteur portable (spectromètre)
Les menaces émergentes
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notamment pour les neurotoxiques, et certains vésicants. Dans la plupart des cas en
urgence, la symptomatologie clinique des premières victimes etles circonstances de survenue orientent vers un type de toxique. C’est dire l’importance de l’interrogatoire des
premières victimes et des témoins, par téléphone au moment de l’alerte et sur le terrain
pour la première équipe de secouristes ou médicale. Les éléments recueillis doivent être
communiqués au service réalisant l’identification et au centre antipoison. L’identification
du toxique à une grande importance pour déterminer les possibilités thérapeutiques et la
nécessité d’administration immédiate d’antidotes.
• La protection des personnels. Sur le terrain, la protection est maximale. Les équipes
de secouristes intervenant au plus près dans la zone dite de danger liquide ou vapeur
sont revêtues de tenue étanche avec un appareil respiratoire intégré. Pour le personnel
médical des SMUR et des urgences, en l’absence d’identification du toxique ou lorsque
celui-ci est transmissible, une protection par une tenue plus légère, mais adaptée avec
un masque à gaz est indispensable. Des tenues ont été attribuées au SMUR, aux services
d’urgence des hôpitaux référents dérivées des tenues militaires, elles nécessitent une
bonne condition physique et un entraînement pour être utilisées.
• La décontamination. En l’absence d’identification du toxique, la décontamination
la plus précoce possible est nécessaire. De nombreux toxiques pénètrent rapidement
dans l’organisme, mais sont aussi présents sur la victime et sont transmissibles. Cette
décontamination peut être réalisée sur le terrain par des moyens mobiles d’une unité
de décontamination de la Sécurité Civile. Cette décontamination soigneuse et professionnelle a un rendement faible (quelques patients à l’heure). Elle nécessite plus d’une
heure pour être déployée sur le terrain et le nombre des unités reste limité. Elle peut
aussi être réalisée au niveau des hôpitaux référents (site de regroupement des victimes)
et si besoin de façon dégradée dans toutes les structures de soins en cas d’afflux de
victimes non prises en charge sur le terrain.
Elle comprend au minimum, un déshabillage soigneux et une douche prolongée additionnée à une solution chlorée. Elle est suivie d’un séchage, d’une détection de contrôle
du toxique et d’un rhabillage avec des vêtements propres puis de l'identification des
victimes, au besoin par un bracelet. Quand le toxique est identifié, la nécessité de la
décontamination est précisée car seuls certains toxiques sont contaminants. Ainsi, si
besoin une décontamination spécifique est réalisée avec des solutions spéciales ou des
poudres.
Pour chacune des zones de défense du pays, un schéma d’organisation de la prise en
charge d’un événement NRBC est mis en place sous la direction du Préfet de la zone de
défense, qui charge un délégué de zone de défense.
Au sein de la zone, des établissements hospitaliers de référence sont identifiés ainsi
que les services hospitaliers en dépendant, ils apportent une expertise «à froid» comme
à «chaud» pour les risques NRBC. Ces services référents sont spécialisés pour les conseils, le diagnostic, la prise en charge de victimes. Ils constituent les têtes du réseau qui
se déclinent au niveau de chaque établissement et de chaque département. La liste des
hôpitaux référents est fixée par la circulaire, mais la liste des services référents de ces
établissements n’est pas limitative. Elle comprend notamment :
• Les SAMU-SMUR, le SAMU de l’hôpital référent étant chargé de coordonner l’action
des SAMU départementaux de la zone.
• Les services de maladies infectieuses, les centres antipoisons, les services de médecine
nucléaire mais aussi les services d’urgence, les laboratoires, la médecine du travail.
Malgré leur expertise, ces services ne constituent qu’une part de la réponse à l’événement bio terroriste, leur localisation géographique et leur nombre limité nécessite un
relais : c’est le schéma départemental.
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MAPAR 2004
6. ASPECTS MÉDICAUX
6.1. LES PRINCIPAUX TOXIQUES
Le tableau II résume les grandes classes de composés qui peuvent être utilisés pour
un attentat chimique. Très schématiquement on distingue les neurotoxiques, les poisons
cellulaires, les suffocants et les vésicants, plusieurs revues de la littérature ont été consacrées à ce sujet [9, 10].
Tableau II
Principes de décontamination, de traitement et d’utilisation des antidotes pour les
principaux toxiques chimiques
Toxiques
Neurotoxiques
OrganoPhosphorés :
Sarin, tabun,
soman, vx
Vésicants :
Yérite
Lewisite
Principaux signes
Forme
Mode
cliniques
d’utilisation d’intoxication
paralysie
Vapeurs
percutanée
respiratoire
Liquides
respiratoire
bronchospasme
hypersécrétion
coma et
convulsions
respiratoire
(asphyxie, OAP)
peau (phlyctènes,
nécrose)
oculaire
digestif :
vomissements
troubles de la
conscience :
convulsions,
atteinte du
système
hématopoïétique
Vapeurs
Liquides
percutanée
respiratoire
Suffocants :
Phosgène
irritation
oculaire
respiratoire
(irritation, OAP)
état de choc
Gaz vapeurs
respiratoire
Poisons
Cellulaires :
Agents cyanés
troubles de la
conscience
asphyxie
Gaz
respiratoire
retardée ++
Décontamination
déshabillage
douche
décontamination
destruction
par eau de javel
et solutions
basiques
Yeux : lavage
précoce
(bicarbonate >
physio > eau)
Peau = éviter
lavage initial
saupoudrage
avec terre à
foulon ou
farine mais
lavage
secondaire
(eau alcaline
ou chlorée)
si impossible :
linge + eau de
javel (1/10)
seulement
si contact avec
toxique en phase
liquide :
lavage
inutile
Traitements
Antidotes
O2
ventilation
assistée
atropine
valium
contrathion
pour l’ypérite
pas d’antidote
spécifique
pour la léwisite
BAL
(dimercaprol)
O2 + ventilation
assistée
morphine
valium
soustraire le
patient de
l’atmosphère
contaminée
mise au repos
réchauffer
O2, ventilation
assistée
± corticoïdes
morphine
ventilation, O2
hydroxocobalamine
ou kécoyanor
7. RÉPONSES PRATIQUES FACE À UNE ATTAQUE TERRORISTE
La réponse à l’attaque terroriste repose sur l’installation immédiate de trois zones
différentes appelées : zone chaude, zone tiède, zone froide [11, 12]. La zone chaude
correspond au lieu où a été libéré le toxique, la concentration en toxique est donc maximale. Si l’identification du toxique n’a pas été réalisée, il faut le considérer comme
Les menaces émergentes
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persistant et transmissible et de ce fait, les sauveteurs doivent êtres équipés de tenues et
de masques de protection.
La mission de ces secouristes est d’évacuer les blessés de la zone de dispersion du
toxique vers une zone environnante appelée zone tiède où la concentration en toxique
est plus faible. Là, du personnel médical spécialement entraîné peut réaliser un premier
tri des victimes parmi lesquelles on retrouve ceux qui ont été exposés et ceux qui ont
besoin de soins médicaux urgents. Les victimes bénéficient d’une décontamination et
sont ensuite emmenées vers une zone froide avant d’être transférées vers l’hôpital pour
poursuivre la prise en charge thérapeutique.
8. RÉANIMATION DES VICTIMES D’AGENTS CHIMIQUES.
En médecine d’urgence, la réanimation est classiquement qualifiée de basique ou de
spécialisée [13]. Ces systèmes sont basés sur la prise en charge des voies aériennes, de
la respiration et de la circulation (le classique A : airways, B : breathing, C : circulation
des anglo-saxons). C’est de la compétence et de l’équipement des secouristes sur les
lieux que dépend l’importance de la réanimation dispensée. L’exemple le plus connu
de réanimation de ce type est représenté par la réanimation de l’arrêt cardiaque. Ainsi
le maintien de la tête dans une position facilitant le passage de l’air, la réalisation d’un
bouche-à-bouche, d’une ventilation et de compressions thoraciques sont des gestes familiers à tous ceux qui ont reçu des cours de secourismes. Dans le contexte de lésions
induites par des toxiques chimiques, les objectifs sont identiques, mais les moyens
employés pour maintenir la liberté des voies aériennes et la ventilation artificielle sont
plus sophistiqués. Ainsi dans cette situation, l’arrêt cardiaque est la conséquence d’un
arrêt respiratoire. Pour éviter l’arrêt cardiaque, il est donc indispensable de maintenir
une fonction respiratoire satisfaisante.
8.1. ANTIDOTES
La nécessité de réanimation chez un grand nombre de victimes de façon concomitante est plus probable en cas d’attentats à un toxique chimique par rapport à un toxique
biologique, par le fait que leur délai d’action est plus bref. Dans le passé, la prise en
charge de patients atteints d’une intoxication chimique était traditionnellement basée sur
l’utilisation d’antidotes. Il existe, en effet, plusieurs antidotes spécifiques de toxiques
chimiques en particulier neurotoxiques et agents cyanhydriques. Mais, depuis ces dernières années, l’importance de la réanimation en plus de l’utilisation des antidotes a été
reconnue [11, 14]. La plupart des agents toxiques chimiques a un effet sur le système
respiratoire et ainsi, la mise en place de disposition pour la prise en charge des voies
respiratoires est essentielle. En effet, les toxiques chimiques induisent une dépression
respiratoire soit par paralysie des muscles respiratoires, soit par atteinte au niveau du
système nerveux central, à laquelel s’ajoute un encombrement des voies aériennes supérieures. Pour vaincre ces différents effets, la prise en charge médicale doit inclure le
maintien de la liberté des voies aériennes mais aussi la possibilité d’assurer une ventilation artificielle lorsque survient une détresse ventilatoire ou un arrêt cardio-respiratoire.
Cette réponse est actuellement bien codifiée et comprend à la fois la prise en charge de
lésions conventionnelles et de lésions toxiques, elle est appelée TOXALS [14], système
anglais, dont:
Airway, Breathing, Circulation, Disability (évaluation par l’échelle AVPU)
(Alert, responds to Voice, responds to Pain, Unresponsive), Drugs, Exposure (évaluation médicale du patient), Environment.
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MAPAR 2004
Si le toxique chimique n’est pas persistant, les mesures habituelles de réanimation
peuvent être réalisées par les services de secours au niveau du point de rassemblement
des victimes. Mais les problèmes surviennent lorsqu’il y a besoin de décontamination
puisque cela produira inévitablement un délai pour que la victime parvienne en zone
froide. Toutes les victimes contaminées par des agents persistants devront bénéficier d’une
décontamination concomitante de la prise en charge de leur détresse vitale. Ainsi seuls les
soins urgents seront dispensés par des équipes du SAMU car le travail en environnement
toxique présente des difficultés en terme technique et logistique, particulièrement pour
avoir à la fois du personnel compétent entraîné et protégé et pour obtenir un approvisionnement suffisant en oxygène.
9. PROBLÈMES MÉDICAUX ET LOGISTIQUES SPÉCIFIQUES LORS DE
LA PRISE EN CHARGE DES DÉTRESSES VITALES AU COURS D’UNE
ATTAQUE TOXIQUE
Les différentes zones sont délimitées généralement de façon arbitraire en attendant
de connaître la nature du ou des toxiques. L’entrée et la sortie des différentes zones sont
contrôlées avec soin, cela présente des problèmes logistiques importants en termes de
personnels, d’approvisionnement puis de réapprovisionnement en matériel. Les équipes
entrant en zone de décontamination doivent emporter un équipement de protection incluant un stock important d’oxygène indispensable à leur propre protection, mais aussi
un stock d’oxygène pour les patients qui vont requérir une assistance ventilatoire avec
de hautes concentrations en oxygène.
9.1. TRIAGE DES VICTIMES
Les patients présentant une détresse respiratoire vont requérir une libération des voies
aériennes mais aussi une ventilation artificielle. Le triage des victimes repose sur une
évaluation médicale rapide afin de sélectionner les patients devant bénéficier de soins
médicaux urgents. Si les victimes sont contaminées, elles doivent bénéficier de façon
concomitante d’une prise en charge d’une détresse vitale et d’une décontamination.
10. PRISE EN CHARGE DES DÉTRESSES VITALES EN ZONE DE DÉCON
TAMINATION
10.1. PROTECTION DU PERSONNEL
Tout personnel travaillant en zone de décontamination doit être protégé contre les
agents toxiques. Ainsi, la nécessité de revêtir une combinaison et un masque de protection
induisent des difficultés de vision et une gêne dans la réalisation des gestes précis. Il est
donc impératif que les secouristes soient expérimentés et qu’ils aient l’habitude de revêtir
les tenues de protection avant que tout événement ne survienne. Cet entraînement est bien
développé chez les militaires, mais il l’est beaucoup moins chez les civils. A la suite de
l’introduction du plan BIOTOX dans les SAMU, en France les personnels ont été dotés
en matériel et ont reçu un entraînement permettant l’utilisation de ces tenues et de ces
masques de protection pour pouvoir travailler en toute sécurité en zone contaminée.
10.2. PRISE EN CHARGE DES VOIES AÉRIENNES
Les secouristes doivent en priorité maintenir la liberté des voies aériennes chez les
victimes en évacuant toute sécrétion et tout corps étranger qui pourraient empêcher le
passage de l’oxygène vers les poumons. Cela impose le maintien de la tête en rectitude
et l’utilisation d’un dispositif d’aspiration manuelle. Si le patient est inconscient, la mise
en place d’une canule de Guedel, élément habituellement utilisé en médecine d’urgence
Les menaces émergentes
395
et en anesthésie, peut permettre de libérer les voies aériennes en maintenant la langue en
bonne position. Une réanimation respiratoire plus spécifique peut être instaurée par la mise
en place d’un masque laryngé (masque positionné en arrière de l’épiglotte au fond de la
gorge) ou par l’utilisation d’une intubation endotrachéale, autre technique couramment
utilisée en anesthésie. Les personnels des SAMU sont tous entraînés à l’utilisation de
ces techniques de prise en charge des voies aériennes.
10.3. LOGISTIQUE VENTILATOIRE
La ventilation artificielle peut être assurée par un ballon autoremplisseur (type Ambu)
soit par un ventilateur portable fonctionnant grâce à l’oxygène. La ventilation grâce au
ballon est une technique familière à l’hôpital. Cependant, elle nécessite la mobilisation
de deux personnes pour être efficace lorsque les voies aériennes sont sévèrement atteintes
par des lésions d’origine toxique. Des respirateurs portables font partie de l’équipement
standard des équipes d’urgence pré-hospitalières de type SAMU. Ces dispositifs fonctionnent fréquemment grâce à de l’oxygène et permettent une ventilation fiable qui peut
être réglée facilement grâce à des paramètres simples. Malgré leur simplicité, ils peuvent
délivrer une ventilation fiable qui est comparable à celle de respirateur plus complexe que
l’on peut trouver dans les services de soins intensifs. Ainsi, ils sont efficaces en situation
d’urgence et permettent habituellement la délivrance de concentration d’oxygène soit
de 50 % soit de 100 %. Des valeurs plus faibles peuvent être obtenues par des systèmes
qui fonctionnent à l’air ambiant ce qui permet une diminution de la consommation en
oxygène pour leur fonctionnement. Cependant, dans un environnement contaminé, ces
appareils ne peuvent être utilisés et seuls les respirateurs fonctionnant à l’oxygène pur
sont utilisables. Cela limite la quantité de ventilation réalisable du fait de l’importance
de la consommation d’oxygène et des problèmes de son approvisionnement.
10.4. APPROVISIONNEMENT EN OXYGÈNE
L’approvisionnement en oxygène est critique dans la prise en charge des victimes en
zone de décontamination. L’oxygène est habituellement utilisé à l’hôpital, mais doit être
considéré comme une denrée rare sur le terrain et doit être préservé autant que possible.
Le réapprovisionnement en oxygène sur le terrain peut poser des problèmes en termes
de nombre d’obus pouvant être transportés par les secouristes. Le développement des
nouveaux plans cherche des solutions pour pallier à ces difficultés d’approvisionnement
en oxygène. Ainsi de volumineuses réserves en oxygène liquide pourrait être mis en zone
froide et de plus petites unités pourraient être mis dans des ambulances. Les sapeurspompiers ont aussi à disposition un grand nombre de bouteilles de taille J qui pourraient
être mises en zone de décontamination si nécessaire. Les bouteilles de taille D utilisées
par la majorité des services d’urgence contiennent 340 litres d’oxygène comprimé. L’augmentation du volume d’oxygène se traduit par une augmentation du poids des obus. Afin
de pallier à cet inconvénient, les obus en acier sont remplacés par des obus en aluminium
dont le poids de 3 kg permet d’avoir 540 litres d’oxygène. L’apparition récente d’obus en
Kevlar permet d’augmenter la pression de compression de l’oxygène, ainsi pour un poids
de 1,9 kg correspond à 821 litres d’oxygène. La quantité d’oxygène emportée par les
équipes doit être en rapport à la fois avec le type de mission et la durée de la mission de
chaque équipe. Il est important de retenir que si d’autres approvisionnements en oxygène
sont disponibles en zone froide, les équipes qui travaillent en zone de décontamination
ne peuvent compter que sur l’oxygène qu’elles ont emporté.
10.5. FILTRATION DE L’AIR VENTILÉ
396
MAPAR 2004
Une alternative à l’utilisation de l’air comprimé pour faire fonctionner le respirateur
est l’utilisation de l’air qu’il est nécessaire de filtrer. Cette consigne suit logiquement
l’utilisation de filtre, pour assurer la sécurité des secouristes. Certains filtres peuvent, ainsi,
être actuellement ajoutés au ballon auto-remplisseur (ambu MK3) qui peut donc être
utilisé en zone contaminée. Cette approche a été appliquée aux ventilateurs portables qui
peuvent donc être propulsés non pas par de l’oxygène mais par de l’air ambiant filtré.
Le respirateur «CompPAC» qui est prévu par le plan français utilise cette technique. Le
respirateur comprend un moteur gazeux habituel qui ffonctionne avec de l’air filtré et
comprimé grâce à une batterie. Le ventilateur est donc capable de ventiler le patient avec
de l’air de l’oxygène pouvant y être ajouté pour enrichir le mélange. Le « CompPAC » peut
fonctionner en autonomie avec sa batterie pendant huit heures et pendant quatre heures
en utilisant une bouteille d’oxygène de type B en Kevlar avec une FIO2 à 0,5 [15] Cela
représente une amélioration considérable par rapport à l’utilisation de la même bouteille
avec un respirateur conventionnel qui se limite alors à une heure.
11. IMPORTANCE DE LA FORMATION
La prise en charge du risque NRBC dans les structures de soins nécessite un double
apprentissage pour les équipes soignantes :
• L’acquisition de notions médicales spécifiques sur des pathologies parfois rares et
s’écartant de la pratique quotidienne. Elles portent non seulement sur le diagnostic,
les soins, mais aussi sur la protection et la décontamination.
• L’intégration des équipes soignantes dans une stratégie globale de prise en charge
de nombreuses victimes dépassant les capacités d’un établissement ou même d’un
département.
Une formation adaptée au rôle de chaque équipe est en cours de réalisation s’appuyant
sur un groupe de formateurs nationaux, destinée en priorité aux hôpitaux référents et
s’étendant à partir d’eux vers les établissements de chaque zone de défense
CONCLUSION
Une attaque terroriste par une arme NRBC est parfaitement réalisable et pourrait
générer un grand nombre de victimes. Les attaques antérieures ont permis de mettre en
évidence le faible nombre de victimes gravement atteintes. Avec une préparation préalable,
les équipes de secours doivent être capables de faire face à cette éventualité.
La stratégie de prise en charge des victimes de bio terrorisme ou plus généralement
de victimes NRBC fait appel à un dispositif s’étendant des hôpitaux référents des zones
de défense jusqu’à chaque établissement. Elle coordonne la prise en charge sur le terrain
(par les SAMU et les SMUR) et l’accueil hospitalier qu’il soit régulé ou inopiné. Elle
illustre la nécessité d’un rôle de défense civile des hôpitaux dans un contexte ou l’absence
de conflit déclaré ne met pas à l’abri l’hôpital d’un grand nombre de victimes par des
armes jusque-là réservé aux conflits militaires.
L’utilisation de moyens récemment développés doit permettre d’étendre la phase
initiale de prise en charge. L’utilisation précoce d’antitodes associée à une réanimation spécialisée a changé radicalement le pronostic des victimes exposées à des agents
chimiques ou biologiques et le terme d’armes de destruction massive pour décrire ces
Les menaces émergentes
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situations semble inaproprié. Planifier, équiper et entraîner les services de secours sont
les meilleures réponses à la dispersion d’agents chimiques et biologiques.
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