L’Année psychologique http://www.necplus.eu/APY Additional services for L’Année psychologique: Email alerts: Click here Subscriptions: Click here Commercial reprints: Click here Terms of use : Click here Division de l’attention et organisation en mémoire épisodique : quand l’utilisation d’une stratégie altère les performances de rappel Capucine Toczé et Laurence Taconnat L’Année psychologique / Volume 114 / Issue 01 / March 2014, pp 77 - 95 DOI: 10.4074/S0003503314001043, Published online: 05 March 2014 Link to this article: http://www.necplus.eu/abstract_S0003503314001043 How to cite this article: Capucine Toczé et Laurence Taconnat (2014). Division de l’attention et organisation en mémoire épisodique : quand l’utilisation d’une stratégie altère les performances de rappel. L’Année psychologique, 114, pp 77-95 doi:10.4074/S0003503314001043 Request Permissions : Click here Downloaded from http://www.necplus.eu/APY, IP address: 88.99.165.207 on 20 Apr 2017 Division de l’attention et organisation en mémoire épisodique : quand l’utilisation d’une stratégie altère les performances de rappel ∗ Capucine Toczé et Laurence Taconnat Université de Tours et UMR-CNRS 7295 - CeRCA, Tours, France RÉSUMÉ Cette étude explore l’effet de la division de l’attention et des indices de récupération sur la stratégie d’organisation et l’efficacité de cette stratégie sur les performances en mémoire épisodique. Six groupes de participants ont appris et rappelé une liste de mots organisables en condition d’attention divisée ou en condition d’attention focalisée. Des indices étaient fournis (rappel indicé) ou non (rappel libre) au moment de la récupération. Les résultats montrent que l’étape d’encodage est cruciale pour que la stratégie d’organisation soit efficace. La division de l’attention à l’encodage conduit en effet à un déficit d’utilisation de la stratégie d’organisation, définie par l’absence de corrélations positives entre l’organisation et le rappel, que des indices soient présentés à la récupération ou non. Un déficit d’utilisation des stratégies peut donc s’observer avec du matériel familier chez des adultes jeunes qui apprennent ou rappellent sous conditions attentionnelles contraignantes. Divided attention and organization in episodic memory: When using a strategy impairs performance in recall ABSTRACT This study examined the effect of divided attention and retrieval cues on the organizational strategy and on the efficiency of this strategy on episodic memory performance. Participants learned or recalled a list of organisable words either under divided attention or full attention. Cues were provided (cued recall) or not (free recall) at the retrieval stage. The results showed that the encoding stage was crucial for the organizational strategy to be efficient. Actually, division of attention at encoding leads to an organisational strategy ∗ Correspondance: Université François Rabelais de Tours, Département de Psychologie-UMR-CNRS 7295, 3 rue des Tanneurs, 37000 Tours, France. E-mail : [email protected] E-mail : [email protected] Remerciements. La rédaction de cet article a pu être possible grâce au financement de l’ANR BLAN07_196867 : Cognitive aging, strategic variations and executive functions in arithmetic, memory and skill acquisition. L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2014, 114, 77-95 78 Capucine Toczé r Laurence Taconnat utilization deficiency, defined as a lack of positive correlations between the index of organisation and recall, whether retrieval cues are provided or not, which means that even if participants organize the words, they do not recall more words of the learned list. Thus, a strategy utilization deficiency may appear with familiar materials in young adults who learn or recall under particularly restrictive attentional condition. 1. INTRODUCTION L’organisation en petites unités du matériel à mémoriser est un moyen d’augmenter les performances de rappel libre, lorsqu’aucune aide n’est fournie au sujet lors de la récupération des informations en mémoire épisodique (Bousfield, 1953 ; Denney, 1974 ; Kausler, 1991 ; Taconnat, Raz, Toczé, Bouazzaoui, Sauzéon, Fay, & Isingrini, 2009). Toutefois, parce que cette stratégie est coûteuse en attention, son utilisation pourrait nuire aux performances en mémoire chez des individus de faible capacité attentionnelle, ou ceux qui n’ont pas la possibilité de mobiliser leurs ressources attentionnelles pour cette tâche. Un des principaux objectifs de la présente étude est donc d’examiner, par le biais d’études corrélationnelles, les effets de la division de l’attention sur les relations entre la qualité de l’organisation objectivée par un indice d’organisation et les performances mnésiques mesurées par la quantité de mots rappelés. La qualité de l’organisation s’observe lorsqu’après la présentation d’une liste catégorisable (les mots appartiennent à quelques catégories sémantiques), les sujets ont tendance à rappeler ensemble (en groupes) les mots appartenant à la même catégorie sémantique. Lors du rappel, elle peut alors être quantifiée par des indices, comme l’Adjusted Ratio Clustering (ARC, Roenker, Thompson, & Brown 1971). Les études qui ont recherché un lien entre cet indice d’organisation et le nombre de mots rappelés ont observé une corrélation positive entre les deux, indiquant que mieux les sujets organisent, plus ils rappellent (Denney, 1974 ; Taconnat et al., 2009 ; Taconnat, Baudouin, Fay, Raz, Bouazzaoui, El-Hage, Isingrini, & Ergis, 2010). Cette corrélation entre l’indice d’organisation et les performances en rappel est un bon indicateur de l’efficacité de l’utilisation de la stratégie d’organisation sur les performances en mémoire épisodique. Toutefois, le lien entre stratégie et rappel n’est pas toujours observé, ce qui reflète un déficit d’utilisation de la stratégie d’organisation, que nous nommerons tout au long de cet article « déficit d’utilisation de stratégie » (strategy utilization deficiency, Miller et al., 1994). Celui-ci caractérise le profil des enfants qui, à un stade de leur développement, sont en mesure d’organiser les informations apprises, mais pas encore L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2014, 114, 77-95 Organisation et attention 79 de bénéficier de cette stratégie pour augmenter leurs performances en mémoire (par ex., Coyle & Bjorklund, 1996). Cette absence de lien entre organisation et rappel a également été retrouvée chez les adultes jeunes souffrant de dépression (Taconnat et al., 2010), et les adultes âgés (Denney, 1974 ; Taconnat et al. ; 2009), bien qu’ils soient en mesure d’organiser les informations au moment du rappel (c’est-à-dire, l’indice d’organisation est différent de 0). Le manque de connaissances générales et de familiarité avec le matériel ou les stratégies elles-mêmes pourraient être responsables de ce déficit chez les enfants (par ex., Gaultney, Bjorklund, & Goldstein, 1996). Ainsi, l’exécution de stratégies non familières nécessiterait une proportion importante des ressources attentionnelles, qui ne seraient dès lors plus disponibles en quantité suffisante pour traiter les informations à mémoriser (par ex., Bjorklund & Harnishfeger, 1987 ; Miller, 2000 ; Miller, Seier, Probert, & Aloise, 1991). Cette explication a été confirmée dans une étude montrant que lorsque du matériel non familier était utilisé (des « non-mots » organisables selon leur initiale), un déficit d’utilisation des stratégies apparaissaient chez les adultes jeunes, en particulier ceux dont les capacités en mémoire de travail étaient les plus faibles (Gaultney, Kipp & Kirk, 2005). L’interprétation du déficit d’utilisation de stratégie, en termes d’absence de familiarité avec le matériel associé à un déficit de ressources attentionnelles, semble donc satisfaisante. Toutefois, cela n’explique pas les données observées dans certaines études chez les adultes âgés (Denney, 1974 ; Taconnat et al., 2009), ou des adultes jeunes dépressifs (Taconnat et al., 2010), qui semblent présenter également un déficit d’utilisation des stratégies d’organisation avec du matériel familier, même si leur profil n’a pas été traduit en ces termes par les auteurs. Le déficit d’utilisation des stratégies ne serait donc pas une caractéristique du développement mais plutôt la conséquence d’un manque de contrôle attentionnel, empêchant les individus de mettre à la fois en place les processus d’organisation et de mémorisation (c’est-à-dire, encodage et/ou récupération). Cette interprétation est cohérente avec le fait que le déficit de contrôle attentionnel est une caractéristique présente à la fois chez les adultes âgés (Rabinowitz, Craik, & Ackerman, 1982) et chez les patients dépressifs (Hartlage, Alloy, Vàzquez, & Dykman, 1993). L’utilisation de la stratégie d’organisation et la mémorisation impliquent toutes les deux des processus coûteux en attention (voir Park et al., 1989 ; pour l’organisation, et Craik, Govoni, Naveh-Benjamin, & Anderson, 1996, Naveh-Benjamin, Craik, Gavrilescu & Anderson, 2000, pour la mémoire). Ainsi, en fonction de la priorité que les sujets donnent à la mise en œuvre de l’un ou l’autre de ces processus, ils pourront soit organiser les informations, soit mémoriser ces informations. De ce fait, si les sujets de faibles capacités L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2014, 114, 77-95 80 Capucine Toczé r Laurence Taconnat attentionnelles utilisent leurs ressources pour organiser (et donc, au moins repérer les catégories présentes), celles-ci ne seront plus suffisantes pour traiter les mots eux-mêmes et les mémoriser. Si cette hypothèse est valide, le déficit d’utilisation de stratégie pourrait apparaître chez des adultes jeunes en utilisant du matériel familier et dans des conditions attentionnelles particulièrement contraignantes, comme les tâches réalisées en condition d’attention divisée. Les études citées plus haut n’ont fait qu’inférer des liens entre ressources attentionnelles et efficacité de la stratégie d’organisation. Dans celle-ci, nous explorons directement et pour la première fois le rôle de l’attention à l’encodage et à la récupération sur l’efficacité de l’utilisation de la stratégie d’organisation sur des tâches de rappel. Pour cela, nous étudions les corrélations entre les performances au rappel et l’indice d’organisation dans chaque condition expérimentale. En effet, une association forte entre ces deux variables indique que les participants utilisent l’organisation pour améliorer leur mémoire, tandis qu’une absence d’association ou une association plus faible révèle un déficit d’utilisation de stratégie. Dans ce cas, les participants peuvent soit rappeler les informations apprises d’une façon non organisée (par exemple en essayant de les rappeler dans l’ordre où elles ont été présentées), soit tenter d’organiser ces informations mais en conséquence, en rappeler moins. C’est ce que nous appelons ici l’effet « vases communicants », qui se produit lorsque les individus dont les ressources attentionnelles sont réduites (c’est-à-dire, enfants, personnes âgées, patients dépressifs) tentent d’organiser les informations, ce qui sature leurs ressources, les rendant insuffisantes pour traiter les informations à mémoriser. Dans ce cas, on observe un indice d’organisation élevé, mais des performances au rappel faibles, se traduisant par une faible corrélation entre les deux mesures. Lors des tâches de mémoire, un apport d’indices au moment du rappel facilite la récupération des informations apprises (par ex., Tulving & Osler, 1968) à condition que ces indices aient également été présents au moment de l’encodage (Tulving & Thomson, 1973). Dans ce contexte, l’augmentation des performances de rappel dans le cas d’une liste organisable suggère que les noms de catégories ont été encodés au moment de l’apprentissage de façon auto-initiée (c’est-à-dire qu’aucune consigne n’informe qu’il faut enregistrer les noms de catégories), et que le rappel des catégories, servant d’indices de récupération également auto-initiés (c’est-à-dire non présentés directement mais initiés par le sujet lui-même) va faciliter la récupération des exemplaires de catégories. Les processus auto-initiés sont coûteux en attention (Craik, 1983). En conséquence, on peut facilement comprendre que l’organisation des informations dans une tâche de mémoire épisodique, nécessitant la mise œuvre de processus L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2014, 114, 77-95 Organisation et attention 81 auto-initiés, soit coûteuse en attention, ce qui a été mis en évidence dans une seule étude (Park et al., 1989), où des participants jeunes et âgés ont appris et/ou rappelé une liste de mots en condition d’attention divisée ou non. La division de l’attention, qu’elle ait eu lieu à l’encodage ou à la récupération, diminuait non seulement les performances au rappel, mais également la qualité de l’organisation mesurée par l’indice ARC (Roenker et al., 1973), ainsi que la quantité de catégories rappelées. Un résultat intéressant montrait que l’âge n’interagissait avec la condition attentionnelle que lorsque l’attention était divisée à l’encodage. Ainsi, les participants âgés, dont les ressources attentionnelles sont diminuées (Craik & Byrd 1982) étaient particulièrement pénalisés lorsque leur attention était divisée au moment de l’apprentissage, suggérant que les ressources attentionnelles sont davantage requises à l’encodage qu’à la récupération. Ces données sont en accord avec d’autres études sur la mémoire qui montrent que les performances en mémoire sont davantage altérées lorsque l’attention est divisée à l’encodage plutôt qu’à la récupération (par ex., Craik, et al., 1996 ; Naveh-Benjamin, et al., 2000 ; Naveh-Benjamin, Craik, Guez, & Kreuger, 2005 ; Troyer & Craik, 2000). Dans cette expérience, les effets de la division de l’attention à l’encodage et au rappel ont été examinés sur les performances à des tâches de rappel libre et indicé d’une liste organisable, et sur l’indice d’organisation (ARC). Les relations entre rappel et organisation ont aussi été étudiées pour évaluer le déficit d’utilisation de stratégie. En effet, la stratégie d’organisation d’informations n’est utile que si elle permet d’améliorer les performances mnésiques. L’intérêt de l’étude de l’organisation réside donc largement dans l’exploration de sa relation avec les performances en mémoire. Cette étude a pour objectifs 1. de confirmer l’effet de l’attention divisée sur le rappel et sur l’indice d’organisation (Park et al., 1989). En plus des mesures examinées par ces auteurs, nous avons proposé aux participants une tâche de rappel indicé, et surtout, nous avons étudié les relations entre les performances au rappel et l’indice d’organisation. Cela a rarement été effectué dans la littérature, et à notre connaissance, jamais lorsque l’attention a été divisée à l’une des étapes de la mémoire. Nous attendons un effet plus prononcé de la division de l’attention lorsqu’elle a lieu à l’encodage plutôt qu’à la récupération. Cet effet devrait apparaître principalement dans la relation entre les performances au rappel et l’indice d’organisation. 2. De plus nous attendons un effet de l’apport d’indices de récupération (nom des catégories représentées dans la liste) à la fois sur le rappel et l’indice d’organisation, dans la mesure où l’apport d’indices est susceptible de diminuer la nécessité de mettre en œuvre des processus auto-initiés à la récupération. 3. Toutefois, ces indices devraient L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2014, 114, 77-95 82 Capucine Toczé r Laurence Taconnat être moins efficaces pour le rappel lorsque les catégories ont été plus difficiles à identifier à l’apprentissage, c’est-à-dire dans la condition où l’attention a été divisée à l’encodage. 4. Enfin, le dernier objectif, qui fait la principale originalité de cette étude, porte sur l’examen de l’efficacité de la stratégie d’organisation. Pour cela, nous examinerons les corrélations entre le rappel et l’organisation. En condition d’attention divisée, les opérations d’encodage/récupération et d’organisation ne peuvent pas être mises en place simultanément de façon optimale. Donc, en condition d’attention divisée, les performances en rappel et l’indice d’organisation ne devraient pas être corrélées, reflétant l’absence d’efficacité de l’organisation pour améliorer les performances en rappel. Cette inefficacité devrait toutefois être réduite par l’apport d’indices de récupération au moment du rappel. Enfin, étant donné l’effet particulièrement délétère de la division de l’attention à l’encodage, le pattern de déficit d’utilisation de stratégie devrait apparaître de façon particulièrement marquée lorsque l’attention est divisée à l’encodage, c’est-à-dire que la corrélation entre l’indice d’organisation et le rappel devrait être particulièrement faible dans la condition où l’attention est divisée au moment de l’encodage. 2. MÉTHODE 2.1. Participants Cent-vingt-cinq jeunes adultes ont participé à cette étude. Quatre d’entre eux ont été exclus pour défaut d’application des consignes de division de l’attention. Les analyses portent donc sur 121 sujets. Ils étaient divisés en 6 groupes, chacun correspondant à une condition expérimentale particulière. Les 6 groupes étaient équivalents en âge, en nombre moyen d’années d’études, en capacités verbales mesurées par le test de vocabulaire de Mill-Hill (Raven, Court, & Raven, 1986) et en dépression et anxiété mesurées par le questionnaire Hospital Anxiety and Depression Scale (HADS, Zigmond & Snaith, 1983), qui sont des variables susceptibles d’affecter la mémoire. Les caractéristiques des participants sont résumées dans le Tableau 1. 2.2. Matériel et procédure Les participants devaient apprendre une liste de 20 mots organisables (5 catégories de 4 mots, voir l’annexe pour une présentation détaillée du L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2014, 114, 77-95 Organisation et attention 83 Tableau 1. Caractéristiques (moyennes et écart-types) des individus pour chaque condition expérimentale Table 1. Individual characteristics (means and standard deviation) in each experimental condition Attention focalisée Age Étude Vocabulaire HADS D HADS A AD encodage AD récupération RL n = 20 RI n = 21 RL n = 20 RI n = 20 RL n = 20 RI n = 20 26,6 (0,91) 12,75 (1,23) 24,6 (1,97) 5,75 (2,21) 4,45 (1,73) 26,71 (4,84) 12,42 (0,92) 24,42 (2,74) 5,19 (1,50) 4,52 (2,97) 26,00 (3,16) 12,55 (0,99) 24,85 (3,39) 5,15 (1,78) 5,35 (1,66) 26,70 (4,20) 12,85 (1,08) 24,95 (1,05) 4,95 (1,43) 4,55 (1,57) 24,90 (4,10) 13,05 (0,82) 24,60 (2,70) 5,85 (1,95) 4,30 (1,80) 25,60 (2,98) 13,15 (0,88) 24,60 (2,01) 4,95 (1,60) 4,25 (1,83) Notes : RL : Rappel libre ; RI : Rappel indicé ; AD : attention divisée. Étude : Nombre d’années d’études. HADS D : Score à l’échelle d’anxiété de l’Hospital Anxiety/Depression Scale. HADS A : Score à l’échelle de dépresison de l’Hospital Anxiety/Depression Scale. matériel). Les mots étaient présentés visuellement pendant 3 secondes avec un temps inter stimulus d’une seconde sur un écran d’ordinateur, dans un ordre pseudo-aléatoire de façon à ce que deux mots de la même catégorie ne soient pas présentés à la suite. Les participants n’étaient pas au courant de la structure de la liste avant de commencer la tâche, mais étaient informés qu’ils devraient rappeler cette liste ultérieurement. À la fin de la présentation de la liste de mots, les participants devaient compter à rebours pendant une minute pour éviter les effets de récence au moment du rappel. Suite à cette tâche interférente, les sujets devaient rappeler les mots dans l’ordre où ils apparaissaient dans leur mémoire, soit en rappel libre, soit en rappel indicé. Dans ce dernier cas, la liste des 5 catégories apparaissait sur l’écran de l’ordinateur et y restait jusqu’à la fin de la tâche de rappel. Les participants pouvaient s’aider de cette liste pour rappeler les mots. Ils pouvaient donc rappeler les mots en suivant l’ordre exact de la présentation des catégories à l’écran, ou bien regarder cette liste si besoin. La présentation simultanée de toutes les catégories a été choisie à la place d’une présentation séquentielle, où chaque nouvelle catégorie (donc chaque nouvel indice) L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2014, 114, 77-95 84 Capucine Toczé r Laurence Taconnat aurait été présentée à la fin du rappel des mots de la catégorie précédente. Ce dernier type de présentation, en favorisant une organisation parfaite des mots au rappel, aurait abouti à un ARC parfait de 1. La présentation simultanée n’induit pas obligatoirement une organisation parfaite, et rend donc légitime le calcul de l’ARC. L’encodage et le rappel des mots se faisaient soit en condition d’attention focalisée, soit en condition d’attention divisée. Une tâche continue de détection auditive était utilisée comme tâche secondaire pour diviser l’attention. Pour cela, une succession de chiffres entre 1 et 9 était présentée à travers un casque, au rythme de un toutes les 2 secondes. Il s’agit d’une tâche classiquement utilisée pour évaluer l’effet de l’attention divisée sur la mémoire (par ex., Craik, et al., 1996 ; Naveh-Benjamin, et al., 2000 ; Naveh-Benjamin et al., 2005 ; Sacher, Taconnat, Souchay et Isingrini, 2009 ; Taconnat & Isingrini, 2004 ; Troyer & Craik, 2000). Les participants devaient appuyer sur un bouton aussi vite que possible dès qu’ils entendaient un chiffre pair. Les temps de réponses, c’est-à-dire la précision de la réponse, étaient enregistrés, ainsi que le nombre de chiffres détectés. Pour vérifier que les participants avaient bien réalisé la double tâche, nous avons comparé les performances à la tâche de détection de chiffres dans deux conditions : tâche secondaire seule et tâche secondaire réalisée pendant la tâche de mémoire. En effet, la tâche secondaire pénalise généralement les performances à la tâche principale, mais la réussite à la tâche secondaire est également plus faible lorsque celle-ci est réalisée en tant que tâche secondaire, c’est-à-dire en plus de la tâche principale, que seule. Cette diminution de la réussite à la tâche secondaire indique que les individus ont bien réalisé les deux tâches simultanément, ce qui réduit significativement leurs performances aux deux tâches. L’ANOVA (2 : étape de division de l’attention : encodage vs. récupération ∗ 2 : type de rappel : rappel indicé vs. rappel libre ∗ condition : tâche simple vs. double tâche) réalisée sur le nombre d’items détectés dans la tâche secondaire met en évidence un effet de la condition [F(1,76)=84,61, p < 0,001] indiquant que les participants détectent moins de chiffres lorsqu’ils font en même temps la tâche de mémoire (85,16 % d’items détectés vs. 96,83 %). Les participants mettent également plus de temps (ils sont moins précis) lorsqu’ils doivent détecter les chiffres pairs en faisant la tâche de mémoire (948,27 ms) que lorsqu’ils ne font que la tâche de détection (713,91 ms) [F(1,76) = 239,18, P < 0,001]. Aucun autre effet ou interaction n’est significatif [F < 1] indiquant que les sujets ont détecté le même nombre d’items quelle que soit l’étape de division de l’attention ou le type de rappel. Le nombre de mots rappelés et l’indice d’organisation (ARC, Roenker et al., 1971) ont été pris en considération (variables dépendantes) pour L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2014, 114, 77-95 Organisation et attention 85 chaque participant et pour chacune des conditions expérimentales. Cet indice a précisément été utilisé car il ne dépend pas du nombre de mots rappelés. Ainsi, un sujet peut présenter un indice d’organisation élevé tout en ayant un score de rappel faible. Les relations entre ces deux variables dépendantes ont également été analysées (analyses corrélationnelles) pour évaluer l’efficacité de la stratégie d’organisation. 3. RÉSULTATS Les données ont été analysées en deux temps. Tout d’abord, une ANOVA 3 (condition attentionnelle : focalisée, divisée à l’encodage, divisée au rappel) x 2 (type de rappel : libre, indicé) a été réalisée sur le nombre de mots rappelés et l’indice d’organisation ARC. Ensuite, pour examiner l’hypothèse du déficit d’utilisation de stratégie, nous avons effectué des corrélations entre le rappel et l’indice ARC pour chaque groupe. 3.1. Effet de la division de l’attention et de l’apport d’indices sur le rappel Les scores obtenus au rappel dans les différentes conditions expérimentales sont représentés dans la Figure 1. L’analyse de variance portant sur le rappel montre un effet de l’indiçage [F(1,115)=5,89 ; p < 0,05] indiquant que les mots sont mieux rappelés lorsqu’un indice est fourni et un effet de la condition attentionnelle [F(2,115)=90,38 ; p < 0,001]. L’analyse partielle des données montre que les mots sont mieux rappelés en condition d’attention focalisée (M = 0,70, ET = 0,10) qu’en condition d’attention divisée à l’encodage (M = 0,48, ET = 0,10) [F(1,97) = 230,82 ; p< 0,0001] et qu’en condition d’attention divisée à la récupération (M = 0,60, ET = 0,12), [F(1,97) = 55 ; 86 ; p < 0,0001)]. L’interaction entre la condition attentionnelle et l’indiçage est significative [F(2,115) = 5,30 ; p < 0,01] et montre que la condition attentionnelle influence davantage les performances en rappel libre que les performances en rappel indicé. L’analyse des effets de l’étape où l’attention est divisée et de l’apport d’indices de récupération montre que le rappel est plus affecté lorsque l’attention est divisée à l’encodage [F(1, 76) = 43,18, p < 0,0001] (M = 0,70, ET = 0,06 en attention focalisée, M = 0,48, ET = 0,07 en condition AD à l’encodage, et M = 0,60, ET = 0,09 en condition AD à la récupération) et que les mots sont mieux rappelés en présence d’indices [F(1, 76) = 9,23 ; p < 0,01] (M = 0,58, ET = 0,12 en rappel libre, et M = 0,62, ET = 0,11 L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2014, 114, 77-95 86 Capucine Toczé r Laurence Taconnat Figure 1 . Proportion de mots rappelés dans chacune des conditions expérimentales. Figure 1. Proportion of words recalled in each experimental condition. en rappel indicé). L’interaction entre ces deux facteurs est significative [F(1,76) = 12,01 ; p < 0,05], indiquant que les indices de récupération sont plus efficaces dans la condition où l’attention est divisée à la récupération. Notons que dans la condition d’attention focalisée, l’effet des indices n’est pas significatif [t(39) = 0,52, ns]. 3.2. Effet de la division de l’attention et des indices sur l’indice d’organisation (ARC) Les données relatives à l’indice d’organisation ARC sont représentées dans la Figure 2. L’analyse de variance portant sur l’ARC met en évidence un effet de l’indiçage sur l’organisation [F(1,115) = 21,25 ; p < 0,001], indiquant que l’ARC est plus élevé dans la condition de rappel indicé, un effet de la condition attentionnelle [F(2,115) = 181,87 ; p < 0,001], indiquant que les performances observées dans les conditions d’attention focalisée, d’attention divisée à l’encodage et d’attention divisée à la récupération diffèrent. Les analyses partielles comparant l’ARC dans ces trois conditions montrent que dans la condition d’attention focalisée, cet indice est supérieur (M = 0,79, E.T. = 0,08) à celui observé dans la condition d’attention divisée à l’encodage, (M = 0,46, E.T. = 0,10) [t(79)= 15,11 ; p< 0,0001) et à celui observé dans la condition d’attention divisée à la récupération (M = 0,54, E.T. = 0,07, t(79) = 14,09 ; p< 0,0001). L’interaction entre la condition attentionnelle et l’indiçage est significative [F(2,115) = 9,39 ; p < 0,001] et montre que l’effet des L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2014, 114, 77-95 Organisation et attention 87 Figure 2 . Indice d’organisation moyen pour dans chacune des conditions expérimentales. Figure 2. Mean organisation index in each experimental condition. indices sur l’organisation n’est pas identique quelle que soit la condition expérimentale. L’analyse des effets de l’étape où l’attention est divisée (c’est-à-dire, condition d’attention focalisée exclue des analyses) et de l’apport d’indices de récupération montre que l’indice d’organisation est plus affecté lorsque l’attention est divisée à l’encodage [F(1, 76) = 43,18 ; p < 0,0001] et qu’il est plus important en présence d’indices [F(1, 76) = 9,23 ; p < 0,01]. L’interaction entre ces deux facteurs est significative [F(1,76) = 12,01 ; p < 0,05], indiquant que les indices de récupération sont plus efficaces dans la condition où l’attention est divisée à la récupération. Notons que dans la condition d’attention focalisée, l’effet des indices sur l’organisation n’est pas significatif [t(39) = 0,52, ns]. 3.3. Utilisation de la stratégie d’organisation : corrélations entre l’organisation et le rappel Pour évaluer l’efficacité de la stratégie d’organisation, des analyses corrélationnelles ont été réalisées entre l’ARC et les scores à l’épreuve de rappel. Les coefficients de corrélations sont présentés dans le Tableau 2. Ils indiquent que les performances au rappel ne sont pas toujours en lien avec la qualité de l’organisation. Notamment, la condition de division de l’attention à l’encodage diminue particulièrement le lien entre organisation L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2014, 114, 77-95 88 Capucine Toczé r Laurence Taconnat Tableau 2. Corrélations entre le score de rappel et l’indice d’organisation ARC pour chacune des conditions expérimentales Table 2. Correlation between the recall scores and ARC organisational index in each experimental condition Conditions Attention focalisée AD encodage AD récupération ARC/Rappel Libre ARC/Rappel Indicé 0,75∗∗ -0,48∗ 0,17 0,5∗ 0,3 0,48∗ Note : ∗ : p < 0,05 ; ∗∗ : p < 0,01 et rappel (à la fois rappel libre et rappel indicé). Dans ce cas, l’organisation des mots au moment du rappel ne favorise pas les performances. Lorsque la division de l’attention a lieu à l’encodage et qu’il n’y pas d’indices pour aider le rappel, la relation organisation/rappel est négative, ce qui suggère ici que la tentative d’organisation des mots peut nuire à la qualité optimale de l’encodage, et donc à la quantité de mots rappelés. 4. DISCUSSION Les principaux objectifs de cette étude étaient de montrer qu’un déficit d’utilisation de la stratégie d’organisation pouvait être observé avec du matériel familier chez des adultes jeunes dans des conditions attentionnelles contraignantes, et que la qualité de l’encodage était déterminante pour une utilisation efficace de cette stratégie au moment du rappel. Nos données confirment celles de la littérature concernant l’effet de la division de l’attention sur la mémoire (par ex., Craik, et al., 1996 ; Naveh-Benjamin, et al., 2000 ; Naveh-Benjamin, Craik, Guez, & Kreuger., 2005 ; Sacher et al., 2009 ; Taconnat & Isingrini, 2004 ; Troyer & Craik, 2000) et les stratégies d’organisation (Park et al., 1989). De plus, conformément à d’autres résultats déjà observés (par ex., Craik, et al., 1996 ; Naveh-Benjamin, et al., 2000 ; Naveh-Benjamin, et al., 2005 ; Troyer & Craik, 2000), nos données indiquent que la division de l’attention affecte davantage les performances en rappel lorsque celle-ci a lieu au moment de l’encodage, montrant que cette étape est particulièrement coûteuse en attention. La division de l’attention pourrait avoir un effet particulièrement délétère sur l’encodage relationnel, ou encodage inter-items, effectué habituellement durant l’apprentissage d’une liste de mots organisables. Or, plusieurs L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2014, 114, 77-95 Organisation et attention 89 études ont montré que la possibilité d’organiser les mots diminuait considérablement leur oubli lors de rappels successifs (Klein, 1999 Burns, 1993 ; Taconnat et al., 2009). Toutefois, ce point ne peut pas être vérifié ici puisque les participants n’ont effectué qu’un seul rappel. Nos résultats confirment également le rôle bénéfique des indices sur la récupération en mémoire épisodique (par ex., Tulving & Thompson, 1969), puisque globalement, les performances en rappel indicé sont supérieures à celles observées en rappel libre. Toutefois, ce propos doit être nuancé par le fait que l’apport d’indices est inefficace dans la condition d’attention focalisée. Ce résultat peut être interprété par le fait qu’il s’agit de l’apprentissage de listes organisables, et que le rappel (auto-initié) des catégories peut servir d’indices de récupération, rendant inutile la présentation effective de ces indices. L’étude des interactions entre le moment où l’attention est divisée (c’est-à-dire attention divisée à l’encodage vs. division de l’attention à la récupération) et la condition de rappel (c’est-à-dire rappel libre vs. rappel indicé) apporte des précisions intéressantes. Concernant les performances au test de rappel, cette interaction montre que les indices (c’est-à-dire les noms des catégories) sont moins efficaces lorsque l’attention a été divisée à l’encodage. En accord avec les travaux de Tulving et Thomson (1973), les indices de récupération ne sont efficaces que s’ils sont présents aussi à l’apprentissage. Ainsi, l’attention divisée à l’encodage a pu diminuer la possibilité d’initier un encodage profond et donc de prendre en considération l’appartenance catégorielle des mots, ce qui rend la représentation des noms de catégories en tant qu’indices moins efficace pour le rappel de ces mots. Ces résultats sont en accord avec ceux de l’étude de Park et al. (1989) qui avaient montré que la division de l’attention à l’encodage réduisait le nombre de catégories rappelées (et donc le rappel auto-initié d’indices de récupération), et confirment que l’encodage sémantique est particulièrement dépendant des ressources attentionnelles (Naveh-Benjamin et al., 2000). Notons que la tâche concurrente effectuée dans les conditions d’apprentissage et de récupération en attention divisée est une tâche classique utilisée dans les études sur la mémoire (par ex., Craik, et al., 1996 ; Naveh-Benjamin, et al., 2000 ; Naveh-Benjamin, Craik, Guez, & Kreuger, S., 2005 ; Sacher et al., 2009 ; Taconnat & Isingrini, 2004 ; Troyer & Craik, 2000). Cette tâche consiste à identifier des nombres pairs présentés parmi des nombres impairs. Or cette tâche nécessite un traitement sémantique (par ex., Bourassa, Derrick Besner, & Derek,1994 ; Dehaene, Bossini, & Giraux, 1993), c’est-à-dire de même nature que celui mis en œuvre à l’apprentissage et à la récupération de listes de mots organisables sur la base de leurs catégories sémantiques. Il est donc possible que la tâche concurrente ait L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2014, 114, 77-95 90 Capucine Toczé r Laurence Taconnat eu un effet particulièrement délétère, et il serait intéressant d’examiner l’effet d’une tâche concurrente non sémantique de façon à explorer l’effet fondamental (c’est-à-dire en dehors de tout effet d’interférence sémantique) de la division de l’attention sur la stratégie d’organisation. La division de l’attention et l’apport d’indices au moment de la récupération modifient également la qualité de l’organisation confirmant que la stratégie d’organisation est coûteuse en attention (Park et al., 1989) et dépend de la récupération des catégories au moment du rappel. Là encore, ce sont les résultats issus des interactions qui permettent de comprendre les mécanismes sous-jacents à l’organisation des informations. Ainsi, on observe globalement un effet de la présentation d’indices de récupération sur l’organisation qui n’apparaît toutefois pas dans la condition d’attention focalisée. L’absence d’efficacité des indices pourrait refléter la mise en œuvre de processus auto-initiés de récupération des noms de catégories, rendant inutile l’apport effectif d’indices de récupération, qui sont justement les noms des catégories. Par ailleurs, bien que la qualité globale de l’organisation soit plus affectée par la division de l’attention à l’encodage, les participants tirent plus de profit de la mise à disposition d’indices de récupération dans cette condition. Ce résultat suggère que les ressources attentionnelles disponibles au moment du rappel permettent aux sujets d’utiliser les indices pour mieux organiser les informations rappelées. En conséquence, la présentation d’indices dans la condition de division de l’attention à l’encodage contribue peu à améliorer le rappel, mais permet de rappeler les mots de façon relativement bien organisée. L’aspect novateur de cette étude est d’avoir exploré l’efficacité de la stratégie d’organisation en évaluant le lien entre les performances de rappel et l’indice d’organisation en attention focalisée et en attention divisée soit à l’encodage, soit à la récupération. Concernant ce point, les résultats indiquent qu’en attention focalisée, les performances au rappel sont corrélées à l’indice d’organisation, indiquant que mieux les sujets organisent les informations, plus ils rappellent de mots. Ces résultats apparaissent aussi bien en rappel libre (r = 0,75) qu’en rappel indicé (r = 0,50). Précisons que la comparaison de ces deux coefficients de corrélations montre qu’elles ne sont pas statistiquement différentes (p= 0,22). Ces données confirment ceux de travaux plus anciens, mettant en évidence l’efficacité de la stratégie d’organisation sur une épreuve de mémoire épisodique chez des adultes jeunes (Denney et al. 1974 ; Taconnat et al., 2009). Au contraire, lorsque l’attention est divisée à l’encodage ou à la récupération, les deux scores ne sont pas corrélés, voire sont corrélés de façon négative. Cela indique que dans ces conditions, les performances au rappel ne sont pas modulées par la qualité de l’organisation, et qu’en L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2014, 114, 77-95 Organisation et attention 91 conséquence, l’utilisation de cette stratégie n’est pas efficace pour la mémoire. Il existe une exception à ce pattern. Lorsque l’attention est divisée au rappel mais que des indices de récupération sont présents, les scores de rappel et d’organisation sont corrélés positivement et significativement. Ce résultat suggère que les catégories ont été encodées correctement au moment de l’apprentissage, et que leur représentation au moment du rappel permet d’organiser les informations sans que cela ne soit trop coûteux en ressources attentionnelles pour les sujets. Cela pourrait être interprété par une plus faible implication des ressources attentionnelles au moment de la récupération des informations, au moins lorsque celle-ci est facilitée par la présence d’indices. Cette interprétation est renforcée par les résultats de l’analyse de variance mettant en évidence un effet plus important de la division de l’attention à l’encodage, autant pour les scores de rappel que pour ceux reflétant l’organisation. L’observation d’une corrélation négative significative entre le rappel et l’organisation n’était pas attendue. Ce résultat apparaît néanmoins lorsque l’attention est divisée à l’encodage et que la récupération se fait sans indice (rappel libre). Cela confirme de nouveau le fait que la qualité de l’encodage est cruciale non seulement pour rappeler et organiser correctement les informations, mais surtout pour que l’organisation puisse bénéficier au rappel. Cette corrélation négative pourrait apparaître dans la mesure où les sujets « perdent » une partie des informations apprises lorsqu’ils recherchent en mémoire les indices (noms des catégories) susceptibles de les aider à rappeler. De ce fait, plus les sujets tentent de retrouver ces noms de catégories, moins ils retrouvent les mots associés à ces catégories. Au contraire, s’ils ne cherchent pas à retrouver les noms de catégories mais rappellent les mots dans un ordre proche de celui utilisé à la présentation, les sujets vont rappeler davantage de mots de la liste, mais de façon moins organisée. D’autres études seraient nécessaires pour confirmer cet effet « vases communicants ». Dans la condition de rappel indicé, les sujets n’utilisent pas de ressources attentionnelles pour retrouver les noms de catégorie, puisque ce sont eux qui sont présentés comme indices. La corrélation négative n’est pas observée dans cette condition, où il n’y a simplement pas de lien entre rappel et organisation. Globalement, cette étude confirme que les processus mnésiques et la stratégie d’organisation sont coûteux en attention, et montre que lorsque l’attention est réduite, comme ici où nous avons utilisé un paradigme d’attention divisée, les sujets ne peuvent pas à la fois encoder et organiser, ou rappeler et organiser des informations. Elle contribue à une meilleure connaissance des mécanismes cognitifs qui sous-tendent l’organisation en mémoire épisodique, et des liens qu’entretient cette stratégie avec L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2014, 114, 77-95 92 Capucine Toczé r Laurence Taconnat les performances de mémoire. Plus particulièrement, cette étude montre qu’un déficit d’utilisation de la stratégie d’organisation est susceptible d’apparaître avec du matériel familier chez des adultes jeunes dont les capacités attentionnelles sont saturées par la réalisation d’une tâche secondaire. La stratégie d’organisation, comme les processus cognitifs impliqués dans l’encodage et la récupération en mémoire sont coûteux en attention. Ainsi, lorsque l’attention est divisée à l’une de ces étapes, soit la qualité de l’organisation, soit la quantité d’informations rappelées s’en trouve réduite. Par ailleurs, les données de la présente étude ont montré que la mise en œuvre d’une stratégie d’organisation efficace pour la mémoire nécessitait l’intégrité de l’étape d’encodage, plus que de la récupération. Cette information est importante, car il est difficile de connaître à quelle étape de la mémoire débute la stratégie d’organisation. Étant donné que sa mesure est quantifiée à partir des données issues de la récupération, c’est-à-dire, l’ordre dans lequel les mots sont rappelés, il aurait été cohérent de penser que l’organisation reflétait essentiellement un processus de récupération. Or, les résultats de la présente étude montrent que l’organisation est avant tout le produit de processus d’encodage, puisque c’est la division de l’attention à l’encodage qui affecte le plus l’organisation. Dans ce cas, l’utilisation de stratégies peut nuire aux performances mnésiques, dans le sens où si les sujets essaient d’organiser les informations, ils en rappellent moins. Le déficit d’utilisation de stratégie peut donc être observé chez des adultes jeunes et avec du matériel familier, quand l’attention que portent les sujets à la tâche, au moment de l’apprentissage est réduite expérimentalement. Reçu le 24 septembre 2012. Révision acceptée le 18 janvier 2013. BIBLIOGRAPHIE Bjorklund, D. F., & Harnishfeger, K. K. (1987). 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