Séquence 05 - Afrique Espoir Bénin

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Séquence 5
Sociétés et cultures de l’Europe
médiévales, du XIe au XIIIe siècle
Sommaire
1. La chrétienté médiévale
2. Sociétés et cultures rurales
Séquence 5 – HG20
1
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La chrétienté
médiévale
L’Europe médiévale peut être perçue comme une notion géographique,
un espace visible sur une carte. Elle est cependant avant tout une réalité
sociale et culturelle avec l’affirmation de la chrétienté constituée par une
communauté de fidèles croyant en Jésus-Christ aussi appelée l’Église
avec un « É » majuscule. Les chrétiens qui sont au service de l’Église forment le clergé, les autres sont de simples laïcs (c’est-à-dire qu’ils ne font
pas partie du clergé).
L’adhésion des chrétiens à une même foi et à un même système de
valeurs permet non seulement un dépassement des divisions qui marquent cette Europe médiévale mais surtout une prise de conscience
d’appartenir à un ensemble régi par des règles communes, établies par
l’Église chrétienne. Cette Église réussit après une période de décadence
à s’affirmer comme un acteur majeur des transformations qui traversent
la société médiévale, tant sur le plan politique (affirmation face à l’Empereur et aux autres souverains de l’Europe), que sur le plan spirituel
(réforme et contrôle de la communauté des chrétiens).
À noter que pour les connaître, l’historien dispose de sources iconographiques qui souvent ornent des documents écrits destinés à un personnage important, dont les enluminures que nous utiliserons. Il travaille
également sur des textes (chartes, textes littéraires dont certains à caractère religieux) et à partir de monuments encore visibles dans le paysage
mais souvent remaniés aux époques suivantes.
L’histoire de cette période permet aussi, vous le verrez, d’éclairer bien
des aspects de notre société contemporaine et de travailler ainsi sur la
longue durée.
Pourquoi ces dates ? La séquence couvre une partie de la période médiévale qui s’étend dans sa totalité du Ve au XVe siècle. La période retenue :
XIe-XIIIe siècle se justifie par le fait qu’elle se trouve dans le cadre de
notre thème général « les Européens dans l’histoire du monde ». Les historiens évoquent alors un « éveil de l’Europe ».
Plus précisément le choix du XIe siècle comme début de notre étude peut
s’expliquer par le lancement d’une réforme engagée par le pape Grég
goire VII (réforme grégorienne). Celui-ci
Problématique
permet à l’Église de devenir une institup
tiion autonome par rapport aux États
cchrétiens et de rénover la vie morale du
Montrer la montée en puissance de
cclergé et au-delà celle des laïcs. La fin
a chrétienté dans l’Europe médiévale
du XIIIe siècle renvoie à l’émergence de
d
et décrire la manière dont les sociétés
ssignes d’affaiblissement de l’Église
occidentales s’y sont construites et
fa
ace aux monarchies notamment frandéveloppées.
ççaise et anglaise.
Définition
du thème
Séquence 5 – HG20
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Plan : traitement
de la problématique
Notions clés
Repères
A. Une église qui devient la principale puissance de la chrétienté
1. Une Église indépendante Chrétienté
de la tutelle des laïcs
Lire et analyser une carte
2. Réformer l’Église
Réforme
Lire et analyser une image (photographie-enluminure)
3. Réformer les laïcs
Ordres
B. Renouveau de la vie religieuse à partir du XIe siècle
L’abbaye de l’Épau
Mouvement cistercien
1. Contexte de l’édification Patrimoine et architecture relià l’échelle locale
gieuse : abbaye de l’Épau
2. Une inscription dans l’activité économique locale
Expliquer un texte
3. L’architecture au service
de la prière
Croiser des documents
Comprendre et exploiter une
image, un plan
C. Christianisation de la société : l’Église guide de la société
4
1. Une foi vécue
au quotidien
Christianisation
Expliquer un texte
2. Mettre de l’ordre :
exclure les hérétiques
Hérésie-Cathares-Albigeois
Lire et analyser une image
3. Mettre de l’ordre : chasser les non-chrétiens
Reconquista
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A
Une Église qui devient la principale
puissance de la chrétienté
L’Europe vers l’an mille
Document 1
Royaume
d’Écosse
Principauté de Kiev
Royaume
de
Danemark
Irlande
Royaume
Galles AngloAnglo
Saxons
Saxon
Royaume
de
Pologne
Royaume
de
Royaume
Germanie
Royaume
de
Hongrie
de
Royaume
de
Royaume
Bourgogne
d’Italie
France
R. de Castille
Royaume
de Léon
R. de
Navarre
Petchenégues
Croates
Serbes
Comté de
Barcelone
Rome
Constantinople
Bulgares
Califat
de Cordoue
Territoires musulmans
Autres territoires non chrétiens
(païens)
Questions
Orthodoxes
Empire byzantin
Catholiques romains
Royaumes ou autres territoires formant
le Saint Empire romain germanique
Quelles familles religieuses le monde chrétien européen renferme-t-
il au XIe siècle ?
Repérez et situez, en dehors de la chrétienté, l’autre influence reli-
gieuse présente sur le continent européen.
Réponses
Le monde chrétien européen comprend les catholiques romains et les
orthodoxes.
L’influence musulmane est présente dans une grande partie de la
péninsule ibérique ainsi qu’en Sicile.
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1. Une Église indépendante
de la tutelle des laïcs
Au XIe siècle la papauté prend la direction d’un mouvement de réformes
afin de permettre à l’Église d’acquérir son indépendance par rapport au
pouvoir qu’exercent sur elle les laïcs (on parle aussi de pouvoir temporel
pour désigner par exemple celui des rois, de l’Empereur du Saint Empire).
Un des plus célèbres réformateurs le pape Grégoire VII (1073-1085)
donne son nom à ce mouvement sous l’expression de réforme grégorienne. Le pape doit être désigné désormais non plus par un empereur
ou un roi mais élu par des cardinaux. Par ailleurs, l’Église souhaite
contrôler la désignation des évêques et des abbés. Une longue lutte
oppose alors la papauté aux souverains laïcs. Cette affirmation du pouvoir de l’Église de Rome a des conséquences. Le pape se dit chef de la
société chrétienne toute entière, ce qui va amener à une rupture en 1054
avec l’Église chrétienne d’Orient (voir empire byzantin du document 1)
Définitions
qui au contraire souhaite imposer ses propres règles
à l’ensemble de la chrétienté. C’est ce que l’on
Laïcs : ceux qui n’appartiennent
appelle le grand schisme.
pas au clergé.
Cardinal : principal conseiller et
collaborateur du pape, également
celui qui élit le pape. Seul le pape
peut désigner un nouveau cardinal.
Cardinal est un titre honorifique.
Évêque : homme d’église à la tête
du diocèse (circonscription, territoire, sous contrôle de l’Église).
Il est reconnaissable sur les gravures à une coiffe appelée mitre.
Abbé : chef d’une communauté
de moines (féminin abbesse).
Des résistances à la réforme grégorienne s’élèvent
contre l’action de la papauté, notamment de la part
des chefs laïcs qui souhaitent contrôler leur propre
clergé. Aussi des compromis sont-ils nécessaires
entre pouvoirs spirituel et temporel.
Par ailleurs l’objectif de la réforme est de faire du
pape celui qui se place au-dessus de tous les rois
ou empereur laïcs car ceux qui prient apparaissent
comme le premier ordre dans la société Ils sont l’intermédiaire entre Dieu et les hommes, devant ceux
qui combattent (seigneurs, chevaliers, les nobles
qui ont reçu de Dieu la valeur guerrière) puis ceux
qui travaillent. Cette division de la société médiévale
s’impose à partir du XIe siècle. Tous sont cependant
égaux devant Dieu.
Avant de poursuivre nous vous proposons de réviser ces trois ordres déjà
voir page suivante.
étudiés au collège avec le document 2.
Question
6
En vous aidant des costumes, des attitudes et des titres, repérez sur la photographie et l’enluminure, le personnage qui symbolise le premier, le
second, et le troisième ordre.
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Définition
Enluminure : miniature, bordure ou lettre peinte ornant
les manuscrits.
Document 2
Trois ordres dans la société médiévale
Sculpture de la cathédrale de
Reims, « Clerc donnant la communion à un chevalier ».
« Homme labourant son champ »,
enluminure extraite de l’ouvrage français
Miracles de Notre Dame, début du XIIIe siècle,
© The Granger Collection NYC/Rue des Archives.
Réponse
De gauche à droite, on voit un homme du clergé (premier ordre) donnant
la communion, puis un chevalier (second ordre) qui attend de recevoir la
communion, enfin sur l’enluminure un paysan au champ qui laboure
(troisième ordre).
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2. Réformer l’Église
Définitions
Clergé séculier : se dit du clergé
qui « vit dans le siècle » autrement dit qui vit au contact de
la population, dans le monde.
Le clergé régulier comprend les
moines soumis à une règle, qui
vivent en retrait du monde ou du
moins avec obligation de vivre
en communauté et astreints à
l’obéissance.
Nicolaïsme : référence biblique
au partisan des nicolaïtes identifiés comme une secte de fornicateurs.
Simonisme : référence à un
passage de la Bible où Simon
le Magicien offre de l’argent à
l’apôtre Pierre pour acquérir les
pouvoirs de l’Esprit saint.
Le mouvement de réforme entamé au XIe siècle par
les papes visent aussi directement l’Église où s’avèrent indispensables des changements tant sur le plan
moral que sur le plan disciplinaire.
Il est nécessaire de pallier les insuffisances du clergé
séculierr dont certains membres pratiquent une foi
grossière entachée par le non respect, par les prêtres,
du principe de célibat : ainsi certains se marient ou
du moins vivent en concubinage (nicolaïsme)
e ou
encore se livrent au trafic des choses saintes contre
de l’argent (simonisme).
e Par exemple, pour obtenir un
évêché des candidats offrent de l’argent à un prince.
Souvent ce trafic est justifié par l’intérêt du candidat
à posséder des terres ou autres revenus (le temporel)
qui sont attachés à la charge d’évêque (le spirituel).
Mais attention tous les hommes d’Église ne sont pas
indignes. De plus le dynamisme monastique (multiplication des monastères) étudié dans le point B accompagne la christianisation de l’Europe et la réforme de
l’Église.
3. Réformer les laïcs
Nous vous proposons deux axes de réflexion pour comprendre comment
l’Église entend jouer un rôle influent dans la société.
Les femmes et l’Église. Elles connaissent un affaiblissement de leur
situation dans cette division de la société en trois ordres. Le premier
ordre, qui prie, exclut les femmes puisqu’elles ne peuvent dire la
messe. Elles doivent en tout cas « se taire dans les églises ». De plus
les clercs attribuent aux femmes une image souvent négative associée au mal et au péché. Par ailleurs les femmes de l’aristocratie ne
peuvent ni combattre ni travailler et semblent destinées au moins en
théorie seulement au rôle d’épouse et de mère.
Faire régner la paix. Au XIe siècle, un chef, qu’il soit laïc (comte, prince…)
ou membre du clergé (évêque, abbé) peut compter sur sa propre armée
de vassaux, équipés pour la guerre et disposant d’un cheval. En cas
de conflit ces armées se livrent souvent des combats meurtriers, au
détriment des populations désarmées notamment paysanne, qui terrorisées, voient leurs champs dévastés et leurs récoltes volées.
Pour contrôler ces débordements et ces violations des droits, des
évêques rédigent des serments invitant ceux qui les prêtent à rejeter ces comportements violents et organisent des conciles de paix
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réunis avec le soutien de leurs princes. Durant la première moitié du
XIe siècle, on les appelle « paix de Dieu » puis vers 1040 « trêves de
Dieu1 ». Nous vous proposons l’étude d’un serment de paix pour en
comprendre l’esprit et la forme.
Document 3
Serment établi par l’évêque de Beauvais, Guérin (1023-1025) –extraits
Ce serment est prêté par les chevaliers2 devant Dieu en présence d’une
assistance souvent nombreuse.
Je n’envahirai une église d’aucune façon. […] Je n’attaquerai pas le clerc
ou le moine s’ils ne portent pas les armes du monde […]. Je ne prendrai
pas le bœuf, la vache, le porc, le mouton […]. Je ne saisirai pas le vilain3
ou la vilaine, les sergents et les marchands ; je ne prendrai pas leurs
deniers ; je ne les contraindrai pas à la rançon ; je ne les ruinerai pas,
en prenant leur avoir sous prétexte de la guerre de leur seigneur. Je n’incendierai ni n’abattrai de maisons, à moins que je n’y trouve un chevalier
mon ennemi […]. Je ne détruirai pas de moulin, je ne déroberai pas le blé
qui s’y trouve sauf quand je serai en chevauchée ou à l’ostt4, et si c’est sur
ma propre terre. Je n’attaquerai pas les femmes nobles […]. J’observerai
la même attitude envers les veuves et les moniales. J’excepte les terres
qui sont de mon alleu5 et mon fieff6 […]. J’en excepte encore les cas où
je serai à l’armée du roi ou de nos évêques. Depuis le Carême jusqu’à
Pâques, je n’attaquerai pas le chevalier désarmé […].
Cité dans L’An Mil, Duby Georges, Julliard,
Coll. Archives, Paris, 1967, pp. 171-173.
Questions
Qui établit le serment ?
Qui prête serment dans le texte ?
Relevez les interdits qui concernent les personnes, ceux qui concer-
nent les biens.
À quoi voit-on que le serment a été négocié par l’évêque avec celui qui
s’engage à le prêter ?
Quel est l’objectif de ce type de serment dans le cadre de la société
médiévale ?
1. Elle interdit de faire la guerre du mercredi soir au lundi matin.
2. Homme d’armes, soldat à cheval. Il est progressivement intégré à la noblesse.
3. Ici, un paysan libre.
4. Une forme de service militaire dû par le vassal à son seigneur.
5. Terre sans seigneur.
6. Terre ou tenure donnée par un seigneur à son vassal.
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Réponses
C’est l’évêque de Beauvais, Guérin qui établit le serment de paix.
Celui qui prête ce serment est un homme d’armes, un homme qui se
bat, un chevalier.
Interdits concernant les personnes
Envahir une église.
Attaquer un homme ou une femme d’église
sans défense, un vilain, un sergent,
un marchand, une femme noble, une veuve,
un chevalier, selon le calendrier religieux.
Interdits concernant
les biens
Voler du bétail, voler de
l’argent, rançonner les
biens, incendier des biens,
détruire un moulin, voler
les récoltes.
On voit que le serment a été négocié par l’évêque avec celui qui s’en-
gage à le prêter grâce aux exceptions suivantes :
• droit d’attaquer un homme d’église si lui-même est armé ;
• droit de détruire récoltes et moulins en cas de guerre ou de manœuvre
militaire (ost) ou si le conflit se déroule sur les terres de celui qui
prête serment.
Cas particulier prévu : siège d’un château, service dans l’armée du roi
ou de l’évêque.
L’objectif de ce serment pour l’Église, est de rétablir dans la société
médiévale un minimum d’ordre, de sécurité et d’harmonie face au climat de violence qui s’y est instauré.
Dénoncer les vices, valoriser les vertus :
Le climat de violence évoqué dans le serment étudié ci-dessus nourrit
chez certains contemporains la sensation de vivre dans une époque qui
annonçait une fin des temps. Ce sentiment peut être associé aussi au
passage de l’an mille mais cette théorie est aujourd’hui contestée. En
tout cas, crainte ou pas de l’an mille, certains aspirent à se retirer de la
société dans des communautés religieuses.
B
Renouveau de la vie religieuse
à partir du XIe siècle
Le renouveau de la vie religieuse s’organise sous l’influence de quelques
grandes abbayes dont celle de Clunyy fondée au Xe siècle et qui, avec
d’autres monastères dits alors clunisiens forment un réseau s’étendant,
fin XIe siècle, de l’Angleterre à la Lombardie, de l’Espagne à la Hongrie.
Les clunisiens ou moines noirs (couleur de leur robe) appliquent la règle
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de Saint Benoît dite bénédictine édictée au VIe siècle. Les moines doivent vivre à l’écart des autres hommes, dans la pauvreté, partager leur
emploi du temps entre la prière, la lecture de la Bible, le travail manuel.
Cependant la lecture de la règle bénédictine par Cluny qui pratique peu
le travail manuel et bénéficie d’un enrichissement rapide par les dons
des fidèles, ne convient pas à tous ceux qui souhaitent vouer leur vie au
service de Dieu. Ainsi des communautés vont se créer qui envisagent une
application plus stricte de cette règle en insistant notamment sur l’obligation de pauvreté. D’autres veulent privilégier l’isolement du monde
soit seuls, comme les ermites, soit en groupe comme les chartreux qui
s’installèrent dans les Préalpes. Chaque chartreux
x vivait dans sa cabane
et ne se retrouvait avec les autres que le dimanche. On assista encore
à l’éclosion de communautés de moines-soldats comme les templiers,
des hommes de guerre qui décidèrent de continuer à combattre mais
pour une cause sacrée.
Le développement d’une nouvelle abbaye fondée à Citeauxx en 1098
et se réclamant aussi de la règle de Saint Benoît répondit à d’autres
attentes en proposant un mode de vie basé sur une extrême pauvreté
qui devait se vivre au quotidien, un travail manuel et intellectuel intense,
l’obligation de s’isoler du monde (d’où le choix de
Définitions
sites occupés par des forêts) enfin, de pratiquer la
charité. De là naquit l’ordre cistercien dynamisé par
Règle : ensemble des principes
l’activité de Bernard de Fontaine (Saint Bernard). Vers
réglementant la vie des moines
1300, les cisterciens (ou moines blancs, de leur robe
d’un monastère.
de laine non teinte) comptaient plus de 650 abbayes
d’hommes et de femmes. Elles se distinguent par leur
Ordre : société de personnes
architecture qui, d’une part recherche la simplicité,
liées par des vœux et obéissant
d’autre
part la clarté apportée par la lumière naturelle
à une règle.
diffusée par de grandes verrières.
Pour appréhender la vie d’une abbaye cistercienne nous vous proposons
de travailler à partir de l’exemple de l’abbaye de l’Épau fondée en 1229
près du Mans dans le Maine. C’est une des dernières implantations cisterciennes en France (voir doc. 4).
1. Contexte de l’édification à l’échelle locale
L’abbaye de l’Épau s’implante dans un diocèse déjà doté de huit
abbayes cisterciennes à l’exemple de celles de Perseigne, de Clermont ou encore de Bellebranche. Elle est la dernière de cet ordre à y
être construite.
Des acteurs laïcs et du clergé engagés dans cette construction.
Le rôle principal revient à la reine Bérengère. Veuve du roi d’Angleterre Richard Cœur de Lion, elle n’a pas eu le temps de lui donner
un héritier, aussi est-elle écartée du pouvoir. Elle obtient cependant
des terres dans la région de la ville du Mans : le Maine. Elle s’y ins-
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talle en 1204 à l’âge de 34 ans. Elle souhaite associer son nom à
une abbaye cistercienne qui lui survivra, mais aussi manifester sa
foi et obtenir ainsi le rachat de ses péchés grâce aux prières des
moines (les moines s’engagent à prier pour le salut du donateur).
Elle choisit un lieu nommé l’Épau qu’elle tient du roi Louis IX. Elle
y est enterrée dans la salle capitulaire car à sa mort l’abbatiale ou
l’église n’est pas terminée.
Un appui dans la région : un cistercien nommé Adam de Perseigne.
Des « inspecteurs » abbés, membres de l’ordre des cisterciens,
chargés d’évaluer la validité ou non du projet de fondation à partir
de critères propres à la règle bénédictine et liés à la survie économique de l’abbaye :
• isolement du site (souvent dans un espace boisé, une forêt qui
permet la solitude et un mode de vie austère) ;
• à proximité d’une source d’eau ;
• bien doté en terres pour faire vivre l’abbaye.
Des donateurs ou vendeurs qui vont céder des biens à la future
abbaye dont Gaudin de Pruillé, Barthélémy de Juillé, Hugues de la
Ferté-Bernard, Agnès de Beaumont. Le plus prestigieux étant le roi
Louis IX cité plus haut.
Un abbé Jean (chef du futur monastère) et des moines qui vont occuper l’abbaye. Ils lancent le chantier en 1230.
2. Une inscription dans l’activité
économique locale
Fonder une abbaye nécessite également de la doter en biens, autrement
dit d’y associer des terres, des revenus pour sa survie.
Méthode
Document 4
Nous vous proposons de travailler sur l’exercice qui consiste à « croiser
des documents ». Vous allez répondre à des questions en étudiant de
manière complémentaire deux documents : un texte (doc. 4) et un plan
du domaine de l’Épau (doc. 5).
Extraits de la charte originale de donation de l’Épau
Bérengère, reine d’Angleterre, donne en perpétuelle aumône à l’abbé
et au couvent de l’Épau : […] une métairie sise près de l’Épau qu’elle a
achetée pour 100 livres tournois de Julienne, veuve de Lambert Taillandier, et de Hugues son mari, avec l’accord des enfants des dits Lambert
et Julienne, avec toutes ses dépendances en terres, prés, pacages7, bois,
oseraies, et eaux, et spécialement celles qui se trouvent à l’Huisne […]
7. Terrain où l’on fait paître le bétail.
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pour cent livres tournois8. De même nous avons librement acheté, loyalement et intégralement payé, et possédons en toute paix de Bienvenue le
« Espallone » […] toute la tenure9 qu’ont occupée Jean Epaulier et Eremburge son épouse, à l’Épau et partout ailleurs en terres, près, pacages,
bois et maisons […] pour quarante livres tournois [ainsi que] les deux
tiers de la dîme10 du vin de Saint-Jean des Échelles.
Archives départementales de la Sarthe - liasse H 833
Document 5
Le domaine de l’Épau
Marolles
Ponthouin
St Denisdes-Coudrais
Beaufay
La Bosse
La FertéBernard
Torcé
Boessé-le-Sec
Mézière
Sillé le
Philippe
Neuvillesur-Sarthe Sargé
Savigné
L'Huisne
St Saturnin
L'ÉPAU
Le Mans
Changé
Ardenay
St Jean-des-Échelles
Lombron
St Michel-de-Chavaignes
Parigné
La
Ruaudin
Brette
Sa
rth
10 km
e
Dîme
Autres biens fonciers
(selon importance)
1 exploitation
Requeil
Mansigné
3 exploitations
Ponvallain
6 exploitations
Questions
Repérez et décrivez le site de l’abbaye de l’Épau choisi par Bérengère.
Décrivez les domaines associés à l’abbaye.
En vous aidant également du cours (B/1. rôle des inspecteurs) véri-
fiez si tous les critères exigés pour la fondation d’une abbaye sont
respectés.
8. Monnaie.
9. Terre dépendant d’un seigneur, occupée et cultivée par des tenanciers, ici Jean Epaulier et Eremburge.
10. Du latin, décima, la dixième partie : redevance versée en nature à l’abbaye (récoltes ou bétail).
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Réponses
Ici le choix de Bérengère se porte sur un domaine près de la rivière de
l’Huisne et proche du Mans nommé l’Épau.
Les domaines associés à l’abbaye comprennent : une métairie avec
des terres (cultures), des prés (herbages), des pacages, des bois, des
oseraies, et des ressources en eau dont la rivière l’Huisne et enfin des
maisons. Au total le domaine compte près d’une quinzaine d’exploitations qui s’étendent du nord au sud depuis Marolles jusqu’à Pontvallain. Sont associés des biens fonciers (une trentaine) et des revenus
en argent : les dîmes. L’essentiel des biens se concentrent dans un
rayon de 12 km autour de l’Épau.
La majorité des critères sont respectés : présence de ressources en
eau et en bois et de terres agricoles mais l’abbaye est relativement
proche de la ville du Mans.
3. L’architecture au service de la prière
Méthode
Document 6
Nous vous proposons de travailler à nouveau sur un exercice qui consiste
à « croiser des documents » : vous allez répondre à des questions en étudiant de manière complémentaire deux documents, une photo et un plan.
Observez la photographie aérienne de l’abbaye et le plan ci-dessous.
Vue aérienne de l’abbaye de l’Épau
© Benoît Marembert.
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Document 7
Questions
Le plan de l’abbaye de l’Épau
Coloriez sur le plan et entourez sur la photo avec plusieurs couleurs,
les différentes parties à identifier :
• en jaune, l’église ou abbatiale ;
• en rouge, la sacristie, la salle capitulaire, le scriptorium ;
• en orange, le chauffoir, le réfectoire et la cuisine (ne reste que des
vestiges de l’époque médiévale) ;
• en vert, l’ancien emplacement du cloître aujourd’hui disparu.
Fonctions attachées aux différentes parties de l’abbaye : en vous
aidant de la liste ci-dessous, placez l’espace qui correspond.
Fonction
Espace dédié
Célébration de l’office divin et prière
Méditation dans un cadre de verdure
Repos en commun, sur une paillasse à terre, un escalier le relie
directement à l’église par la porte des matines (office de nuit).
Préparation et partage d’une nourriture simple et frugale
Lecture de chapitres de la règle de Saint Benoît
Travaux d’écriture l’hiver au chaud (cheminée), quand l’encre peut
geler
Copie des manuscrits, réalisation d’enluminures
Entrepôt des objets du culte
cuisine et réfectoire – dortoir – Église ou abbatiale – sacristie – scriptorium –
salle du chapitre ou salle capitulaire – cloître – chauffoir
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Réponses
L’ H u i s n e
Église
Cuisine
Réfectoire
Chauffoir
Cloître
Scriptorium, salle capitulaire, sacristie
© Benoît Marembert.
jaune
rouge
orange
vert
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Fonctions attachées aux différentes parties de l’abbaye :
Fonction
Espace dédié
Célébration de l’office divin et prière
église ou abbatiale
Méditation dans un cadre de verdure
cloître
Repos en commun, sur une paillasse à terre, un escalier le relie directement dortoir
à l’église par la porte des matines.
Préparation et partage d’une nourriture simple et frugale
cuisine et réfectoire
Lecture de chapitres de la règle de Saint-Benoît, prière pour les morts, auto- salle du chapitre ou
accusation des moines délinquants
salle capitulaire
Travaux d’écriture au chaud l’hiver quand l’encre peut geler
chauffoir
Copie des manuscrits
scriptorium
Entrepôt des objets du culte
sacristie
N.B.
Le dortoir des moines n’apparaît pas sur ce plan qui ne comprend que
le rez-de-chaussée, il est au-dessus de la partie scriptorium, salle capitulaire, sacristie, on y accède depuis l’église par un escalier. En effet les
moines prient le jour et la nuit et peuvent ainsi se rendre directement
dans l’abbatiale, comme nous le rappelle la règle de Saint Benoît concernant l’office des Vigiles : « De novembre jusqu’à Pâques, on se lèvera à
la huitième heure de la nuit ». Pour un coucher vers 18h45, cela correspond à un réveil en pleine nuit pour prier.
Certains moines rencontraient semble-t-il des difficultés et oubliaient de
se réveiller. C’est une faute qu’ils devaient confesser lors des réunions
du chapitre.
Au fait et pour prolonger notre « concordance des temps » entre hier et
aujourd’hui, que vous évoque le mot vigile ?
• C’est celui qui est chargé de veiller sur, par exemple, une entreprise la
nuit. Comme le moine il doit se tenir éveillé.
• Connaissez-vous l’expression avoir voix au chapitre ? Si on a voix au
cchapitre, on a le droit de prendre
Pour aller plus loin…
la
a parole dans une discussion au
même titre que certains moines qui
m
Sur le site en ligne du Cned, vous pourrez
bénéficiaient de ce droit dans la
b
consulter :
ssalle du chapitre ou salle capitulaire.
• un dossier concernant l’abbaye de l’Épau ;
• un travail comparatif des chevets de l’abbatiale de l’Épau et de celui de la cathédrale du Mans
érigé au XIIIe siècle ;
• l’abbaye de Fontenay en Bourgogne présente encore
aujourd’hui un plan plus élaboré avec une forge, une
boulangerie, un colombier. Vous pouvez ainsi visiter le site qui lui est dédié : tapez sur un moteur de
recherche « Fontenay + abbaye ».
Séquence 5 – HG20
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C
Christianisation sociale : l’Église
guide de la société
La christianisation de la société, c’est-à-dire la diffusion de la foi chrétienne dans l’Occident médiéval, se réalise aux dépens d’autres religions. Au sud, l’avance se fait aux dépens de l’Islam et de l’Église byzantine (voir doc. 1 pour localisation). Cette évangélisation, ou diffusion de
la parole du Christ, est parfois violente comme nous allons le voir. Par
ailleurs le paganisme désignant pour un chrétien un culte qui honore
plusieurs dieux (polythéiste), persiste au nord-est de l’Europe. Cependant la religion chrétienne rencontre du succès auprès des populations
en s’appuyant parfois sur la violence mais aussi sur la persuasion, en
jouant sur la magnificence du culte chrétien et en apportant l’espérance
d’obtenir une vie éternelle après la mort. Mais pour cela le chrétien doit
au long de sa vie faire preuve de sa foi.
1. Une foi vécue au quotidien
Culte des saints et des reliques
On assiste à un essor du culte des saints et des reliques notamment à travers le pèlerinage qui tient une place très importante dans la vie du chrétien du Moyen Âge. Il s’agit de déplacements que le pèlerin effectue vers
un lieu saint pour prier et honorer en particulier des reliques à savoir des
objets ayant appartenu à un saint ou ses restes corporels (ossements),
auxquels on attribuait un pouvoir surnaturel ou miraculeux (exemple guérison d’une maladie, d’une paralysie). Ces restes sont conservés dans une
châsse. L’Église accorda une grande importance au culte des saints et
reliques en élevant de nouveaux sanctuaires. Après Rome et Jérusalem, au
XIe siècle, un troisième culte attire les chrétiens de toute l’Europe : celui
de Santiago de Compostela – Saint-Jacques-de Compostelle au nord de
l’Espagne en Galice. Tout au long des « chemins de Saint-Jacques » vers le
lieu de dévotion, se créent des centres d’accueil.
Pour prolonger notre « concordance des temps », vous pouvez vous amuser en voyage à rechercher le symbole en forme de coquille Saint-Jacques
visible sur les voies de communication ou les monuments et qui indique
aux nombreux marcheurs contemporains, croyants ou non, la route à
suivre vers Saint-Jacques. Plusieurs chemins permettent de s’y rendre.
Ces marques de dévotion non seulement affirmaient la foi du chrétien
mais elles pouvaient être aussi une protection contre le diable omniprésent dans la vie du chrétien au Moyen-Âge. Dans ce cas quand on peut « il
est préférable de s’adresser au bon Dieu plutôt qu’à ses saints » (expression passée dans le langage courant et qui indique qu’il est préférable de
s’adresser au plus haut responsable plutôt qu’à ses subalternes).
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Document 8
Le diable contre Dieu en Bretagne –1198
À cette époque, au fin fond de l’Armorique11…, un démon s’introduisit
dans le corps d’un chevalier pendant qu’il prenait place à la table d’un
banquet et, lui imprimant des secousses violentes, parla ouvertement
par sa bouche aux hommes présents. Mais lorsque le prêtre qui avait
été appelé parvint à cette maison, dès qu’il entra, le démon poussa de
grands cris en disant que le livre que ce prêtre tenait en son sein était son
plus grand tourment. C’était le livre des exorcismes12. Finalement, ayant
été exorcisé, il se retira quelques jours après.
Guillaume le Breton, Gesta Philippi Augusti, éd. Duchesne,
Recueil des Historiens des Gaules, t. V, cité par J.-Ch. Cassard,
« Un possédé du démon et deux spectres en Léon en 1198 », dans Mémoires de
la société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, t. 59, 1982.
Questions
Comment le diable manifeste-t-il sa présence lors du banquet ?
Qui est en mesure de délivrer la victime ?
Quel message le texte souhaite-t-il faire passer auprès de la popula-
tion ?
Hors de toute intervention diabolique, comment peut-on interpréter
l’attitude de la victime ? (Hors document- question subsidiaire).
Réponses
Le diable manifeste sa présence lors du banquet en entrant dans le
corps d’un chevalier. Il le soumet alors à de violentes secousses et le
fait parler.
Un prêtre qui représente Dieu sur terre, avec le livre des exorcismes
et sans doute en faisant le signe de la croix, chasse le diable du corps
du chevalier.
C’est l’homme d’Église qui l’emporte sur le diable, c’est la victoire du
bien sur le mal. Le texte met en évidence la toute puissance de Dieu et
de son clergé qui protègent et sauvent les hommes qui les implorent.
Le surnaturel est accepté.
De manière plus rationnelle, on peut supposer que le chevalier est
victime d’une crise d’épilepsie.
11. Bretagne.
12. Ensemble de gestes, de rites par lesquels un prêtre chasse le diable.
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2. Mettre de l’ordre :
exclure les hérétiques
Un exemple de christianisation : la lutte contre les Albigeois.
Contexte : face à la volonté de l’Église, au début du XIe siècle, de christianiser en profondeur les fidèles et par conséquent de renforcer le
poids des normes à suivre, mais aussi face au scandale provoqué par
la richesse affichée de l’Église, se multiplient des actes de déviance ou
encore d’hérésie.
Le catharisme : une des hérésies les plus marquantes.
Ce dernier reconnaît deux dieux : un bon et un mauvais. La création des choses visibles, matérielles,
Hérésie : choix d’une croyance
charnelles est l’œuvre du mauvais dieu ce qui contreet d’une doctrine religieuses en
dit
la Bible qui fait de Dieu le créateur en sept jours de
désaccord avec les dogmes et
tout
ce qui vit sur terre. De même il existe pour les
règles de l’Église catholique.
cathares, deux églises : la leur, celle de Jésus-Christ
qui est bonne, et l’Église romaine qui est mauvaise.
Le catharisme s’est diffusé au XIIe siècle dans le sud-ouest de la France
et en Italie du Nord.
Définition
Face à l’ampleur du phénomène, le pape Innocent III (1198-1216)
décida de lancer une lutte armée contre ce mouvement par la voie de la
croisade. Pour cela il s’appuya sur des barons du Nord de la France, dont
Simon de Montfort. On parle aussi de croisade des Albigeois, du nom de
la ville d’Albi qui accueillit un grand nombre de cathares. De très nombreux massacres furent perpétrés à Béziers, Carcassonne et Toulouse de
1209 à 1212 telles que les mises à mort sur les bûchers. Mais l’Église put
aussi compter sur des hommes comme Saint Dominique (1175-1221),
qui intégra l’ordre cistercien puis fonda l’ordre qui porte son nom : celui
des dominicains. Choqué par le mouvement cathare, il décida de suivre
la croisade contre les Albigeois. Son objectif était de tenter d’obtenir leur
conversion en engageant des débats contradictoires ou disputes avec
ces derniers. Ces débats étaient animés par des arbitres chargés d’évaluer qui des deux parties, celle des cathares ou celle de l’Église romaine,
l’emportait par la qualité de son raisonnement.
Nous vous proposons maintenant d’étudier deux documents sources, un
récit traduit et une enluminure, afin de mieux comprendre les méthodes
employées par l’Église romaine pour venir à bout de l’hérésie cathare.
Document 9
La croisade contre les Albigeois
Une
célèbre dispute
Il arriva qu’un jour on institua à Fanjeaux13 une célèbre dispute […]. La
plupart des défenseurs de la foi avaient entre-temps rédigé des mémoi13. Fanjeaux se situe sur les contreforts des Pyrénées, face à la Montagne Noire, à une trentaine de kilomètres de
Carcassonne.
20
Séquence 5 – HG20
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res dans lesquels ils avaient couché leurs arguments […]. Le mémoire
du bienheureux Dominique fut plus apprécié que les autres et l’assemblée l’approuva pour qu’on le présentât, en même temps que le mémoire
rédigé par les hérétiques [cathares], aux trois arbitres […]. Les arbitres
ne parvinrent pas à se mettre d’accord en faveur de l’une des parties, en
dépit d’une longue discussion verbale. Il leur vint alors à l’esprit l’idée
de jeter les deux mémoires dans les flammes : si l’un d’entre eux n’était
pas consumé, c’est qu’indubitablement il contenait la vérité de foi. […]
Le livre des hérétiques se consume aussitôt. Mais l’autre, qu’avait écrit
l’homme de Dieu Dominique, non seulement demeure intact, mais saute
au loin sortant des flammes en présence de tous.
Jourdain de Saxe, dominicain, Libellus sur les origines de l’ordre des
Prêcheurs, édité Marie-Humbert Vicaire dans « Saint Dominique et ses
frères. Évangile ou croisade ? Textes du XIIIe siècle » présentés et annotés
par M.-H. Vicaire, Paris, Éd. du Cerf, 1967.
Document 10
N.B. :
Les Grandes
chroniques
de France
forment une
des premières
histoires des
rois de France.
Expulsion
des Albigeois cathares de Carcassonne (1209)
Boucicaut Master. © British Library Board. All Rights Reserved/BridgemanGiraudon. Enluminure extraite des Grandes Chroniques de France (XIVe siècle).
Séquence 5 – HG20
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Questions
Après avoir indiqué le sujet commun aux deux documents, présentez
les deux événements évoqués.
Décrivez les acteurs impliqués en vous aidant, pour l’enluminure, des
attitudes et vêtements, pour le texte 4 du cours qui précède.
Comparez et expliquez les deux modes d’action employés par l’Église
pour chasser l’hérésie cathare.
Réponses
Les deux documents relatent la croisade menée par l’Église contre les
Albigeois ou cathares. Ceux-ci sont dénoncés comme hérétiques
parce que pratiquant une foi différente et en lutte contre l’Église
romaine. Cette dernière décide alors aux XIIe-XIIIe siècles de mettre fin
à ce mouvement par une croisade. L’enluminure présente une scène
qui se déroule dans la cité fortifiée de Carcassonne dont on distingue
des maisons derrière une muraille flanquée de tours. Trois chevaliers
en armure expulsent devant eux, hors des murs de Carcassonne, un
groupe d’hommes et de femmes en partie ou totalement déshabillés.
Le texte du XIIIe siècle, tiré du récit du dominicain Jourdain de Saxe,
relate un épisode de la vie de Saint Dominique, représentant de
l’Église romaine, venu débattre à Fanjeaux, à une trentaine de km de
Carcassonne, avec des cathares, sur les différends qui les opposent.
Sur l’image, parmi les acteurs, on peut identifier deux groupes : d’une
part le groupe des chevaliers en armure qui, grâce au titre du document, nous permet de dire qu’ils sont au service de la croisade menée
par l’Église. D’autre part le groupe des hommes et des femmes dénudés s’apparente à des vaincus donc ici aux Albigeois chassés hors de
la cité. Ils ont peut-être été dénudés dans le but de les humilier avant
même qu’ils ne soient sans doute mis à mort sur le bûcher. Dans le
texte apparaissent les défenseurs des deux parties adverses qui ont
rédigé un mémoire destiné à défendre chacun leur position. Parmi
eux, on indique la présence de Saint Dominique. Des arbitres sont
présents pour départager les deux camps. On évoque une assemblée
qui peut indiquer la présence d’un public.
L’Église romaine, pour éradiquer
l’hérésie qui la met en péril, a
recours à deux procédés très différents : des moyens violents d’une
part allant jusqu’à la mort des hérétiques, d’autre part la discussion,
le débat contradictoire comme à Fanjeaux. Mais malgré le talent qu’on
reconnaît à Dominique, le texte évoque l’intervention du surnaturel,
d’un miracle, donc l’intercession directe de Dieu. Ainsi est mise en
évidence la supériorité de l’argumentation de Dominique qui a raison
parce qu’il défend la « vrai foi ».
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Séquence 5 – HG20
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Définition
Inquisition : procédure qui mit
sur pied des tribunaux chargés
de poursuivre les hérétiques.
Pourtant le miracle ne suffit pas à diffuser la foi chrétienne en Europe et les progrès de cette hérésie trouvèrent comme réponse, dans la première moitié du
XIIIe siècle, l’institution de l’Inquisition. Cependant,
à Albi, cette forme de répression n’a touché que très
peu de victimes (entre 0,2 et 0,3 % de la population).
3. Mettre de l’ordre :
chasser les non-chrétiens
Cette lutte menée contre les hérétiques est également le reflet de la diminution de l’esprit de tolérance à l’égard de ceux qui ne suivent pas les
enseignements de l’Église. On le constate envers les juifs et les musulmans. On le note en Espagne où durant huit siècles avaient cohabité
musulmans, chrétiens et juifs. Le mouvement de la Reconquista ou
reconquête de l’Espagne musulmane par les chrétiens du XIe au XVe
siècle met un terme à cette situation. La Reconquista est cependant
aussi une affaire de conquête militaire, de peuplement et colonisation
de nouvelles terres par des paysans devenus alors soldats. Elle permet
à un des chevaliers les plus célèbres de cette période, le Cid, vers 1090,
de se tailler une image de héros mais aussi de s’enrichir par le pillage,
après être passé un temps au service d’un roi musulman.
Séquence 5 – HG20
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2
Introduction
Sociétés et cultures
rurales
Encore au XVe siècle neuf hommes sur dix n’ont connu que la vie des campagnes. La communauté paysanne est la base de la société médiévale,
à la fois économique (production alimentaire) sociale (relations entre le
seigneur et les paysans, vie communautaire). La plus grande partie de la
population connaît comme occupation principale le travail de la terre. On
comprend alors qu’aucun document iconographique ou littéraire comme
ceux que nous étudierons dans ce cours et qui expriment la vision que les
contemporains ont du paysan, n’est originaire des paysans eux-mêmes.
Ce sont ceux qui les dominent qui maîtrisent ces moyens d’expression.
Par conséquent, ils peuvent être amenés à mal comprendre voire à
condamner ce qu’ils voient de la communauté paysanne. Ce groupe de
dominants qui accueille le seigneur (laïc ou clerc)qui est le propriétaire
du château, est en mesure de contrôler la communauté paysanne.
Problématique
Comprendre dans l’Occident du XIe - XIIIesiècle, les formes d’organisation et de hiérarchisation de la société médiévale.
Plan : traitement
de la problématique
Notions clés
A
Au-delà
de ce premier niveau d’organisation de la société, nous
g
vverrons également comment, au
travers de la féodalité, des liens
d’homme à homme se créent, qui
d
aboutissent à une hiérarchisation
a
de la société médiévale, dont le roi
d
ssait tirer bénéfice.
Repères
A. La vie des communautés paysannes
1. Le regroupement
des hommes
Village-cimetière, église,
château
Lire, comprendre et analyser
une image.
2. L’économie agraire
Aménagements agraires
Passer du texte au schéma.
3. Des rapports sociaux
marqués par la dépendance
Pratiques sociales
Seigneur et communauté
paysanne
Expliquer un texte.
B. La féodalité : réalités, imaginaires et symboliques
24
1. Des liens d’homme
à homme dans une
société hiérarchisée
Pouvoir-domination-Dépendance
Étudier un ensemble documentaire.
2. L’amour courtois :
le fin’amor dans
la société médiévale
Relation homme/femme
Comprendre un document
source.
Séquence 5 – HG20
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A
La vie des communautés
paysannes
1. Le regroupement des hommes
Un terme clé pour l’histoire des communautés paysannes au XIe siècle
est le village vu comme un mode d’habitat groupé, un noyau de peuplement et d’organisation d’un terroir structuré autour de trois éléments : le
cimetière, l’église, le château. Cependant, pour l’historien, il est important de noter qu’il existe préalablement d’autres formes d’habitat qui s’en
rapprochent. Par ailleurs les formes d’habitat varient beaucoup d’une
région à une autre ou encore entre nord et sud de l’Europe. Pour autant le
cadre de vie villageois prend de l’essor en Europe dans notre période. Cet
espace est un lieu de vie, de mort, de travail mais aussi de fête.
Ces villages se développent aux dépens de la forêt c’est-à-dire d’un
espace non cultivé, couverts d’arbres et qui s’étend sur une grande partie
de l’Europe. Le défrichement s’accélère aux XIe et XIIe siècles. Mais attention la forêt reste une source de richesse essentielle (chasse-cueillettepêche-exploitation du bois-pacage des animaux domestiques).
Les cadres de la vie quotidienne
Il faut en premier lieu citer le cimetière et l’église, au cœur de l’espace villageois tandis qu’au delà s’étendent les terres cultivées, puis le domaine
inculte souvent occupé par la forêt. Plus l’espace est distant de ces bâtiments et plus il est perçu comme dangereux bien qu’indispensable à la
vie de la communauté paysanne.
L’édification en premier du cimetière et surtout de l’église montre que
les paysans sont encadrés par l’église dans le cadre des paroisses.
Document 11
Les outils pour comprendre la scène où se confondent deux histoires :
Histoire n° 1 : un homme qui se rend à l’église pour réciter une prière
pour les morts après avoir traversé le cimetière, clos par un muret, est
attaqué par des hommes en armes. Les morts sortent des tombes pour
défendre leur bienfaiteur .
Histoire n° 2 : un mort explique à un couple d’amis couché qu’il s’était
approprié illégalement un manteau. Maintenant qu’il est mort, ce manteau l’écrase de tout son poids.
Séquence 5 – HG20
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Les morts au cœur de l’habitat des vivants
« Les morts au cœur de l’habitat des vivants »,
issue du manuscrit flamand de « La Légende dorée » par Jacques de Voragine
vers 1470. MS 0003 f.025v. « Ville de Mâcon. Bibliothèque de Mâcon ».
Cliché CNRS-IRHT.
Questions
En vous appuyant sur ces indices, repérez :
• la scène 1 et la scène 2
• dans la scène 1 distinguez sur l’image les personnages vivants
(agressé et agresseurs) et les morts.
Que nous apprend cette enluminure sur la situation de l’église par
rapport au cimetière ?
Réponses
Voir page suivante.
Comme le montrent les morts qui sortent des tombes tout au long de
l’église, celle-ci est entourée par le cimetière.
Dès lors, le monde des vivants se double du monde des défunts et
du surnaturel qui s’y rattache. Cependant le cimetière peut être aussi
comme par exemple en Allemagne ou en Italie, une terre de rassemblement où on organise le marché et où hommes et femmes peuvent
se retrouver publiquement, à égalité. Au moment où se fonde une
nouvelle communauté villageoise, les habitants viennent y jurer « la
paix au village ». Parfois il arrive qu’on y trouve des porcs et autres
animaux, ce que condamne fermement l’Église. Le cimetière est un
lieu familier, de rencontre, au même titre que l’église.
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Séquence 5 – HG20
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Homme qui va
prier pour les
morts (agressé)
Scène 1
Scène 2
Agresseurs
Les morts qui sortent
des tombes
« Les morts au cœur de l’habitat des vivants »,
issue du manuscrit flamand de « La Légende dorée » par Jacques de Voragine
vers 1470. MS 0003 f.025v. « Ville de Mâcon. Bibliothèque de Mâcon ».
Cliché CNRS-IRHT.
Des hommes qui se rassemblent autour du château
Un seigneur peut passer contrat avec la population pour l’inciter à s’intaller autour du château qu’il souhaite édifier à partir d’une motte, d’un
donjon. Celui-ci apporte protection aux hommes contre l’exploitation à
son profit de leur travail. Parfois, c’est sous la contrainte que le seigneur
regroupe les hommes. On désigne ce rassemblement des hommes, en
Italie, par le terme d’incastellamento ou, en France, d’enchâtellement.
Autour du château et des habitations peut s’élever une fortification. Dans
le sud-ouest de la France, on parle de castelnaux. Souvent l’habitat peutêtre perché sur une motte naturelle ou artificielle afin de voir et d’être vu.
La maison du paysan
Au nord de l’Europe les maisons à pan de bois dominent encore alors
qu’au sud la pierre indice de richesse parfois, gagne du terrain. Cette maison diminue en surface du XIe au XIIIe siècle en relation avec une mutation : la maison se « resserre » sur le couple et les enfants. Les familles
dites larges (avec les tantes, une fille mariée mais recueillie car devenue
veuve…) tendent à diminuer.
Séquence 5 – HG20
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2. L’économie agraire
Obtenir davantage de grains quand il y a de plus en plus d’hommes.
Deux activités
majeures : l’élevage et la céréaliculture
Dans l’Occident médiéval, l’agriculture est la base de l’économie ;
cultiver les céréales et élever des animaux sont les principales activités de la population. Un équilibre est à rechercher entre elles, afin
de nourrir des hommes dont le nombre augmente.
L’élevage fournit trois compléments :
nutritif
de revenus
d’engrais
Consommation des volailles,
des porcs pour l’essentiel.
Le mouton, notamment en
Angleterre et dans les montagnes ibériques : consommation du lait – fromage – et de
sa chair.
Élever des chevaux pour la
guerre, le transport, le trait.
Des bovins pour le cuir, le lait,
le trait également.
Des moutons pour la laine, la
viande…
Surtout sur les cultures potagères.
Il est produit en quantité
insuffisante pour les autres
cultures.
En l’absence d’engrais en quantité suffisante, pour produire il faut
savoir laisser reposer le sol. La solution vient de la jachère : elle
consistait à laisser reposer le sol, selon les conditions climatiques,
une année sur deux dans le Midi, ou une année sur trois, plus au
nord.
Dans le premier cas, à la jachère succédait la culture du blé dit d’hiver (millet-froment-seigle), on parle de rotation biennale. Dans le
second cas, les champs portaient successivement du blé d’hiver,
du blé de printemps et étaient ensuite laissés en jachère : on parle
de rotation triennale. Dans les terres pauvres, les champs pouvaient rester en jachère pendant plusieurs années.
Avez-vous tout compris ? Pour le vérifier, vous allez passer du texte au
schéma.
Consigne
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Réalisez sous forme de deux cercles, deux schémas circulaires, une
représentation de rotation biennale et un exemple de rotation triennale
en replaçant les modes d’exploitation du sol selon les années.
Séquence 5 – HG20
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Réponse
jachère
jachère
blés
d’hiver
blés de
blés
d’hiver printemps
Pour terminer, il faut indiquer enfin
qu’en dehors des céréales sont cultivées d’autres plantes comme la guède
(ou pastel) utilisée comme produit de
teinture des draps, ou encore la vigne.
Les travaux agricoles rythment l’année
Nous avons évoqué en introduction la question des sources iconographiques qui ne sont pas produites par les paysans eux-mêmes. C’est le cas
des calendriers : réalisées par l’enlumineur, les images servent à l’origine,
par exemple, à illustrer, dans un livre de prières, le déroulement de l’année,
à marquer le mois. L’enlumineur ne cherche pas à donner une idée exacte
de la vie rurale que parfois il connaît mal, mais à symboliser les travaux agricoles. Cependant, le calendrier est une source importante pour l’historien.
Nous vous proposons ici un calendrier légèrement postérieur à notre période
mais qui s’inspire de ceux des siècles précédents, notamment du IXe siècle.
Document 12
Calendrier des douze mois de l’année, avec travaux des champs
Le Rustican ou « Livre des proffitz champestres et ruraulx »
par Pietro de Crescenzi (ouvrage d’agronomie du XIIIe siècle)
décoré par le maître du Boccace de Genève (XVe siècle) dit Colin d’Amiens,
enlumineur français, © RMN (Domaine de Chantilly)/René-Gabriel Ojéda.
Visible au musée de Condé à Chantilly.
Séquence 5 – HG20
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Questions
Observez le calendrier et reliez les activités suivantes (volontairement
fournies dans le désordre) à la bonne image :
battage du grain – semailles – vendanges – abattage du cochon – tonte
des moutons – fenaison –taille de la vigne – remontée de la terre dans
les vignes – taille des arbustes – glandée (faire tomber des arbres avec
une gaule les glands destinés à nourrir les porcs) – moisson
Pourquoi le mois de mai, avec l’image notamment du faucon, est-il
insolite dans cet ensemble ?
Réponses
janvier : taille
février : terre remontée
mars : taille de la vigne
avril : tonte des moutons mai : réponse n° 2
juin : fenaison
juillet : moisson
août : battage du grain
septembre : semailles
octobre : vendanges
novembre : glandée
décembre : abattage du
cochon
L’image de mai qui représente un homme à cheval, bien vêtu et
accompagné d’un faucon, est sans rapport avec l’activité paysanne :
elle évoque une forme de chasse, divertissement et agrément, réservée à une élite. Ceci nous prouve que ce genre d’image est destiné à
d’autres qu’à la communauté paysanne.
Les labours avec l’araire ou la charrue ne sont, par ailleurs, pas évoqués ici.
À côté du travail de la terre s’organisent d’autres activités de la communauté. Parfois le paysan peut lui-même exercer une double activité. On connaît ces acteurs de la communauté villageoise grâce à
des documents écrits où ils apparaissent comme témoins de certains
actes.
Se nourrir : problème majeur, pourtant les famines reculent
On constate un recul sur la période des famines. L’historien Robert Fossier nous informe sur le fait qu’il y a « moins de ventres creux ».
Document 13
À la table du paysan
Les glucides céréalières tiennent bon : pain, galettes ou bouillies atteignent
1 ou 2 kg par jour et par personne […]. Mais dans les rares-trop rares-rations
que nous connaissons avant 1300, le companaticum, ce qui n’est pas le
pain, peut fournir 2 400 calories voire 3000 ou 3500 calories qu’on estime
nécessaires au laboureur : une miche, une mesure de vin [….], un plat de
pois ou de viande, des œufs ou un hareng ; pour un corvéable, c’est un
panier correct. Et que le ménage ait pu élever un porc, son sacrifice solennel
avant Noël, sa charcuterie et son boudin, assureront avec quelques poissons
30
Séquence 5 – HG20
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séchés, un hiver supportable. […].L’hygiène alimentaire, l’équilibre des protéines de provenances diverses ne sont pas atteints pour autant.
R. Fossier, La société médiévale, Armand Colin, 2003, p.140-141
En ce qui concerne la boisson, le vin en est la base : l’eau est trop souvent polluée pour être bue sans arrière-pensée, du moins en ville. C’est
pourquoi même les jeunes consomment du vin, coupé d’eau, dès leur
petite enfance, sur le conseil des médecins eux-mêmes.
3. Des rapports sociaux marqués
par la dépendance
Des paysans dépendants du seigneur
La seigneurie est le cadre des relations humaines : elle met en face des
dominants et des dominés. Elle encadre la communauté villageoise. La
domination du seigneur s’appuie d’abord, avant même l’usage de la
force, sur la possession de richesses matérielles, sous la forme de terres
qu’il laisse exploiter par les paysans : la tenure. Il garde pour lui une
partie des terres : la réserve. Les terres « sans maître », les alleux, diminuent au profit de celles contrôlées par le seigneur.
Ce seigneur peut être laïc mais aussi membre de l’Église. Les cisterciens
sont ainsi à la tête de vastes domaines appelés granges.
Le droit laissé aux paysans d’exploiter la tenure
Définition
s’échange contre services et redevances. Ainsi le
seigneur a le droit d’imposer des taxes et des jours
Serf : homme privé de droits tel
de travail (corvées pour nettoyer les fossés, curer les
que celui de disposer librement
canaux, entretenir les chemins…) à la communauté
de lui-même (l’homme est attavillageoise vivant de ses terres. Par ailleurs au-delà
ché à un maître) et de ses biens
des charges qui pèsent sur la terre, les paysans
(exemple : le seigneur a des droits
supportent aussi les banalités : ce sont des redesur son héritage). Ce statut peut
vances exigées pour l’utilisation du moulin, du four
se mettre en place lorsque, face
ou du pressoir. Le seigneur a également le pouvoir
à une condition économique trop
de rendre la justice, de faire la police. Une relation
difficile, un paysan choisit contre
de dépendance s’établit. S’installe alors ce qu’on
la sécurité offerte par le seigneur
nomme la seigneurie banale qui donne au seigneur
de lui abandonner sa liberté et
laïc ou ecclésiastique un droit de commandement,
celle de sa descendance. Les
de contrainte et de punition sur les autres hommes.
charges qui pèsent sur le serf (le
Celle-ci est plus marquée encore si le paysan a le staservage) varient beaucoup d’un
tut de serf.
maître à l’autre, d’une région à
l’autre et dans le temps.
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Document 14
Un exemple de charge banale : les moulins, investissement, prélèvement, monopole
La diffusion des moulins hydrauliques est une des manifestations les plus
éclatantes de l’essor rural. Elle témoigne évidemment de la croissance de
la production de grains, mais aussi des progrès de la métallurgie (pour
équiper le moulin, des cercles de roues, des meules et des engrenages)
et de la maîtrise hydraulique […]. Le moulin constitue, avec le pressoir, le
principal investissement seigneurial : en prenant en charge sa construction, le maître du sol stimule l’essor rural. Mais bientôt, le seigneur ne se
contente plus de faire payer aux paysans l’usage de son moulin : à la fin
du XIe siècle, en Picardie, en Lorraine ou en Mâconnais, il s’attaque aux
équipements concurrents, taxe les paysans qui refusent de se rendre au
moulin seigneurial.
Kaplan, M. (dir.) , Le Moyen-Âge XIe-XV
Ve siècle, Bréal, 1994, p. 53.
Questions
Décrivez le type d’installation technique soumise à une charge banale.
Expliquez l’expression : le maître du sol stimule l’essor rural.
Comment ce dernier récupère-t-il l’investissement engagé ?
Pourquoi peut-on évoquer une pression seigneuriale accrue ?
Réponses
Il s’agit ici d’un moulin actionné par l’eau. On note une modernisation
de son fonctionnement par l’usage du métal, par exemple, sur les
meules, ce qui permet d’en prolonger l’usage.
Le maître du sol désigne ici le seigneur qui a investi de l’argent dans le
moulin « en prenant en charge sa construction ». Il lui revient de fournir à la communauté paysanne les outils indispensables à la transformation des produits agricoles.
Le seigneur récupère l’investissement engagé en faisant payer aux
paysans qui doivent moudre leur grain, l’usage de son moulin.
On peut évoquer une pression seigneuriale accrue parce que le sei-
gneur impose l’usage de son moulin, en interdisant aux paysans de
se rendre vers d’autres moulins privés. Il crée, à son avantage, une
situation de monopole.
Cette dépendance est multiple et dépasse largement l’usage du seul
moulin, comme l’indique certains textes littéraires qui se penchent sur
la vie de la communauté rurale.
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Séquence 5 – HG20
© Cned – Académie en ligne
Une dépendance qui engendre de fortes tensions sociales
Document 15
Insurrection de paysans normands en 997
– relatée par un poète du XIIe siècle.
Les paysans, ceux du bocage et ceux des champs, […] par vingt, par trentaine, par cent, ont tenu plusieurs parlements… Avec les Seigneurs, rien
de bon. Jamais ne peut avoir raison leur gagne-pain ou leur labeur. Chaque jour passe à grand’ douleur. Chaque jour on leur prend leurs bêtes
pour les corvées et pour les aides. Tant y a plaintes et querelles et taxes
vieilles et nouvelles, ne peuvent une heure avoir paix. Chaque jour un
nouveau procès pour les biefs et les forêts, […], pour les impôts et les
chemins et des procès pour le moulin; […]. Allions-nous par un serment,
nous et nos biens défendons. [Les paysans annoncent qu’ils vont user de
la force contre les seigneurs. L’un de ces seigneurs prend connaissance
que les vilains font des communes , il charge Raoul d’y répondre]. Raoul
s’emporta tellement qu’il n’y eut aucun jugement ; […] à plusieurs fit ôter
les dents et les autres fit empaler, on leur fit les yeux arracher, couper les
poings, jambes rôtir […]. La commune n’alla pas plus loin et se tinrent
cois les vilains.
Wace, poète, Roman de Rou, 1172.
N.B.
Questions
Le roman relate l’histoire des ducs de Normandie.
Identifiez l’auteur du récit. Appartient-il à la communauté paysanne ?
Présentez les deux camps adverses.
Quels reproches les paysans formulent-ils qui nous informent sur leur
situation de dépendance ?
Comment décident-ils de se défendre et avec quelles conséquences ?
Quel est l’intérêt que l’on peut tirer aujourd’hui de ce texte littéraire ?
Réponses
L’auteur est un poète, du XIIe siècle, Wace, qui n’appartient pas à la
communauté paysanne dont il évoque ici la révolte.
Deux camps adverses s’opposent : d’une part des paysans et d’autre
part un ou plusieurs seigneurs.
Les reproches formulés portent sur l’exercice de la seigneurie banale
et notamment sur le poids des corvées, des aides, sur la question des
bêtes réquisitionnées, également des taxes qui se multiplient : « vieilles
et nouvelles ». Des procès sont intentés aux paysans, par exemple
concernant l’usage du moulin ou l’exploitation illégale de la forêt.
Les paysans décident de se réunir pour discuter de leur situation et
faire front dans une lutte commune et armée contre les seigneurs. Ils
souhaitent se désengager de leur tutelle et acquérir leur autonomie.
La réponse est une répression féroce de la révolte. On peut y voir une
réaction à la peur que les masses paysannes inspirent.
Séquence 5 – HG20
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© Cned – Académie en ligne
Bien que n’appartenant pas à la communauté paysanne, Wace rédige
un texte qui met en lumière les revendications des paysans sans les
condamner. Il décrit aussi la dureté de la répression qui est peut-être
cependant exagérée ici.
À noterr que ces mouvements de révolte portent leur fruit : ainsi à partir
de 1150 des accords sont conclus entre les communautés rurales et les
seigneurs, qui laissent aux premières plus d’autonomie, l’octroi de certains privilèges et leur garantissent un allègement des redevances. On
parle de « franchises rurales » ou, en Espagne, de « fueros ».
Avant de passer à la deuxième partie du chapitre, il est important de souligner que la vie de la communauté n’est pas faite que de tensions.
Ainsi la fête participe de la vie de la communauté ; elle est l’expression de la vie communautaire. Elle s’organise autour de danses ou de
processions comme les « Mais » où on se déguise avec des feuillages
pour annoncer le renouveau de la végétation. Pour la Saint-Jean, comme
aujourd’hui encore d’ailleurs, on allume de grands feux. Souvent ces festivités sont liées aux travaux des champs et à la fertilité du sol. L’Église
cherche à contenir les débordements, notamment des groupes les plus
jeunes.
B
La féodalité : réalités,
imaginaires et symboliques
1. Des liens d’homme à homme
dans une société hiérarchisée
Contexte
On assiste aux environs du Xe siècle au recul du pouvoir central, des souverains, des états, qui ne peuvent garantir la paix et la sécurité contre les
invasions d’autres peuples, notamment normands. La société est marquée par la violence. Dans cette période troublée, il est utile de rechercher la protection d’un homme plus puissant : c’est ainsi que se créent,
là aussi, des liens de dépendance entre les hommes du Moyen Âge. Ils
prennent une forme différente, cependant, de celles évoquées précédemment dans les relations seigneurs-communauté paysanne.
C’est notamment de la possession de terres et de seigneuries que le
puissant tire sa légitimité. En assurant la protection d’ un « client » ou
« ami » moins riche, il en prend aussi le contrôle. S’instaure alors une
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Séquence 5 – HG20
© Cned – Académie en ligne
hiérarchisation de la société. Ces liens d’homme à homme (laïc ou clerc)
sont désignés par le terme de féodalité. Elle lie à un seigneurr (ou senior,
c’est-à-dire l’aîné) un vassal (ou vassus, c’est-à-dire à l’origine « garçon » ou encore « serviteur ») en principe égaux. En réalité, ces relations
prennent vite une connotation de dépendance où l’âge n’entre pas en
compte.
Le vassal qui se décide, contre nourriture et réconfort, à servir un seigneur, doit s’engager de manière solennelle par un ensemble de rites
où se mêlent le geste, la parole et l’écrit. Cet engagement oblige les
deux hommes à respecter un certain nombre de devoirs. Il se fait devant
témoins qui peuvent être les autres vassaux du seigneur, les membres
de la cour d’un roi ou enfin des hommes d’Église. Parfois, comme en
Italie, les autres vassaux du seigneur peuvent, en même temps que le
nouveau vassal, renouveler leur serment de fidélité.
Des sanctions sont prévues en cas de rupture de contrat. Comme le vassal prête serment devant Dieu, le non-respect de son engagement peut
entraîner son excommunication, c’est-à-dire, son exclusion de la communauté des chrétiens. Il peut éventuellement se voir confisquer son fief.
Ensemble documentaire
L’engagement vassalique :
fondement, manifestation et symbolique
Vous allez travailler sur un ensemble documentaire en deux temps :
Vous devrez tout d’abord répondre à des questions. Ensuite vous rédigerez une réponse organisée à la question suivante : expliquez comment
la féodalité permet d’encadrer et de hiérarchiser une partie de la société
médiévale dans l’Occident chrétien.
Méthode
Questions
: aidez-vous, en dehors des documents eux-mêmes, du
titre, des notes, de la source. Lisez plusieurs fois les questions avant
de commencer à lire les documents d’une part et à y répondre d’autre
part.
Réponse
organisée : cet exercice reprend en partie la démarche du
paragraphe argumenté pratiquée au collège. Il s’appuie :
• d’une part, sur une reprise des réponses aux questions, et d’autre
part, sur des connaissances supplémentaires hors documents tirés
du cours. Dans la proposition de réponse, l’apport de connaissances
supplémentaires apparaît dans le corrigé en couleurr ;
• le terme organisé induit que vous devez présenter votre réponse
en classant les différentes informations apportées sous forme, par
exemple, de petits paragraphes, distingués les uns des autres par
un saut de ligne.
Séquence 5 – HG20
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Questions
Quels sont les trois temps forts de l’engagement vassalique ? (vous
devez les décrire) (doc. 1 et 3).
Quels sont les engagements et obligations qui lient le vassal au sei-
gneur et réciproquement ? (doc. 1-2-5)
Relevez les acteurs impliqués dans l’engagement. (doc. 1 à 5).
Quelle place revient aux rois dans cet ordre féodal ? (doc. 3, 4 et 5).
Réponse
organisée
En vous appuyant à la fois sur les réponses apportées en première partie
et sur vos connaissances personnelles, expliquez comment la féodalité
permet d’encadrer et de hiérarchiser une partie de la société médiévale
dans l’Occident chrétien.
Document 1
L’engagement vassalique : l’hommage, le serment et l’investiture du fief
En premier lieu, ils firent les hommages de la façon suivante. Le comte
demanda [au futur vassal] s’il voulait devenir son homme sans réserve et
celui-ci répondit « je le veux » puis, ses mains étant jointes dans celles du
comte, qui les étreignit, ils s’allièrent par un baiser. En second lieu, celui
qui avait fait hommage engagea sa foi en ces termes : « Je promets en ma
foi d’être fidèle, à partir de cet instant, au comte Guillaume et de lui garder contre tous et entièrement mon hommage, de bonne foi et sans tromperie. » […] Il jura cela sur les reliques des saints. Ensuite, avec la verge1
qu’il tenait à la main, le comte leur donna les investitures2 à eux tous qui,
par ce pacte, lui avaient promis sûreté, fait hommage et en même temps
prêté serment. »
Texte de Galbert de Bruges (1127), « Histoire du meurtre de Charles le Bon »,
dans Le Moyen-Âge XIe-XV
Ve siècle, Kaplan M. (dir.), Bréal, 1994, p. 91.
1. Le fief est également remis au vassal sous forme d’un bâton, d’un sceptre (fief d’église), d’un fanion. Parfois
c’est une motte de terre, un épi ou un fétu de paille qui caractérisent le bien.
2. Ici investiture désigne la remise d’un bien comme base et garantie de l’engagement.
Document 2
Le fief : l’élément réel de la relation vassalique
« Le seigneur doit évidemment protéger son vassal et lui rendre bonne
justice. Mais il lui faut aussi rétribuer sa fidélité par l’octroi de biens :
c’est le fief, qui constitue l’élément réel de la relation vassalique, par
opposition à la fidélité, élément personnel. Les biens concédés en fief
sont le plus souvent des biens fonciers, quoi de plus naturel dans une
société où la terre constitue l’assise de la puissance et de la richesse.
Mais ce peut-être également toute sorte de revenus : tailles, dîmes[…]. Le
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Séquence 5 – HG20
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fief devient alors la base des rapports sociaux : de la [terre] tenue en fief
d’un roi aux « fiefs de haubertt2 » destinés à garantir la fidélité des chevaliers3, c’est toute une hiérarchie de fiefs qui se met en place du haut en
bas de la société noble ».
Kaplan M. (dir.), Le Moyen-Âge XIe-XV
Ve siècle, Bréal, 1994, p. 91.
1. Tailles, dîmes ecclésiastiques : prélèvements d’argent.
2. Haubert : longue cotte de maille (chemise longue constituée de mailles généralement métalliques) qui protège
le chevalier.
3. Chevalier : homme d’armes, soldat à cheval. Il est progressivement intégré à la noblesse.
Document 3
L’ investiture du fief
Le roi remet un fanion à son vassal, qui symbolise la remise du fief.
Gravure d’après une enluminure du manuscrit du Sachsenspiegel de Heidelberg, Code allemand de loi composé
vers 1230. The Granger Collection NYC, ©The Granger
Collection NYC/Rue des Archives, Référence : 00137168.
Document 4
Le roi : prince des princes
Tout au long du XIIe siècle [le roi…] use du droit féodal pour contrôler les
différentes principautés en fiefs. Autrement dit, le roi se comporte avec les
princes comme les princes avec les sires. Et c’est ainsi que l’affirmation
du pouvoir royal vient couronner l’édifice féodal en le consolidant. Les
Séquence 5 – HG20
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© Cned – Académie en ligne
chaînes vassaliques sont donc ordonnées en une hiérarchie féodale dont
le roi prend la tête. Ce qui fonde la souveraineté du roi ou de l’empereur,
c’est qu’en théorie, lui seul ne doit hommage à personne. Le roi a soumis
les barons comme le pape les archevêques, et lorsque les ducs (d’Aquitaine, de Bourgogne et de Normandie) prêtent hommage à Louis VI1, ils
rehaussent la majesté royale.
Kaplan M. (dir.), Le Moyen-Âge XIe-XV
Ve siècle, Bréal, 1994, p. 94.
1. Louis VI le Gros, roi de France (1108-1137).
Document 5
Les obligations du vassal Renaud de Vendôme (évêque de Paris)
envers son seigneur Fulbert de Chartres (évêque de cette ville),
lettre d’avant le 17 février 1008, en latin.
« Voici ce que j’exige de vous : la sécurité en ce qui concerne ma vie et
mes membres ainsi que ma terre, telle que je la possède ou telle que je
pourrai l’agrandir grâce à votre conseil ; votre aide contre tout individu,
tout en sauvegardant votre fidélité au roi Robert [roi de France], l’accueil
au château de Vendôme pour moi et pour mes fidèles, lesquels en assureront la sécurité pour vous ; je réclame également l’aide de vos chevaliers qui disposent du logement qui leur est accordé, dans le respect de
la foi qu’ils vous doivent ; […] Si vous voulez agir ainsi, je suis disposé à
respecter l’accord que j’ai conclu avec vous […] ».
Fulbert de Chartres, Oeuvres, correspondances, controverse, poésie,
Société archéologique d’Eure et Loir, 2006, p.86.
Si vous trouvez ce texte difficile, pour en comprendre le sens, vous
pouvez réaliser le petit exercice intitulé décrypter un document source
(c’est-à-dire rédigé à l’époque que nous étudions).
Réponses
Trois temps forts ponctuent l’engagement vassalique. Les gestes de
l’hommage consistent pour un homme à s’en remettre à un autre.
Pour cela, seigneur et vassal annoncent leur intention de s’unir, puis
le vassal agenouillé place ses mains dans celles de son seigneur et
l’embrasse : leur geste créé un lien charnel et réciproque. Le vassal
agenouillé devant le seigneur signale aux témoins qu’il se place sur
un plan d’infériorité par rapport au seigneur. Il prononce, dans un
deuxième temps, un serment de fidélité, et jure sur les reliques d’un
saint. Enfin le seigneur remet au vassal un fief : c’est l’investiture.
Les obligations du vassal sont la « sécurité » qui est ici une obligation
négative à savoir : la promesse de non-agression, de ne pas nuire au
seigneur, dans sa personne, sa famille et ses biens. Le serment comporte également des obligations positives. C’est le devoir de conseil
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Séquence 5 – HG20
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qui oblige le vassal à se rendre à la cour du seigneur pour l’assister
dans ses décisions. Enfin, le vassal doit l’aide, ici armée, à son seigneurr : « je réclame également l’aide de vos chevaliers ». De son côté
le seigneur doit assurer la sécurité de son vassal et, en échange de
sa fidélité, lui fournir un fief. Le plus souvent, le fief correspond à des
terres mais aussi au droit de percevoir des revenus tels que la taille ou
encore la dîme ecclésiastique. Lors de la cérémonie, la remise symbolique du fief prend différentes formes selon les régions. En Allemagne,
le seigneur remet un fanion au vassal, ailleurs il peut lui remettre un
bâton ou un sceptre. À côté de ces objets, une motte de terre peut
aussi symboliser le fief.
Les acteurs impliqués dans la cérémonie sont le seigneur et le vassal.
Dans les deux cas, ils peuvent être laïcs ou clercs. Le document 5 montre
l’engagement de deux évêques. L’intervention de l’Église apparaît aussi
indirectement dans le document 1, dans l’allusion faite au serment
prêté sur les reliques d’un saint. Dans le groupe des laïcs, outre le chevalier, depuis le roi jusqu’au baron toute la noblesse apparaît.
Le roi représenté dans la gravure du document 3 apparaît comme le
seigneur de tous les seigneurs. Il prend la tête d’une hiérarchie de
fiefs, soulignée dans le document 4 « Duc, comte, vicomte, baron
peuvent tenir les uns des autres… et tous sont dans la main du roi ».
Il affirme sa supériorité sur les autres seigneurs en les soumettant à
l’autorité royale. L’évêque de Chartres, Fulbert, souligne que, si son
vassal doit lui apporter de l’aide, ce dernier doit aussi fidélité au roi.
Réponse
organisée
Expliquez comment la féodalité permet d’encadrer et de hiérarchiser une
partie de la société médiévale dans l’Occident chrétien.
La féodalité peut se définir dans l’Occident chrétien comme un ensemble
de relations sociales basé sur un système d’obligations réciproques
entre deux hommes. Cette relation est affirmée lors de la cérémonie de
l’engagement vassalique qui tire son nom de l’association d’un seigneur
ou senior, c’est-à-dire l’aîné, à un vassal ou vassus, c’est-à-dire à l’origine « garçon » ou encore « serviteur ». L’engagement se fait généralement devant des témoins laïcs qui peuvent être, par exemple, les autres
vassaux du seigneur ou des membres du clergé.
La cérémonie de l’engagement entre deux hommes comprend plusieurs
temps forts durant lesquels paroles et gestes sont échangés. En premier
lieu, l’hommage, par lequel un homme s’en remet à un autre. Par les gestes
(mains jointes et baiser) se crée un lien charnel et réciproque. Le vassal agenouillé devant le seigneur reconnaît qu’il se place sur un plan d’infériorité
par rapport au seigneur. Le vassal prononce ensuite un serment de fidélité
en jurant sur les reliques d’un saint. La présence de ces reliques donne à
l’engagement un caractère sacré confirmé par le risque d’excommunication
du vassal en cas de non-respect de l’engagement pris. Enfin, par l’investi-
Séquence 5 – HG20
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© Cned – Académie en ligne
ture, le seigneur remet au vassal un fief. Celui-ci prend souvent la forme de
terres, mais il peut aussi consister en un prélèvement de taxes telles que
la taille ou la dîme. Le geste de l’investiture varie selon les cas : elle est
symbolisée par différents objets (fanion, sceptre, bâton) ou encore par une
motte de terre.
Les obligations réciproques nous sont connues grâce à une série de
textes qui en décrivent la teneur. Le vassal doit à son seigneur la sécurité, c’est-à-dire l’engagement de ne pas l’agresser, ainsi que la protection. Il doit également lui apporter conseil en son château et assurer
des services de caractère militaire, dont l’ost. Le vassal se doit enfin
d’accueillir le seigneur et ses hommes sur ses terres. Ainsi l’évêque de
Paris, Renaud, vassal de l’évêque de Chartres, Fulbert, doit-il recevoir
son seigneur dans son château de Vendôme. En échange, le seigneur, en
dehors de la remise du fief, s’engage à protéger et à défendre son vassal,
sa famille et ses biens.
Si, dans certains cas, le geste du baiser peut engager deux hommes en
principe égaux, en réalité ces relations prennent vite une connotation
de dépendance où malgré les termes de senior (aîné) et vassal (garçon)
l’âge n’ a rien à voir. La féodalité organise et hiérarchise une partie de la
société. En recevant la protection d’un seigneur plus puissant que lui, un
vassal reconnaît qu’il se soumet en partie à son contrôle. Les rois réaffirment un pouvoir affaibli aux siècles précédents, en prenant progressivement, la tête de cette hiérarchie féodale. Ainsi les ducs d’Aquitaine,
de Normandie et de Bourgogne prêtent-ils hommage au roi Charles VI le
Gros. Les progrès du pouvoir royal sont aidés par l’organisation de la
société féodale.
Décrypter un document source
Questions
Identifiez le type de document ainsi que les acteurs impliqués.
À partir du document de la page suivante, mettez en relation les pas-
sages soulignés et les explications notées de « a » à « e ». Pour cela,
replacez ces cinq lettres en face des flèches correspondantes.
Montrez la réciprocité de l’engagement des deux hommes l’un envers
l’autre (obligations que chacun doit à l’autre).
40
Séquence 5 – HG20
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Réponses
Le document est une lettre envoyée vers 1008 par Fulbert de Chartres,
évêque de cette ville, à un autre évêque, celui de Paris : Renaud de
Vendôme qui est son vassal. Fulbert de Chartres y rappelle dans le
cadre du lien de féodalité qui les unit, leurs engagements réciproques.
On peut ajouter que Fulbert de Chartres est un spécialiste des relations féodales. Il a, à ce titre, apporté son conseil dans nombre de
conflits entre seigneur et vassal.
Voir page suivante Séquence 5 – HG20
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© Cned – Académie en ligne
Dans cet extrait, le vassal ne doit porter atteinte ni à la vie de son
seigneur, ni à ses biens et, si besoin, il doit lui fournir une aide. Par
ailleurs, il doit le conseiller. Il a, enfin, obligation d’accueillir chez lui
son seigneur et ses hommes.
En échange du respect de ces engagements, le seigneur assure, par le
biais de ses « fidèles », la sécurité de son vassal.
L’engagement ne peut fonctionner que si les deux parties (seigneur et
vassal) respectent chacune leurs obligations, autrement il est rompu.
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Séquence 5 – HG20
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2. L’amour courtois : le fin’amor
dans la société médiévale
Document 16
Un amant offre son cœur à sa Dame
Valve de miroir en ivoire, Paris, vers 1300 Londres.
© 2010. Photo scala, Florence/V&A Images/Victoria and
Albert Museum, London.
Il vous est peut-être arrivé de voir gravé dans un cœur deux initiales symbolisant l’amour que se portaient deux êtres l’un envers l’autre. Il s’avère
que cette image du cœur symbole de l’amour est sans doute une invention du Moyen Âge.
L’image de cette valve de miroir (le miroir est déposé dans une petite
boîte formée de deux couvercles ou valves, souvent décorées comme
ici et qui se vissent l’une dans l’autre) nous permet de connaître un élément non négligeable de la société féodale : l’amour courtois, encore
appelé au Moyen Âge le fin’amor ou amour pur. Il est également connu
grâce à des œuvres littéraires qui nous racontent les amours difficiles de
couples restés célèbres comme Tristan et Yseult ou encore Lancelot et
Guenièvre ou par les poésies des troubadours.
Les clés pour lire la scène :
Les acteurs
Les objets
un amant,
la dame, peut-être est-elle déjà l’épouse du seigneur de cet amant,
au second plan : un valet qui retient des chevaux.
le cœur dans la main de l’amant,
une couronne que la dame s’apprête à poser sur la tête de l’amant,
Séquence 5 – HG20
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un fouet de grande taille tenu par le valet et qui flotte au-dessus de la tête de
l’amant. Il suggère le contrôle de soi, du désir purement charnel. D’où l’idée
de fin’amorr ou encore d’amour retenu. Cependant l’adultère peut avoir lieu.
Pour ce dernier exercice, à vous de continuer le décryptage de l’image en
vous aidant des clés de lecture proposées ci-dessus.
Questions
Que suggère l’attitude ou la présence des trois personnages ?
L’amant : .................................................................................................
La femme : .............................................................................................
Le valet : grâce à sa présence et à celle des chevaux qu’il retient, que
peut-on en déduire de la position sociale de l’amant ?
Quel lien peut-on établir à travers la position adoptée par l’amant
entre cette scène et les gestes de l’engagement vassalique ?
Réponses
L’amant : en s’agenouillant s’offre tout entier à la dame.
La femme : en se penchant vers l’amant pour le couronner et recevoir
le cœur, elle suggère qu’elle accepte l’amour de cet homme.
Le valet : son rôle est de retenir les chevaux, on peut l’imaginer au service de l’amant. Ainsi, par la présence du valet et du cheval, l’auteur
indique la position sociale de l’amant : sans doute appartient-il à la
chevalerie.
L’homme s’agenouille devant sa dame à la manière du chevalier
vassal qui s’agenouille devant son seigneur. Les relations de fidélité
voire d’amitié du vassal pour le seigneur trouvent dans la littérature
médiévale une expression dans l’amour courtois. L’amant se donne à
la bien-aimée comme il s’en remet à son seigneur.
Au-delà de la symbolique liée à l’amour courtois, l’analyse du contexte
démographique et en particulier
d
Pour aller plus loin…
de la place numérique des femmes
d
dans la société éclaire aussi sur
d
• visite à Paris du musée du Moyen Âge :
ccette question. Les femmes font
tapez « musée du Moyen Âge + Cluny »
l’’objet d’une considération cersur un moteur de recherche.
ta
aine parce qu’elles sont moins
nombreuses que les hommes : au
n
• les animaux dans les livres – les bestiaires, un outil
XIIe siècle, en Angleterre ou encore
X
pour élucider certaines expressions passées dans
en France du Nord, on compte
e
le langage courant, sur le site de la Bibliothèque
110 hommes pour 90 femmes.
1
nationale de France : tapez « bestiaire + bnf » sur un
Ce déséquilibre peut s’expliquer
C
moteur de recherche. Une fois sur le site, cliquez sur
par une forte mortalité lors des
p
Roman de Renart, puis jeux de mots.
accouchements mais aussi par le
a
moindre soin apporté aux petites
m
filles (moins bien nourries
nourries, soigné
soignées, notamment lorsqu’elles sont
placées en nourrice). On peut voir là une autre explication moins sentimentale de l’intérêt porté aux dames.
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Séquence 5 – HG20
© Cned – Académie en ligne
Conclusion
générale
La société médiévale accueille dans son immense majorité une population qui travaille la terre et vit dans le monde des campagnes, même si
le monde des villes gagne en importance. Ce monde des campagnes se
transforme autour de l’organisation du village ainsi que dans les relations qui s’établissent entre les hommes, notamment au travers d’un
rapport dominant (seigneur)-dominé (paysan). On retrouve cette relation dans le cadre de la société féodale qui réorganise et hiérarchise
la société médiévale. Au cœur de cette sociéte, l’Église prend toute sa
place et diffuse la foi chrétienne, tant par l’encadrement des hommes,
que par l’affirmation parfois brutale de ses idéaux.
Séquence 5 – HG20
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