Brève conclusion

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À quoi l’homme est-il lié ?
Liberté, autonomie et autodétermination
Brève conclusion : un fil rouge
Ignace Berten
12.03.16
Liberté et autonomie : deux valeurs fondamentales de la modernité. Mais la liberté et
l’autonomie, comme valeurs, sont-elles sans limites ? Autrement dit, l’être humain, en
tant qu’individu, est-il en lui-même et en tout sa propre et unique norme ?
S’interroger ainsi sur la liberté et ses limites, c’est fondamentalement se demander où va
l’humain aujourd’hui, où va l’homme et la femme concrètement aujourd’hui. Dans une
perspective marquée par la tradition luthérienne, Dominique Collin a dit que la liberté
plénière est eschatologique, qu’elle ne peut être que promise. Mais elle s’anticipe de
quelque manière dans la relation qui ouvre un chemin à une existence s’accueillant
comme justifiée d’exister au cœur d’une liberté jamais acquise, et faisant ainsi
l’expérience d’un sens. Reconnaître que la liberté a une dimension eschatologique, n’estce pas dire que la liberté réelle ne peut être que limitée ?
Même dans les sociétés les plus libérales, il y a une législation limitative de la liberté
individuelle, au-delà du principe selon lequel ma liberté n’a d’autre limite que la liberté
des autres. Nos sociétés imposent des normes générales limitant la liberté des entreprises
ou limitant le pouvoir des acteurs financiers, trop peu diront certains, ou édictent des
règles obligatoires concernant l’environnement. Mais les États limitent aussi les libertés
dans des domaines qui concernent plus directement l’agir des personnes, en particulier
dans les nouvelles questions ouvertes par les biotechnologies, en établissant des limites
ou des balises. On peut se demander si celles-ci sont seulement le reflet de l’état présent
des opinions publiques diverses, des diverses convictions ou idéologies en tension et suite
à des compromis, en attendant une libéralisation plus étendue. Mais il y a accord,
aujourd’hui, que tout n’est pas possible ni souhaitable.
Le bien-être et l’épanouissement personnel sont promus comme valeurs importantes, au
risque sans doute d’un grand individualisme. La psychologie humaniste, dans la ligne de
Carl Rogers, prend en compte le tournant subjectif de la modernité, avec la conviction
que la personne se construit elle-même. La pratique thérapeutique de cette psychologie,
nous a dit Marcel Braekers, au-delà de la théorie qui la porte, centrée sur la personne close
sur elle-même, montre cependant que le développement personnel gagne à faire place à
l’altérité, la mise en présence de l’autre sur lequel on ne peut mettre la main, que cet autre
soit ou non avec une majuscule.
Quant à la liberté, Timothy Radcliffe, en soulignant que par rapport à une conception
moderne très limitante de la liberté, comme liberté d’indifférence, pour laquelle
éthiquement il y a le choix entre obéir à la loi, ou ne pas y obéir, soit pécher, il faut en
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revenir à la conception plus ancienne et thomiste, d’une liberté pour l’excellence, c’està-dire d’une liberté d’être et de grandir en tant qu’humain, ce qui rencontre, par un autre
biais, la question psychologique du développement personnel.
Par ailleurs, la liberté est toujours aussi une liberté située : Rik Torfs, recteur de la KUL,
a souligné combien développer un projet universitaire qui articule la recherche,
l’enseignement et le service à la société, impose un certain nombre de choix et du courage,
mais est aussi cadré par de multiples contingences et contraintes. Tout en même temps,
c’est aussi une expression de cette liberté que de donner sens aujourd’hui au fait qu’une
université trouve ses racines dans la tradition catholique, alors même que la majorité de
son corps professoral et de ses étudiants ne s’identifient plus directement à cette tradition.
Les limites de l’autonomie et de la liberté s’imposent dans les situations de grande
vulnérabilité et de fragilité quant à la santé, quand la dépendance est de plus en plus
grande et qu’il y a perte croissante de la maîtrise de sa propre vie. Walter Lesch souligne
qu’il y a alors appel à ce que le médecin respecte au maximum ce qui reste d’autonomie
de la part de la personne malade, c’est-à-dire sa capacité d’autodétermination pour une
vie sensée dans la condition qui est la sienne.
Les questions qui tournent autour de la fin de vie ne sont rencontrées de façon pleinement
humaine que si on n’en reste pas à la décision solitaire de la personne concernée, mais
qu’on fait place dans la délibération à tout le milieu relationnel, famille, proches, équipes
médicales, qui est celui de la personne : Ignace Berten et Sylvie Schoetens ont été
complémentaires à ce sujet. L’autonomie, oui, mais une autonomie relationnelle ; liberté,
oui, mais une liberté qui fait positivement place aux autres. Ni liberté et autonomie sans
limites, mais pas plus normes absolues, extérieures, hétéronomes, qui s’imposent
inconditionnellement.
La modernité nous a libérés ou a cherché à nous libérer de toute hétéronomie : des lois et
normes imposées au nom d’une autorité supérieure, celle de Dieu, celle du pouvoir
religieux, celle de l’État totalitaire. Dans une lecture attentive de Veritatis splendor,
l’encyclique de Jean-Paul II, Olivier Riaudel montre qu’elle comporte un glissement dans
l’affirmation de l’autonomie comme valeur : le texte oppose autonomie et théonomie. La
seule vraie liberté, selon le texte, est celle qui reconnaît la loi de Dieu, expression de sa
sagesse, loi qui ne peut être reconnue avec assurance que grâce à la révélation. Ne pas le
reconnaître expose la morale au relativisme et au subjectivisme, mais c’est confondre
autonomie et indépendance. Une telle théonomie est en fait une hétéronomie.
Différentes approches nous ont invités, explicitement ou implicitement, à penser
autrement la théonomie. Dieu n’est plus évident. Il ne s’impose pas, il se tient à distance
épistémique. Mais il s’offre. Selon John Hick, dit Philippe Cochinaux, la personne est
invitée à accomplir librement la volonté de Dieu dans l’amour : la théonomie lui est alors
offerte comme un don, et ce n’est qu’ainsi que la créature peut s’accomplir pleinement
dans la liberté. Mais on peut alors de demander quelle place une telle perspective peut
reconnaître à une position athée : l’athée ne peut-il accéder à une liberté vraie ?
S’appuyant en particulier sur Franz Böckle et Paul Tillich, qui élargitssent la perspective
d’une morale autonome développée par Albert Auer, Éric Gaziaux développe l’idée
d’autonomie théonome. La foi, et donc le rapport à Dieu, n’apporte pas de nouveau
contenu à l’éthique, et en ce sens il n’y a pas une éthique chrétienne matériellement
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différente d’une éthique séculière, mais la foi apporte une motivation, un éclairage, un
einspiration. Dans le cadre d’une autonomie relationnelle ne pourrait-on dire que la
dimension théonomique, en ce qu’elle implique une ouverture à la relation à Dieu, peut
apporter à l’éthique autonome, non d’autres contenus ou d’autres normes, mais des
accentuation : priorité du pauvre, pardon, miséricorde… ?
Quant à Jean-Marc Ferry, par rapport à ces questions fondamentales dans la société qui
portent sur la liberté et l’autonomie, sur leur portée et leurs limites, sur ce à quoi l’être
humain est lié, il nous a invités à repenser la position et l’apport de la religion au sein de
l’espace public lorsqu’il s’agit de rencontrer les problèmes fondamentaux de notre
société. La seule raison héritée des lumières ne suffit plus à rencontrer du point de vue
sociétal et politique les nouvelles questions éthiques. Ferry en appelle à une
reconnaissance de la raison religieuse ou des lumières de la religion. La dogmatique
chrétienne, en particulier, est porteuse de significations importantes sur l’être humain et
l’être humain en société. Il s’agit alors pour la foi de se montrer capable de rendre raison
de ce qu’elle croit, en sachant ne pas posséder la vérité, et en traduisant de manière
accessible à la raison, le sens humain dont elle est animée. Cela rejoint, me semble-t-il,
une intuition fondamentale d’Adolphe Gesché, dans sa série « Dieu pour penser » : il
serait étonnant, écrit-il, que ce mot qui a eu une telle importance dans l’histoire, ne dise
pas quelque chose d’important sur l’humain et sur l’expérience humaine. Le défi, pour la
théologie, dans son expression dans l’espace public et comme responsabilité sociétale, est
bien alors de dire dans l’aujourd’hui, de façon audible pour la raison séculière, ce plus
capable d’enrichir la compréhension des grands enjeux humains du présent. Une
théologie qui soit dans ce monde séculier, postséculier ou postmoderne, une parole
humaine qui, en parlant de Dieu et en nommant Dieu, dise quelque chose qui puisse être
reçu comme libérant par l’être humain aujourd’hui.
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