la nutrition en médecine : approche - Université de Franche

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UNIVERSITƒ DE FRANCHE-COMTƒ
ƒCOLE DOCTORALE Ç LANGAGES, ESPACES, TEMPS, SOCIƒTƒS È
Thse en vue de lÕobtention du titre de docteur en
PHILOSOPHIE
LA NUTRITION EN MƒDECINE : APPROCHE
EPISTƒMOLOGIQUE, PROBLéMES ETHIQUES ET CAS
CLINIQUES
PrŽsentŽe et soutenue publiquement par
Diana CARDENAS-BRAZ
Le 19 septembre de 2016
Sous la direction de Mme. le Professeur Corine PELLUCHON
Membres du jury :
ƒric FIAT, Professeur ˆ lÕuniversitŽ de Paris-Est, Marne La VallŽe, Rapporteur
Jean-Daniel LALAU, Professeur ˆ lÕuniversitŽ de Picardie Jules Verne
Thierry MARTIN, Professeur ˆ lÕuniversitŽ de Franche-ComptŽ
Corine PELLUCHON, Professeur ˆ lÕuniversitŽ de Franche-ComptŽ
Jean-Philippe PIERRON, Professeur et doyen de la facultŽ de philosophie de Lyon 3,
Rapporteur
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ˆ Osito,
ˆ mes filles Anastasia et Antonia.
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Remerciements
Je souhaite avant tout remercier ma directrice de thse, Madame Corine PELLUCHON,
Professeur des universitŽs pour son attention bienveillante et sa disponibilitŽ permanente.
Elle a su mÕapporter sa rigueur scientifique et sa compŽtence ainsi que toute son amitiŽ.
JÕexprime mes remerc”ments ˆ lÕensemble du jury, messieurs les professeurs ƒric FIAT,
Jean-Daniel LALAU, Thierry MARTIN, Jean-Philippe PIERRON.
Un grand merci ˆ mes parents et ˆ mes frres, en particulier ˆ ma mre Mercedes, pour
mÕavoir soutenue et encouragŽe tout au long de la thse. Un! remerciement particulier ‡
Nathalie pour sa disponibilitŽ et sa gentillesse.
A mon mari Adelino pour les nombreuses relectures attentives de ce travail de thse et qui
a su avec patience et amour me soutenir tout au long de ce travail.
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Liste des abrŽviations
ADA : Association AmŽricaine de DiŽtŽtique
ADDFMS : Aliments diŽtŽtiques destinŽs ˆ des fins mŽdicales spŽciales
AGA : Anneau gastrique
ANSES : Agence Nationale de SŽcuritŽ Sanitaire de l'Alimentation, de l'Environnement et
du Travail
BPG : By-pass gastrique
CEN : Collge des Enseignants de Nutrition des FacultŽs de MŽdecine de France
CLAN : ComitŽ Liaison Alimentation Nutrition
DBP : DŽrivation biliopancrŽatique
DEXA : Dual energy X-ray absorptiometry
ESPEN : European Society of Clinical Nutrition
GPE : Gastrostomie percutanŽe endoscopique
GVC : Gastroplastie verticale calibrŽe
GL : Gastrectomie longitudinale ou sleeve gastrectomy
HAS : Haute AutoritŽ de SantŽ
NE : Nutrition entŽrale
NP : Nutrition parentŽrale
PNNS : Programme national nutrition-santŽ
SACN : American Society for Nutritional Science
SNO : SupplŽments nutritionnels oraux
UTNC : UnitŽs Transversales de Nutrition Clinique
WW : Weight Watchers
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Introduction gŽnŽrale
La nutrition occupe une place centrale dans la santŽ de lÕindividu, que ce soit chez lui, ˆ
lÕh™pital ou dans la vie en communautŽ. DŽfinie comme science, elle Žtudie lÕensemble des
procŽdŽs par lesquels les individus utilisent lՎnergie des aliments pour trouver un
Žquilibre nutritionnel et assurer un bon Žtat de santŽ. Conue comme une fonction
physiologique, elle dŽpend de lÕapport de nutriments, autrement dit de lÕalimentation. Ë ce
titre, lÕalimentation sÕinscrit dans le domaine de tout ce qui se rapporte ˆ la nourriture
permettant ˆ un organisme vivant de fonctionner. Etroitement liŽs, ces deux domaines,
nutrition et alimentation, sont fondamentaux dans la prŽservation de la santŽ, la prŽvention
et la guŽrison de maladies.
ConsidŽrant cette premire dŽfinition, force est de constater, que la malnutrition conue
comme lÕaltŽration de lՎtat nutritionnel, comme le surpoids, lÕobŽsitŽ, la dŽnutrition, la
carence, la cachexie et la sarcopenie, se prŽsente comme un problme majeur de santŽ
publique en France, et cela malgrŽ le Plan National Nutrition SantŽ (PNNS). Le PNNS
dŽtermine, avec le Plan ObŽsitŽ, la politique publique en nutrition et vise, dans le cadre des
actions de la Ç stratŽgie nationale de santŽ publique È, un meilleur Žtat de santŽ des franais
en agissant sur le facteur nutritionnel. PrŽcisons sur ce point que cette politique se dŽcline
selon deux modalitŽs : la prŽvention nutritionnelle et la prise en charge des maladies liŽes ˆ
la nutrition, principalement lÕobŽsitŽ. Il est possible dÕidentifier et de reconna”tre la
malnutrition dans la population gŽnŽrale et dans les Žtablissements de santŽ, comme les
h™pitaux, les hŽbergements pour personnes ‰gŽes dŽpendantes, les centres de soins de suite
et de rŽadaptation, etc.
Ce phŽnomne est loin dՐtre insignifiant : dÕune part, au niveau de la population, la
prŽvalence des maladies chroniques liŽes ˆ la nutrition est ŽlevŽe. Par exemple, en France,
en 2012, le taux des franais adultes en surpoids sՎlevait ˆ 32,3 %, et ˆ 15 % pour les
adultes en obŽsitŽ. Le diabte de type II atteint 3,700 000 de franais. Les maladies
cardiovasculaires reprŽsentent 180 000 dŽcs par an dont 25 % concernent, des personnes
de moins de 75 ans. Ces diffŽrentes maladies chroniques constituent la premire cause de
mortalitŽ ˆ lՎchelle mondiale et leur prŽvalence ne cesse d'augmenter. Cela reprŽsente un
cožt Žconomique majeur pour la sociŽtŽ. Prises dans ce contexte, la nutrition et
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lÕalimentation se prŽsentent du coup comme des facteurs dŽterminants dans lÕorigine,
lՎvolution et le traitement de ces maladies. DÕautre part, ˆ lÕh™pital, 40 ˆ 60% des patients
sont atteints de dŽnutrition, et chiffre qui varie largement selon la maladie, lՉge du patient
et le service. Par exemple, la prŽvalence de la dŽnutrition augmente avec lՉge. Elle est de
4 ˆ 10 % chez les personnes ‰gŽes vivant ˆ domicile, de 15 ˆ 38 % chez celles qui sont en
institution et de 30 ˆ 70 % chez les malades ‰gŽs hospitalisŽs. La dŽnutrition est un facteur
indŽpendant de morbi-mortalitŽ et elle est responsable dÕun surcožt hospitalier important.
Les Žtudes ont montrŽ, par exemple, que les patients souffrant de dŽnutrition ou dÕune
perte de poids avant lÕhospitalisation, sont confrontŽs ˆ un risque quatre fois plus ŽlevŽ de
dŽvelopper un ulcre de pression1. De mme, le pourcentage de dŽvelopper une
entŽrocolite par Clostridium difficile2, une infection du site opŽratoire, ou une pneumonie
post-opŽratoire est deux ˆ trois fois plus important. Cela est dÕautant plus inacceptable que
la dŽnutrition, souvent liŽe ˆ la faim et ˆ lÕinadŽquation de lÕalimentation des patients
hospitalisŽs, est vŽcue comme une souffrance et une atteinte ˆ la qualitŽ de vie des patients.
Pour faire face ˆ cela, il est possible aujourdÕhui de mettre en place diverses stratŽgies
nutritionnelles : les conseils nutritionnels, qui visent la prŽvention et la mise en place de
bonnes habitudes alimentaires ; lՎducation thŽrapeutique, pour aider les patients dans
lÕacquisition des compŽtences dont ils ont besoin et pour gŽrer au mieux leur vie avec une
maladie chronique ; et le support nutritionnel, qui implique lÕadministration de la nutrition
artificielle entŽrale et parentŽrale. Ces activitŽs sÕinscrivent dans ce que nous qualifions de
Ç soins nutritionnels È. Depuis quarante ans, et cÕest lˆ une avancŽe notable, lՎvolution
des techniques dÕalimentation artificielle, en particulier, de la production artificielle des
nutriments, a fait quÕelle soit possible non seulement par voie buccale, mais Žgalement en
passant par un cathŽter introduit dans une veine ou par une sonde dans lÕestomac ou
lÕintestin. La nutrition artificielle, connue sous le terme de Ç support nutritionnel È ou
Ç nutrition mŽdicale È, sÕaffirme ainsi comme une prescription mŽdicale dans le cadre dÕun
processus plus large, les Ç soins nutritionnels È. Elle a permis de maintenir et de prolonger
la vie de malades qui, autrefois, auraient succombŽ par dŽnutrition ˆ la suite dÕune maladie,
voire dÕune intervention chirurgicale. CÕest pourquoi le support nutritionnel est considŽrŽ
comme une vŽritable rŽvolution de la mŽdecine.
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1
KA. Tappenden, B. Quatrara, ML. Parkurst, et al., ÇCritical role of Nutrition in Improuving Quality of
Care: An interdisciplinary call to action to adress adult hospital malnutritionÈ, JPEN, 2013, vol. 37, p.1-16.
K. Norman, C. Pichard, H. lochs, M. Pirlich, Ç Pronostic impact of disease-related malnutrition È, Clinical
Nutrition, 2008, vol. 27, p.5-15.
2
Une bactŽrie ˆ lÕorigine de la colite pseudo-membraneuse, une inflammation trs sŽvre du c™lon.
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LÕanalyse de ce contexte fait appara”tre une double difficultŽ. Premirement, la
malnutrition sÕavre un problme de santŽ hautement prŽvalent qui concerne la pratique de
tous les mŽdecins et de toutes les spŽcialitŽs. La prise en charge nutritionnelle concerne des
personnes de tout ‰ge et des situations cliniques dans un contexte de soins aigus,
chroniques, de rŽanimation ou de confort. Sa visŽe est de pouvoir fournir de manire
adaptŽe et adŽquate les besoins individuels en nutriments. Or cette action ne se limite pas
au seul domaine mŽdical dans la mesure o elle soulve des questionnements Žthiques,
principalement lorsquÕelle nÕest plus vue comme une pratique quotidienne chez les
mŽdecins ou quand il sÕagit de nourrir des patients qui sont dans des situations
particulires, telles que la fin de vie, lՉge avancŽ et la dŽmence. CÕest Žgalement le cas
lorsque les multiples dimensions et les valeurs liŽes ˆ lÕacte de nourrir entrent en conflit.
Par exemple, dŽcider dÕinitier une nutrition parentŽrale ˆ un patient en fin de vie, aprs une
demande de la famille, peut mettre en en jeu une opposition entre lÕaspect symbolique et
affectif de la nutrition et une rŽalitŽ thŽrapeutique. Deuximement, lÕexistence persistante
de la malnutrition, malgrŽ la dŽfinition et la mise en Ïuvre dÕune politique de santŽ
publique en nutrition, nous conduit inŽvitablement ˆ analyser les fondements de cette
action publique et ˆ Žvaluer sa pertinence et son adŽquation au regard des traitements quÕil
convient dՎtablir. Il sÕagit ici de savoir si la malnutrition est rŽellement bien prise en
compte du point de vue institutionnelle, aussi bien au niveau de la formation mŽdicale, que
des structures hospitalires et des dŽcisions politiques.
Pour Žtudier cette double difficultŽ, trois approches complŽmentaires sont
indispensables. DÕabord, une approche ŽpistŽmologique, qui permet dÕanalyser les
fondements de la nutrition comme science. En effet, il sÕagit de se demander si les enjeux
Žthiques que soulve la pratique des soins nutritionnels sÕenracinent dans des choix qui
sont en premier lieu ŽpistŽmologiques. Comme le souligne B.M. Dupont,
Ç Si nous voulons comprendre la mŽdecine dÕaujourdÕhui, et plus encore celle de demain, mŽdecine et
philosophie ne peuvent tre saisisse sans une Žtude de son dŽveloppement (histoire de sciences) et une
analyse de sa structure interne (ŽpistŽmologie)1. È
LÕorigine des connaissances et questionnements scientifiques propres ˆ la nutrition peut
tre ŽtudiŽe dans lÕhistoire des sciences ds les conceptions antiques de la mŽdecine et la
biologie. En analysant la construction des savoirs de ces deux sciences, il est donc possible
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1
BM. Dupont, Ç EpistŽmologie du raisonnement mŽdical contemporain È dans E. Hirsch, TraitŽ de
BioŽthique, Tome I, Fondements, principes repres, Toulouse, Eres, 2010, p. 625.
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de trouver les fondements de la nutrition. La nutrition est ainsi une fonction biologique
centrale dans la dŽfinition de la vie, interprŽtŽe et rŽinterprŽtŽe au cours de lÕhistoire des
sciences. Elle se constitue comme un objet permanent de questionnement, relativement ˆ la
construction dÕun socle de connaissances propres, dÕune pratique mais aussi dÕune techn.
Il sÕensuit que la nutrition se prŽsente comme un champ de connaissances qui Žtudie la
relation de lÕhomme ˆ lÕaliment et son Žtat nutritionnel. De cette manire les objets de la
mŽdecine et de la nutrition sont indissociablement liŽs : lՎtat nutritionnel est une condition
pour la conservation et le rŽtablissement de lՎtat de santŽ. Cela sÕexplique aussi parce que
la nutrition, notamment la diŽtŽtique, a ŽtŽ considŽrŽe comme partie intŽgrante de la
thŽrapeutique mŽdicale et cela depuis la mŽdecine hippocratique. La diŽtŽtique, conue
comme lÕart des rŽgimes alimentaires, a un pouvoir prŽventif et curatif dans certaines
maladies ou situations pathologiques. En effet, la science a permis dՎtablir le degrŽ
minimal et maximal dÕapport des nutriments qui est nŽcessaire pour assurer un bon Žtat
nutritionnel ; elle dŽfinit le Ç rŽgime ŽquilibrŽ È nŽcessaire au maintien de la santŽ et le r™le
de certains nutriments dans la physiopathologie de certaines maladies.
Pourtant, malgrŽ la prise en considŽration de la nutrition au cours de lÕhistoire mŽdicale,
celle-ci nÕest jamais reconnue systŽmatiquement comme une science autonome ou comme
une discipline mŽdicale. Notre hypothse est que lÕabsence dÕun tel statut est ˆ lÕorigine
des questionnements Žthiques liŽs aux soins nutritionnels. Le point focal rŽside ici dans la
conception de la nutrition, et plus rigoureusement, dans la dŽtermination de la nutrition
comme une somme de connaissances au croisement de champs scientifiques distincts, sans
domaine propre. Elle peut tre considŽrŽe aussi comme une science autonome, dotŽe dÕun
noyau de connaissances spŽcifiques. Cela met en jeu trois objets dՎtudes : dÕabord, la
relation entre la nutrition et la mŽdecine et le statut de la nutrition comme une discipline
mŽdicale. Sur ce point, il sÕagit de savoir si les problmes ŽpistŽmologiques et Žthiques
propres ˆ la pratique clinique sont susceptibles de sՎtendre ˆ la pratique dÕune nutrition
Ç clinique È. Cela concerne notamment les questions relatives au raisonnement clinique
fondŽ sur la mŽdecine des preuves qui est au centre de la dŽcision mŽdicale, mais
Žgalement la rationalisation et la standardisation des soins, ainsi que les modes actuels
dÕexercice de la clinque qui conduisent ˆ une certaine dŽshumanisation. Ensuite, le
deuxime objet dՎtude est lՎtat nutritionnel conu comme lÕobjet paradigmatique de la
science de la nutrition. Celui-ci questionne la cohŽrence des connaissances propres ˆ la
nutrition puisque l'objet de la nutrition ne sÕidentifie pas ˆ un Ç systme ou appareil
structurŽ È. Le fait que lÕobjet dÕune science soit identifiŽ ˆ un systme peut tre garant de
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sa scientificitŽ et de la cohŽrence des rŽsultats de la recherche. AujourdÕhui, la mŽdecine
est organisŽe par disciplines autour de systmes : gastroentŽrologie, endocrinologie,
pneumologie, cardiologie, etc. Tout lÕenjeu est de savoir si lՎtat nutritionnel, mme en
lÕabsence dÕun systme nutritionnel, peut tre conu comme la somme des rŽponses des
divers systmes digestif, neurologique, circulatoire, respiratoire, cardiovasculaire,
endocrinien, immunologique. Autrement dit, il sÕagit de savoir si cet Žtat est une rŽponse Ç
systŽmique È susceptible de constituer la nutrition comme une fonction Ç intŽgrale È.
Enfin, le troisime objet dՎtude concerne la notion de Ç nutriment È comme lՎlŽment
essentiel de la vie, qui apporte lՎnergie, le carburant essentiel aux cellules. En effet, les
nutriments, sont bien plus quÕun simple carburant, ils ne peuvent se rŽduire ˆ une simple
source de nutrition. DÕaprs E. Levinas :
Ç La nourriture est privilŽgiŽe par sa place au quotidien, mais surtout par la relation entre le dŽsir et
1
sa satisfaction quÕelle reprŽsente et qui constitue le type mme de la vie dans le monde . È
La vie ne consiste pas ˆ rechercher et ˆ consumer les carburants fournis par la
nourriture : Ç ce dont nous vivons ne nous asservit pas, nous en jouissons È, Žcrit-il2. Cette
conception du nutriment nous invite ˆ rŽflŽchir aux pratiques mŽdicales lorsquÕil sÕagit de
nourrir lÕhomme malade. A cela sÕajoute lÕidŽe que le nutriment nÕest pas uniquement ce
qui nourrit, mais Žgalement ce qui soigne. En effet, en rapprochant nutriment et
mŽdicaments, il est possible dÕen faire un objet de la thŽrapeutique mŽdicale. Ds
lÕAntiquitŽ, si la nourriture et les rŽgimes peuvent tre considŽrŽs comme des Ç remdes È
faisant partie intŽgrale des traitements, il nÕest pas possible de les assimiler aux
mŽdicaments. Ce nÕest ne que rŽcemment que le nutriment a acquis un vŽritable statut de
mŽdicament avec la nutrition parentŽrale. Or il sÕagit dÕune autre conception du nutriment
en tant quՎlŽment Ç artificiel È qui a permis cela. DŽsormais, les nutriments administrŽs ˆ
travers un cathŽter dans une veine peuvent tre prescrits ou retirŽs comme tout autre
mŽdicament. Ce rapprochement entre nutriment et mŽdicament a des implications
Žthiques : lՎmergence dÕun double statut du support nutritionnel comme Ç soin È et
comme Ç thŽrapeutique È engendre une tension constante entre ces deux conceptions avec
des enjeux Žthiques essentiels pour la pratique de la mŽdecine.
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E. Levinas, De lÕexistence a lÕexistant, 1947, Paris, Vrin, p.65.
E. Levinas, TotalitŽ et infini, 1961, Paris, Vrin, p.117.
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Cette approche ŽpistŽmologique permet ensuite de dŽvelopper une approche Žthique de
la pratique mme de la nutrition dans le domaine mŽdical. En effet, lorsquÕil sÕagit de
nourrir des personnes malades, le mŽdecin prend souvent des dŽcisions qui concernent le
patient et sa famille. Ce processus dŽcisionnel fait lÕobjet de trois enjeux. Tout dÕabord, le
diagnostic de la malnutrition pose problme dans la mesure o il nÕen existe pas de
dŽfinition gŽnŽrale et consensuelle dans la communautŽ scientifique. Cela est dÕautant plus
dŽlicat quÕil nÕexiste pas non plus de vŽritable accord sur les vocables linguistiques. La
malnutrition (malnutrition) est conue soit comme un synonyme de la dŽnutrition
(undernutrition), soit comme un terme plus gŽnŽral qui comprend la dŽnutrition, la Ç
surnutrition È et dÕautres Žtats pathologiques comme la sarcopenie et la cachexie. Pour
dissiper une premire confusion, dans le cadre de notre Žtude, la dŽnutrition, dans sa
dimension physiologique, dŽsigne une Ç dŽsassimilation È, autrement dit, un phŽnomne
par lequel les constituants de la matire vivante se sŽparent de lÕorganisme pour devenir
des rŽsidus. Cet Žtat pathologique interfre avec les fonctions physiques et mentales des
patients. Dans ce contexte, il sÕagit de savoir si la malnutrition doit tre dŽfinie comme un
facteur de risque ou comme une maladie et de dŽterminer les critres ˆ considŽrer pour
identifier le diagnostic de malnutrition. LÕenjeu Žthique est primordial dans la mesure o le
point de dŽpart du Ç pacte de soin È est un diagnostic adŽquat. CÕest lorsque le mŽdecin
Žmet un diagnostic, puis une indication mŽdicale, quÕil est possible dՎtablir une activitŽ
thŽrapeutique (prŽvenir, guŽrir et soigner) et ainsi cibler la maladie et la souffrance. En
lÕabsence dÕun tel diagnostic, cÕest la dignitŽ et la vie mme de la personne qui peuvent
tre menacŽes dans la mesure o le choix des patients pouvant bŽnŽficier de soins
nutritionnels, peut se rŽvŽler arbitraire. A un deuxime stade, aprs lՎtablissement du
diagnostic, se prŽsente la difficultŽ relative ˆ lÕindication du support nutritionnel pour un
malade, et, plus prŽcisŽment, la finalitŽ de la nutrition elle-mme, prise soit comme un Ç
soin support È, soit comme une Ç thŽrapeutique È. En dÕautres termes, lÕalternative ici est
de se fixer comme fin la guŽrison ou le soulagement physique et lÕaccompagnement moral
du patient. Pour le mŽdecin, ces deux types de soins encadrent et dŽfinissent sa pratique
mais ils peuvent tre la source de conflit lorsque la dŽcision sÕoppose ˆ celle des patients et
de leurs familles. Ce double statut nÕest pas toujours reconnu par le patient et sa famille, le
lien affectif et symbolique liŽ ˆ lÕalimentation Žtant dÕemblŽe prioritaire. Cette situation est
dÕautant plus complexe lorsque le patient nÕest pas en Žtat dÕexprimer sa volontŽ ou se
trouve en fin de vie. Ainsi, il existe une tension constante entre ces deux conceptions du
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support nutritionnel dans la pratique de la nutrition clinique, ce qui affecte le processus
dŽcisionnel et met en jeu les valeurs Žthiques quÕil sÕagit de prioriser.
Enfin, troisime stade, il faut souligner que le support nutritionnel doit se faire en
respectant le choix dÕalimentation du patient, ses gožts et ses prŽfŽrences, mais aussi dans
la perspective dÕun bŽnŽfice clinique au sens o la lutte contre la dŽnutrition doit lui
permettre dՐtre en meilleure santŽ et avoir une meilleure qualitŽ de vie. Les bŽnŽfices du
support nutritionnel en termes d'amŽlioration de marqueurs biochimiques et fonctionnels
de lՎtat nutritionnel, mais aussi en termes de rŽsultats cliniques (mobilitŽ et mortalitŽ),
sont bien connus. Or il faut savoir que, malgrŽ les avancŽes dans les techniques
dÕalimentation et dÕune plus grande disponibilitŽ des produits, cette technique nÕest pas
sans risque. Le support nutritionnel peut entra”ner des complications ˆ court, moyen ou
long terme. Elles comprennent principalement les infections des cathŽters, des
complications septiques, lÕhyponatrŽmie, et dÕautres troubles mŽtaboliques entra”nant une
dŽshydratation avec des troubles Žlectrolytiques. Il est donc nŽcessaire dÕanalyser des
situations particulires dans lesquelles les principes de l'autonomie, de la non-malfaisance,
de la bienfaisance et de la justice ne sont pas respectŽs.
Dans le cadre de cette deuxime approche de notre recherche, lÕobjectif est de savoir
quels sont les fondements Žthiques de la nutrition dans la pratique clinique. Il convient de
rendre compte des thŽories et des principes moraux qui justifient rationnellement
lÕapplication de normes dans la pratique de la nutrition clinique. Notre hypothse est quÕen
interrogeant la dimension Žthique des soins nutritionnels, nous interrogeons dÕune manire
large les valeurs du soin. CÕest au moyen de lՎtude de cas cliniques, reprŽsentatifs de la
pratique mŽdicale, que cette Žtude permettra de mener une analyse se plaant au niveau de
la sagesse pratique. Notre objectif nÕest pas dÕaborder dans sa totalitŽ la pratique mŽdicale
de la nutrition, mais de cibler des situations courantes susceptibles de prŽsenter des enjeux
Žthiques telles que la dŽnutrition et la nutrition dans les contextes particuliers (les maladies
chroniques, les sujets ‰gŽs, les patients atteints de dŽmence, lÕobse opŽrŽ par chirurgie
bariatrique et les soins palliatifs). Il est important de souligner Žgalement que les
problŽmatiques Žthiques des cas analysŽs sÕinscrivent dans le contexte actuel de la
mŽdecine. Certains progrs permettent aujourdÕhui dÕoffrir plus de perspectives en terme
de guŽrison des maladies, mais ils crŽent aussi des situations difficiles et parfois extrmes
qui mettent en question le respect de la dignitŽ et de lÕautonomie des patients.
Cela nous conduit enfin ˆ aborder une troisime approche, dŽfinie comme
institutionnelle, au sens o elle interroge les structures du vivre ensemble dÕune
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communautŽ historique. Elle consiste ˆ Žtablir si le vivre ensemble et le vivre bien sont
assurŽs par des institutions justes. Concernant lÕobjet de notre Žtude, cette interrogation
porte sur lÕadŽquation entre la pratique et la conception de lÕalimentation et la nutrition et
les institutions et les choix de sociŽtŽ. En effet, il ne sÕagit plus ici de questionner le r™le de
lÕalimentation comme facteur de risque ou de protection des maladies chroniques, ni le r™le
de support nutritionnel dans le traitement de la dŽnutrition, la morbi-mortalitŽ et
lՎvolution des maladies associŽes ˆ la dŽnutrition. La question fondamentale qui se pose
est de savoir si les politiques actuelles et, plus largement, les institutions qui mettent en
place les stratŽgies issues de ces politiques, dŽfinissent et favorisent les conditions
nŽcessaires pour que les soins nutritionnels puissent tre effectuŽs. Cela nous amne ˆ
analyser si la dŽfinition et le sens du Ç bien manger È et de lÕacte de Ç se nourrir È, dans le
cadre dÕune la politique nutritionnelle publique, est en accord avec la diversitŽ des
significations et des valeurs concernant lÕalimentation pr™nŽes par la sociŽtŽ
dÕaujourdÕhui. Plus rigoureusement, lÕenjeu principal est dՎvaluer la portŽe des politiques
publiques dans la pratique mŽdicale et de savoir si elles offrent les conditions pour que les
mŽdecins intgrent les soins nutritionnels ˆ leur pratique.
Un constat essentiel mŽrite dՐtre mentionnŽ : il existe une forte demande sociale ˆ
propos du sujet de lÕalimentation et de la nutrition. En effet, cette demande sÕinscrit dans
une pluralitŽ de sens et de valeurs accordŽes ˆ lÕacte de manger, reflet des dimensions
culturelles et socio-Žconomiques. Elle exprime aussi le souci des personnes relatives ˆ leur
santŽ et ˆ leurs engagements Žthiques. Face ˆ cette demande, la sociŽtŽ est une proie facile
pour certaines stratŽgies commerciales visant ˆ diffuser sur le marchŽ diffŽrents produits
alimentaires (i.e. le mangoustan de Xango), certains complŽments alimentaires (i.e.
Herbalife, USANA) ou des rŽgimes amaigrissants (i.e. Weight watcher, rŽgime Dukan). La
nutrition et lÕalimentation deviennent ainsi lÕobjet dÕun marchŽ dans lequel la rentabilitŽ
Žconomique prime sur la santŽ et le bien-tre des personnes. Il sÕagit aussi dÕune question
dŽontologique dans la mesure o certains de ces produits sont dÕailleurs dŽveloppŽs et
vendus par les mŽdecins eux-mmes dans leur pratique mŽdicale. Dans ce contexte, le r™le
des mŽdecins comme garants de la santŽ est essentiel mais la question se pose de savoir si
le corps mŽdical est aujourdÕhui capable de rŽpondre ˆ la demande sociale relative ˆ lÕacte
de manger sans se fourvoyer sur la pertinence scientifique des produits offerts sur le
marchŽ. Il est donc primordial dՎvaluer la formation des mŽdecins en nutrition. Notre
hypothse est que, malgrŽ le lien Žvident entre mŽdecine et nutrition, ces deux sciences ne
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se trouvent pas associŽes dans la formation des mŽdecins : la nutrition est exclue des
spŽcialitŽs mŽdicales.
Ainsi, la question qui est au cÏur de ces trois approches, ŽpistŽmologique, Žthique et
institutionnelle est la suivante : en sÕaffirmant comme objet Žthique, la nutrition est-elle
enfin en mesure de se prŽsenter lŽgitimement comme un soin dans la pratique mŽdicale ?
Pour rŽpondre ˆ cette interrogation, nous allons, dans le premier moment de cette thse,
analyser la construction des connaissances de la nutrition dans trois pŽriodes de lÕhistoire :
la pŽriode prŽscientifique, qui comprend ˆ la fois lÕantiquitŽ classique grecque et de la
Renaissance jusquÕau XVIIIme sicle ; la pŽriode scientifique de la fin du XVIIIme
sicle jusquÕau dŽbut du XXme ; lՏre du nouvel esprit scientifique du 1910 ˆ nos jours.
Ensuite, dans un deuxime moment, quatre cas cliniques issus du cours de la SociŽtŽ
EuropŽenne de Nutrition Clinique (ESPEN) seront ŽtudiŽs. Ces cas ont ŽtŽ chois en raison
de lÕintŽrt quÕils prŽsentent pour la pratique nutritionnelle. Ils ne concernent que les
adultes, le cadre de cette thse Žtant limitŽ et la nutrition dans le cadre pŽdiatrique mŽrite
une rŽflexion particulire en raison des multiples enjeux liŽs au r™le de la nutrition dans la
croissance, ˆ la vulnŽrabilitŽ propre de lÕenfant et ˆ la question de son autonomie. La
question de la nutrition en soins palliatifs sera abordŽe par une revue de la littŽrature qui
cherche ˆ conna”tre de cette manire les diverses positions et attitudes des mŽdecins face ˆ
la question de la place de la nutrition en soins palliatifs. Enfin, dans un troisime moment,
nous analyserons la politique nutritionnelle et le cadre rglementaire de la nutrition en
France. Il conviendra dՎtudier le discours et la position des institutions pour comprendre
quel sens ces dernires confrent ˆ la notion de Ç bien manger È. Cela nous permettra de
mesurer lՎcart entre ce que dit le lŽgislateur de lÕacte de manger, la faon dont la sociŽtŽ
lÕapprŽhende et la compŽtence des mŽdecins pouvant y rŽpondre. Ainsi, ce qui sera mis en
question, cÕest la formation mme des mŽdecins en nutrition. Ce point est important, car
lÕobjectif ici est de montrer le lien de causalitŽ entre la politique institutionnelle, la
formation des mŽdecins et leur capacitŽ ˆ assumer les enjeux Žthiques de la nutrition
clinique, la finalitŽ de notre recherche Žtant de pouvoir Žtablir les fondements Žthiques
susceptibles de faire Žvoluer les pratiques mŽdicales.
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Premire partie
Approche ŽpistŽmologique de la nutrition
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Introduction
Le point dŽpart prŽalable de notre rŽflexion est le suivant : est-il possible de considŽrer
la nutrition comme une science ? Sur ce point, deux positionnements sont possibles : soit
considŽrer la nutrition comme un champ de connaissances au croisement de champs
scientifiques distincts, autrement dit, sans domaine propre ; soit la dŽfinir comme une
science proprement dite, autonome, avec un noyau de connaissances spŽcifiques. Nous
nous intŽresserons ˆ lÕhistoire des sciences et ceci dans une approche ŽpistŽmologique
empruntŽe ˆ Gaston Bachelard1. Dans ce cadre de rŽflexion, trois Žtapes historiques seront
analysŽes : 1) La pŽriode prŽscientifique, qui comprend ˆ la fois lÕantiquitŽ classique
grecque et les sicles de la Renaissance jusquÕau XVIIIme sicle. Cette premire pŽriode se
caractŽrise par une production de connaissances rŽsultant de lÕexpŽrience et de la pratique
mŽdicale. 2) La pŽriode scientifique de la fin du XVIIIme sicle jusquÕau dŽbut du XXme,
qui privilŽgie les connaissances analytiques. 3) LՏre du nouvel esprit scientifique du 1910
ˆ nos jours qui permet ˆ la fois de poser un regard croisŽ des diffŽrentes disciplines sur la
nutrition et dÕen faire une science autonome. A chaque Žtape, nous identifierons les
questions relatives ˆ la nutrition, et nous Žtablirons les fondements et les obstacles
rencontrŽs lors de la construction de ces connaissances.
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1
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G. Bachelard, La formation de lÕesprit scientifique, Paris, Vrin, 2011, p. 15.
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CHAPITRE 1 : La nutrition prŽscientifique
1.1 La diŽtŽtique et la nutrition : dÕHippocrate ˆ Galien
1.1.1 La diŽtŽtique hippocratique
La diŽtŽtique na”t du questionnement de la relation de lÕhomme ˆ lÕaliment. Ce point
dŽpart, nous le retrouvons dans la mŽdecine antique grecque. Dans cette pŽriode qui
commence traditionnellement en 776 av. J.-C. et se termine en 323 av. J.-C., lÕaliment est
un composant du rŽgime ou de la dite, qui signifie Žtymologiquement le Ç genre de vie È.
Pourtant, les rŽfŽrences ˆ la diŽtŽtique dans la mŽdecine avant le VI sicle av. J.-C. sont
rares. Par exemple, la diŽtŽtique comme traitement des maladies internes est,
contrairement ˆ la pharmaceutique et ˆ la chirurgie, absente des Ïuvres homŽriques1.
CÕest ˆ partir du Vme sicle av. J.-C. que nous trouvons dans les Ïuvres pythagoriciennes
un intŽrt relatif ˆ la relation entre lÕhomme et les aliments. DÕune part, les interdits
alimentaires quÕils fixaient avaient des significations culturelles et religieuses et, dÕautre
part, la critique quÕils faisaient de tout abus dans lÕordre de la nourriture avait ˆ la fois
valeur de prŽcepte moral et de conseil pour la santŽ. Cette rŽflexion pour les philosophes
pythagoriciens Žtait centrŽe sur lÕhomme, ce qui constitue une exception pour les
philosophes contemporains tels que les MilŽsiens, Thales, Anaximandre et Anaximne
dont la prŽoccupation premire Žtait plus centrŽe sur lÕunivers que sur lÕhomme.
Cette attention accordŽe ˆ lÕhomme, nous pouvons la considŽrer comme une Žvolution
des centres dÕintŽrt de la recherche philosophique entre le VIme et le Vme sicle av. J.-C.
Parmi les auteurs pythagoriciens, nous trouvons AlcmŽon, ˆ la fois philosophe et mŽdecin.
Il a donnŽ la dŽfinition la plus ancienne dont nous disposons de la santŽ et de la maladie:
Ç la santŽ rŽsulte de lՎquilibre et du mŽlange des qualitŽs constitutives de
lÕhomme (humide, sec, chaud, froidÉ); la maladie
par contre Žtait causŽe par la
2
prŽdominance de lÕune entre elles È . Ce sont prŽcisŽment ces notions qui ont influencŽ la
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1
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Ch. Daremberg, La mŽdecine dans Homre, Paris, Didier, 1865, p. 82.
J. Jouanna, Hippocrate, Paris, Fayard, 1992, p. 257, 370.
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mŽdecine hippocratique des Vme et IVme sicles av. J.-C., dont Hippocrate est lÕauteur
le plus connu. En effet, la mŽdecine hippocratique a donnŽ une nouvelle place ˆ lÕhomme
dans lÕunivers1. A travers cette nouvelle conception de lÕhomme et de la mŽdecine, la
diŽtŽtique a trouvŽ une place centrale, dont lÕinfluence a perdurŽ ˆ travers les sicles. Une
analyse de cette conception nous permettra dՎlucider diverses manires dont les mŽdecins
hippocratiques abordaient la diŽtŽtique au sein de cette nouvelle mŽdecine. Avant la
pŽriode hippocratique, lÕhomme se dŽfinissait par ses relations avec les dieux, en opposant
ses faiblesses ˆ la sagesse divine. La mŽdecine hippocratique Žcarte toute intervention
divine dans la maladie humaine et situe lÕhomme dans lÕunivers qui lÕentoure.
LÕensemble de la pensŽe hippocratique se trouve dans une soixantaine dÕÏuvres qui
constituent le Corpus Hippocratique. Nous retrouvons dans cette compilation deux
conceptions opposŽes de la mŽdecine. Il existe, dÕune part, une mŽdecine anthropologique,
philosophique et dŽpendante de la cosmologie, ˆ savoir une mŽdecine qui a besoin de partir
dÕune connaissance prŽalable de la nature humaine. DÕautre part, il y a une mŽdecine
autonome, correctement dŽfinie et indŽpendante de la philosophie qui est considŽrŽe
comme la source de la connaissance de la nature de lÕhomme2. Autrement dit, dÕun c™tŽ
nous avons une mŽdecine qui part dÕune conception Žtablie de la nature de lÕhomme et qui
relve dÕun savoir philosophique, et de lÕautre c™tŽ, il y a une mŽdecine qui substitue ˆ ces
catŽgories de nature humaine, des catŽgories obtenues par lÕobservation raisonnŽe. La
diŽtŽtique, considŽrŽe par les auteurs de lՎpoque comme une vŽritable dŽcouverte3, fait
partie essentiellement de ces deux conceptions mais avec des approches mŽthodologiques
distinctes, quÕil convient de dŽtailler.
LÕauteur de lÕAncienne MŽdecine, Ïuvre centrale dans le Corpus Hippocratique,
critique le rattachement de la mŽdecine ˆ la philosophie. Il voit dans les ŽlŽments
philosophiques constitutifs de la mŽdecine des abstractions sans intŽrt4. Ainsi, le mŽdecin
ne doit pas considŽrer lÕhomme ˆ partir de quelques ŽlŽments premiers (nous trouvons dans
le Corps Hippocratique des thŽories avec un, deux ou trois ŽlŽments). Au contraire, il doit,
ˆ partir de lÕobservation, extraire les conclusions des rŽactions du corps humain aux
diffŽrentes actions du rŽgime. Les mŽdecins, en se fondant sur les rŽactions observŽes
dŽtermineront les diffŽrentes catŽgories de nature humaine.
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1
Ibid, p. 298.
Ibid, p. 400, 403.
3
R. Joly, Hippocrate, Du rŽgime des maladies aigu‘s, Paris Belles Lettres, Tome VI, III partie Paris 1967,
p.69.
4
R. Joly, Hippocrates, medecine grecque, Paris, Gallimard, 1964, p.45.
2
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Ç JÕestime que pour avoir quelque connaissance prŽcise sur la nature, il nÕexiste aucune autre source
que la mŽdecine. Car voici ce quÕil me para”t nŽcessaire pour un mŽdecin de savoir sur la nature, et de
chercher de toutes ses forces ˆ savoir, sÕil a lÕintention de remplir tant soit peu ses devoirs : cÕest ce
quÕest lÕhomme par rapport aux aliments et aux boissons, ce qui arrivera ˆ chacun ˆ la suite de chaque
chose, et pas seulement ainsi : Ç Le fromage est nourriture mauvaise, car il cause du mal ˆ qui sÕen
remplit È, mais quel mal il cause, pour quelle raison, et quelle est, parmi les substances contenues dans
lÕhomme, celle ˆ laquelle il est inappropriŽ
1
.È.
Cette mŽthodologie permet dÕaller au-delˆ dÕune simple description vers une
connaissance causale des faits. La causalitŽ devient une condition nŽcessaire de la
mŽdecine permettant dՎtablir un traitement correct de la maladie. Il faut cependant
souligner que lÕauteur nÕentreprend aucune investigation expŽrimentale ˆ ce propos.
Dans cette conception de la mŽdecine, lÕacte de la naissance de la mŽdecine co•ncide
avec le premier acte culinaire, par laquelle lÕhomme Ç cherche et se trouve une nourriture
appropriŽe ˆ sa nature, celle dont nous usons actuellement È2. Cet acte serait fondateur de
la naissance de lÕhumanitŽ elle-mme qui, en abandonnant le cru pour le cuit, Ç se sŽpare
de lÕanimalitŽ et de la sauvagerie premire È3. Le principe de cette mŽdecine sՎtablit ˆ
partir des diffŽrences que la santŽ et la maladie induisent dans les faons de vivre et de se
nourrir, cÕest-ˆ-dire dans les diffŽrences qualitatives dans les rŽgimes entre les malades et
les biens portants. Un exemple emblŽmatique de cette transformation culinaire est
lÕinvention du pain o un acte culinaire est converti en acte mŽdical car il Ç procure ˆ
lÕhomme un genre de vie et un rŽgime qui assurent la santŽ, le salut et la nourriture de
lÕhomme È4. En rŽalitŽ, poursuit E. LittrŽ Ç cÕest la nŽcessitŽ mme qui a fait que les
hommes ont cherchŽ et trouvŽ la mŽdecine parce quÕil nՎtait pas salutaire pour les
malades de sÕadministrer les mmes choses que les bien-portants, pas plus que cela ne leur
est salutaire maintenant È 5. La mŽdecine se serait donc, constituŽe selon Foucault
Ç comme Ç dite È propre aux malades, et ˆ partir dÕune interrogation sur le rŽgime
spŽcifique qui leur convient È. CÕest la diŽtŽtique qui appara”t premire car Ç elle donne
lieu ˆ la mŽdecine comme ˆ une de ses applications particulires È6.
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1
J. Jouanna, Hippocrate, op. cit., p. 401.
E. Littre, Ancienne Med, Paris 1839, III, H 1. 13.
3
H. Joly, Le renversement platonicien. Logos, Žpisteme, polis, Paris, UniversitŽ de Paris XII, Vrin, 1994, p.
238.
4
E. Littre, Ancienne Med, op. cit., p. 23-25.
5
Ibid, III, H, 1. 24-27.
6
Art que lÕon appelait ˆ cette Žpoque techn : Ç un savoir thŽorique et un savoir-faire pratique Žtroitement
reliŽs È dans A. Debru, Ç Au commencement de notre rationalitŽ mŽdicale : la mŽdecine hippocratique È dans
Aux origines de la mŽdecine, D. Sicard. Paris, Fayard, 2011, p. 32.
2
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Une autre Ïuvre attribuŽe ˆ Polybe, Žlve dÕHippocrate, De la Nature de lÕHomme,
sÕoppose Žgalement ˆ la conception philosophique de la mŽdecine, en particulier ˆ la
conception moniste de la nature de lÕhomme selon laquelle lÕhomme est constituŽ ˆ partir
dÕun seul ŽlŽment. Il expose sa thŽorie des quatre humeurs. Cette thŽorie fondatrice de la
mŽdecine hippocratique est considŽrŽe comme un fait dÕexpŽrience. Cette position est
formulŽe dans lÕextrait suivant :
Ç Le corps de lÕhomme a en lui sang, pituite, bile jaune et bile noire ; cÕest lˆ ce qui en constitue la
nature et ce qui crŽe la maladie et la santŽ. Il y a essentiellement santŽ quand ces principes sont dans
un juste rapport de mŽlange, de force et de quantitŽ, et que le mŽlange en est parfait ; il y a maladie
quand un de ces principes est soit en dŽfaut, soit en excs, ou, sÕisolant dans le corps, nÕest pas
combinŽ avec tout le reste 1.È
Cette constitution naturelle de quatre humeurs augmente ou diminue selon lÕinfluence
de lÕunivers extŽrieur, ˆ savoir les saisons. Ainsi, selon les mŽdecins hippocratiques, ce
nÕest plus au rythme des caprices ou des injustices des dieux que les humeurs changent. La
maladie Žtant provoquŽe par un dŽsŽquilibre des humeurs, le traitement vise ˆ restaurer
lՎquilibre, conformŽment aux principes des contraires2. Cette thŽorie des quatre humeurs
reprend la conception plus ancienne de lÕisonomie (vers 500 av. JC). Elle est comparable ˆ
la thŽorie physique dÕEmpŽdocle, qui utilise quatre ŽlŽments (lÕeau, la terre, lÕair, le feu)
qui sont reliŽs aux quatre qualitŽs ŽlŽmentaires traditionnelles (chaud, froid, sec, humide)
chez Aristote. Or, les quatre humeurs de la thŽorie hippocratique sont caractŽrisŽes par ces
qualitŽs (la pituite est une humeur plut™t froide, et le sang une humeur plut™t chaude),
associŽes aussi aux quatre saisons3.
La mŽdecine hippocratique se caractŽrise par un principe qui prŽdominera sur une
grande partie de lÕhistoire de la mŽdecine : la natura medicatrix. Selon ce principe, la
nature se soigne elle-mme. Deux cŽlbres aphorismes du traitŽ De lÕAliment4 en font
Žtat:
Ç La nature suffit en tout ˆ tous È
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1
R. Joly, Hippocrates, medecine grecque op. cit., p. 58.
La guŽrison est le but de la mŽdecine hippocratique. Elle est conue comme un acte qui consiste ˆ
Ç sÕopposer È ˆ la maladie et ˆ sa cause, par les contraires Ç les contraires sont les remdes des contraires È. Il
sÕagit des fondements de la mŽdecine allopathique. Cependant, dans ce Corpus Hippocratique si variŽ, nous
trouvons aussi les premires notions de la thŽrapeutique par les semblables. CÕest toutefois, la thŽrapeutique
des contraires qui prŽdomine. (J Jouanna, Hippocrate op. cit., p 482).
3
Galien, Îuvres mŽdicales choisies I. de lÕutilitŽ des parties du corps humain. Paris, Gallimard, 1994.
Introduction p. XII.
4
J. Jouanna, Hippocrate, op. cit., p. 487.
2
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Ç Chez tous la nature est instruite sans ma”tre È
Cependant, selon J. Jouanna, malgrŽ la cŽlŽbritŽ de ces passages, cette conception
finaliste de la nature nÕest pas reprŽsentative de la pensŽe fondamentale du Corpus
Hippocratique. CÕest ˆ partir dÕAristote que ce principe sÕest imposŽ. Pour la mŽdecine
hippocratique, il existe des lois de la nature appelŽes Ç nŽcessitŽs de la nature È qui sont
lÕexpression dÕun dŽterminisme et non dÕun finalisme. En ce sens, un mŽdecin
hippocratique respecte la nature, cÕest-ˆ-dire que la mŽdecine doit tre conforme ˆ la
nature, mais la nature ne suffit pas ; lÕart de la mŽdecine peut Žgalement contraindre la
nature sans que cela produise de dommage. De ce fait, le but de la mŽdecine est claire :
Ç tre utile ou du moins ne pas nuire È1.
Dans ce cadre, la mŽdecine hippocratique nÕest pas considŽrŽe comme Ç expectante È, ˆ
savoir, les mŽdecins ne se limitent pas ˆ laisser la nature agir, mais interviennent de
manire active. Ainsi, pour lutter contre les maladies, les mŽdecins disposent de deux types
de soins : des soins qui relvent dÕune thŽrapeutique dÕintervention, ˆ savoir les remdes,
les incisions et les cautŽrisations ; et la thŽrapeutique diŽtŽtique2. Parmi les remdes, la
plupart visent ˆ Žvacuer les Ç cavitŽs È du corps, cÕest-ˆ-dire, la Ç cavitŽ du haut È ou la
poitrine et la Ç cavitŽ du bas È ou le ventre. LՎvacuation est ainsi possible par le haut et
par le bas, gr‰ce ˆ des mŽdicaments (pharmakon),3 soit ˆ titre prŽventif, soit ˆ titre curatif.
Ç Donnez ˆ un individu un mŽdicament qui attire le phlegme, vous observerez un vomissement de
phlegme ; et si vous lui donnez un mŽdicament qui attire la bile, vous observerez un vomissement de
bile4. È
La thŽrapeutique diŽtŽtique, composŽe notamment par le rŽgime alimentaire et les
boissons est, de ce point de vue, considŽrŽe comme lՎlŽment majeur de tout traitement
mŽdical. Il sÕagit dÕun composant du rŽgime hippocratique qui est dŽtaillŽ dans le livre IV
des EpidŽmies : elle comprend les exercices (ponoi), les aliments (sitia), les boissons
(pota), les sommeils (hupnoi) et les rapports sexuels (aphrodisia). LÕimportance du rŽgime
alimentaire qui marque la naissance de la mŽdecine se fonde sur lÕidŽe que lÕune des
causes supposŽes de la maladie rŽside dans une alimentation qui nÕest pas adaptŽe ˆ la
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid., p. 488.
J. Jouanna, C. Magdelaine, Hippocrate, lÕart de la mŽdecine. GF Flammarion, 1999, p. 30, CF aussi J.
Jouanna, Hippocrate, op. cit., p. 257,370.
3
Pharmakon : ˆ la fois poison et remde.
4
J. Jouanna, Hippocrate, op. cit., p. 225.
2
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constitution de lÕindividu, ˆ son activitŽ, ˆ son ‰ge, ˆ la saison, etc1. Cette thŽrapeutique
diŽtŽtique reprŽsente un rŽel progrs pour les mŽdecins de lՎpoque : elle va ˆ lÕencontre
des philosophes contemporains de la mŽdecine hippocratique comme Platon, pour qui cette
Žvolution Žtait une contrainte pour le malade, obligŽ de suivre de longs rŽgimes qui le
dŽtournaient de son devoir de citoyen2. Le rŽgime Žtait une nouveautŽ car, en plus de
lÕintervention, le rŽgime du malade Žtait adaptŽ ˆ la maladie et ˆ son Žvolution3. Le
mŽdecin hippocratique connaissait les propriŽtŽs de chaque aliment et de chaque boisson et
pouvait prescrire le rŽgime alimentaire adaptŽ au malade. Les propriŽtŽs des aliments sont
dŽcrites en dŽtail dans lÕÏuvre du RŽgime, vŽritable catalogue des aliments, o leurs
propriŽtŽs sont classŽes et considŽrŽes comme naturelles ou artificielles. Les propriŽtŽs
artificielles des aliments sont comprises comme les propriŽtŽs rŽsultant dÕune prŽparation
culinaire. 4
Il est important de souligner que si la thŽrapeutique diŽtŽtique Žtait considŽrŽe comme
une sorte de remde, les aliments (!"#$%) ne se confondraient pas avec les mŽdicaments
(pharmakon). En effet, la plupart des mŽdicaments visent ˆ Žvacuer les Ç cavitŽs È du
corps : les vomissements pour la Ç cavitŽ dÕen haut È, la poitrine, et des Žvacuations pour la
Ç cavitŽ dÕen bas È, le ventre. Ils Žtaient utilisŽs Žgalement de manire prŽventive et
curative, comme les aliments.5 En cas de maladie cette Žvacuation a pour but dՎliminer
lÕexcs dÕhumeur considŽrŽ comme la cause de la maladie. Ainsi, les mŽdicaments ont la
propriŽtŽ de transformer les substances de lÕorganisme comme par exemple, le petit lait
dՉnesse et dÕautres substances plus ŽlaborŽes comme certaines plantes telles que
lÕeuphorbe et lÕellŽbore.6
Cela dit, lÕaliment est considŽrŽ comme une substance qui pourrait tre assimilŽe aprs
digestion (par exemple, l'air Žtait Žgalement de la nourriture) ou convertie dans une
substance du corps. Par exemple, la nourriture peut tre convertie dans les diffŽrentes
parties du corps telles que les muscles, les nerfs, etc. Par consŽquent, un aliment n'est pas
considŽrŽ comme un mŽdicament. CÕest ainsi que nous pouvons constater que la phrase
frŽquemment citŽe par des nutritionnistes actuels : Ç Que ton aliment soit ton mŽdicament,
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Galien, Îuvres mŽdicales choisies I. de lÕutilitŽ des parties du corps humain, op. cit., p. XVIII.
Platon, RŽpublique II, 405 c sqq.
3
J. Jouanna, Hippocrate, op. cit., p. 233.
4
Ibid., p. 233.
5
Ibid., p. 224.
6
Plus de 250 mŽdicaments sont recensŽs dans le Corpus.
2
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que ton mŽdicament soit ton aliment È1 attribuŽe ˆ Hippocrate, sans que lÕon trouve nulle
part la rŽfŽrence exacte, nÕest quÕune fiction littŽraire, renvoyant au mythe construit autour
du personnage dÕHippocrate. Dans lÕÏuvre post hippocratique De lÕaliment, attribuŽe ˆ la
pŽriode hellŽnistique2 et considŽrŽe comme hippocratique dans lÕAntiquitŽ en particulier
par Galien, nous trouvons une phrase qui aurait pu tre ˆ lÕorigine de cette idŽe Ç Dans
lÕaliment mŽdication excellente ; dans lÕaliment mŽdication mauvaise ; mauvaise et
excellente relativement È.3 Cependant, nous constatons quÕil sÕagit dÕune phrase ambigu‘
et imprŽcise car elle suggre que lÕaliment est ˆ la fois un mauvais et un excellent
mŽdicament, sans quÕon puisse savoir pourquoi cela est relatif. Dans cette mme Ïuvre,
lÕaliment est dŽfini de la manire suivante: Ç est aliment ce qui nourrit ; est aliment le
quasi-aliment et le futur aliment È4. LÕaliment est ici considŽrŽ au sens large du terme (lÕair
est aussi un aliment) et la matire alimentaire pouvait exister en trois Žtats : celle qui est
assimilŽe ; celle qui est adjointe aux parties, sans tre dŽjˆ assimilŽe ; celle qui est encore
contenue dans les veines et dans le ventre. Nous ne trouvons pas de lien entre le
mŽdicament et lÕaliment dans cette Ïuvre.
Nous retrouvons la deuxime conception de la mŽdecine dans le Corpus hippocratique
dans Du RŽgime. Cette Ïuvre, dÕun auteur postŽrieur ˆ Hippocrate, est considŽrŽe comme
une Ïuvre Žclectique.5 Dans cette approche qui rattache la mŽdecine ˆ la philosophie, la
diŽtŽtique est fondŽe sur la conception de la nature humaine. Ainsi, lÕhomme et les
aliments sont composŽs de feu et dÕeau, avec leurs attributs correspondants, la chaleur, la
scheresse, le froid et lÕhumide. Pour cet auteur, la santŽ provient de lՎquilibre entre les
aliments et les exercices quÕil faut bien conna”tre. Le rŽgime alimentaire - nourriture et
boissons - doit tenir compte de la nature et de la quantitŽ de ce quÕon absorbe, de lՎtat
gŽnŽral du corps, du climat, des activitŽs auxquelles on se livre.
A titre dÕexemple, le traitement dÕun malade qui souffre de plŽnitude, implique un
traitement rapide et un traitement plus lent, plus naturel qui recueillent ses prŽfŽrences :
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Egalement citŽ comme Ç que ton alimentation soit ton seul mŽdicament È en anglais Ç let food be thy
medicine and medicine be thy food È. Voir notre article en annexe A, D. Cardenas, Ç Let not thy food be
confused with thy medicine: The Hippocratic misquotationÈ, Clinical Nutrition e-SPEN Journal, 2013,
p.260-268.
2
Ibid., p. 529.
3
R. Joly, Hippocrate, Du rŽgime des maladies aigu‘s, Appendice, De l'aliment, De l'usage des liquides.
Belles Lettres, op.cit.
4
E. Littre, Hippocrate, de lÕaliment. Tome IX.
5
R. Joly, Hippocrate, Du rŽgime, Paris, Belles Lettres, 1967, Tome VI, I partie, notice, XVII.
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Ç Aprs des bains de vapeur, se purger ˆ lÕellŽbore ; ensuite, prendre graduellement en dix jours des
aliments Žmollients et tendres, et des mets laxatifs, pour que le bas-ventre triomphe de tte gr‰ce ˆ une
rŽvulsion par en bas ; des courses lentes ÉquÕon prenne le dŽjeuner suivi dÕune courte siesteÉ. Mais
si on refuse de boire des drogues, prendre un bain chaud, vomir aprs avoir absorbŽ des aliments
‰cres, humides, doux et salŽs ; aprs vomissements juste un petit tourÉLe septime jour se remplir
dÕaliments analogues, vomir et suivre la mme progression ; continuer ce rŽgime pendant quatre
semaines. Ensuite, augmenter aliments et exercices, faire les vomissements ˆ plus grand intervalle et
augmenter les aliments en moins de temps, pour que le corps se refasse ses rŽserves, et rŽtablir peu ˆ
peu le rŽgime habituel1. È
LÕauteur de Du RŽgime fonde la diŽtŽtique sur deux aspects distincts. DÕune part, la
diŽtŽtique sÕappuie sur les apports de lÕexpŽrience. A titre dÕexemple, cette doctrine
enseigne que lÕeau dÕorge, la base du rŽgime des malades, est Žmolliente et que le blŽ
nourrit plus que lÕorge. DÕautre part, elle Žtablit des critres constituŽs ˆ partir de
raisonnements tirŽs du Ç bon sens È. En effet, on trouve dans cette Ïuvre un catalogue trs
complet et rationnel dÕaliments, de boissons et de exercices. Ce catalogue donne aux
aliments des fonctions polyvalentes selon des a priori et sur une expŽrience sensible
souvent trompeuse. 2 Ainsi, lÕauteur affirme que les gros pains sont plus nourrissants car le
feu leur enlve moins dÕeau. De la mme manire que dans Du RŽgime, nous trouvons
dans Du RŽgime de maladies aigu‘s, des ŽlŽments diffŽrents qui nous permettent de
rapporter la diŽtŽtique ˆ la conception philosophique de la mŽdecine. Il ne sÕagit plus ici de
faire le catalogue des propriŽtŽs de chaque aliment ou des boissons mais, comme son titre
lÕindique, de dŽfinir le meilleur rŽgime pour les maladies3. Deux grands principes sont
prŽsentŽs dans cette Ïuvre : Žviter lÕalimentation au point fort de la maladie, parce que
toute alimentation accro”t les forces du mal, et considŽrer que tout changement est
dommageable4, comme le rappelle la loi dÕhabitude5.
Une autre distinction de la diŽtŽtique dans cette Ïuvre se trouve dans les
caractŽristiques polyvalentes des aliments de cette mŽdecine et dans la recherche dÕune
panacŽe. LÕorge Žtant la base du rŽgime des malades, elle est censŽe guŽrir tous les maux.
Ainsi, une tisane dÕorge, dans la diŽtŽtique thŽrapeutique de Du RŽgime peut contribuer de
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid., p.83.
R. Joly, Recherches sur le traitŽ pseudohippocratique du RŽgime, Paris, Les Belles Lettres, 1960 p.110.
3
R. Joly Le niveau de la science. Contribution ˆ la psychologie de lÕhistoire des sciences, Paris, Les Belles
Lettres, 1966, p.138.
4
Chez les mŽdecins hippocratiques, la dŽvalorisation du changement entraine une valorisation de lÕhabitude.
Elle devient ainsi un paramtre ˆ prendre en compte dans lՎvaluation de la santŽ de chaque individu.
5
R. Joly Le niveau de la science. Contribution ˆ la psychologie de lÕhistoire des sciences, op. cit., p.
140,197.
2
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diverses manires ˆ apaiser la soif, ˆ faciliter les Žvacuations, sans causer de constipation
ni de gonflement du ventre.1 Nous pouvons le constater dans un extrait de RŽgime des
maladies aigu‘s:
Ç Arrtons-nous donc ˆ la dŽcoction dÕorge qui parmi les aliments tirŽs des cŽrŽales, me para”t avoir
ŽtŽ judicieusement choisi, dans le traitement des maladies aigu‘s. Je loue ceux qui firent ce choix ; car
le mucilage quÕelle renferme est adoucissant, homogne, agrŽable coulant ; il contient une humiditŽ
suffisante, il apaise la soif, il facilite les Žvacuations alvines, sÕil en est quelque besoin ; il nÕa rien
dÕastringent, il ne cause aucun trouble f‰cheux dans la digestion, il ne se gonfle pas dans lÕestomac;
lÕorge, par la cuisson, sÕest autant gonflŽe quÕelle le pouvait naturellement...2. È
A ce point de notre rŽflexion, une premire conclusion sÕimpose : la diŽtŽtique est au
fondement de la mŽdecine hippocratique, quÕelle soit philosophique ou non. La
thŽrapeutique diŽtŽtique est considŽrŽe comme un progrs technique et comme un progrs
moral. La construction de lÕart de la mŽdecine hippocratique nous permet de parler dÕun
vŽritable art diŽtŽtique. Pour autant, nous ne pouvons pas concevoir dans cette pŽriode la
constitution dÕune diŽtŽtique scientifique semblable ˆ celle que nous connaissons
aujourdÕhui. Selon les catŽgories de Bachelard, nous parlerons plut™t dÕune diŽtŽtique
prŽscientifique. Donc, une mŽdecine rationnelle et une diŽtŽtique rationnelle ne sont pas
nŽcessairement scientifiques.3 La pensŽe prŽscientifique4 tend vers des solutions
polyvalentes et attribue au mme produit, dans ce cas les aliments, une sŽrie significative
de qualitŽs. AujourdÕhui, cÕest la spŽcificitŽ qui est valorisŽe. Plus prŽcisŽment, lÕeffet est
recherchŽ au moyen dÕun seul produit, au lieu dÕutiliser un produit ˆ tout faire. Dans ce
contexte, les aliments jouent diverses fonctions chez les biens portants et chez les malades
et cela est fondŽ sur le bon sens et les a priori qui en dŽcoulent. Or, ce sont des obstacles
ŽpistŽmologiques quÕil faut dŽpasser pour construire la science5.
Une autre caractŽristique de la pensŽe prŽscientifique dans la doctrine diŽtŽtique de
lՎpoque est le principe de lՎquilibre. Dans lÕÏuvre Du RŽgime, il sÕagit de lՎquilibre
entre les aliments et les exercices pour atteindre un bon Žtat de santŽ. Cette notion
dՎquilibre prŽsente dans le Corpus Hippocratique est encore valorisŽe de nos jours dans
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
J. Jouanna, Hippocrate, op. cit., p. 236.
R. Joly. Le niveau de la science. Contribution ˆ la psychologie de lÕhistoire des sciences op. cit., p. 138142.
3
J. Jouanna, Commentaire sur Joly Robert, Le niveau de la science hippocratique. Contribution ˆ la
psychologie de l'histoire des sciences, dans Revue des Žtudes grecques, 1968, vol. 81, no 386 p. 605-608.
4
G. Bachelard, La formation de lÕesprit scientifique op.cit., p. 9.
5
Ibid., p.26.
2
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lÕimaginaire collectif, mais elle est loin de la conception actuelle du traitement.1 Cela nous
permet de formuler une deuxime conclusion. La diŽtŽtique devient la manifestation dÕun
Ç souci de soi È et la relation de lÕhomme ˆ lÕaliment un nouveau centre dÕintŽrt. Nous
pouvons alors poser la question suivante : est-ce que ce souci de soi peut agir contre soi ?
Autrement dit, est-ce que la diŽtŽtique peut agir contre lՎquilibre biologique de lÕhomme
lui-mme ?
1.1.2 Platon et le souci de soi
En mme temps quÕHippocrate, Platon considre que le rŽgime nÕest pas un art
originaire, il est une inflexion de la mŽdecine2. En effet, Platon affirme quՈ lՎpoque
dÕAsclŽpios ou de ses premiers successeurs, la mŽdecine existait dŽjˆ car, au moyen des
remdes et des opŽrations on guŽrissait maladies et blessures. On ne se prŽoccupait pas de
la diŽtŽtique, parce que la manire de sÕalimenter et de rŽaliser de lÕexercice Žtait conforme
ˆ la nature3. CÕest alors que lÕhomme en sՎloignant de la vie Ç rude et saine È des anciens
temps peut devenir malade. Ds lors, le rŽgime doit accompagner les longues maladies.
Ainsi, la diŽtŽtique est devenue une composante de la mŽdecine au moment o le rŽgime
comme manire de vivre sÕest sŽparŽ de la nature. Dans cette perspective, rectifier une
dite ou un genre de vie est fondamental pour soigner la maladie, thse qui est reprise par
Platon qui en fait une exigence morale.
La morale de Platon repose en grande partie sur les rgles d'une dite bien entendue. En
effet, il fait du rŽgime une prŽoccupation morale et politique, quand, par exemple, des
excs dans le rŽgime ou le temps dŽdiŽ ˆ son corps empchent lÕindividu de mener une vie
politique normale4. La dite pour Platon nÕa pas pour finalitŽ de prolonger la vie ni
dÕaugmenter les performances, mais plut™t de la rendre utile et heureuse dans les limites
qui lui ont ŽtŽ fixŽes. Le rŽgime ne doit pas limiter les conditions de vie, il doit pouvoir
sÕadapter et permettre aux individus dÕaffronter des situations diffŽrentes : la diŽtŽtique
devient ainsi un Ç art stratŽgique È5 . LÔindividu ne suit pas passivement les conseils des
mŽdecins, il rŽalise une pratique rŽflŽchie de soi-mme et de son corps, au sein de laquelle
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
R. Joly, Le niveau de la science. Contribution ˆ la psychologie de lÕhistoire des sciences, op. cit., p.134138.
2
M. Foucault, Histoire de la sexualitŽ II, LÔusage des plaisirs, Gallimard, 1984. p. 141.
3
Platon, RŽpublique, Îuvres compltes, trad. L. Robin, Paris, Gallimard, 1989, III 407c.
4
Ibid., III 405 e -408 d.
5
M. Foucault, Histoire de la sexualitŽ II, LÔusage des plaisirs, op. cit., p. 141.
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la dite doit tre raisonnable sous le principe dÕune juste mesure pour sÕajuster aux
circonstances et aux moments. Elle doit tre aussi affaire de pensŽe, de rŽflexion et de
prudence. Le rŽgime sÕadresse ˆ lՉme et lui inculque des principes, contrairement aux
mŽdicaments, ou des opŽrations qui agissent de lÕextŽrieur sur le corps et que le patient
subit. En effet, le rŽgime devient du mme coup un Ç art dÕexister È. Il doit tre gŽrŽ par
chacun qui ainsi devient le ma”tre de son genre de vie.
Ç Que chacun sÕobserve lui-mme et note quelle nourriture, quelle boisson, quel exercice lui convient,
et comment il faut en user pour conserver la santŽ la plus parfaite1. È
Ainsi, cette gestion du corps doit aussi rŽpondre ˆ une condition, ce que nous appelons
aujourdÕhui Ç autonomie du sujet È. CÕest le patient qui discerne mieux (que le mŽdecin) ce
qui est favorable pour sa santŽ. Ainsi, pour Platon, la pratique du rŽgime comme art de
vivre tient compte des enjeux ˆ la fois de santŽ et de morale de la vie.
Enfin, que la diŽtŽtique soit un art primitif comme pour les mŽdecins hippocratiques ou
une dŽrivation ultŽrieure de la mŽdecine comme pour Platon, elle se situe au centre de la
mŽdecine ˆ la fois dans sa conception (prŽoccupation principale de la mŽdecine) et dans sa
thŽrapeutique.2
Son originalitŽ est fondŽe non seulement sur un Žloignement des
conceptions magiques et divines de la mŽdecine populaire traditionnelle, mais aussi sur le
fait que lÕhomme est devenu le point de dŽpart de la pensŽe et son centre dÕintŽrt. Le
rŽgime, au-delˆ de ses fonctions de prŽvention et de guŽrison, rŽpond ˆ une nouvelle
finalitŽ : Ç une manire de se constituer comme un sujet qui fait, de son corps, le souci
juste, nŽcessaire et suffisant. È Le rŽgime comme art dÕexister devient Ç une catŽgorie
fondamentale ˆ travers laquelle on peut penser la conduite humaine È3. Est-ce ˆ dire que la
diŽtŽtique, au-delˆ de sa double dimension morale et mŽdicale, devient un objet
fondamental pour Žtudier la vie ?
1.1.3 Aristote et la thŽorie biologique de la nutrition
Contemporain dÕHippocrate, Aristote propose ce que nous pourrions appeler
aujourdÕhui une thŽorie physiologique de la nutrition et cela ˆ partir de ces thŽories
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Platon, RŽpublique, Îuvres compltes, trad. L. Robin, op.cit.
M. Foucault, Histoire de la sexualitŽ II, LÔusage des plaisirs, op. cit., p. 133.
3
Ibid., p. 143.
2
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Ç biologiques È1 . En effet, la biologie nait ˆ partir des quelques Ïuvres dÕAristote, comme
le souligne Cuvier :
Ç Il semble que la science soit sortie toute faite du cerveau d'Aristote. [...] Il n'a laissŽ que bien peu de
choses ˆ faire aux sicles qui sont venus aprs lui 2 .È
La nutrition occupe une place centrale dans cette conception de la biologie. Elle
appara”t dans la Physique dÕAristote : la nutrition est la fonction principale de
lÕorganisation gŽnŽrale des vivants et une fonction principale de lՉme. En effet, Aristote
considre la physique comme lՎtude des phŽnomnes qui se dŽroulent dans la nature
visible et cÕest ˆ partir dÕelle quÕil Žtablit des principes fondamentaux. Cette physique
concerne les tres naturels et leurs mouvements (kinesi), et particulirement le changement
(mŽtabole), ˆ savoir le dŽplacement, lÕaccroissement et le dŽcroissement, la modification
qualitative ou altŽration, la gŽnŽration de lՐtre naturel et sa destruction. Nous pouvons
donc considŽrer la physique comme une philosophie de la nature qui concerne lՎtude du
changement (mŽtabole)3. Dans De Anima4 Aristote explicite une dŽfinition de la vie: Ç La
vie telle que je l'entends consiste ˆ se nourrir soi-mme, ˆ cro”tre et ˆ dŽpŽrir È 5. Un vivant
est, pour Aristote, un tre naturel qui possde en lui-mme deux principes : lՉme comme
principe de vie, qui confre une forme ˆ la matire, et le mouvement. Parmi les facultŽs de
lՉme, la facultŽ nutritive se situe au premier plan :
Ç CÕest donc de lÕaliment et de la gŽnŽration que nous devons dÕabord parler. En effet, lՉme nutritive
appartient aussi aux tres animŽs autres que lÕhomme, elle est la premire et la plus commune des
facultŽs de lՉme, et cÕest par elle que la vie appartient ˆ tous les tres. Ses fonctions sont la
gŽnŽration et lÕusage de lÕaliment6. È
La reproduction et la perpŽtuitŽ des espces sont la cause finale de la nutrition. Ainsi,
lՉme nutritive se confond avec lՉme gŽnŽratrice7. Le r™le nutritif est au fondement du
vivant. Il sÕagit dÕune base sans laquelle aucun tre mortel ne pourrait subsister.
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1
Il est important de souligner que les Grecs nÕutilisaient pas le mot biologia. CÕest ˆ partir de 1802 chez
Lamarck, que ce terme est employŽ.
2
P. Pellegrin, Aristote, Les parties des Animaux, Flammarion, 2011, p. 8.
3
P.M. Morel, Aristote Flammarion, Paris, 2003, p. 27.
4
Aristote, Traite sur lՉme, Paris, Vrin, 1977, II, 2,413a p. 22-26.
5
Ibid., II, 1,412 a 14-15.
6
Ibid., II, IV, 415a.
7
Ibid., II, IV, p.2.
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Afin de prŽciser la place de la nutrition dans la Ç biologie È dÕAristote, nous allons nous
fonder principalement sur lÕÏuvre intitulŽe Les parties des animaux qui est considŽrŽe
comme la Ç premire manifestation dŽveloppŽe dÕune science des vivants È1 et comme le
Ç cÏur de la biologie È2. A ce titre, il est possible de concevoir une thŽorie physiologique
nutritionnelle chez Aristote. Pour cela, il est nŽcessaire tout dÕabord de souligner que cÕest
de la nutrition (trophein) et non de la diŽtŽtique (diaita) que sÕoccupe Aristote. Les
aliments et les boissons ne sont ŽtudiŽs dans aucune Ïuvre conservŽe dÕAristote3. Ensuite,
nous devons souligner que le mot Ç nutrition È nÕest pas employŽ dans lÕantiquitŽ, il nÕest
utilisŽ quՈ partir du XIVŽme sicle.
Dans Les parties des animaux, nous retrouvons une vŽritable anatomophysiologie
finaliste dont le principe organisateur est lՉme et dont la nutrition est la fonction suffisante
et nŽcessaire. Aristote souligne ˆ propos des animaux :
Ç Ils ne peuvent ni exister ni se dŽvelopper sans nourriture4. È
Cette thŽorie nutritionnelle a pour fondement une force vitale appelŽe chaleur innŽe,
quÕil ne faudra pas confondre avec l'‰me. Aristote prŽcise que la chaleur innŽe est un
principe naturel, et quÕelle a besoin de nourriture : Ç En effet, se nourrir et se mouvoir sont
des fonctions de lՉme, et ces activitŽs adviennent avant tout du fait de cette puissance È5.
Ce principe naturel se situe dans le cÏur et serait responsable des modifications propres au
corps lui permettant dÕexister. Pour Aristote, le cÏur est non seulement lÕorgane qui
abritait la chaleur et le pneuma innŽs, mais il est aussi le sige de lՉme, de la pensŽe et des
sentiments :
Ç CÏur dans lequel nous disons que se trouve le principe de la vie et de tout mouvement aussi bien
que de toute sensation6. È
Il lui attribue une place considŽrŽe comme digne dans lÕanatomie du vivant, au milieu,
en haut et en avant du corps. Il lui donne trois et non pas quatre cavitŽs, avec des
vaisseaux qui sortent mais qui ne rentrent pas dans lÕorgane, car le sang est, selon lui,
produit ˆ lÕintŽrieur mme du cÏur. En plus de lui attribuer un emplacement plus digne que
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
P. Pellegrin, Aristote Les parties des Animaux, cit. op., p.79.
Ibid., p. 13.
3
Ibid., p. 499.
4
Ibid., p. 207.
5
Aristote, Traite sur lՉme, op.cit., 652b 7-16.
6
Ibid., 3, 665a, p. 273.
2
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les autres viscres, le cÏur est aussi invincible, au sens o il ne peut pas tre malade. La
fonction principale du cÏur est donc, par coction, la transformation des aliments en sang :
Ç Mais puisque la nŽcessitŽ exige que tout tre qui s'accro”t prenne de la nourriture et puisque la
nourriture est pour tous ˆ base de matires liquides ou sches, dont la coction et la transformation
s'oprent sous l'influence du chaud, il est nŽcessaire que tous les animaux et toutes les plantes
possdent (...) un principe naturel de chaleur 1. È
Ensuite, le sang provenant des aliments, aprs coction par la chaleur naturelle innŽe, se
nourrit et se transforme en chair : Ç S'il n'est pas la chair, il l'irrigue et la nourrit È. 2 Nous
constatons, dans cette thŽorie de la nutrition, lÕintroduction de ce que nous appelons
aujourdÕhui Ç nutriment È, concept qui dŽsigne des substances extraites des aliments qui
pourront devenir et se transformer en un tout autre composant de lÕorganisme. Il est
important de souligner quÕAristote dŽfinit le mŽdicament ou Ç pharmakon È, en opposition
ˆ lÕaliment, comme la matire que nÕest pas assimilŽ ou digŽrŽ par lÕorganisme, et qui est
capable de pousser la matire pathogne pour tre ŽvacuŽe avec elle. Il sÕagit pour Aristote
dÕun mouvement qui a pour origine une attraction mŽcanique entre matire et organes et
est rŽgi par le mouvement de la gravitŽ. Ainsi les substances chaudes et lŽgres provoquent
un mouvement vers le haut et les froides et lourdes vers le bas.3
Si le cÏur ne peut pas tre malade, le sang est susceptible de se voir altŽrŽ en raison
dÕun rŽgime nutritionnel plus ou moins adaptŽ. Ici, la rŽfŽrence semble tre hippocratique,
puisque l'Žtat de santŽ chez Hippocrate est dŽterminŽ par lՎquilibre et lÕharmonie des
humeurs :
Ç Il est manifeste que le sang est la nourriture ultime pour les animaux sanguinsÉ cÕest aussi pour
cela que le sang diminue chez les tres qui ne prennent pas de nourriture et que, chez ceux qui en
prennent, il augmente, et que quand la nourriture est de bonne qualitŽ il est sain, et mauvais quand elle
est mauvaise 4. È
Le sang se dŽplace dans les vaisseaux, les veines, puisque les artres vŽhiculent de lÕair,
gagnent les organes et les nourrissent. Ainsi, la chaleur vitale permet aussi la digestion par
coction des aliments et elle commence dans lÕestomac aprs la mastication et lÕaction de
lÕintestin puis se termine dans le cÏur. Les rŽsidus utiles sont repris par les veines
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid., II, 3, 650 a, p. 1-7.
Ibid., II, 5, 668 a, p. 1-4.
3
JC. Dupont, LÕInvention du mŽdicament, Paris, Hermann, 2013, p 3.
4
Aristote, Traite sur lՉme, op.cit., II, 3, 650 b, p. 1-2.
2
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mŽsentŽriques et transformŽs en sang, en subissant une premire purification dans le foie et
la rate qui fabriquent respectivement la bile jaune et la bile noire et sÕachve dans le cÏur
par une seconde coction. La nutrition, selon Aristote, peut tre ainsi dŽfinie comme :
Ç lÕopŽration par laquelle la matire des aliments est transformŽe en la matire du corps par lÕaction de
lՉme et de la chaleur1 .È
Plus rigoureusement : Ç dans la nutrition, le passage de lÕinanimŽ (lÕaliment) au vivant
(le corps alimentŽ) se rŽalise gr‰ce ˆ lՉme nutritive qui, par lÕintermŽdiaire de la chaleur
vitale, transforme de manire adŽquate lÕaliment, en fait du sang, qui lui-mme donne les
diffŽrents composŽs organiques (chair, os, graisse, moelle, sperme, etc.). Par la chaleur
vitale, lՉme est donc responsable de cette Ç vivification È de la matire inanimŽe qui
constitue lÕaliment2È.
Ainsi, Aristote formule une physiologie de la nutrition et de la digestion en dŽtaillant les
fonctions des organes qui y participent, de la bouche ˆ lÕintestin, en passant par lÕÏsophage
et lÕestomac, le viscre central Žtant le cÏur. Nous voyons, dans cette thŽorie constituŽe sur
des a priori, une des grandes thŽories de lÕhistoire des sciences, la thŽorie cardiothermocentrique, que lÕhistoire aura du mal ˆ dŽpasser jusquÕau dŽbut du XVIIme sicle.
Aristote met fin au conflit qui oppose mŽdecine et philosophie. La connaissance
scientifique de la nature (le physikos) devient lÕobjet du philosophe : Ç il appartiendra au
naturalistes de parler de lՉme et dÕen avoir la scienceÈ.3 Le mŽdecin se voit attribuer le
r™le de praticien compŽtent dans lÕexercice dÕune technique mŽdicale centrŽe sur les
maladies. Celle-ci restera le fondement de toute la pensŽe mŽdicale pendant des sicles.
Mme si Aristote est fortement influencŽ par Hippocrate, il sÕen dŽmarque sur certains
points. Nous le constatons en Žtudiant la finalitŽ de tous les processus vitaux : dans la
physiologie finaliste dÕAristote, la vie est la finalitŽ mme, ˆ la diffŽrence de la conception
Hippocratique o le corps et sa conservation sont les buts des tous les processus vitaux4.
Autrement dit, avec le dŽveloppement dÕune physiologie digestive, en attribuant ˆ
lÕestomac un r™le primordial et au cÏur une valorisation de la chaleur, Aristote contribue
au mythe de la digestion tel quÕen parle Bachelard5. En effet, pour ce dernier, le feu a ŽtŽ
pensŽ comme le principe universel dÕexplication des phŽnomnes sur la base de valeurs et
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Aristote, Traite sur lՉme, op.cit., II, 3, 650 b, p. 1-2.
Galien, Îuvres mŽdicales choisies I. de lÕutilitŽ des parties du corps humain, op. cit., Introduction XXV.
3
Ibid., I,I 641, 5.
4
M. Veggetti, Ç Entre le savoir et la pratique : la mŽdecine hellŽnistique È, dans Histoire de la pensŽe
mŽdicale en Occident. Paris, Seuil, 1997, p. 69 - 72.
5
G. Bachelard, La formation de lÕesprit scientifique, op. cit., p. 206.
2
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de convictions enracinŽes dans lÕinconscient humain, constituant ainsi un obstacle ˆ lՎtude
scientifique des phŽnomnes matŽriels.1 Or, le feu rŽunit deux types dÕobstacles
ŽpistŽmologiques : lÕobstacle substantialiste et lÕobstacle animiste. Il sÕagit de concevoir le
feu comme une substance (la chaleur = qualitŽ interne) et comme un tre vivant (la chaleur
= principe vital). On peut ainsi considŽrer lÕÏuvre Les parties des animaux dÕAristote
comme un texte prŽscientifique qui souligne Ç la permanence et la force du mythe de la
digestion dans lÕexplication des phŽnomnes matŽriels È. 2
En conclusion, dans la pensŽe dÕAristote la nutrition (trophein) sÕaffirme comme le
fondement dÕune science que lÕon appelle aujourdÕhui la biologie. Il y parvient dÕabord en
attribuant ˆ la nutrition une place centrale dans la dŽfinition de vie et en considŽrant la
nutrition comme la fonction principale de lՉme. Est-il possible au terme de cette Žvolution
dÕunifier dans un seul concept la nutrition et la diŽtŽtique ?
1.1.4 La place de la nutrition dans la mŽdecine galŽnique
DÕun point de vue ŽpistŽmologique, Galien se fonde sur les conceptions hippocratique,
platonicienne et aristotŽlicienne pour dŽvelopper une mŽdecine Ç galŽnique È qui fait
autoritŽ jusquÕau XVIIme sicle. La nutrition et la diŽtŽtique prennent aussi une place
importante dans cette conception de la mŽdecine tant dans le dŽveloppement de la thŽorie
biologique ˆ partir des nouvelles conceptions anatomiques et physiologiques que dans le
rŽgime considŽrŽ comme lÕaspect central de la thŽrapeutique galŽnique. 3
La biologie galŽnique est caractŽrisŽe par une instrumentalisation et une conception
utilitaire des parties du corps. En effet, pour Galien, le corps est constituŽ de diverses
parties relativement indŽpendantes, chacune Žtant un instrument et ayant une fonction (ou
Ç usage È) bien dŽfinie qui justifie son existence et sa structure. LÕanatomie de Galien,
malgrŽ lÕinterdiction de lՎpoque de rŽaliser des dissections sur des cadavres, est
considŽrŽe comme la meilleure de lÕAntiquitŽ. Son expŽrience comme mŽdecin des
gladiateurs et la dissection sur des singes quÕil pratique lui permettent dՎtudier les organes
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
G. Bachelard, La psychanalyse du Feu, Paris, Gallimard, 1983.
J. Lamy, Commentaire, La chimie du Feu : Histoire dÕun faux problme. Disponible dans
https://gastonbachelard.org/wp-content/uploads/2015/07/La-psychanalyse-du-feu-de-GastonBACHELARD_chapitreV_Julien-LAMY.pdf (consultŽ le 3 janvier 2013)
3
Galien, Îuvres mŽdicales choisies I. de lÕutilitŽ des parties du corps humain, op. cit., XXXIV.
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et leurs dispositions1. La physiologie de Galien Ç dŽsanimise È la nutrition et dÕune
manire significative la vie vŽgŽtative. Si, pour Platon, celle-ci relevait de lՉme logŽe dans
le foie et, chez Aristote, de lՉme logŽe dans le cÏur, au contraire, chez Galien cette vie
vŽgŽtative relve de la nature et seuls la pensŽe, la sensibilitŽ et les mouvements
volontaires relvent dÕune ‰me logŽe dans lÕencŽphale.
Le foie et le cÏur possdent des principes qui ont perdu le statut dՉme et sont devenus
simplement Ç des natures È. Ils sont considŽrŽs comme des organes qui ont une importance
moindre par rapport ˆ lÕencŽphale (un de trois grands appareils dŽcris par Galien) qui serait
lÕorgane qui loge Ç lՉme pensante et dirigeante È. Ainsi, Galien affirme dans Les FacultŽs
Naturelles :
Ç Puisque la sensation et le mouvement volontaire sont propres aux animaux, tandis que la nutrition et
lÕaccroissement sont communs aux animaux et aux plantes, ces opŽrations doivent tre attribuŽes, les
premires ˆ lՉme, les secondes ˆ la nature ; mais si lÕon accorde aussi une ‰me aux plantes, et si,
distinguant ces ‰mes, on nomme celle-ci ‰me vŽgŽtative, et lÕautre, ‰me sensitive, cela revient encore
au mme ; seulement on se sert dÕun terme peu usitŽ É. Nous dirons que les animaux sont rŽgis ˆ la
fois par leur ‰me et par leur nature, tandis que les plantes le sont seulement par leur nature. Nous
dirons encore que lÕaccroissement et la nutrition sont les Ïuvres de la nature et non pas de lՉme2.È
Nous constatons donc, que pour Galien, il nÕy a plus dՉme nutritive comme chez
Aristote, mais une fonction de la nature appelŽe nutrition.
Le corps est, pour Galien, une machine dont chaque organe est construit par le
Ç CrŽateur È, une Providence omnisciente et rationnelle rŽglant le monde. Il accomplit
certaines fonctions et sa raison dՐtre est son utilitŽ. Les parties sont reliŽes entre elles
gr‰ce ˆ la Ç sympathie È, principe appliquŽ dans le fonctionnement normal des parties et
dans lÕexplication des maladies. Cette notion est considŽrŽe comme Žtant Ç sinon
magique È du moins comme Žtant une notion Ç ˆ tout faire È qui montre un lien ou une
relation entre les parties, mais ne lÕexplique pas.3
La nature rŽgit les fonctions des parties du corps principalement ˆ travers ce que Galien
appelle les facultŽs naturelles. Nous constatons ceci dans lÕexplication des termes de
Galien :
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid., XXXVIII.
Galien, Îuvres mŽdicales choisies II. Des facultŽs naturelles, Paris, Gallimard, 1994. I,I, p. 3.
3
Galien, Îuvres mŽdicales choisies I. de lÕutilitŽ des parties du corps humain, op. cit., XXXVII.
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Ç par Ïuvre, jÕentends la chose faite et achevŽe par lÕaction des facultŽs naturelles, comme le sang, la
chair et le nerf. JÕappelle action le mouvement efficace et la cause de ce mouvement, je la nomme
facultŽ1. È
Galien donne des noms trs explicites ˆ ces fonctions, dont certaines se trouvent dans
toutes les parties du corps alors que dÕautres sont particulires ˆ un organe prŽcis. Les
facultŽs de gŽnŽration, dÕaccroissement et de nutrition en sont les principales. 2 Nous nous
intŽressons ici ˆ lՎtude de la facultŽ de nutrition, dont nous observons quÕil sÕagit dÕune
thŽorie purement empirique et ŽloignŽe dÕun raisonnement logique, ce qui signifie quÕelle
constitue un obstacle ŽpistŽmologique cognitif selon lՎtymologie de G. Bachelard.
Ces facultŽs naturelles sont vŽritablement Ç magiques È comme affirme A. Pichot :
Ç Galien donne un peu lÕimpression dÕinventer une facultŽ chaque fois quÕil faut expliquer un
processusÉ3. È
Galien dŽfinit la facultŽ de nutrition de la manire suivante: ÇLÕacte mme qui consiste
ˆ introduire une substance, laquelle sous forme dÕaliment vient sÕappliquer sur chaque
partie du corps nourri, cet acte constitue la nutrition, et la cause de cet acte est la facultŽ
nutritive È4. Cet acte relve dÕautres facultŽs afin de nourrir les parties du corps. Ainsi, la
facultŽ nutritive comprend elle-mme des facultŽs altŽratrice, agglutinative, rŽtentrice,
assimilatrice, augmentative. Ces autres facultŽs sont propres aux organes, crŽŽes en vue de
la facultŽ nutritive. LÕaction de cette facultŽ est lÕassimilation, au sens o lÕaliment qui
sÕintroduit sÕassimile ˆ ce qui existe dŽjˆ. En effet, il n y a pas dÕaltŽration comme dans la
gŽnŽration, il sÕagit donc dÕÇ un changement avec juxtaposition È5. Or, Galien dŽfinit la
nutrition comme Ç assimilation de lÕaliment ˆ lՐtre nourri È ˆ savoir comme une
transformation de lÕaliment en matire du corps6; cÕest donc lÕaliment qui est lÕobjet de
cette facultŽ. Voici la dŽfinition dÕaliment :
Ç LÔaliment est ce qui nourrit actuellement ; le quasi aliment, qui ne nourrit pas encore, par exemple
celui qui est agglutinŽ ou juxtaposŽ, nÕest pas un aliment dans le sens propre ÉCÕest ainsi que nous
appelons aliment chacune des substances alibiles (propres ˆ nourrir), non quÕelle nourrisse
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid., I,I, p.7.
Galien, MŽthode de Traitement, Gallimard, Paris 2000, p. 21.
3
Ibid., p. XLI.
4
Ibid., I I p. 17.
5
Ibid., I I p. 16.
6
A. Pichot, Histoire de la notion de vie, Paris, Gallimard, 1993, p. 150.
2
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actuellement lÕanimal, ni quÕelle soit un quasi aliment, mais parce quÕelle peut et doit un jour nourrir
si elle est bien ŽlaborŽe1. È
Cependant, Galien prŽcise que dans ce processus dÕassimilation, le corps lui-mme est
susceptible dՐtre altŽrŽ par lÕaliment. Galien dŽfinit trois grands appareils, correspondant
aux trois ‰mes ou principes, dŽfinis prŽcŽdemment : le foie, les veines et la nutrition ; le
cÏur, les poumons, les artres et la respiration ; lÕencŽphale, les nerfs, les muscles et le
domaine sensori-moteur. En ce qui concerne lÕappareil de la nutrition, le foie, organe
principal, transforme les aliments en sang au moyen dÕune facultŽ sanguinifique.
LÕestomac a une fonction de purification partielle des aliments, et les aliments triŽs, et non
expulsŽs passent ˆ travers les parois de lÕestomac et de lÕintestin, gr‰ce ˆ de petits trous
dont elles sont parsemŽes, et entrent ainsi dans les veines mŽsentŽriques qui les conduisent
au foie par la veine porte.
Diverses facultŽs naturelles interviennent. Le sang fabriquŽ dans le foie ˆ partir des
aliments sert ˆ nourrir les diffŽrentes parties du corps. Galien donne Žgalement un r™le ˆ la
chaleur, dans la coction digestive dans lÕestomac, sans la relier prŽcisŽment ˆ lÕaction de
ses facultŽs naturelles. Nous voyons ici une prolongation de la mythification du feu, 2 qui
est posŽ comme principe universel dÕexplication des phŽnomnes. En ce qui concerne le
deuxime appareil galŽnique constituŽ par le cÏur, les artres et le poumon, il a pour
principale fonction la respiration. Il assure la production de la chaleur vitale par le cÏur,
sa modŽration par lÕair des poumons et sa distribution par les artres aux diffŽrentes parties
du corps sous forme dÕune Ç pneuma vitale È. Cette dernire est produite dans le cÏur ˆ
partir du sang, de lÕair et de la chaleur. Galien ne considre donc plus comme Aristote cette
fonction sanguinifique du cÏur, il lui attribue une fonction quasi respiratoire, et cela mme
en sachant que les artres vŽhiculent du sang et non de lÕair. En ce qui concerne cette
pneuma vitale, Galien ne la dŽfinit pas clairement3. Cependant, il est possible dÕaffirmer
que pour Galien, le cÏur est la source de chaleur innŽe de lÕanimal, mais il ne le rattache
pas ˆ une ‰me. Ensuite, la respiration a bien pour fonction en mme temps de la modŽrer et
dÕentretenir cette chaleur, mais le mŽcanisme nÕest pas clair.
Ainsi, la finalitŽ biologique chez Galien nÕest plus une finalitŽ interne ni Ç psychique È
comme chez Aristote : la vie vŽgŽtative relve des principes naturels Ç physiques È et non
Ç psychiques È ou propres ˆ lՉme. Il sÕagit dÕune finalitŽ Ç machinique È introduite de
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Galien, MŽthode de Traitement, op. cit., II p. 19.
G. Bachelard, La psychanalyse du Feu, op.cit.
3
A. Pichot, Histoire de la notion de vie, op. cit., p. 183.
2
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lÕextŽrieur par un Ç CrŽateur È. Ici, la nutrition nÕa plus un r™le central, elle est considŽrŽe
comme une fonction physique parmi dÕautres. La mŽdecine de Galien aura comme objectif
de rŽparer cette machine quÕest le corps lorsquÕelle est dŽrŽglŽe1.
1.1.5 La mŽdecine galŽnique
En ce qui concerne la mŽdecine, Galien est fidle ˆ la conception hippocratique dÕune
mŽdecine qui a besoin de partir dÕune connaissance prŽalable de la nature humaine et qui
relve dÕun savoir philosophique. Ainsi, pour Galien, la nature est premire et
primordiale2. Galien considre deux manires diffŽrentes dÕexpliquer les maladies. Les
deux manires sont liŽes entre elles : dÕune part, le dŽsŽquilibre des humeurs hŽritŽ
dÕHippocrate
et,
dÕautre
part,
une
conception
anatomopathologique
o
le
dysfonctionnement dÕun organe peut conduire ˆ son altŽration ou ˆ une lŽsion et engendrer
la maladie. Ainsi, un dŽsŽquilibre des humeurs peut entra”ner une altŽration de tel ou tel
organe. A lÕopposŽ, une altŽration de tel organe entra”ne un dŽsŽquilibre des humeurs. Les
humeurs sont caractŽrisŽes par les quatre qualitŽs traditionnelles de lÕAntiquitŽ (chaud,
froid, humide et scheresse) et par lˆ elles sont associŽes aux saisons. LՉge et le
tempŽrament de lÕindividu sont des facteurs dŽterminants de lՎquilibre et de la
prŽdisposition aux dŽsŽquilibres. La maladie peut tre provoquŽe par lÕexcs ou le manque
dÕune ou de plusieurs humeurs ou qualitŽs. Les humeurs sont rattachŽes aux organes. Le
dŽsŽquilibre humoral peut donc entra”ner un dysfonctionnement de lÕorgane et une
altŽration dÕun organe peut se traduire par un dŽsŽquilibre humoral. La conception
anatomopathologique de la maladie en relation avec la conception biologique utilitaire et
instrumentale de Galien occupe un deuxime plan, car cÕest la thŽorie humorale qui
prŽdomine, et cela en particulier pour lÕapplication de la thŽrapeutique3.
En ce qui concerne la thŽrapeutique, malgrŽ la difficultŽ des historiens ˆ dŽterminer et
parfois comprendre des principes gŽnŽraux,4 Galien considre trois grandes divisions : la
chirurgie, la pharmacologie et la diŽtŽtique. Il considre, comme Platon, que la chirurgie et
la pharmacologie Žtaient connues ds l'Žpoque dÕHomre, et il s'appuie sur le tŽmoignage
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
V. Boudon, Ç Art, Science et conjecture È, dans Galien et la Philosophie Entretiens sur lÕantiquitŽ
classique, Tome XLIX, Vandoeures, Genve, 2003, p. 28.
2
J. Jouanna, Ç La notion de nature chez GalienÈ, dans Galien et la Philosophie Entretiens sur lÕantiquitŽ
classique, Tome XLIX, Genve, Vandoeures, 2003, p.268.
3
Ibid., Introduction, p. LIV.
4
Galien, Îuvres mŽdicales choisies II. De la mŽthode thŽrapeutique, op. cit., p. 289.
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de Platon dans la RŽpublique, pour dire que la diŽtŽtique n'Žtait pas connue d'Homre et
qu'elle est une branche de la mŽdecine plus rŽcente1.
DÕune part, la saignŽe, les ventouses, les ponctions, les diurŽtiques, les vomissements et
les purges, permettent dՎliminer lÕexcs de sang, de phlegme, de bile ou dÕeau. DÕautre
part, la pharmacologie, consiste en drogues ou mŽdicaments administrŽes de toutes les
manires possibles : pilules, potions, suppositoires, cataplasmes etc. Ces drogues avaient
un effet local ou gŽnŽral. Enfin, le rŽgime constitue lÕessentiel de la thŽrapeutique
galŽnique comme chez Hippocrate. La diŽtŽtique de la mŽdecine Hippocratique est reprise
par Galien. De la sorte, certains aliments conviennent ˆ telle ou telle maladie, selon quÕils
sont Žchauffants, humectants ou dessŽchants ; ou selon quÕils favorisent le sang, la pituite,
la bile jaune ou la bile noire. LÕeau est un ŽlŽment important du traitement sous diverses
formes comme de bains, dÕaspersion. Galien estime que :
Ç Le rŽgime humide convient dans toutes les fivres aigu‘s. Donnez donc de la ptisane si elle ne
cause pas dÕaigreurs, du mŽlicrat sÕil nÕengendre pas de bile, des potages du mŽlicra, du pain o il
entre beaucoup dÕeau et dÕautres aliments douŽs de la mme propriŽtŽ ou dÕune propriŽtŽ analogue2. È
En effet, Hippocrate indique que Ç les rŽgimes humides conviennent ˆ tous les
fŽbricitants, surtout aux enfants et ˆ ceux qui sont habituŽs ˆ un tel genre dÕalimentation.È3
Certes, il est important de souligner que les principes de la thŽrapeutique galŽnique sont
difficiles ˆ gŽnŽraliser et parfois ˆ les comprendre. Toutefois, pour cet auteur, dÕune
manire trs explicite, les aliments possdent en plus de la valeur nutritive des propriŽtŽs
curatives. Ainsi, les aliments, peuvent en mme temps tre prescrits dans le cadre dÕun
rŽgime et figurer dans la composition des mŽdicaments4. Voici ˆ titre dÕexemple
lÕutilisation dÕun rŽgime humectant et de la farine dans la thŽrapeutique de lՎrysiple :
Ç Aprs avoir saignŽ pour refroidir le corps et imposŽ un rŽgime rŽfrigŽrant et humectant, on applique
sur la partie atteinte une Žponge imprŽgnŽe dÕeau vinaigrŽe pour ronger les chairs pourries, puis une
fois la plaie nettoyŽe, des cataplasmes ˆ base de farine ayant une action rŽfrigŽrante et humectant ; soit
ici une action locale alors que la saignŽe et le rŽgime concernent le corps en entier5. È
Cette nouvelle conception de la diŽtŽtique, fondŽe sur le systme anatomophysiologique
rŽsulte donc dÕune combinaison dÕhŽritages, dÕobservations et de dŽcouvertes. Elle
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
J. Jouanna, La naissance de l'histoire de la mŽdecine en Grce ˆ l'Žpoque classique. Histoire des sciences
mŽdicales, op. cit., p. 328.
2
Galien, Îuvres mŽdicales choisies II. De la mŽthode thŽrapeutique, op. cit., p. 289.
3
Hippocrate, Aphorismes, Livre I n.16. Le FŽbricitant est la personne qui a de la fivre.
4
Galien, MŽthode de Traitement, op. cit., p. 895.
5
Galien, Îuvres mŽdicales choisies I. De lÕutilitŽ des parties du corps humain. op. cit., Introduction, LV.
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marquera la pensŽe philosophique et mŽdicale et restera le fondement de toute la mŽdecine
mŽdiŽvale, aussi bien musulmane quÕoccidentale.
1.2 La nutrition de Galien jusquÕau XVIIIme sicle
Dans cette partie de notre Žtude, nous allons limiter notre recherche ˆ la pŽriode allant
du XVIme au XVIIIme sicle. CÕest au cours de celle-ci que les thses antiques
concernant la nutrition ont commencŽ ˆ tre mises en question suscitant de nouvelles
problŽmatiques. Le bouleversement de la sociŽtŽ, la manire de concevoir le monde et la
nature humaine, consŽquence des dŽcouvertes rŽalisŽes dans les domaines des sciences,
sont autant de facteurs qui rendent raison de ce changement. Cependant, la relation entre ce
mouvement intellectuel dŽnommŽ Ç RŽvolution scientifique È et les sciences telles que la
mŽdicine et la physiologie, a donnŽ lieu ˆ de vastes dŽbats entre historiens des sciences
depuis plusieurs annŽes1. La tendance est ˆ minorer leur r™le dans le mouvement de
transformation de la science ˆ cette Žpoque. En effet, ce bouleversement intellectuel a ŽtŽ
expliquŽ uniquement ˆ partir des dŽcouvertes accomplies dans le domaine des sciences
physiques Ç pures È comme la physique et les mathŽmatiques et non ˆ partir des Ç sciences
appliquŽes È comme la mŽdecine et la physiologie. Cela nous conduit donc ˆ rŽflŽchir sur
lՎvolution de la nutrition au cours de cette pŽriode, et, plus prŽcisŽment, sur son statut
ŽpistŽmologique. Pour cela, il est nŽcessaire de sÕinscrire dans le contexte de Ç rupture È
qui caractŽrise la Ç RŽvolution scientifique È. En effet, le dŽveloppement des sciences a
engendrŽ une spŽcialisation des domaines de connaissances et donnŽ naissance ˆ diffŽrents
champs disciplinaires, rŽorganisŽs autour de nouveaux principes et thŽories. Cela justifie la
nŽcessitŽ dՎtudier le dŽveloppement des connaissances de la nutrition en tenant compte de
cette spŽcialisation et de cette division des champs des savoirs scientifiques.
1.2.1 Les fonctions de la nutrition
Le concept de fonction Žvoque selon Gayon et Ricqls Ç lÕidŽe que quelque chose a un
r™le, et que cette chose est en fait censŽe accomplir ce r™le È2. Dans les sciences
biomŽdicales, se questionner ˆ propos dÕune fonction cÕest alors rŽpondre ˆ deux
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
C. Grignon, Ç La dŽcouverte de la circulation sanguine : rŽvolution ou refonte ? È, Gesnerus, Revue suisse
dÕhistoire de la mŽdecine et des sciences naturelles, 2011, vol. 68, p. 5.
2
J. Gayon, A. Ricqls, Les fonctions : Des organismes aux artefacts Paris, PUF, 2010, p. 1.
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questions : 1) un problme de causalitŽ finale, ˆ savoir pourquoi lÕobjet existe et pourquoi
lÕobjet est fait comme il est fait. 2) Un problme de causalitŽ efficiente, dans la mesure o
il sÕagit de dŽfinir son action caractŽristique ou encore son mode de fonctionnement. Dans
ces conditions, la dŽfinition du concept de fonction intgre lÕidŽe de finalitŽ et de
normativitŽ1. PrŽcisons que le mot Ç fonction È nÕappara”t quÕau XVIme sicle (du latin
functio Ç accomplissement È et Ç office È, qui est de la famille de fungi Ç sÕacquitter de,
accomplir È) et nÕest utilisŽ en mŽdecine quÕau XIXme sicle2, bien que le discours
fonctionnel soit dŽjˆ bien prŽsent dans lÕesprit des scientifiques ds lÕAntiquitŽ.
En ce qui concerne la nutrition, il est important de souligner que celle-ci est considŽrŽe
comme une fonction dans la physiologie ˆ partir du XVIme sicle. Elle incorpore
diffŽrentes fonctions comme la digestion, la respiration et la circulation3. Cela peut
sÕexpliquer par la participation et lÕintŽgration des systmes digestif, respiratoire et
circulatoire, dans le parcours que lÕaliment suit dans le corps afin dÕexercer une fonction
nutritionnelle. Dans ce cadre, la rŽflexion thŽorique ˆ propos de cette fonction rŽpond sur
le plan physiologique ˆ deux dŽfis : dŽterminer le devenir de lÕaliment dans lÕorganisme et
dŽterminer son r™le. Sur le plan mŽdical, le dŽfi est de savoir comment lÕaliment et la
nutrition contribuent ˆ lՎtat de santŽ, de bien-tre et de maladie. Pour cela, en premier
lieu, il conviendra dՎtudier la fonction digestive sous les trois thŽories prŽdominantes ˆ
cette pŽriode, ˆ savoir lÕiatrochimie, la mŽcanique, et le vitalisme. Ensuite, il sera pertinent
dՎvoquer les apports et consŽquences de la dŽcouverte de la circulation du sang par
William Harvey sur la conception de la nutrition. Il sÕagit ici dՎtudier lÕun des principaux
apports des sciences appliquŽes ˆ la RŽvolution scientifique. Enfin, notre rŽflexion
analysera les apports de la nouvelle chimie de Lavoisier afin dÕexpliquer comment la
dŽtermination des principes de la fonction physiologique telle que la respiration a contribuŽ
ˆ dŽpasser les obstacles ŽpistŽmologiques Ç substantialiste È et Ç animiste È du feu
enracinŽs ds lÕAntiquitŽ, dans la thŽorie thŽrmocardio-centrique.
1.2.2 La fonction de la digestion
Les thses galŽniques sur la fonction de nutrition se sont perpŽtuŽes jusquՈ la
Renaissance et elles ont ŽtŽ plus ou moins altŽrŽes par diverses influences. Le Chapitre IV
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid, p.2.
J. Gayon, A. Ricqls, Les fonctions : Des organismes aux artefacts, op. cit., p. 2.
3
G. Canguilhem, Ç Les fonctions de nutrition È, dans La science moderne, Paris, PUF, 1969, p. 619-647.
2
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du Tiers Livre de Rabelais tŽmoigne des connaissances de lՎpoque que lÕauteur, en tant
que mŽdecin, avait employŽ dans son analyse :
Ç l'estomac les reoit (les aliments), les digre et les transforme en chyle ; les veines du mŽsentre en
sucent ce qui est bon et profitable, laissant de c™tŽ les excrŽments, qui, par un dynamisme d'expulsion,
sont ŽvacuŽs par un conduit appropriŽ, puis elles portent le restant au foie ; il le transforme aussit™t en
sang 1. È
Dans ce passage, il est possible de reconna”tre une fonction digestive galŽnique. Le foie
est lÕorgane principal qui transforme les aliments en sang au moyen dÕune facultŽ
Ç sanguinifique È. Galien utilise les mots Ç usage È et Ç activitŽ È pour caractŽriser les
organes et leur finalitŽ. Ces usages sÕassocient aussi ˆ un certain nombre de mouvements,
comme par exemple les mouvements Ç dÕexpulsion È. Le terme Ç usage È est employŽ ici
pour faire rŽfŽrence aux fonctions des organes. Rappelons que Galien considre le corps
comme une sorte de machine faite de parties ou dÕorganes construits en raison de leur
utilitŽ par le CrŽateur pour accomplir des fonctions spŽcifiques gr‰ce aux facultŽs
naturelles.
Toutefois, cette influence est explicitŽe dans les Žtudes menŽes par le mŽdecin franais
Jean Fernel qui expose, dans son Ïuvre de 1567 Universa medicina, le premier traitŽ de
physiologie organisŽ et systŽmatisŽ. En effet, jusquÕici la mŽdecine et la physiologie de
Galien ont ŽtŽ transmises et enseignŽes par les commentaires sur Galien prŽsents dans le
Canon dÕAvicenne, Žcrit au Xme sicle2. LÕÏuvre de Fernel est considŽrŽe comme
lÕexposŽ le plus complet et le plus dŽtaillŽ du galŽnisme de lՎpoque, revendiquant une
influence significative des thŽories aristotŽliciennes. Ainsi, de la mme manire que
Galien, Fernel considre que le sang veineux et les veines sont formŽs dans le foie et le
sang passe du cÏur droit au gauche ˆ travers les pores inter ventriculaires et acquiert la
chaleur vitale. Deux ŽlŽments sont ˆ retenir : lՉme est logŽe dans le cÏur et elle dŽfinit la
vie par la nutrition en attribuant une fonction vitale ˆ lՉme, reprenant ainsi les acquis
dÕAristote :
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Rabelais, Le Tiers Livre, Paris, Flammarion, 1993.
J. Fernel, The Physiologia of Jean Fernel 1567, Trad. JM. Forrester American Philosophical Society,
Philadelphia, 2003, p.2.
2
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Ç la nutrition est accomplie par quatre facultŽs dont la facultŽ de concoction est la plus importante :
elle seule devrait tre dŽfinie comme nutrition car cÕest elle qui accomplit la fonction
dÕassimilation1. È
Ainsi, ce livre est considŽrŽ comme le dernier livre de rŽfŽrence qui a servi ensuite de
point dŽpart ˆ des nouvelles idŽes. Son originalitŽ et son importance pour lÕhistoire des
sciences sont dues ˆ la dŽfinition du mot physiologie. Alors que le mot jusquÕici Žtait
considŽrŽ comme lՎtude de la nature en gŽnŽral, Fernel limite son champ dÕapplication
aux corps animŽs. Dans la prŽface de lÕÏuvre, il dŽfinit cette notion de la faon suivante :
Ç Si les cinq parties de la MŽdecine compltes sont organisŽes en ordre, la physiologie serait la
premire ; elle concerne la nature de lՐtre humain sain entirement, tous ses pouvoirs et ses
fonctions2.È
Par consŽquent, il devient nŽcessaire de se demander comment, ˆ partir de la
conception de Fernel, la fonction digestive est apprŽhendŽe au cours de cette pŽriode.
1.2.3 La thse chimique sur la fonction digestive
LÕiatrochimie est une doctrine mŽdicale des XVIme et XVIIme sicles qui prŽtendait
soigner et expliquer la vie par la chimie3. On considre que son fondateur est le mŽdecin
allemand Paracelse4. Les idŽes de Paracelse sont inspirŽes des thŽories occultistes que le
mŽdecin et philosophe Marsilio Ficino a dŽveloppŽ un sicle auparavant. Il dŽveloppe la
thŽorie de lÕesprit qui entra”ne le remplacement de la doctrine galŽnique de lՉme
vŽgŽtative et ses facultŽs5. LÕesprit est considŽrŽ comme une substance semi-matŽrielle
capable dÕexpliquer un certain nombre de fonctions comme les fonctions naturelles
galŽniques de gŽnŽration, dÕaccroissement et de nutrition (facultŽs altŽratrice,
agglutinative, rŽtentrice, assimilatrice, augmentative). Cette chimie sÕest dŽveloppŽe au
cours de cette pŽriode, principalement par son hŽritier, le mŽdecin et alchimiste Jean
Baptiste Van Helmont au XVIIme sicle.
Van Helmont dŽveloppe trois sujets majeurs dans sa physiologie, ˆ savoir la mŽdecine,
la gŽnŽration et la nutrition. Cette dernire acquiert une position prŽpondŽrante car elle est
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Idib., p. 323.
Ibid., p.7.
3
A. Pichot, Histoire de la notion de vie, op. cit., p. 224.
4
C. Antonio, Ç Chemical and mechanical theories of digestion in early modern medicine È, Studies in History
and Philosophy of Biological and Biomedical Science, 2012, vol. 43, p. 329-337.
5
Ibid.
2
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considŽrŽe comme lÕessence de la vie. Cet auteur propose une alternative ˆ la thŽorie
cardiothermo-centrique de lÕAntiquitŽ en dŽveloppant une physiologie fondŽe sur les
principes de lÕeau, des ferments et de lÕarchŽe. Reprenons chacun de ces ŽlŽments afin
dÕen cerner la spŽcificitŽ. En premier lieu, lÕeau est pensŽe comme le substrat de choses, ce
qui montre un retour ˆ la pensŽe antique et chrŽtienne1. En effet, Van Helmont prŽtend se
rŽfŽrer ˆ la Bible, en particulier ˆ la crŽation du monde par Dieu2. Ensuite, les ferments
sont considŽrŽs comme des agents capables de transformer lÕeau. Ils ont ŽtŽ crŽŽs par Dieu
et peuvent expliquer de nombreuses transformations, ce qui les rapproche des facultŽs
naturelles de Galien. Plus prŽcisŽment, les ferments correspondent ˆ tout corps capable de
convertir un autre dans sa propre substance3. Ils sont donc les responsables de
lÕassimilation de lÕaliment. De la mme manire que Galien pose les facultŽs naturelles,
Van Helmont nÕexplique pas le mode dÕaction de ces ferments, dans la mesure o pour lui
dans ces actions, cÕest Dieu qui agit. Enfin, lÕarchŽe est considŽrŽe comme un principe
immatŽriel, gŽnŽral et qui agit par lÕintermŽdiaire des ferments, dans ce quÕil appelle le
Ç duumvirat È et qui correspond ˆ la rate et ˆ lÕestomac4. LÕarchŽe est ˆ lÕorigine des
fonctions, dont celle de la digestion considŽrŽe comme la fonction principale :
Ç il faut expliquer plus amplement, souligne Cap, cette cause efficiente et apprendre ˆ conna”tre
particulirement leur architecte et lÕesprit gŽnŽratif que lÕauteur nomme Arches Faber : car il faut de
nŽcessitŽ que tout ce qui nait naturellement soit accompagnŽ dÕun directeur intŽrieur5.È
La physiologie de Van Helmont ne dŽpend pas de lՉme, car lÕarchŽe assure les
fonctions digestives. Cependant, il existe trois ‰mes localisŽes au mme endroit, le
duumvirat et qui commandent lÕarchŽe. En dÕautres termes, lÕarchŽe est lÕinstrument de
lՉme et les ferments sont les instruments de lÕarchŽe. Pour Van Helmont, lՉme est ce
Ç par quoi les tres vivants diffrent des objets inanimŽs È6. Celle-ci, qui serait de lÕunique
ressort du Dieu, concerne principalement le domaine sensori-moteur. Ainsi, les tres
vivants relvent dÕune ‰me, des archŽes et des ferments.
Ces principes sont utilisŽs dans la physiologie de Van Helmont. En ce qui concerne la
nutrition, son importance se manifeste en lui attribuant six digestions, placŽes sur diffŽrents
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
A. Pichot, Histoire de la notion de vie, op. cit., p. 235.
Gense, 1, 6-10. Ç Au commencement, et avant le premier jour, Dieu crŽa le ciel et la terre È. LÕeau est
placŽe dans le ciel, donc, selon Van Helmont, elle a une place de premier ordre.
3
P.A. Cap, Van Helmont, Paris, 1852, p.13.
4
A. Pichot, Histoire de la notion de vie, op. cit., p. 250.
5
P.A. Cap, Van Helmont, op.cit., p.13.
6
A. Pichot, Histoire de la notion de vie, op. cit., p. 259.
2
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organes et conues sur un mode alchimique. Sa thŽorie remplace la conception
aristotŽlicienne de la chaleur par lÕaction des ferments et elle a pour but de comprendre
comment ceux-ci transforment et assimilent les aliments au corps. Nous constatons ici un
premier effort dans lÕhistoire de sciences pour dŽpasser lÕobstacle ŽpistŽmologique de la
chaleur. Les six digestions Žtaient placŽes dans lÕestomac, le duodŽnum, le foie, deux dans
le cÏur, et dans les diffŽrentes parties du corps. Il est cependant utile de dŽtailler les
diffŽrentes digestions : cÕest la premire digestion, celle de lÕestomac, qui a ŽtŽ la plus
ŽtudiŽe par Van Helmont. Le ferment de cette digestion a un caractre acide, reconnaissant
ainsi lÕaciditŽ des aliments vomis. Celle-ci nÕest quÕun instrument par lequel le ferment
agit, elle nÕest pas en soi le ferment. Ce ferment stomacal, qui vient de la rate, a un
caractre spŽcifique ˆ chaque espce animale selon le type dÕaliment que lÕon consomme
pour le transformer dans un type spŽcifique de chair. Rappelons que cÕest dans la rate que
se trouve lÕarchŽe principale pour Van Helmont :
Ç la considŽration de ce ferment (stomacal) (que les Ecoles ont ignorŽ) est trs nŽcessaire, parce que
cÕest lui qui prŽside au gouvernement de la vie1. È
La deuxime digestion, placŽe au duodŽnum, est alcaline et donc capable de neutraliser
lÕaciditŽ du contenu stomacale. Le ferment est constituŽ par la bile qui arrive dans lÕintestin
par le cholŽdoque. La bile, pour Van Helmont, nÕest pas un dŽchet de la fonction
sanguinifiant du foie, comme pour Galien, mais un ferment Ç noble È. Le chyle
2
prŽparŽ
lors de la deuxime digestion intestinale et biliaire passe dans les veines du mŽsentre Ç ou
mŽsaraiques È pour atteindre le foie, et par un mŽcanisme galŽnique, Ç partie par
imbibition (comme fait lÕeau chaude ˆ travers une vessie de pourceau) et partie par un
sucement sympathique ˆ travers leurs pores, qui sont ouverts pendant la vie et fermŽs
pendant la mort È3. La troisime digestion se dŽroule dans le foie, gr‰ce ˆ un ferment
sanguinifiant. Le chyle est sanguinifiŽ par le principe galŽnique qui utilisait un rŽseau de
fins vaisseaux afin de purifier le chyle. Ensuite, les reins rŽalisent une deuxime
purification. Les quatrimes et cinquimes digestions ont lieu dans le cÏur. Le sang en
provenance du foie arrive par la veine cave au cÏur et convertit le sang en sang Ç jaune et
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
J.B. Van Helmont, Traitant des principes de mŽdecine et physique, Lyon, Jean Antoine Huguetan et
Guillaume Barbier, 1671, p.141.
2
Diderot au XIX sicle dŽfinit le chyle comme Ç un suc exprimŽ des aliments pour tre portŽ dans le sang. Il
para”t tre dÕune nature aqueuse et olŽagineuse. Blanc, doux, acescent ; il a tout rapport ˆ une Žmulsion, il est
fait de la farine des vŽgŽtaux et de la lymphe et de lÕhuile des animaux È. Denis Diderot, Ç ElŽments de
physiologie È, dans Îuvres compltes, vol IX, Paris, Garnier, 1875-1877, p. 297.
3
J.B. Van Helmont, Traitant des principes de mŽdecine et physique, op.cit., p. 147.
!
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volatile È. A partir de ce sang artŽriel, la cinquime digestion fabrique lÕesprit de vie, qui
est lՎquivalent au pneuma vital de Galien. Il est probable que Van Helmont, contemporain
de Harvey, nÕait pas connu ses travaux sur la circulation sanguine car il dŽcrit la fabrication
de lÕesprit de vie Ç par une inspiration de sang ˆ travers le septum È. La sixime digestion
consiste dans lÕassimilation de lÕaliment sanguin par les tissus et se rŽalise dans les
diffŽrentes parties du corps : Ç La sixime digestion sÕachve en chaque partie qui font
chacune leur cuisine sous la direction de leur esprit innŽ È1. Le sang veineux nourrissait les
muscles et le sang artŽriel chargŽ de lÕesprit vital nourrissait les viscres. Chaque partie a
sa propre archŽe qui participe ˆ lÕassimilation de lÕaliment sanguin, et cela dÕune manire
indŽpendante de lÕarchŽe principale de la rate. LÕaliment est ainsi transformŽ au cours de la
digestion afin de devenir la matire du corps. Ce qui est significatif ici, cÕest lÕidŽe que le
corps est aussi transformŽ par lÕaliment et cela gr‰ce ˆ la Ç vie moyenne È de lÕaliment,
cÕest-ˆ-dire que lÕaliment, en conservant certaines propriŽtŽs originales comme son odeur
ou ferment pendant lÕassimilation, est capable de transformer le corps.
En consŽquence, Van Helmont propose une physiologie alternative qui remplace la
chaleur par un principe chimique qui agirait selon une commande placŽe dans le
duumvirat, lÕarchŽe. Ainsi, la fonction de nutrition, et plus particulirement la notion
dÕassimilation, se trouvent au fondement de lÕexplication de la vie par les chimistes. En ce
sens, comme le souligne Bachelard, la Ç chimie prŽtend sÕinstruire en scrutant les
phŽnomnes de la digestion È2. Ces explications chimiques, encore Ç alchimiques È riches
en a priori et en spŽculations, vont tre trs critiquŽes par un esprit qui est de plus en plus
scientifique3. Cependant, ils influencent au cours de cette pŽriode une autre physiologie,
celle qui sera conue par Descartes.
1.2.4 La thse mŽcaniste de la fonction digestive
Descartes conoit au dŽbut du XVIIme sicle trois sciences distinctes, ˆ savoir la
mŽdecine, la mŽcanique et la morale. La physiologie est la partie la plus dŽveloppŽe de la
mŽdecine de Descartes. Il entend la physiologie comme lÕentend Fernel ˆ lՎpoque :
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid., p. 149.
G. Bachelard, La formation de lÕesprit scientifique, op. cit., p. 208.
3
CÕest ˆ la fin du XVIIIme sicle que la thŽorie de la digestion comme un phŽnomne purement chimique a
vu le jour dÕaprs les travaux de Reamur et Spallanzani.
2
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Ç La physiologie enseigne par lÕeffet de la dŽmonstration la connaissance de la composition naturelle
de lÔhomme1. È
La physiologie serait la partie thŽorique de la mŽdecine qui a recours ˆ des lois de la
physique pour expliquer les fonctions vitales comme la fonction de digestion2. Afin de
comprendre la physiologie cartŽsienne, des prŽmices sont nŽcessaires : lÕhomme est
composŽ de deux substances, la substance Žtendue, celle du corps, et la substance pensante,
celle de lՉme humaine. Cette prŽcision est dÕimportance car elle permet de saisir la raison
pour laquelle lÕauteur de Les MŽditations mŽtaphysiques fait du vivant une machine. Ses
fondements physiologiques sont aristotŽlico-galŽniques en ce qui concerne la conception
dÕune chaleur interne et le dŽcoupage du corps en organes. Ses propres observations ainsi
que la tradition antique ne lui permettaient pas de mettre en cause ces principes. Toutefois,
pour Descartes, lՐtre vivant est un Ç automate mŽcanique È, crŽŽ par Dieu et son
Ç moteur È est une chaleur placŽe dans le cÏur. Cette chaleur entendue comme un Ç feu
sans lumire È3 est ˆ lÕorigine de la vie. A la diffŽrence dÕAristote pour qui la chaleur Žtait
un instrument pour lՉme, dans la physiologie de Descartes, la chaleur est produite par
lÕagitation des particules. LՉme nՎtant quÕune substance immatŽrielle, du domaine de la
pensŽe, les ‰mes vŽgŽtatives et sensitives dÕAristote disparaissent, ˆ la diffŽrence de
lÕarchŽe de Van Helmont qui possde des fonctions vŽgŽtatives comme celle de la
nutrition. Cela permet du mme coup de faire du corps une substance qui relve de lois
physiques propres, ˆ savoir celles de la mŽcanique. LՉme produit la pensŽe et des lois
mŽcaniques ne lui sont pas appliquŽes4, bien que lՉme agisse particulirement sur le corps
par lÕintermŽdiaire de la glande pinŽale, Žtant mme Ç unie ˆ toutes les parties du corps
conjointement È5. Par consŽquent, lՐtre vivant est considŽrŽ comme un automate dans la
mesure o il a en soi le principe de son mouvement, ses propres lois de transformation.
Cette autonomie est dŽjˆ attribuŽe ˆ lՐtre vivant chez Aristote et elle est reconnue pour
Galien uniquement dans lՉme encŽphalique. Cependant, Descartes dŽsanimise lՐtre
vivant en lui attribuant un principe de vie, qui nÕest plus une ‰me, mais une chaleur
ordinaire produite, selon lÕapplication des lois physiques, par le mouvement des particules
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
V. Aucante, La philosophie mŽdicale de Descartes, PUF, Paris, 2006, p. 150.
Ibid., p. 49.
3
Descartes, Discours de la mŽthode, Îuvres philosophiques, Paris, Edition de F. AlquiŽ, Garnier, 1998, p.
619.
4
Ibid., p.346.
5
V. Aucante, La philosophie mŽdicale de Descartes, op. cit., p. 33.
2
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du cÏur. Le principe de vie est ici plus un prŽalable ˆ lÕentendement de la nature humaine
quÕun instrument nŽcessaire pour dŽfinir des fonctions vitales.
Dans ce cadre, la physiologie de Descartes place la nutrition au cÏur des fonctions
vitales. En effet, dans la physiologie de Descartes, le principe dÕune division du corps en
parties ou organes dŽfinis par leur fonction, laquelle est dŽfinie par son utilitŽ, est repris de
Galien. Cependant, Descartes attribue des fonctions diffŽrentes aux organes selon les lois
de la mŽcanique et non selon les facultŽs naturelles. Ainsi, chaque fois que Galien attribue
normalement une facultŽ naturelle ˆ une fonction, Descartes utilise une explication
mŽcanique. Une autre caractŽristique de la physiologie cartŽsienne est la prŽsence de la
notion de fermentation, entendue comme lÕaction ou le principe majeur des diffŽrentes
fonctions du corps, y compris la digestion. La fonction de la digestion a pour r™le de
fournir ˆ lÕorganisme les ŽlŽments nŽcessaires pour entretenir la chaleur et donc de
maintenir la vie. Cette fonction dŽbute ainsi dans lÕestomac par lÕaction dÕune chaleur
dÕorigine Ç chimique È comparŽe ˆ celle de la fermentation. Cette conception dÕune chaleur
chimique ayant une explication physique qui est lÕagitation des particules, a pour origine
une fermentation ˆ travers des liquides, qui serait proche de celle de la fermentation de son
contemporain Van Helmont. Cependant, lÕexplication de Descartes reste insatisfaisante.
Les aliments, pour Descartes, peuvent se fermenter eux-mmes, ce qui pose alors la
question de lÕutilitŽ de ces liquides. Ces derniers proviennent du fonctionnement de la
machine cardiaque et sont apportŽs par le sang, ce qui semble favoriser la digestion,
comme nous le constatons dans le Discours de la mŽthode :
Ç Puis la coction (digestion), comment se ferait-elle en lÕestomac, si le cÏur nÕy envoyait de la chaleur
par les artres, et avec cela quelques-unes des plus coulantes parties du sang, qui aident ˆ dissoudre les
viandes (aliments) quÕon y a mises ? 1. È
Aprs lՎchauffement des aliments dans lÕestomac, ils descendent dans lÕintestin gr‰ce
ˆ lÕagitation des particules alimentaires qui produit la chaleur. LÕintestin fait un tri entre les
particules alimentaires fines et grosses. Les grosses sont ŽliminŽes ou descendent de
nouveau dans lÕintestin o sÕopre un second crible. Les plus fines passent ˆ travers des
petits trous dans les veines mŽsentŽriques et arrivent au foie par la veine porte. CÕest dans
le foie que lÕaliment est transformŽ en sang, thse reprise de Galien, o la fonction
sanguinifique est remplacŽe par une loi mŽcanique, la filtration, comme le prŽcise le
passage suivant :
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1
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Descartes, Discours de la MŽthode, op. cit., AT XI, p. 626.
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Ç Il est ici ˆ remarquer que les pores du foie sont tellement disposŽs, que lorsque cette liqueur entre
dedans, elle sÕy subtilise, sÕy Žlabore, y prend la couleur, et y acquiert la forme du sang : tout ainsi que le
suc des raisins noirs, qui est blanc, se convertit en vin clairet, lorsquÕon le laisse cuver sur la r‰pe1. È
Descartes utilise la comparaison avec la fermentation du vin pour caractŽriser le
principe mŽcanique de la filtration. Aprs le foie, le sang arrive dans le cÏur droit par la
veine cave et il est ŽchauffŽ par la chaleur mŽcanique. Le sang passe dans le poumon par
lÕartre pulmonaire et revient par le cÏur gauche par la veine pulmonaire. Il est ensuite
distribuŽ aux organes du corps par lÕaorte. Les particules apportŽes par les artres
traversent les pores et sÕaccrochent ˆ la racine de Ç petits filets È dont sont composŽs les
tissus. Ainsi, les filets sÕaccroissent par des ajouts successifs de particules adŽquates. CÕest
la taille des trous dans les parois artŽrielles qui dŽtermine le choix des particules. Ainsi, la
facultŽ attractive de Galien est remplacŽe par un mouvement de filtration mŽcanique.
En consŽquence, la nutrition pour Descartes consiste en un remplacement, a travers les
artres (et non les veines comme chez Galien et Aristote) des ŽlŽments qui ont ŽtŽ arrachŽs
ˆ ces petits filets. Chez lÕenfant les tissus sont mous et par consŽquent les pores des parois
artŽrielles peuvent sÕouvrir facilement vers les racines des petits filets. La croissance des
tissus est ainsi assurŽe. Chez lÕadulte, les tissus sont plus fermŽs, la nutrition ne fait que
renouveler les tissus. De cette manire, les flux dÕhumeurs selon leur abondance peuvent
expliquer lÕamaigrissement ou lÕengraissement2. En consŽquence, le sang serait une
Ç humeur semblable ˆ du levain È qui anime le Ç feu sans lumire È du cÏur3. Le concept
dÕhumeur vient certainement dÕHippocrate, mme si Descartes lui donne un sens nouveau
qui est cohŽrent avec ses principes physiques.
Il est important ici de noter lՎvolution de la thŽorie cardiothermo-centrique. Descartes
lÕutilise pour expliquer le fonctionnement de lÕorganisme, mais en lÕinterprŽtant dans une
optique mŽcaniste. Cette position est explicite ds le dŽbut de lÕÏuvre de la Description du
Corps :
Ç Et afin quÕon ait dÕabord une notion gŽnŽrale de toute la machine que jÕai ˆ dŽcrire : je dirai ici que cÕest
la chaleur quÕelle a dans le cÏur, qui est comme le grand ressort, et le principe de tous les mouvements
qui sont en elle4. È
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Descartes, L'Homme et un traitŽ de la formation du foetus, avec les remarques de Louys de La Forge, Paris,
J. Le Gras, 1664, AT XI, p.123.
2
A. Pichot, Histoire de la notion de vie, op. cit., p. 358.
3
V. Aucante, La philosophie mŽdicale de Descartes, op. cit., p.157.
4
Descartes, Description du corps humain, Îuvres philosophiques, Edition de F. AlquiŽ, Paris, 1998, AT XI,
p. 226-227.
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LÕauteur a, en effet, recours ˆ la chaleur par une nŽcessitŽ thŽorique, car il considre la
chaleur comme un Ç transformateur et un principe universel dÕexplication des
phŽnomnes È. CÕest le sang qui apporte la chaleur mais aussi la nourriture sous forme des
particules aux organes. Les organes sont alors incapables de produire leur propre chaleur.
Nous voyons ici comment cette physiologie est encore loin de la conception ŽnergŽtique et
mŽtabolique. Dans cette conception de la nutrition, nous pouvons observer un mouvement
perpŽtuel de changement ou Ç turnover È entre les particules apportŽes par le sang et les
organes. Ainsi, la nŽcessitŽ dÕun flux perpŽtuel de la matire permet de donner ˆ Descartes
un r™le ˆ lÕaliment une fois que lÕorganisme a cessŽ sa croissance. Cependant, il nÕexplique
pas ˆ quoi sert ce flux de matire. Sur ce point ni Aristote ni Galien ne donnent de rŽponse
claire1.
Il sÕensuit que la nutrition, par sa fonction digestive, est au cÏur de la physiologie de
Descartes. DÕune part, elle assure le maintien dÕune chaleur qui alimente un Ç feu sans
lumire È, ce qui engendre la vie, et dÕautre part, gr‰ce ˆ un permanent turnover, la
nutrition assure la croissance et lՎchange des matires des organes. Compte tenu de ces
ŽlŽments, le principe de la circulation du sang ˆ un r™le fondamental. Or, Descartes, Žtablit
le principe de la circulation du sang avant le mŽdecin anglais William Harvey ˆ qui on
attribue la dŽcouverte des principes de la circulation du sang, qu'il publiera en 1628 dans
Exercitatio Anatomica de Motu Cordis et Sanguinis in Animalibus. Or, Descartes dans son
Ïuvre, critique et dŽfend en mme temps Harvey. Selon lÕauteur du Discours de la
mŽthode, les deux thses sur la circulation, la sienne et celle de Harvey, sont produites par
lÕimagination, et il prŽtend que cÕest lÕexpŽrience qui doit trancher entre les deux. Ainsi,
par les expŽrimentations, Descartes va tenter dՎliminer lÕinterprŽtation de son rival et ceci
sans aucun a priori2. Cela conduit donc ˆ se poser la question suivante : quel est lÕapport
de la dŽcouverte de la circulation sanguine dans la construction des connaissances sur la
nutrition ?
1.2.5. La fonction circulatoire
LÕimportance de la dŽcouverte du principe de la circulation du sang, attribuŽe au
mŽdecin anglais William Harvey, tient selon C. Crignon Ç moins ˆ la rupture quÕelle
instituerait vis-ˆ-vis de la science mŽdicale des Anciens, quՈ la manire dont elle engage
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
2
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A. Pichot, Histoire de la notion de vie, op. cit., p. 361.
V. Aucante, La philosophie mŽdicale de Descartes, op. cit., p. 195.
!
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!
une vŽritable refonte du savoir sur lÕhomme È1. Autrement dit, cette dŽcouverte ne signifie
pas uniquement le dŽbut de lÕabandon de la thŽorie des humeurs ou lÕabandon de la
physiologie galŽnique, mais elle tient aussi au fait quÕelle suscite des tensions entre
diffŽrents types de reprŽsentation du corps, et quÕelle souligne la nŽcessitŽ de conna”tre le
corps humain. Ainsi, cette dŽcouverte ne serait pas considŽrŽe comme rŽvolutionnaire,
mais comme un ŽvŽnement qui a permis de conna”tre les Ç merveilles È du corps humain2.
Ces Ç merveilles È dŽsignent une rŽalitŽ que Ç lÕesprit humain nÕa pas encore pu Žlucider È.
CÕest un fait dŽcisif qui suscite la curiositŽ et ouvre de nouveaux horizons pour continuer
les expŽriences et les observations dans ce domaine de connaissance.
Ainsi, la dŽcouverte des principes de la circulation du sang entra”ne une double
consŽquence dans lÕhistoire des sciences. DÕune part, la circulation est la premire fonction
de lÕorganisme ˆ tre ŽlucidŽe et cela gr‰ce en partie ˆ une mŽthodologie expŽrimentale.
DÕautre part, le principe de la circulation et la conception de la nature humaine, selon la
description de Harvey, sera le fondement des thŽories biologiques dŽveloppŽes au cours de
deux sicles suivants, quÕelles soient mŽcaniste, animiste ou vitaliste, ce qui sera
dŽterminant pour le dŽveloppement des connaissances sur la nutrition. Dans ce contexte, il
faut se demander comment cette dŽcouverte et cette nouvelle conception de la nature de
lÕhomme contribuent au dŽveloppement de la physiologie de la nutrition au cours des
sicles suivants.
La conception de circulation se fonde sur le concept de cercle introduit par lՎcole
platonicienne. Celle-ci considre le cercle comme un principe, et comme le symbole de
lÕunitŽ de lÕÏuvre de la Nature3. Ainsi, William Harvey, qui est contemporain de
Descartes, dŽcrit un mouvement circulaire du sang sortant du cÏur par les artres et y
revenant par les veines. CÕest en effet une nouveautŽ car les mŽdecins et scientifiques
antŽrieurs sÕaccordaient sur un mouvement unidirectionnel du sang ayant comme point de
dŽpart le foie ou le cÏur. Harvey procde davantage ˆ une dŽmonstration par lÕexpŽrience
des faits dŽjˆ dŽcrits par ses prŽdŽcesseurs quՈ une vŽritable dŽcouverte.4 Voici sa
description:
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
C. Grignon, Ç La dŽcouverte de la circulation sanguine : rŽvolution ou refonte ? È, op. cit., p. 5-25.
Ibid.
3
V. Aucante, La philosophie mŽdicale de Descartes, op.cit., p.216.
4
M. Voisin, William Harvey et la circulation sanguine, AcadŽmie des sciences et des lettres de Montpellier,
2011, p. 367-379.
2
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Ç Les raisonnements et les dŽmonstrations expŽrimentales ont confirmŽ que le sang passe par les
poumons et le cÏur, quÕil est chassŽ par la contraction des ventricules, que de lˆ il est lancŽ dans tout
le corps, quÕil pŽntre dans le porositŽs des tissus et dans les veines, quÕil sՎcoule ensuite par les
veines de la circonfŽrence au centre, et de petites veines dans les grandes quÕenfin il arrive ˆ la veine
cave et ˆ lÕoreillette droite du cÏur1. È
Deux ŽlŽments mŽritent ici une prŽcision : premirement, sa thŽorie est fondŽe sur des
dŽmonstrations expŽrimentales. Harvey a pratiquŽ des vivisections animales qui lui ont
servi pour Žtudier la circulation et les mouvements du cÏur. En effet, le cÏur, considŽrŽ
comme un muscle et fonctionnant comme une bombe, permet de faire circuler le sang. Ce
mouvement de circulation a donc une fonction, qui consiste ˆ apporter de la chaleur et de
la nourriture aux diffŽrentes parties du corps. Deuximement, pour Harvey, deux facultŽs
sont nŽcessaires, une pour le mouvement du cÏur (facultŽ pulsatile) et une pour la
transformation du sang (facultŽ sanguinifiante). Rappelons que, pour Galien, le
mouvement centrifuge (mouvement du sang ˆ partir du foie) du sang remplit la mme
fonction, ˆ savoir celle qui permet dÕapporter la chaleur2. La respiration avait comme
fonction de refroidir la chaleur du cÏur. Harvey, fidle ˆ la tradition, considre que le cÏur
est le centre vital Ç ainsi, le cÏur est le principe de la vie (É) en nourrissant, rŽchauffant et
animant le sang, ce divin organe sert tout le corps : cÕest le fondement de la vie et lÕauteur
de toutes choses È3. Le cÏur est ainsi un contenant o le sang revient dans un mouvement
perpŽtuel pour rŽcupŽrer de la Ç chaleur vitale È. Le cÏur a aussi une fonction dans la
guŽrison des maladies, car il rŽagit en produisant la chaleur qui se manifeste sous forme de
fivre et qui est distribuŽe au corps pour guŽrir. Harvey, dans ces expŽriences, prŽtend
aussi montrer que les veines et les artres contiennent un mme sang. Il Ç dŽmontre È que
le sang artŽriel nÕest pas un sang en Žbullition et quÕil ne contient pas un pneuma vital
comme le considŽrait Galien. Harvey explique la diffŽrence de couleur du sang des artres
et des veines par le degrŽ de filtration et non par une transformation chimique comme pour
Descartes ou la prŽsence de pneuma vital. Il faut noter que la notion du cÏur comme
gŽnŽrateur de la chaleur est ensuite mise en question par Harvey lui-mme : Ç Le cÏur,
comme quelques-uns le croient, nÕest pas la source de la chaleur et du sang. È4 Il sÕagirait
dÕun mouvement perpŽtuel, o le cÏur serait chauffŽ par le sang ˆ travers les artres
coronaires et ensuite ce serait le cÏur qui donnerait la chaleur au sang.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
W. Harvey, La circulation du sang, trad. Charles Richet, Genve, Alliance Culturelle du Live, 1962, p. 131.
A. Pichot, Histoire de la notion de vie, op. cit., p. 300.
3
W. Harvey, La circulation du sang, op. cit., p. 99.
4
A. Pichot. Histoire de la notion de vie. op. cit., p. 302.
2
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Il sÕensuit que la fonction de circulation et la fonction digestive sÕentrecroisent. Le
mouvement de circulation du sang permet aux aliments non seulement de se transformer en
sang, mais aussi dÕatteindre les organes solides pour y tre assimilŽs. Cette conception
dÕun organisme considŽrŽ comme une sorte de Ç machine hydraulique È1, faite de parties
solides contenants et de fluides circulants, a influencŽ la physiologie des principaux
courants thŽoriques de deux sicles postŽrieurs. Dans ce contexte, il sÕagit de sÕinterroger
sur lՎvolution de la fonction de la nutrition.
1.2.6 La synthse des thses mŽcaniques et chimiques
A la fin du XVIIme sicle, le cŽlbre professeur hollandais Hermann Boerhaave est le
principal reprŽsentant de la mŽdecine et de la physiologie de lՎpoque2. Il est considŽrŽ
comme un Žclectique, qui a synthŽtisŽ et systŽmatisŽ les idŽes de ses contemporains,
notamment Descartes et les chimistes franais3. Il Žtablit une physiologie ˆ partir de la
chimie et de la mŽcanique. Cependant, il considre que la chimie explicite mieux que la
mŽcanique les caractŽristiques individuelles du corps : la mŽcanique est plus concernŽe par
la thŽorie gŽnŽrale du fonctionnement du corps4. Sa description de Ç la physiologie È dans
son Ïuvre, les Institutions de MŽdecine, est affinŽe par une excellente connaissance de
lÕanatomie et des diverses fonctions des organes. Deux prŽalables ˆ la comprŽhension de sa
physiologie sont nŽcessaires. DÕabord, il dŽfinit lÕhomme ˆ partir de deux substances, ˆ
savoir lՉme et le corps, sur le modle de Descartes. Il reconna”t une relation entre ces deux
notions quÕil est cependant incapable dÕexpliquer5. Ensuite, il entend lÕhomme comme une
machine hydraulique faite des fluides contenus dans des parties solides. La premire partie
de lÕouvrage Institutions de MŽdecine sÕappelle Ç physiologie È ou Ç Economie de
lÕhomme, traitŽ de lÕusage des parties È. LÕauteur prŽtend dans ce chapitre expliquer la vie
et il dŽfinit la fonction :
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid., p. 302.
Ibid., p.446.
3
R. Knoeff, Herman Boerhaave, Calvinist cheminst and physician. Amsterdam, Edita Knaw, 2002.
4
Ibid., p.183.
5
A. Pichot, Histoire de la notion de vie. op. cit., p. 445.
2
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Ç la facultŽ dÕexŽcuter ces mouvements par le moyens de ces instruments (les organes) sÕappelle
fonction ; ce nÕest que par des lois mŽcaniques que ces fonctions se font, et ce nÕest que par ces lois
quÕon peut les expliquer 1.È
Dans ces conditions, il sÕagit dՎtudier les choses naturelles ou conformes aux lois de la
nature, dans lesquelles les solides sont considŽrŽs comme Ç des vaisseaux qui contiennent
les humeurs È ou des Ç instruments È liŽs entre eux.
Concernant la fonction digestive, Boerhaave utilise les principes de la chimie pour
expliquer les transformations des aliments. Il utilise une chimie Ç active È fondŽe sur les
principes du mouvement, empruntŽe ˆ Newton, qui dŽtermine la nature dÕune substance
particulire2. Ainsi, les deux actions chimiques sont la fermentation et la corruption (ou
dissolution) causŽes par un mouvement particulier. Si le mouvement est orientŽ de faon ˆ
unir les particules, cÕest la fermentation. Au contraire, si le mouvement dŽtruit les
particules, il sÕagit de la corruption. La fonction digestive, considŽrŽe comme la
transformation de lÕaliment conue sous les lois mŽcaniques et les principes chimiques,
dŽbute par la mastication et se termine dans la fluidification du sang. Les aliments ainsi ne
subissent quÕune transformation chimique gr‰ce ˆ la fonction digestive3. Ils sont ensuite
transformŽs au cours de diffŽrentes actions comme la chylification (formation du chyle).
En effet, la thŽorie de la nutrition de Boerhaave est caractŽrisŽe par une nouveautŽ : le
corps est considŽrŽ comme une Ç machine chylopoietique È qui produit un Ç jus
intermŽdiaire : le chyle È qui rŽsulte de la transformation de la substance alimentaire pour
rŽparer la chair du corps4. Il sÕagit encore dÕun processus dont la matire est transformŽe
gr‰ce aux lois de lÕhydraulique. JusquÕau XVIIme sicle, le sang Žtait considŽrŽ comme le
principal nutriment du corps. Le sang Žtait le Ç paulus È ou le combustible pour le corps et
lՉme. Cependant, avec Boerhaave, ˆ la fin du XVIIme sicle, la thŽorie des humeurs
commence ˆ tre sŽrieusement questionnŽe et le sang ˆ perdre son r™le prŽpondŽrant.
Ainsi, en plus du sang, le chyle est aussi considŽrŽ comme un nutriment pour le corps. En
consŽquence, Boerhaave conoit le corps comme une Ç machine chylopoietique È o la
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
H. Boerhaave, Institutions de MŽdecine, volume I, Trad. M de la Mettrie. Paris, Huart, Briasson, et Duart
eds., 1668-1738.
2
R. Knoeff, Herman Boerhaave, Calvinist cheminst and physician. op. cit., p. 15.
3
Les travaux expŽrimentaux chez lÕanimal, fin XVIIme sicle, de RŽaumur et de Spallanzani vont
confirmer le caractre chimique de la digestion : Les aliments seraient rendus liquides par des substances
chimiques secrŽtŽes par les organes.
4
B. Orland, Ç The Fluid mechanics of nutrition: Herman BoerhaaveÕs synthesis of seventeenth Ðcentury
circulation physiologyÈ, dans Studies in History and Philosophy of Biological and Biomedical Science,
Elsevier, 2012, vol. 43, p. 357-369.
!
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force conjointe des organes produit ce jus nutritif. Ce jus subirait un mouvement constant,
un renouvellement ˆ travers le corps. Ici le processus de chylification dŽpasse le simple
processus de digestion stomacale.
Au sein de cette thŽorie physiologique de la nutrition, nous constatons deux autres
caractŽristiques1. Premirement, la circulation a une double fonction. DÕune part, ces
fluides arrachent par friction des particules aux parties solides, et dÕautre part, elle apporte
des nouvelles particules dÕorigine alimentaire qui remplacent les pertes occasionnŽes par la
friction. La consistance des tissus sÕendurcit avec lՉge et rend plus difficile le passage des
fluides en se remplissant de solides2. Deuximement, le cÏur est un muscle auquel il
attribue une fonction pulsatile et qui nÕa pas de chaleur propre. Il est chauffŽ par le sang
qui est chauffŽ dans le poumon. Boerhaave considre que la nutrition est lÕune des Ç plus
parfaites actions de la nature È car Ç pour quÕil la fasse bien, il faut que toutes les actions
prŽcŽdentes se fassent bien È3. La nutrition est une action, que rŽalise la fonction de nourrir
entendue comme la capacitŽ de Ç rŽparer les pertes que les parties solides et leurs fluides
font sans cesse par leurs mouvements, et cela en mme quantitŽ et en mme qualitŽ È.
Ainsi, de la mme manire que ses contemporains inspirŽs de la mŽdecine galŽnique,
Boerhaave analyse les diffŽrentes Žtapes de la transformation des aliments dans le corps, et
en reconnaissant la capacitŽ du corps ˆ rŽparer ses pertes constantes par lÕaliment, il
montre que la fonction de nutrition est une condition de la vie.
Prenant en compte ces ŽlŽments, trois considŽrations sÕimposent ˆ la fin du XVIIme
sicle. Tout dÕabord, nous constatons que les nouvelles analyses ˆ propos des fonctions de
la nutrition, fondŽes sur les principes de la physique et la chimie, ne remplacent pas la
thŽorie des humeurs, mais lÕintgrent. Mme si elles commencent ˆ tre mises en question,
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Nous pouvons rŽsumer la physiologie digestive de la faon suivante : la transformation des aliments dŽbute
par la mastication, suivie par une digestion stomacale o participent dÕautres humeurs, comme la bile et les
fluides nerveux, lesquels dissolvent les aliments. Ensuite, dans lÕintestin, gr‰ce ˆ la fonction de chylification,
se forme le chyle et se sŽparent les Žcrtements. Le chyle entre dans les veines lactŽes gr‰ce aux contractions
musculaires. Aprs, le chyle passe par la veine mŽsentŽrique, et la veine porte et est absorbŽe par les
vaisseaux lactŽs, puis gr‰ce ˆ la contraction des fibres intestinaux et la pression aortique, le chyle voyage
alors au duct thoracique et ˆ la veine subclavienne. Le chyle est mŽlangŽ avec dÕautres fluides. Ensuite, la
sanguification est rŽalisŽe dans le cÏur et le thorax, o le chyle est transformŽ ou Ç dissous È et Ç digŽrŽ È par
lÕauricule et le ventricule du cÏur puis envoyŽ dans lÕartre pulmonaire. Ainsi, le chyle acquiert une
configuration souhaitable pour composer les solides et les fluides du corps. En plus de la circulation, la
respiration est aussi une fonction au service de la nutrition. DÕune part, lÕexpansion et la compression des
poumons aident dans le polissage du matŽrielle nutritif, dÕautre part, la respiration permet aux fluides nutritifs
de devenir plus subtils.
2
A. Pichot, Histoire de la notion de vie, op. cit., p. 447.
3
H. Boerhaave, Institutions de MŽdecine, op. cit., p. 309
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elles persistent dans la pensŽe mŽdicale jusquÕau XIXme sicle. Enfin, dans les
conceptions mŽcaniques et chimiques de la vie, les ‰mes vŽgŽtative et sensitive dÕAristote
disparaissent pour donner place ˆ une ‰me qui nÕest que pensante. Du mme coup, les
fonctions nutritives sont dŽpendantes des lois issues de la mŽcanique. Cela suscite des
critiques et des rŽactions qui conduisent au vitalisme.
1.2.7 Le vitalisme
Le vitalisme commence ˆ la fin du XVIIme sicle et sÕachve dans la seconde moitiŽ
du XIXme. Quoique le vitalisme ne soit pas une thŽorie unitaire, il peut tre caractŽrisŽ
comme une Ç doctrine d'aprs laquelle il existe en chaque tre vivant un "principe vital",
distinct ˆ la fois de l'‰me pensante et des propriŽtŽs physico-chimiques du corps,
gouvernant les phŽnomnes de la vie È1. Ce principe vital est donc irrŽductible aux
principes physiques. Il sÕagit mme dÕaffirmer Ç quÕil leur est mme opposŽ, et quÕil doit
combattre lÕeffet destructeur quÕils sont supposŽs avoir sur lՐtre vivant È2. Cette thŽorie a
ŽtŽ largement critiquŽe ˆ lՎpoque, car elle prŽtendait sÕopposer aux doctrines Žtablies, ˆ
savoir ˆ la chimie et au mŽcanisme cartŽsiens, mme si en partie elle les intŽgrait.
Canguilhem considre cette thŽorie comme la plus fŽconde de cette pŽriode. Il souligne
que Ç rendre justice au vitalisme, ce nÕest finalement que lui rendre la vie È3. Reste donc ˆ
dŽterminer ce que lÕexistence de ce principe vital apporte rŽellement aux fonctions de la
nutrition.
Le vitalisme sous la forme dÕanimisme est considŽrŽ comme la thŽorie la Ç plus
originale È du XVIIIme sicle. L'animisme soutient qu'une seule et mme ‰me est en
mme temps principe de la pensŽe et de la vie organique. Le principe vital est assimilŽ ˆ
lՉme au sens psychologique moderne et au sens chrŽtien du mot Ç ‰me È. Son
reprŽsentant, le mŽdecin et chimiste allemand Georg Ernst Stahl (1660-1734), trs critique
envers les Modernes, dŽfend les thŽories anciennes, notamment Hippocrate4. Dans sa Vraie
thŽorie mŽdicale de 1708, il Žlabore un systme physiologique et mŽdical consistant ˆ faire
de l'‰me le principe des phŽnomnes biologiques normaux ou pathologiques. Il dŽfinit la
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 2010.
M.F.X. Bichat, Recherches physiologiques sur la vie et la mort, Introduction par A. Pichot, Paris,
Flammarion, 1994, p. 10.
3
G. Canguilhem, Ç Aspects du vitalisme È, dans La connaissance de la vie, Paris, Vrin, 2009, p. 127.
4
Stahl utilise la notion de natura medicatrix, Ç laisser faire la nature È. Le malade guŽrit gr‰ce ˆ un principe
de conservation : lՉme.
2
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vie par la rŽsistance ˆ la corruption du corps. Les principes gŽnŽraux de lÕorganisation du
corps sont les mmes que ceux que nous avons ŽtudiŽs chez les contemporains, ˆ savoir un
corps fait des parties solides contenantes et des parties fluides circulantes. Dans ce cadre
prŽcis, trois ŽlŽments caractŽrisent la nutrition. Premirement, lՉme contr™le les fonctions
sensori-motrices et vŽgŽtatives, essentiellement la nutrition et lÕexcrŽtion1. Deuximement,
lÕexistence dÕun mouvement dÕexcrŽtion, par laquelle la matire du corps corruptible
permet dՎliminer les parties corrompues, et un mouvement de nutrition, qui permet de
remplacer ces parties par une nouvelle matire. Troisimement, la circulation de fluides
assure le transport des matires ˆ Žliminer et celui des matires alimentaires. Stahl affirme
ainsi que la vie sÕaccomplit par un acte mŽcanique, la filtration et le mouvement. Ce
mouvement est immatŽriel et placŽ sous le contr™le de lՉme. Le mŽcanisme est
Ç subordonnŽ ˆ une finalitŽ qui en fait un organe, instrument avec lequel lՉme agit È2. Par
consŽquent, Ç lÕacte nutritif est le soutien de lÕacte vital È,3 car la nutrition permet non
seulement de remplacer la matire du corps corrompu, mais aussi dÕapporter une matire
fraiche propre ˆ la croissance et au dŽveloppement. Il est important ici de noter que la
notion de turnover ou renouvellement incessant de la matire persiste sous cette doctrine. Il
faudra attendre le sicle suivant, avec notamment les apports de Lavoisier, pour
commencer ˆ Žlucider le vŽritable mŽtabolisme ŽnergŽtique.
Contrairement aux animistes, les thŽories vitalistes ne considrent pas que dans le
principe vital il y ait une ‰me de nature spirituelle. Il sÕagit dÕun principe purement vital.
Le principal reprŽsentant de ce courant est Bichat. La cŽlbre dŽfinition de vie est formulŽe
dans lÕÏuvre Recherches physiologiques sur la vie et la mort : Ç la vie est lÕensemble des
fonctions qui rŽsistent ˆ la mort È4. La vie est opposŽe ˆ des forces de mort, qui peuvent
tre des agents externes ou des forces physiques internes qui tendent ˆ le dŽcomposer. Au
contraire de Stahl, Bichat estime que le principe vital nÕest pas une entitŽ dŽfinie et il ne
prŽcise pas sa nature. Il ne le localise ni dans le cÏur ni dans un organe prŽcis, mais dans
tout le corps, se limitant par lˆ ˆ observer ses manifestations. Nous aborderons la
physiologie et la mŽdecine de Bichat dans le chapitre 2 de notre premire partie, parce que
ce sont ces thŽories de la fin du XVIIIme sicle qui ont renouvelŽ le regard portŽ par la
mŽdecine et qui aurait donc permis la naissance de la mŽdecine clinique.
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1
A. Pichot, La notion de vie, op.cit., p. 480.
A. Pichot, La notion de vie, op. cit., p. 485.
3
Stahl, Distinction du mixte et du vivant, Îuvres, II, p. 383-384.
4
M.F.X. Bichat, Recherches physiologiques sur la vie et la mort, op. cit., p. 57.
2
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1.2.8 Lavoisier et le mŽtabolisme
Les travaux de Lavoisier sur la chimie et la physiologie sont dŽterminants pour
lՎvolution de la nutrition. En effet, la biochimie et la conception moderne du
mŽtabolisme1, Žtroitement liŽes ˆ la nutrition, ont comme point de dŽpart ses travaux et les
lois de la transformation de la matire quÕils Žnonaient. La matire vivante est composŽe
de carbone, dÕhydrogne et dÕazote. Son r™le a ŽtŽ dŽterminant pour dŽpasser lÕobstacle
ŽpistŽmologique de la chaleur dans lÕexplication des phŽnomnes vitaux. En effet, la
chaleur est le pivot de la biologie antique et moderne. La chaleur a servi dÕexplication des
phŽnomnes du corps vivant et elle a ŽtŽ Žtroitement liŽe ˆ la nutrition et ˆ ses fonctions. Il
sÕagit dÕune chaleur dont la nature pouvait varier selon les doctrines et thŽories. Elle peut
tre considŽrŽe comme une qualitŽ interne, un Ç principe naturel È ou une Ç force vitale È,
pensŽe comme un fluide ou comme une agitation de particules. La chaleur peut tre innŽe
ou secondaire par rapport ˆ la fermentation et accomplir diverses fonctions, dont la
sanguinification et la coction des aliments. Elle est ainsi une caractŽristique propre aux
organismes et elle est indispensable pour expliquer les fonctions de nutrition et par
consŽquent la vie. Pour Lavoisier, la chaleur est une Ç sensation È qui a pour origine
lÕaccumulation dÕune substance Žlastique et fluide : le Ç calorique È. Cependant, cette
substance peut ne pas tre une matire rŽelle, mais Ç une cause rŽpulsive quelconque qui
Žcarte les molŽcules de la matire, et on peut ainsi en envisager les effets dÕune manire
abstraite et mathŽmatique È2. Lavoisier conoit avec Laplace une nouvelle mŽthode pour
mesurer la chaleur, le calorimtre, qui aujourdÕhui encore a une place trs importante dans
les mŽthodes de la nutrition sous une forme de calorimtre indirecte. Le calorimtre de
Lavoisier a pour fondement la propriŽtŽ physique de la chaleur qui fait varier de volume
les corps. Ainsi, lÕair pur ou air Ç dŽphlogistiquŽ È est la source principale de la chaleur
qui se dŽveloppe dans la combustion et la respiration. Sa conception est encore loin de la
conception actuelle de lÕoxydation. Toutefois, cette thŽorie de la chaleur animale est la
premire fonction physiologique ˆ avoir une explication purement chimique dans un cadre
humeuristique de lÕexplication de la santŽ et de la maladie.
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1
Il sÕagit dÕun champ prŽcis de la connaissance entre la biochimie et la physiologie qui Žtudie lÕensemble des
processus de transformation biochimiques qui se produisent dans les tissus des organismes vivants.
2
A.L. Lavoisier, TraitŽ ŽlŽmentaire de Chimie, Îuvres, I, Paris, Imprimerie ImpŽriale, 1864, p. 19.
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DŽsormais, la chaleur et la transformation des aliments ont une explication physicochimique :
Ç Dans la respiration, comme dans la combustion, souligne Lavoisier, cÕest lÕair de lÕatmosphre qui
fournit lÕoxygne et le calorique ; mais comme dans la respiration cÕest la substance mme de
lÕanimal, cÕest le sang qui fournit le combustible, si les animaux ne rŽparaient pas habituellement par
les aliments ce quÕils perdent par la respiration, lÕhuile manquerait bient™t ˆ la lampe, et lÕanimal
pŽrirait, comme une lampe sՎteint lorsquÕelle manque de nourriture. Les preuves de cette identitŽ
dÕeffets entre la respiration et la combustion se dŽduisent immŽdiatement de lÕexpŽrience1. È
Nous constatons que la fonction de respiration est donc intŽgrŽe aux fonctions de la
nutrition, et cela avec une explication fondŽe sur une nouvelle chimie.
A ce point de notre rŽflexion, ˆ la fin du XVIIIme sicle, nous pouvons souligner trois
ŽlŽments dŽcisifs pour la construction de la nutrition comme science. DÕabord, lՎtude de
la fonction de la nutrition, en particulier de la fonction de digestion, est au centre des
recherches mŽdicales. En effet, Bachelard reconna”t la prŽsence dÕun Ç mythe de la
digestion È dans cette pensŽe prŽscientifique: Ç La digestion est une fonction privilŽgiŽe.
Elle devient donc pour lÕinconscient un thme explicatif dont la valorisation est immŽdiate
et solide È2. Il prŽcise mme que la digestion est Ç la fonction pivot autour de laquelle va
tourner sans fin lÕesprit prŽscientifique È. Ensuite, ˆ partir du XVIme sicle, les thses
chimiques et mŽcaniques sur la fonction digestive deviennent une alternative qui sÕoppose
aux thses galŽniques jusquÕici prŽdominantes. Aprs la deuxime moitiŽ du XVIIme
sicle, les limites de ces deux thŽories sont brouillŽes et la plupart des mŽdecins et
scientifiques considrent la digestion comme un processus qui inclut ˆ la fois des principes
chimiques et mŽcaniques. Le cadre vitaliste replace la nutrition dans les fonctions propres ˆ
la vie organique et cela dans le cadre dŽjˆ existant dÕun mouvement constant de
transformation. Enfin, les dŽcouvertes dans les connaissances sur la fonction respiratoire et
circulatoire ont permis de donner une explication en termes scientifiques de la chaleur, qui
devient ainsi une Ç simple propriŽtŽ physique È3.
Par consŽquent, les thŽories chimique et mŽcanique ainsi que le vitalisme, la nouvelle
conception de lÕhomme fait de parties contenants et des fluides circulant et la notion dÕun
turnover permanent de la matire permettent de fonder une nouvelle mŽdecine. Il est alors
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
A.L. Lavoisier, MŽmoires sur la respiration et la transpiration des animaux, III, Paris, Gauthiers-Villars et
cie., 1920, p. 35.
2
G Bachelard, La formation de lÕesprit scientifique, op. cit., p. 206.
3
A. Pichot, Histoire de la notion de vie, op. cit., p. 533.
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dŽcisif de comprendre et de cerner la fonction de la nutrition dans ce nouvel horizon
ŽpistŽmologique.
1.3 Le rŽgime entre option thŽrapeutique et prŽcepte moral
Les diverses doctrines de lՎpoque, lÕiatrochimique et la mŽcanique, ainsi que les
avancŽes en anatomie contribuent ˆ un ancrage thŽorique des pratiques mŽdicales. Le
mŽdecin hollandais Herman Boerhaave le reconna”t dans son Ïuvre principale Institutions
de MŽdecine (1708) ˆ propos de la thŽrapeutique :
Ç DÕo lÕon voit que lÕon connait la nature des venins par leur histoire Physique et MŽdicale, par les
MŽcaniques, par la Chimie, et enfin par lÕAnatomie, qui nous reprŽsentent leurs effets ; et cÕest la
connaissance qui rŽsulte de tout cela, de laquelle on doit tirer lÕindication1. È
Cependant, ce discours mŽdical donne un r™le prŽpondŽrant ˆ la mŽdecine antique et ˆ
la persistance du modle des humeurs2. Voici ce que le mme auteur affirme concernant
les indications curatives des parties solides:
Ç ceux qui auront bien compris les fondements que nous avons posŽs jusquÕici, dans cette mŽthode de
guŽrison, et qui auront en mme temps examinŽ avec attention les ouvrages dÕHippocrate et les
savants Commentaires que Galien y a fait ; ceux-lˆ, dis-je, conna”tront certainement les remdes qui
sont requis pour exciter, avancer, gouverner, achever la coction et la crise, dans les maladies aigu‘s et
chroniques3.È
La mŽdecine ou Ç lÕart de guŽrir È a pour objet la guŽrison des malades, comme le
montre Descartes dans la Dioptrique ˆ propos de maladies de lÕÏil : Ç ces choses
appartiennent ˆ la MŽdecine, dont la fin est de remŽdier aux dŽfauts de la vue par la
correction des organes naturels È4. Le vŽritable objet des connaissances de la mŽdecine est
la cause et le remde des maladies. Dans ces conditions, le sujet dont sÕoccupe la mŽdecine
devient lÕhomme en tant que corps et esprit5. Cette vision holistique de la mŽdecine est
confirmŽe par un mŽdecin contemporain Jean Fernel 6 pour qui le mŽdecin avait pour t‰che
Ç de remŽdier ˆ la douleur, dÕempcher la dŽbilitŽ, et dՎviter la mort È7. Cependant, afin
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
H. Boerhaave, Les Institutions de MŽdecine, tomme 2, op.cit., p. 175.
H. Boerhaave, Les Institutions de MŽdecine, tomme 1, op.cit., p. 5.
3
H. Boerhaave, Les Institutions de MŽdecine, tomme 2, op.cit., p. 202.
4
V. Aucante, La philosophie mŽdicale de Descartes, op.cit., p. 3.
5
Ibid., p. 31.
6
GR. Welch, Ç In restrospect: FernelÕs Physiologia È, Nature, 2008, vol. 456, p. 446-447.
7
H. Boerhaave, Les Intitutions de Medecine, I, op. cit., p. 20.
2
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de pouvoir expliquer parfois les choses inexplicables, le mŽdecin doit admettre comme
vraie la nature de lÕhomme : celui-ci est composŽ dՉme et de corps de nature diffŽrente, et
du fait de leur forte union, ils interagissent, donnant lieu ˆ des affections diffŽrentes.
Afin de comprendre comment la nutrition se situe au sein de cette mŽdecine, il est
fondamental de sÕinterroger sur les notions de santŽ et de maladie. En effet, jusquՈ la fin
du XVIIIme sicle, la mŽdecine sÕest rŽfŽrŽe ˆ la santŽ et aux valeurs et qualitŽs quÕelle
reprŽsentait. Nous prŽsentons ici une dŽfinition classique de lՎpoque, fondŽe sur les
principes thŽoriques physiologiques. Selon H. Boerhaave lÕhomme sain est Ç celui qui peut
faire les fonctions propres ˆ lÕhomme, constamment, avec facilitŽ et plaisir : lՎtat o il se
trouve alors sÕappelle santŽ È1. Autrement dit, Ç la mŽdecine se rŽfŽrant plut™t ˆ des
qualitŽs de vigueur, de souplesse, de fluiditŽ que la maladie ferait perdre et quÕil sÕagirait
de restaurer È2. La santŽ est une condition propre ˆ toutes les parties du corps Ç chaque
homme a donc sa santŽ particulire È, car chaque individu a un tempŽrament propre. Les
tempŽraments sont hŽritŽs des Anciens : chaud, froid, humide, sec, bilieux, sanguin,
flegmatique, arbitraire3. LÕart de conserver la santŽ ou Ç hygine È a pour but de maintenir
lՎtat sain et de prŽvenir les maladies afin de disposer le corps de lÕhomme ˆ une longue
vie. La santŽ comme facultŽ dÕexercer les fonctions du corps qui sont conues comme en
constant mouvement ou turnover sÕacquiert en rŽparant les pertes des parties du corps dans
la mme quantitŽ et qualitŽ4. Les aliments fournissent le nŽcessaire pour cette rŽparation.
Au contraire, la maladie est dŽfinie comme un Žtat o la personne ne peut rŽaliser les
fonctions ou ne les rŽalise quÕavec Ç peine, douleur ou lassitude È. La maladie est Ç un
effort de la nature qui a pour but de conserver le malade, travaille de toutes ses forces ˆ
Žvacuer la matire morbifique È5. Notion ancrŽe dans lÕAntiquitŽ, les maladies sont
engendrŽes dans les tempŽraments. La mŽdecine doit donc chercher ˆ maintenir les
fonctions et ˆ agir sur des maladies qui les affectent. Du coup la mŽdecine donne une place
importante ˆ la diŽtŽtique ou rŽgime de vie.
La diŽtŽtique sÕappliquait aux diffŽrentes maladies lesquelles sont classŽes par genres
et espces selon ses ressemblances et ses rŽpartitions de surface. A titre dÕexemple de cette
Ç mŽdecine classificatrice È, Boerhaave propose une classification assez complte des
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid., p.1.
M. Foucault, Naissance de la Clinique, Paris, PUF, 1963, p. 61.
3
H. Boerhaave, Les Institutions de MŽdecine II, op. cit., p. 91.
4
La MŽdecine se divisŽ en 5 parties : La Physiologie, la Pathologie, la SŽmiotique, lÕHygine et la
ThŽrapeutique. H. Boerhaave, Les Institutions de MŽdecine, Tomme II, op. cit.
5
Th. Sydenham, La mŽdecine pratique, trad. A.F. Jault, Paris, M. Gautret, 1838 p. 20.
2
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maladies : selon leur localisation ou la partie affectŽe, lՉge et le genre du sujet, selon leur
temps dՎvolution (maladies aigu‘s ou chroniques), et selon leurs effets, (salutaires,
bŽnignes, malignes, curables, incurables, mortelles, contagieuses). Elles sont aussi
classifiŽes selon les causes ou Žthologie, cÕest-ˆ-dire en fonction de Ç ce qui dŽtruit ce qui
est tout ˆ fait requis pour exercer la fonction È : idiopathiques, sympathiques, hŽrŽditaires,
de naissance et acquises, internes ou externes Žgalement appelŽes Ç non naturelles È1. Ces
dernires peuvent causer la maladie ou tre bŽnŽfiques pour la santŽ selon lÕusage qui en
est fait2. Parmi les choses Ç non naturelles È 3, il faut citer les aliments4. Ceux-ci peuvent
ainsi causer la maladie par dŽfaut de quantitŽ et de qualitŽ car les aliments nourrissent le
corps, font vivre lÕhomme, le font cro”tre, lui donne des forces et rŽparent ce quÕil perd. Le
TraitŽ des Aliments du mŽdecin Louis de LŽmery publiŽ en 1702, reconna”t que les
aliments sont nŽcessaires pour la conservation de la santŽ et de la vie, mais Žgalement
quÕils sont ˆ lÕorigine de la plupart des maladies :
Ç le fondement dÕune bonne santŽ et dÕune longue vie consiste principalement ˆ savoir approprier ˆ
chaque tempŽrament les aliments qui lui conviennent davantage ; et quÕainsi une des connaissances
qui nous doit toucher le plus vivement, est celle des qualitŽs des aliments5.È
Pour soigner les maladies, le mŽdecin dispose de lÕhygine et de la thŽrapeutique qui
correspondent ˆ des divisions de la mŽdecine reprises par de nombreux mŽdecins
modernes6. La thŽrapeutique est fondŽe sur les principes anciens : dÕabord, il sÕagit dÕune
mŽdecine individuelle, indiquant une mŽthode et des remdes particuliers ˆ chaque malade.
Ensuite, cÕest avant tout la nature qui guŽrit, les remdes ne sont quÕune aide : Ç La cause
qui guŽrit les maladies, aidŽe de la vertu des remdes, est la vie qui reste et le tempŽrament
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ç Non naturelles È ou extŽrieures au corps, en opposition ˆ Ç naturelles È concept hippocratique, qui se
rŽfre a ce qui est inhŽrent au corps. LÕhygine traite des choses Ç non naturelles È.
2
H. Boerhaave, Les Institutions de MŽdecine, Tomme II, op. cit., p. 24.
3
LÕhygine sÕoccupe de donner les rgles concernant les rŽgimes alimentaires et a pour but de conserver la
santŽ. La thŽrapeutique enseigne leur conduite et lÕusage ainsi que des remdes et la chirurgie afin de guŽrir.
4
LÕhumiditŽ de lÕair, les mauvaises conditions du voyage en mer sont aussi une cause non naturelle de
maladie. Au XVIIIme sicle, J Lindt dans son TraitŽ sur le scorbut, considre que lÕhumiditŽ est capable de
bloquer la perspiration, qui a comme fonction dՎvacuer les mauvais fluides. Alors, les fluides corrompus
agissent comme un poison et causent la maladie connue comme scorbut, mais aussi le cholŽra et les fivres.
Thomas Sydenham, dans La MŽdecine Pratique, considŽrait quÕun rŽgime et une dite vŽgŽtale et des
oranges, des citrons et pommes pouvaient guŽrir le scorbut des longs voyages.
5
L. LŽmery, Traite des aliments, Paris, Pierre Witte, 1702, prŽface.
6
Les 5 parties de mŽdecine selon le dictionnaire de Diderot: 1) La Physiologie, qui traite de la constitution du
corps humain, regardŽ comme sain. 2) La Pathologie, qui traite de la constitution du corps dans son Žtat
malade. 3) La SŽmiotique, qui rassemble les signes de la santŽ ou de la maladie. 4) LÕHygine, qui donne des
rgles du rŽgime quÕon doit garder pour conserver la santŽ. 5) La ThŽrapeutique, qui enseigne la conduite et
lÕusage de la dite ainsi que des remdes, et qui comprend la Chirurgie.
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dÕun chacun. La nature manque ? La MŽdecine est tout ˆ fait inutile È1. Il sÕagit du concept
de natura medicatrix sous-jacent ˆ la thŽrapeutique hippocratique. La thŽrapeutique a pour
but de conserver la vie, dՙter les causes de la maladie, de faire dispara”tre la maladie ellemme et de chasser les effets prŽsents de la maladie. Pour cela, lÕart doit changer le corps
du malade: il faut donc avoir recours ˆ des Ç instruments È dont lÕapplication ait assez de
vertu pour produire les changements nŽcessaires ˆ ce but. Ces instruments sont dŽfinis
comme remdes et mŽdicaments. Un aliment est ainsi un type de remde, capable de
rŽparer la perte des parties solides ou fluides du corps2. Les mŽdicaments sont dÕune autre
sorte, comme les purgatifs, et ils sont capables de modifier les humeurs, mais ne se
transforment pas en matire du corps humain. Les mŽdicaments pour lutter contre les
venins doivent tre capables de Ç dŽtruire les qualitŽs par lesquelles il nuit au corps È3
comme Ç les antidotes, la thŽriaques et lÕalexipharmaques È et cÕest lÕexpŽrience qui
autorise leur application. CÕest le cas avec lÕeau, le feu, le vif-argent et lÕopium. Un
aliment nÕest donc pas confondu avec un mŽdicament. Le mŽdecin, avant dÕappliquer une
thŽrapeutique, devait tenir compte des Ç forces È du malade. Les restes de Ç lՎtat sain È
chez le malade et sa nature ont pour origine le mouvement qui reste aux humeurs dans les
vaisseaux4. Le mŽdecin a donc pour but de conserver et de rŽtablir ces forces, cÕest ce que
les mŽdecins appellent Ç indication vitale ou conservatoire È et ces sont les premires
indications dont il faut tenir compte pour dŽterminer le traitement. Les remdes pour les
Ç indications vitales È sont aussi appelŽs Ç cardiaquesÈ, car cÕest le cÏur qui est la
principale source des tous les mouvements et des Çforces vitales È. Ces remdes nÕagissent
pas uniquement sur le cÏur mais atteignent tout le corps. Parmi ces remdes on trouve les
aliments de la dite. Celle-ci dŽpend de lՉge, du sexe, du type de la maladie, de
lՎvolution, du tempŽrament, de la saison. La dite pour les malades se caractŽrise tout
dÕabord par le fait quÕelle doit corriger l'humeur dominante, selon le principe de
rŽŽquilibrage par les contraires. Ainsi, les nourritures froides et humides sont pour les
cholŽriques, les chaudes et sches pour les flegmatiques, etc. Ensuite, elle doit aussi
sÕadapter ˆ lÕaltŽration chimique des humeurs : Ç mais si on trouve que lÕacide domine, ces
cardiaques (remdes) doivent tre tirŽs du rgne animaux sains, quels quÕils soient È5.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
LŽmery L. Traite des aliments, op. cit., p. 58.
LŽmery L. Traite des aliments, op. cit. p. 58.
3
Ibid., p. 174.
4
Ibid., p. 154.
5
H. Boerhaave, Les Institutions de MŽdecine, Tomme II, op. cit., p. 163.
2
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Enfin, la dite du malade doit tre adaptŽe et les aliments bien cuits pour faciliter la
digestion. Voici deux exemples de traitement dÕune maladie :
Ç lÕacrimonie huileuse, aromatique, bilieuse, bržlŽe, putride, rance, demande : 1. Un rŽgime de vie
avec des aliments insipides, farineux, des lŽgumes (É) 2. Une boisson dÕeau et dÕoxymel trs dŽlayŽe,
ou dÕune dŽcoction de fruit, le repos et un froid modŽrŽ, 4. Des mŽdicaments savonneux, mais tirants
(É) 5. Tous les remdes gŽnŽraux contre lՉcretŽ 1.È
Un autre exemple, du mŽdecin Anglais Thomas Sydenham, dans le traitement des
rhumatismes, montre la place du rŽgime parmi les autres options thŽrapeutiques :
Ç le traitement consiste dÕun cotŽ ˆ diminuer par la saignŽe le volume du sang ; et de lÕautre ˆ
tempŽrer son ardeur par des remdes rafra”chissants et incrassants, et par un rŽgime convenable 2.È
Il sÕagit dÕune dite tout ˆ fait hippocratique qui a ŽtŽ trs peu modifiŽe. Il faut noter
que le principe thŽrapeutique de rŽŽquilibrage par les contraires qui Žtait jusquÕau Moyen
Age une pratique thŽrapeutique pour soigner les malades, devient progressivement une
rgle diŽtŽtique appliquŽe ˆ tous les sujets. JusquÕau Moyen Age, cÕest le corps lui-mme,
par lÕappŽtit, qui infirme le rŽgime ˆ suivre3. En effet, cÕest le tempŽrament propre ˆ
chaque individu en bonne santŽ qui pourrait engendrer des maladies propres ˆ chaque
tempŽrament. Pour cette raison, la dite doit tre contraire ˆ son tempŽrament afin dՎviter
les maladies. Boerhaave affirme ainsi ˆ propos des personnes avec un tempŽrament chaud
que Ç tout ce qui Žchauffe leur est fort nuisible È. Sur ce point, tous ceux dont le
tempŽrament nÕest pas sanguin sont considŽrŽs comme dŽsŽquilibrŽs, et potentiellement
malades.
Dans ce contexte scientifique, ˆ la fin du XVIIIme sicle, les apports de Lavoisier
permettent dÕexpliquer le lien entre lÕaliment et la santŽ. La digestion, ajoute lÕauteur:
Ç dans diffŽrents cas, introduisant dans le sang le plus de substances que la respiration nÕen peut
consommer, il doit sՎtablir dans la masse du sang un excs de carbone ou un excs dÕhydrogne, ou
de lÕun et de lÕautre ˆ la foi. La nature lutte alors contre ces altŽrations des humeurs ; elle presse la
circulation par la fivre, elle sÕefforce de rŽparer, par une respiration accŽlŽrŽe, le dŽsordre qui trouble
sa marche ; souvent elle y parvient, sans aucun secours Žtranger, et alors lÕanimal recouvre la santŽ.
Dans le cas contraire, il succombe, ˆ moins que la nature trouve dÕautres moyens de rŽtablir
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid p. 202.
Th. Sydenham, La mŽdecine pratique, op.cit., p. 197.
3
JL. Flandrin, Ç De la diŽtŽtique ˆ la gastronomie, ou la libŽration de la gourmandise È, dans Histoire de
lÕalimentation, J.L. Flandrin, M. Montanari (dir.), Paris, Fayard, 1996, p. 692.
2
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lՎquilibre. CÕest trs probablement ce qui se passe dans les maladies putrides, les fivres malignes,
etc1.È
Alors la dite est capable de changer la qualitŽ du sang, en diminuant la quantitŽ du
carbone et de lÕhydrogne. Il y aurait alors un Žquilibre entre ce qui est apportŽ par
lÕalimentation et assimilŽ ˆ travers la fonction de la digestion et ce qui est consommŽ par la
respiration. Par consŽquent, selon Lavoisier, une dite austre pourrait changer la nature de
la maladie et les remdes purgatifs, en suspendant les fonctions de la digestion, donnant ˆ
la respiration le temps de remplir et dՎvacuer lÕexcs de carbone et dÕhydrogne
accumulŽs dans le sang.
Les pratiques alimentaires entre le XVIme et le XVIIme sicles sont fortement
influencŽes par lÕancienne diŽtŽtique2. La preuve de cela est fournie par les diffŽrents
textes de cuisine qui font rŽfŽrence ˆ la diŽtŽtique, par exemple la justification mŽdicale de
Le Cuisinier Franais en 1651 de La Varenne et le chapitre VI du livre de cuisine OpŽra
publiŽ en 1570 par Bartolomeo Scampis. Cette influence des pratiques alimentaires est
explicite dans les recettes destinŽes aux Ç convalescents È, ˆ une certaine catŽgorie de
personnes, ˆ savoir, ceux qui sont considŽrŽs comme faibles, ceux qui vieillissent, qui
rŽcuprent dÕune maladie ou qui ont un systme digestif altŽrŽ ou ab”mŽ en raison de lՉge
ou de leur constitution. Par exemple, OpŽra propose Ç acque cotte È, une recette qui peut
tre considŽrŽe davantage comme un remde, fait des potions dÕeau distillŽe prŽparŽes
avec de la cannelle, de lÕanis, des fruits secs, de la rŽglisse, du mastic ou de lÕorge3. En
opposition ˆ ce type de rŽgime on conoit une alimentation pour le sujet atteint dÕune
maladie particulire et qui aurait besoin dÕune intervention thŽrapeutique. Autrement dit, le
rŽgime pour le convalescent est un concept Ç fourre-tout È loin de la conception moderne
de rŽcupŽration ou Ç aftercare È4. Ce rŽgime se caractŽrise par une alimentation nutritive,
fortifiante, mais facile ˆ digŽrer et qui peut atteindre les parties du corps sans lÕengorger5.
Les ancrages thŽoriques de cette pratique sont donc les mmes que pour la diŽtŽtique du
malade.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Lavoisier, MŽmoire sur la respiration et la transpiration des animaux, op. cit., p. 49.
Flandrin JL. Ç De la diŽtŽtique ˆ la gastronomie, ou la libŽration de la gourmandise È, op. cit., p. 683.
3
T. Scully. The Opera of Bartolomeo Scappi (1570): L'arte et prudenza d'un maestro Cuoco, L. Ballerini, M.
Ciavolella (dir.), University of Toronto Press Incorporated 2008, chapitre VI.
4
K. Albala. Ç Food for Healing : Convalescent cookery in the early modern era È, Studies in History and
Ohilosophy of Biological and Biomedical Science, 2012, vol. 43, p. 323-328.
5
H. Boerhaave, Les Institutions de MŽdecine, Tomme II, op. cit., p. 148.
2
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Nous trouvons Žgalement des traditions franaises fortement influencŽes par lÕancienne
diŽtŽtique. La cuisson et lÕassaisonnement des aliments sont justifiŽs par des arguments
diŽtŽtiques, ˆ savoir par la nŽcessitŽ de rendre les aliments plus faciles ˆ digŽrer et pour
sÕadapter aux tempŽraments. Par exemple, la manire de disposer la table ˆ chaque service,
des variŽtŽs de mets capables de plaire ˆ tous. Cela sÕexplique par la nŽcessitŽ de ne pas
contrarier les gožts, car les gožts sont supposŽs tre des sympathies envers les aliments et
les dŽgožts des antipathies. Ceux-ci peuvent tre un effet de lÕhabitude mais surtout du
tempŽrament, qui Žtait dŽterminŽ par la prŽdominance de lÕune des quatre humeurs. Ces
dernires ne pouvant pas tre modifiŽs, les gožts ne devaient pas tre contrariŽs. DÕo la
pratique de servir des variŽtŽs de plats au gožt de tous.
A titre dÕexemple, nous citons le rŽgime du peintre vŽnitien Cornaro au XVIme sicle,
qui a suivi un rŽgime jusquՈ sa mort ˆ 99 ans. Ceci consistait en 12 onces dÕaliments et 14
onces du vin par jour. Nous constatons quÕil sÕagit dÕune pratique en dehors de toute
prescription mŽdicale, liŽe ˆ la volontŽ de prolonger sa vie, ˆ une manire de prŽvenir les
maladies et de renforcer le corps:
Ç maintenir le corps allgre et vigoureux, Žviter dՎtouffer les esprits par la quantitŽ de viandes
absorbŽe1. È
Le peintre dŽveloppe ce rŽgime dans son traitŽ De la sobriŽtŽ, conseils pour vivre
longtemps, dont lÕoriginalitŽ est la faon dŽtaillŽe dÕaborder la modŽration, la sobriŽtŽ et la
mort, caractŽristiques absentes des textes mŽdiŽvaux. Le rŽgime du Cornaro ayant une
connotation religieuse est caractŽrisŽ par la sobriŽtŽ dÕune Ç vie rŽglŽe È, ce qui permettrait
dՎloigner la maladie et dÕavoir une fin de vie sans souffrance. Ainsi, selon Vigarello la
sobriŽtŽ devient pour Cornaro Ç une voie de conjuration du malheur, une faon profane de
rŽgler une question posŽe, implicitement encore, dans les termes de la religion È : la
sobriŽtŽ par le rŽgime dŽvient un prŽcepte moral2.
A partir de la fin du XVIIme sicle, les rŽfŽrences ˆ ce type du rŽgime dans les livres
de cuisine est de plus en plus rare et de nombreuses transgressions ˆ la diŽtŽtique ancienne
commencent ˆ sÕinstaurer pour laisser la place aux seuls critres gastronomiques. Cela est
constatŽ dans les choix des aliments et dans leur prŽparation, par exemple la prŽparation du
bÏuf et son assaisonnement, qui manifeste la tendance ˆ lÕabandon des principes de
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
2
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G. Vigarello, Histoire des pratiques de santŽ, Paris, Le Seuil, 1999, p. 73
Ibid., p. 73.
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lÕancienne diŽtŽtique. LÕutilisation du sucre montre aussi que les motivations diŽtŽtiques
dans lÕalimentation ont ŽtŽ progressivement oubliŽes. En effet, le sucre a ŽtŽ un condiment
utilisŽ comme mŽdicament ou produit pharmaceutique. Il fait partie des recettes destinŽes
aux malades. A partir du XVIIme sicle, les cuisiniers et les mangeurs franais oublient
lÕutilitŽ diŽtŽtique pour laisser place aux critres gustatifs. Par consŽquent, comme affirme
Flandrin :
Ç longtemps vassalisŽe par la mŽdecine, la cuisine sÕen est donc libŽrŽe, lentement et sans bruit, au
cours des XVIIme et XVIIIme sicles (É) lÕart culinaire ne sÕest pas mis dÕabord au service de la
gourmandise - pŽchŽ capital - mais au service du bon gožt, comme tous les beaux-arts 1È.
La qualitŽ dÕun repas ne dŽpend plus des critres mŽdicaux comme le tempŽrament de
celui que mange. DŽsormais cÕest le critre objectif du bon ou mauvais qui importe. On ne
cuisine plus une viande pour Žviter la maladie ou faciliter la digestion, mais pour flatter son
bon gožt. Une question se pose ici : quel est lÕeffet de cette nouvelle pratique sur
lÕindividu ?
Deux consŽquences peuvent tre formulŽes : DÕune part, la moralisation de la diŽtŽtique
et la pratique dÕun rŽgime particulier qui offre la possibilitŽ dÕune Ç mŽdecine de soimme È2. DÕautre part, lÕintŽgration de la notion du plaisir ˆ la diŽtŽtique et donc la
naissance de la gastronomie, laquelle Brillant Savarin proposera au dŽbut du XIXme
sicle comme une nouvelle science.
1.4 La moralisation de la diŽtŽtique
La notion de lÕaliment comme objet moralisateur de la sociŽtŽ devient effective au
XVIIIme sicle dans lÕÏuvre de Jean-Jacques Rousseau. Ce philosophe confre un
pouvoir moral ˆ lÕaliment lequel est en mesure de favoriser un bien tre non seulement
physique mais moral. Rousseau sÕintŽresse ˆ la mŽdecine, malgrŽ sa critique envers ses
rŽsultats3. Cependant, il reconna”t lÕimportance du rŽgime et de lÕhygine comme
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid., p. 73.
Ibid., p. 73.
3
MalgrŽ un ancrage dans les doctrines de lՎpoque, et dÕune mŽthodologie fondŽe sur lÕexpŽrience, la
mŽdecine Žtait incapable de guŽrir correctement les malades. Pour cela, le mŽdecin est alors sujet ˆ critique et
controverse par la sociŽtŽ comme nous montre lÕimage du mŽdecin fortement critiquŽe par Molire dans son
Ïuvre. Ainsi, les mŽdecins ont comme concurrent ˆ lՎpoque le prtre, le charlatan et lÕastrologue, qui se
disait capable de pronostiquer et de traiter tous le maux.
2
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instruments politiques et moralisateurs1 : Ç la seule partie utile de la mŽdicine est
lÕhygine È. Menin, montre comment dans la pensŽe de Rousseau, lÕaliment dans le cadre
dÕune hygine de vie particulire, peut conserver le bien tre moral. Celui-ci se confond
donc avec le type de rŽgime particulier. Deux aspects permettent la moralisation de
lÕhygine. DÕune part, le philosophe reste fidle aux conceptions physiologiques de
lՎpoque. Il considre que non seulement lÕaliment modifie la structure et la fonction de
lÕorganisme2, et donc, lՎconomie animale3, mais aussi quÕil favorise le maintien, ˆ travers
la satisfaction de lÕexigence, dÕune rŽgŽnŽration continue du corps :
Ç Notre propre corps sՎpuise sans cesse, il a besoin dՐtre sans cesse renouvelŽ. Quoique nous ayons
la facultŽ dÕen changer dÕautres en notre propre substance qui peuvent lՐtre, il y en a de plus ou de
moins convenables, selon la constitution de son espace, selon le climat quÕil habite, selon son
tempŽrament particulier, et selon la manire de vivre que lui prescrit son Žtat4. È
Deuximement, lÕhomme est un Ç tre sensible È avec une double dŽclination de la
sensibilitŽ :
Ç Il y a une sensibilitŽ physique et organique, qui, purement passive, para”t nÕavoir pour fin que la
conservation de notre corps et celle de notre espce par les directions du plaisir et de la douleur. Il y a
une autre sensibilitŽ que jÕappelle active et morale qui nÕest autre chose que la facultŽ dÕattacher nos
affections des traits qui nous sont Žtrangers 5.È
Du coup, lÕidŽal mŽdical de Rousseau est :
Ç de rŽussir ˆ crŽer un milieu externe dans lequel les finalitŽs naturelles et morales pourraient trouver
un point de contact jusquՈ se mler, de mme que lÕordre sensible et lÕordre Žthique pourraient
co•ncider spontanŽment, garantissant ainsi la santŽ de lՉme et du corps6. È
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
M. Menin, Ç Jean-Jacques Rousseau vitaliste : la moralisation de lÕhygine mŽdicale entre rŽgime diŽtŽtique
et Žthique alimentaire È, Journal of the Material and Visual History of Science, 2012, vol. 27, p. 81-109.
2
CH. T. Wolfe, M. Terada, Ç The Animal Economy as Object and Program in Montpellier Vitalism È,
Science in Context, 2008, vol. 21, p. 537-579.
3
Economie animale entendue comme Ç lÕordre, le mŽcanisme, lÕensemble des fonctions et des mouvements
qui entretiennent la vie des animaux, dont lÕexercice parfait, universel, fait avec constance, alacritŽ et facilitŽ,
constitue lՎtat le plus florissant de santŽ, dont le moindre dŽrangement est par lui-mme maladie È, D.
Diderot, EncyclopŽdie ou dictionnaire raisonnŽ des sciences, des arts et des mŽtiers, Lyon, Amable Le Roy,
1780.
4
J.J. Rousseau, Ç Emile È, dans Îuvres compltes texte par B Gagnebin et M Raymond, vol. IV, Paris,
Gallimard, 1959-1995. p. 407.
5
J.J. Rousseau, Ç Dialogues È, dans Îuvres compltes texte par B. Gagnebin et M. Raymond, vol. IV, Paris,
Gallimard, 1959-1995. p. 805.
6
M. Menin, Ç Jean-Jacques Rousseau vitaliste : la moralisation de lÕhygine mŽdicale entre rŽgime diŽtŽtique
et Žthique alimentaire È, Nuncius, Journal of the Material and Visual History of Science, op. cit., p. 81-109.
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Ainsi le bien tre moral peut-il tre conservŽ en suivant un rŽgime particulier. Pour
Rousseau, lÕaliment ˆ un r™le dŽterminant parmi les ŽlŽments non naturels de lÕhygine.
LÕaliment est liŽ plus que tout autre ŽlŽment non naturel ˆ la nŽcessitŽ physiologique et ˆ la
nŽcessitŽ Ç bienveillante È qui permet ˆ lՐtre humain de reconna”tre et de sŽlectionner la
nourriture. Ainsi, Ç la suprme bontŽ, qui a fait du plaisir des tres sensibles lÕinstrument
de leur conservation, nous avertit, par ce qui plait ˆ notre palais È1. Autrement dit, Ç tout
nÕest pas aliment pour lÕhomme È et dans lՎtat de nature, il y existe un lien entre
alimentation et santŽ car :
Ç il nÕy a point naturellement pour lÕhomme de mŽdecin plus sžr que son propre appŽtit ; et ˆ le
prendre dans son Žtat primitif, ne doute point quÕalors les aliments quÕil trouvait les plus agrŽables ne
lui fussent aussi les plus sains2. È
Dans ce contexte, le rŽgime vŽgŽtarien est valorisŽ et le rŽgime carnivore est condamnŽ.
Tout dÕabord, Rousseau considre la nature primitive herbivore de lÕhomme et cela est
justifiŽ par le fait quÕil considre la nature vŽgŽtale du lait, position quÕil nÕest pas le seul ˆ
dŽfendre3. Il considre que Ç le lait bien quՎlaborŽ dans le corps animal, est une substance
vŽgŽtale ; son analyse le dŽmontre, il tourne facilement ˆ lÕacideÉ È. Le monde vŽgŽtal a
une forte valeur symbolique puisque les plantes sont Ç les tres en qui la vie ne contredira
pas lÕinnocence È. Ainsi, lÕhomme carnivore nÕest rien dÕautre que le Ç produit dÕune
dŽgŽnŽration cruelle È. Il Ç surmonta la nature pour faire cet horrible repas È. Le rŽgime
alimentaire se caractŽrise par lÕautarcie et la modŽration, principes moraux les plus
gŽnŽraux de la simplicitŽ. Les aliments doivent tre naturels et non ŽlaborŽs, des produits
locaux cultivŽs ou rŽcoltŽs ˆ la main, et non importŽs de lÕextŽrieur. Dans Emile ou de
lՎducation, Rousseau insiste sur le contraste entre un banquet dÕun riche financier et un
d”ner modeste et rustique dÕun paysan. Ils sÕopposent ainsi comme une Ç montagne
dÕargent qui couvre les trois quarts de la table È et lÕunivers authentique et simple de la
famille paysanne, fondŽ sur la valeur de lÕautonomie. En conclusion, lÕacte de manger pour
Rousseau a une connotation qui va au-delˆ des implications physiologiques, car il a un
effet social et affectif. Autrement dit, lÕaliment est liŽ ˆ la nature de lÕhomme, ˆ Ç lÕhomme
sensible È, ˆ son caractre et ˆ son rapport avec les autres. La Ç sensibilitŽ alimentaire È qui
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
J.J. Rousseau, Ç Emile È, dans Îuvres compltes, op. cit., IV p. 409.
Ibid p 407.
3
M. Menin, Ç Jean-Jacques Rousseau vitaliste : la moralisation de lÕhygine mŽdicale entre rŽgime
diŽtŽtique et Žthique alimentaire È, Nuncius, Journal of the Material and Visual History of Science, op. cit., p.
99.
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rŽunit tous les hommes et qui doit tre correctement dirigŽe, Ç peut tre considŽrŽe comme
partie intŽgrante de la morale sensitive È. Moravia
suggre donc une mutation
ŽpistŽmologique du modle anthropologique de Ç lÕhomme machine È vers celui de
Ç lÕhomme sensible È1.
En consŽquence, la pratique du rŽgime offre la possibilitŽ dÕune Ç mŽdecine de soimme È2. Cette pratique nÕest pas nouvelle, nous avons dŽjˆ mentionnŽ comment, ds
lÕantiquitŽ, cette pratique pouvait tre considŽrŽe comme un Ç art dÕexister È o chacun est
le ma”tre de son propre genre de vie. Plus quÕune originalitŽ, il faut reconna”tre un retour ˆ
lÕantiquitŽ : cÕest le sujet qui connait le mieux les informations que lui permettent de
conna”tre son corps. Autrement dit, Ç lÕhomme ne saurait tre le mŽdecin parfait que de lui
seul È3. Cela se traduit par un contr™le de soi et dÕentretien corporel qui sont conformes ˆ la
mme Žpoque aux pratiques de politesse et de biensŽance encadrŽes dans Ç lÕurbanitŽ, la
sociŽtŽ de cour, et conduisant ˆ une auto-surveillance plus marquŽe et ˆ une dŽfinition plus
prŽcise des frontires de soi È4.
Il convient ainsi de conclure quՈ la fin du XVIIIme sicle, le rŽgime alimentaire est
aussi bien une stratŽgie thŽrapeutique mŽdicale quÕune pratique morale, sociale et
affective.
DÕun point de vue social, le rŽgime rŽpond ˆ un Ç systme raisonnŽ des
habitudes alimentaires È5 encadrŽ entre autres, par des nouvelles prŽoccupations : sociales
et morales. DÕun point de vue mŽdical, le rŽgime alimentaire fait partie, des actions qui ont
pour but de conserver la santŽ (lÕhygine6), et des remdes qui cherchent ˆ guŽrir des
maladies (la thŽrapeutique). Deux remarques concernant la place de la nutrition dans la
mŽdecine de lՎpoque sont fondamentales pour la poursuite de notre Žtude. DÕune part,
malgrŽ les nouveaux contenus que le XVIIIme sicle a donnŽs ˆ la notion de rŽgime, les
avancŽes de la physiologie, la chimie et lÕanatomie qui ont permis un changement des
pratiques de santŽ7, les prescriptions de rŽgimes alimentaires, dans le cadre mŽdical, sont
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
S. Moravia, Ç From homme machine to homme sensible: Changing Eighteenth-Century Model of ManÕs
Image È, Journal of the History or Ideas, 1978, vol. 39, p. 45-60.
2
G. Vigarello, Histoire des pratiques de santŽ, op.cit., p. 73.
3
L. Cornaro, De la sobriŽtŽ, conseils pour vivre longtemps, op. cit., p 55
4
G. Vigarello, Histoire des pratiques de santŽ, op. cit., p. 74
5
JP. Aron, Biologie et alimentation au XVIIIe sicle et au dŽbut du XIXe sicle, Annales. Economies,
SociŽtŽs, Civilisations, 1961, 5. p.973.
6
La notion de santŽ serait liŽe alors, ˆ un bon Ç Žtat nutritionnel È.
7
Au XVIIme sicle, on constate, par exemple, une extension des pratiques Žvacuantes comme la saignŽe, la
purge, la transpiration lÕexpectoration, les vomissements ; des Žvacuations qui deviennent de plus en plus
subtiles. Mais aussi, des potions nouvelles et des Žlixirs visant des transpirations insensibles. Des pratiques
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restŽs pratiquement intactes1. DÕautre part, quelle que soit son utilisation, un aliment ne se
confond pas avec un mŽdicament. En effet, lÕaliment est la matire inerte qui est capable
non seulement de modifier les humeurs et substances de lÕorganisme, mais de se
transformer en la substance vivante elle-mme. Du coup, la digestion joue ici le r™le de
fonction pivot qui permet dÕexpliquer ce processus dÕassimilation qui est nŽcessaire lors de
la croissance de lÕindividu et de maintenir le mouvement permanent de renouvellement de
la matire organique ˆ lՉge adulte. LÕaliment permet dÕentretenir ce Ç feu de la chaleur
vitale È de lÕorganisme, et en mme temps lÕaliment peut devenir le feu lui-mme.
LÕassimilation de lÕaliment devient une condition sine qua non de la dŽfinition de la vie.
Enfin, les fonctions digestives, respiratoires et circulatoires se sont intŽgrŽes autour dÕune
mme question ˆ savoir la nutrition.
Cependant, les fonctions et propriŽtŽs dŽcrites
nՎtaient pas des propriŽtŽs objectives mais des Ç valeurs psychologiques È selon G
Bachelard. Bachelard affirme Ç par assimilation, lÕaliment devient feu. Cette assimilation
substantielle est la nŽgation de lÕesprit de la Chimie È. En effet, ce concept dÕassimilation
Ç impose ˆ lÕexplication objective les fausses ŽcartŽs de lÕexpŽrience intime de la
digestion È. Le feu nÕa pas Ç trouvŽ sa science il est restŽ dans lÕesprit prŽ-scientifique
comme un phŽnomne complexe qui relve ˆ la fois de la chimie et de la biologie È2. En
consŽquence, nous parlons dÕune nutrition prŽscientifique, dŽpendant de la mŽdecine, de la
chimie et de la mŽcanique. Est-ce que le dŽveloppement de la mŽthode expŽrimentale et
les progrs des thŽories scientifiques permettent de dŽpasser ce dŽcalage entre thŽorie et
pratique diŽtŽtique ?
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
prŽventives non suivies dÕefficacitŽ. Voir G. Vigarello, Histoire des pratiques de santŽ, Paris, Le Seuil,
1999.
1
Voir lÕexemple de rŽgime alimentaire de H. Boerhaave dans Les Institutions de MŽdecine.
2
G. Bachelard, La psychanalyse du Feu. op. cit.,p. 73.
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CHAPITRE 2 : La pŽriode scientifique
La naissance de la mŽdecine moderne a lieu ˆ la fin du XVIIIme sicle. Elle devient
une science positive quand elle Ç se prend ˆ rŽflŽchir sur elle-mme È et cela gr‰ce ˆ un
nouveau regard mŽdical1. Cette Ç nouvelle manire de voir È permet une rŽorganisation Ç
formelle et en profondeur È des connaissances, ce qui permettra de tenir un discours
scientifique sur lÕindividu. Ainsi, dÕaprs Foucault, la mŽdecine devient Ç clinique È avec Ç
une nouvelle dŽcoupe des choses et le principe de leur articulation dans un langage o nous
avons coutume de reconna”tre le langage dÕune science positive È2. La naissance de cette
nouvelle mŽdecine est liŽe ˆ deux facteurs: les conditions sociales et intellectuelles
considŽrŽes comme des Ç a priori historiques È que dŽlimitent un cadre de catŽgories
historiquement dŽterminŽes; les changements politiques et sociaux introduits par la
RŽvolution Franaise qui conduisent ˆ une nouvelle conception de lÕh™pital3.
Par
consŽquent, cette rŽorganisation du savoir, non seulement des connaissances mŽdicales
mais de la possibilitŽ dÕun discours scientifique sur la maladie, impliquent de nouveaux
enjeux, qui nous conduisent ˆ interroger le positionnement de la nutrition et de la
diŽtŽtique dans cette nouvelle conception de la mŽdecine.
2.1 La nutrition et la diŽtŽtique dans la mŽdecine clinique de Bichat ˆ Broussais.
La mŽdecine clinique se caractŽrise par cette Ç nouvelle manire de voir È. En effet,
lÕobservation des malades avec ses signes et ses sympt™mes propres, est complŽtŽe par les
donnŽes de lÕanatomie pathologique. ReprŽsentŽe principalement par Bichat, cette dernire
concerne la connaissance des altŽrations visibles que lՎtat de maladie produit dans les
organes du corps humain. LÕouverture des cadavres est le moyen dÕobtenir ces
connaissances mais,
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
M. Foucault, Naissance de la Clinique, op.cit., p. 9.
Ibid., p.17.
3
J.F. Braunstein, Ç Paris 1800 : la naissance de la mŽdecine moderne È, dans Aux origines de la mŽdecine, D.
Sicard, G. Vigarello (dir.), Paris, Fayard, 2011, p.131.
2
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!
Ç pour quÕelle devienne dÕune utilitŽ directe et dÕune application immŽdiate ˆ la mŽdecine pratique, il
faut y joindre lÕobservation des sympt™mes et des altŽrations de fonctions qui co•ncident avec chaque
espce dÕaltŽration dÕorganes 1.È
Trois ŽlŽments fondent la physiologie de Bichat. DÕabord, il introduit la notion de
tissus : ce sont les Ç briques ŽlŽmentaires È de lՐtre vivant. Ensuite, il dŽfinit les
Ç propriŽtŽs vitales È comme une sensibilitŽ (facultŽ de sentir) et une contractilitŽ (facultŽ
de se contracter) propres aux tissus des tres vivants et ˆ eux seuls2. Enfin, il existe une vie
animale avec les activitŽs sensoriales, motrices et intellectuelles et une vie organique. Il
prŽcise ainsi que Ç la digestion, la circulation, la respiration, lÕexhalation, lÕabsorption, les
sŽcrŽtions, la nutrition, la calorification, composent la vie organique, qui a le cÏur pour
organe principal et central È3. Concernant la nutrition, nous remarquons deux ŽlŽments
caractŽristiques de cette physiologie. DÕabord, la vie organique avec la nutrition et ses
fonctions suit le modle de Stahl, avec un double mouvement de composition et de
dŽcomposition. LÕorganisme assimile la matire des aliments que la circulation distribue.
Aprs avoir ŽtŽ assimilŽe, la matire est rejetŽe dans la circulation puis excrŽtŽe. La
circulation assure la relation de ces deux moments. Les aliments assurent le remplacement
de la matire en dŽcomposition. A la diffŽrence de Stahl, Bichat ne parle pas de
corruptibilitŽ du corps, il constate que la matire ne peut rester dans lÕorganisme quÕun
certain temps, mais il ne donne pas dÕexplication. Ensuite, Bichat affirme que toute activitŽ
vitale sÕaccompagne dÕune production de chaleur et la Ç calorification È, devient une sorte
de fonction ce qui sՎloigne de la conception antique de la chaleur entendue comme une
propriŽtŽ spŽcifiquement vitale. Ainsi, si le cÏur continue ˆ tre le centre des fonctions, la
chaleur nÕest plus une Ç force ou principe vitalÈ mais une simple fonction. Nous constatons
ici sa contribution, avec Lavoisier, ˆ tenter de donner une explication scientifique ˆ la
chaleur du corps et ainsi ˆ dŽpasser lÕobstacle ŽpistŽmologique du feu enracinŽ ds
lÕAntiquitŽ dans la thŽorie thŽrmocardio-centrique.
Le parallŽlisme que Bichat Žtablit entre la physiologie et les sciences physiques mŽrite
dՐtre soulignŽ. Il considre que les propriŽtŽs vitales sont irrŽgulires et capricieuses. Du
coup, cela empche toute mathŽmatisation des phŽnomnes vitaux, contrairement ˆ ce qui
se passe pour les phŽnomnes physiques. Ces raisons, dÕaprs Bichat, ont fait Žchouer la
physiologie mŽcanique et les thŽories chimiques, notamment en raison de la difficultŽ
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid., p.136.
Ibid., p. 33.
3
Ibid.
2
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dÕobtenir des rŽsultats expŽrimentaux reproductibles en physiologie et de la variabilitŽ et
de lÕirrŽgularitŽ des fluides organiques. Il donne lÕexemple suivant :
ÇComparer la facultŽ vitale de sentir ˆ la facultŽ physique dÕattirer, vous verrez lÕattraction tre
toujours en raison de la masse du corps brut o on lÕobserve, tandis que la sensibilitŽ change sans
cesse de proportion dans la mme partie organique et dans la mme masse de matire1. È
Paradoxalement, Bichat considre la maladie comme une perturbation des propriŽtŽs
vitales, mais une perturbation Ç hors norme È. Les propriŽtŽs sortent de leur Ç type
naturel È. Cependant, Bichat ne dŽfinit pas ce Ç type naturel È, et cela contredit la
caractŽristique fondamentale de dŽpart selon laquelle les propriŽtŽs vitales sont variables2.
CÕest au contraire sur la constance des fluides quÕun sicle plus tard Claude Bernard
fondera la physiologie moderne.
Ainsi, le vitalisme de Bichat, pour reprendre les termes de Foucault, peut tre dŽfini
ainsi :
Ç LÕirrŽductibilitŽ du vivant au mŽcanique ou au chimique nÕest que seconde par rapport ˆ ce lien
fondamental de la vie et de la mort. Le vitalisme appara”t sur fond de ce mortalisme (É). Du fond de
la Renaissance jusquՈ la fin du XVIIIme sicle, le savoir de la vie Žtait pris dans le cercle de la vie
qui se replie sur elle-mme et se mire ; ˆ partir de Bichat, il est dŽcalŽ par rapport ˆ la vie, et sŽparŽ
dÕelle par lÕinfranchissable limite de la mort, au miroir de laquelle il la regarde3. È
Cette dŽfinition originale de la vie est donc fondŽe sur la mort o le corps sÕoppose ˆ
des forces de mort. Dans cette conception, la fonction de nutrition peut tre altŽrŽe par des
forces de mort qui peuvent tre externes ou internes. Si les forces externes sont bien
identifiŽes par Bichat (le climat, la saison, lՉge, etc.), au contraire, les forces physiques
internes ou chimiques ne sont pas mentionnŽes. En effet, Bichat nՎtant pas chimiste, il ne
souhaitait pas aborder le sujet, en particulier devant les rŽcentes conclusions de Lavoisier.
Or, lÕanatomie pathologique de Bichat a influencŽ au dŽbut du XIXme sicle la nouvelle
mŽdecine clinique.
2.1.1 La mŽdecine clinique de Pinel
ConsidŽrŽ comme un prŽcurseur de cette mŽdecine, Philippe Pinel propose une nouvelle
mŽthodologie nosographique, fondŽe sur les principes de la botanique et devient pendant
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid., p. 121.
Ibid., p. 41.
3
M. Foucault, Naissance de la clinique, op.cit., p. 205.
2
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vingt ans la rŽfŽrence dans lÕenseignement en mŽdecine1. Nous pouvons Žtudier la place de
la nutrition et de la diŽtŽtique dans cette nouvelle conception de la mŽdecine dans lÕÏuvre
La mŽdecine clinique publiŽe en 1804. Aprs le recueil et les rŽsultats d'observations sur
les maladies aigu‘s faites ˆ la Salptrire, il dŽcrit et classe les maladies dÕune part, par
leur caractre particulier et spŽcifique Çcomme formant une lŽsion quelconque dans une ou
dans plusieurs fonctions de lՎconomie animale È et dÕautre part, par lÕinfluence des
localitŽs, des saisons et de la nature du traitement2. Ainsi, cette position est justifiŽe par
lÕidŽe quÕil existe des affections de toutes les fonctions organiques, sans lŽsion dÕun organe
dŽterminŽ. La maladie est conue comme ayant une Ç cause matŽrielle morbifique È dont
les sympt™mes sont les manifestations des changements Ç dՐtre È sur les parties du
corps3. Autrement dit, la lŽsion est un sige et non un foyer, il ne sÕagit que dÕune
localisation gŽographique, expliquant son intŽrt par les autopsies, dans lesquelles il ne fait
quÕobserver une localisation sans tirer des conclusions essentielles pour conna”tre la
maladie. Son intŽrt est tournŽ vers les sympt™mes du vivant. La thŽrapeutique cherche ˆ
rŽtablir ces phŽnomnes en agissant sur les mouvements particuliers quÕinduit la maladie.
Dans ce contexte, Pinel propose une nosologie de la maladie visant ˆ dŽcrire lÕhistoire du
cours de la maladie et ˆ Žtablir une base thŽorique pour la thŽrapeutique, cela Ç dÕaprs les
lois fondamentales de lՎconomie animale, ou plut™t dÕaprs la structure et les fonctions
organiques des parties È. Dans la mesure o la maladie a un cours naturel, lÕidŽe de
conserver le malade permet au mŽdecin de montrer que Ç lÕexposition de la maladie
indique assez aux personnes exercŽes si les efforts de la nature sont dirigŽs avec rŽgularitŽ
et vers un but conservateur, ou si le dŽsordre des sympt™mes fait craindre une terminaison
funesteÈ. La maladie est alors apprŽhendŽe comme organisation ou Ç harmonie È des
sympt™mes4 et comme un concours dÕefforts conservateurs quÕil faut respecter Ç en les
livrant au temps, ˆ la direction dÕun rŽgime sage ou ˆ lÕusage de quelques remdes simples
È5. Cette conception de la maladie rŽvle la persistance de la notion de natura medicatrix6
hŽritŽe de lÕAntiquitŽ et la situation privilŽgiŽe du rŽgime. Pinel est mŽfiant envers les
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Imbault-Huart, Pinel, nosologiste et clinicien, SociŽtŽ franaise dÕhistoire de la mŽdecine 1977.
http://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhm/hsm/HSMx1978x012x001/HSMx1978x012x001x0033.pdf
(consultŽ le 3 fŽvrier 2013)
2
Ph. Pinel, La mŽdecine clinique rendue plus prŽcise et plus exacte par l'application de l'analyse. Paris, JA.
Brasson, 1804, Discours prŽliminaire, V.
3
JLV. Broussonnet, Tableau ŽlŽmentaire de la sŽmiotique, Montpellier, Tournel, an VI. p. 60.
4
J.LV. Broussonnet, Tableau ŽlŽmentaire de la sŽmiotique, op. cit., p. 60.
5
Ph. Pinel, La mŽdecine clinique rendue plus prŽcise et plus exacte par l'application de l'analyse. op. cit.,
Discours prŽliminaire.
6
Natura medicatrix : cÕest la nature elle-mme qui guŽrit et non le mŽdecin.
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mŽdicaments et considre la thŽrapeutique comme du charlatanisme Ç indigne du vrai
clinicien È1. Par consŽquent il donne une place prŽpondŽrante au rŽgime dans ce Ç laisser
faire de la nature È qui encadre le mŽdecin. Le rŽgime est ainsi une stratŽgie prŽsente ˆ
trois moments : la prise en charge de la maladie, la convalescence et le maintien de lՎtat
de santŽ2.
A titre dÕexemple, nous citons le tableau dÕune Ç fivre mŽningogastrique È, qui nous
permet de voir la description de la maladie et le recours ˆ la dite, aux boissons comme
lÕinfusion de chicorŽe pendant la maladie et de camomille pour rŽcupŽrer les forces du
malade :
Ç Il sÕagit dÕune femme ‰gŽe de trente et un ans, dÕune constitution forte et robuste, ˆ Paris depuis un
mois (cՎtait le printemps), elle sÕennuie de nՐtre pas ˆ la campagne, auprs de son mari : lÕappŽtit
diminue, le visage devient jeune, elle est moins active ; anorexie, nausŽes ds quÕelle a mangŽ : elle se
croit enceinte.
1e Jour de la maladie : ˆ son rŽveil, lassitude gŽnŽrale, cŽphalalgie, nausŽes frŽquentes, amertume de
la bouche. A onze heures, frisson vif avec claquements de dents ; cŽphalalgie frontale, Žpigastralgie,
anxiŽtŽ ; vomissements spontanŽs de matires jaunes, verd‰tres aprs un tremblement dÕune heure ;
chaleur bržlante, peau sche, soif, moiteur ˆ la fin de lÕaccs, qui se prolonge dans la nuit.
5e jour de la maladie : lÕaccs anticipe dÕune heure mais il est moins violent (Infusion de chicorŽe
acidulŽe).
12e jour de la maladie : la malade se sent trs fatiguŽe (infusion de camomille pendant quinze jours);
retour progressif des forces et de la santŽ3.È
Cette mŽdecine classificatrice et expectante 4 nÕapporte rien de nouveau au rŽgime. Ce
dernier, comme dans lÕAntiquitŽ, est adaptŽ ˆ la maladie et ˆ son Žvolution5. Plus
rigoureusement, il existe un rŽgime adoucissant ou fortifiant adaptŽ ˆ la maladie et un
rŽgime pour la convalescence. Des boissons telles que des dŽcoctions, infusions et des
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Imbault-Huart, Pinel, nosologiste et clinicien, SociŽtŽ franaise dÕhistoire de la mŽdecine 1977. p, 37
La santŽ est considŽrŽe comme Ç lՎtat naturel È caractŽrisŽ par des mouvements Ç rŽguliers È dÕaprs de
lois de lÕorganisation animale. La maladie est un Žtat soumis Žgalement aux lois de la nature, en particulier ˆ
celles qui sont Žtablies pour conserver la santŽ. La maladie produit des mouvements qui ont pour but de
combattre la malade et Ç quand ils ne sont ni trop faibles, ni trop violents, ni dŽtournŽs de leur but par des
perturbations nouvelles, tendent le plus souvent au rŽtablissement de lÕordre et de la santŽ È.
3
Ph. Pinel, La mŽdecine clinique rendue plus prŽcise et plus exacte par l'application de l'analyse. op.cit.,
Discours prŽliminaire,V.
4
MŽdecine expectante est celle qui, attendant que la nature agisse par elle-mme, emploie des moyens peu
actifs.
5
J. Jouanna, Hippocrate, op. cit., p. 233.
2
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tisanes dÕeau de mŽlisse, de rhubarbe (sirop antiscorbutique), dÕoxymel, sirop de vinaigre,
quinquina avec de la cannelle, julep, eau dÕorge, dÕorge miellŽe,
1
considŽrŽs comme
remdes consommŽs dans le cours de la maladie, en marge des mŽdicaments tels que la
antimoniŽ2, les saignes, les purges3.
La nouveautŽ ici rŽside dans lÕintroduction des
produits tels que des Žpices comme la quinquina importŽe de lÕAmŽrique4. LÕabsence
dՎvolution et de dŽmarche innovante sÕexplique par la persistance des fondements et
conceptions Antiques des concepts de maladie et de santŽ, et ce jusquÕaux apports de la
mŽdecine de Broussais.
2.1.2 La mŽdecine clinique de Broussais
Broussais, Žlve de Pinel et Žgalement membre de lÕEcole mŽdicale de Paris, se fonde
sur le principe tissulaire de Bichat5 pour dŽfinir la maladie. Pour lui, la vie est caractŽrisŽe
par la capacitŽ dÕexcitation. Cette excitation peut Ç dŽvier de lՎtat normal, et constituer un
Žtat anormal ou maladif È, soit par excs, et Broussais la dŽfinit comme Ç irritation È, soit
par dŽfaut, et dans ce cas elle devient Ç abirritation È. Il nÕexiste pas Ç dÕentitŽs morbides È
gŽnŽrales, ou de maladies ˆ proprement parler, mais des Ç crises È des Ç organes souffrants
È6. La lŽsion provenant de lÕirritation nÕest que la premire manifestation de la maladie et
non la maladie elle-mme. Il affirme que Ç toutes les maladies sont locales dans leur
principe È. La maladie est alors localisŽe dans un organe prŽcis, il sÕagit dÕun foyer et non
dÕune cause dernire. Ainsi, le trouble fonctionnel et lÕaltŽration organique sont en
communication immŽdiate. CÕest lÕirritation ˆ lÕorigine de lÕinflammation qui produit le
trouble qui est localisable ˆ un organe prŽcis. Reprenant ici lÕanalyse menŽe par Foucault,
on peut dire que la mŽdecine est Ç pleinement positive au sens o il est vain de rechercher
de manire mŽtaphysique un Ç tre È de la maladie, puisque celle-ci nÕest quÕun processus
dÕirritation tissulaire È7. Pour Broussais, lÕinflammation est ˆ lÕorigine de la maladie et se
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ph. Pinel, La mŽdecine clinique rendue plus prŽcise et plus exacte par l'application de l'analyse. op. cit., p.
23.
2
Qui renferme de l'antimoine ou mŽtal d'un blanc bleu‰tre avec lequel on prŽpare l'ŽmŽtique.
3
Ibid., p. 55.
4
A.J. Grieco Ç Alimentation et classes sociales ˆ la fin du Moyen åge et ˆ la RennaissanceÈ, dans Histoire
de lÕalimentation, J.L. Flandrin, M. Montanari (dir.), Paris, Fayard, 1996, p. 494.
5
La notion de tissus : correspond aux Ç briques ŽlŽmentaires È du corps humain.
6
J.F. Braunstein, Ç Paris 1800 : la naissance de la mŽdecine moderne È, dans Aux origines de la mŽdecine,
op.cit. , p. 136.
7
M. Foucault, Naissance de la Clinique, op.cit. , p. 194. Aussi, B. Vandewalle, Michel Foucault, Savoir et
pouvoir de la mŽdecine, Pairs, LÕHarmattan, 2006, p. 59.
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caractŽrise par une tumeur, une rougeur, de la chaleur et de la douleur. Elles produisent des
modifications vitales qui ont pour sige les vaisseaux capillaires de la partie malade :
lÕinflammation est donc Ç primitivement lÕeffet dÕun surcro”t de cette action È1. Deux
consŽquences mŽritent dՐtre mentionnŽes : cette position implique un changement radical
du point de vue du mŽdecin, selon Foucault, puisque dŽsormais on pose la question Ç o
avez-vous mal ? È au lieu de la question Ç QuÕavez-vous ? È2. De mme selon la
philosophie de Canguilhem, il sÕagit du passage dÕune notion de la maladie fondŽe sur des
variations qualitatives ˆ une maladie apprŽhendŽe ˆ partir de modifications quantitatives.
Par consŽquent, la fivre, par exemple, bŽnŽficie dÕun nouveau statut : elle nÕest plus une
essence dans une Ç ontologie fŽbrile È, mais une sŽrie de manifestations dans un processus
physico-pathologique3. Par-lˆ, la mŽdecine des maladies Ç cde la place ˆ une mŽdecine
des rŽactions pathologiques qui elle-mme instruira quelques dŽcennies plus tard une
mŽdecine dÕagents pathologiques È4.
Broussais introduit les termes de Ç anormal, et pathologique ou morbide È comme des
synonymes. La diffŽrence entre normal ou physiologique et anormal ou pathologique
comme constate Canghuilhem Ç serait donc une simple distinction quantitative È, cÕest-ˆdire que le pathologique est dŽcrit comme un excs ou un dŽfaut dÕune fonction normale
qui est dŽfinie ˆ partir dÕune moyenne. Le principe universel pour dŽfinir les modifications
des phŽnomnes normaux et pathologiques se dŽfinit ainsi :
Ç Toute modification, artificielle ou naturelle, de lÕordre rŽel concerne seulement lÕintensitŽ des
phŽnomnes correspondants É malgrŽ les variations de degrŽ, les phŽnomnes conservent toujours le
mme arrangement, tout changement de nature proprement dit, cÕest-ˆ-dire de classe, Žtant dÕailleurs
5
reconnu contradictoire .È
LÕoriginalitŽ de ce principe universel attribuŽ ˆ Broussais est dÕavoir conu sous les
mmes lois, le normal et le pathologique, qui jusquÕalors Žtaient pensŽs comme Žtant
soumis ˆ des lois diffŽrentes. Dans ce contexte comment les rŽgimes alimentaires et les
boissons sÕadapteront ˆ ce nouveau principe ? Broussais affirme que
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
F. J. V. Broussai, Histoire des phlegmasies, ou inflammations chroniques, Paris, Gabon, 1808.
M. Foucault, Naissance de la Clinique, op.cit. , p.194.
3
B. Vandewalle, Michel Foucault, Savoir et pouvoir de la mŽdecine, op.cit. , p. 59.
4
Ibid., p. 59.
5
Ibid., p. 19.
2
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Ç cÕest en vain quÕon dŽploiera toute la sagacitŽ possible, dans lÕapplication des moyens que nous
venons de conseiller,1 pour dŽtruire la phlogose (inflammation) du poumon ; si le rŽgime ne concourt
2
pas au mme but, ils seront presque sans effet .È
Ainsi, au cours des efforts pour traiter lÕinflammation, il ne faut pas Ç sՎcarter du
rŽgimeÈ. Autrement dit, les aliments peuvent modifier le phŽnomne pathologique de
lÕinflammation pour favoriser la guŽrison. Le rŽgime est une condition nŽcessaire pour le
succs du traitement de lÕinflammation et il fait partie intŽgrante du traitement : on parle
ainsi du rŽgime antiphlogistique qui consiste en la restriction sŽvre des aliments ou
Ç dite È qui seront rŽintroduits si lÕinflammation devient chronique. Deux grands
principes du rŽgime hippocratique sont encore prŽsents dans cette conception, ˆ savoir,
Žviter lÕalimentation au point fort de la maladie, parce que toute alimentation accro”t les
forces du mal. LÕauteur diffŽrencie et explique la raison de lÕutilisation des mŽdicaments
excitants ou antiphlogistiques et de la diminution des aliments lors de lÕinflammation. Les
mŽdicaments, en favorisant certaines Žvacuations pourraient diminuer lÕinflammation car
ils Ç irritent lÕestomac ou la peau, et par lˆ raniment des organes dont lÕaction alterne avec
celle du poumon, et favorisent certaines Žvacuations dÕo peut quelquefois rŽsulter une
heureuse rŽvulsion È, tandis que les aliments eux, accumulent dÕabord le sang dans le
poumon aprs lÕeffet de la premire digestion. Ensuite, Ç parvenus dans le tissu vasculaire,
ils vont remplir et surcharger des faisceaux lymphatiques qui se trouvent placŽs au milieu
dÕun foyer enflammŽ È3 favorisant ainsi lÕinflammation. Reprenons les conseils de
Broussais ˆ ses collgues ˆ propos du traitement des phthisies commenantes chez les
sujets qui ne sont pas ŽpuisŽs :
Ç rŽgime lactŽ, vŽgŽtal et fŽculent, sans mŽlange et, relativement ˆ la prŽŽminence du rŽgime devant
les mŽdicaments, jÕoserai mme ajouter, insiste Broussais, que sans son aide ils obtiendront fort peu
de guŽrisons, et quÕavec lui ils pourront souvent se passer de tous les mŽdicaments4. È
Au-delˆ de leur r™le dans la thŽrapeutique, les aliments peuvent causer des maladies
ŽpidŽmiques1. Ils sont nŽcessaires pour maintenir la vie et peuvent en mme temps causer
des maladies individuelles. Cabanis considre que
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
MŽdicaments irritants ou antiphlogistiques comme quinquina, le mercure, les saignŽes, les antiscorbutiques,
les sudorifiques, es bains froids, etc. Traitement antiphlogistique principalement des saignŽs et Žvacuations.
2
F. J. V. Broussai, Histoire des phlegmasies, ou inflammations chroniques, op.cit., p. 555.
3
Ibid.
4
RŽgime lactŽe : Deux pintes de laits frais par jour, avec deux onces de pain, pendant dix ˆ douze jours, puis
lorsque lÕamŽlioration commenait augmentation graduelle du pain et cela pendant trente ou quarante jours
puis rŽgime habituelle.
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Ç les aliments et les boissons sont Žgalement nŽcessaires, soit pour exciter et soutenir le jeu de
lՎconomie animale, soit pour rŽparer ses pertes journalires. Or lÕaction de ces nouvelles matires,
introduites dans les organes digestifs, dans le torrent des humeurs et dans lÕintime contexture des
fibres, y devient la cause de nombreuses modifications, ressenties par le systme vivant tout entier2. È
En consŽquence, pour Broussais, les phŽnomnes de la santŽ et de la maladie sont un
mme phŽnomne ne se diffŽrenciant que par le degrŽ dÕintensitŽ. La relation entre normal
et anormal sÕinscrit dans une logique de continuitŽ, et du coup il sÕen dŽcoule une notion
de continuitŽ entre la physiologie et la pathologie. CÕest alors que le mŽdecin franais
Claude Bernard au XIXme sicle avec sa mŽthode expŽrimentale permet dÕobtenir des
mesures quantifiables, qui viennent supporter les fondements des fonctions de lÕorganisme
comme celle de la nutrition.
2.2. La physiologie digestive
A la fin du XVIIIme sicle, la fonction digestive pose un problme biologique
ontologique : la digestion est-elle le rŽsultat dÕun processus mŽcanique au moyen dÕune
simple action musculaire par laquelle les aliments sont triturŽs ou broyŽs ? Ou lÕorganisme
possde-t-il un pouvoir propre pour dissoudre les aliments et ensuite les assimiler ? CÕest
un aspect qui a dŽjˆ ŽtŽ dŽbattu par les mŽcaniciens et les vitalistes. Reamur, en 1752,
Žtudie lÕinfluence du suc gastrique dans la digestion et permet de valider les deux thŽories.
En 1787, Lazzaro Spallanzani rŽalise la premire digestion artificielle et permet dՎlucider
en partie cette fonction. Cependant, il faut remarquer, dÕune part, que cette dŽcouverte ne
concerne pas lÕalimentation proprement dite, cÕest ˆ dire son r™le dans lՎquilibre
physiologique ; du coup, elle donne une dŽfinition de lÕaliment qui exclut sa fonction
nutritive. LÕaliment est dŽfini comme un Çcorps pouvant tre digŽrŽ comme dans des
conditions naturelles par un organisme vivant È3. DÕautre part, cette fonction ne sÕapplique
pas uniquement ˆ lÕhomme, ce qui est considŽrŽ comme un progrs de la biologie de
lՎpoque souvent ancrŽ dans la dimension anthropomorphique.
Il convient de souligner
que la fonction digestive est pour les physiologistes un objet de recherche propre ˆ lՎtude
des fonctions du vivant, elle ne reprŽsente pas le dŽbut dÕune science nutritionnelle
particulire. Au XIXme sicle, la physiologie et la mŽthode expŽrimentale encadrent en
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
J.L.V. Broussonnet, Tableau ŽlŽmentaire de la sŽmiotique, op.cit. , p. 43.
P.J.G. Cabanis, Coup dÕÏil sur les rŽvolutions et sur la rŽforme de la mŽdecine, Paris, Crapelet, 1804, p.18.
3
JP. Aron, Biologie et alimentation au XVIIIe sicle et au dŽbut du XIXe sicle, Annales. Economies,
SociŽtŽs, Civilisations, 1961, p.972.
2
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particulier lՎtude de la science de la vie, en Žtroite relation avec la mŽdecine. Comment la
fonction de nutrition est-elle abordŽe dans cette nouvelle perspective?
2.2.1. La nutrition et la physiologie de Claude Bernard
Claude Bernard considre la mŽdecine comme la science des maladies et la physiologie
comme la science de la vie. Il Žtablit une relation de continuitŽ entre ces deux sciences,
pour en faire une seule : Ç comme science la mŽdecine nÕest pas autre chose, au fond, que
la physiologie È1. Ainsi, la physiologie est la science qui permet ˆ la mŽdecine scientifique
de se Ç constituer dŽfinitivement È et il considre que le Ç problme physiologique contient
aujourdÕhui le problme mŽdical tout entier È. Autrement dit, la mŽdecine est fondŽe sur la
physiologie. Bernard est vu comme le Ç Newton de lÕorganisme vivant È cÕest-ˆ-dire
comme Ç lÕhomme qui a su apercevoir que les conditions de possibilitŽ de la science
expŽrimentale du vivant ne sont pas ˆ chercher du c™tŽ du savant, mais du c™tŽ du vivant
lui-mme, que cÕest le vivant qui fournit par sa propre structure et ses fonctions la clŽ de
son dŽchiffrement È.
Par-lˆ, la physiologie est devenue une science dŽterminŽe et pour cela, le concept du
milieu intŽrieur a ŽtŽ fondamental2. Elle est dŽterminŽe parce que les conditions de
manifestation de la vie sont purement physico-chimiques au mme titre que tous les autres
phŽnomnes de la nature. Les Žtats pathologiques ne sont quÕune Ç altŽration ou
modification È en plus ou en moins dÕune condition physique quÕil sÕagit de ramener ˆ son
Žtat normal. En effet, les principes physiologiques qui dominaient ˆ cette Žpoque comme
le pneuma, lÕarchŽe, le principe vital sont remplacŽs par les propriŽtŽs vitales de Bichat,
cÕest-ˆ-dire par les Ç propriŽtŽs histologiques de la matire vivante des ŽlŽments
organiques È3 Par lÕanalyse expŽrimentale, on cherche ˆ pŽnŽtrer dans lÕanatomie et pour
cela on doit faire lՎtude des tissus ˆ lÕaide de lÕhistologie. Gr‰ce ˆ la physique et ˆ la
chimie, les propriŽtŽs de ces ŽlŽments sont expliquŽes. Ces ŽlŽments histologies sont les
Ç agents de la vie È et sont placŽs dans un milieu intŽrieur qui les Ç enveloppe et les sŽpare
du dehors È. Bernard dŽfinit alors ce milieu intŽrieur comme Ç lÕensemble des liquides
interstitiels, la partie fluide du sang et non pas tout le sang, car il y a des ŽlŽments dont il
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
C. Bernard, Leons sur la chaleur animale, Paris, BailliŽre, 1876, p.4
G. Canguilhem, Etudes dÕhistoire et de philosophie des sciences, Paris, Vrin, 2002, p.149.
3
C. Bernard, Leons sur la chaleur animale, op. cit., p.6.
2
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faut faire abstraction È1. Ces actes vitaux sont ensuite ramenŽs ˆ des actes physiques et
chimiques. En effet, au long du XIXme sicle, la chimie organique rŽalise la synthse de
composŽs organiques, dont la plus cŽlbre est la synthse de lÕurŽe en 1828 par Friedrich
W‘hler. Dans la mesure o ces composŽs sont des substances biologiques, leur synthse au
laboratoire permet dՎlucider leur possible synthse dans les tres vivants et ensuite de les
intŽgrer aux fonctions biologiques2. CÕest alors ce dernier usage que va permettre de
constituer ce que Bernard appelle la Ç chimie biologique È. Ces questionnements se
constituent autour de la problŽmatique de la nutrition animale et de la fermentation.
Bernard affirme en opposition ˆ Bichat, sur lÕantagonisme de la vie et la mort que :
Ç Les dŽcouvertes de la physique et de la chimie biologique ont Žtabli, au lieu de cet antagonisme, un
accord intime, une harmonie parfaite entre lÕactivitŽ vitale et lÕintensitŽ des phŽnomnes
physicochimiques 3.È
Ainsi, la vie nÕest plus dŽfinie en opposition aux actions physicochimiques
caractŽristiques du rgne inerte.
La nutrition est au cÏur de la physiologie de Claude Bernard, comme un de ses objets
privilŽgiŽs dՎtudes. Pour le montrer, nous allons Žtudier trois sujets qui reprŽsentent la
physiologie bernardienne et quÕil utilise pour fonder les principes de la mŽdecine
expŽrimentale4. Premirement, lՎtude dÕune fonction mŽtabolique, la fonction de
glycognes, et son Žtat de perturbation, le diabte. Deuximement, la fonction calorifique,
le phŽnomne de combustion des aliments et son Žtat de perturbation, la fivre.
Troisimement, le r™le du systme nerveux et sa fonction de Ç rŽgulation È5 dans les deux
fonctions prŽcŽdentes.
La mŽthode propre dÕexpŽrimentation ˆ cette science, qui permet dÕobtenir des mesures
quantifiables, a introduit une nouvelle manire de voir dans le fonctionnement de notre
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid.
Le mot Ç biochimie È appara”t pour la premire fois en 1838 comme la Ç branche de la chimie qui traite des
substances produites par lÕaction de la vie È. Au XIXme sicle elle se constitue essentiellement autour du
problme du mŽtabolisme intermŽdiaire (transformations qui ont lieu ˆ lÕintŽrieur de lÕorganisme) et des
fermentations comme modle expŽrimental. Ces dŽbuts se caractŽrisent par une contestation des mŽdecins
positivistes, comme par exemple LittrŽ, qui considre quÕil nÕest pas concevable de considŽrer une idŽe de la
biochimie, car le mŽtabolisme Žtant un phŽnomne vital, ne peut tre lÕobjet dÕune recherche chimique.
3
C. Bernard, Leons sur les phŽnomnes de la vie communs aux animaux et aux vŽgŽtaux, Paris, Baillire,
1878, I, p.29.
4
C. Bernard, Introduction ˆ lՎtude de la mŽdecine expŽrimentale, Paris, LGF, 2008.
5
CÕest Claude Bernard quÕintroduit le terme de Ç rŽgulation È en physiologie. G. Canguilhem, La Formation
du concept de rŽgulation biologique, dans Ç Canguilhem, IdŽologie et rationalitŽ dans lÕhistoire de des
sciences de la vie È, Paris, Vrin, 2009, p.124.
2
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organisme, en particulier en ce qui concerne la nutrition. CÕest en analysant ces trois
aspects, que nous voulons montrer la relation entre nutrition et physiologie sous les notions
bernardiennes de normal et pathologique. La nutrition est considŽrŽe par Bernard comme :
Ç la fonction de lՎlŽment qui attire les principes du dehors, les incorpore pour un temps, puis
rejette : cÕest la facultŽ dՐtre en relation dՎchange constant avec le milieu qui le baigne par un
perpŽtuel mouvement dÕassimilation ou de dŽsassimilation 1.È
Autrement dit, il sÕagit dÕune fonction physiologique complexe, avec des innombrables
phases se traduisant en deux transformations Ç assimilation et dŽsassimilation È2. Par la
digestion, on Ç dŽcompose È les principes alimentaires en ŽlŽments indiffŽrents, dont
lÕorganisme reconstitue les composŽs nŽcessaires selon ses besoins, afin de rŽtablir
lՎquilibre de ses dŽpenses. Ainsi, la notion de turnover ou renouvlement incessant de la
matire continue, aprs Lavoisier, ˆ tre ŽlucidŽe et cela par une mŽthode qui permet une
quantification des composants organiques et du milieu.
2.2.2 La fonction du glycogense
La publication des Leons sur le diabte et la glycogense animale en 1877 est
considŽrŽe comme le travail de Bernard qui illustre sa thŽorie. La glycogense est une
fonction qui a pour finalitŽ la production du sucre et est dŽfinie comme nՎtant :
Ç quÕun cas particulier dÕun phŽnomne beaucoup plus gŽnŽral, le plus gŽnŽral mme dont les tres
3
vivants soient le thŽ‰tre, celui de la nutrition .È
Les expŽriences relatives ˆ cette fonction permettent dՎtablir le r™le du foie dans la
nutrition. Du coup le glucose dans le milieu intŽrieur ne provient pas uniquement de
lÕaliment, mais dÕun organe producteur le foie. Le diabte est considŽrŽ comme une
modification de la fonction glycogŽnique, cÕest-ˆ-dire une maladie de la nutrition dont
toute une sŽrie de questions concernant la physiologie pathologique sont Ç aujourdÕhui
enveloppŽes de la plus complte obscuritŽ È. Cette maladie est donc lÕexpression
Ç troublŽe, exagŽrŽe, amoindrie ou annulŽeÈ de la fonction normale de glycogŽnse. La
nutrition est un phŽnomne constant sans interruption. Cela permet dÕexpliquer le
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
C. Bernard, Leons sur la chaleur animale, op. cit., p. 89
C. Bernard, Leons sur le diabte et la glycogense animale, Paris, Baillire, 1877, p. VII.
3
G. Canguilhem, Etudes dÕhistoire et de philosophie des sciences, op. cit., p.149.
2
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phŽnomne quÕon appelle dÕautophagie. La nutrition ne sÕarrte pas ds lors quÕun
organisme arrte de sÕalimenter, elle se rŽalise par la consommation des tissus, autrement
dit Ç lÕanimal se mange lui-mme È. Le traitement proposŽ alors est fondŽ sur des rŽgimes
alimentaires variant les composŽs en glucides, dont Bernard rŽalise diverses expŽriences1.
LÕauteur reconna”t que la nutrition est la fonction la plus importante, certes, mais
Žgalement la moins connue et la plus Ç difficile ˆ pŽnŽtrer È.
2.2.3 La fonction calorifique
Une autre fonction physiologique considŽrŽe comme normale est la fonction
calorifique. Cela amne ˆ un rŽsultat dŽterminŽ et concret : la chaleur. Ce rŽsultat est
mesurŽ par une valeur normale avec ses variations maximum et minimum. Il sÕagit dÕune
condition vitale nŽcessaire du milieu intŽrieur. La chaleur est la rŽsultante ou principe
dÕaction. On dispose maintenant dÕune explication scientifique : elle est le rŽsultat de la
combustion des aliments qui se rŽalise dans les capillaires de lÕorganisme2. La combustion
est dŽfinie comme :
Ç les phŽnomnes chimiques qui accompagnent cette modification manifestŽe (transformation du sang
artŽrielle en sang veineux), par la production dÕacide carbonique et disparition dÕoxygne3. È
Ainsi, les phŽnomnes calorifiques sont en Žtroite relation avec les phŽnomnes de
nutrition. Bernard considre quÕil sÕagit dÕun processus gŽnŽral :
Ç lÕorigine de la chaleur est partout (É) est une facultŽ gŽnŽrale appartenant ˆ tous les tissus douŽs de
la vie dans lesquels sÕaccomplissent des phŽnomnes de nutrition4.È
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
C. Bernard, Leons sur le diabte et la glycogense animale, op. cit., p. 457.
Le point dŽpart des travaux relatifs ˆ lÕapport ŽnergŽtique alimentaires du XIXme sicle est la constatation
que les effets de la respiration ne suffisaient pas ˆ expliquer la production de toute la chaleur, comme le
prŽtendait Lavoisier. Le mŽdecin allemand J.R. Mayer a Žtabli le principe de conservation de lՎnergie ou la
premire loi de la thermodynamique. Il a dŽmontrŽ, par les recherches sur les valeurs calorifiques de
diffŽrentes matires nutritives, que lՎnergie fournie par lÕaliment est ˆ lÕorigine des phŽnomnes vitaux.
Atwater au dŽbut du XXme sicle mnera les Žtudes de la conservation de lՎnergie sur lÕhomme. G.
Canguilhem, Etudes dÕhistoire et de philosophie des sciences, op. cit., p. 262.
3
C. Bernard, Leons sur le diabte et la glycogense animale, op. cit., p. 132.
4
Ibid.
2
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2.2.4 Le systme nerveux
Cette fonction calorifique est rattachŽe au systme nerveux par deux espces de nerfs
vaso-moteurs. Les uns sont les vasodilatateurs ou calorifiques qui par leurs activitŽs
produisent la dŽnutrition, cÕest-ˆ-dire quÕils promeuvent Ç les oxydations des principes
constituants des tissus È. Ces rŽactions dÕactivations par les nerfs vaso-moteurs produisent
des mŽtamorphoses par lequel les ŽlŽments anatomiques transforment les matŽriaux que la
nutrition a accumulŽs en eux, et donnent naissance ici ˆ de la force mŽcanique, qui se
Ç rŽduisent, en dernire analyse, ˆ des manifestations vitales qui sÕaccompagnent toujours
dÕun dŽgagement de chaleur È1. Les autres nerfs vaso-constricteurs ou sympathiques,
Ç prŽsident la nutrition, ˆ lÕorganisation È. Sous son effet la tempŽrature baisse et
lÕoxydation et la fermentation sont ralenties ou arrtŽes. La nutrition ou organisation et la
dŽnutrition ou transformation sont les variations dÕun mme phŽnomne qui est considŽrŽ
comme normal car il
ne sÕagirait que dÕune variation quantitative. La manifestation
excessive de cette fonction normale est la fivre, considŽrŽe comme une maladie de la
nutrition quÕil fallait traiter par des compresses dÕeau froide, les lavements froids et un
rŽgime par des boissons froides ou glacŽes2. Elle est considŽrŽe aussi comme un Žtat actif
dÕexpression de lÕactivitŽ exagŽrŽe des vaso-dilatateurs ou de la cessation de nerfs vasoconstricteurs. Ce trouble se caractŽrise par une dŽnutrition constante, un empchement ˆ
lÕassimilation et ˆ la synthse nutritive qui peut entra”ner la mort. La thŽrapeutique
proposŽe implique du coup le systme nerveux en stimulant ou inhibant, de manire ˆ
ramener le froid dans le milieu intŽrieur et cela par des rŽfrigŽrants artificiels extŽrieurs ou
intŽrieurs. Cette thŽorie restreint le phŽnomne pathologique hypercalorifique ˆ un
sympt™me, la fivre, en faisant abstraction de son contexte clinique.
2.2.5 Le Normal et le Pathologique
La thŽorie de Bernard se heurte ˆ une difficultŽ. En considŽrant le diabte et la fivre
comme une simple modification quantitative dÕun phŽnomne normal, on nÕest pas capable
dÕidentifier les nouveaux remaniements qui sÕinstaurent dans lÕorganisme, cÕest-ˆ-dire, un
nouveau comportement ou Ç un nouveau mode de vie È3. Bernard estime quÕil y a une
continuitŽ entre les phŽnomnes normaux et pathologiques, et quÕil sÕagit seulement dÕune
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid.
Ibid., p. 453.
3
G. Canguilhem, Le normal et le pathologique, Paris, PUF, 1998, p. 48.
2
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diffŽrence quantitative dans le mŽcanisme et les produits des fonctions vitales entre ces
deux Žtats (cÕest ce que contestera Canguilhem dans Le Normal et le Pathologique) :
Ç La santŽ et la maladie ne sont pas deux modes diffŽrant essentiellement, É Dans la rŽalitŽ il nÕy a que
des diffŽrences de degrŽ. Il n y a pas un cas o la maladie aurait fait appara”tre des conditions nouvelles,
un changement complet de scne, des produits nouveaux et spŽciaux1. È
En ce sens, la nutrition est une fonction normale et ses maladies sont conues comme un
dŽrangement2 quantitatif de cette fonction. Nous considŽrons deux consŽquences de cette
thse. DÕune part, en illustrant sa thŽorie avec des exemples dans les phŽnomnes du
mŽtabolisme, comme le diabte et la chaleur et en voulant la gŽnŽraliser, sa thŽorie est
devenue arbitraire. A titre dÕexemple, Canguilhem mentionne quÕil ne saurait pas expliquer
alors les maladies infectieuses qui commenaient ˆ Ç sortir des limbes prŽscientifiques È3.
DÕautre part, comme le montre Canguilhem, cette thŽorie implique une nŽgation de
lÕindividualitŽ biologique par la constitution de la norme scientifique et lÕhomogŽnŽitŽ
entre le normal et le pathologique. La normativitŽ organique selon Canguilhem, constitue
la capacitŽ de changer de normes de vie. Le pathologique est la rŽduction de ce pouvoir
normatif. La normativitŽ nous permet de diffŽrencier entre le normal et le pathologique.
LÕacte de nutrition est un acte normatif,
Ç qui suppose que lÕorganisme puisse tre capable dÕappŽtit, dՎvaluation des possibilitŽs et de choix
quÕil parachve dans un acte. É () est un acte normatif tŽmoignant de la capacitŽ crŽatrice de
lÕorganismeÉ È4.
Par consŽquent, la thŽorie de Bernard serait non seulement arbitraire, mais elle nierait
Žgalement cette Ç capacitŽ crŽatrice de lÕorganisme È. Une bipolaritŽ sÕinstalle dans le
discours mŽdical du XIXme sicle : on parle alors de Ç normal et de pathologique È.
Ainsi, le savoir mŽdical sÕorganise autour de la notion Ç dÕhomme normal È, cÕest-ˆ-dire
que Ç cÕest par rapport ˆ un type de fonctionnement o de structure organique quÕelle
forme ses concepts et prescrit ses interventions È et non plus ˆ partir Ç des qualitŽs de
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
G. Canguilhem, Le normal et le pathologique, op.cit., p. 8.
DŽrangement, possde implicitement une notion qualitative. Ainsi selon lÕanalyse de G. Canguilhem,
Bernard ne peut dŽfinir la diffŽrence entre Normal et Pathologique uniquement au moyen dÕune diffŽrence
quantitative.
3
G. Canguilhem, Le normal et le pathologique, op.c it., p. 46.
4
G. Le Blanc, Canguilhem et les normes, Paris, PUF, 1998, p. 58.
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vigueur, de souplesse, de fluiditŽ que la maladie ferait perdre et quÕil sÕagirait de restaurer
È1 .
2.2.6 LÕhomme normal de QuŽtelet
Dans ce contexte, QuŽtelet en 1835 a recours aux mathŽmatiques et aux statiques pour
dŽfinir Ç lÕhomme normal È dÕun point de vue physique mais aussi social et moral. Il
cherche des lois gŽnŽralisables ˆ lÕespce humaine : Ç CÕest de cette manire que nous
Žtudierons les lois qui concernent lÕespce humaine ; car en les examinant de trop prs, il
devient impossible de les saisir, et lÕon nÕest frappŽ que des particularitŽs individuelles, qui
sont infinies È2. QuŽtelet dŽmontre que la loi de la distribution normale gaussienne
rŽpandue dans la nature sÕapplique Žgalement aux caractŽristiques de lÕHomme. Il Žtablit
des courbes extraites des rŽsultats faits sur des populations et identifie les facteurs associŽs
ˆ ses variations. Cependant, en ce qui concerne la relation du poids ˆ la taille, il se heurte ˆ
une difficultŽ car cette relation nÕa pas une distribution normale, et il Žtablit ce que nous
appelons aujourdÕhui lÕindex de QuŽtelet :
Ç Les poids chez les individus dŽveloppŽs et de hauteur diffŽrents, sont ˆ peu prs comme les carrŽs
des tailles3 .È
Il sÕagit ici dÕun usage des statistiques des mesures anthropomŽtriques, qui ont servi de
modle ˆ dÕautres techniques de dŽfinition de normes sÕappuyant sur la biologie.
Cependant, lÕorigine des questionnements qui ont amenŽ ˆ ces dŽfinitions nÕest pas lՎtude
des maladies, et en particulier de lÕobŽsitŽ, mais celle dÕune pratique non-scientifique, le
service militaire.4 Pourtant, nous utilisons aujourdÕhui cet index aussi appelŽ Index de
masse corporelle (IMC = poids/taille2), aprs validation par un certain nombre dՎtudes
ŽpidŽmiologiques pour catŽgoriser et diagnostiquer, ˆ titre individuel, un poids normal, la
dŽnutrition, le surpoids ou lÕobŽsitŽ. Encore aujourdÕhui, nous fondons la dŽfinition de
lՎtat nutritionnel et ses altŽrations, sous cette Ç normalitŽ È anthropomŽtrique, dŽfinie par
rapport ˆ une moyenne5.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid., p.62.
A. QuŽtelet, Sur lÕHomme, Paris, Bachelier, 1835, I, p. 6.
3
Ibid., 53.
4
G. Canguilhem, Etudes dÕhistoire et de philosophie, op.cit. , p.18-19.
5
Ce point sera approfondi dans la deuxime partie de ce travail, lors dÕune Žtude de cas.
2
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Il sÕensuit que lÕhomme et la santŽ au XIXme se dŽfinissent par rapport ˆ une
Ç normalitŽ È, une normalitŽ des fonctions quÕil faut conna”tre par lÕexpŽrimentation.
Ainsi, les mŽdecins doivent dÕabord observer les malades ˆ lÕh™pital, puis entrer dans le
laboratoire chercher lÕexplication expŽrimentale.
2.3 La nutrition ˆ lÕh™pital
La mŽdecine au XIXme sicle est liŽe ˆ lÕapparition de lÕh™pital moderne ˆ partir des
changements politiques et sociaux introduits par la RŽvolution Franaise1. Cette nouvelle
conception de lÕh™pital dŽpasse la notion dÕhospice pour les plus dŽmunis. DŽsormais,
lÕarchitecture de lÕh™pital est pensŽe en fonction de la thŽrapeutique et de lÕhygine.
LÕh™pital devient un lieu privilŽgiŽ de lÕenseignement de la mŽdecine. En effet, lÕh™pital
fait avancer la clinique, car il concentre une quantitŽ importante des malades qui peuvent
tre observŽs, ŽtudiŽs et comparŽs et il permet de mener des autopsies afin de dŽvelopper
lÕanatomopathologie.
RŽflŽchir ˆ propos de la nutrition dans le cadre hospitalier nous amne ˆ nous poser la
question suivante : pourquoi alimente-t-on les malades ˆ lÕh™pital ?
Autrement dit, quel
est le sens de lÕalimentation dans ce cadre dÕexercice de la mŽdecine ? Afin de rŽpondre,
nous avons identifiŽ trois pŽriodes. Une premire pŽriode du Moyen Age au XVIIIme
sicle, o la nutrition a un sens principalement religieux. LÕh™pital est administrŽ par des
communautŽs monastiques et sa vocation est lÕaccueil des malades dŽmunis et des
nŽcessiteux. LÕalimentation est sobre, abondante, mais rŽparatrice, avec des degrŽs
variables selon la nature des ordres religieux. LÕalimentation est soumise ˆ des principes
religieux et est considŽrŽe comme un don : nourrir les malades reprŽsente Ç lÕacte de
charitŽ par excellence È2. Dans ce contexte les repas deviennent une cŽrŽmonie et un
espace presque thŽ‰tral inspirŽs des scnes de lÕAncien et du Nouveau Testament. Ce
moment des repas devient un rituel aussi important que les offices religieux. La deuxime
pŽriode du XVIIIme ˆ 1970 est marquŽe par lÕarrivŽe des mŽdecins ˆ lÕh™pital au
XVIIIme ce qui met fin aux cŽrŽmonies religieuses et introduit un profond changement
dans le principe de lÕalimentation des malades ˆ lÕh™pital. Le mŽdecin extrait
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
JF. Braunstein, Ç Paris 1800 : la naissance de la mŽdecine moderne È, dans Aux origines de la mŽdecine, op.
cit., p 133.
2
A. Nardin, Ç LÕh™pital face ˆ la question de lÕalimentation È, dans LÕappŽtit vient en mangeant ! Histoire de
lÕalimentation ˆ lÕh™pital XV-XX sicles. Paris, Doin, 1998, p. 14
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lÕalimentation ˆ lÕh™pital du contexte religieux pour fixer un cadre mŽdical fondŽ sur la
diŽtŽtique hippocratique aussi bien prŽventive que thŽrapeutique. Or, les mŽdecins se
dŽsintŽressent rapidement de lÕalimentation des malades pour cŽder sa gestion et son
fonctionnement ˆ lÕintendance tenue par les Žconomes. Face aux avancŽes des sciences et
en particulier ˆ la dŽcouverte des mŽdicaments, la place de la diŽtŽtique au sein de la
pratique de la mŽdecine se fait de plus en plus restreinte1.
La nutrition du malade nÕest plus une prŽoccupation du mŽdecin ni un objet de ses
recherches malgrŽ le fait Žtabli que dans le rglement intŽrieur des h™pitaux, seuls les
mŽdecins sont compŽtents pour rŽgler le rŽgime des malades. Par consŽquent, comme
affirme Nardin,
Ç Pendant tout le XIXme sicle, et alors que la mŽdecine dŽveloppe ses investigations dans de
nouvelles directions, le savoir diŽtŽtique reste figŽ sur les principes dŽsuets ŽnoncŽs au cours du sicle
prŽcdent2. È
Le Rapport3 de 1864 dÕAnselme Payen professeur de chimie ˆ Paris, qui a pour objectif
dՎtablir des recommandations pour amŽliorer lÕalimentation ˆ lÕh™pital, nous permet de
souligner deux aspects fondamentaux4. Premirement, il montre les principes gŽnŽraux de
lÕalimentation dans les h™pitaux :
Ç la dite est rŽparatrice, bien appropriŽe aux forces digestives pendant les cours des maladies, sauf la
durŽe passagre des dites absolues, que nous, savants praticiens abrgeront le plus possible, une telle
alimentation, graduŽe suivant les prescriptions et soutenue jusquÕaux dernires limites de la
convalescence, doit offrir, sans contredit, le plus puissant concours aux ressources nombreuses de la
mŽdecine contemporaine5. È
Ainsi, la dite des malades est hŽritŽe de la mŽdecine hippocratique, ˆ savoir, Žviter
lÕalimentation au point fort de la maladie, parce quÕon considŽrait que toute alimentation
accro”t les forces du mal, ce qui a amenŽ ˆ des rŽgimes diŽtŽtiques quantitativement gradŽs
en fonction de la sŽvŽritŽ de la maladie. On dŽfinit la dite absolue, dite simple, au
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
C. Marchand, Ç Le mŽdecin et lÕalimentation, principes de nutrition et recommandations alimentaires en
France (1887-1940) È, p. 45. Thse soutenue ˆ lÕuniversitŽ Franois Ð Rabelais de tours, 2014,
http://www.applis.univ-tours.fr/theses/2014/claire.marchand_4145.pdf
2
Ibid., p .15.
3
Rapport Žtabli par la commission du rŽgime alimentaire dans les h™pitaux qui prŽsidait A. Payen, ˆ
sollicitude du comitŽ consultatif dÕhygine et du service mŽdical des h™pitaux sollicitŽ par le ministre de
lÕintŽrieur.
4
A. Payen, Ç RŽgime alimentaire dans les h™pitaux È, Substances alimentaires et des moyens de les
amŽliorer, de les conserver et dÕen reconna”tre les altŽrations, Paris, Hachette, 1865, p. 513.
5
Ibid., p. 519.
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potage, quart, demi, trois quart de portion puis complte lorsque le malade est rŽtabli. Les
mŽdecins sont trs critiques envers les principes dÕalimentation que les religieuses
utilisaient ˆ lÕh™pital aux sicles prŽcŽdents. Ils considrent que ce principe de Ç donner au
malade ce quÕil dŽsire È1, pour faire plaisir au malade mais aussi pour favoriser la guŽrison,
nÕest pas adaptŽ car lÕalimentation trop abondante ne convient pas et empchait les
malades de guŽrir. Par exemple, ds 1636, les mŽdecins considŽraient que le rŽgime ˆ
lÕhospice ne convenait pas car Ç pendant les jours de carme et les jours maigres de lÕannŽe
on donne indiffŽremment aux malades des poissons ou des pruneauxÈ. Cela Žtait la cause
de rechutes et de rŽcidives de maladies, car ce rŽgime Ç donne tant de cours de ventre et de
flux de sang È. En effet, il considŽrait les pruneaux, par leur capacitŽ ˆ modifier le flux du
sang, comme des Ç aliments mŽdicamenteux È2 qui ne doivent Ç tre donnŽs quÕavec une
grande discrŽtion ˆ certains malades È3.
En second lieu, ce Rapport nous permet de situer lÕimportance et lÕinquiŽtude que les
administrateurs portaient ˆ propos de lÕalimentation : Ç LÕalimentation dans les
Žtablissements hospitaliers a ds longtemps prŽoccupŽ les gouvernements et les grandes
administrations publiques È. DÕune part, parce quÕils reconnaissent que lÕalimentation est
centrale dans la thŽrapeutique ˆ lÕh™pital par Ç sa puissance rŽparatrice È, et quÕils
reconnaissent que la nutrition Ç en abrŽgeant la durŽe des maladies et en consolidant les
convalescences È peut engendrer des Žconomies ˆ lÕassistance publique. DÕautre part, parce
quÕelles questionnent la qualitŽ (quantitative et qualitative) et les possibilitŽs
dÕamŽlioration de lÕalimentation : Ç Si, dÕailleurs, on considre lՎtat dÕaffaiblissement des
malades reus dans nos h™pitaux civils, É.le rŽgime alimentaire est parfois insuffisant
pour rŽtablir les forces ŽpuisŽes, h‰ter la convalescence et prŽvenir le retour ˆ lÕh™pital È4.
De ce rapport, on souligne des recommandations parmi lesquelles on trouve une
modification des rations du pain, du vin et de la viande, une suppression du repas du matin
pour les adultes, lՎlimination des rŽgimes maigres. Ainsi, en amŽliorant les rŽgimes
alimentaires, on cherchait ˆ amŽliorer les rŽsultats cliniques des interventions mŽdicales
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
J.L. Flandrin, Ç DiŽtŽtique et rŽgimes anciens È, dans LÕappŽtit vient en mangeant ! Histoire
lÕalimentation ˆ lÕh™pital XV-XX sicles. Paris, Doin, 1998, p. 1429
2
Ds le XVI sicle dÕaprs Paracelse, il existe la notion dÕun mŽdicament pour chaque maladie. CÕest
cours du XIXme que les avancŽs en chimie et physiologie, permettront dÕextraire les principes actifs
substances connues. LՏre moderne du mŽdicament dŽbute en 1937 avec les antibiotiques.
3
L. Flandrin, Ç DiŽtŽtique et rŽgimes anciens È, dans LÕappŽtit vient en mangeant ! Histoire
lÕalimentation ˆ lÕh™pital XV-XX sicles. Paris, Doin, 1998, p. 19.
4
Ibid., p. 519.
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et chirurgicales, la durŽe du sŽjour, et une diminution de comorbiditŽs, mais aussi de
manire indirecte les avantages de lÕassistance publique.
Ç le succs des prescriptions mŽdicales et des opŽrations de la chirurgie ; la durŽe du sŽjour ˆ lÕh™pital
se trouvera dÕautant amoindrie, les rŽcidives seront plus rares et la population reconnaissante
comprendra mieux encore les bienfaits de lÕassistance publique 1.È
Nous constatons ici deux nouveautŽs. Ces recommandations sont fondŽes sur deux
nouvelles notions dans la nutrition : celle de ration et du besoin alimentaire. Il convient de
les dŽtailler car elles se fondent sur une mutation dans la conception de la relation de
lÕhomme ˆ lÕaliment. En effet, une nouvelle classification des aliments se met en place
gr‰ce aux avancŽes de la chimie et de la physiologie dŽterminant ainsi des nouvelles
catŽgories nutritives des aliments qui ne sont plus dŽterminŽes, comme dans lÕAntiquitŽ,
selon les quatre ŽlŽments constitutifs de lÕunivers, les quatre saisons et les quatre humeurs
du corps, mais selon sa fonction dans lՎconomie animale. DŽsormais on distingue deux
classes : Les aliments albumino•des (protŽines)2 considŽrŽs comme les vŽritables aliments,
dont le r™le est de rŽparer et dÕapporter de lՎnergie aux muscles, et les aliments
Ç respiratoires È qui incluent les graisses (lipides) et les hydrates de carbone (glucides)3 et
rŽagissent avec lÕoxygne lorsque celui-ci pŽntre dans les tissus protŽgeant lÕoxydation
des protŽines. A partir de 1865, avec lÕavancŽe de la comprŽhension de la
thermodynamique et de la conservation de lՎnergie, on conclut que lipides et glucides
sont les principaux combustibles pour les muscles. A la fin du XIXme sicle, on dŽcouvre
que les protŽines sont constituŽes des acides aminŽs qui sont hydrolysŽs aprs absorption
pour ensuite tre
reconstituŽs dans les tissus.
Les aliments possdent une valeur
ŽnergŽtique qui correspond ˆ la quantitŽ de calories4 que sa combustion est capable de
dŽgager dans le corps. Du coup, les rations sont mises au point selon la quantitŽ dÕapport
nŽcessaire de matire pour le fonctionnement, le maintien et le renouvellement du corps.
Les recherches du mŽdecin allemand JR Mayer Žtablirent Ç lՎquivalent calorique È
comme : Ç la quantitŽ de chaleur nŽcessaire pour Žlever la tempŽrature de 1 kg dÕeau de 0 a
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid.
En 1838, on adopte le terme de Ç protŽine È pour dŽsigner les substances similaires ˆ lÕalbumine du blanc
dÕÏuf, qui contenait de lÕazote et qui Žtaient prŽsentes dans les tissus humains.
3
A. Nardin, Ç LÕh™pital face ˆ la question de lÕalimentation È, dans LÕappŽtit vient en mangeant ! Histoire de
lÕalimentation ˆ lÕh™pital XV-XX sicles. op. cit., p. 13.
4
Le terme calorie, comme mesure de la fonction calorifique aurait ŽtŽ utilisŽ pour la premire fois en 1825
par le chimiste franais Nicolas ClŽment-Desormes.
2
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1¡C È. Ainsi, ds 1850 on estime que un homme de 60 kg aura besoin dÕune ration
journalire de 2200 calories sÕil mne une vie sŽdentaire.
La pratique des rŽgimes alimentaires en dehors du cadre hospitalier a considŽrablement
avancŽ et mme si les principes de pratique des rŽgimes sont restŽs ancrŽs dans lÕAntiquitŽ,
des nouveaux critres qualitatifs et quantitatifs sont dŽsormais prŽsents. La question
centrale est de dŽterminer le nombre dÕaliments et leurs types, pour chaque tempŽrament,
saison et climat. Voici ce que le MŽdecin franais L. Cyr affirme en 1868 ˆ propos du
meilleur rŽgime pour la santŽ :
Ç Nous avons montrŽ que cÕest dans un mŽlange dÕaliments azotŽs et non azotŽs dÕorigine vŽgŽtale
aussi bien quÕanimale que consiste le rŽgime le plus adaptŽ1. È
A la fin du XIXme sicle, le rŽgime fait toujours partie de la thŽrapeutique des
mŽdecins, mais les connaissances physiologiques permettent de dŽterminer les risques de
Ç dites È trop sŽvres de la thŽrapeutique de Broussais. Ainsi, la Ç dite È, entendue
comme la privation de toute substance alimentaire, dans deux cas, les fivres, et les opŽrŽs,
est plus Ç sagement, plus rarement et avec moins de rigueurÈ. Cette pratique du rŽgime
moins contraignante a ŽtŽ importŽe en France de lÕAngleterre et a ŽtŽ considŽrŽe comme
une innovation Ç rŽvolutionnaire È. Voici le rŽgime pour la fivre typho•dŽe
Ç Pendant les trois ou quatre premiers jours, dit Graves,2 notamment si le patient est jeune et robuste,
de l'eau, de l'eau d'orge peu chargŽe et du petit-lait, voilˆ tout ce qui est nŽcessaire. Aprs ce temps, je
commence ˆ permettre quelque aliment trs lŽger : je prescris gŽnŽralement de la farine de gruau
bouillie, et saupoudrŽe de sucre ; s'il n'y a pas de disposition ˆ la diarrhŽe, je fais ajouter un peu de jus
de citron... Pendant la dernire partie de la premire pŽriode, et le commencement de la seconde, j'ai
l'habitude de faire donner matin et soir une petite panade trs-claire... Lorsque la maladie sera plus
avancŽe, vous aurez recours ˆ une lŽgre gelŽe de viande ou ˆ du bouillon. Dans l'Žtat et dans le
dŽcours de la fivre, un des meilleurs aliments est le bouillon de poulet ; je ne veux pas dire l'eau de
poulet, mais du bouillon convenablement prŽparŽ...3.È
En ce qui concerne les patients opŽrŽs, les patients sont moins nourris et prennent leur
repas bien aprs la chirurgie si on compare avec les pratiques dans les h™pitaux anglais.
LÕexplication donnŽe par L. Cyr renvoie ˆ la diffŽrence de climats, et au tempŽrament
lymphatico-sanguin trs commun. Voici le rŽgime aprs une chirurgie :
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
J. Cyr, LÕAlimentation dans ses rapports avec la physiologie et la pathologie thŽrapeutique, Paris, JB
Baillre, 1869.
2
MŽdecin Anglais du Meath-Hospital.
3
J. Cyr, LÕAlimentation dans ses rapports avec la physiologie et la pathologie thŽrapeutique, op.cit.
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Ç Il faut donc alimenter les opŽrŽs, mais non les bourrer de nourriture. Le thŽ de bÏuf (ou tisane) et
l'eau vineuse ˆ discrŽtion, au dŽbut peuvent suffire jusqu'ˆ ce que la suppuration soit bien Žtablie ;
alors, si l'Žtat des voies digestives le permet, il faut augmenter rapidement la dose de nourriture, et si
l'appŽtit fait dŽfaut, t‰cher de le rŽveiller par tous les moyens appropriŽs (prises de rhubarbe, vin de
quinquina ou de gentiane, eaux minŽrales gazeuses, glace, etc.)1.È
On constate dans cette prescription un composant de la thŽrapeutique hippocratique qui
dominait aussi au dŽbut du XIXme sicle, la tisane, qui a su garder son influence:
Ç Confiante dans son humilitŽ qui fait quÕon nÕy prend garde, confiante aussi peut-tre dans lÕappui
que lui prte la tradition pour laquelle on a toujours malgrŽ soi quelque respect2. È
Il ne sÕagit pas de la tisane dÕorge mais de bÏuf, pratique trs rŽpandue en Angleterre.
DÕautres aliments, comme le lait, Žtaient trs valorisŽs et donnaient lieu ˆ la pratique des
rŽgimes particuliers comme le Ç rŽgime ou la cure de lait È. Le lait a ŽtŽ considŽrŽ depuis
lÕAntiquitŽ comme l'aliment le :
Ç plus salutaire, le mieux appropriŽ ˆ nos organes. La chimie a confirmŽ les donnŽes de l'empirisme en
montrant que le lait renferme en effet les quatre principes albumino•de, gras, sucrŽ et salin nŽcessaires
au dŽveloppement de tous les tissus, et que ces principes s'y trouvent dans une proportion favorable,
c'est-ˆ-dire suivant leur importance respective3. È
MalgrŽ les avancŽs scientifiques dans la physiologie de la nutrition et la pratique
diŽtŽtique, ces principes ne sont appliquŽs ˆ lÕh™pital que quelques dŽcennies plus tard4.
Ainsi, on ne distinguera les rŽgimes par des facteurs quantitatifs (grammes / calories) et
qualitatifs adaptŽs aux pathologies (le rŽgime diabŽtique, des tuberculeux, etc.) quՈ partir
du 1904.
La troisime pŽriode de la nutrition ˆ lÕh™pital dŽbute avec le dŽveloppement de la
nutrition artificielle dans les annŽes 70. Nous lÕaborderons dans la troisime partie de ce
chapitre.
Ainsi, le sens de lÕalimentation ˆ lÕh™pital est modifiŽ, dÕun sens religieux ˆ un sens
purement mŽdical o le patient, ses choix et ses gožts nÕont pas de place. Cela est
questionnŽ au cours du sicle o la science du gožt a vu le jour.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid.
Ibid.
3
Ibid.
4
A. Nardin, Ç LÕh™pital face ˆ la question de lÕalimentation È, dans LÕappŽtit vient en mangeant ! Histoire de
lÕalimentation ˆ lÕh™pital XV-XX sicles, op. cit., p. 17.
2
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2.4 Ç Dis-mois ce que tu manges, je te dirai ce que tu es È
La qualitŽ dÕun repas ne dŽpend plus uniquement des critres mŽdicaux ou moraux. La
notion de plaisir vient intŽgrer les critres de sŽlection dÕun rŽgime. Au dŽbut du XIXme
sicle, Brillat-Savarin dans Physiologie du gožt1 dŽfinit la science de la gastronomie
comme Ç la connaissance raisonnŽe de tout ce qui a rapport ˆ lÕhomme, en tant quÕil se
nourrit. Son but est de veiller ˆ la conservation des hommes au moyen de la meilleure
nourriture possible È. Cette science aurait pour fondements, lÕhistoire naturelle, la
physique, la chimie, la cuisine, le commerce et lՎconomie politique. Cette science ayant
pour sujet tout ce qui se mange, elle a pour but la conservation des individus. Elle sÕinscrit
dans toutes les Žtapes de la vie ds la naissance jusquՈ la mort. Tout ce qui se mange,
lÕaliment, est dŽfinit par sa capacitŽ ˆ tre assimilŽ aprs la digestion par lÕorganisme et il
est capable de rŽparer les pertes du corps humain. Donc, par lÕaliment, on dŽfinit
lÕhomme : Ç Dis-mois ce que tu manges, je te dirai ce que tu es È. LÕhomme mange car, par
lÕappŽtit, lÕorganisme annonce un besoin de restituer la matire perdue. Ceux qui se
nourrissent bien ont une plus grande longŽvitŽ. Gourmandise est synonyme de longŽvitŽ,
de bien manger. Deux Žtats se prŽsentent chez les individus, selon lÕusage des aliments.
LÕexcs dÕaliments cause lÕobŽsitŽ qui nÕest pas considŽrŽe par Savarin comme une
maladie mais simplement comme une Ç congestion graisseuse È. Il dŽcrit deux types : lÕun
limitŽ au ventre observŽ uniquement chez les hommes et lÕautre rŽparti de manire
gŽnŽrale dans le corps, uniquement prŽsente chez les femmes. Les causes de lÕobŽsitŽ
exposŽes dans cette Ïuvre sont premirement dues ˆ un problme de qualitŽ de
lÕalimentation lorsque la base de la nourriture journalire est constituŽe de farines et de
fŽcules ; deuximement, un problme quantitatif dans lÕexcs de manger et de boire ; et
troisimement, la prolongation du sommeil et le manque dÕexercice2. Il Žtablit trois
prŽceptes pour le traitement, la discrŽtion dans le manger, la modŽration dans le sommeil,
lÕexercice ˆ pied et ˆ cheval. La maigreur est lՎtat dÕun individu dont la chaire musculaire
nՎtant pas renflŽe par la graisse, laisse apercevoir les formes et les angles de la charpente
osseuse. On distingue deux types, lÕun rŽsultant de la disposition du corps dont les
fonctions du corps sont intactes et lÕautre dont la cause est une faiblesse ou affection de
certains organes.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
2
!
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B. Savarin, Physiologie du gožt, Paris, Flammarion, 1982, p.215.
Ibid.
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Au-delˆ du besoin de manger et des effets organiques de lÕaliment, la gastronomie
sÕinscrit dans la culture, la sociŽtŽ et lՎthique de lՎpoque. Ainsi la gastronomie devient
Ç gastrosophie È. Le plaisir de manger devient un art et un savoir autour dÕune table qui, du
coup, est manifestation de Ç luxe du dŽsir È1 .Voici une description ˆ propos dÕun d”ner de
gourmands :
Ç Cette apparition (un coq vierge de Barbezieux, truffŽ ˆ tout rompre, et un gibraltar de foie gras de
Strasbourg) produisit sur lÕassemblŽe un effet marquŽ, mais difficile ˆ dŽcrire, ˆ peu prs comme le
rire silencieux indiquŽ par Cooper, et je vis bien quÕil avait ˆ lÕobservation. Effectivement toutes les
conversations cessrent par la plŽnitude des cÏurs ; toutes les attentions se fixrent sur lÕadresse des
prospecteurs ; et quand les assiettes de distribution eurent passŽ, je vis se succŽder, tour ˆ tour, sur
toutes les physionomies, le feu du dŽsir, lÕextase de la jouissance, le repos parfait de la bŽatitude2. È
La gourmandise est dÕaprs Brillat-Savarin indivisible de la convivialitŽ3 et le partage.
Le plaisir de manger et le plaisir de la table se succdent. Le deuxime plaisir vient de la
sensation rŽflŽchie qui na”t des lieux, des choses et personnes qui accompagnent le repas.
On se diffŽrencie des animaux par ce deuxime plaisir. On mange pour mieux tre et pour
mieux participer de la vie sociale, affective et des affaires. Ces gourmands ont
certainement de lÕappŽtit. Dans la IVme MŽditation de la Physiologie du Gožt, Savarin
dŽcrit lÕappŽtit comme Ç la premire impression du besoin de manger È4. Il la dŽcrit :
ÇLÕappŽtit sÕannonce par un peu de langueur dans lÕestomac, une lŽgre sensation de fatigue. En
mme temps, lՉme sÕoccupe dÕobjets analogues ˆ ses besoins ; la mŽmoire se rappelle les choses qui
ont flattŽ le gožt ; lÕimagination croit les voir ; il y lˆ quelque chose qui tient du rve5 È.
A ces impressions, le systme digestif sÕimplique aussi :
Ç lÕestomac devient sensible ; les sucs gastriques sÕexaltent ; les gaz intŽrieurs se dŽplacent avec bruit ; la
bouche se remplit de sucs, et toutes les puissances digestives sont sous armes, comme des soldats qui
nÕattendent plus que le commandement pour agir È.
LÕappŽtit dŽvoile une nŽcessitŽ physiologique qui se manifeste par une sŽrie dÕactions
du systme digestif et du dŽsir car il fait appel ˆ la mŽmoire des choses agrŽables. Cette
science implique donc ˆ la fois une prŽoccupation pour accomplir un besoin physiologique
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid.
Ibid. p. 168.
3
Le mot Ç convivialitŽ È crŽe par Brill‰t Savarin, dŽsigne le plaisir de partager un repas avec des amis. Par la
convivialitŽ, on assume le r™le de convive.
4
B. Savarin, Physiologie du gožt, p. 66.
5
Ibid.
2
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et un rve sensible, la gourmandise. Le gožt fait donc appel ˆ tous les sens mais aussi ˆ
lÕesprit.
Aux contenus physiologiques et socioculturels du rŽgime, la notion du plaisir gourmand
vient sÕajouter dÕaprs Brillat-Savarin. Cette Žvolution sՎtend Žgalement au domaine
philosophique.
2.5 Nietzche et la volontŽ de puissance
A la mme pŽriode, Nietzsche fait de la nutrition une prŽoccupation philosophique.
Dans Ecce Homo il prŽcise quÕÇ il est une question qui mÕintŽresse tout autrement, et dont
le Ç salut de lÕhumanitŽ È dŽpend beaucoup plus que nÕimporte quelle ancienne subtilitŽ de
thŽologien : cÕest la question du rŽgime alimentaire È.
Il sÕinterroge : Ç conna”t-on les
effets moraux des aliments ? Existe-t-il une philosophie de la nutrition ? È1. Nietzsche
considre que la nutrition est une dŽterminante du comportement, et donc sÕaligne avec
Savarin ou Feuerbach2 dans la dŽfinition de lÕindividu en relation avec ce quÕil mange.
Nietzsche donne lÕexemple dÕun criminel en considŽrant quÕil sÕagit dÕun individu qui
exige Ç une intelligence mŽdicale, une bienveillance mŽdicale susceptible dÕintŽgrer le
savoir diŽtŽtique dans son mode dÕapprŽhension des cas È3. Le choix des aliments dÕaprs
Nietzsche, est acceptation dÕune nŽcessitŽ. Pour montrer cela, il analyse le rŽgime de
Cornaro dans Le CrŽpuscule des idoles. Il existerait dÕaprs Nietzsche une erreur entre
cause et effet, car ce nÕest pas le rŽgime que recommande Cornaro qui est ˆ lÕorigine de sa
longŽvitŽ, mais Ç lÕextraordinaire lenteur du mŽtabolisme, la faible consommation
ŽnergŽtique, Žtaient la cause de son rŽgime maigre. Il nՎtait pas libre de manger plus ou
moins, sa frugalitŽ nՎtait pas une libre dŽcision de son Ç libre arbitre È : il tombait malade
quand il mangeait davantage È. En effet, le choix des aliments est un choix rŽflŽchi, qui
tient compte de ce qui convient le mieux ˆ lÕorganisme, cÕest une nŽcessitŽ corporelle, et
non un choix arbitraire. La nutrition serait une expression de la Ç volontŽ de puissance È ˆ
savoir une tendance ˆ vouloir exprimer physiologiquement la force de lÕindividu. Pour un
organisme, comme lÕexemple donnŽ par Nietzsche, le protoplasme, sÕalimente :
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
F. Nietzsche, Le Gai savoir, Îuvres, Paris, Robert Lafont, 1993, II, p. 56.
Il Ç LÕhomme est ce quÕil mange È, dans Le Mystre du sacrifice, Paris, Stalker, 2008.
3
F. Nietzsche, Les Quatre Grandes Erreurs, Îuvres, Paris, Robert Lafont, 1993, II, p. 975; M. Onfray, Le
Ventre des philosophes, Critique de la raison diŽtŽtique, Paris, Grasset et Fasquelle, 1989, p. 99.
2
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Ç pour chercher quelque chose qui lui rŽsiste et non parce quÕil a faim. La faim nÕest pas un mobile
premier. SÕalimenter nÕa pas pour but de rŽtablir une perte, ce nÕest que plus tard, par la suite de la
division du travail, aprs la volontŽ de puissance eut appris ˆ suivre de tout autres chemins pour se
satisfaire, que le besoin dÕassimilation de lÕorganisme est rŽduit ˆ la faim, au besoin de compensation
pour ce qui a ŽtŽ perdu È.
Donc, ce qui intŽresse Nietzsche dans la question du rŽgime est le problme de la force.
Il affirme ainsi que
Ç Ce que lÕon appelle nutrition nÕest quÕune consŽquence, une application de cette volontŽ primitive
de devenir plus fort1. È
En effet, comment faire pour que cette nŽcessitŽ de donner des aliments ˆ lÕorganisme
devienne une force ou une vertu ? En tenant compte de la qualitŽ et de la quantitŽ des
aliments, rŽpond Nietzsche. Il critique lÕalimentation des hommes modernes qui Ç sÕentend
ˆ diriger bien de choses, et mme presque tout È. Pour lui, la mesure doit caractŽriser la
diŽtŽtique afin dÕajuster la nŽcessitŽ et lÕusage hygiŽnique. La diŽtŽtique ne doit pr™ner ni
lÕexcs (riz, pommes de terre), ni la carence (viandes), et comprendre certaines
prescriptions (alcools, excitants). CÕest pourquoi, Nietzsche critique le vŽgŽtŽrianisme, en
considŽrant que ce rŽgime donne des tres ŽpuisŽs par les lŽgumes.
Il convient ainsi de conclure quՈ la fin du XIXme sicle les nouvelles thŽories et
connaissances en mŽdecine, en physiologie et en chimie, en rupture avec la tradition
antique mŽdicale, permettent un discours scientifique sur lÕindividu ancrŽ sur une
conception quantitative de la Ç normalitŽ È. En consŽquence, une nouvelle relation de
lÕhomme ˆ lÕaliment se met en place dans la dimension mŽdico-biologique mais aussi dans
les dimensions sociale, affective et sensible. DŽsormais, lÕÇ homme normal È est lÕhomme
qui possde des caractŽristiques physiques, psychologiques et physiologiques dans des
valeurs moyennes. Dans ce cadre, dÕun point de vue biologique, la nutrition2 est une
fonction physiologique considŽrŽe comme normale qui peut subir des altŽrations, et
lÕaliment un carburant essentiel ˆ cette fonction. En dÕautres termes, lÕaliment nÕest plus
la matire qui permet dÕentretenir ce Ç feu de la chaleur vitale È. La nouvelle thŽorie
scientifique admet que la chaleur du corps provient du mŽtabolisme et de lÕoxydation des
aliments, qui sont des caractŽristiques de la matire mesurables et quantifiables. Autrement
dit, la nutrition est une fonction physiologique rattachŽe aux propriŽtŽs de la matire,
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
2
!
!
F. Nietzsche, La VolontŽ de Puissance, Paris, Librairie GŽnŽrale Franaise, 1991, p. 348.
Fonction que permet avoir un Ç Žtat nutritionnel È.
!
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!
soumise aux lois physiques dŽterminŽes et sŽparŽe des processus Ç psychologiques ou de
lՉmeÈ. Nous parlons alors dÕune nutrition scientifique. En effet, elle possde un objet
dՎtude fondŽ sur une thŽorie scientifique, mais qui ne lui est pas propre, elle fait partie de
la mŽdecine expŽrimentale et de la chimie biologique. Ainsi, la nutrition scientifique au
XIXme sicle nÕest pas une science autonome, elle est dŽpendante dÕautres sciences. Or,
malgrŽ ces avancŽes scientifiques dans les connaissances de la nutrition, les prescriptions
diŽtŽtiques restent obsoltes et ancrŽes dans les principes antiques au moins jusquÕau dŽbut
du XXme sicle, et cela dans le cadre de la mŽdecine hospitalire ou dans la pratique
mŽdicale courante. La notion de plaisir, avec le dŽveloppement de la gastronomie, vient
intŽgrer les critres de sŽlection dÕun rŽgime, confondant la raison mŽdicale avec la
gourmandise. Cependant, lÕalimentation dans le cadre clinique principalement ˆ lÕh™pital,
exclut toute notion sensible, en se limitant ˆ un sens purement mŽdical de la prŽvention ˆ
la thŽrapeutique. Certains mŽdecins considrent mme que certains aliments pourront avoir
des propriŽtŽs mŽdicamenteuses. Ainsi, ni la mŽthode expŽrimentale ni les progrs dans les
thŽories scientifiques ne permettront pas de dŽpasser ce dŽcalage entre connaissances
thŽoriques et pratique diŽtŽtique.
Est-ce quÕau XXme sicle, le feu pourra, pour reprendre lÕexpression de Bachelard,
Ç trouver sa science È1 et devenir dans lÕesprit scientifique un phŽnomne complexe qui
relve dÕune nouvelle science ?
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
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!
G. Bachelard, La psychanalyse du Feu. op.cit.,p. 73.
!
*'!
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CHAPITRE 3 : Le Nouvel Esprit Scientifique
Se questionner sur le statut ŽpistŽmologique de la nutrition, entre le dŽbut du XXme
sicle et aujourdÕhui, cÕest tenter de Ç saisir la pensŽe scientifique contemporaine dans sa
dialectique et en montrer ainsi la nouveautŽ essentielle È1. Nous avons montrŽ jusquÕici
que lÕhistoire de la nutrition Žtait Žtroitement liŽe ˆ lÕhistoire des sciences biologiques et ˆ
la mŽdicine. Il sÕagit maintenant de dŽfinir lÕunitŽ de la nutrition, ses mŽthodes et ses outils
conceptuels.
3.1 Le concept de nutriment au cÏur de la nutrition
Il convient de reprendre ici la dŽfinition de Ç concept È formulŽe par Canguilhem dans
La formation du concept de rŽflexe. Le concept renvoie ˆ une nomination ou ˆ un nom,
utilisŽ dans des terrains diffŽrents et qui prend des sens diffŽrents sans que sa vŽritŽ
premire soit altŽrŽe2. Notre thse est que la nutrition comme science sÕest constituŽe au
cours du XXme sicle ˆ partir de la dŽfinition biochimique du concept de nutriment et des
diverses interactions avec les sciences comme la gŽnŽtique, lÕimmunologie, la sociologie et
la pharmacologie. Nous pensons aussi que cela a permis le dŽveloppement de disciplines
scientifiques autonomes dans le domaine professionnel, donnant ainsi naissance au
diŽtŽticien.
LÕidŽe conceptuelle premire du nutriment, nous lÕavons identifiŽe dans la biologie
dÕAristote. En effet, pour Aristote il existe une substance extraite des aliments qui aprs
tre devenue sang, pourrait se transformer en un tout, composant de lÕorganisme. Il a fallu
attendre la RŽvolution chimique au XVIIIme sicle pour avoir une idŽe plus claire de
cette substance. En effet, le mot Ç nutriment È du latin Ç nutrimentum È ou nourriture a ŽtŽ
dŽfini en 1854 par le mŽdecin Lucien Corvisart comme :
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
G. Bachelard, Le Nouvel Esprit Scientifique, Paris, PUF, 1966, p. 14.
G. Canghuilhem, Ç La formation du concept de rŽflexe aux XVIIe et XVIIIŽ sicles È, dans Histoire des
Sciences, Paris, Vrin, 1994.
2
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Ç Substance alimentaire capable d'tre assimilŽe directement1.È
Il se diffŽrencie de lÕaliment par ses propriŽtŽs physiologiques.
Ç LÕaliment nÕest quÕune substance brute, dÕune qualitŽ toute infŽrieure ; par lui-mme, il nÕa
aucune propriŽtŽ pour entretenir la vie, il laisse pŽrir dÕinanition celui qui ne digre point ; lÕaliment
brut par la digestion acquiert tout ˆ coup une aptitude ˆ nourrir, ou si lÕon veut, ˆ faire vivre. LorsquÕil
a acquis cette propriŽtŽ ŽlevŽe, je lÕappelle nutriment. Le nutriment a, par lui-mme, la propriŽtŽ de
nourrir mme celui qui ne digre pas ; cÕest lÕaliment ayant acquis lÕaptitude vitale2. È
Le nutriment est ainsi le composant ultime qui est assimilŽ dans lÕorganisme. La
dŽfinition de 2013 de lÕAcadŽmie Franaise de MŽdecine, ne sՎloigne pas de cette
dernire dŽfinition :
Ç Composant alimentaire simple, qui ne nŽcessite pas de transformation chimique prŽalable pour tre
assimilŽ par lÕorganisme considŽrŽ, tels que les oses pour les glucides, les acides gras pour les lipides,
les acides aminŽs pour les protides, les substances minŽrales, les vitamines3. È
Or, depuis 1854 beaucoup dÕavancŽes ont ŽtŽ accomplies. En effet, la pŽriode de la
dŽcouverte biochimique de la plupart de nutriments se situe entre 1910 et 1940 et elle est
considŽrŽe comme lÕÇ åge dÕor de la recherche nutritionnelle È4. Ainsi, la dŽcouverte de la
premire vitamine, la B1, a dŽbutŽ en 1910 pour ensuite tre isolŽe en 1912 et la dernire,
la B12, en 19385. LÕimportance de cette pŽriode est due aussi ˆ la structuration du
mŽtabolisme intermŽdiaire en cycles, (en particulier le cycle de lÕurŽe et de lÕacide citrique
par Krebs) et ˆ la dŽcouverte des acides aminŽs essentiels et en gŽnŽral ˆ la notion de
Ç nutriment essentiel È6.
Il est important de souligner la place des protŽines comme
nutriment principal dans la construction de la nutrition comme science dÕaprs les travaux
du chimiste allemand Von Liebig. Il saisit l'importance de ce nutriment, en tant que
composŽ chimique qui accŽlre le dŽbut de la croissance des plantes, des animaux et des
humains. En consŽquence, les systmes alimentaires europŽens dominants ont ŽtŽ conus
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
L. Corvisart, Etudes sur les aliments et les nutriments, Paris, LabŽ, 1854, p. 41.
Ibid., p. 4.
3
Dictionnaire mŽdical en ligne de lÕAcadŽmie Nationale de MŽdecine 2013. http://dictionnaire.academiemedecine.fr/. ConsultŽ le 10 avril 2014.
4
K. Carpeniter, Ç Nutrition È dans, Dictionnaire de la pensŽe mŽdicale, D. Lecourt, Paris, PUF, 2004, p.
797.
5
On classifie les nutriments en macro (protŽines, glucides et lipides) o micronutriments (vitamines et
oligoŽlŽment.
6
Nutriment qui ne peut pas tre synthŽtisŽ de novo par lÕorganisme et qui doit tՐtre apportŽ par
lÕalimentation.
2
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pour mettre l'accent sur les protŽines animales. En 1953, McCollum dans A History of
Nutrition affirmait que:
Ç 1940É marks the achievement of the primary objectives set by pioneers in this field of study. They
sought to discovery what, in terms of chemical substances, constituted an adequate diet for man and
domestic animals, and that purpose was realized1. È
Ç LÕannŽe 1940 marque la rŽalisation des objectifs principaux fixŽ par des pionniers dans ce domaine
dՎtude. Ils ont cherchŽ ˆ dŽcouvrir ce qui, en termes de substances chimiques, constituait un rŽgime
adŽquat pour l'homme et les animaux domestiques, et ce but a ŽtŽ atteint. È
Connaissant le rŽgime adŽquat de la population, la nutrition devient du mme coup un
instrument politique. Le r™le de lÕEtat est dÕassurer la sŽcuritŽ alimentaire. On considre
que la moitiŽ de la croissance Žconomique au Royaume-Uni et d'autres pays d'Europe
occidentale entre 1790 et 1980 est attribuŽe ˆ l'amŽlioration de la nutrition de la
population, ainsi que d'autres mesures de la santŽ publique2. De ce fait la nutrition comme
science conduit ˆ la crŽation dÕune discipline paramŽdicale, la diŽtŽtique3. DÕabord, aux
Etats Unis en 1917, avec la crŽation de lÕAssociation AmŽricaine de DiŽtŽtique (ADA,
American DiŽtŽtique Association), en Grande Bretagne en 1924, puis en France en 1945.
Aux Etats Unis, la mission de lÕADA Žtait dÕaider le gouvernement ˆ mieux alimenter les
troupes sous la Premire Guerre mondiale. En France, la premire Žcole de diŽtŽtique a ŽtŽ
ouverte ˆ Paris en 1951 par des biochimistes, physiologistes et mŽdecins. Parmi eux le
Professeur Jean TrŽmolire qui considŽrait en 1964 la nutrition humaine comme la science
qui sert ˆ :
Ç - DŽfinir les standards ou besoins alimentaires
- DŽgager les facteurs nutritionnels des maladies
- DŽfinir les innocuitŽs et les qualitŽs des aliments
- Etudier comment une habitude alimentaire peut se modifier4.È
Ainsi est crŽŽ la discipline et, avec elle, apparaissent des professionnels spŽcialistes
appelŽs diŽtŽticiens qui sont considŽrŽs comme des Ç spŽcialistes en alimentation
rationnelle È.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
EV. McCollum, A History of Nutrition, Boston, Hougnton Mifflin Company,195, p.420.
G. Cannon, Ç The rise and fall of dietetics and of nutrition science, 4000 BCEÐ2000 CEÈ, Public Health
Nutrition, 2005, vol. 8, p.701Ð705.
3
Les Žtudes paramŽdicales de la diŽtŽique sont bac +2.
4
J. TrŽmolirs, Ç La nutrition humaine È, Tiers-Monde, 1964, tome 5, No 20, p. 795-814.
2
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LÕintŽrt de ce concept biochimique et physiologique de nutriment, au cours du XXme
sicle est qu'il sÕapplique ˆ de nouvelles sciences, en particulier, ˆ lÕimmunologie, la
pharmacologie, la gŽnŽtique et ˆ des sciences humaines comme la sociologie et
lÕanthropologie. LÕimportation de la notion de nutriment dans ces champs diffŽrents permet
dՎlargir le champ dÕapplication de la nutrition, mais aussi de caractŽriser et de limiter le
domaine propre de cette science. Autrement dit, le dŽveloppement des connaissances
scientifiques sur les nutriments a entra”nŽ lÕexploration de nouveaux domaines et la
construction de nouvelles mŽthodes. Cela a eu Žgalement pour effet de fixer des limites et
de dŽfinir la nutrition comme science et de rŽorganiser diffŽrentes disciplines ˆ lÕintŽrieur
de cette science. Il convient donc de retenir que le nutriment est un ŽlŽment unificateur de
la science de la nutrition.
3.2. La Nutrition Artificielle
LÕutilisation des nutriments a vŽcu une transformation essentielle au XXme sicle. Les
nutriments ne sont plus uniquement concernŽs par la diŽtŽtique, ou par un rŽgime
alimentaire par la bouche (ou voie orale), mais par voie artificielle. Cette voie artificielle
implique un geste invasif, ˆ savoir la pose dÕun cathŽter dans la voie parentŽrale ou
intraveineuse et la pose dÕune sonde (nasogastrique ou de gastrostomie) pour la voie
entŽrale. Cette technique est connue aujourdÕhui comme Ç nutrition artificielle È et son
application comme Ç support nutritionnel È ou Ç intervention nutritionnelle È1. LÕadjectif
Ç artificiel È ne fait plus uniquement rŽfŽrence ˆ une propriŽtŽ des aliments (celle rŽsultant
dÕune prŽparation culinaire) comme dans la mŽdecine hippocratique, mais ˆ la mŽthode
particulire dÕadministration des aliments. Les nutriments (macro et micronutriments)
administrŽs par voie artificielle sont obtenus aprs une production et une mise en forme
industrielle. La nŽcessitŽ de ce geste invasif ainsi que le statut du Ç soin È nutritionnel
posent des enjeux et questionnements Žthiques qui seront abordŽs dans la deuxime partie
de notre travail.
Cette pratique se justifie dŽs le dŽbut du XXme sicle avec lÕimpŽratif de nourrir les
malades hospitalisŽs et dՎviter la dŽnutrition et ses consŽquences. Si la relation entre
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
On trouve comme synonymes Çnutrition mŽdicaleÈ et Çintervention nutritionnelleÈ dans le Dictionnaire
mŽdical en ligne de lÕAcadŽmie Nationale de MŽdecine 2013. http://dictionnaire.academie-medecine.fr/.
ConsultŽ le 10 avril 2014.
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alimentation et la maladie est reconnue depuis lÕAntiquitŽ, cÕest en 1936 que Studley1
publie une analyse statistique quantifiant la relation entre perte de poids et mortalitŽ. Il
dŽmontre quÕune rŽduction de plus de 20 % du poids corporel rŽsulte en un taux de
mortalitŽ postopŽratoire de 33 %, pendant quÕun groupe de patients prŽsentant une perte de
poids de moins de 20 % a une mortalitŽ postopŽratoire de moins de 3 %. A partir des
annŽes soixante, le support nutritionnel permet dÕadministrer la totalitŽ des besoins en
nutriments aux malades qui ne peuvent plus se nourrir par voie naturelle. Point essentiel,
cela a permis, au mme titre que la dŽcouverte des antibiotiques, des anesthŽsiques ou les
avancŽes dans les soins en rŽanimation, de considŽrer le support nutritionnel comme une
des interventions rŽvolutionnaires qui amŽliorent la prise en charge chirurgicale2 mais
aussi mŽdicale des malades.
Le dŽveloppement de cette nouvelle technique dÕadministration de nutriments a pour
consŽquence un changement de statut du nutriment. DÕune part, il nÕest plus issu dÕune
production agroalimentaire et sa disponibilitŽ ne dŽpend plus de ces politiques. DÕautre
part, lÕadministration des nutriments dans le cadre clinique est considŽrŽe non seulement
comme un Ç soin È mais elle devient Žgalement une Ç thŽrapeutique È.
En consŽquence, ce nouveau statut de nutriment Ç artificiel È nous permet dÕidentifier
deux consŽquences ŽpistŽmologiques pour la nutrition :
a. La naissance dÕune discipline scientifique : la nutrition clinique.
b. LÕintroduction dÕun nouvel acteur : lÕindustrie pharmaceutique.
3.3 De la diŽtŽtique ˆ la nutrition clinique
La diŽtŽtique tel quÕelle Žtait conue dans lÕantiquitŽ comme Ç genre de vie È Žtait
fondamentalement Ç clinique È3. Cependant, aujourdÕhui, elle est dŽfinie comme une
science qui concerne :
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1
H.O. Studley, Ç Percentage of Weight Loss Basic indicator of surgical risk in patients with chronic peptic
ulcer È, JAMA, 1936, vol. 106, p. 458-460.
2
LH. Toledo-Pereyra, ÇSurgical revolutions È, J Invest Surg, 2008, vol. 21, p.165-8.
3
La notion de clinique a ŽvoluŽ dans le temps. A lÕorigine, la clinique (klinin: tre couchŽ) correspond ˆ la
pratique du mŽdecin au chevet du malade. La notion actuelle de clinique se situe au cÏur de lÕexercice
mŽdical et se rŽfre dÕune manire gŽnŽrale ˆ Ç lÕensemble des activitŽs mŽdicales en lien avec les patients È.
Pour Canguilhem, la clinique est la technique dÕobservation et de comprŽhension des normes non seulement
biologiques, mais aussi psychologiques et sociales du malade. C. Lefve, G. Barroux, La clinique, usage et
valeurs, Paris, Seli Arslan, 2008, p. 12.
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Ç la connaissance de la valeur nutritionnelle et nutritive des aliments et de leurs transformations lors
de la cuisson et de la conservation. Elle est ˆ la base de lՎtablissement des rŽgimes alimentaires
adaptŽs aux besoins des sujets sains ou malades 1. È
Autrement dit, la diŽtŽtique Žtudie les caractŽristiques chimiques des aliments (valeur
nutritive) et leur capacitŽ ˆ agir sur lՎtat nutritionnel (valeur nutritionnelle) et elle
comprend les techniques de prŽparation des aliments. Il sÕagit des connaissances
fondamentales pour la constitution des rŽgimes alimentaires. La diŽtŽtique concerne les
professionnels de la diŽtŽtique. Tel que nous lÕavons ŽtudiŽ, la crŽation des Žcoles de
diŽtŽtique rŽpond plus ˆ un besoin politique que mŽdico-biologique. Elle rŽpondait ˆ un
souci de santŽ publique. En effet, elle se trouve dans le prolongement des sciences telles
que la chimie, la biochimie et moins dans lÕessentialitŽ de la mŽdecine. Si la diŽtŽtique est
encore synonyme dÕhygine de vie, elle ne concerne que lÕutilisation du rŽgime
alimentaire, cÕest-dire lÕalimentation et les boissons. Dans le langage courant, la dite est
synonyme de rŽgime, ainsi Ç tre ˆ la dite È signifie manger moins ou manger
diffŽremment. Du point de vue de leur statut, les diŽtŽticiens sont des professionnels du
secteur paramŽdical (bac +2) qui rŽalisent des rŽgimes adaptŽs ˆ lՉge, au mode de vie, aux
gožts et ˆ l'Žtat de santŽ des personnes. Ils ne sont pas formŽs aux connaissances et aux
disciplines cliniques.
Nous considŽrons que la nutrition clinique sÕest dŽveloppŽe gr‰ce ˆ la nŽcessitŽ dÕun
retour2 ˆ la clinique, de lÕutilisation de la nutrition comme dŽterminant de la guŽrison et
cela gr‰ce ˆ une conception plus large des nutriments. Si la diŽtŽtique a comme point de
dŽpart le questionnement de la relation de lÕhomme ˆ lÕaliment, il ne sÕagit pas de
considŽrer la nutrition clinique comme un prolongement de la diŽtŽtique. CÕest le nouveau
statut du nutriment et les avancŽes dans les connaissances du mŽtabolisme qui ont
dŽterminŽ la naissance de la nutrition clinique. Il sÕagit du regard que le mŽdecin porte sur
lՎtroite relation entre maladie et malnutrition.
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1
Dictionnaire mŽdical de lÕAcadŽmie de mŽdecine, 2014.
Nous avons dŽcrit le dŽcalage entre les connaissances diŽtŽtiques et les avancŽs en mŽdecine au XIXme
sicle. Ensuite, nous avons identifiŽ le XIXme sicle, comme le moment dans lÕhistoire de la mŽdecine, o
les mŽdecins se sont dŽsintŽressŽs ˆ lÕalimentation de ses malades et ont reportŽ sa gestion aux
administrateurs. Ensuite, avec la crŽation des Žcoles de diŽtŽtique au cours du XXme sicle, elles ont essayŽ
de sÕoccuper de lÕalimentation dans ce cadre, mais la formation de ces professionnels nÕest toujours pas la
plus adaptŽe pour cela.
2
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La meilleure comprŽhension de la physiologie et la rŽponse mŽtabolique chez le malade
en situation de stress1, ont ŽtŽ dŽterminantes dans le dŽveloppement de la nutrition
artificielle. On identifie ainsi une prŽpondŽrance des voies mŽtaboliques de dŽgradation,
ou
Ç hypercatabolisme È
ou
un
ralentissement
des
voies
de
synthse
ou
Ç hypoanabolisme È chez ces malades. Ces modifications du mŽtabolisme vont,
quantitativement et qualitativement, modifier les besoins de nutriments de lÕhomme
malade en comparaison ˆ ceux de lÕhomme sain. Cela se traduit par des pertes importantes
de masse cellulaire (protŽines), autrement dit, par une altŽration de lՎtat nutritionnel, ce
qui empche une cicatrisation adŽquate, la dŽfense contre les infections, la synthse
dÕautres protŽines, etc. La nutrition a incorporŽ la relation nutriment Ð mŽtabolisme au
niveau tissulaire, cellulaire et molŽculaire pour mieux agir dans le cadre de la maladie.
En consŽquence il est nŽcessaire dÕadapter les besoins de nutriments aux situations
particulires de la maladie. Cela implique une adaptation quantitative et quantitative des
nutriments, mais aussi de la voie dÕadministration. En effet, certaines situations empchent
le malade de manger par la bouche, ou bien lÕutilisation du systme digestif totalement ou
partiellement est impossible. Cette situation amne ˆ placer une sonde au systme digestif
(nutrition entŽrale), ou ˆ placer un cathŽter dans une veine (nutrition parentŽrale), pour y
passer des solutions de macro et micro nutriments. Ces solutions sont prŽparŽes par les
pharmacies des h™pitaux ou de manire industrialisŽe et se prŽsentent sous forme de
poches prtes ˆ lÕemploi. Autrement dit la nutrition artificielle est moins une alimentation
quÕune nutrition. Est-ce que pour autant, on doit considŽrer uniquement les critres
mŽdico-biologiques et moins penser aux critres sociaux et affectifs ? Peut-on considŽrer
dÕun point de vue Žthique quÕil existe une diffŽrence entre lÕalimentation et la nutrition ?
Avant les annŽes cinquante, il Žtait impossible de nourrir quelqu'un uniquement par voie
parentŽrale, et si cela avait ŽtŽ possible cela aurait ŽtŽ en vain, car on considŽrait que les
malades ne devraient pas tre nourris les premiers jours de la maladie au risque de leur
nuire. Ici nous trouvons encore la persistance dÕun grand principe du rŽgime hippocratique,
ˆ savoir Žviter lÕalimentation au point fort de la maladie, parce que toute alimentation
accro”t les forces du mal. Cependant, la meilleure comprŽhension du mŽtabolisme et de ses
modifications chez les malades ont mis en Žvidence lÕimportance non seulement de couvrir
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1
Le stress mŽtabolique correspond aux situations particulires comme le malade en Žtat de sepsis, aprs
chirurgie, trauma ou souffrant du cancer, qui induisent modifications dans les voies mŽtaboliques
anaboliques (synthse) et cataboliques (dŽgradation). D.P. Cuthbertson, ÇThe Distribution of Nitrogen and
Sulphur in the Urine During Conditions of Increased Catabolism È, Biochem J, 1931, vol. 25, p. 235.
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les besoins de nutriments des malades mais aussi de restaurer les pertes induites par
lÕagression. Les facteurs qui participeront au dŽveloppement1 de la nutrition parentale sont,
dÕune part, lÕamŽlioration du point de vue chimique de la mise en forme et de la
composition des mŽlanges de nutriments, et dÕautre part, lÕamŽlioration des matŽriaux et
des techniques des sondes et cathŽters qui permettent dÕadministrer ses produits en limitant
les risques infectieux et mŽtabolique2. En Europe, le mŽdecin suŽdois Arvid Wretlind
dŽveloppe une solution des acides aminŽs et une autre de lipides, conduisant ˆ une
nutrition parentŽrale totale. Entre 1962 et les annŽes 90, on parle dÕune Ç hyper
alimentation È intraveineuse car on administre une nutrition parentŽrale avec une quantitŽ
dՎnergie bien importante. La nutrition parentŽrale a pris une large place et elle devient la
voie dÕutilisation privilŽgiŽe, mais le nombre important de complications et dÕeffets
secondaires, en partie liŽs aux quantitŽs importantes de calories (hypercalorique)
administrŽs, ont amenŽ dans les annŽes 80, ˆ se tourner vers Ç nutrition entŽrale È qui
utilise la voie digestive. Actuellement, lÕutilisation des calorimtres indirects et des
Žquations adaptŽes, permet de mesurer la dŽpense mŽtabolique de repos, ou de dŽterminer
la quantitŽ de calories nŽcessaires ˆ chaque malade, ce qui permet un apport de calories et
de nutriments adaptŽ. En consŽquence il nÕy a plus de place pour ÇlÕhyperalimentation È.
Il existe un consensus dans lÕidŽe que cÕest la voie digestive qui doit toujours tre utilisŽe
si cela est possible. La nutrition parentŽrale est utilisŽe, soit de manire complŽmentaire ˆ
la nutrition entŽrale (nutrition mixte) ou de manire exclusive (nutrition parentŽrale totale)
si la voie digestive est contre-indiquŽe.
La crŽation des sociŽtŽs scientifiques relatives ˆ la nutrition artificielle est une preuve
de la pertinence de ce sujet dans le domaine mŽdical. Elles ont un r™le important dans le
dŽveloppement scientifique et lՎducation en nutrition. En 1979, un an aprs la crŽation de
la SociŽtŽ AmŽricaine, un groupe de mŽdecins, chimistes et physiologistes, donne
naissance ˆ la SociŽtŽ EuropŽenne de Nutrition EntŽrale et ParentŽrale (ESPEN). Sa
mission est de promouvoir la diffusion de la connaissance et de ses applications dans le
domaine de la nutrition artificielle et depuis 2006 elle est Žlargie au domaine de la
Nutrition Clinique. En effet, la sociŽtŽ change son nom pour devenir la SociŽtŽ EuropŽenne
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
LÕhistoire de la nutrition artificielle nÕest pas rŽcente. Des tentatives dÕalimentation par voie artificielle sont
dŽcrites depuis le XVIIme sicle, aprs la dŽcouverte de la circulation sanguine, mais cÕest ˆ partir des
annŽes 1950 que ses techniques ont pu tre dŽveloppŽes.
2
SJ. Dudrick, ÇHistory of Pareneral NutritionÈ, Journal of the American College of Nutrition, 2009, vol. 28,
p. 243-251. E. Vinnars, F. Hammarqvist. Ç25th Arvid WretlindÕs Lecture ÐSilver anniversary, 25 years of
ESPEN, the history of NutritionÈ, Clinical Nutrition, 2004, vol. 23, p.955-962.
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de Nutrition Clinique et MŽtabolisme. Ce changement est pour nous une tentative dÕinclure
le champ de la nutrition artificielle dans une discipline bien prŽcise : La Nutrition Clinque.
A ce jour il nÕexiste pas une dŽfinition consensuelle, dans la communautŽ scientifique,
de cette discipline. ESPEN suggre une dŽfinition fondŽe sur lÕutilisation des nutriments
artificiels dans un spectre large de situations pathologiques. Toutefois, il est important de
noter que ce spectre est toujours en train de se dŽlimiter, car lÕidentification de la Nutrition
Clinique comme discipline est rŽcente. Ici nous considŽrons quÕil sÕagit dÕune discipline
scientifique autonome, qui concerne principalement la mŽdecine. Ainsi, la nutrition
clinique concerne lÕutilisation de la nutrition parentŽrale, la nutrition entŽrale mais aussi les
complŽments nutritionnels oraux et cela dans le cadre dÕune problŽmatique particulire : la
prŽvention et le traitement de toute altŽration de lՎtat nutritionnel autrement dit de la
malnutrition1 et les altŽrations du mŽtabolisme. La Nutrition Clinique a pour objectif
nourrir lÕhomme malade. Nous identifions ainsi un domaine particulier, ˆ savoir, Ç lՎtat
nutritionnel È, et un objet central ou Ç paradigmatique È2, la malnutrition. NŽanmoins,
nous identifions une difficultŽ : peut-on questionner la cohŽrence des connaissances
propres ˆ la nutrition, par lÕabsence de concrŽtisation de lÕindentification de l'objet de la
nutrition ˆ un Ç systme ou appareil structurŽ È? Canguilhem reconnaissait que le fait que
lÕimmunologie ait pu donner le nom de Ç systme È3 ˆ son objet, reprŽsente une garantie
de sa scientificitŽ et de la cohŽrence des rŽsultats de la recherche. 4 LÕobjet de la nutrition
est un Ç Žtat È qui correspond ˆ la somme des rŽponses des divers appareils, ˆ savoir,
digestif, circulatoire, respiratoire, cardiovasculaire, endocrinien, immunologique. Il sÕagit,
dÕune rŽponse Ç systŽmique È (systemic en anglais) ou gŽnŽralisŽe, reflet de lÕinteraction
et des Žchanges entre les nutriments et les systmes.
Dans lÕhistoire de la nutrition artificielle (ou du support nutritionnel) deux Žtapes sont
dŽcisives : les dŽbuts entre 1950 et 1990, o le but principal du support nutritionnel est,
dÕune part, de couvrir les besoins nutritionnels et ainsi de maintenir un bon Žtat nutritionnel
et, dÕautre part, de moduler la rŽponse mŽtabolique ˆ lÕagression et de prŽvenir ou de traiter
la dŽnutrition. Il y a une autre Žtape, ˆ partir des annŽes 905 au sein de laquelle lÕobjectif
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Malnutrition conue comme toute altŽration de lՎtat nutritionnel (surpoids, obŽsitŽ, dŽnutrition).
J. Gayon, Ç EpistŽmologie de la mŽdecine È, dans Dominique Lecourt (dir.) Dictionnaire de la pensŽe
mŽdicale, Paris, PUF, 2004, p. 430-439.
3
Systme signifiant Ç ensemble organisŽ È
4
Canguilhem, Etudes dÕhistoire et de philosophie des sciences, op. cit., p. 262.
5
On connait lÕimpact des travaux devenus classique, du britannique Sir David Cuthbertson des annŽes 40, sur
la rŽponse mŽtabolique aprs la chirurgie. Il dŽcrit une phase ebb ou anabolique et un phase flow ou
catabolique.
2
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du support nutritionnel devient plus large. En plus dÕavoir un effet sur les fonctions de la
nutrition, le support nutritionnel agit sur dÕautres fonctions comme, par exemple, le
systme immunitaire. Autrement dit, ˆ lÕobjectif dÕamŽliorer lՎtat nutritionnel est venue
sÕajouter la rŽduction des morbiditŽs (infectieuses) et de la mortalitŽ. Ce nÕest donc pas
uniquement la quantitŽ des nutriments et la voie utilisŽe qui concerne le support
nutritionnel, mais aussi la qualitŽ des nutriments utilisŽs. Celle-ci doit tre comprise ˆ
partir des notions dÕÇ immunonutriment È et Ç pharmaconutrition È qui permettront un
affinement des pratiques.
3.3.1 Le nutriment au-delˆ de la fonction de nutrition : lÕimmunonutriment
Le r™le traditionnel dÕun nutriment est dՐtre assimilŽ, autrement dit, de se transformer
en matire du corps. Cette transformation, qui implique des voies mŽtaboliques
biochimiques, permet au nutriment de maintenir lÕ Ç Žtat nutritionnel È. Ce dernier
correspond ˆ la relation entre lÕapport en nutriments et les dŽpenses et celle-ci se traduit
par une composition corporelle particulire, qui est mesurable par le poids et autres
techniques de mesure de la composition corporelle (ImpŽdance, DEXA, etc.). Ainsi, un
bon Žtat nutritionnel correspond ˆ lՎtat dÕhomŽostase ou Žquilibre et sÕassocie souvent ˆ
lՎtat de santŽ1. Autrement dit, un bon Žtat nutritionnel est une condition pour tre en
bonne santŽ ou atteindre le Ç bien-tre È. Au contraire, la malnutrition ou altŽration de
lՎtat nutritionnel, par excs (surpoids ou obŽsitŽ) ou par dŽfaut (dŽnutrition), correspond ˆ
un Žtat pathologique qui, en mme temps, peut prŽdisposer ˆ dÕautres maladies. Par
exemple, lÕobŽsitŽ est considŽrŽe comme facteur de risque cardiovasculaire, facteur
favorisant le dŽveloppement des cancers et reconnue comme une maladie depuis 1997 par
lÕOMS. Cette condition de Ç maladie È et les traitements dont on dispose aujourdÕhui ne
sont pas sans enjeux pour le malade et la sociŽtŽ. En effet, son statut en tant que
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
La notion de santŽ a ŽvoluŽ dans lÕhistoire de la mŽdecine. Depuis lÕantiquitŽ et jusquՈ XVIII sicle elle est
considŽrŽe soit comme un Žtat physique qui Ç rŽsulte de lՎquilibre et du mŽlange des qualitŽs constitutives
de lÕhomme È soit comme lՎtat rŽsultant de la capacitŽ de Ç faire les fonctions propres ˆ lÕhomme È. Avec la
dŽcouverte de la microbiologie, la santŽ fut dŽfinie comme l'absence de maladie. DÕaprs lÕOMS depuis
1946, la santŽ est moins un Žtat, et nÕest plus dŽfinie comme Žtant lÕabsence de maladie ou d'infirmitŽ.
DŽsormais, elle est dŽfinie comme un Ç Žtat de complet bien-tre physique, mental et social È. Autrement dit,
la santŽ est dÕaprs lÕOMS assimilŽe au bonheur, ce qui nÕest pas sans consŽquences ŽpistŽmologiques. Pour
les problmes ŽpistŽmologiques de la notion de maladie voir J. Gayon, Ç EpistŽmologie de la mŽdecine È,
dans Dominique Lecourt (dir.) Dictionnaire de la pensŽe mŽdicale, Paris, PUF, 2004, p. 430-439.
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Ç maladie È est toujours objet de controverses pour la communautŽ scientifique1, et cela
sera lÕobjet dÕune Žtude de cas dans la deuxime partie de ce travail.
La relation entre lՎtat nutritionnel et lՎtat de santŽ a ŽtŽ largement ŽtudiŽe. En
particulier, sa relation avec le systme immunitaire a ŽtŽ une prŽoccupation ds les
premiers dŽveloppements modernes de cette dernire science2. En effet, la nutrition est un
facteur modulateur majeur exogne du systme immune. De la relation entre systme
immunitaire et nutrition na”t le mot Ç immunonutriment È, qui a ŽtŽ dŽveloppŽ dans le
cadre du support nutritionnel dans les annŽes 90 ˆ partir de lՎtude de lÕeffet de certains
nutriments (la glutamine, lÕarginine, les nuclŽotides, les acides gras omega-3) sur
lÕintŽgritŽ de la muqueuse intestinale, la prŽvention de la translocation bactŽrienne et en
gŽnŽral leur effet sur
le systme immunitaire3. Ainsi, un immunonutriment est un
nutriment qui est capable dÕagir au-delˆ de la fonction nutritionnelle, sur la fonction
immunitaire et inflammatoire4. Son fondement se trouve dans la connaissance de la
relation du systme immunitaire et de lՎtat nutritionnel. Cette relation est bidirectionnelle,
certains mŽdiateurs immunitaires comme les cytokines, libŽrŽs en situation de stress
mŽtabolique (sepsis, chirurgie, trauma, maladie chronique, cancer), modifient la rŽgulation
du mŽtabolisme des nutriments et favorisent la dŽnutrition. A lÕinverse, lÕaltŽration du
statut nutritionnel peut altŽrer les capacitŽs fonctionnelles du systme immunitaire :
lÕimmunitŽ diminue en cas de dŽnutrition, dÕautant plus que le degrŽ de dŽnutrition est
important. Ces altŽrations du systme immunitaire ont pour consŽquence une augmentation
des comorbiditŽs associŽes ˆ la maladie, en particulier infectieuses ce qui peut entra”ner
une augmentation de la mortalitŽ.
Parmi les immunonutriments, il convient de mentionner la Glutamine, lÕacide aminŽ
libre le plus abondant dans lÕorganisme, le substrat ŽnergŽtique privilŽgiŽ des cellules
immunitaires et qui devient essentiel lors de lÕagression par la maladie. Exclue des
premires solutions des acides aminŽs pour la nutrition parentŽrale, car trop instable
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
D.L. Katz, ÇPerspective: Obesity is not a diseaseÈ, Nature, 2014, vol. 508.
LÕimmunologie sÕest constituŽe aprs 1930 comme une science biologique autonome qui Žtudie les
systmes de dŽfense des tres vivants contre les organismes pathognes, c'est-ˆ-dire susceptibles dÕinduire
des maladies, quÕil sÕagisse de micro-organismes (virus, bactŽries) ou de macro-organismes (macroparasites,
champignons). BS. Worthington, Ç A survey of nutritional-immunological interactionsÈ, Bull World Health
Organ, 1972, vol. 46, p.537-46. BS. Worthington, ÇEffect of nutritional status on immune phenomenaÈ, J Am
Diet Assoc, 1974, vol. 65, p.123-9. CA Mills, ÇBone marrow nutrition in relation to the phagocytic activity
of blood granulocytesÈ, Blood, 1949, vol. 4, p. 150-9.
3
On conna”t aujourdÕhui le role de lÕintestin dans les dŽfenses immunitaires.
4
S.A McClave, C.C. Lowen, H.L. Snider, Ç Immunonutrition and enteral hyperalimentation of critically ill
patientsÈ, Dig Dis Sci, 1992, vol. 37, p. 1153-61.
2
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chimiquement, elle devient un nutriment incontournable du support nutritionnel. Ses effets
ŽtudiŽs chez lÕanimal ont montrŽ quÕelle peut agir sur lÕimmunitŽ, sur diffŽrents fronts
comme, par exemple, lÕimmunitŽ innŽe et la protection de la translocation bactŽrienne lors
de la nutrition parentŽrale sur la rŽgulation de lÕaxe glutamine-glutathion (un important
antioxydant) et lÕexpression de protŽines de choc thermique. La glutamine a ŽtŽ une des
interventions nutritionnelles les plus ŽtudiŽes ces vingt dernires annŽes et si aujourdÕhui il
y a un consensus scientifique1 ˆ propos de ses bŽnŽfices cliniques sur une certaine
catŽgorie de malades (comme chez le patient en postopŽratoire ou en rŽanimation), cela nÕa
pas toujours ŽtŽ le cas. En effet, au cours de ces 20 annŽes de recherche, les Žtudes ont
montrŽ des rŽsultats souvent contradictoires2, entre les connaissances fondamentales et les
rŽsultats de son utilisation clinique, situation similaire ˆ celle des immunonutriments
comme lÕarginine ou les acides gras omŽga-trois3.
La raison de ces difficultŽs rŽside dans une question mŽthodologique.
Cela nous
intŽresse pour notre Žtude, car la mŽdecine suppose une pratique efficace, ayant fait ses
preuves et de moindre risque pour le malade. Or, en nutrition clinique, la pratique sÕest
souvent fondŽe sur lÕopinion des experts et en de nombreuses occasions sans preuves
scientifiques susceptibles de fonder ce raisonnement4. En effet, afin de dŽmontrer
lÕefficacitŽ du support nutritionnel, on a voulu initialement traduire les bŽnŽfices des
rŽsultats trouvŽs in vivo ou in vitro, ˆ la pratique clinique. Du coup, on a rŽalisŽ des Žtudes
cliniques (clinical trials) ds les annŽes 80 afin dՎvaluer lÕefficacitŽ du support
nutritionnel. Ensuite, cÕest lÕapproche de la mŽdecine basŽe sur le niveau de preuves ou
Evidence Base MŽdicine (EBM) qui sÕest appliquŽe. ConsidŽrŽe aujourdÕhui comme le
modle prŽdominant du raisonnement mŽdical, lÕEBM a pour fondement, un paradigme
empirique et lÕusage rigoureux de statistiques. Cela nÕest pas nouveau, dŽjˆ Cabanis aux
XIXme sicle prŽtendait que la mŽdecine pouvait avoir le mme statut que la physique,
cÕest-ˆ-dire, celui dÕune science exacte. Cela nÕest pas sans consŽquence du point de vue
ŽpistŽmologique et Žthique pour la nutrition. Peut-on appliquer cette mŽthodologie ˆ la
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
DÕaprs des meta-analyses rŽcents, en particuliers aprs: Qi-Hong Chen, Yi Yang, Hong-Li He, Jian-Feng
Xie, Shi-Xia Cai, Ai-Ran Liu, Hua-Ling Wang and Hai-Bo Qi, Ç The effect of glutamine therapy on
outcomes in critically ill patients: a meta-analysis of randomized controlled trialsÈ, Critical Care 2014, vol.
18, p. 436.
2
LՎtude REDOXS publiŽe en 2014 du Canadien DK. Heyland est un exemple qui montre que la glutamine
augmenterait la mortalitŽ. Cependant, la mŽthodologie de cette Žtude a ŽtŽ largement critiquŽe.
3
P. Singer, Ç Espen Guidelines on Parenteral Nutrition, Clinical Nutritrion È, Clinical Nutrition, 2009, vol.
28, p. 87.
4
Voir analyse du cas, de la deuxime partie de notre Žtude.
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nutrition clinique ? Est-ce une preuve que la mŽdecine sÕapproprie la pratique de la
nutrition ? Est-ce lˆ une recherche de lŽgitimitŽ ? Il sÕagit aussi de questionner la validitŽ
mŽthodologique de la recherche en nutrition clinique et ses enjeux Žthiques. Est-ce que
cela ne va pas dŽtourner dÕune approche holistique de la maladie ? Car dans une telle
approche, on fait lՎconomie dÕune rŽflexion sur la dimension intime, sociale,
psychologique et affective de lÕalimentation. Cela comporte-t-il un risque de nuisance
pour le patient ? Ces questions feront lÕobjet dՎtude dans la troisime partie de notre
rŽflexion. Cependant, il est important de rŽpondre ˆ une question prŽalable : est-il possible
dÕappliquer la EBM ˆ la nutrition? Quelles sont les consŽquences ŽpistŽmologiques et
Žthiques sur le plan de la prise en charge du patient ?
En prŽtendant dŽfinir une pratique de support nutritionnel fondŽe sur le niveau des
preuves, plusieurs difficultŽs techniques ont ŽtŽ identifiŽes lors des Žtudes cliniques1. Un
premier problme concerne les choix et le nombre des malades inclus. Les Žtudes qui ont
ŽvaluŽ les effets de la NP, NE ou dÕun immunonutriment ont ŽtŽ rŽalisŽes chez des patients
ayant des situations pathologiques diffŽrentes mais aussi diffŽrents Žtats nutritionnels
(dŽnutris et non dŽnutris). Par exemple, on Žtudie lÕeffet de la glutamine chez les malades
en postopŽratoire, sans tenir compte du type de postopŽratoire. Une chirurgie programmŽe
nÕa pas le mme effet sur le mŽtabolisme quÕune chirurgie non programmŽe. La rŽponse
mŽtabolique nÕest pas la mme et du coup lÕaltŽration du mŽtabolisme de la glutamine peut
varier et, par consŽquent, lÕeffet de lÕadministration de ce nutriment lors du support
nutritionnel. Ainsi, lÕabsence de sŽlection et dÕhomogŽnŽisation des patients ˆ lÕintŽrieur
des Žtudes amne ˆ des rŽsultats diffŽrents et peu fiables. Un second problme est que la
plupart des Žtudes incluent un nombre insuffisant de malades pour pouvoir vŽrifier une
hypothse (faible puissance statistique). En plus, ˆ lÕintŽrieur des mŽta-analyses, les Žtudes
sont comparŽes entre elles sans tenir compte du type de patient ŽtudiŽ. Du coup, les
conclusions formulŽes sont souvent erronŽes ou contradictoires, ce qui perturbe la pratique
de la nutrition clinique.
Une autre question mŽthodologique est le manque de spŽcificitŽ lors des Žtudes des
immunonutriments et lÕutilisation du placebo. En effet, ils ont souvent ŽtŽ ŽtudiŽs de
manire associŽe, comme cÕest le cas pour des solutions de nutrition entŽrale qui
mŽlangent, en plus de ces nutriments, les immunonutriments (par exemple arginine, acide
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
CA. Braunschweig, PM. Sheean, SJ. Peterson, Ç Examining the role of nutrition support and outcomes for
hospitalized patients: putting nutrition back in the study designÈ, J Am Diet Assoc, 2010, vol. 110, p.16461649.
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gras omŽga 3). En consŽquence, cela rend impossible lÕidentification du r™le de chacun de
ses nutriments et de ses possibles interactions1. Ils sont en plus comparŽs ˆ des placebos
non adaptŽs dÕun point de vue Žthique et scientifique. En gŽnŽral, soit il nÕy a pas de
placebo, ce qui pourrait correspondre ˆ une moindre voire ˆ une absence de nutrition, soit
ils sont comparŽs avec des placebo non adaptŽs biochimiquement (non iso calorique et non
iso azotŽ).
Ces erreurs mŽthodologiques dans la recherche ont non seulement posŽ des enjeux
Žthiques, mais elles ont Žgalement empchŽ une pratique clinique consensuelle. Nous
considŽrons quÕil est possible dÕappliquer lÕEBM ˆ la nutrition mais en tentant compte de
particularitŽs mŽthodologies et Žthiques propres ˆ la Nutrition. Pour rŽpondre, en partie, ˆ
cette difficultŽ mŽthodologique, une nouvelle approche scientifique est proposŽe : la
pharmaconutrition.
3.3.2 Une nouvelle approche : la pharmaconutrition
En 2005, une publication internationale propose explicitement la nŽcessitŽ dÕappliquer
une autre approche ˆ lՎtude des nutriments :
Çthe current paradigm of immunonutrition has failed to consistently demonstrate a beneficial effect of
key immunomodulating nutrients, and offers a timely solution through the new paradigm of
pharmaconutrition2.È
Ç Le paradigme actuel de lÕimmunonutrition n'a pas dŽmontrŽ un effet bŽnŽfique de nutriments
immunomodulateurs clŽs, et offre une solution par le nouveau paradigme de pharmaconutrition. È
Il sÕagit dՎtudier les caractŽristiques pharmacologiques des nutriments dÕune manire
individuelle, dissociŽes de la nutrition, mais aussi de les Žvaluer sur une population
homogne de patients, avec des Žtudes cliniques randomisŽes, contr™lŽes et menŽes de
manire rigoureuse. Nous pensons que la proposition de lÕauteur ne constitue pas un
vŽritable passage vers un nouveau paradigme, mais uniquement une application ˆ lՎtude
des nutriments dÕune mŽthodologie particulire, celle qui est appliquŽe aux mŽdicaments, ˆ
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
J.F. Pierre et al. Ç Pharmaconutrition review: physiological mechanismsÈ, JPEN J Parenter Enteral Nutr,
2013, vol. 37, p. 51S-65S.
2
D. Heyland, R. Dhaliwal, Ç Immunonutrition in the critically ill: from old approaches to new paradigmsÈ,
Intensive Care medicine, 2005, vol. 31, p. 501-503.
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savoir la pharmacologie1. Il ne sÕagit pas dÕun nouveau paradigme car la thŽorie qui fonde
les notions dÕimmunonutriment et de pharmaconutriment serait la mme : la capacitŽ dÕun
nutriment ˆ agir au-delˆ des fonctions nutritionnelles et avec un but guŽrisseur. Le
vŽritable nouveau paradigme serait la conception Žlargie de nutriment Ç artificielle È qui
permet le rapprochement entre immunologie et pharmacologie aux nutriments. Par la
pharmaconutrition, ce qui est en jeu, cÕest le rapprochement des nutriments aux
mŽdicaments. Avant dՎtudier les consŽquences ŽpistŽmologiques dÕune telle approche, il
est important dÕexpliciter le vocabulaire et la situation juridique des diffŽrents produits de
nutrition artificielle et des pharmaconutriments.
Le mot Ç pharmaconutrition È nÕest pas un mot reconnu par lÕAcadŽmie Franaise de
MŽdecine, mme si depuis 2002, il est mentionnŽ dans certaines publications scientifiques
franaises2 et internationales. NŽanmoins, ds les annŽes quatre-vingt surgissent les
concepts dÕalicament, aliment fonctionnel ou nutriceutique (nutriceutic) qui contiennent la
notion dÕaliment et de mŽdicament. Ils nÕont pas de statut dŽfini dans la lŽgislation
franaise. Selon le dictionnaire de lÕAcadŽmie franaise de MŽdecine, un nutriceutique est
un nŽologisme forgŽ ˆ partir de nutri et de ceutique et qui correspond ˆ :
Ç une substance ˆ laquelle on attribue des propriŽtŽs nutritives, pouvant Žventuellement contribuer ˆ
lÕalimentation, mais non enregistrŽe comme telle mme comme alimentation particulire, ni comme
mŽdicament. Un nutriceutique peut se prŽsenter sous une forme pharmaceutique (comprimŽ, gŽlule)3.È
Un aliment fonctionnel est un :
Ç Aliment appartenant ˆ lÕalimentation traditionnelle, cÕest-ˆ-dire ayant dŽmontrŽ son action
bienfaisante sur la santŽ par des sicles dÕempirisme, mais supposŽ avoir en outre des vertus
4
prophylactiques et/ou curatives sur certaines maladies chroniques . È
Contrairement au nutriceutique, lÕaliment fonctionnel garde son apparence dÕaliment
usuel. Au point de vue lŽgislatif, en France, il existe depuis 1905 une frontire absolue
entre le mŽdicament et lÕaliment, rŽgis par deux codes rŽglementaires et deux entitŽs
administratives totalement distinctes. DÕun c™tŽ, le Ministre de lÕAgriculture qui cadre les
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
La pharmacologie Žtudie les effets dÕune substance sur un organisme vivant. Elle met en Žvidence les
caractŽristiques spatio-temporelles de ces effets, leurs Žvolutions en fonction des doses, leur rŽversibilitŽ (ou
non) et tente dÕen comprendre les mŽcanismes.
2
X. Leverve, J.C. Preiser, Ç MŽtabolisme et nutrition en soins intensifs: de lÕutilisation la plus pertinente des
connaissances acquises aux dŽveloppement de nouveaux conceptsÈ, RŽanimation, 2002, vol. 11, p. 389-90.
3
AcadŽmie Nationale de MŽdecine, Dictionnaire de lÕacadŽmie de mŽdecine, 2016. ConsultŽ le 21 fŽvrier
2016. http://dictionnaire.academiemedecine.fr/?q=aliment%20fonctionnel
4
Ibid.
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lois alimentaires qui font partie du Code de la consommation. DÕun autre c™tŽ, le Ministre
de la SantŽ et ses directions dŽpartementales et rŽgionales qui encadrent les lois sur le
mŽdicament et sÕintgrent dans le Code de la santŽ publique et le Code de la sŽcuritŽ
sociale1. Cette dualitŽ franaise sÕest confirmŽe en 1999 par la crŽation de deux agences
nationales, lÕune consacrŽe ˆ la sŽcuritŽ des aliments (AFSSA) et lÕautre ˆ la sŽcuritŽ
sanitaire (AFSSPS). Les dŽbats parlementaires sur ces crŽations tŽmoignent de
lÕattachement franais au dualisme aliment/mŽdicament2. Par consŽquent, un mŽdicament
nÕest pas un aliment et un aliment nÕest pas un mŽdicament et, par principe, il nÕexiste
aucun autre produit en dehors de ces deux seules catŽgories. Par ailleurs, depuis 2006,
voulant donner un cadre lŽgislatif aux Ç supplŽments È nutritionnels lÕUnion EuropŽenne et
la France ont dŽfini les complŽments alimentaires comme des aliments dont le but est de
complŽter le rŽgime alimentaire normal. Ceux-ci constituent une source concentrŽe de
nutriments ou d'autres substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique. Mais les
complŽments alimentaires ne sont pas des mŽdicaments. La diffŽrence est quÕils
contribuent au Ç bien-tre È et non ˆ la guŽrison dÕune maladie.
Les pharmaconutriments, les produits de nutrition entŽrale et les complŽments oraux3
ont
le
statut
dÕAliments
DiŽtŽtiques
DestinŽs
ˆ
des
Fins
MŽdicales
SpŽciales (ADDFMS) ou Ç medical foods È en anglais. Ils sont appelŽs aussi Ç produits de
nutrition clinique È et se dŽfinissent selon les normes internationales nutritionnelles
comme:
Ç Aliments destinŽs ˆ une alimentation particulire qui sont spŽcialement traitŽs ou formulŽs pour
rŽpondre aux besoins nutritionnels de patients, constituant ainsi leur alimentation exclusive ou
partielle et dont : 1) les capacitŽs d'absorption, de digestion, d'assimilation, de mŽtabolisation ou
d'excrŽtion des aliments ordinaires ou de certains de leurs ingrŽdients ou mŽtabolites sont diminuŽes,
limitŽes ou perturbŽes 2) l'Žtat de santŽ appelle d'autres besoins nutritionnels particuliers qui ne
peuvent tre satisfaits par une modification du rŽgime alimentaire normal ou par un rŽgime constituŽ
4
d'aliments destinŽs ˆ une alimentation particulire ou par une combinaison des deux . È
Selon la lŽgislation franaise, il existe deux types dÕADDFMS, ˆ risque et sans risque
selon que le produit comporte un risque pour la santŽ lorsquÕil est consommŽ par des
personnes qui nÕont pas la pathologie, le trouble ou la maladie pour lesquels le produit est
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Aux Etats Unis une seule agence regroupe ces deux domaines : la FDA.
B. Kitous, Les Alicaments, enjeux et scŽnarios, Paris, editions ENSP, 2003, p. 26
3
A exception de Rentutryl et Cetronan, qui ont une AMM.
4
Code de la SantŽ Publique, http://www.codexalimentarius.org/codex-home/fr/. ANSES 2013, ArrtŽ du 20
septembre 2000 relatif aux aliments diŽtŽtiques destinŽs ˆ des fins mŽdicales spŽciales.
2
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prŽvu1. Les ADDFMS sont donc une catŽgorie d'aliments qui ne peuvent tre utilisŽs que
sous contr™le mŽdical et rŽgis par le contr™le et les exigences des mŽdicaments.
Ces produits sont dŽveloppŽs par lÕindustrie agroalimentaire et de plus en plus par
lÕindustrie pharmaceutique. Ils reprŽsentent un marchŽ, selon des chiffres de lÕEntreprises
de la nutrition clinique, de 234 millions dÕeuros de ventes en France en 2010 (40!800
tonnes), en hausse de 19 % par rapport ˆ 2008. En ce qui concerne les mŽlanges nutritifs
industrialisŽs ou poches de nutrition parentŽrale, ils disposent dÕune Autorisation de Mise
sur le MarchŽ (AMM) et sont considŽrŽs comme des mŽdicaments. Dans certains cas, la
nutrition parentŽrale doit sÕadapter aux cas des patients particuliers et elle peut tre
prŽparŽe dans les pharmacies des h™pitaux. Ainsi, les produits pour la prŽparation de ces
mŽlanges figurent sur la liste des mŽdicaments rŽtrocŽdables.
Ce cadre juridique prŽtend encadrer les pratiques mŽdicales et donner une protection
aux malades concernant les risques de lÕutilisation de ces produits. Or, ce rapprochement
entre aliment et mŽdicament et le contr™le mŽdical impliquent un vŽritable changement
ŽpistŽmologique. Dans lÕhistoire de la nutrition, ce rapprochement a ŽtŽ prŽsent ds Galien.
Preuve en est lÕaffirmation dÕun mŽdecin au XIXme sicle :
Ç Bien que le mot aliment soit pour tout le monde trs intelligible et paraisse avoir scientifiquement
une signification bien prŽcise, les diverses dŽfinitions proposŽes par les savants sont loin de
s'accorder. Les uns restreignent trop le sens de ce mot, en refusant le titre d'aliment aux matires
minŽrales; d'autres ne le limitent pas assez, en impliquant dans la mme catŽgorie certains
mŽdicaments et les aliments2. È
Pour la nutrition clinique, il sÕagit dÕune vŽritable fusion entre nutriment/aliment et
mŽdicament. Nous identifions trois consŽquences. Sur le plan scientifique, on confirme la
capacitŽ curative et prŽventive de la nutrition. A titre dÕexemple, les maladies mŽtaboliques
hŽrŽditaires impliquent des rŽgimes spŽciaux comportant des aliments de substitution
(ADDFMS) ou une alimentation artificielle. La dŽnutrition hospitalire3 peut tre ŽvitŽe
ou traitŽe dans la majoritŽ des cas par lÕutilisation opportune des complŽments ou de la
nutrition artificielle. Sur le plan Žthique, peut-on considŽrer les complŽments ou la
nutrition artificielle au moment o on a dŽcidŽ de lÕinitier ou de les arrter uniquement
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Il y a une Ç nutrivigilance È de la mme manire quÕil existe la pharmacovigilance.
J. Cyr, LÕAlimentation dans ses rapports avec la physiologie et la pathologie thŽrapeutique, Paris, JB
Baillre, 1869.
3
La prŽvalence de la dŽnutrition hospitalire est entre 30 et 50% chez les adultes hospitalisŽs et 13 % chez
les enfants au niveau global.
2
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comme un mŽdicament ? Autrement dit, ces qualitŽs peuvent-elles tre apprŽhendŽes
comme un carburant nŽcessaire au maintien de la vie et comme une molŽcule capable
dÕagir sur une telle ou telle maladie ? Nous allons Žtudier ces questionnements dans la
deuxime partie de notre Žtude.
Enfin sur le plan ŽpistŽmologique, deux consŽquences peuvent tre formulŽes. DÕune
part, la reconnaissance de la nutrition comme une discipline mŽdicale. En effet, elle est
dŽpendante des mŽdecins pour la formulation de la nutrition parentŽrale et les ADDFMS.
Cette discipline est reconnue en France dans le domaine universitaire depuis 1988 avec la
crŽation par le Conseil National des Universitaires de la sous-section Ç nutrition È. CÕest
alors une discipline faisant partie de la section MŽdecine, au mme titre que lÕanatomie, la
physiologie par exemple. Or, la nutrition nÕest pas reconnue par lÕOrdre des MŽdecins
comme une spŽcialitŽ dÕexercice, bien quÕelle sÕexerce auprs des malades en ville et ˆ
lÕh™pital1. Il existe depuis 1990 un DESC (Dipl™me d'Žtudes spŽcialisŽes complŽmentaires)
type 1 qualifiant, cÕest-ˆ-dire une formation complŽmentaire, et non une spŽcialitŽ
indŽpendante2. Cela se traduit par une difficultŽ : peu de mŽdecins formŽs en nutrition et
un manque de reconnaissance ˆ la spŽcificitŽ de cette spŽcialitŽ3. DÕautre part, le
rapprochement du nutriment et du mŽdicament doit permettre un Žlargissement de la notion
de nutriment, qui en plus dՐtre conu comme un Ç composant alimentaire simple È et
Ç qui ne nŽcessite pas de transformation chimique prŽalableÈ doit tre considŽrŽ comme un
composant alimentaire issu dÕune fabrication chimique industrielle4. Cette analyse nous
amne ˆ considŽrer une diversification et un Žlargissement des dŽfinitions du nutriment.
3.3.4 La nutrigŽnomique : le dŽpart dÕune nouvelle notion de nutriment
Le gŽnomique et la post-gŽnomique sont des disciplines nouvelles qui, en Žtudiant le
patrimoine chromosomique hŽrŽditaire et leur expression, ont permis une avancŽe
fondamentale pour lÕhomme en particulier, le dŽveloppement de la mŽdecine
personnalisŽe. LÕapplication des techniques propres ˆ ces disciplines dans le cadre de
lՎtude du nutriment contribue ˆ redŽfinir la notion de nutriment.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
E. Fontaine, Ç Lettre du prŽsident: ne dites pas ˆ ma mre que je suis nutritionniste, elle croit que je suis
mŽdecinÈ, Nutrition clinique et mŽtabolisme, 2014, vol. 28, p.1-2.
2
Au plan national, le brevet de technicien en diŽtŽtique a ŽtŽ crŽe en 1952. A ce jour il nÕexiste pas de DES
de nutrition pour les mŽdecins.
3
Ces particularitŽs seront ŽtudiŽes dans la troisime partie de notre Žtude.
4
Dictionnaire mŽdical en ligne de lÕAcadŽmie Nationale de MŽdecine 2013. http://dictionnaire.academiemedecine.fr/. ConsultŽ le 10 avril 2014.
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ÇThe new science of nutrigenomics teaches us what specific foods tell your genes. What you eat
directly determines the genetic messages your body receives. These messages, in turn, control all the
molecules that constitute your metabolism: the molecules that tell your body to burn calories or store
them. If you can learn the language of your genes and control the messages and instructions they give
your body and your metabolism, you can radically alter how food interacts with your body, lose
weight, and optimize your health1. È
ÇLa nouvelle science de la nutrigŽnomique nous enseigne ce que les aliments dit ˆ vos gnes. Ce que
vous mangez directement dŽtermine les messages gŽnŽtiques que votre corps reoit. Ces messages, ˆ
leur tour, contr™lent toutes les molŽcules qui constituent votre mŽtabolisme: les molŽcules qui
indiquent ˆ votre corps de bržler des calories ou de les stocker. Si vous pouvez apprendre la langue de
vos gnes et ˆ contr™ler les messages et les instructions qu'ils donnent ˆ votre corps et votre
mŽtabolisme, vous pouvez modifier radicalement la faon dont la nourriture interagit avec votre corps,
perdre du poids et amŽliorer votre santŽ. È
En effet, la nutrigŽnomique (ou la gŽnomique nutritionnelle) et la nutriprotŽomique (ou
protŽomique nutritionnel) sont considŽrŽes comme des branches distinctes et hautement
spŽcialisŽes de la mŽdecine personnalisŽe post-gŽnomique2. La nutrigenomique examine
lÕinteraction entre lÕaliment et le gŽnome dans la santŽ et la maladie, tandis que la
nutriprotŽomique englobe les interactions entre les nutriments et la traduction des
protŽines, lÕexpression et la modification ˆ l'Žchelle du protŽome humain. Ensemble, elles
offrent les avantages de la gŽnomique tels que la comprŽhension du r™le des facteurs
hŽrŽditaires par rapport ˆ l'effet des aliments tout en utilisant la protŽomique afin d'Žtudier
les produits de gnes au niveau de protŽine / protŽome. LÕobjectif ambitieux et partagŽ de
la nutrigŽnomique et de la nutriprotŽomique est de fournir des indications pour les rŽgimes
qui peuvent avoir un impact sur l'amŽlioration de la santŽ. A lÕheure actuelle, ces rŽgimes
personnalisŽs ou Ç nutrition personnalisŽe È sont au stade de la recherche, et on ne trouve
pas une application en pratique clinique, quoique certaines dŽmarches soient explorŽes3. La
nutrition personnalisŽe permettra, dÕune part, dÕoffrir un rŽgime individuel selon les gnes
de chacun, et dÕautre part, de sŽlectionner les pharmaconutriments les plus adaptŽs ˆ la
maladie ou ˆ une situation clinique particulire. CÕest un idŽal, certes, mais qui nÕest pas
bien loin de devenir effectif.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
M. Hyman, Ç Book on Ultra-metabolism: the simple plan for automatic weight loss È, New York: Atria
Books, 2006. p. 24.
2
NL. Bragazzi, ÇSituation Nutri-Ethics at the Junction of Nutrigenomics and Nutriproteomics in
Postgenomics Medecine È, Current Pharmacopenomics, 2013, vol. 11, p. 162-166.
3
A. Ronteltap, H.V. Trijp, A. Berezowska, and J.Goossens, Ç Nutrigenomics-based personalised nutritional
advice: in search of a usiness modelÈ, Genes & Nutrition, 2013, vol. 8, p. 153Ð163.
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DÕun point de vue ŽpistŽmologique, nous sommes face ˆ une notion Žlargie de
nutriment, qui en plus dՐtre conu comme un Ç Composant alimentaire simple, qui ne
nŽcessite pas de transformation chimique prŽalable pour tre assimilŽ par lÕorganisme
considŽrŽ È1 doit tre compris non seulement comme un composant alimentaire issue dÕune
fabrication chimique industrielle, mais aussi par sa capacitŽ ˆ interagir avec les gnes.
Cette nouvelle dŽfinition de nutriment permettra de comprendre lÕinteraction entre le
nutriment et lÕindividu. Ici surgit une question fondamentale : est-ce que la nutrigŽnomique
permettra de comprendre lÕidentitŽ biologique ?
2
En effet, si la fonction de nutrition est
une caractŽristique de tout tre vivant, autrement dit, de son unicitŽ, est-ce que, au moyen
de la nutrigŽnomique il devient possible de dŽfinir lÕindividualitŽ biologique ?
Nous avons Žtabli prŽcŽdemment que la nutrition Žtait lÕobjet de diffŽrentes thŽories de
la vie dans lÕhistoire des sciences. Or, lÕindividualitŽ biologique pose la question de la
description dÕun tre vivant particulier, c'est-ˆ-dire Ç quÕest-ce que cet tre vivant ?È.
LÕinteraction dÕun nutriment avec le gŽnome et la rŽponse que ce gŽnome peut donner ˆ
des nutriments diffŽrents pourra dŽfinir une des caractŽristiques de Ç tel È tre vivant, dÕun
tre vivant ˆ partir de sa seule singularitŽ.
Dans le cadre de notre Žtude, cette question est centrale car accepter et reconna”tre
lÕindividualitŽ biologique comme un axe fondamental pour comprendre le r™le des
nutriments dans la prŽvention et le traitement des maladies, pourrait sÕopposer aux
pratiques actuelles, qui appliquent au niveau individuel des recommandations
nutritionnelles identiques pour tous, recommandations issues de la santŽ publique (PNNS).
3.4 Le r™le de lÕindustrie
LÕindustrie pharmaceutique a ŽtŽ un facteur dŽterminant dans lՎvolution des produits
de support nutritionnel et donc dans le succs de la nutrition clinique. Les diffŽrents
nutriments nŽcessaires ˆ la nutrition parentŽrale et entŽrale peuvent tre administrŽs sous
forme de mŽlanges prts ˆ lÕutilisation, prŽparŽs et commercialisŽs par lÕindustrie
pharmaceutique. La prŽsence de ce nouvel acteur est incontournable pour ceux qui
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Dictionnaire mŽdical en ligne de lÕAcadŽmie Nationale de MŽdecine 2013. http://dictionnaire.academiemedecine.fr/. ConsultŽ le 10 avril 2014.
2
LÕindividualitŽ biologique dans la question centrale de lÕidentitŽ biologique, a ŽtŽ largement ŽtudiŽe par des
biologistes et philosophes. La thse de Thomas Pradeu a ŽtudiŽ la question de lÕidentitŽ biologique (unicitŽ et
individualitŽ) ds la perspective de lÕimmunologie. P. Tomas, Les limites du soi, Immunologie et identitŽ
biologique, Montreal, VRIN, 2010.
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pratiquent la nutrition clinique et elle est venue ajouter la dimension Žconomique ˆ la
rŽflexion sur cette pratique. Cette dimension est prŽsente ds les dŽbuts du support
nutritionnel et se fonde sur lÕargument central suivant : ne pas nourrir un patient cožte plus
cher que de le nourrir1. Car un malade qui ne se dŽnutrit pas ou qui rŽcupre son Žtat
nutritionnel est un malade qui va prŽsenter moins de complications, un sŽjour hospitalier
plus court et une meilleure qualitŽ de vie. En effet, le cožt Žconomique est un nouvel
aspect dont il faut tenir compte lors de lÕadministration du support nutritionnel. Ces
produits se sont constituŽs comme un vŽritable marchŽ avec des intŽrts financiers
importants et ils fonctionnent avec la mme logique de marchŽ que dÕautres mŽdicaments
ou que les produits dÕune autre industrie. LÕindustrie pharmaceutique doit vendre ses
produits et devenir rentable comme toute autre entreprise. Dans certains pays, lÕindustrie
pharmaceutique sÕest emparŽe dÕune partie substantielle de la recherche et de lՎducation
en nutrition clinique. Cela pose deux types dÕenjeux : des questions Žthiques concernant la
partialitŽ des rŽsultats de la recherche et de lÕacte prescriptif du mŽdecin. Deuximement,
les contraintes budgŽtaires hospitalires comme cela peut tre le cas en France, et
lÕaccessibilitŽ ˆ ces produits dans certains pays posent la question de lՎquitŽ. Le prix de
ces produits peut limiter son accs, et du coup limiter lÕaccs de nombreux individus ˆ un
support nutritionnel adŽquat. Ainsi, le facteur Žconomique et la notion dՎquitŽ viennent
sÕajouter aux discussions Žthiques liŽes ˆ la pratique de la nutrition clinique.
3.5 DiffŽrentes rationalitŽs de la nutrition
Au XXme sicle, la relation de lÕhomme ˆ lÕaliment a aussi ŽtŽ ŽvaluŽe sous diverses
dimensions qui diffrent du cadre mŽdico-biologique. Il sÕagit de regarder la nutrition
dÕaprs les rŽsultats des Žtudes dans dÕautres domaines, composŽes par dÕautres
mŽthodologies que les mŽdico-biologiques.
LÕaliment transformŽ dans lÕacte culinaire, caractŽrise lÕhomme, par quoi il se distingue
de la nature2. Cet acte devient ainsi un acte culturel. La question ici est de savoir quels sont
les raisons et les dŽterminants socioculturels du gožt et des choix alimentaires ? Comment
sont-ils modifiŽs ˆ lÕintŽrieur dÕun espace comme lÕh™pital ? Les travaux de
Pierre
Bourdieu ˆ propos de la Distinction dans les annŽes 70, considrent que le gožt et la
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
H.N. Tucker, SG. Miguel, Ç Cost containment through nutrition intervention È, Nutr Rev, 1996, vol. 54, p.
111-121.
2
C. LŽvi-Strauss, Ç Le cru et le cuit È, dans Mythologiques, Paris, Plon, 2009, II.
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consommation alimentaire ne dŽpendent pas uniquement dÕun facteur socio-Žconomique
(lՉge, le sexe, la religion, le milieu socioculturel), mais aussi :
Ç de lÕidŽe que chaque classe se fait du corps et des effets de la nourriture sur le corps1.È
Il y aurait ainsi des Ç gožts de luxe ou de libertŽ È et des Ç gožts de nŽcessitŽ È. Cela se
traduit, par exemple, par des prŽfŽrences des classes populaires par les aliments
nourrissants et Žconomiques et ˆ lÕopposŽ, la classe bourgeoise prŽfre des aliments
savoureux et sobres. Les aliments nourrissants et Žconomiques auront comme visŽe
davantage la force du corps (masculin) que la forme et les aliments sobres et savoureux, le
souci de santŽ. Ce cadre est particulier ˆ chaque sociŽtŽ, ce qui dŽtermine ainsi Ç un
modle alimentaire È2. LÕindustrialisation de lÕalimentation au XXme sicle a favorisŽ le
stockage, la disponibilitŽ et lÕabondance de nutriments, au moins dans la plupart des pays.
Du coup, les modles alimentaires actuels ont dŽplacŽ la question de la quantitŽ ˆ la qualitŽ
de lÕalimentation. La question de : Ç aurons-nous ˆ manger ? È par Ç que vais-je manger ? È
et aussi Ç avec qui on va manger ? È Le choix des aliments est alors un acte conscient,
rŽflŽchi qui structure les modles alimentaires. Ceux-ci sont catŽgorisŽs par rapport ˆ une
finalitŽ et une hiŽrarchisation de valeurs : gastronomiques, alimentaire, nutritionnelle. Des
rationalitŽs diffŽrentes se cachent derrire ces catŽgories : santŽ, convivialitŽ, socialitŽ,
esthŽtique plaisir. Les rationalitŽs sÕorganisent autour de la nourriture. Ainsi, un nutriment
plut™t quÕun autre, peut tre priorisŽ par une de ces catŽgories. Jean Pierre Poulain, dÕaprs
des Žtudes sociologiques rŽcentes, montre la complexitŽ de ces catŽgories et le fait que
malgrŽ le dŽcalage entre les normes et les pratiques, le Ç mangeur È dans aucun cas nÕagit
de faon irrationnelle3. Au-delˆ de cette dimension socio-culturelle, la cuisine et les repas
forgent les liens sociaux et familiaux. Les moments les plus affectifs dÕun individu se
ftent autour dÕune table. La convivialitŽ dÕun repas est un critre qui peut tre aussi
important que le critre gustatif ou Žconomique.
Dans le milieu hospitalier, les modles alimentaires sont transformŽs et dans certaines
situations dÕautres dimensions sont prises en compte. DÕune part, le patient est confrontŽ ˆ
un repas, prŽparŽ par un inconnu, servi par un soignant et avec une prŽsentation et un gožt
qui ne sont pas toujours appŽtissants. DÕautre part, le malade nÕa pas le choix de lÕaliment,
et il lui est interdit de profiter des aliments de lÕextŽrieur. La convivialitŽ peut tre
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
P. Bourdieu, La distinction, Paris, les Žditions de minuit, 1979, p. 210.
JP. Corbeaux, Ç Aurons-nous ˆ manger, que vais-je manger ? È dans Penser lÕalimentation, Paris, Privat,
2002.
3
JP. Corbeau, Penser lÕalimentation, entre imaginaire et rationalitŽ, Toulouse, Privat, 2002, p. 206.
2
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maintenue, ˆ condition dÕavoir lÕaccompagnement dÕun bon voisin de chambre. Ainsi,
manger au lit avec la famille peut signifier un moment convivial qui, momentanŽment,
Žchappe ˆ lÕinstitution hospitalire, et peut tre associŽ ˆ un signe prŽcurseur de guŽrison
ou de retour ˆ la normalitŽ1 annonciateur dÕune sortie prochaine. Au contraire, il peut sÕagir
aussi dÕun malade en fin de vie, et lui apporter un aliment, un repas, peut avoir une
connotation symbolique magique qui aurait pour but de tenter la guŽrison, ou simplement
une tentative de faire plaisir au mourant. Quoi quÕil en soit, manger ˆ lÕh™pital est peru
par les malades, plut™t comme un acte mŽdical, Ç on mange pour se soigner È.
Les autres
rationalitŽs restent secondaires.
Compte-tenu de ces ŽlŽments, sÕalimenter ˆ lÕh™pital par voie naturelle ou par support
nutritionnel est principalement un acte mŽdical. Les avancŽes de la mŽdecine les nouvelles
technologies, permettent de rŽaliser des chirurgies de plus en plus performantes, des soins
en rŽanimation de meilleure qualitŽ, une longŽvitŽ de plus en plus importante, tous des
facteurs qui mettent en jeu diffŽrentes dimensions dans la relation de lÕhomme ˆ lÕaliment.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
JP. Corbeau, Ç SÕalimenter ˆ lÕh™pital : les dimensions cachŽs de la comŽnsalitŽÈ, dans LÕappŽtit vient en
mangeant ! Histoire de lÕalimentation ˆ lÕh™pital XV-XX sicles. op.cit., p. 101.
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CONCLUSION
Interroger lՎtat actuel de la science de la nutrition, nous permet de conclure que la
nutrition est une science mais aussi un art, que sa pratique est indŽpendante dÕautres
sciences telles que la mŽdecine et la biologie. Nous dŽfinissions la nutrition comme la
science empirique qui Žtudie la relation de lÕhomme ˆ lÕaliment.
Elle est
fondamentalement biologique et Žtudie lÕensemble des procŽdŽs (y compris lÕacte
volontaire de lÕalimentation) par lesquels les individus utilisent les aliments pour trouver
un Žtat nutritionnel et assurer un Žtat adŽquat de santŽ. Ainsi Ç nutrition È et Ç nutrition
humaine È doivent tre diffŽrenciŽes par rapport ˆ la possibilitŽ dÕune nutrition animale ou
vŽgŽtale. En ce sens, une sociologie de la nutrition ou une nutrition publique sont
possibles, dans la mesure o les aspects sociologiques ou politiques de la nutrition
deviennent des objets dՎtude.
Un intŽrt particulier doit, cependant, tre portŽ ˆ la nutrition en tant que clinique. Il ne
sÕagit pas de la simple application des connaissances de la nutrition dans le domaine de la
Ç clinique È. CÕest le regard que porte le mŽdecin dÕaujourdÕhui sur la malnutrition et ses
possibilitŽs dÕagir avec des nutriments artificiels dans lՏre post-gŽnomique, qui constitue
cette discipline comme une entitŽ ˆ part entire. Cette discipline Žtudie la relation entre
santŽ/Žtat nutritionnel et maladie/ malnutrition et possde comme moyen propre, le support
nutritionnel. Le double statut du nutriment en tant quÕaliment et mŽdicament et, par
consŽquent, lՎmergence dÕun double statut du support nutritionnel comme un Ç soin È et
comme une Ç thŽrapeutique È, engendre des enjeux Žthiques essentiels pour la pratique de
la mŽdecine.
Ce dernier point est central car la distinction entre traitement et soin est en constante
tension dans la pratique de la nutrition. CÕest en ce sens que le questionnement sur le statut
ŽpistŽmologique de la nutrition nous amne ˆ questionner les enjeux mŽdico-biologiques,
mais aussi politiques et sociaux de la relation de lÕhomme ˆ lÕaliment.
Toutefois cette approche reste insuffisante dans la mesure o elle ne pose pas de normes
susceptibles de dŽfinir lÕusage de la nutrition dans une dimension Žthique. En effet, si
lՎpistŽmologie permet de constituer la nutrition comme science autonome, au croisement
dÕun questionnement multidisciplinaire, et la nutrition clinique comme une discipline ˆ part
entire, elle ne confre pas des critres nŽcessaires pour dŽcider dÕune action Žthique dans
le champ de la nutrition. Pour cette raison, une nouvelle difficultŽ se prŽsente : comment
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dŽterminer des critres et des normes qui puissent permettre ˆ la pratique mŽdicale de
rŽpondre aux questions Žthiques posŽes par la nutrition et sur lequel lՎpistŽmologie se
rŽvle insuffisante ? Ces difficultŽs ŽpistŽmologiques engagent des enjeux Žthiques quÕil
est nŽcessaire ˆ prŽsent dՎtudier.
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Deuxime partie
Les fondements et les enjeux Žthiques de la nutrition clinique
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INTRODUCTION
LÕanalyse ŽpistŽmologique de la nutrition nous permet dÕidentifier une discipline, la
nutrition clinique, fondŽe sur une nouvelle conception du nutriment. Cette discipline,
centrale en mŽdecine, se traduit par une pratique et une technique de soins qui est
aujourdÕhui en constante Žvolution. Elle sÕapplique de manire transversale, dans la
mesure o elle forge des relations Žtroites avec dÕautres disciplines telles que la
gŽriatrie, la cancŽrologie, la chirurgie, la mŽdecine de rŽanimation, lÕimmunologie et la
pharmacologie. De ce fait, lÕalimentation naturelle ou artificielle concerne des patients
de tous les ‰ges et des patients vulnŽrables, en fin de vie, ce qui implique des situations
cliniques aigu‘s, chroniques et souvent extrmes. Dans ce contexte, alimenter les
patients devient un soin mais aussi un acte thŽrapeutique, un traitement, soulevant des
enjeux Žthiques lorsquÕil est appliquŽ ˆ des situations particulires. Ainsi, lÕobjet de la
deuxime partie de notre rŽflexion est de rŽpondre ˆ la question suivante : quels sont les
fondements Žthiques de la nutrition dans la pratique clinique ? Il sÕagit de rendre compte
des thŽories et des principes moraux qui justifient rationnellement lÕapplication de
normes dans la pratique de la nutrition clinique. Cela permettra ensuite, dÕinterroger les
valeurs du soin et la constitution des normes universalisables possŽdant une vŽritable
lŽgitimitŽ dans le champ mŽdical.
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CHAPITRE 1
1.1 Le problme de la mŽthode en Žthique
LՎthique fait partie de la philosophie morale, mais lorsquÕelle est appliquŽe ˆ la
mŽdecine et aux sciences du vivant, elle semble recouvrir indiffŽremment Ç la
bioŽthique È et Ç lՎthique mŽdicale È1. Nous nous intŽressons ˆ ces deux champs de
lՎthique car, au-delˆ de leurs domaines dÕapplication qui sont souvent contigus, ils ont
aussi, dans certaines pratiques cliniques, des champs dÕapplication croisŽs. Cette
position se justifie par le fait que notre objectif en tant que mŽdecin est de mener une
analyse relative aux questionnements et aux enjeux Žthiques de la pratique
professionnelle de la nutrition clinique. Les interrogations Žthiques que nous allons
Žtudier concernent donc, en prioritŽ, la pratique mŽdicale, mme si la bioŽthique fait
intervenir une pluralitŽ d'acteurs et de disciplines.
LՎthique mŽdicale est la partie de lՎthique consacrŽe aux questions morales
relatives ˆ la pratique mŽdicale. Elle se rŽfre ˆ une Ç certaine forme de comportement
de la mŽdecine, au service du malade È 2. Autrement dit, elle concerne les usages et les
valeurs propres a la profession mŽdicale et repose sur la longue tradition du Serment
Hippocratique qui requiert lÕacceptation de certaines valeurs, principes et traits moraux
comme la compassion, la compŽtence et lÕautonomie. Elle couvre tout le champ
relationnel de la mŽdecine et ne concerne que les mŽdecins. Ces valeurs et principes
prennent forme dans les codes dŽontologiques ou dans dÕautres dŽclarations nationales
ou internationales.
Toutefois, la bioŽthique se prŽsente comme un ensemble de recherches, de discours
(monographies, revues spŽcialisŽes, etc.) et de pratiques (enseignement universitaire,
participation ˆ des comitŽs dՎthique, institutionnalisation de la bioŽthique, etc.), qui
permettent, ˆ partir de la description des faits scientifiques, biologiques et mŽdicaux,
dÕexaminer la licŽitŽ, le bien ou le mal, la valeur ou lÕabsence de valeur, de telle ou telle
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
2
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!
D. Sicard, LՃthique MŽdicale et la BioŽthique, Paris, PUF, 2009, p.3.
Ibid., p.4-5.
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intervention de lÕhomme sur lÕhomme1. Elle est aussi une entreprise thŽorique, une
analyse axiologique, qui prŽcde les dŽcisions et qui sÕaffirme comme un instrument de
dŽcision normative. La rŽflexion Žthique au sein de la bioŽthique est conduite dans des
sociŽtŽs dont le pluralisme des valeurs est reconnu, dans lesquelles le respect des droits
de lÕhomme est prioritaire, mais laisse chacun juger de la faon dont il doit mener sa
vie. Elle est aussi une pratique multidisciplinaire qui suppose le respect dÕune
mŽthodologie propre ˆ chaque discipline. Du coup, la bioŽthique convoque, pour ses
analyses, les sciences biologiques et mŽdicales mais aussi les sciences de lÕhomme, le
droit et la psychologie2.
Concernant sa visŽe normative, celle-ci se conoit de deux manires. En premier lieu,
comme une analyse Žthique plus rŽflexive et qui a comme objectif la clarification et
lÕexplication des enjeux Žthiques proprement dits. Sur ce point, notre analyse se propose
de cerner la question Žthique qui est en jeu, dÕindiquer les mŽthodes de rŽflexion, de
dŽgager les valeurs et les principes en cause, et de mettre en Žvidence les arguments
contradictoires3. En second lieu, comme une analyse Žthique de nature normative qui a
comme objectif de rŽpondre concrtement ˆ un problme spŽcifique et circonscrit. Elle
conduit donc ˆ une prise de dŽcision pratique ou ˆ une prise de position accompagnŽe
de recommandations prŽcises. Pour atteindre ces objectifs normatifs ou plus rŽflexifs,
deux mŽthodes sont frŽquemment utilisŽes : le principisme et la casuistique4. Ces
mŽthodes sont au cÏur des dŽbats philosophiques.
Nous sommes intŽressŽs ˆ ces deux mŽthodes, parce quÕelles partagent un point de vue
commun : elles reconnaissent la nŽcessitŽ de principes moraux et l'examen attentif des
cas afin de voir comment ces principes seront en mesure de sÕappliquer ˆ de nouvelles
situations. DÕaprs lÕanalyse de P. Cudney5, elles ne sont, en grande partie, que des
modalitŽs diffŽrentes de parler de la mme mŽthode qui consistent ˆ ajuster les
jugements considŽrŽs sur les principes (principisme) ou les maximes (casuistique) ˆ des
cas particuliers ou ˆ des questions moralement pertinentes.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
G. Hottois, MH. Parizeau, Les mots de la bioŽthique. Un vocabulaire encyclopŽdique, Bruxelles, De
Boeck UniversitŽ, 1993, p. 49-60.
2
G. Hottois, Ç BioŽthique È dans Nouvelle encyclopedie de bioŽthique, Bruxelles, De Boeck UniversitŽ,
2001, p. 126.
3
. MH. Parizeau, Ç BioŽthique È, dans Dictionnaire dՎthique et de philosophie morale, Paris, PUF, 2004,
p. 186.
4
Ibid.
5
P. Cudney, Ç What really separates casuistry from principlism in biomedical ethics È, Theor Med Bioeth,
2014, vol. 35, p. 205Ð229.
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1.1.1 Le principisme
Le principisme se fonde sur quatre principes :
1. le respect de lÕautonomie de la personne ;
2. le principe de non-malfaisance ;
3. le principe de bienfaisance ;
4. le principe de justice.
Dans ce cadre, les situations particulires et les conflits Žthiques dans le champ de la
pratique mŽdicale sont susceptibles dՐtre analysŽs dÕaprs leur application. Tom
Beauchamp et James Childress ont toujours soutenu que ces quatre principes
constituaient un cadre applicable globalement pour l'Žthique biomŽdicale. Cette
affirmation est fondŽe sur leur conviction que les principes de respect de l'autonomie, la
non-malfaisance, la bienfaisance et la justice constituent le cadre d'une Çmorale
communeÈ, cÕest-ˆ-dire dÕune collection de normes trs gŽnŽrales auxquelles tous ceux
qui traitent de la morale peuvent souscrire1. Chaque fois que l'un de ces principes est
pertinent pour un cas, cÕest parce qu'il se prŽsente comme une obligation prima facie
(i.e. de prime abord ou ˆ premire vue)2. Ces obligations sont prima facies en ce qu'elles
sont des obligations qui ne doivent tre remplies que si elles nÕentrent pas en conflit
avec d'autres obligations morales plus impŽratives.
Cependant, cet argumentaire butte contre la difficultŽ de dŽmontrer que les quatre
principes sont bel et bien au fondement de lՎthique et ainsi applicables ˆ l'Žchelle
universelle. En effet, il faut reconna”tre que ces principes sont dÕabord lÕexpression dÕun
contexte culturel particulier, celui de la pensŽe amŽricaine ou occidentale, ce qui
explique pourquoi certains auteurs en Europe pensent quÕil est plus pertinent de
formuler les interrogations en bioŽthique autour de la notion de vulnŽrabilitŽ et des
principes dÕautonomie, de dignitŽ et dÕintŽgritŽ. La considŽration dÕune morale
commune comme fondement du principisme pose du coup un problme indŽpassable,
au regard des considŽrations subjectives et ethnocentriques qui entrent en jeu. Certains
auteurs3 ont observŽ quÕaprs la publication de la 6me Ždition de Principles of
Biomedical Ethics, les auteurs ont tentŽ de confirmer la fondation de leur thŽorie sur une
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
TL. Beauchamp, JF. Childress, Principles of Biomedical Ethics. 7th edition. New York: Oxford
University Press, 2013, p. 416.
2
P. Cudney, Ç What really separates casuistry from principlism in biomedical ethicsÈ, op.cit., p. 205Ð229.
3
J.R. Karlsen, J.H Solbakk, Ç A waste of time: the problem of common morality in Principles of
Biomedical EthicsÈ, J Med Ethics, 2011, vol. 37, p.588-91.
!
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morale commune, dÕautant plus quÕil existait une tendance accrue ˆ conjuguer ces
principes avec ceux dÕune morale commune. Or, identifier la morale commune avec le
respect des rgles conduisent Beauchamp et Childress ˆ se mŽprendre sur la nature de la
morale commune en tant que telle. Ils fondent leur thŽorie sur des Ç sables mouvants au
lieu dÕune roche solide È1. En accord avec ce raisonnement, Beauchamp et Childress ont
suggŽrŽ que la question de savoir si les principes sont, en effet, partie prenante de la
morale commune, devrait tre lÕobjet d'Žtudes empiriques2. Nous avons donc cherchŽ ˆ
savoir sÕil y avait des Žtudes de ce type. LՎtude de Markus Christen et de ses
collaborateurs visait ˆ montrer, par une Žtude empirique, la relation entre les valeurs et
les principes moraux et non moraux qui dŽfinissent des orientations en mŽdecine. Ils ont
montrŽ que les principes de la bioŽthique, en particulier l'autonomie, nÕont quÕun faible
enracinement dans la morale commune. ComparŽs ˆ d'autres valeurs morales, les
principes ne semblent pas tre aussi ÇintŽgrŽsÈ ou intŽriorisŽes par les individus dans
leur pratique. Toutefois cela ne semble pas trs convaincant car lÕautonomie est devenue
une valeur de notre sociŽtŽ. NŽanmoins, ces auteurs affirment que cela ne pose pas de
difficultŽs quand les gens sont en mesure de sÕengager dans des processus dŽcisionnels
qui impliquent de l'effort et ˆ la rŽflexion. Dans de telles situations, les principes
peuvent servir de cadre utile et de moyens de justification morale dŽlibŽrŽe. En effet, les
dŽpenses d'effort cognitif sont, par exemple, plus probables dans des situations
favorables (prise de dŽcisions sans la pression du temps ou ˆ Ç faible charge mentale È).
Cependant, dans des situations limites comme lorsquÕil faut prendre des dŽcisions
rapidement avec une Ç charge mentale ŽlevŽe È, les individus sont davantage
susceptibles de compter sur un processus cognitif spontanŽ, et donc sur les valeurs qui
sont plus intŽriorisŽes et rapidement accessibles. Dans de telles situations, et dans la
mesure o les principes sont intŽgrŽs dans lÕesprit humain, ils sont moins susceptibles
d'affecter la prise de dŽcision.
Au-delˆ des questions sur lÕuniversalitŽ des principes et la morale commune, dÕautres
critiques sont possibles. DÕabord, les principes sont considŽrŽs comme trop vagues et
donc difficiles ˆ appliquer ˆ de nombreux cas particuliers. Ces principes doivent alors,
selon Beauchamp et Childress, tre ŽnoncŽs de manire plus explicite, par un processus
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid.
M. Christen, Ch. Ineichen, C. Tanner, ÇHow ÒmoralÓ are the principles of biomedical ethics? a crossdomain evaluation of the common morality hypothesisÈ, BMC Medical Ethics 2014, vol. 15, p.47.
2
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qu'ils appellent, dÕaprs Henry Richardson1, Ç spŽcification È. Ce processus ajoute du
contenu aux principes. Ainsi, par exemple, le principe qui prŽconise de Ç respecter
lÕautonomie È peut tre spŽcifiŽ par lÕexigence de Ç respecter l'autonomie des patients
en suivant leurs directives anticipŽes quand ils deviennent incompŽtents È. Il sÕagit ici
dÕapporter un contenu qui permet de guider lÕaction au lieu, simplement, de se limiter ˆ
une analyse de la signification du principe en question. Cela signifie donc que les
spŽcifications doivent tre dŽterminŽes par un processus rationnel de dŽlibŽration2.
Ensuite, lÕidŽe de savoir quel principe est plus important quÕun autre, est souvent
questionnŽe, sachant que les principes entrent en conflit d'une manire qui ne peut pas
tre rŽsolue par les Ç spŽcifications È existantes de l'un des principes. LՎquilibrage
(balancing and weighing) des principes est un autre ŽlŽment ˆ considŽrer. Le processus
d'Žquilibrage a pour visŽe la construction du raisonnement qui permet de soutenir quÕun
principe est prioritaire. Si la spŽcification concerne davantage la portŽe, lՎquilibrage
concerne davantage le poids et la force des normes. Enfin, la difficultŽ majeure quÕil est
possible de rencontrer lors de lÕapplication du principisme, est lÕabsence dÕun guide
pour lÕaction. Plus rigoureusement, il sÕagit de soutenir quÕil nÕexiste pas de thŽorie
morale qui permette de choisir quel principe doit primer sur les autres. DÕaprs les
dŽtracteurs du principisme comme J. Harris, cette mŽthode devient une Ç checklist È des
principes, et non une rŽflexion morale3. Sans guide pour lÕaction, le choix pourrait alors
se dŽfinir en fonction de nos prŽfŽrences et de notre culture. Toutefois, lors des conflits
Žthiques, sÕil est vrai quÕil existe des difficultŽs ˆ obtenir un consensus entre les acteurs
des soins sur la prioritŽ ˆ donner ˆ lÕun de ces principes, Beauchamp et Childress
proposent, pour dŽpasser cette impasse, les spŽcifications et lՎquilibrage, mais ils
recommandent aussi de confronter ces principes avec les thŽories Žthiques
dŽontologiques et consŽquentialistes4.
Compte-tenu de ces ŽlŽments, si le principisme reste lÕobjet de critiques et dÕanalyses
fondŽes sur la non-universalitŽ de principes et sur ces difficultŽs dÕapplication, ces
principes dÕaprs Raanan Gillon permettent nŽanmoins aux professionnels de santŽ,5 de
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
HS. Richardson, Ç Specifying, Balancing, and Interpreting Bioethical PrinciplesÓ, J Med Philos, 2000,
vol. 25 p. 285-307.
2
T. Beauchamp, J. Childress, Principles of Biomedical Ethics. op.cit., p 17.
3
J. Harris, Ç Not all babies should be kept alive as long as possible È, dans Principles of Health care
Ethics, Chichecter, John Wiley Sons, 1996, p. 319.
4
G. Hottois, Ç Principisme È, dans, Nouvelle encyclopŽdie de bioŽthique, op.cit. p. 663.
5
R. Gillon, Ç The four Principles Revisited a Reappraisal È, dans Principles of Healthcare ethics, op.cit.,
p. 320.
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sÕapproprier une mŽthode de rŽflexion Žthique, et au grand public, dÕaborder les
multiples questionnements suscitŽs par lՎvolution des pratiques biomŽdicales. En
consŽquence, le choix du principisme comme mŽthode pour notre Žtude sÕexplique par
sa pertinence mŽthodologique pour atteindre notre objectif : mener une rŽflexion ˆ
propos des questionnements Žthiques autour de la nutrition clinique, formuler les
interrogations et indiquer le positionnement du mŽdecin. Elle sÕexplique aussi par le
constat suivant lequel cette mŽthode est largement utilisŽe dans la littŽrature
internationale concernant notre sujet. Afin de tenir compte des diffŽrentes particularitŽs
de la pratique dans le domaine de la nutrition clinique, nous avons choisi de mener la
rŽflexion ˆ lÕaide de cas cliniques.
1.1.2 La casuistique
La casuistique est une mŽthode pour interprŽter et rŽsoudre les problmes moraux.
Elle se concentre sur les circonstances des cas particuliers et concerne :
Ç Une analyse et une Žlaboration mŽthodique de cas concrets, rŽels ou fictifs, visant ˆ dŽterminer
la conduite ˆ adopter tenant compte ˆ la fois des rgles gŽnŽrales concernŽes par le cas considŽrŽ et
des particularitŽs de celui-ci1.È
Autrement dit, il sÕagit dÕun processus de dŽcision morale en accord avec la nature
du champ dans lequel sÕinscrit la problŽmatique Žthique. Elle a pour visŽe, comme le
principisme, de guider la prise de dŽcision dans des cas complexes, mais elle se veut
plus attentive aux aspects individuels, contextuels et vŽcus des cas et des situations qui
pourraient tre en gŽnŽral sous-estimŽs par le principisme.
Dans les pays francophones, la casuistique dans le cadre de la bioŽthique dŽsigne le
travail de rŽflexion qui procde par analyse de cas. Elle recouvre de faon globale le
travail, par exemple, des comitŽs et commissions de bioŽthique. Cette mŽthode vise,
selon la perspective de P. RicÏur, ˆ lÕexercice dÕune sagesse pratique de morale en
situation2. Cette mŽthode est critiquŽe principalement parce quÕelle favorise des
raisonnements moraux Žclectiques plut™t que lՎtablissement dÕune conception
philosophique cohŽrente. Dans le cadre de notre thse, cette mŽthode est pertinente, en
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
ML. Delfosse, Ç Casuistique È dans Nouvelle encyclopŽdie de bioŽthique : mŽdecine, environnement,
biotechnologie, Bruxelles, De Boeck UniversitŽ, 2001, p. 159.
2
P. RicÏur, Ç Les trois niveaux du jugement mŽdical È, dans Le Juste 2, Paris, Le Seuil, 2001, p. 227243.
!
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raison de lÕattention quÕelle porte ˆ la singularitŽ des situations. Elle ne constitue pas en
soi une alternative exclusive, mais elle se rŽvle complŽmentaire avec le principisme.
La casuistique se rŽfre aussi ˆ la mŽthode de comparaison des cas rŽels avec des cas
paradigmatiques. Les principaux promoteurs de la casuistique contemporaine sont
Jonsen Albert et Stephen Toulmin qui la dŽfinissent par trois aspects1. Premirement, la
morphologie, qui constitue lՎtude de la structure du cas. Elle est dŽfinie par
lÕinteraction entre les circonstances (description du cas) et les maximes (affirmations
morales largement reconnues) auxquelles sÕajoute la structure de lÕargument moral
pertinent pour le cas ŽtudiŽ. Deuximement, la taxonomie qui identifie les types de cas
problŽmatiques qui se trouvent ainsi situŽs dans la sŽrie des cas semblables. A partir
des diffŽrences entre le cas particulier et le cas paradigmatique, cette mŽthode permet de
porter sur le premier un jugement moral qui est fondŽ sur la manire dont les
circonstances et les maximes apparaissent dans la morphologie du cas lui-mme et en
comparaison avec des cas semblables. Troisimement, la cinŽtique qui est le
mouvement dÕun jugement moral dÕun cas ˆ un autre cas. Il sÕagit dÕun
Ç dŽplacement qui sÕopre dans le jugement moral entre le cas paradigmatique et les cas analogues
de sorte quÕau jugement nŽgatif portŽ sur le cas paradigmatique peut se substituer un plus nuancŽ
sur le cas particulier2 .È
La casuistique permet dÕobtenir des rgles ou des maximes considŽrŽes comme
gŽnŽrales, non universelles ou invariantes, puisquÕelles ne sont tenues pour bonnes avec
certitude que dans les conditions typiques de lÕagent et dans les circonstances de
lÕaction.
Il est important de souligner deux caractŽristiques particulires inhŽrentes ˆ notre
rŽflexion. En premier lieu, le champ de notre Žtude est celui de la clinique, ˆ savoir celui
de lÕensemble des activitŽs mŽdicales qui relvent de lÕalimentation en lien avec les
patients.3 Ceci comporte une circonstance initiale, la souffrance humaine, et une
dimension pratique, celle de soigner ou de guŽrir. A cet Žgard, Paul RicÏur souligne
que la caractŽristique des jugements concernant une prise de dŽcision thŽrapeutique
(clinique) est quÕelle relve de trois niveaux diffŽrents. Le premier niveau est appelŽ
Ç prudentiel È au sein duquel la facultŽ de jugement est Ç appliquŽe ˆ des situations
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
ML. Delfosse, ÒCasuistiqueÓ dans Nouvelle encyclopŽdie de bioŽthique : mŽdecine, environnement,
biotechnologie, op.cit. , p. 159.
2
Ibid.
3
C. Lefve, G. Barroux, La clinique, usage et valeurs, Paris, Seli Arslan, 2008, p. 12.
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singulires o un patient individuel est placŽ dans une relation interpersonnelle avec un
mŽdecin individuel È 1. Le deuxime niveau est appelŽ Ç dŽontologique È dans la mesure
o les jugements vont au-delˆ de la singularitŽ de la relation mŽdecin-patient et
sÕexpriment dans les Ç codes dŽontologiques È. Le troisime niveau, appelŽ
Ç tŽlŽologique È, renvoie aux jugements de type rŽflexif appliquŽs ˆ la tentative de
lŽgitimation des jugements prŽcŽdents : il sÕagit de choix de sociŽtŽs. Cette
approximation par trois niveaux de jugement permet de donner une dimension plus
large ˆ lÕopŽrationnalitŽ des interrogations Žthiques et ˆ lÕapplication des principes. En
effet, la mŽthode du principisme sÕapplique aux trois niveaux de jugement.
En deuxime lieu, notre rŽflexion Žthique aura comme objectif prioritaire la
clarification et lÕexplication des enjeux Žthiques proprement dits. Pour cela, notre
rŽflexion nous permettra de :
1. Cerner la question Žthique centrale en jeu correspondant ˆ chaque cas.
2. Indiquer les mŽthodes de rŽflexion qui rendront possible la rŽflexion.
3. DŽgager les valeurs et les principes en cause, et mettre en Žvidence les
arguments contradictoires.
4. Questionner en particulier le positionnement des mŽdecins face aux
interrogations Žthiques dans la nutrition clinique.
Autrement dit, il sÕagit dÕidentifier les fondements et les enjeux Žthiques propres ˆ la
nutrition clinique.
1.1.3 Le choix de cas
Nous avons choisi quatre cas qui invitent ˆ une rŽflexion Žthique autour de la
pratique de la nutrition clinique. Il sÕagit de cas fictifs qui serviront de modle dՎtude
pour conduire la rŽflexion Žthique. Ces cas sont extraits du programme Life Long
Learning (LLL) program in Clinical Nutrition and MŽtabolisme, de la SociŽtŽ
EuropŽenne de Nutrition Clinque et MŽtabolisme (ESPEN)2. Ce sont des cas cliniques
qui pourraient avoir lieu dans tout h™pital ou au sein de la pratique mŽdicale en France
mais aussi ˆ lՎtranger. Ils ont pour but de former les mŽdecins et les spŽcialistes de la
santŽ dans le domaine technique et scientifique de la nutrition clinique. Ces cas
cliniques sont prŽsentŽs ˆ la fin de chaque module dÕapprentissage du programme LLL
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
2
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P. RicÏur, Ç Les trois niveaux du jugement mŽdicale È, op. cit., p. 227-243.
Site web de lÕESPEN : http://www.espen.org/education/lll-programme
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et sont sensŽs mettre en pratique les connaissances scientifiques acquises. Les cas ne
traitent que les aspects pratiques de la discipline et nÕabordent pas la rŽflexion Žthique.
Nous proposons donc de dŽpasser la problŽmatique purement biologique et
thŽrapeutique et dÕidentifier la nature Žthique des problmes sous-jacents ˆ ces cas. Par
consŽquent, pour rŽaliser une analyse des enjeux Žthiques, ces cas se rŽvlent
reprŽsentatifs de la pratique de cette discipline.
Dans ce cadre de rŽflexion, les cas choisis correspondent ˆ des situations cliniques
qui permettront de rŽpondre ˆ nos objectifs. Le premier cas, concernant M. Dn, pose la
question des consŽquences Žthiques relatives ˆ lÕabsence de diagnostic de la dŽnutrition.
La dŽnutrition clinique est, en effet, une situation de haute prŽvalence en France et au
niveau mondial, et cela malgrŽ la connaissance scientifique ˆ propos des effets nŽfastes
de la dŽnutrition et des effets bŽnŽfiques des soins nutritionnels. En effet, dÕune part, il a
ŽtŽ dŽmontrŽ aujourdÕhui que la dŽnutrition a un impact sur lÕaugmentation de
comorbiditŽs, de la mortalitŽ, du sŽjour ˆ lÕh™pital, des cožts de prise en charge et sur la
diminution de la qualitŽ de vie. DÕautre part, elle a un impact clinique sur la qualitŽ de
vie et sur les cožts des soins nutritionnels. Pourtant, la dŽnutrition est frŽquente.
Les cas numŽro 2 et numŽro 3 concernent les soins nutritionnels. Ils visent ˆ dŽgager
les enjeux Žthiques du support nutritionnel, particulirement de la nutrition orale (NO),
entŽrale (NE) et la nutrition parentŽrale (NP). Le cas n¡. 2 sÕintŽresse ˆ la nutrition dans
le cadre des maladies chroniques et le cas n¡. 3 concerne une situation particulire : la
prise en charge nutritionnelle chez un patient atteint de dŽmence. Les enjeux Žthiques
identifiŽs dans ces cas concernent trois questionnements : premirement, ils interrogent
le statut du support nutritionnel (NO, NE et NP), ˆ savoir, les consŽquences Žthiques du
double statut en tant que Ç soin È et Ç thŽrapeutique È. Deuximement, ils mettent en jeu
la question du droit ˆ lÕalimentation au sein dÕune rŽflexion sur lՎthique en nutrition
clinique. Autrement dit, il sÕagit de savoir comment ce droit peut influencer les
dŽcisions dans la prise en charge nutritionnelle. Troisimement, il sÕagit dÕapprŽhender
le sens du support nutritionnel, plus prŽcisŽment, de considŽrer outre lÕeffet mŽdicobiologique, les raisons pour lesquelles on nourrit un patient atteint de dŽmence. Faut-il
considŽrer le patient comme un simple corps ou une personne dans son ensemble ? Qui
dŽcide de lÕalimentation, le malade ou les soignants ? LÕenjeu de ce questionnement est
donc dՎvaluer la place de la nutrition dans la prŽservation de la dignitŽ humaine.
Le cas n¡. 4 concerne un malade atteint dÕobŽsitŽ sŽvre ne rŽpondant pas au
traitement diŽtŽtique et pouvant donc tre candidat ˆ la chirurgie bariatrique. Ici, le but
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visŽ est de dŽgager les difficultŽs concernant lÕalimentation dans le cadre dÕune maladie
chronique et dÕidentifier les questionnements Žthiques autour de la chirurgie bariatrique.
LÕenjeu est de questionner les limites de certaines pratiques dans le domaine de la
nutrition.
Enfin, la question de lÕarrt du support nutritionnel en soins palliatifs ne sera pas
abordŽe par un cas clinique. Les cours du LLL ne disposent pas dÕun tel cas. Nous
souhaitons interroger au moyen dÕune revue de littŽrature lÕattitude et le positionnement
Žthique des mŽdecins devant cette pratique. Il sÕagit de savoir comment les mŽdecins
abordent cette pratique dans ce contexte particulier : nourrir lÕhomme malade lorsquÕil
nÕexiste plus de traitement pour guŽrir la personne1. En effet, lÕaliment dans ce contexte
devient un objet de dŽbat pour le patient, la famille, lÕentourage et le soignant.
Comment et qui dŽcide dÕarrter lÕalimentation ? Quels sont les enjeux Žthiques dÕune
telle dŽcision ? Cet examen nous permettra de faire aussi le point de la lŽgislation en
France et la position particulire des mŽdecins ˆ propos de lÕalimentation et
lÕhydratation en fin de vie.
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1
Nous allons nous limiter aux adultes car en nŽonatologie les dŽcisions en fin de vie sont diffŽrentes en
ce qui concerne lÕarrt de la nutrition et lÕhydratation artificielles. Ce derniers sont dÕavantage considres
comme un soin, difficilement indissociable du lien de parentalitŽ et cela malgrŽ le cadre lŽgal que la loi
Leonetti impose.
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CHAPITRE 2 : Etudes de cas
2.1 Cas No. 1 : Les enjeux Žthiques autour du diagnostic de lՎtat nutritionnel
CAS No 11.
Le cas de Monsieur Dn
-
Patient Dn de sexe masculin, ‰gŽ de 71 ans a ŽtŽ admis ˆ lÕh™pital pour la
premire fois en raison de fivre (38,5 ¡C), dyspnŽe et tachycardie. Une
broncho-pneumonie gauche d'aspiration est diagnostiquŽe ˆ la radiographie.
Trois mois avant l'admission, il souffrait de douleurs dans la rŽgion Žpigastrique.
Une Ïsophagite par reflux a ŽtŽ diagnostiquŽe par endoscopie. Le patient a reu
un inhibiteur de la pompe ˆ protons, avec un effet clinique partiel. Cependant, au
cours des trois derniers mois, il a perdu 8 kg de poids corporel. La semaine
dernire, il Žtait incapable de manger des aliments solides et il pouvait boire
seulement des liquides. A lÕadmission, son poids corporel est de 78 kg, taille 178
cm, IMC ˆ 24,6 kg/m2.
Avant de rŽpondre aux questions Žthiques que soulve ce cas, il est important
dՎtudier lÕampleur et lÕimpact clinique et biologique de la dŽnutrition.
2.1.1 La prŽvalence et lÕimpact de la dŽnutrition
La dŽnutrition est la comorbiditŽ la plus frŽquente ˆ lÕh™pital2. Bien que les
estimations de sa prŽvalence varient selon les lieux (type dÕh™pital, maison de sŽjour,
consultation), le type de patient (sujet ‰gŽ, malade cancŽreux, en rŽanimation, etc.), la
mŽthode d'Žvaluation (biologique, anthropomŽtrique, etc.) et la dŽfinition de la
dŽnutrition, sa prŽvalence reste particulirement surprenante. Aujourd'hui, on estime
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Cas disponible sur LLL thme n¡ 3 Ç Topic 3: Nutritional Assessment and TechniquesÈ
KA. Tappenden, B. Quatrara, ML. Parkurst, et al., ÇCritical role of Nutrition in Improuving Quality of
Care: An interdisciplinary call to action to adress adult hospital malnutritionÈ, op.cit., p.1-16.
2
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qu'au moins un tiers des patients adultes arrivent ˆ l'h™pital souffrant de dŽnutrition1 et,
si elle nÕest pas traitŽe, la plupart de ces patients vont continuer ˆ se dŽnutrir, ce qui peut
influer dŽfavorablement sur leur rŽcupŽration et augmenter le risque de complications
entra”nant une rŽadmission ˆ lÕh™pital. Dans une revue de la littŽrature de 2008 par K.
Norman, la prŽvalence de dŽnutrition chez lÕadulte2 varie entre 7 et 50% dans divers
pays, selon le type de patient. La moyenne pondŽrŽe pour les Žtudes europŽennes et
amŽricaines montre quÕenviron 31% de tous les patients de l'h™pital sont considŽrŽs en
Žtat de dŽnutrition ou ˆ risque nutritionnel (voir tableau 1). La vaste ampleur des valeurs
constatŽe dans les rŽsultats de diverses Žtudes nÕest probablement pas due aux seuls
paramtres mŽdicaux ou gŽographiques, mais est aussi liŽe ˆ la population de patients
diffŽrents et ˆ la diversitŽ des critres utilisŽs pour diagnostiquer la dŽnutrition.
Tableau 1. PrŽvalence de la dŽnutrition (AdaptŽ de K.Norman et al., Clinical Nutrition,
2008.)
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1
K. Norman, C. Pichard, H. lochs, M. Pirlich, Ç Pronostic impact of disease-related malnutrition È,
op.cit., p.5-15.
2
DÕaprs lՎtude EPINUT, de Lucas et collaborateurs, rŽalisŽe dans 144 h™pitaux dans 7 pays, 11% des
enfants hospitalisŽs sont dŽnutris ˆ lÕh™pital.
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Malheureusement, malgrŽ la disponibilitŽ des outils de dŽpistage rapide1, la
dŽnutrition est mŽconnue dans de nombreux h™pitaux. Les patients hospitalisŽs,
indŽpendamment de leur IMC, souffrent gŽnŽralement de dŽnutrition en raison de leur
propension ˆ manger peu du fait du manque d'appŽtit. Celui- ci est induit par la maladie,
les sympt™mes gastro-intestinaux, lÕincapacitŽ ˆ m‰cher ou ˆ avaler, par les interdictions
mŽdicales ˆ lÕalimentation per os (voie buccale) pour des procŽdures diagnostiques et
thŽrapeutiques. En outre, les patients peuvent avoir des besoins augmentŽs en Žnergie,
en protŽines et en micronutriments ˆ cause de l'inflammation, dÕune infection ou
dÕautres conditions cataboliques. La figure 1 montre la relation entre le dŽveloppement
et la progression de la dŽnutrition et de la maladie.
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Figure 1. Relation entre dŽnutrition et maladie2.
La relation est bidirectionnelle et peut se perpŽtuer sur le mode dÕun cercle vicieux.
La plupart des maladies chroniques ou aigu‘s graves provoquent l'anorexie et
conduisent ˆ la dŽnutrition. LÕabsence dÕune alimentation adŽquate et le catabolisme
(qui modifie le besoin de nutriments) liŽ au stress causŽ par l'inflammation, augmentent
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ces outils de dŽpistage permettent dÕidentifier des malades ˆ risque dՐtre dŽnutri.
K. Norman, C. Pichard, H. lochs, M. Pirlich, Ç Pronostic impact of disease-related malnutrition È,
Clinical Nutrition, op.cit., p.5-15.
2
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le risque d'infections, de dysfonctionnement des organes et dÕune mauvaise
cicatrisation. Ainsi, toutes les maladies aigu‘s peuvent tre un ŽlŽment dŽclencheur
dÕune rŽponse inflammatoire et entra”ner consŽcutivement une anorexie et un
hypercatabolisme qui aggravent la malnutrition. Les mŽcanismes biochimiques,
mŽtaboliques et molŽculaires impliquŽs sont aujourdÕhui ŽtudiŽs1.
Outre les causes pathologiques de la dŽnutrition, des facteurs socio-Žconomiques
comme le faible revenu et l'isolement peuvent Žgalement favoriser le dŽveloppement de
la dŽnutrition. Cette dernire est frŽquente chez les personnes ‰gŽes, les patients atteints
du cancer, de maladies chroniques du foie, de maladies cardiaques chroniques ou
d'insuffisance rŽnale, le VIH / SIDA, la BPCO, de maladies inflammatoires de l'intestin
et de fibrose kystique ou mme de maladies neurodŽgŽnŽratives. Point important, la
situation peut tre aggravŽe ˆ l'h™pital en raison de routines hospitalires dŽfavorables
aux apports suffisants en ŽlŽments nutritifs. Par exemple, la prŽparation aux
interventions ou examens diagnostics nŽcessitent lÕinterruption de lÕalimentation orale
ou artificielle, crŽant ainsi des pŽriodes souvent trs longues o les apports nutritionnels
ne sont pas couverts.
De ce fait, il est important d'identifier les patients en Žtat de dŽnutrition et ˆ risque
comme on le voit en Žtudiant les donnŽes qui montrent que la dŽnutrition est associŽe ˆ
de nombreux effets indŽsirables, y compris au risque accru dÕulcres de pression et de
mauvaise cicatrisation, dÕimmunosuppression, d'infections, dÕatrophie musculaire et
dÕune perte fonctionnelle aggravant le risque de chutes. Cela augmente la durŽe du
sŽjour ˆ l'h™pital, les taux de rŽadmission, les cožts de traitement et la mortalitŽ.
A titre dÕexemple, des Žtudes internationales rŽvlent que la dŽnutrition liŽe ˆ la
maladie augmente les cožts hospitaliers du 30 ˆ 70 %. Une Žtude au Royaume-Uni
montre que la dŽnutrition augmente la frŽquence des rŽadmissions et la durŽe du sŽjour
dans les h™pitaux, ainsi que la frŽquence des visites chez un mŽdecin gŽnŽraliste, les
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
MJ. Tisdale, ÇMolecular pathways leading to cancer cachexiaÈ, Physiology, 2005, vol. 20, p. 340Ð8.
DA. Deans, Wigmore SJ, Gilmour H, Tisdale MJ, Fearon KC, Ross JA. ÇExpression of the proteolysisinducing factor core peptide mRNA is upregulated in both tumour and adjacent normal tissue in gastrooesophageal malignancy È, Br J Cancer, 2006, vol. 94, p.731Ð6. Bing C, Bao Y, Jenkins J, Sanders P,
Manieri M, Cinti S, et al. ÇZinc-alpha2-glycoprotein, a lipid mobilizing factor, is expressed in adipocytes
and is up-regulated in mice with cancer cachexiaÈ, Proc Natl Acad Sci USA, 2004, vol. 101, p. 2500Ð5.
Islam-Ali B, Khan S, Price SA, Tisdale MJ. ÇModulation of adipocyte G-protein expression in cancer
cachexia by a lipidmobilizing factor (LMF) È, Br J Cancer, 2001, vol.85, p.758Ð63.
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visites ambulatoires des h™pitaux et le temps de rŽsidence dans les maisons de soins.
Aprs l'attribution des cožts reprŽsentatifs au niveau national de l'utilisation de ces
services, les dŽpenses publiques causŽes par la dŽnutrition liŽe ˆ la maladie sՎlvent au
Royaume-Uni ˆ plus de 7,3 milliards de livres sterling en 2003 1. LÕimplŽmentation
dÕun systme de soins nutritionnels en 2012, bien quÕil ait exigŽ un investissement
supplŽmentaire, a produit des Žconomies, avec un impact budgŽtaire. Les cožts
provenant de l'intervention nutritionnelle (dŽpistage, diagnostic thŽrapie, etc.) peuvent
conduire ˆ des Žconomies substantielles de cožt absolu2 (Figure 2). Ainsi dÕun point de
vue Žconomique, il est donc important de concevoir pour chaque malade le diagnostic
de son Žtat nutritionnel.
Figure 2. Impact Žconomique de la dŽnutrition3.
Par consŽquent, la dŽnutrition fait peser un lourd fardeau sur le patient, le clinicien et
le systme de soins4. Cette prŽvalence de la dŽnutrition n'a pas changŽ au cours des
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
M. Elia, ÇThe economics of malnutritionÈ, Nestle Nutr Workshop Ser Clin Perform Programme, 2009,
vol. 12, p.29-40.
2
M. de van der Schueren, M. Elia, L. Gramlich, et al., ÇClinical and economic outcomes of nutrition
interventions across the continuum of careÈ, Annals of the New York academy of Sciences, 2014, vol.
1321, p. 20-40.
3
Ibid., p. 20.
4
LA. Barker, BS Gout, TC Crowe, Ç Hospital malnutrition: prevalence, identification and impact on
patients and the healthcare systemÈ, Int J Environ Res Public Health, 2011, vol. 8, p.514-527.
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vingt dernires annŽes, bien que le traitement de certaines maladies ait sensiblement ŽtŽ
amŽliorŽ et quÕon dispose de traitements nutritionnels plus adaptŽs. Or, l'‰ge moyen, de
plus en plus ŽlevŽ des patients hospitalisŽs, pourrait ainsi tre considŽrŽ comme un
obstacle au progrs mŽdical et donc expliquer, au moins en partie, les difficultŽs ˆ
diminuer le nombre de personnes dŽnutries. Cependant, nous considŽrons que lÕabsence
dՎvolution dans la diminution de la prŽvalence de la dŽnutrition sÕexplique
principalement pour trois raisons : le fait que la dŽnutrition nÕest pas considŽrŽe comme
une Ç maladie È susceptible dՐtre guŽrie, lÕabsence de formation des mŽdecins et le
constat que la nutrition clinique nÕest pas reconnue comme une discipline mŽdicale.
Dans notre cas dՎtude, M. Dn est ‰gŽ de plus de 70 ans. La prŽvalence de la
dŽnutrition augmente avec lՉge. Elle est de 4 ˆ 10 % chez les personnes ‰gŽes vivant ˆ
domicile, de 15 ˆ 38 % chez celles vivant en institution et de 30 ˆ 70 % chez les
malades ‰gŽs hospitalisŽs1. Des carences protŽiques isolŽes peuvent sÕobserver mme
chez des personnes ‰gŽes apparemment en bonne santŽ. Certaines situations peuvent
favoriser la dŽnutrition ou y tre associŽes. Elles peuvent tre classŽes selon les
catŽgories suivantes : psycho-socio-environnementales, troubles bucco-dentaires,
troubles de la dŽglutition, troubles psychiatriques, syndromes dŽmentiels, autres
troubles neurologiques, traitements mŽdicamenteux au long cours, toute affection aigu‘
ou dŽcompensation dÕune pathologie chronique, dŽpendance pour les actes de la vie
quotidienne et rŽgimes restrictifs. Ces diverses situations doivent alerter le professionnel
de santŽ, lÕentourage et conduire ˆ un diagnostic de dŽnutrition. Ces donnŽes doivent se
traduire dans notre cas dՎtude, par le fait que les mŽdecins devraient systŽmatiquement
chercher ˆ dŽpister un Žtat de dŽnutrition quand le sujet malade est ‰gŽ de 70 ans. Or, la
principale difficultŽ est quÕil nÕy a pas de dŽfinition universellement acceptŽe de la
dŽnutrition.
En effet, la dŽnutrition, dans sa dimension physiologique, dŽsigne, dÕaprs le
dictionnaire de LittrŽ, une ÇdŽsassimilationÈ, autrement dit, un phŽnomne par lequel
les constituants de la matire vivante se sŽparent de lÕorganisme pour devenir des
rŽsidus. Au plan clinique, les consŽquences de cette absence de diagnostic sont
importantes, car si lÕon nÕidentifie pas la dŽnutrition, il nÕy aura pas dÕindication pour
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
HAS, StratŽgie de prise en charge en cas de dŽnutrition protŽino-ŽnergŽtique chez la personne ‰gŽe,
2007.
http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/denutrition_personne_agee_2007__recommandations.pdf. (consultŽ le 01 mars 2015).
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dŽbuter les soins nutritionnels. Dans le cas prŽsent, lÕabsence du diagnostic de
dŽnutrition pour M. Dn risque dÕaggraver son Žtat nutritionnel et par consŽquent,
dÕaugmenter sa morbi-mortalitŽ. Il risque ainsi de voir sa pathologie de base (la
pneumopathie) sÕaggraver, sa convalescence se prolonger et sa qualitŽ de vie affectŽe.
Les dŽpenses Žconomiques du systme de santŽ seront Žgalement augmentŽes. Les
implications cliniques de la dŽnutrition sont bien connues (Figure 3).
Figure 3. Impact de la dŽnutrition1.
Quant ˆ la morbiditŽ, celle-ci augmente en raison dÕune altŽration de la fonction
immune, la diminution de la cicatrisation et la diminution dans la fonctionnalitŽ de
lÕindividu. Les Žtudes ont montrŽ une corrŽlation entre le degrŽ de dŽnutrition et le
risque de complications infectieuses et non infectieuses chez le malade opŽrŽ. La
dŽnutrition a ŽtŽ identifiŽe comme un facteur favorisant lÕapparition dÕulcres de
pression et associŽe ˆ un mauvais pronostic chez les patients atteints de maladies
chroniques telles que lÕinsuffisance cardiaque et la broncho pneumopathie chronique
obstructive (BPCO). Une consŽquence bien connue de la dŽnutrition est lÕaltŽration de
la fonction musculaire avec, par la suite, lÕaltŽration de la fonctionnalitŽ.
LÕaugmentation de la morbiditŽ entra”ne une augmentation du sŽjour ˆ lÕh™pital.
Concernant la mortalitŽ, la dŽnutrition a ŽtŽ associŽe ˆ un taux majeur de mortalitŽ dans
les maladies chroniques (VIH/SIDA, maladies hŽpatiques, insuffisance rŽnale, cancer,
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
K. Norman, C. Pichard, H. lochs, M. Pirlich, Ç Pronostic impact of disease-related malnutrition È,
Clinical Nutrition, op.cit., p.5-15
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BPCO) et aigu‘s (AVC, fracture de la hanche, chirurgies cardiaques et thoraciques). Les
malades en rŽanimation atteints de dŽnutrition sont ceux dont le pronostic est le plus
mal dŽfini et dont le taux de survie est le plus faible (un plus mauvais pronostic et un
moindre taux de survie1)
2.1.2 La question Žthique
Les enjeux ne sont pas uniquement cliniques et socioŽconomiques, mais ils sont aussi
Žthiques. Pour aborder ce point, il convient de partir de la relation entre le mŽdecin et le
patient. LÕengagement moral quÕimplique cette relation repose sur la confiance
mutuelle. En effet, cette relation entre personnes singulires est unique. Le Ç noyau
Žthique È de cette rencontre est, selon RicÏur, un Ç pacte de soin basŽ sur la
confiance È2 et la confidentialitŽ. Si au dŽpart cette relation semble tre dissymŽtrique Ð
entre celui qui sait et celui qui souffre Рles conditions finissent par sՎgaliser par des
dŽmarches propres au patient et au mŽdecin. DÕune part, le patient exprime dans un
Ç acte de langage È sa souffrance dŽcrite dans une plainte liŽe ˆ tel ou tel sympt™me.
Cette souffrance retrace son histoire personnelle. Cette plainte devient alors une
demande (de guŽrison, de santŽ), adressŽe ˆ un mŽdecin en particulier. La demande
sÕaccompagne dÕune promesse, celle dÕobserver le protocole du traitement proposŽ.
DÕautre part, le mŽdecin, dans les phases de lՎtablissement du pacte de soin, passant
par lÕadmission du patient, la formulation du diagnostic et la prescription, Žgalise les
conditions du dŽpart en associant le malade ˆ la prise de dŽcision. Le mŽdecin sÕengage
ainsi ˆ suivre le patient. Un engament moral est alors Žtabli entre les deux parties, ce qui
les conduit chacune ˆ respecter les termes du pacte pour lutter contre un ennemi
commun : la maladie. Autrement dit, cet accord bilatŽral quÕimpliquent deux promesses
- de soigner le malade et pour ce dernier dÕobserver le traitement - est au fondement de
la relation du premier niveau.
La formulation du diagnostic est une Žtape fondamentale qui permet cet engagement
et le traitement qui sÕensuit. A partir du diagnostic, le mŽdecin Žmet une Ç indication
mŽdicale È, qui conduit ˆ entreprendre une activitŽ thŽrapeutique (prŽvenir, guŽrir et
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
K. Norman, C. Pichard, H. lochs, M. Pirlich, Ç Pronostic impact of disease-related malnutrition È,
Clinical Nutrition, op.cit.
2
P. RicÏur, Ç Les trois niveaux du jugement mŽdical È, op.cit., p. 230.
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soigner1) et ainsi ˆ lutter contre la maladie et la souffrance. Comme nous lÕavons ŽtudiŽ
lors de la premire partie de cette Žtude, la nutrition clinique concerne lÕutilisation de la
nutrition artificielle (nutrition parentŽrale, entŽrale et les complŽments oraux) et cela
dans le cadre dÕune problŽmatique particulire : la malnutrition et les altŽrations du
mŽtabolisme propre aux maladies. Il sÕagit donc de rŽaliser le diagnostic de la
dŽnutrition pour ensuite poser lÕindication ˆ une thŽrapeutique nutritionnelle. Le
traitement, que le patient sÕengage ˆ observer, est donc sensŽ rŽpondre ˆ la plainte du
patient. Un diagnostic appropriŽ semble nŽcessaire pour que les conditions du dŽpart de
ce pacte de soin soient alors remplies. Or, dans le cadre de notre Žtude, une difficultŽ se
prŽsente : la dŽnutrition chez le malade adulte est souvent mŽconnue et non
diagnostiquŽe. Cela sÕexplique, dÕune part, par le manque de reconnaissance de la
nutrition comme une discipline concernant les mŽdecins et de ce fait, elle nÕest pas
suffisamment enseignŽe dans les facultŽs de mŽdecine, dÕautre part, cela est dž aux
difficultŽs nosologiques concernant la dŽnutrition2.
Depuis le XIXme sicle, comme nous lÕavons ŽtudiŽ dans la premire partie de
notre Žtude, la dŽnutrition nÕest pas une prŽoccupation propre ˆ la pratique clinique.
MalgrŽ les progrs scientifiques considŽrables concernant sa physiopathologie et les
possibilitŽs thŽrapeutiques, elle est considŽrŽe comme une problŽmatique qui nÕest pas
propre au clinicien. Le clinicien se sent aussi moins concernŽ parce que mal formŽ.
Plusieurs Žtudes ont montrŽ des rŽsultats qui suggrent que les malades hospitalisŽs ne
bŽnŽficient pas dÕun niveau optimal de prise en charge nutritionnelle en raison du
manque dÕentra”nement et dÕintŽrt des cliniciens. En consŽquence, la dŽnutrition est un
problme sous-diagnostiquŽ car trs souvent mŽconnu dans la pratique de la clinique3.
Compte tenu de ces ŽlŽments, il nÕy a pas, ˆ ce jour, de dŽfinition gŽnŽrale de la
dŽnutrition4. Le tableau 2 montre les rŽsultats de 5 consensus dÕexperts publiŽs depuis
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
A.R. Jonsen, M. Siegler, W.J. Winslade, Clinical Ethics, A practical approach to ethical decision in
clinical medecine, 7th Edition, New York, McGraw-Hill, 2010, p. 9.
2
Nous considŽrons pour la thse, dÕaprs les dŽfinitions de lÕOMS, que la malnutrition est un Žtat
englobant diverses Žtats possibles tels que la dŽnutrition, le surpoids, lÕobŽsitŽ, etc.
3
J. Kondrup, N. Johansen, LM. Plum, et al., ÇIncidence of nutritional risk and causes of inadequate
nutritional care in hospitals È Clinical Nutrition 2002, vol. 21, p. 461Ð8. K. Norman, C. Pichard, H lochs,
M. Pirlich. ÇPronostic impact of disease-related malnutritionÈ, Clinical Nutrition, op.cit.
4
Nous allons utiliser le terme de dŽnutrition et non celui de malnutrition, parce que nous considŽrons que
la malnutrition est un terme plus vaste quÕimplique Žgalement lÕobŽsitŽ, les carences et autres syndromes
comme la sarcopenie.
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2010, concernant la dŽfinition et ces critres du diagnostic1. En premier lieu, force est
de constater que, malgrŽ les efforts des sociŽtŽs savantes Nord-amŽricaines et
EuropŽennes, nous nÕarrivons pas ˆ un consensus gŽnŽral. Nous observons, en premier
lieu, que la malnutrition (malnutrition) est conue soit comme un synonyme de la
dŽnutrition (undernutrition), soit comme un terme plus gŽnŽral englobant la dŽnutrition,
la surnutrition et dÕautres Žtats pathologiques comme la sarcopenie et la cachexie. Lors
du rŽcent consensus sur le diagnostic et la classification de la dŽnutrition dÕESPEN
publiŽ en juin 2015, les experts nÕont pas atteint de dŽcision consensuelle ˆ propos de
lÕutilisation de ces termes. Ils ont utilisŽ nŽanmoins, ˆ effet de la publication de lÕarticle,
le terme Ç malnutrition È. Jensen et ses collaborateurs proposent une classification
fondŽe sur lÕapproche Žtiologique qui tient compte de lÕabsence ou de la prŽsence
dÕinflammation et du type de maladie associŽe (aigu‘ ou chronique). Il sÕagit de
conna”tre lÕorigine de la dŽnutrition. La dŽnutrition peut ainsi tre ŽtudiŽe comme Žtant
liŽe ˆ la famine (starvation-related malnutrition), ˆ une maladie chronique (chronique
disease-related malnutrition) ou ˆ une maladie aigu‘ ou ˆ des blessures (acute disease
or injury-related malnutrition).
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
J.M.M. Meijers, M.A.E. van Bokhorst-de van der Schueren, J.M.G.A. Schols, P. B. Soeters, R.J.G.
Halfens, ÇDefining malnutrition: Mission or mission impossible È, Nutrition, 2010, vol. 26, p. 432Ð440.
GL Jensen, Mirtallo J, Compher C, Dhaliwal R, Forbes A, Grijalba RF, et al. ÇInternational consensus
guideline committee. Adult starvation and diseaserelated malnutrition: a proposal for etiology-based
diagnosis in the clinical practice setting from the International consensus guideline CommitteeÈ, Clin
Nutr, 2010, vol. 29, p.151e3. White JV, Guenter P, Jensen G, Malone A, Schofield M. Academy
malnutrition work Group; A.S.P.E.N. Malnutrition task force; A.S.P.E.N. Board of Directors. ÇConsensus
statement: academy of nutrition and dietetics and american society for parenteral and enteral Nutrition:
characteristics recommended for the identification and documentation of adult malnutrition
(undernutrition) È, J Parenter Enter Nutr, 2012, vo.l 36, p.275e83. GL. Jensen, Ch. Compher, DH.
Sullivan and GE. Mullin, ÇRecognizing Malnutrition in Adults: Definitions and Characteristics,
Screening, Assessment, and TeamJournal of Parenteral and Enteral Nutrition È, J Parenter Enter Nutr,
2013, vol. 37, p.802-807. L. Valentini, Volkert D, SchŸtz T, Ockenga J, Pirlich M, Druml W, Schindler
K, Ballmer PE, Bischoff SC, Weimann A, Lochs H, ÇSuggestions for terminology in clinical nutritionÈ,
e-Espen Journal, 2014, vol. 9, p. 97ee108. T. Cederholm , I Bosaeus, R Barazzoni, Bauer J, Van Gossum
A, Klek S, Caritoli M, Nyulasi I, Ockenga J, Schneider SM, de van der Schueren MAE, Singer P,
ÇDiagnostic criteria for malnutrition - An ESPEN Consensus StatementÈ, Clin Nutr, 2015, vol. 34, p.335340.
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Tableau 2. DŽfinitions et critres diagnostiques de dŽnutrition
DŽfinition de la malnutrition
Critres diagnostics
Meijers JM, 2010.
La malnutrition englobe la sous-alimentation
et la suralimentation en combinaison avec
l'activitŽ inflammatoire.
Les critres qui dŽfinissent mieux la
dŽnutrition sont :
1. la dŽficience ŽnergŽtique et protŽique ;
2. la diminution de la masse maigre ;
3.lÕinflammation et lÕaltŽration dans la
fonction.
1. La perte involontaire de poids.
2. LÕIMC.
3. La prise alimentaire.
Toutefois, aucun consensus n'a ŽtŽ atteint sur les
valeurs seuils de ces mesures.
Cette Žtude montre qu'il n'y a pas d'accord entre
experts sur les ŽlŽments qui dŽfinissent et
permettent de rŽaliser le diagnostic de la
dŽnutrition.
Jensen GL, 2010.
La malnutrition liŽe ˆ la maladie est la
malnutrition causŽe par la maladie ou des
sympt™mes de la maladie.
Elle est subdivisŽe en trois catŽgories en
fonction de lՎtiologie :
1. la malnutrition liŽe ˆ la famine
- ex. Anorexie nerveuse ;
2. la malnutrition liŽe ˆ la maladie chronique ;
- avec inflammation chronique et d'intensitŽ
lŽgre ˆ modŽrŽe ;
- ex. cancer, obŽsitŽ sarcopenie,
3. la malnutrition liŽe ˆ la maladie aigu‘ ou au
trauma ;
- avec inflammation aigu‘ et de degrŽ sŽvre ;
- ex. patients brulŽs, ou traumatisme
physique.
Jensen GL 2013.
Le dŽveloppement de critres biologiques,
fonctionnels et cliniques, qui peuvent tre utilisŽs
dans la pratique clinique de routine nŽcessitera de la
validation.
1. Un apport ŽnergŽtique insuffisant.
2. Perte de poids non intentionnelle (peut survenir ˆ
n'importe quel IMC).
3. L'examen physique : La perte de masse
musculaire, perte de graisse sous-cutanŽeÉ
4. La fonction physique diminuŽe : force poignŽe
main, SPPB (Short Physical Performance Battery)
chez les personnes ‰gŽes.
White JV, 2012.
La malnutrition est synonyme de dŽnutrition
et considŽrŽe comme un dŽsŽquilibre
nutritionnel.
La dŽnutrition doit se diagnostiquer par la prŽsence
de 2, ou plus, des critres suivants :
1. un apport ŽnergŽtique insuffisant ;
2. une perte de poids ;
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LÕauteur propose une nomenclature fondŽe
sur lÕapproche Žtiologique qui incorpore une
comprŽhension actuelle du r™le de la rŽponse
inflammatoire sur l'incidence, la progression
et la rŽsolution de la malnutrition.
3. une perte de la masse musculaire ;
4. perte de graisse sous-cutanŽe ;
5. lÕaccumulation de fluide localisŽe ou
gŽnŽralisŽe peut parfois masquer la perte de
poids ;
6. un Žtat fonctionnel diminuŽ.
Valentini L 2014.
La malnutrition liŽe ˆ la maladie est la
malnutrition causŽe par la maladie
ou par les sympt™mes de la maladie.
Elle est subdivisŽe en trois catŽgories en
fonction de lՎtiologie :
- La malnutrition liŽe ˆ la famine
(dŽnutrition). Par exemple, chez les personnes
qui reoivent un traitement mŽdical, elle se
caractŽrise principalement par la rŽduction de
l'apport ŽnergŽtique et des autres nutriments.
Il nÕ y a pas dÕinflammation. Entrent
Žgalement dans cette catŽgorie les patients
souffrant de la malabsorption et une mauvaise
digestion,
alors
quÕils
nÕont
pas
dÕinflammation et que leurs apports
ŽnergŽtiques peuvent tre normaux.
- La malnutrition liŽe ˆ la maladie chronique.
- La malnutrition liŽe ˆ la maladie aigu‘.
Terminologie :
Conditions nutritionnelles :
1. Malnutrition liŽe ˆ la maladie.
1.1 Malnutrition
liŽe
ˆ
la
famine
ou
Ç DŽnutrition È.
¥ IMC<18.5 kg/m2 (<65 ans) ou
¥ <20.0 kg/m2 (>¤5 ans).
ConsidŽrŽe comme Ç Importante È si prŽsente 7
critres supplŽmentaires. (voir dans le texte)
1.2 Malnutrition chronique liŽe ˆ la maladie
PrŽsence de 7 critres ou
¥ RŽduction de la masse musculaire : < 10
percentile de la masse musculaire du bras ou
¥ <80% de lÕindex crŽatinine/taille, ou
¥ signes d'activitŽ inflammatoire (scores des
maladies spŽcifiques ou concentrations sŽriques
de CRP ŽlevŽe)
1.3 Malnutrition liŽe ˆ la maladie aigu‘
¥ RŽponse inflammatoire aigue pendant la maladie
grave ou le trauma
2. La cachexie.
¥ Non rŽversible par le support nutritionnel
3. La sarcopenie.
¥ Diminution de la force et de la masse musculaire
(il y a ou moins 6 autres consensus proposant des
critres)
4. Carences en nutriments spŽcifiques.
5. Syndrome de dŽnutrition.
Cederholm T 2015.
La malnutrition est un Žtat rŽsultant du
manque d'absorption ou de l'apport de la
nutrition conduisant ˆ la modification de la
composition corporelle (diminution de la
masse maigre) et de la masse cellulaire. Cela
entra”ne une diminution des fonctions
physiques et mentales. Cela a pour
consŽquence
lÕaltŽration
des
rŽsultats
cliniques. (DÕaprs Sobotka 2012)
Les possibles causes de malnutrition sont :
1. la famine
2. la maladie
3. le vieillissement
Deux faons de diagnostiquer la malnutrition.
Alternative 1:
¥ IMC <18,5 kg / m2
Alternative 2:
¥ La perte de poids (involontaire)> 10 % de temps
indŽfini, ou 5 % au cours des 3 derniers mois
combinŽs avec soit
¥ IMC <20 kg / m2 si <70 ans ou <22 kg / m2 si>
70 ans ou
¥ Index de Mass Maigre (IMM) <15 et 17 kg / m2
chez les femmes et les hommes, respectivement.
Le Ç risque È nutritionnel doit tre ŽvaluŽ chez tous
les malades.
Le consensus le plus rŽcent (de Cederholm et de ses collaborateurs de lÕESPEN)
associe une dŽfinition de la dŽnutrition (malnutrition) dans une autre approche ˆ celle de
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la thŽrapeutique. Il ne sÕagit pas de conna”tre lÕorigine de la dŽnutrition, mais de savoir
Ç ˆ quel point la dŽnutrition interfre avec les fonctions physiques et mentales de la
personne et ˆ quel point le support nutritionnel fait la diffŽrence È1. Le but est de donner
une classification de la dŽnutrition qui soit valable pour tous les individus, peu importe
la cause de lՎtat de dŽnutrition, (i.e. la famine ou le ježne, la maladie aigu‘ ou
chronique, le vieillissement). Ils prŽtendent ainsi donner une dŽfinition semblable aux
Ç diagnostics gŽnŽraux È comme Ç lÕanŽmie È afin dÕintŽgrer la classification
internationale dÕICD 10. Comme tous les diagnostics gŽnŽraux, ceux-ci ont besoin
dՐtre ŽlaborŽs ou organisŽs en sous-diagnostics pour Ç indiquer leurs Žtiologies afin de
faciliter le meilleur traitement È2. Ainsi, ce consensus fournit un arbre conceptuel o la
sous-pondŽration liŽe ˆ la famine, la malnutrition liŽe ˆ la maladie (cachexie) et la
sarcopenie sont comprises dans la Ç malnutrition È. La malnutrition est, comme
lÕobŽsitŽ et les carences en micronutriments, partie intŽgrante des Ç Troubles
nutritionnels È (Nutritional Disorders) (Figure 4).
Figure 4. LÕarbre conceptuel de la malnutrition3.
De ce point de vue, la sous-pondŽration liŽe ˆ la famine, rŽsulte dÕun dŽsŽquilibre
entre apports et besoins protŽino-ŽnergŽtiques, ce qui entra”ne des pertes tissulaires et
comporte des consŽquences fonctionnelles dŽlŽtres. La cachexie et la sarcopenie, liŽes
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
L. Sobotka, Basics in clinical nutrition, Prague, GalŽn, 2012.
T. Cederlholm, I. Bosaeus, R. Barazzoni, et al., ÇDiagnostic criteria for malnutrition - An ESPEN
Consensus StatementÈ, Clin Nutr, 2015, op.cit. , p.339.
3
Ibid., p.340.
2
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ˆ la rŽponse mŽtabolique face ˆ lÕagression ou au stress, rŽsultent ˆ la fois dÕune rŽponse
endocrine et dÕune rŽponse immuno-inflammatoire. Elles vont induire une augmentation
des besoins qui peut tre interprŽtŽe comme une adaptation ou une dŽfense de
lÕorganisme. Ainsi, par exemple, lÕorganisme puisera dans son capital protŽique pour
produire le glucose nŽcessaire, par exemple, pour les cellules immunitaires. La rŽponse
mŽtabolique est diffŽrente (faible anabolisme versus augmentation du catabolisme), ce
qui conduit ˆ adopter des stratŽgies thŽrapeutiques diffŽrentes, en favorisant par
exemple lÕanabolisme ou en luttant contre la rŽsistance ˆ lÕanabolisme et
lÕhypercatabolisme1.
En deuxime lieu, il nÕy a pas de consensus sur les seuils susceptibles de dŽfinir des
critres pour diagnostiquer la dŽnutrition. Dans un premier temps, Meijers et Jensen
proposent, certes, trois critres mais sans donner de Ç valeurs seuils È. Par la suite, en
2013, ils Žtablissent quatre grands critres qui incluent, en plus de ces 3 critres, la
diminution de la fonction physique. En 2014, Valentini et ses collaborateurs Žlargissent
ˆ sept les critres nŽcessaires pour considŽrer que la dŽnutrition liŽe ˆ la famine est
potentiellement dangereuse. Ces critres sont :
1. l'apport ŽnergŽtique rŽduit de <75 % des besoins ŽnergŽtiques calculŽs pendant 1
mois ;
2. l'indice de masse corporelle, <18 kg/m2 si <65 ans ou <20 kg/m2 si >65 ans ;
3. la perte de poids involontaire, >10 % le 3 ˆ 6 mois prŽcŽdents si <65 ans ou
>5
% si > 65 ans ;
4. IMC <20 kg/m2 et perte de poids involontaire, >5 % le 3 ˆ 6 mois (<65 ans) ;
5. lÕindication de Nil per os mŽdicale (NPO) ;
6. lՎpaisseur du pli tricipital et la perte de poids involontaire, <10 percentile ;
7. le marqueur biologique : lÕalbumine sŽrique <30g/dl pour les malades de
chirurgie.
En 2015, Cederholhm et ses collaborateurs prŽsentent, de manire plus simple, deux
options, la premire considŽrant uniquement lÕIMC, la seconde mettant au jour trois
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
JP. De Bandt, Ç Understanding the pathophysiology of malnutrition for better treatmentÈ, Annales
Pharmaceutiques Franaises, 2015, vol. 15, p. 27-9.
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critres qui incluent un indicateur de composition corporelle et un indice de masse
maigre (IMM). Tout compte fait, force est de reconna”tre quÕil nÕy a pas dÕhomogŽnŽitŽ
entre les Ç valeurs diagnostics È, ce qui conduit ˆ une certaine confusion pour les
cliniciens qui se perdent dans cet amas de critres. A lÕabsence de dŽfinition
consensuelle, de terminologie homogne et de critres robustes, il faut ajouter le fait
quÕaucun de ces consensus ne dŽfinit rigoureusement la dŽnutrition. Elle est considŽrŽe
comme un Ç Žtat È qui augmente la probabilitŽ statistique de dŽvelopper une pathologie
ou de souffrir dÕun traumatisme, ce qui la rŽduit ˆ un facteur de risque. La question est
de savoir si, au-delˆ de cette approche, la dŽnutrition doit tre considŽrŽe comme une
maladie. Autrement-dit, faut-il confŽrer le statut de Ç maladie È ˆ la dŽnutrition comme
cela a ŽtŽ le cas pour lÕobŽsitŽ1 ? Quels arguments scientifiques justifient le fait de
classer la dŽnutrition parmi les maladies ? Ce questionnement, nous pouvons lÕinscrire
dans le dŽbat actuel sur la dŽfinition de maladie pour montrer la complexitŽ du dŽbat.
En effet, dŽfinir une entitŽ comme Žtant une maladie, a des implications, non seulement
sur la pratique de la clinique, mais Žgalement sur les dŽcisions Žthiques, politiques et
sociales.
Le cas de notre Žtude illustre bien ce problme. Face ˆ la situation de M Dn, deux
situations sont possibles. En suivant la pratique courante prŽdominante, on considrera
la pneumopathie comme le diagnostic principal de M. Dn en ignorant son Žtat de
dŽnutrition. Ou bien, on considŽrera que le patient, atteint de pneumopathie, souffre
Žgalement de dŽnutrition2. LՎvolution du patient nÕest pas envisagŽe de la mme
manire selon ces deux options. Du coup, quelles consŽquences Žthiques entra”ne
lÕabsence de ce diagnostic ? Nous considŽrons que lÕenjeu Žthique de la reconnaissance
dÕun tel statut est considŽrable dans la mesure o le diagnostic appropriŽ de la
dŽnutrition serait la condition qui permettrait lÕengagement du mŽdecin et du patient
dans le pacte de soins et par suite, le soin nutritionnel. De notre point de vue, dŽfinir et
diagnostiquer la dŽnutrition comme maladie pourrait avoir des consŽquences sur les
trois niveaux du jugement mŽdical, sur la relation patient-mŽdecin, sur le plan
dŽontologique et relativement sur le cožt de la santŽ.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
LÕobŽsitŽ a ŽtŽ reconnue comme maladie chronique par lÕOMS depuis 1997 et en 2013 par l'American
Medical Association (AMA), la plus grande association de mŽdecins des Etats Unis.
2
Dans le spectre de la dŽnutrition, la notion de Ç risque de dŽnutrition È est essentielle. Cederholm et ses
collaborateurs proposent que ce diagnostic puisse rentrer dans la classification des maladies, ICD 10.
!
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Si la dŽnutrition est considŽrŽe comme une Ç maladie È, le patient se verra comme
souffrant de dŽnutrition, et le mŽdecin sera dans lÕobligation de mettre tout en Ïuvre
pour le guŽrir de cette maladie. Cependant, la plupart des malades qui souffrent de
dŽnutrition reconnaissent la situation mais ne lÕidentifient pas comme une maladie. Le
Pr E. Fontaine, prŽsident de la SociŽtŽ Franaise de Nutrition EntŽrale et ParentŽrale
(SFNEP) dŽcrit cela dans un Žditorial rŽcent :
Ç Les patients et leurs familles se sentent, au contraire, (face ˆ lÕindiffŽrence gŽnŽrale de nos
confrres non nutritionnistes, de nos administrations et de nos tutelles) trs concernŽs (par la
dŽnutrition). Parfois, tellement inquiets de cette Òchute libreÓ dont ils peroivent bien la fin,
certains malades redoutent de se peser1 . È
En consŽquence, les malades ne demandent pas aux mŽdecins de soigner leur
dŽnutrition. Ils ne vont pas demander dՐtre placŽs en nutrition artificielle, car ni eux ni
leurs familles, ne connaissent lÕexistence ou lÕefficacitŽ de ce traitement. LÕabsence de
nutrition chez les malades ˆ lÕh™pital est alors perue presque comme normale. Or, la
dŽnutrition nÕest pas une fatalitŽ, elle peut tre prŽvenue et guŽrie dans la majoritŽ des
cas. La reconnaissance par le patient et le mŽdecin de cet Žtat comme Žtant une maladie,
et la nŽcessitŽ dՎtablir un diagnostic et un traitement sÕavrent essentielles dans la
relation mŽdecin-patient. Ils pourront sÕengager lÕun et lÕautre ˆ lutter contre cette
maladie. Cependant, comme le souligne E. Fontaine dans lՎditorial :
Ç Combien dÕentre eux (les malades), durant leurs parcours de soins, auront la chance de
rencontrer un nutritionniste avant quÕil ne soit trop tard?2. È
Certains principes Žthiques sont en jeu ici. Le principe de bienfaisance3, entendu
comme lÕobligation morale dÕagir pour le bien dÕautrui, nÕest pas respectŽ. Pourrait-il
sÕagir alors dÕun manque de compŽtences ? Une des causes de ce problme renvoie ˆ la
formation des mŽdecins et au nombre rŽduit de spŽcialistes de la nutrition. Cette
question sera traitŽe dans la troisime partie de notre thse. En outre, si on lՎvalue sur
le plan mŽdical, en considŽrant le rapport entre les risques et les bŽnŽfices pour le
patient, lՎvidence scientifique montre clairement lÕutilitŽ de diagnostiquer la
dŽnutrition. Si lÕon tient compte du fait que le diagnostic de dŽnutrition implique aussi
une Žconomie sur le systme de santŽ, il est nŽcessaire de dŽpister et de diagnostiquer
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
E. Fontaine, Ç La lettre du prŽsident : maigrir, cÕest mourir È, Nutrition Clinique et mŽtabolisme, 2015,
vol. 29, p.1.
2
Ibid. p.2.
3
T. Beauchamp, J. Childress, Principles of Biomedical Ethics, op.cit., 197
!
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!
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!
!
systŽmatiquement le malade. Enfin, le principe dÕautonomie, qui renvoie ˆ la
reconnaissance de la valeur de la dŽcision personnelle est Žgalement en jeu. Le malade
nÕayant pas les informations compltes sur son Žtat de santŽ ne pourra pas dŽcider, en
connaissance de cause, de son traitement. Outre cette atteinte ˆ lÕautonomie, au principe
de bienfaisance et ˆ celui de justice, peut-on considŽrer que le patient malade et dŽnutri
soi considŽrŽ comme particulirement vulnŽrable ?
2.1.3 La dŽnutrition comme vulnŽrabilitŽ
La notion de vulnŽrabilitŽ est au cÏur de la rŽflexion en Žthique mŽdicale et permet
dÕaccompagner la rŽflexion sur le principe dÕautonomie. Il sÕagit de considŽrer le patient
non seulement comme un sujet autonome, mais Žgalement comme un tre vulnŽrable.
Cela implique que les tres sont fragiles et quÕils ont besoin dÕautrui. Il est possible,
dans certaines situations, que nous ne puissions pas les concevoir comme des tres
totalement autonomes. Ainsi, en plus de reconna”tre les individus comme des tres
rationnels, il est aussi nŽcessaire de les reconna”tre1 dans leur corporŽitŽ et comme des
tres soumis ˆ des besoins2. La notion de vulnŽrabilitŽ va de pair avec la reconnaissance
de notre responsabilitŽ ˆ lՎgard de tout tre vivant qui souffre et qui expŽrimente la
passivitŽ, le fait que la vie est marquŽe par le malgrŽ soi3. Il sÕagit dÕune :
Ç ResponsabilitŽ fondamentale de lÕhomme, par sa fragilitŽ de vivant et par son privilge de
connaissance qui lÕouvre ˆ la complexitŽ du rŽel, ˆ la dimension Žthique de son rapport ˆ lÕautre, ˆ
tout autre, et au devoir tre de son droit 4. È
Du coup, le sens Žthique le plus profond de la vulnŽrabilitŽ implique lÕengagement
de la responsabilitŽ envers autrui, le Ç souci de lÕautre È. La vulnŽrabilitŽ implique : Ç la
responsabilitŽ pour lÕautre et elle signifie le besoin que nous avons de lÕautre È5. Avant
dÕinterroger la pratique de la nutrition clinique sous cette perspective (cas n¡ 2), il est
nŽcessaire de dŽfinir la dŽnutrition comme vulnŽrabilitŽ.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Les animaux aussi, mais cela sort de notre champ de rŽflŽxion.
N. Maillard, La vulnŽrabilitŽ : une nouvelle catŽgorie morale ? Genve, Labor et Fides, 2011, p. 163
3
C. Pelluchon, ElŽments pour une Žthique de la vulnŽrabilitŽ, les hommes, les animaux, la nature, Paris,
Cerf, 2011. C. Pelluchon, LÕautonomie brisŽe. BioŽthique et philosophie, Paris, PUF, 2009.
4
C. Pelluchon, ElŽments pour une Žthique de la vulnŽrabilitŽ, les hommes, les animaux, la nature, Paris,
Cerf, op.cit., p. 42.
5
Ibid.
2
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La dŽnutrition est cette condition fragilisante qui implique la perte de masse, de
tissus corporels et de fonctionnalitŽ, ce qui peut conduire ˆ des altŽrations de lՎtat
psychologique et augmenter la morbi-mortalitŽ. Au-delˆ de lÕimpact de la dŽnutrition
sur la morbi-mortalitŽ des patients, il est aussi fondamental de questionner ses effets sur
la qualitŽ de vie. Les conclusions des diverses Žtudes que nous avons analysŽes ont
montrŽ que la qualitŽ de vie est significativement rŽduite chez les individus souffrant de
dŽnutrition1. Ainsi, la relation entre dŽpression et dŽnutrition chez la personne ‰gŽe est
bidirectionnelle. La dŽpression favorise la dŽnutrition et la dŽnutrition entra”ne la
dŽpression, ce qui a un impact sur la qualitŽ de vie. La dŽnutrition implique dans sa
dimension physiologique, une Ç dŽsassimilation È, autrement dit, un phŽnomne par
lequel les constituants de la matire vivante se sŽparent de lÕorganisme pour devenir des
rŽsidus. Un malade dŽnutri perd du poids, sÕaffaiblit, ce qui conduit ˆ une altŽration de
son schŽma corporel, visible par autrui. Quelles sont les consŽquences de ce phŽnomne
sur la personne elle-mme ?
LÕintŽgritŽ2 de la personne dÕaprs Kemp :
ÇdŽfinit ces aspects de la vie humaine qui constituent son identitŽ personnelle et qui, pour cette
raison, ne devraient pas tre manipulŽs ou dŽtruits3. È
Il y a ainsi deux dimensions de lÕintŽgritŽ : la dimension psychologique incluant les
raisons, les valeurs, les convictions, les dŽsirs, les motifs et les choix des personnes, et
la dimension physique qui concerne le corps. La dŽnutrition affecte ces deux
dimensions qui, pourtant, deviennent des zones intouchables qui requirent le
consentement de la personne pour toute intervention4. Le respect de lÕintŽgritŽ de la
personne peut se confondre avec le respect de lÕautonomie si la personne est capable de
prendre de dŽcisions de faon autonome. Cependant, lorsque les conditions de
lÕautodŽtermination sont compromises, il sÕagit Žgalement de respecter lÕintŽgritŽ du
sujet, en respectant ses habitudes, ses souhaits, ses dŽsirs. LÕidŽe dÕintŽgritŽ est liŽe ˆ
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
C. Smoliner, K. Norman, KH. Wagner, W. Harting, H. Lochs, M. Pirlich, Ç Malnutrition and depression
in the institutionalised elderlyÈ, Br J Nutr., 2009 vol. 11, p.1663-7. S. Keshavarzi, SM. Ahmadi, KB.
Lankarani, Ç The Impact of Depression and Malnutrition on Health-Related Quality of Life Among the
Elderly IraniansÈ, Global Journal of Health Science, 2015, vol. 7, p.161-170.
2
IntŽgritŽ : ce terme se dŽfinit soit comme la totalitŽ ou lÕunitŽ ou la cohŽrence dÕun objet, dÕun
organisme vivant ou dÕun systme, mais aussi un sens littŽral, peut signifier ce quÕil ne faut pas
endommager (du latin tangere toucher).
3
P. Kemp, Ç Quatre principes Žthiques : lÕautonomie, la dignitŽ, lÕintŽgritŽ, la vulnŽrabilitŽ È, Le discours
bioŽthique, Paris, Cerf 2004, p. 119.
4
N. Maillard, La vulnŽrabilitŽ : Une nouvelle catŽgorie morale ? op.cit., p. 160.
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celle de dignitŽ comprise comme principe universel qui concerne tous les tres humains,
capables ou non de sÕautodŽterminer. Il y a ainsi un rapport direct entre lÕintŽgritŽ, la
dignitŽ et lՎtat nutritionnel1.
Ainsi, dans le cas que nous Žtudions, Monsieur Dn. est souffrant et a perdu 8 Kg
avant lÕhospitalisation. Son corps est affaibli, sa fonctionnalitŽ est atteinte. Nous ne
disposons pas dÕinformation ˆ propos de son Žtat psychologique et il aurait ŽtŽ
nŽcessaire de sÕinterroger ˆ propos de cela et de lÕimpact de sa dŽnutrition sur sa qualitŽ
de vie. Monsieur Dn est vulnŽrable parce que, dÕune part, son intŽgritŽ est atteinte et,
dÕautre part, il est fragilisŽ en raison de sa situation de dŽpendance. Cela sÕexplique
parce quÕil est affaibli et quÕil a besoin de comprendre sa situation et il a besoin aussi du
savoir-faire des autres, notamment des mŽdecins, pour lÕaider ˆ aller mieux.
Ainsi, la dŽnutrition implique pour les patients, au mme titre quÕune maladie, la
perte de contr™le de son corps, des processus vitaux assurant la santŽ et lÕautonomie. La
maladie:
Ç Oblige ˆ des changements drastiques dans le style de vie, affecte profondŽment lÕidentitŽ du
malade, lÕimage quÕil a de lui-mme et celle que les autres ont de lui. Se fixant des objectifs plus
modestes que ceux quÕil avait lorsquÕil travaillait ou avait une vie sociale bien remplie, visant
maintenant le contr™le de la douleur, le changement de rŽgime ou dÕactivitŽ physique, la
rŽcupŽration de certains fonctions, le malade constate que son corps, cet ami de toujours, ne lui
2
obŽit plus . È
Un corps rendu vulnŽrable par la dŽnutrition, par la maladie, implique au-delˆ de
lÕaffaiblissement physique et de la possibilitŽ de perdre la vie, la perte de lÕautonomie :
Ç Son corps le gne, il est devenu un obstacle ˆ son action autonome, ˆ son dŽsir de poursuivre les
objectifs quÕil sՎtait fixŽs. Plus profondŽment encore que la perte du contr™le de son corps, la
maladie dŽsigne lՎtat dÕune Ç humanitŽ blessŽe È, dÕune personne Ç compromise dans sa capacitŽ
fondamentale ˆ gŽrer sa propre vulnŽrabilitŽ È. Son autonomie est brisŽe. Par ce que le malade doit
sÕen remettre ˆ un autre pour savoir ce quÕil a et comment sÕy prendre pour guŽrir, il est
dŽpendant3.È
Dans le cas de la dŽnutrition cela est encore plus grave, car personne nÕidentifie son
Žtat, on ne le diagnostique pas. Il est donc doublement vulnŽrable.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Voir par la suite lՎtude de cas n¡ 3.
C. Pelluchon, LÕautonomie brisŽe. BioŽthique et philosophie, op.cit., p. 38-39.
3
Ibid.
2
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Ce qui est particulier ici, cÕest le fait que la dŽnutrition conduit ˆ la nŽcessitŽ dÕune
alimentation artificielle ou recommandŽe par autrui. LÕhomme perd sa capacitŽ de se
nourrir par lui-mme. Il est alors dŽpendant dÕun soignant, de ses capacitŽs techniques
et scientifiques, mais aussi de ses qualitŽs morales pour subvenir ˆ ce besoin vital qui
est se nourrir. DÕordinaire, nous savons ce que nous devons manger. Ici, le malade doit
sÕen remettre ˆ quelquÕun pour savoir ce qui lui manque (nutriments) et comment pallier
ses carences.
Nous avons ŽvoquŽ les consŽquences biologiques et Žconomiques de lÕabsence de
diagnostic de la dŽnutrition. Sur le plan Žthique, ne pas reconna”tre cette vulnŽrabilitŽ
particulire, cÕest nier alors la responsabilitŽ du mŽdecin de la soigner, de nourrir le
malade. Cette responsabilitŽ de fournir les besoins individuels et spŽcifiques en
nutriments ˆ chaque malade incombe au mŽdecin. Or, lÕenjeu pour ce dernier est tout
dÕabord dÕassurer un diagnostic appropriŽ de la dŽnutrition, pour ensuite assurer ce
besoin vital. LՎthique de la vulnŽrabilitŽ permettrait ainsi de rŽflŽchir au moyen de
savoir comment le support nutritionnel qui suit le diagnostic de dŽnutrition, est censŽ
rŽpondre ˆ cette vulnŽrabilitŽ et comment le Ç souci dÕautrui È donne un sens Žthique ˆ
la pratique de la nutrition clinique. Cela sera abordŽ dans le deuxime cas de notre
thse. Avant cela, il est indispensable de voir si au plan ŽpistŽmologique on peut dŽfinir
la dŽnutrition comme maladie.
2.1.4 La dŽnutrition : maladie ou facteur de risque ?
DÕun point de vue terminologique, la dŽnutrition est rŽgulirement citŽe dans les
publications scientifiques comme un facteur de risque. Est-il possible, dÕun point de vue
conceptuel, de la considŽrer comme une maladie ? Dans la pratique clinique, la
dŽnutrition est rarement identifiŽe comme une maladie. Preuve de cela, la faible
codification de la dŽnutrition, dans le systme de tarification ˆ lÕactivitŽ (T2A)1.
Un facteur de risque est dÕaprs lÕOMS :
Ç Tout attribut, caractŽristique ou exposition dÕun sujet qui augmente la probabilitŽ de dŽvelopper
2
une maladie ou de souffrir dÕun traumatisme . È
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
P. Crenn, Ç Le droit ˆ la nutrition : un droit de lÕhomme ˆ promouvoir et ˆ dŽfendre È, Nutrition
Clinique et MŽtabolique, 2009, vol. 23, p.172-181.
2
http://www.who.int/topics/risk_factors/fr, consultŽ le 01 03 2015.
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Parmi les facteurs de risque les plus importants, citŽs par cette organisation, il y a le
Ç dŽficit pondŽral È au mme titre que les rapports sexuels non protŽgŽs, lÕhypertension
artŽrielle, la consommation de tabac ou dÕalcool, lÕeau non potable, lÕinsuffisance de
lÕhygine ou de lÕassainissement des Žquipements. LÕanalyse de ces situations en termes
de Ç facteurs de risque È implique la dŽtermination de seuils quantitatifs, fixŽs de
manire plus ou moins arbitraire et qui relvent dÕune dŽcision de santŽ publique. Les
personnes exposŽes ˆ ces facteurs de risque ne se sentent pas malades, mais elles sont
lÕobjet dÕun risque statistique objectif plus important pour tomber malades. LÕoutil
statistique, comme lÕaffirme Fargot-Largeault, Ç teste la rŽalitŽ dÕune influence sans rien
dire de sa nature È1. Or, la modification Ç arbitraire È de ces seuils de normalitŽ, comme
cela a ŽtŽ reconnu, a des consŽquences sur la survie des individus.
La Ç norme pondŽrale È a ŽtŽ Žtablie depuis le XIXme sicle par lÕindice de masse
corporel (IMC). LÕIMC (IMC= poids/taille2) dŽcrit la distribution Ç normale È de la
corpulence et ses extrmes Ç anormaux È. Au XXme sicle, une dimension mŽdicoŽconomique est confŽrŽe ˆ ces valeurs. En se fondant sur ces rŽfŽrences statistiques
populationnelles, les compagnies dÕassurance vont dŽfinir des valeurs pour les facteurs
de risque afin de dŽterminer les niveaux de primes. Ainsi, les statisticiens de la
Metropolitan Life Insurance Company Žtablissent un lien entre la longŽvitŽ et le poids.
Dans ce cadre, lÕobŽsitŽ sera dŽfinie comme un excs de poids de 20 % par rapport au
poids souhaitable, niveau exposant ˆ des dŽpenses de santŽ accrues, et justifiant une
prime dÕassurance plus ŽlevŽe. Sont ainsi identifiŽes les valeurs fixant le Ç poids idŽal È
ainsi que les autres facteurs tels que le tabagisme, lÕhypercholestŽrolŽmie et
lÕhypertension artŽrielle. Par exemple, lÕOMS, en 1997, Žtablit les valeurs normales
entre 18 kg/m2 et 25 kg/m2 et dŽfinit lÕobŽsitŽ par un IMC > ou = 30 kg/m2, lÕobŽsitŽ
sŽvre par un IMC > 40 kg/m2. En ce qui concerne la dŽnutrition, le seuil est Žtabli pour
des valeurs inferieures ˆ 18 kg/m2.
AujourdÕhui, cet indice a une place prŽpondŽrante dans la pratique clinique, comme
nous lÕavons montrŽ antŽrieurement. Il est prŽsent comme critre principal dans les cinq
consensus (Tableau 1). Voici ce quÕaffirment R. J. Stratton et ses collaborateurs en 2003
concernant son importance :
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
A. Fagot-Largeault, Ç Quelques implications de la recherche Žtiologique È, Sciences Sociales et SantŽ,
1992, vol. 3, p. 33-45.
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Ç Les valeurs seuils (de lÕIMC) ont une importance fondamentale pour la science de la nutrition
1
parce quÕelles dŽterminent lÕincidence et la justification du traitement de la malnutrition . È
Il convient de noter la persistance de lÕIMC malgrŽ les critiques ˆ son encontre
lorsquÕil est utilisŽ au niveau individuel. Cela exprime la nŽcessitŽ de disposer dÕun
paramtre quantitatif, facile ˆ mesurer. En effet, lÕutilitŽ de lÕIMC est considŽrŽe
aujourdÕhui comme indiscutable pour les Žtudes populationnelles (mesure simple et peu
cožteuse et valide que pour les Ç caucasiens È) mais cet outil rencontre des limites dans
son application au niveau individuel2 et cela pour plusieurs raisons. Son utilisation est
fondŽe sur le mythe de lÕhomme moyen que nous avons dŽjˆ ŽtudiŽ dans la premire
partie de la thse. Premirement, lÕIMC ne tient pas compte de la composition
corporelle ni de la fonctionnalitŽ de lÕorganisme, bien que ces critres soient
fondamentaux dans la description de lՎtat nutritionnel. En effet, la valeur prŽdictive
pour caractŽriser quantitativement la masse grasse ou la masse maigre au niveau
individuel est faible. Pour un mme IMC, la composition corporelle est variable. Par
exemple, la sensibilitŽ de lÕIMC pour Žvaluer la masse grasse nÕest que de 50 %, selon
diffŽrents travaux3. Les sportifs de haut niveau peuvent avoir un IMC supŽrieur au seuil
dŽfinissant lÕobŽsitŽ en raison non dÕune augmentation de la masse grasse mais de la
masse musculaire. Des variations de composition corporelle pour un mme IMC
peuvent se produire aussi bien ˆ lÕintŽrieure dÕune population gŽnŽrale quÕentre
diffŽrentes populations. Les populations asiatiques ont plus de masse grasse que les
populations caucasiennes pour un mme IMC. Dans la dŽnutrition, lÕimportant est donc
de dŽterminer la quantitŽ de masse maigre et cela nÕest pas possible avec lÕIMC. Il a ŽtŽ
dŽmontrŽ que des patients avec un IMC normal et un taux important de masse grasse
(mesurŽ par Bioelectrical impŽdance, BIA) mais avec une perte de masse maigre,
avaient un sŽjour hospitalier plus prolongŽ, ce qui suggre que lÕIMC, pris tout seul,
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
RJ. Stratton, CJ. Green, M Elia, ÇDisease-related Malnutrition: An Evidence-based Approach to
TreatmentÈ, op.cit., p. 2.
2
A. Basdevant, K. ClŽment, J.M. Oppert, Ç Vers de nouveaux phŽnotypes et de nouvelles nosographies :
de lÕobŽsitŽ aux maladies du tissu adipeux È, ObŽsitŽ, 2013, vol. 8, p.234-243.
3
TV. Barreira, DM. Harrington, AE. Staiano, et al ÇBody adiposity index, body mass index, and body fat
in white and black adultsÈ, JAMA 2011, vol. 306, p. 828Ð30. NR. Shah, ER. Braverman, ÇMeasuring
Adiposity in Patients: The Utility of Body Mass Index (BMI), Percent Body Fat, and LeptinÈ, PLoS One,
2013, vol. 7, p.4; MJ. MŸller, M. Lagerpusch, J. Enderle, et al ÇBeyond the body mass index: tracking
body composition in the pathogenesis of obesity and the metabolic syndromeÈ Obes Rev, 2012, vol. 13
p.6Ð13; J. G—mez-Ambrosi, C. Silva, V. Catalˆn, et al ÇClinical usefulness of a new equation for
estimating body fatÈ, Diabetes Care, 2012, vol. 35, p. 383Ð8.
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nÕest pas un bon outil pour dŽtecter la dŽnutrition1. En outre, des Žtudes
ŽpidŽmiologiques rŽcentes2 montrent quÕun bon Žtat de santŽ, entendu comme une
morbi-mortalitŽ basse, est compatible avec une plus large gamme des valeurs dÕIMC.
Ainsi, selon des Žtudes de mŽtanalyse, les personnes avec un IMC entre 30 et 35 kg/m2
ont un taux de mortalitŽ inferieur en comparaison avec les personnes normales. Il
semblerait Žgalement que lÕobŽsitŽ est certainement un facteur impliquŽ dans les
maladies cardiomŽtaboliques et le cancer, mais la prŽsence de l'obŽsitŽ peut aussi
protŽger contre la mortalitŽ une fois que ces maladies surviennent. Tel est le Ç paradoxe
de lÕobŽsitŽ È.3 Force est donc dÕadmettre quÕil ne faut pas considŽrer tous les patients
ayant un IMC supŽrieur ˆ 30 kg/m2 comme des malades et que tous les patients ayant un
IMC infŽrieur ˆ 18 kg/m2 ne risquent pas de mourir de dŽnutrition.
Dans notre cas dՎtude, M. Dn. est un sujet ‰gŽ, avec un IMC de 24,6 kg/m2 au seuil
de normalitŽ et mme proche du celui du surpoids. Ce patient peut tre dŽnutri ou
prŽsente un risque de le devenir, mme si l'IMC se situe dans la fourchette normale.
Selon les recommandations de la prise en charge nutritionnelle des personnes ‰gŽes de
la Haute AutoritŽ Sanitaire en France,4 pour un sujet ‰gŽ, lÕIMC < 21 kg/m2 indique un
Žtat de dŽnutrition. En effet, M. Dn a perdu 10,2% de son poids corporel en trois mois.
Selon lÕoutil de dŽpistage du risque de dŽnutrition recommandŽ par ESPEN, le NRS
2002, il est classŽ comme Žtant ˆ Ç haut risque nutritionnel È en raison de la perte de
poids quÕil a subie, de son apport alimentaire rŽduit et de sa maladie (pneumonie).
DÕaprs les critres de Cederholh (Tableau 1), le patient nÕest pas rŽpertoriŽ comme
dŽnutri : il prŽsente, certes, le premier critre de lÕalternative 2, mais il nÕexiste pas
dÕinformation ˆ propos de sa composition corporelle (masse maigre).
En lÕabsence dÕinformations concernant la composition corporelle, il nÕest gure
possible non plus de savoir si le patient est atteint de sarcopenie (diminution dans la
fonctionnalitŽ, de la force et de la masse musculaire), un syndrome frŽquent chez les
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
UG. Kyle, M. Pirlich, H. Lochs et al. ÇIncreased length of hospital stay in underweight and overweight
patients at hospital admission: a controlled population studyÈ, Clin Nutr 2005, vol. 24, p. 32-42.
2
K.M. Flegal, Ç Association of All-Cause Mortality With Overweight and Obesity Using Standard Body
Mass Index Categories È, JAMA, 2013, vol. 309, p. 7.
3
Il existe ˆ ce jour de nombreuses controverses sur le Ç paradoxe de lÕobŽsitŽ È. D. Haslam, Ç Obesity in
primary care: prevention, management and the paradoxÈ, BMC Med, 2014, vol. 12, p. 149.
4
HAS, Recommandations de la prise en charge nutritionnelle des personnes ‰gŽes de la Haute AutoritŽ
Sanitaire en France.
http://www.hassante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/denutrition_personne_agee_2007__recomman
dations.pdf, (ConsultŽ le 6 mars 2014).
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patients ‰gŽs. En consŽquence, en se fondant uniquement sur lÕIMC pour Žtablir un
diagnostic de dŽnutrition, le risque qui se prŽsente est celui dÕune mauvaise
classification des individus. Dans notre cas dՎtude, M. Dn, selon cette analyse, nÕest
pas considŽrŽ comme dŽnutri ou Ç ˆ risque È et, dans ce cas, selon toute vraisemblance,
aucune intervention nutritionnelle ne lui sera proposŽe.
Au-delˆ du fait quÕelle peut augmenter un risque statistique pour dÕautres maladies,
la dŽnutrition est un Žtat pathologique caractŽrisŽ par lÕaltŽration, dÕune part, des
paramtres anthropomŽtriques comme la masse maigre (mais aussi la masse grasse) et,
dÕautre part, par des altŽrations des fonctions telles que la fonction immunitaire,
endocrine et mŽtabolique. LÕorigine de cet Žtat pathologique nÕest pas seulement due ˆ
lÕabsence dÕune alimentation adŽquate, mais elle est Žgalement liŽe ˆ de mŽcanismes
biologiques (molŽculaires, physiologiques, biochimiques). LÕabsence de dŽnutrition, ou
la prŽsence dÕun bon Žtat nutritionnel, est souvent associŽe ˆ lՎtat de santŽ et de bientre. Pour ces raisons, la question de savoir si la dŽnutrition doit tre considŽrŽe comme
une maladie, mŽritŽ dՐtre posŽe. Pour cela, il est nŽcessaire de reprendre la dŽfinition
actuelle de la maladie. Nous avons constatŽ quՈ ce jour, il nÕexiste pas une dŽfinition
gŽnŽrale de la maladie et lÕambition elle-mme dÕen Žlaborer une, fait lÕobjet dÕun
questionnement par la philosophe E. Giroux1. En effet, il est possible de trouver
diverses notions ambigu‘s et complexes de la maladie et de la santŽ. CÕest le cas de la
dŽfinition de lÕOMS qui constitue la santŽ comme une valeur positive :
Ç Un Žtat de complet bien-tre physique, mental et social et pas seulement
lÕabsence de maladie et dÕinfirmitŽ2. È
Cette dŽfinition est ambigu‘ : en Žlargissant le domaine de la mŽdecine au Ç bientre È, les limites entre la santŽ et le bonheur deviennent floues. Dans le dŽbat
philosophique contemporain, le terme maladie peut avoir trois significations diffŽrentes
qui sont le reflet des termes anglais Ç illness, disease, sickness È. Mme si Ç illness È et
Ç disease È peuvent tre traduits par Ç maladie È, E. Giroux propose de traduire
Ç disease È par pathologie, avec un sens mŽdical et objectif, afin dÕinscrire lÕanalyse
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
E. Giroux, Aprs Canguilhem dŽfinir la santŽ et la maladie, Paris, PUF, 2010.
PrŽambule ˆ la Constitution de l'Organisation mondiale de la SantŽ, tel qu'adoptŽ par la ConfŽrence
internationale sur la SantŽ, New York, 19-22 juin 1946; signŽ le 22 juillet 1946 par les reprŽsentants de
61 Etats. 1946; (Actes officiels de l'Organisation mondiale de la SantŽ, n¡. 2, p. 100) et entrŽ en vigueur le
7
avril
1948.
La
dŽfinition
n'a
pas
ŽtŽ
modifiŽe
depuis
1946.
http://www.who.int/about/definition/fr/print.html. ConsultŽ le 1 dŽcembre 2015.
2
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dans lÕoptique de Canguilhem qui opre une claire distinction entre Ç le pathologique È
et Ç la maladie È. Ç Illness È aurait un sens subjectif (c™tŽ narratif de la maladie),
existentiel et clinique et dŽsignerait le fait dÕÇ tre malade È. En ce qui concerne
Ç sickness È le terme est socialement considŽrŽ comme se rŽfŽrant au fait dÕÇ tre un
malade È. Il sÕagit de la reprŽsentation socialement dŽterminŽe de la maladie.
Ces trois sens donnŽs au terme maladie nous permettent de reconna”tre les
dimensions sociales, politiques et culturelles des phŽnomnes relatifs ˆ la santŽ et ˆ la
maladie. Cependant, il est important de noter que la mŽdecine reconna”t aujourdÕhui
comme pathologiques certains Žtats comme le cancer, le diabte, lÕhypertension
artŽrielle, etc. et quÕil existe dans ces Žtats des critres objectifs et biologiques robustes
et bien Žtablis. Par exemple, un taux de glycŽmie supŽrieur ˆ 1.26g/dl est le critre
diagnostic pour le diabte. Les mŽdecins ont besoin dÕappuyer leurs dŽcisions et leurs
jugements sur des notions objectives et non sur critres arbitraires. Or, il nÕexiste pas
une dŽfinition gŽnŽrale universellement acceptŽe de la dŽnutrition, ce qui favorise
lÕincertitude, lÕambigu•tŽ et lÕarbitraire dans lՎtablissement de critres1. CÕest ce que
nous avons examinŽ plus haut en mettant en Žvidence les limites de lÕIMC pour
diagnostiquer la dŽnutrition chez un individu.
La difficultŽ dans la pratique clinique est de faire la diffŽrence entre un Žtat
nutritionnel Ç normal È et un Žtat nutritionnel Ç pathologique È. DÕune manire gŽnŽrale,
cette diffŽrence permettrait de dŽfinir la santŽ et la maladie2. Il existe deux manires
dÕaborder le normal et le pathologique. Premirement, selon une diffŽrence quantitative,
le normal est une valeur de rŽfŽrence correspondant ˆ une moyenne statistique : ce qui
est plus frŽquent est considŽrŽ comme normal. Ce qui sՎcarte de cette valeur de
rŽfŽrence est considŽrŽ comme Ç anomal È. Deuximement, selon une diffŽrence
qualitative. DÕaprs lÕanalyse de Canguilhem : lÕanormal serait une autre norme, une
manire diffŽrente de se comporter, une Ç autre allure de la vie È3. Cette nouvelle norme
ne doit pas tre comprise comme une variante quantitative, mais par rapport au passŽ de
lÕindividu. Il faudrait alors considŽrer lÕorganisme comme une unitŽ globalisante et pas
seulement comme une somme dՎlŽments autonomes. LՎtat pathologique crŽe ses
propres normes et conduirait ˆ une vie Ç plus limitŽe, ˆ une autonomie moindre, au
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
J.M.M. Meijers, M.A.E. van Bokhorst-de van der Schueren, J.M.G.A. Schols, P. B. Soeters, R.J.G.
Halfens, Ç Defining malnutrition : Mission or mission impossible È, Nutrition, op.cit., p. 432Ð440.
2
E. Giroux, Aprs Canguilhem dŽfinir la santŽ et la maladie, op.cit., p. 14.
3
G. Canguilhem, Le normal et le pathologique, op.cit., p.51.
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sentiment de souffrance È. Le philosophe reconna”t la valeur axiologique de la maladie
qui dÕaprs lui, est une Ç valeur biologique nŽgative È. Comme nous lÕavons mentionnŽ
dans la premire partie de la thse, la normativitŽ organique constitue la capacitŽ de
changer de normes de vie. En ce sens, le pathologique est la rŽduction de ce pouvoir
normatif.
Dans la continuitŽ des apports de G. Canguilhem au dŽbat moderne, il existe une
opposition entre Ç naturalistes È et Ç normativistes È1. Les questions qui se posent
concernent les diverses positions concernant les dimensions normatives et axiologiques
du concept de santŽ et maladie2. Les naturalistes conoivent la maladie comme une
catŽgorie objective et naturelle qui sÕapplique ˆ tous les organismes et ˆ toutes les
espces. Les maladies Ç interfrent avec une ou plusieurs fonctions typiquement
accomplies par les membres de lÕespce È3. La maladie implique un effet incapacitant
qui est indŽsirable et qui justifie un traitement mŽdical spŽcifique. Elle se fonde sur des
critres scientifiques qui permettent de reconna”tre un dysfonctionnement de manire
objective. Il y a ici aussi une dimension normative qui est surimposŽe et relative au
contexte technique et juridique de la maladie4.
Christopher Boorse, le principal reprŽsentant des Ç naturalistes È, affirme quÕil est
possible dՎtablir une dŽfinition de la santŽ et de la maladie libre de tout jugement de
valeur. Selon sa thŽorie, appelŽe Ç biostatistique È, une condition pathologique est un
Žtat statistiquement subnormal de la capacitŽ fonctionnelle partielle biologique (partdysfonction) des espces au regard du sexe et de l'‰ge. La santŽ Ç thŽorique È
correspond ˆ l'absence totale de conditions pathologiques. Il sÕagit, pour lui, dÕune
notion scientifique libre de tout jugement de valeur5. Il distingue un concept thŽorique et
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
E. Giroux, Aprs Canguilhem dŽfinir la santŽ et la maladie, op.cit. p.14
Pour le Ç normativiste È comme L. Nordenfeltn, les jugements sur la santŽ et la maladie sont des
jugements de valeur mais aussi descriptifs. La maladie est dŽfinie comme : Ç a est malade (ou sens
mŽdical) si est seulement si, A est, dans des circonstances standard, incapable de rŽaliser ses buts vitaux ˆ
cause de la prŽsence dÕau moins une pathologie que lÕon considre en principe comme curable È. Le
pathologique est considŽrŽ au sens large comme pathologie, dŽficience, blessure, malformation. En ce
sens, des situations controversŽes, telles que la vieillesse, doivent tre considŽrŽes non comme
pathologiques car il sÕagit dÕun processus inŽvitable et incurable. Il sÕagit dÕune thŽorie moniste avec une
multiplicitŽ de concepts secondaires. Sa principale critique est le lien quÕil Žtablit entre bonheur et santŽ et
lÕamalgame entre bien-tre et bonheur. Son concept de santŽ tel que lÕaffirme E. Giroux Ç ne laisse la
possibilitŽ quÕune personne soit heureuse, bien quÕelle ait une maladie, que si ses buts vitaux sont rŽalisŽs
par quelquÕun dÕautre È.
3
J. Gayon, Ç EpistŽmologie de la mŽdecine È, dans Dominique Lecourt (dir.) Dictionnaire de la pensŽe
mŽdicale, Paris, PUF, 2004, p. 436.
4
Ibid., p. 437.
5
C. Boorse, A second rebuttal on health, Med Philos. 2014,39(6):683-724.
2
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un concept pratique1 : le premier serait indŽpendant de cette dimension axiologique, le
second implique et suppose un jugement de valeur. DÕaprs sa thŽorie,
Ç Tout concept pratique de maladie prŽsuppose le concept thŽorique du pathologique2. È
Le sens de ces notions empcherait que des Žtats soient considŽrŽs comme
pathologiques comme la masturbation et lÕhomosexualitŽ. Il sÕensuit que la dŽfinition de
pathologique est fondamentale dÕun point vue pratique. Par ailleurs, la dŽfinition de la
maladie dans son sens pratique permettrait de distinguer ce qui est Ç central et
pŽriphŽrique È ˆ la mŽdecine, ce qui est thŽrapeutique (traiter les maladies) ou non
thŽrapeutique (contraception, circoncision, chirurgie esthŽtique, etc.). Il sÕagit alors de
faire la diffŽrence entre ce qui relve dÕune mŽdecine visant la guŽrison, qui implique
une maladie ˆ prendre en charge, et une mŽdecine dÕamŽlioration de la santŽ.
Toutefois, la maladie serait mieux dŽfinie selon Boorse par deux critres : dÕabord,
par un Žtat nŽgatif mais aussi par un Žtat susceptible dՐtre traitŽ par les mŽdecins. La
maladie selon ce philosophe :
Ç nÕest pas une autre chose que le fonctionnement biologique subnormal pour lÕespce ; donc la
classification des Žtats humains comme sain ou pathologique est une question objective, que lÕon
doit rŽsoudre ˆ partir des faits biologiques de la nature sans quÕil soit nŽcessaire de recourir ˆ des
3
jugements de valeur . È
En ce qui concerne les Ç normativistes È, la maladie suppose aussi une dimension
normative mais plus forte4. Ainsi, toute entitŽ considŽrŽe comme une maladie implique
toujours un jugement de valeur5. DÕaprs Engelhardt, qui a dŽfendu cette position, il nÕy
a pas de malades indŽpendamment de tout contexte, ce qui indique que la normativitŽ de
la maladie comporte aussi une dimension sociale. Il souligne ainsi que :
Ç la maladie est alors toute chose que les mŽdecins traitent dans une sociŽtŽ particulire, ce qui
rend circulaires les dŽfinitions de la maladie et de la mŽdecine6.È
Ainsi, selon ce mŽdecin et philosophe, un Žtat pathologique est :
Ç tout Žtat quÕune sociŽtŽ juge devoir faire lÕobjet dÕune prise en charge clinique1 .È
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
La thŽorie quÕil dŽfinit comme Ç TBS È
E. Giroux, Aprs Canguilhem dŽfinir la santŽ et la maladie, op.cit., p. 44.
3
Ibid.
4
Ibid.
5
Ibid., p. 437.
6
Ibid., p. 435.
2
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Il propose de remplacer le terme de maladie par celui de Ç problme clinique È
Cependant, il faut reconna”tre que certains Žtats qui ne sont pas encore susceptibles
dՐtre traitŽs sont reconnus comme pathologiques.
Nous avons montrŽ dans la premire partie de notre thse que la malnutrition est la
problŽmatique centrale de la nutrition clinique. Le statut ŽpistŽmologique de la nutrition
clinique en tant que science autonome est fondŽ sur lÕanalyse de la transformation du
concept de nutriment. La notion de nutriment artificiel avec la possibilitŽ dÕun statut de
mŽdicament permet dÕaborder de manire clinique une problŽmatique concrte : la
malnutrition. En consŽquence, la malnutrition et en particulier la dŽnutrition sont des
situations susceptibles dՐtre traitŽes par les mŽdecins. Elles ont suscitŽ de nombreuses
recherches permettant de conna”tre leur physiopathologie, les mŽcanismes qui leur sont
liŽs, ainsi que les possibilitŽs de traitement. Il sÕagit de donnŽes objectives, qui
impliquent, dans la notion de dŽnutrition, la dŽfinition dÕun Ç fonctionnement
biologique subnormal È, sans quÕil y ait des jugements des valeurs. Autrement dit, la
dŽnutrition peut se prŽsenter comme une maladie objectivable. Le problme ici est de
dŽterminer sur quels critres et sur quelles valeurs une telle dŽfinition est possible. Il est
impossible de sÕinterroger sur la dŽnutrition comme on pourrait rŽflŽchir sur une
maladie qui possde une normalitŽ statistique (telle que le propose Cerderlhom avec
lÕanŽmie). Il nÕexiste pas de valeur statistique unique de dŽnutrition, comme cÕest le cas
pour lÕanŽmie dŽfinie par un taux dÕhŽmoglobine infŽrieur ˆ 12 g/dl. Cette dernire
maladie concerne un tissu ou un systme unique comme dÕautres maladies, par exemple,
les maladies immunitaires ou digestives. Il nÕest gure possible de considŽrer lÕabsence
dÕun Ç systme È nutritionnel comme un obstacle ˆ la dŽfinition objectivable de la
dŽnutrition. En effet, la fonction biologique de la nutrition perturbŽe dans la dŽnutrition,
est en principe une fonction qui se situe au niveau cellulaire et qui inclut donc diffŽrents
organes et divers systmes de lÕorganisme (endocrinologique, digestif, immunitaire,
respiratoire, etc.). Autrement dit, cÕest une pathologie qui peut se manifester de diverses
manires et qui touche divers organes. Dans le cas de la dŽnutrition, un critre
statistique unique comme pour lÕanŽmie nÕest pas envisageable. La malnutrition (au
mme titre que les autres troubles nutritionnels : dŽnutrition, sarcopenie, obŽsitŽ, etc.)
serait donc un ensemble de maladies qui pourraient se dŽfinir par des critres
objectivables : socioculturels (absence /mauvaise alimentation), cliniques (anorexie,
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
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!
Ibid.
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etc.) biologiques (protŽines sŽriques, etc.), anthropomŽtriques (masse maigre, etc.),
fonctionnels (force musculaire, etc.) et anatomopathologiques (lipodistrophies, etc.).
Il faut donc reconna”tre la complexitŽ de la dŽnutrition et lÕabsence de critre
biologique unique. LÕutilitŽ de lÕIMC comme critre principal doit tre dŽpassŽ. LÕenjeu
clinique actuel est de reconna”tre la dŽnutrition en tant que maladie et de lui associer
une approche diagnostique multidimensionnelle, plus qualitative et pas seulement
quantitative, permettant ainsi un traitement mŽdical adaptŽ ˆ chaque individu. Une telle
reconnaissance permettra de lŽgitimer cette condition et les actions des spŽcialistes de la
nutrition clinique. Cela permettrait aussi dÕenvisager Žgalement ˆ un investissement
Žconomique plus important de la part des dŽcideurs politiques. LÕampleur de cette
problŽmatique est telle que cette reconnaissance est une prioritŽ.
Prenant en compte notre analyse, force est de reconna”tre que M. Dn., selon les
critres dÕESPEN 2015, nÕest pas dŽnutri. Selon la premire option (voit tableau 2), il a
un IMC qui ne le situe pas au seuil de dŽnutrition, il est plut™t proche du surpoids. Selon
la deuxime option, il prŽsente une perte de poids involontaire > ˆ 10 % en 3 mois mais
son IMC nÕest pas <22 kg / m2. Ce patient serait donc classŽ comme non dŽnutri. Il ne
serait probablement pas pris en charge nutritionnellement. Le cas ne prŽsente pas les
donnŽes concernant la composition corporelle. Or, chez les personnes ‰gŽes, la
sarcopenie est frŽquente. Si la dŽnutrition avait un statut et Žtait reconnue dans la
pratique courante en mŽdecine, on devrait pouvoir appliquer un outil de dŽpistage de
dŽnutrition (NRS 2002) qui conduirait ˆ formuler que ce patient est confrontŽ ˆ un
Ç risque de dŽnutrition È. Cela pourrait amener ˆ une prise en charge nutritionnelle et ˆ
des soins adaptŽs. Cependant, actuellement, son Žtat nutritionnel nÕinquiŽtera pas son
mŽdecin dans la mesure o son IMC est normal. Il aura donc trs peu de chance de
rencontrer un nutritionniste. Ce patient risque dÕaggraver son Žtat nutritionnel et, par
consŽquent, sa pathologie de base (la pneumopathie) va certainement sÕaggraver. En
effet, la rŽsistance ˆ l'infection est compromise dans la dŽnutrition ; la fonction
musculaire (y compris les voies respiratoires) et la fonction mentale peuvent aussi tre
affectŽes. Il sÕensuit que la convalescence peut se prolonger, sa qualitŽ de vie tre
affectŽe et les dŽpenses Žconomiques du systme de santŽ augmentŽes. Au mieux, il va
avoir un sŽjour prolongŽ ˆ l'h™pital. Au pire, il va mourir de l'infection. Il est prouvŽ que
fournir un support nutritionnel appropriŽ pourrait diminuer les risques associŽs ˆ la
dŽnutrition et aider au traitement optimal de sa pathologie sous-jacente. Le diagnostic
de dŽnutrition est donc une exigence pour le mŽdecin.
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Cependant, considŽrer la dŽnutrition comme une maladie participe au dŽbat actuel
sur la Ç mŽdicalisation È de la sociŽtŽ. Or, notre position implique quÕune telle
reconnaissance aurait un effet double : reconna”tre la vulnŽrabilitŽ de la personne
dŽnutrie, et permettre aux sociŽtŽs savantes dÕavancer dans la dŽfinition de la
dŽnutrition. Il sÕagirait de donner ˆ la dŽfinition de la dŽnutrition, non seulement un
caractre fondŽ sur des paramtres statistiques, reconnaissant aussi ses dimensions
qualitatives et sociales et un engagement moral ˆ travers la prise en charge de la
dŽnutrition. Sur le plan Žthique, le mŽdecin devrait se soumettre ˆ lÕexigence de
reconna”tre cette situation. Sur le plan scientifique, la nŽcessitŽ est dՎtablir un
consensus ˆ propos des critres diagnostiquŽs pertinents qui tiennent compte de la
rŽalitŽ des malades et des possibilitŽs des traitements. Enfin, la dŽnutrition peut tre
impliquŽe dans les dŽfinitions de la santŽ et de la maladie. En effet, nutrition et santŽ
sont Žtroitement liŽes. En cas de maladie, lՎtat nutritionnel peut se voir affectŽ et donc
tre associŽ ˆ la maladie de dŽnutrition, et rŽciproquement, la dŽnutrition ne permet pas
dՐtre en bonne Žtat de santŽ. Ainsi, une alimentation naturelle (par voie orale) ou
artificielle (nutrition entŽrale et parentŽrale) pourrait appara”tre comme une des
conditions du rŽtablissement de la santŽ. LÕampleur de la dŽnutrition nŽcessite ainsi sa
reconnaissance comme maladie afin de mobiliser la communautŽ scientifique, les
administrateurs, les patients et leurs familles et dÕavoir un discours homogne qui soit
mieux entendu par les dŽcideurs politiques. Ainsi, les choses pourraient changer et la
dŽnutrition pourrait tre prise au sŽrieux dans la pratique clinique.
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2.2 Cas No. 2 : Nourrir lÕhomme malade : quels enjeux Žthiques ?
CAS No 21
Le cas de Monsieur Johnson
Monsieur J, ‰gŽ de 46 ans, prŽsente une maladie chronique, la maladie de Crohn.
Il a ŽtŽ hospitalisŽ pour une stŽnose intestinale, qui cause des douleurs
abdominales et une diminution de lÕalimentation. Il a ŽtŽ programmŽ pour une
rŽsection de lÕintestin grle. Il prŽsente une perte rŽcente de poids de 76 ˆ 68 kg
et sa taille est de 1.72 m. L'Žquipe de nutrition est consultŽe pour des conseils
sur la nutrition prŽopŽratoire pour rŽtablir les dŽficits, afin d'optimiser l'Žtat du
patient avant l'opŽration et de stabiliser son poids. LÕindication de la nutrition
artificielle a ŽtŽ prŽsentŽe car le patient a perdu 10 % de son poids corporel et
prŽsente un risque de dŽnutrition sŽvre. Cela peut augmenter son risque de
complications postopŽratoires. Une semaine de nutrition prŽopŽratoire peut
rŽduire ces risques.
Un cathŽter veineux central est insŽrŽ. Le patient a ŽtŽ placŽ sous nutrition
parentŽrale centrale pendant au moins une semaine en prŽopŽratoire et quelques
jours aprs l'opŽration, (la nutrition par voie pŽriphŽrique nՎtait pas possible).
En raison de la stŽnose et de la douleur, la voie orale ou entŽrale nՎtait pas
envisageable. Le patient reoit une nutrition parentŽrale complte conformŽment
au protocole. Il est fondŽ sur les rŽsultats de la mesure des besoins ŽnergŽtiques
par calorimŽtrie indirecte, multipliŽe par un facteur de 1,3. Les apports en
protŽine sont estimŽs ˆ 1.2 - 1.5 g/kg/jour.
M. Johnson est autorisŽ ˆ boire des liquides, en plus de la nutrition parentŽrale,
mais la douleur lÕempche de boire. Aprs l'opŽration (rŽsection de 60 cm de
jŽjunum), le patient dŽveloppe un ilŽus paralytique2. La nutrition parentŽrale est
poursuivie jusqu'ˆ ce que l'ilŽus soit rŽsolu. La nutrition entŽrale a commencŽ
ds que les rŽsidus gastriques ont diminuŽ et elle est progressivement
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Cas disponible sur LLL thme No 11.1 : Ç Organisation of a Nutritional Support Team È
IlŽus paralytique : occlusion intestinale due ˆ une paralysie ou arrt plus ou moins complet du transit
intestinale alors quÕil nÕexiste pas dÕobstacle matŽriel.
2
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augmentŽe. Huit jours aprs la rŽsection intestinale, la nutrition parentŽrale est
arrtŽe. La nutrition entŽrale est administrŽe durant la nuit (1500 kcal, 60 g de
protŽines) jusqu'ˆ ce que la prise orale soit suffisante.
Deux semaines aprs l'opŽration, le patient est sorti de lÕh™pital et sÕalimente par
voie orale. Il sera suivi par la diŽtŽticienne du dŽpartement de gastro-entŽrologie.
Il n'a pas perdu davantage de poids au cours de l'hospitalisation. LÕobjectif est
quÕil reprenne du poids jusqu'ˆ atteindre le poids quÕil avait avant sa maladie.
2.2.1 Le problme Žthique
AujourdÕhui, il est possible de fournir les besoins en nutriments ˆ tous les malades
par divers moyens et dans diffŽrentes situations cliniques. Il est Žgalement possible de
moduler les rŽponses immunitaire et inflammatoire chez les patients gr‰ce aux
immunonutriments associŽs ˆ la nutrition. Les patients qui bŽnŽficient de cette
technique dŽfinie comme technique de Ç soutien È1 ou Ç support nutritionnel È2 sont
ceux qui sont atteints de maladies aigu‘s ou chroniques, nŽcessitant des soins de
rŽanimation, des soins de suite ou de convalescence et, cela, en excluant le fait que le
malade soit capable ou non de dŽcider. Cela concerne un contexte particulier que nous
avons dŽfini dans la premire partie de la thse, qui est celui de la Ç nutrition clinique È.
Cela ne signifie aucunement quÕil sÕagit lˆ de la seule application des principes et des
thŽories de la nutrition dans le domaine de la Ç clinique È. Il sÕagit dÕune discipline
rŽsultant de lÕinteraction entre la nutrition et la mŽdecine, ce qui a permis lՎvolution
technique et conceptuelle de la notion de Ç nutriment È. Le lieu de cette Ç clinique È est
lÕh™pital, lÕinstitution de santŽ, mais cela a Žgalement du sens dans la vie de la personne
malade en dehors des Žtablissements de santŽ. Cette discipline si particulire est
subjective puis quÕelle implique la relation entre le patient et le mŽdecin. Elle nÕexclut
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Le rapport du Conseil EuropŽen ( ResAP(2003)3 sur lÕalimentation et les soins nutritionnels dans les
h™pitaux ) utilise Òsoutien nutritionnel artificielÓ et le dŽfinit comme l'introduction directe dans lÕintestin
(alimentation entŽrale) ou dans une veine (alimentation parentŽrale) de nutriments liquides spŽcialement
prŽparŽs.
2
Autre termes possibles: Ç Assistance nutritionnelle È employŽ dans la rapport franais du Ç Bilan de
lÕexpŽrimentation des UnitŽs transversales de nutrition clinique 2008-2011 et propositions È. ÇNutrition
mŽdicaleÈ et Çintervention nutritionnelleÈ sont synonymes dans le Dictionnaire mŽdical en ligne de
lÕAcadŽmie Nationale de MŽdecine 2013. http://dictionnaire.academie-medecine.fr/. Il sÕagit, pour tous ce
termes, comme nous lÕavons ŽtudiŽ dans la premire partie de lÕapplication de la technique connue
aujourdÕhui comme Ç nutrition artificielle È.
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pas dÕautres acteurs, comme on le voit avec lÕindustrie pharmaceutique qui est trs
prŽsente. Cette conception de la nutrition clinique et donc la manire actuelle de nourrir
lÕhomme malade posent dans la pratique clinique de nouveaux dŽfis Žthiques que nous
allons ˆ prŽsent examiner.
Le cas de monsieur J. permet dÕaborder une situation particulire et frŽquente en
mŽdecine : une complication dÕune maladie chronique (la maladie de Crohn) qui
nŽcessite une intervention chirurgicale dÕurgence. Cette complication ne permet pas une
alimentation orale, ce qui conduit ˆ lÕadoption dÕune alimentation par voie artificielle.
Le patient a eu recours ˆ la nutrition parentŽrale et entŽrale avant de reprendre une
alimentation orale. LÕobjectif principal du support nutritionnel est celui de nourrir
lÕhomme malade. Nourrir au plan biologique signifie donner au corps les besoins en
nutriments nŽcessaires pour maintenir les fonctions organiques de la personne,
reconstituer sa masse et ses tissus corporels et enfin assurer sa vie. Nourrir de manire
artificielle implique que les soignants doivent intervenir afin de subvenir aux besoins en
nutriments dÕautrui. Nourrir de manire Ç naturelle È ˆ lÕh™pital implique Žgalement la
participation de plusieurs soignants : le mŽdecin dans la prescription du rŽgime, lÕaidesoignant qui amne le plateau, lÕinfirmier ou diŽtŽticienne qui vŽrifient la consommation
du repas, etc. Dans ce contexte, une question fondamentale se pose : nourrir lÕhomme
malade constitue-t-il un acte thŽrapeutique ou un soin de support ? Autrement-dit,
sÕagit-il de guŽrir ou de soutenir une fonction vitale ou de confort ?
Pour rŽpondre ˆ cette question, nous allons dÕabord montrer quÕil existe une tension
constante entre ces deux conceptions du support nutritionnel dans la pratique de la
nutrition clinique. Nous dŽfinirons ensuite ce quÕon appelle le Ç soin È et prŽciserons ce
quÕimpliquent pour le malade et pour le soignant un Ç soin thŽrapeutique È et un Ç soin
de supportÈ.
2.2.2 La nutrition artificielle, entre soin et thŽrapeutique
La nutrition entŽrale (NE), les supplŽments nutritionnels oraux (SNO) et la nutrition
parentŽrale (NP) correspondent ˆ la technique connue aujourdÕhui comme Ç nutrition
artificielle È et ˆ son application intitulŽe Ç support nutritionnelÈ1. Nous avons ŽtudiŽ,
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Le Dictionnaire mŽdical en ligne de lÕAcadŽmie Nationale de MŽdecine 2013 considre les expressions
de
Çnutrition
mŽdicaleÈ
et
Çintervention
nutritionnelleÈ
comme
synonymes
dans
http://dictionnaire.academie-medecine.fr/. (consultŽ le 10 avril 2014).
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dans la premire partie, le statut ŽpistŽmologique de cette pratique et avons constatŽ
quÕelle est au centre de la pratique de la nutrition clinique. Cette discipline sÕest
constituŽe ˆ partir de lÕintŽgration des thŽories et des notions de la mŽdecine et de la
nutrition, en particulier de la transformation de la notion de nutriment. En effet,
lÕutilisation des nutriments sÕest transformŽe de manire essentielle au XXme sicle.
Les nutriments ne concernent plus seulement un rŽgime alimentaire administrŽ par la
voie orale, mais ils renvoient aussi ˆ lÕalimentation artificielle. Cette voie artificielle
implique un geste invasif, ˆ savoir les poses dÕun cathŽter dans la voie parentŽrale ou
intraveineuse et dÕune sonde (naso- gastrique ou de gastrostomie) pour la voie entŽrale.
Ce qui est significatif ici, cÕest lÕidŽe que lÕadjectif Ç artificiel È ne fait plus uniquement
rŽfŽrence ˆ une propriŽtŽ des aliments, mais ˆ la mŽthode particulire dÕadministration
des aliments. Les nutriments (macro et micronutriments) administrŽs par voie artificielle
sont obtenus aprs une production et une mise en forme industrielles. Du point de vue
rŽglementaire et ŽpistŽmologique, force est de reconna”tre la fusion entre la notion de
nutriment et celle de mŽdicament.
Afin de mieux interroger sur le plan Žthique la pratique du support nutritionnel, en
particulier, les enjeux liŽs ˆ lÕapprŽciation de cette technique thŽrapeutique, il est
nŽcessaire au prŽalable de montrer ses bŽnŽfices sur le plan scientifique.
Chacune de ces techniques de nutrition artificielle prŽsente des spŽcificitŽs, des
indications et des risques respectifs qui obligent ˆ les Žtudier sŽparŽment. La NE
concerne lÕalimentation par voie gastrique ou jŽjunale ds que le patient ne peut
sÕalimenter par voie orale. Il sÕagit de produits catŽgorisŽs comme Aliments DiŽtŽtiques
DestinŽs ˆ des Fins MŽdicales SpŽciales (ADDFMS). LÕutilisation des supplŽments
nutritionnels oraux (SNO) est indiquŽe lorsque la voie orale est possible, mais les
apports ne sont pas suffisants. La NP, considŽrŽe dÕun point de vue rglementaire
comme un mŽdicament, aprs les dŽveloppements pharmaceutiques de ces cinquante
dernires annŽes, est disponible soit sous forme dÕune poche unique contenant tous les
nutriments (all in one bag), soit sous forme de poches ou flacons de nutriments
individuels (glucose, aminoacides, triglycŽrides, vitamines et oligoŽlŽments) qui sont
ensuite mŽlangŽs et administrŽs ensemble par un cathŽter dans une veine centrale ou
pŽriphŽrique. Les poches uniques peuvent tre prŽparŽes dans la pharmacie de lÕh™pital
ou par les laboratoires pharmaceutiques. La NP est administrŽe si lÕintestin ne peut pas
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tre utilisŽ ou en mme temps avec la NE (nutrition artificielle mixte) si les apports ne
sont pas suffisants par cette dernire voie.
Figure 5. Les voies du support nutritionnel1.
Les bŽnŽfices du support nutritionnel ( NP, NE ou SNO) en termes d'amŽlioration
des marqueurs biochimiques et fonctionnels de lՎtat nutritionnel2 mais aussi en termes
de rŽsultats cliniques3, sont bien documentŽs dans la littŽrature scientifique4. Par
exemple, concernant les SNO, il existe de nombreuses Žtudes qui ont montrŽ leur
potentiel sur le plan clinique : ils amŽliorent l'Žtat nutritionnel, la masse, la force, et la
performance musculaire, la qualitŽ de la vie et rŽduisent ainsi les complications
cliniques, et mme la mortalitŽ. (Tableau 3) Sur le plan Žconomique, les Žtudes
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Source :http://conceptosnutricionales.blogspot.com/2015/01/nutricion-enteral-y-parenteral-con.html
Depuis environ trois ans, les Žtudes incluent de plus en plus des rŽsultats cliniques importants comme la
qualitŽ de vie et la mortalitŽ.
3
Ç Clinical outcomes È est traduit ici par Ç rŽsultats cliniques È. Il est important de souligner que le terme
ÇoutcomeÈ nÕest pas uniformŽment dŽfini dans le domaine mŽdical. On lÕutilise ici dans le sens de
ÇrŽsultatÈ des effets d'une thŽrapie.
4
KA. Tappenden, B. Quatrara, ML. Parkurst, et al., ÇCritical role of Nutrition in Improuving Quality of
Care : An interdisciplinary call to action to adress adult hospital malnutrition È, JPEN, 2013, 37, p.1-16.
2
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montrent quÕil est possible de rŽduire significativement la durŽe du sŽjour ˆ l'h™pital, les
taux de rŽadmission et le cožt des soins1.
Force est de constater que les Žtudes publiŽes sur le support nutritionnel sÕappuient
en gŽnŽral sur de petits essais et des Žtudes observationnelles plut™t que sur des essais
multicentriques randomisŽs. Cela se traduit par une Žvidence scientifique Ç faible È, si
on lՎvalue sous le paradigme de la mŽdecine fondŽe sur lՎvidence (evidence-based
medecine). Depuis les annŽes 80, cette approche se rŽfre ˆ Ç l'utilisation
consciencieuse, explicite et judicieuse des meilleures preuves actuelles dans la prise de
dŽcision sur les soins des patients È2. En effet, la majoritŽ des recommandations en
matire de soins nutritionnels reste fondŽe sur des preuves de bas niveau ou sur des
consensus d'experts. CÕest le cas des directives (guidelines) de ASPEN de 1993 dans
lesquelles seulement 16 % des recommandations ont ŽtŽ fondŽes sur un niveau
dՎvidence scientifique considŽrŽ comme Žtant de qualitŽ (niveaux de preuve
scientifique I : mŽta-analyse d'Žtudes contr™lŽes randomisŽes ou essai contr™lŽ
randomisŽ (ECR)), 29 % sur un niveau de preuve de type II ou III et 55% des
recommandations fondŽes sur l'opinion d'experts. Vingt-cinq ans aprs, les
recommandations dÕESPEN de 2009 sont semblables, ˆ savoir, niveau I : 15,8% ;
niveau II ou III: 28,2%, fondŽes sur l'opinion d'experts 56,0 %.
Tableau 3. Impact de lÕintervention nutritionnelle sur les cožts Žconomiques et les
rŽsultats mŽdicaux des patients.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
MI. Correia MI , RA Hegazi, Ti Higashiguchi, JP. Miche, B. Ravinder Reddy, KA. Tappenden, M Uyar,
M. Muscaritoli. Ç Evidence-Based Recommendations for Addressing Malnutrition in Health Care: An
Updated Strategy From the feedM.E. Global Study Group È, JAMDA 2014, vol. 15, 544e550.
2
Sackett DL, Rosenberg WMC, Haynes RB, Ç Evidence-based medicine: what it is and what it isnÕtÈ
BMJ, 1996, vol. 310, p. 71.
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NŽanmoins, nous ne devrions pas conclure que ces Ç guidelines È soient de mauvaise
qualitŽ. Il sÕagit de comprendre que les essais nutritionnels ne peuvent pas tre
comparŽs ˆ ceux qui sont utilisŽs pour un agent pharmacologique. Il est dans la plupart
des cas impossible de rŽaliser des Žtudes avec la rŽfŽrence ou Ç gold standard È1 de la
mŽthodologie. Il existe de multiples difficultŽs pour mettre en Ïuvre des Žtudes en
nutrition clinique2. En premier lieu, dans la majoritŽ des cas, les inventions
nutritionnelles sont considŽrŽes comme des thŽrapies adjudantes ou complŽmentaires
(adjunct therapy) et leurs effets sont confondus avec ceux de la thŽrapie Ç primaire È.
Par exemple, chez le patient sous chimiothŽrapie, les paramtres de la croissance de la
tumeur et la survie du patient sans tumeur sont sans aucun doute des paramtres utiles.
De tels patients, cependant, pourraient bien profiter de lÕamŽlioration de leur qualitŽ de
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Essai contr™lŽ randomisŽ et double aveugle.
M. Koller M, T. SchŸtz, L. Valentini, I. Kopp, C. Pichard, H. Lochs; Clinical Nutrition Guideline Group.
Ç Outcome models in clinical studies: implications for designing and evaluating trials in clinical
nutritionÈ, Clin Nutr, 2013, vol. 32, p.650-7.
2
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vie et de la performance physique causŽe par la thŽrapie nutritionnelle mme si cela
nÕest pas exprimŽ par les premiers paramtres. Ensuite, la stratification des patients est
habituellement rŽalisŽe selon le degrŽ de leur maladie primaire plut™t quÕen prenant
compte leurs troubles nutritionnels et mŽtaboliques. Par exemple, en rŽanimation, les
patients atteints du syndrome de rŽponse inflammatoire systŽmique (SIRS) sont
stratifiŽs selon le score APACHE plut™t que selon leur degrŽ de malnutrition. Enfin, il
existe des difficultŽs dans la conception de groupes de contr™le adŽquats dans les Žtudes
de nutrition clinique. Il nÕy a pas de consensus gŽnŽral sur leur dŽfinition. Dans de
nombreux cas, un groupe placebo Ç non-alimentation È nÕest ni techniquement faisable
ni Žthiquement acceptable.
En effet, effectuer un essai contr™lŽ par placebo, dans lequel certains patients se
voient dŽlibŽrŽment refusŽs lÕalimentation, est dÕun point vue Žthique, inadmissible,
mme si lÕalimentation artificielle peut tre considŽrŽe comme un traitement.
LÕalimentation, surtout artificielle, mme si elle peut tre connue, sur le plan
rglementaire et ŽpistŽmologique, comme un mŽdicament, a pour fonction principale de
nourrir la personne pour couvrir ses besoins vitaux (et lÕempcher ainsi de mourir). En
ce sens, il nÕest pas Žthique de rŽaliser des Žtudes avec un groupe placebo Ç nonalimentation È. Dans le contexte particulier de la NP qui est appliquŽe aujourd'hui
principalement comme une technique Ç de substitution È lorsque la voie entŽrale est
indisponible, sa non-administration pourrait causer la mort du patient. En consŽquence,
dans la plupart des situations, il est impossible de faire des Žtudes comparant
alimentation vs Ç non-alimentation È. Cependant, il existe certaines situations o les
effets de la NP peuvent tre ŽtudiŽs dans un cadre structurŽ et comparŽ au placebo : 1)
lorsque la durŽe de la NP est si courte quÕil serait possible de la comparer ˆ un groupe
Ç non-alimentation È, par exemple, dans lՎtat post-opŽratoire immŽdiat. En effet, un
tiers des recommandations dÕESPEN de niveau I (Recommandation grade A) entre dans
ce cadre. Le domaine de la nutrition prŽopŽratoire, chez le patient oncologique, a ŽtŽ le
plus ŽtudiŽ par des Žtudes randomisŽes et contr™lŽes. En effet, les chirurgiens,
traditionnellement, utilisent en postopŽratoire des solutions salines (avec ou sans
glucose et acides aminŽs) et ils peuvent utiliser ces patients comme groupe de contr™le ˆ
comparer avec les patients recevant NP ou NE1 ; 2) lorsque, dans un groupe, l'enquteur
ajoute un ou plusieurs substrats spŽciaux (par exemple, les immunonutriments,
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
F. Bozzetti. Ç Nutritional support in oncologic patients: Where we are and where we are goingÈ,
Clinical Nutrition 2011, vol. 30, p.714e717.
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diffŽrents types de lipides) au rŽgime nutritionnel classique (groupe contr™le sans
substrat spŽciaux) ; 3) lorsque l'enquteur compare diffŽrents rŽgimes nutritionnels (par
exemple ˆ base de lipides ou ˆ base de glucose) ou diffŽrentes voies d'administration
(par exemple PN contre NE, etc.) ou diffŽrents moments de l'administration (prŽcoce ou
tardif, qui elle est continue ou intermittente, etc.).1 Cependant, mme dans ces
conditions, rŽaliser des Žtudes doubles aveugles est difficile.
Ainsi, les patients souffrant de malnutrition et ceux qui ont un intestin non
fonctionnel Ð ceux qui sont susceptibles de bŽnŽficier du support nutritionnel - ne
peuvent pas tre normalement randomisŽs dans un groupe de Ç non-alimentation È. Ils
sont donc exclus de lՎvaluation. Seuls les patients qui sont des candidats pour une
Žventuelle NP, (souvent des patients non dŽnutris) ont pu tre randomisŽs dans un
groupe Ç non-alimentation È et donc inclus dans les Žtudes, ce qui potentiellement
pourrait masquer les avantages de lÕalimentation artificielle.
Il est aussi possible aujourdÕhui dÕappeler le support nutritionnel thŽrapie
nutritionnelle ou Ç Medical nutrition therapyÈ2. Cela peut tre interprŽtŽ comme une
manire dÕaffirmer la volontŽ de considŽrer en prioritŽ la dimension thŽrapeutique et la
visŽe curative de ces techniques. En 1996, en plein essor de la NP il Žtait possible
dÕenvisager que :
Ç Dans l'avenir, TPN peut ainsi tre utilisŽ comme un agent pharmacologique plut™t que comme
une intervention nutritionnelle È.3
Ainsi, la nutrition artificielle a ŽtŽ ŽvaluŽe et continue ˆ tre ŽvaluŽe comme un
traitement avec les mmes exigences que les autres interventions pharmacologiques.
ConsidŽrer de manire exclusive quÕil relve de la thŽrapie a des consŽquences
importantes sur le plan scientifique, Žconomique et Žthique. Il serait pertinent de
considŽrer quÕil ne faut utiliser la Ç thŽrapie È nutritionnelle que dans le cas o
lՎvidence scientifique est forte, cÕest-ˆ-dire dÕaprs les Ç gold standard È des Žtudes
pharmacologiques contr™lŽes et randomisŽes. Or, comme cela a ŽtŽ analysŽ
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
F. Bozzetti, A. Forbes. ÇThe ESPEN clinical practice guidelines on Parenteral Nutrition: Present status
and perspectives for future researchÈ Clinical Nutrition 2009, vol. 28, p.359Ð364.
2
L. Valentini, Volkert D, SchŸtz T, Ockenga J, Pirlich M, Druml W, Schindler K, Ballmer PE, Bischoff
SC, Weimann A, Lochs H, ÇSuggestions for terminology in clinical nutritionÈ, e-Espen Journal, 2014,
vol. 9, p.97ee108.
3
SB. Archer, RJ Burnett, Fischer JE. ÇCurrent uses and abuses of total parenteral nutrition È, Adv Sur,
1996, vol. 29, p.165-89.
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antŽrieurement, il nÕest pas possible dՎvaluer la nutrition artificielle comme les autres
traitements pharmacologiques. Cela conduit par exemple, dans le cas de M. J, ˆ
considŽrer quÕaprs la rŽsection intestinale, son grle ne pouvant pas assurer sa fonction
normale, la NP serait le traitement de sa dŽfaillance intestinale. Or, il nÕy a pas
dՎvidence scientifique Ç forte È concernant lÕeffet de la NP chez ce type de malades.
Plus prŽcisŽment, il nÕy a pas dՎtudes randomisŽes, contr™lŽes (NP vs Ç nonalimentation È) et aveugles (les malades et le soignant ne savent pas ˆ quel groupe ils
appartiennent) Žvaluant lÕefficacitŽ de la NP dans cette maladie. En considŽrant la NP
uniquement comme une thŽrapeutique mŽdicale, il ne serait pas justifiŽ de lÕutiliser
compte tenu de la faible Žvidence scientifique. Or, la nutrition artificielle est un
traitement essentiel qui pallie la dŽfaillance intestinale. LÕenjeu Žthique du statut de la
nutrition artificielle est donc majeur.
A ces enjeux sÕajoutent les enjeux Žconomiques. En effet, si lÕon considre
exclusivement la NP comme une thŽrapie, reconnue comme telle ˆ la fois par la
communautŽ mŽdicale et par les autoritŽs de santŽ publique, il faudra sÕattendre ˆ ce
qu'elle soit validŽe par les Žtudes randomisŽes et contr™lŽes avant leur approbation par
le financement public. Dans la plupart des pays, le systme de santŽ nŽcessite une
preuve de lÕefficacitŽ et du rapport cožt-bŽnŽfice. L'absence dՎtudes contr™lŽes avec
placebo et les incertitudes qui ont surgi des Žtudes qui semblent montrer les dommages
causŽs par NP ont rendu difficile le financement de la NP, la recherche sur la NP et son
application clinique. Une sŽrie dՎtudes rŽalisŽes par des Žquipes de renommŽe ont
montrŽ des dommages causŽs par la NP. Cela a donnŽ une mauvaise rŽputation ˆ la NP
ˆ la fin des annŽes 90, et pendant plus dÕune dŽcennie, lÕadministration de la nutrition
par cette voie on suscitŽ la crainte1. Or, ces Žtudes qui avaient pour but de montrer une
Žvidence scientifique Ç gold standard È ont portŽ seulement sur des patients qui Žtaient
des candidats Žventuels pour la PN, souvent non dŽnutris. Elles ont ŽliminŽ les patients
dŽnutris quÕil nՎtait pas possible de randomiser dans un groupe Ç non-alimentation È.
Cela a gŽnŽralement conduit ˆ dŽmontrer la morbiditŽ de la PN (infection
principalement). Cependant les bŽnŽfices potentiels pour ceux qui en ont le plus besoin
(les patients dŽnutris et nŽcessitant vŽritablement la NP) ont ŽtŽ passŽs sous silence.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
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AujourdÕhui encore, ces peurs existent dans plusieurs services.
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A titre dÕexemple, nous citons deux publications qui ont eu des consŽquences sur la
pratique clinique1. Une mŽta-analyse de 26 Žtudes (1000 patients) a conclu que la NP a
ŽtŽ associŽe ˆ un taux augmentŽ de complications totales et infectieuses. Cette Žtude a
conduit lÕAssociation AmŽricaine de GastroentŽrologie ˆ considŽrer la NP comme Žtant
prŽjudiciable aux patients cancŽreux2. Toutefois, les patients souffrant de dŽnutrition
sŽvre ou dÕhippophagie ont ŽtŽ exclus et la pertinence scientifique de la NP chez ces
patients a donc ŽtŽ ignorŽe. LՎtude des Ç Anciens Combattants È sur la NP
prŽopŽratoire a rencontrŽ des problmes similaires : sur 459 patients qui auraient pu tre
randomisŽs, 97 (17%) ont ŽtŽ exclus parce la NP a ŽtŽ considŽrŽe comme
Ç cliniquement essentielle È, ˆ savoir que les patients, en raison de leur Žtat nutritionnel,
ne pouvaient pas se passer de la NP. Dans ce cas, la randomisation ˆ un groupe Ç nonalimentation È Žtait inadmissible du point de vue clinique et Žthique. LՎtude a montrŽ,
dans l'ensemble, que la NP conduisait ˆ une augmentation des complications
infectieuses. Toutefois, dans un sous-groupe de 50 patients sŽvrement malnutris, la
frŽquence des complications infectieuses Žtait similaire dans les deux groupes, et la
complication non infectieuse Žtait huit fois plus frŽquente chez les tŽmoins (Ç nonalimentation È) que chez ceux qui ont reu la NP (43% contre 5%) 3.
Le cas de M. J nous permet de rŽflŽchir aux critres nŽcessaires pour initier la
nutrition artificielle. La nutrition a un but prŽcis : en prŽopŽratoire, il sÕagit dÕamŽliorer
le statut nutritionnel du patient afin de minimiser le risque chirurgical (lՎvidence
scientifique le dŽmontre) ; en postopŽratoire, il sÕagit de traiter la dŽfaillance intestinale
temporaire. Gr‰ce ˆ ce traitement, le patient nÕa pas perdu davantage de poids et a pu
rŽcupŽrer une alimentation normale : il a donc tirŽ un bŽnŽfice clinique de ce traitement.
Le maintien dÕun minimum de plaisir et de confort en sÕhydratant par la bouche est une
manifestation de lՎgard que lՎquipe soignante lui manifestait. Cela peut tre considŽrŽ
comme une preuve que la nutrition est un aussi soin de support.
Les soins du support sont dŽfinis par la loi, dans la circulaire DHOS 2005/101 du 22
fŽvrier 2005, comme:
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
F. Bozzetti, A. Forbes. ÇThe ESPEN clinical practice guidelines on Parenteral Nutrition: Present status
and perspectives for future researchÈ, Clinical Nutrition, op.cit.
2
RL. Koretz, TO. Lipman, S. Klein. ÇAGA technical review on parenteral nutritionÈ, Gastroenterology
2001, vol. 121, p. 970Ð1001.
3
The Veterans Affairs Total Parenteral Nutrition Cooperative Study Group. ÇPerioperative total
parenteral nutrition in surgical patientsÈ, N Engl J Med 1991, vol. 325, p. 525Ð32.
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Ç lÕensemble des soins et soutiens nŽcessaires aux personnes malades tout au long de la maladie
conjointement aux traitements spŽcifiques, lorsquÕil y en a1.È
La prise en charge des Ç problmes nutritionnelsÈ, de la douleur, de la fatigue, des
troubles digestifs, des troubles respiratoires et gŽnito-urinaires, des troubles moteurs et
des handicaps, des problmes odontologiques, des difficultŽs sociales, de la souffrance
psychique et des perturbations de lÕimage corporelle en font partie. Ces soutiens
peuvent tre apportŽs tout au long de la maladie, en phase curative, mais aussi en phase
palliative. Ils sÕappliquent aux patients ainsi quՈ leur entourage. Ils sÕopposent
partiellement aux soins curatifs qui cherchent ˆ :
ÇguŽrir les personnes atteintes dÕune maladie, potentiellement mortelle ou non, par lÕapplication de
toutes les mŽthodes diagnostiquŽes et thŽrapeutiques possibles. Ils cherchent paralllement ˆ
prŽserver la qualitŽ de vie des personnes malades et celle de leur entourage en prŽvenant et en
traitant les sŽquelles et toute souffrance sans diminuer les chances de guŽrison2.È
Ce qui distingue fondamentalement ces deux types de soins est la finalitŽ: guŽrir ou
soulager en accompagnant. Ils ont en commun de chercher ˆ prŽserver la qualitŽ de vie
du patient et celle de son entourage. Pour le mŽdecin, ces deux types de soins encadrent
et dŽfinissent leur pratique mais ils soulvent aussi des problmes Žthiques lorsquÕil
sÕagit de limiter ou dÕarrter des soins qui ont ce double statut, comme le support
nutritionnel. Si, dÕaprs la loi franaise du 22 avril 2005, cÕest au mŽdecin que revient la
responsabilitŽ de dŽfinir la convenance des traitements, le patient quÕil soit ou non en
fin de vie, a la libertŽ de refuser n'importe quel traitement au titre du nouvel article L.
1111-4 du Code de la SantŽ Publique, et ratifiŽe dans la loi LŽonetti de 22 avril 2005 :
ÇLe mŽdecin doit respecter la volontŽ de la personne aprs l'avoir informŽe des consŽquences de
ses choix. Si la volontŽ de la personne de refuser ou d'interrompre tout traitement met sa vie en
danger, le mŽdecin doit tout mettre en Ïuvre pour la convaincre d'accepter les soins
indispensables3.È
Le Ç tout traitement È justifie aussi l'arrt de l'alimentation artificielle. Dans le
rapport de 2015 dÕAlain Claeys et de Jean LŽonetti, la crŽation de nouveaux droits en
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Circulaire DHOS/SDO no 2005-101 du 22 fŽvrier 2005 relative ˆ lÕorganisation des soins en
cancŽrologie, Journal Officiel n. 3 de 15 avril de 2005.
2
JC. Desport, Ç Nutrition en situation palliative È, dans TraitŽ de nutrition artificielle, Paris, Springer,
2007, p. 1130.
3
Loi n¡ 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et ˆ la fin de vie, JORF n. 95 du 23
avril 2005.
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faveur des malades et des personnes en fin de vie ont renforcŽ et ratifiŽ le droit du
patient de limiter ou de refuser les traitements en particulier en fin de vie. Ils proposent
surtout une avancŽe majeure : la possibilitŽ pour tous les malades en phase terminale,
dont le pronostic vital est engagŽ ˆ court terme, de demander une sŽdation profonde et
continue qui permettra en altŽrant totalement la conscience, de prŽvenir toute souffrance
jusquՈ leur dŽcs. Tous les traitements de maintien en vie, y compris la nutrition
doivent obligatoirement tre arrtŽs1.
Le cas de monsieur J. nous permet de mettre en lumire une rŽalitŽ de la pratique
clinique courante : on passe souvent trop vite de lÕalimentation orale, qui est considŽrŽe
comme un simple acte de restauration ou dÕh™tellerie, ˆ lÕinstallation dÕun traitement par
nutrition artificielle. Si les problmes Žthiques se posent en nutrition clinique, cÕest
dÕune part, parce que lÕalimentation ˆ lÕh™pital nÕest pas considŽrŽe comme un soin et,
dÕautre part, parce que le support nutritionnel est considŽrŽ tour ˆ tour comme un Ç soin
È ou comme un Ç traitement È. Comprendre ce que signifie le terme de Ç soin È nous
permettra du coup de rŽflŽchir aux enjeux Žthiques posŽs par ces questions.
2.2.3 Le support nutritionnel, un vŽritable soin
Le terme Ç soin È peut prendre plusieurs sens. DÕaprs la dŽfinition de F. Worms, ce terme
dŽsigne :
Ç Toute pratique tendant ˆ soulager un tre vivant de ses besoins matŽriels ou de ses souffrances
vitales, et cela par Žgard pour cet tre mme2. È
Cette dŽfinition implique deux ŽlŽments indissociables. DÕune part, on soigne
quelquÕun, un tre qui souffre de Ç quelque chose È, un besoin ou une souffrance
isolable comme tell et que lÕon peut traiter (soins thŽrapeutiques). Dans le cas du
support nutritionnel, il sÕagit dÕun besoin vital de nutriments auquel il est possible de
rŽpondre par les techniques de nutrition artificielle. DÕautre part, on soigne
Ç quelquÕun È, ce qui comporte une dimension intentionnelle et relationnelle (soins
relationnels). Nous avons ŽtudiŽ dans la premire partie de notre thse comment la
nutrition clinique se caractŽrise par lÕinteraction patient-soignant, ce qui soulignait la
dimension relationnelle du soin. La pratique du support nutritionnel peut se constituer
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Loi n¡ 2016-87 du 2 fŽvrier 2016 crŽe de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin
de vie. Journal Officiel n. 0028 du 3 fŽvrier 2016.
2
F. Worms, Le moment du soin, ˆ quoi tenons-nous ? Paris, PUF, 2010, p. 21.
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comme une manifestation dÕun Ç Žgard È envers autrui qui implique dÕaller au-delˆ de la
dimension purement biologique pour maintenir lÕaspect symbolique et affectif
quÕimplique lÕacte de se nourrir.
Ainsi, nous voulons montrer que nourrir lÕhomme malade, naturellement ou
artificiellement, doit tre considŽrŽ comme un vŽritable soin. Cela implique une
pratique objectivable, comme cÕest le cas avec les diffŽrentes techniques dÕalimentation
artificielle ou les diffŽrents types de rŽgimes, et une relation qui se fonde sur la
particularitŽ du sujet dŽnutri ou en risque de le devenir, et qui engage le soignant ˆ faire
face ˆ sa vulnŽrabilitŽ, au besoin quÕa cette personne dÕun autre pour se nourrir. Ainsi,
nous voulons interroger la pratique de la nutrition clinique dans cette double dimension
des soins, ˆ la fois mŽdicale et liŽe ˆ la reconnaissance de la vulnŽrabilitŽ de la
personne. Comme Ç soin thŽrapeutique È, il sÕagit de fournir ˆ chaque malade son
besoin en nutriments en Žtant attentif ˆ sa situation particulire. Dans le cas de monsieur
J. la NP, la NE et les SNO se sont succŽdŽs avant lÕalimentation orale. La nutrition avait
pour but de traiter et de prŽvenir la dŽnutrition. LÕexpertise et la compŽtence technique
du soignant, en lÕoccurrence du mŽdecin, sont indispensables pour aider le malade ˆ
guŽrir. Il est cependant fondamental de reconna”tre deux aspects qui caractŽrisent cette
dimension du soin. Premirement, elle est partielle ou dissociative, cÕest-ˆ-dire quÕelle
consiste :
Ç dÕabord ˆ isoler Ç le mal È, la partie du corps ou la fonction de lÕorganisme qui est atteinte pour
pouvoir y rŽpondre de manire appropriŽ1.È
Deuximement, un lien cognitif ou technique constitue la deuxime caractŽristique
de cette dimension du soin, cÕest-ˆ-dire quÕil est nŽcessaire de le vouloir, mais aussi de
Ç savoir È2.
La fonction ici compromise est la fonction nutritionnelle. Il sÕagit dÕune fonction
globale ou systŽmique et non dÕune fonction localisŽe dans un seul Ç systme ou
appareil structurŽ È3. LÕaltŽration de cette fonction (dŽnutrition), concerne alors divers
tissus, organes et systmes. Diagnostiquer cette altŽration nŽcessite alors lÕarticulation
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid., p.30.
Ibid., p. 31.
3
Nous avons admis dans la premire partie que lÕabsence de reconnaissance dÕun tel systme (systme ou
appareil Ç nutritionnel È) ne doit pas tre un obstacle ˆ la reconnaissance de la nutrition comme une
discipline. Il est nŽcessaire de reconna”tre lÕexistence dÕune fonction globale inter-systme et qui se
traduit dans un Žtat particulier appelŽ Ç nutritionnel È.
2
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de diverses fonctions. Autrement dit, il est nŽcessaire de considŽrer lÕorganisme et
lÕindividu comme un tout, dans sa globalitŽ. Les soins qui sÕensuivent font appel ˆ un
majeur Ç degrŽ de soin global, intŽgratif ou rŽintŽgratifÈ.1 Cela signifie quÕil nÕest gure
possible dÕapprŽhender lÕ hypo albuminŽmie2, la dŽnutrition des muscles ou des parties
du corps comme des affections isolŽes. Il est nŽcessaire de soigner lÕorganisme dans son
ensemble. Cette particularitŽ de la nutrition sÕoppose ˆ la tendance de la mŽdecine
contemporaine ˆ dŽlimiter des spŽcialitŽs3 et ˆ soigner alors des parties du corps. En
effet, la mŽdecine va Ç dans le sens dÕune spŽcialisation, qui est aussi une
dŽsarticulation È4. Cela implique une atteinte ˆ Ç une image de soi qui est globale par
principe È. En consŽquence, il est nŽcessaire de considŽrer les soins nutritionnels,
comme des soins qui concernent lÕorganisme entier.
Le Ç soin relationnel È est global et intŽgratif, cela signifie que les soins nutritionnels
doivent considŽrer non seulement le caractre biologique mais aussi la globalitŽ du
patient dans sa dimension psychologique et sociale. Nous avons vu dans la premire
partie comment ces dimensions sont facilement nŽgligŽes dans la pratique de la nutrition
clinique. Il nÕy a pas de place pour la convivialitŽ, le plaisir, ni pour les aspects
symboliques et affectifs de lÕalimentation dans lÕespace clinique5. Or, lÕenjeu majeur ici
est de savoir comment ces deux dimensions du soin peuvent rester reliŽes, et comment
faire en sorte que cette dimension Ç relationnelle È ne soit pas mise ˆ lՎcart. Est-il
possible de donner de la place ˆ cet aspect de lÕalimentation dans lÕacte de soin dÕun
patient par sonde ou par cathŽter ? Dans le cas de monsieur J., il a ŽtŽ autorisŽ ˆ boire
des liquides, en plus de la nutrition parentŽrale, pour permettre un minimum de plaisir.
La deuxime caractŽristique de cette dimension de plaisir implique un lien de type
expressif (en opposition au lien cognitif ou technique de la dimension thŽrapeutique)
entre le corps et lÕindividu. Les cris dÕun bŽbŽ qui rŽclame ˆ manger, ou dans le cas de
monsieur J., la possibilitŽ dÕune expression de la sensation de faim ou de soif ou tout
simplement lÕexpression de son souhait dÕavoir un moment de convivialitŽ ˆ lÕh™pital,
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
F. Worms, Le moment du soin, ˆ quoi tenons-nous ? op.cit., p. 30.
Diminution de lÕalbumine dans le plasma. Il sÕagit dÕun marqueur biologique de lՎtat nutritionnel.
3
DÕun point de vue historique, ce processus dŽbute au XVIIme sicle (le passage la thŽorie humorale ˆ
la conception Ç localiste È de la maladie) et implique la constante diffŽrentiation des activitŽs mŽdicales.
Le nombre des spŽcialitŽs augmente, mme la mŽdecine gŽnŽrale en France, est une spŽcialitŽ
aujourdÕhui. Les spŽcialitŽs les plus anciennes se divisent en sous-spŽcialitŽs.
4
F. Worms, Le moment du soin, ˆ quoi tenons-nous ? op.cit., p. 30
5
JP. Corbeau, Ç S'alimenter ˆ l'h™pital : les dimensions cachŽes de la commensalitŽ È, dans L'appŽtit vient
en mangeant ! Histoire de l'alimentation ˆ l'h™pital XVe-XXe sicles, o.cit., p. 101-114
2
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doivent tre entendus par les mŽdecins. CÕest pourquoi il convient de sÕinterroger sur les
qualitŽs morales requises de la part des soignants pour assurer de bons soins
nutritionnels. Pour cela lՎthique du care nous permet de mener la rŽflexion.
2.2.4 Le Ç care È ou le souci de lÕautre
La notion du care recouvre et dŽpasse les deux dimensions Ç thŽrapeutique È et
Ç relationnelle È du soin, et permet ainsi dÕinterroger lÕimportance morale mais aussi
politique et sociale des qualitŽs dÕattention ˆ autrui.
1
Le mot Ç care È est considŽrŽ
comme difficilement traduisible car il peut prendre divers sens ˆ savoir soigner et
prendre soin2. Nous utilisons le mot en anglais et prŽciserons, lorsque ce sera nŽcessaire,
la traduction proposŽ par S. Paperman: Ç souci des autres È. Cette notion est dŽfinie par
B. Fisher et J. Tronto comme :
Ç Une activitŽ caractŽristique de lÕespce humaine qui inclut tout ce que nous faisons en vue de
maintenir, de continuer ou de rŽparer notre Ç monde È de telle sorte que nous puissions y vivre
aussi bien que possible. Ce monde inclut nos corps, nos individualitŽs (selves) et notre
environnement, que nous cherchons ˆ tisser ensemble dans un maillage complexe qui soutienne la
vie3 . È
Ainsi, le care est un soin intŽgrŽ. Il valorise et fait du souci des autres lՎlŽment
essentiel de lՎthique. Ainsi, lՎthique du care permet de reconna”tre lÕimportance des
valeurs morales nŽcessaires ˆ chaque Žtape des soins nutritionnels. Nous allons en
premier lieu voir comment ils sont conus en Europe, notamment en France, pour
ensuite montrer quÕil sÕagit dÕune activitŽ clinique qui relve du care.
Les soins nutritionnels (nutritionnal care) ont ŽtŽ rŽcemment dŽfinis par des experts
europŽens. La campagne Ç Soins Nutritionnels Optimaux Pour Tous (optimal
nutritional care for all, ONCA)4 È a ŽtŽ lancŽe en 2014. Son but est de faciliter un plus
grand dŽpistage du risque de malnutrition/dŽnutrition et la mise en Ïuvre de soins
nutritionnels ˆ travers l'Europe. Cette campagne est une initiative promue par ESPEN et
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
P. Paperman, S. Laugier, Le Souci des Autres, Paris, Žditions de LÕEHESS, 2011, p. 10.
F. Worms, Ç le soin et la care È dans Le moment du soin, ˆ quoi tenons-nous ?, op.cit. , p. 245. P.
Paperman, S. Laugier, Les Souci des Autres, op.cit. , p. 22.
3
J. Tronto Ç Care dŽmocratique et dŽmocraties du careÈ, dans QuÕest-ce que le care ?, Paris, Payot et
Rivages, 2009, p. 37.
4
http://www.european-nutrition.org/index.php/activities
2
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dÕautres sociŽtŽs scientifiques nationales en Europe. Leur vision a ŽtŽ dŽcrite dans une
chartre signŽe en 2014 par tous ceux qui soutiennent ONCA :
Ç Chaque patient dŽnutri ou ˆ risque de dŽnutrition est systŽmatiquement dŽpistŽ et a accs aux
soins nutritionnels appropriŽs, Žquitables et de qualitŽ.1 È
Leur ambition est que les soins nutritionnels intgrent les soins de santŽ en gŽnŽral. Ils
formulent les exigences suivantes:
- AmŽliorer les soins nutritionnels est une responsabilitŽ de tous les acteurs, ˆ
savoir les patients, les professionnels soignants, les gouvernements, les
dŽcideurs politiques, les Žducateurs, lÕindustrie.
- AmŽliorer les soins nutritionnels requiert une approche multidisciplinaire.
- La meilleure pratique de soins nutritionnels doit tre adoptŽe partout en Europe.
En France, ˆ la fin des annŽes 90, la rŽflexion sur lÕalimentation dans le milieu
hospitalier conduit ˆ mettre en place deux dispositifs dÕoffre de soins nutritionnels. Leur
mise en Ïuvre a ŽtŽ progressive et soutenue par les trois Programmes Nationaux
Nutrition-SantŽ (PNNS)2. Le Ç ComitŽ Liaison Alimentation Nutrition È (CLAN) est
organisŽ comme une structure consultative ˆ lÕintŽrieur de chaque h™pital et il a pour
mission dÕapporter son conseil sur la prise en charge de lÕalimentation et de la nutrition,
mais aussi de soutenir des actions pour rŽsoudre les problmes dans ce champ et de
former le personnel impliquŽ. Depuis 2002, il est recommandŽ de mettre en place des
CLAN dans tous les Žtablissements de santŽ. Cette dŽmarche fait suite ˆ lÕinitiative des
Žtablissements, mais elle nÕest pas obligatoire. Depuis 2008, des UnitŽs Transversales
de Nutrition Clinique (UTNC)3existent de manire expŽrimentale. Il sÕagit de concevoir
la nutrition clinique comme une activitŽ transversale qui
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
http://www.espen.info/wp/wordpress/wp-content/uploads/2014/11/ENHA-Charter.pdf
Ministre des affaires sociales et de la santŽ et Direction gŽnŽrale de lÕoffre de soins, Synthse
pŽdagogique sur lÕorganisation transversale de la nutrition au sein des Žtablissements de santŽ et
mŽdico-sociaux, Bilan de lÕexpŽrimentation des UTNC 2008-2011 et propositions.
http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/synthese_pedagogique_organisation_transversale_nutrition_etablisse
ments_de_sante_et_medico-sociaux.pdf. (consultŽ le 4 septembre 2015).
3
Cette organisation des soins nutritionnels existe depuis l975 dans diffŽrents pays comme lÕAllemagne, la
Suisse, le Portugal, les Etats Unis et la Colombie. En France, elles existent manire expŽrimentale depuis
2008.
2
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Ç sÕattache ˆ rŽpondre ˆ une large diversitŽ de situations cliniques, de sŽvŽritŽ variable et rŽparties de
faon disparate dans tous les secteurs de soins aujourdÕhui identifiŽs en p™les1. È
LÕorganisation transversale de la nutrition clinique a pour objectif dÕamŽliorer la qualitŽ et la
sŽcuritŽ des soins en organisant lՎvaluation systŽmatique de lՎtat nutritionnel des patients dans
les 48 premires heures dÕhospitalisation; sa surveillance ainsi que lÕintŽgration du traitement
nutritionnel et lՎducation du patient dans le projet de soins afin de rŽpondre aux objectifs
suivants :
-
AmŽliorer les capacitŽs dÕadaptation et de rŽsistance aux agressions physiques,
toxiques, infectieuses et psychologiques aggravŽes par les troubles nutritionnels
et accro”tre les chances de succs thŽrapeutique.
-
RŽduire la consommation mŽdicamenteuse et les cožts de prise en charge des
pathologies.
-
Diminuer la durŽe dÕhospitalisation.
-
AmŽliorer la qualitŽ de vie des personnes prŽsentant des troubles nutritionnels.
Elle doit aussi contribuer ˆ
-
lÕamŽlioration des prestations de la cha”ne alimentation Ð nutrition dans les
Žtablissements de santŽ, hospitalisation ˆ domicile, soins de suite et de
rŽadaptation
mais
Žgalement
dans
les
Žtablissements
ƒtablissement
d'hŽbergement pour personnes ‰gŽes dŽpendantes (EHPAD) ou en lien avec la
mŽdecine de ville.
-
lÕinformation et ˆ la formation des diffŽrents acteurs de la filire de soins.
Cette organisation de la nutrition clinique peut se dŽcliner sur trois niveaux (figure 6):
le dŽpistage et lÕadaptation de lÕoffre alimentaire, la prise en charge spŽcialisŽe et la
prise en charge experte. Chacun de ces niveaux concerne diffŽrents acteurs.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ministre des affaires sociales et de la santŽ et Direction gŽnŽrale de lÕoffre de soins, Synthse
pŽdagogique sur lÕorganisation transversale de la nutrition au sein des Žtablissements de santŽ et
mŽdico-sociaux, Bilan de lÕexpŽrimentation des UTNC 2008-2011 et propositions. op.cit. p.5
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Figure 6. LÕorganisation des soins nutritionnels et le processus du care.
Nous pouvons faire correspondre chaque Žtape de ce modle et ses niveaux avec les
Žtapes du processus du care dŽcrites par J. Tronto1. (Figure 6) Cela nous permettra de
dŽterminer les qualitŽs morales nŽcessaires aux soins nutritionnels et du coup de dŽfinir
un acte de care intŽgrŽ ou holistique cÕest-ˆ dire bien accompli. LÕidentification du
risque et le diagnostic de lՎtat nutritionnel (Žtapes 1 et 2) implique le fait de se soucier
de quelquÕun et de quelque chose : cela correspond au Ç caring about È au fait de Ç se
soucier de È, ce qui est la premire des quatre phases du care. Cette premire exigence
requiert une compŽtence morale, celle de lÕattention, ˆ savoir un Ç regard juste et
affectueux portŽ sur une rŽalitŽ individuelle2.È. Cela suppose une Ç pensŽe videÉ prte
ˆ recevoir dans sa vŽritŽ nue lÕobjet qui va la pŽnŽtrer3.È. Autrement-dit, lÕattention
selon Tronto, citant S.Weil, implique pour le soignant dÕidentifier les besoins du patient
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
P. Molinier, S. Laugier, P. Paperman, Ç Care et politique chez Joan Toronto È, dans QuÕest-ce que le
care ? Paris, Payot et Rivages, 2009, p. 75.
2
J. Tronto Ç Care dŽmocratique et dŽmocraties du care È, dans QuÕest-ce que le care ?, Paris, Payot et
Rivages, 2009.
3
Simone Weil citŽ par J. Tronto, Un monde vulnŽrable, Paris, La DŽcouverte, 2009, p. 174.
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vulnŽrable, en respectant sa singularitŽ et en oubliant ses a priori1. Le care suppose
aussi le souci de soi parce
Ç quÕil ne faut pas tre trop encombrŽ par ses propres angoisses pour tre capable dÕentendre
lÕautre2.È
Il est nŽcessaire que le mŽdecin oublie ses peurs qui pourront lÕempcher de
conna”tre les attentes et les dŽsirs du patient. Il sÕagit pour le mŽdecin de reconna”tre le
besoin spŽcifique dÕune personne afin dÕopŽrer une prise en charge nutritionnelle
(besoin en nutriments). Il sÕagit aussi dÕidentifier les habitudes alimentaires de la
personne et de prendre en compte les besoins affectifs et sociaux liŽs ˆ lÕalimentation.
Le patient recevant le support nutritionnel ne doit pas tre un rŽcepteur passif du soin. Il
pourrait orienter le soin en fonction de ses prŽfŽrences et de ses choix. Le mŽdecin doit
ainsi constater ce besoin et Žvaluer sa capacitŽ de rŽponse. Les qualitŽs dÕempathie et de
solidaritŽ sont essentielles pour ne pas imposer aux malades ses propres prŽfŽrences
nutritionnelles.
Cela conduit ˆ lՎtablissement dÕun type de rŽponse appropriŽe (Žtape 2 ), le Ç taking
care of È ou Ç prendre en charge È qui implique de reconna”tre la responsabilitŽ quÕil y a
ˆ nourrir la personne malade. Cette responsabilitŽ est partagŽe et concerne tous les
acteurs du soin. Le mŽdecin devrait alors sÕassurer quÕil existe toutes les conditions
nŽcessaires pour faire face aux besoins de la personne et instaurer le support nutritionnel
qui lui est nŽcessaire. Cela inclut la mise en place de politiques institutionnelles de prise
en charge de la dŽnutrition, de programmes dՎducation thŽrapeutique3, la disponibilitŽ
permanente des produits nutritionnels, la disponibilitŽ et la formation du personnel
soignant. Dans cette phase, les actions visent un but bien prŽcis : lutter contre la
dŽnutrition. Cela permet lÕactivitŽ directe du contact avec le patient, la rencontre avec
autrui ˆ travers son besoin. Le mŽdecin doit tre en mesure de rŽpondre de la meilleure
manire, soit par une alimentation orale adaptŽe, soit par une nutrition artificielle selon
chaque situation particulire. Il sÕagit de la phase du Ç care giving È ou Ç prendre soin È.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
C. C. Pelluchon, ElŽments pour une Žthique de la vulnŽrabilitŽ, les hommes, les animaux, la nature,
Paris, Cerf, op.cit. , p. 289.
2
C. Pelluchon, Ç La vulnŽrabilitŽ en fin de vie È, JALMAV, 2013, n¡ 111, p. 27-46.
3
Selon lÕOMS, Ç lՎducation thŽrapeutique du patient vise ˆ aider les patients ˆ acquŽrir ou maintenir les
compŽtences dont ils ont besoin pour gŽrer au mieux leur vie avec une maladie chronique. È Rapport de
lÕOMS-Europe, publiŽ en 1996, ThŽrapeutique Patient Education Ð Continuing Education Programmes
for Health Care Providers in the field of Chronic Disease, traduit en franais en 1998.
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Le trait moral nŽcessaire dans cette phase est la compŽtence. Cela nous amne ˆ
souligner lÕimportance de la formation des mŽdecins dans la constitution dÕune bonne
Žthique professionnelle. Nous reviendrons sur ce point dans la troisime partie de la
thse. LՎtape 4 corresponde au dernier moment moral, le Ç care receiving È ou Ç
recevoir le soin È qui permet lՎvaluation de la qualitŽ du processus du care par tous les
acteurs. La qualitŽ morale requise est la capacitŽ de rŽponse, de rŽactivitŽ. Le mŽdecin
est ici en mesure de reconna”tre la manire dont le patient rŽagit aux soins nutritionnels
et si le soin prodiguŽ correspond vraiment ˆ ce dont le patient avait besoin.
Dans ce cadre, un Ç bon È soin nutritionnel permet de donner une rŽponse ˆ la
dŽnutrition, ˆ cette double vulnŽrabilitŽ caractŽristique de la dŽnutrition que nous avons
dŽcrite plus haut. CÕest, en effet, une attitude qui suppose pour les soignants des qualitŽs
morales : lÕattention, la responsabilitŽ, la compŽtence et la capacitŽ de rŽponse. Pour les
patients, dans le cas de Monsieur J., lÕattention portŽe ˆ son Žtat nutritionnel ds son
arrivŽe ˆ lÕh™pital a permis de mettre en place, avant et aprs la chirurgie, les soins
nutritionnels. Ces soins ont nŽcessitŽ une nutrition artificielle, mais aussi une attention ˆ
son besoin dÕhydratation et au maintien dÕun minimum de confort et de plaisir, ŽprouvŽs
par la bouche. La prise en charge nutritionnelle sÕest intŽgrŽe aux soins mŽdicaux
gŽnŽraux. Cette attitude initiale du Ç caring È est donc indispensable pour cette
intŽgration. Les soins nutritionnels ont ŽtŽ le fait dÕune Žquipe multidisciplinaire de
nutrition qui a fait appel aux compŽtences techniques et aux qualitŽs morales de ses
membres. Cependant, la rŽalitŽ aujourdÕhui montre que la nutrition clinique est ignorŽe
par la mŽdecine dans la plupart des institutions, en France et ˆ lՎtranger. Comment,
dans ce contexte, dŽvelopper cette Ç caring attitude È dans la nutrition ? Quel sens
donner aux soins nutritionnels ?
LÕattention est le premier aspect moral du soin, qui permet de dŽfinir les besoins et
dÕy rŽpondre. J. Tronto la dŽfinit dÕabord en opposition ˆ lÕignorance et ˆ lÕindiffŽrence,
Ç LՎthique du care devrait traiter lÕignorance des autres comme une forme de mal moral. Dans les
sociŽtŽs modernes complexes, nous disposons de sources dÕinformation sans Žgal sur la situation
des autres. Cependant, il est tentant de les ignorer, de les Žcarter, et de nous prŽoccuper
exclusivement de nous-mmes. La simple reconnaissance des besoins de ceux qui nous entourent
est une t‰che difficile, et lÕattention aux autres reprŽsente donc bien un accomplissement moral1.È
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
J. Tronto, Un monde vulnŽrable, pour une politique du care, Paris, Editions La DŽcouverte, 2009, p.
173.
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Le care suppose donc, un sujet qui nÕest pas seulement autorŽfŽrentiel mais qui
sÕintŽresse au sort dÕautrui. Les informations sur la situation nutritionnelle sont connues
et bien documentŽes depuis plusieurs dŽcennies. Il convient aussi de noter que la
mŽdecine continue ˆ ignorer et ˆ Žcarter encore aujourdÕhui cette problŽmatique.
Comment la nutrition clinique pourrait-elle tre intŽgrŽe dans la pratique mise en Ïuvre
par les soignants ? LÕattention, bien que premire dans lÕordre du processus du care,
nÕest pas une prioritŽ pour le soignant. Cette attitude semble, selon J. Tronto, tre soit
un acte volontaire, soit un acte acquis dÕaprs une transformation progressive par
imitation ou par invitation1. Comme acte volontaire, elle se manifeste comme lÕattention
portŽe aux personnes les plus vulnŽrables. Les mŽdecins privilŽgient les malades ayant
des diagnostics et des maladies qui correspondent ˆ leur sensibilitŽ et ˆ leur formation,
ceci afin de les soigner, sans prendre en considŽration la dŽnutrition : la dŽnutrition est
donc Ç invisible È pour les mŽdecins. Donner de la visibilitŽ ˆ cette problŽmatique
implique de reconna”tre non seulement un acte technique, mais cela exige aussi de la
part des mŽdecins une sensibilitŽ particulire ˆ ce problme. Pour rendre les mŽdecins
sensibles et quÕils puissent tre attentifs ˆ cette problŽmatique, il est nŽcessaire des les
premires annŽes de mŽdecine de mettre en place des formations thŽoriques et pratiques
en nutrition. Il faut les Žduquer ˆ rendre visible la problŽmatique nutritionnelle et ˆ lui
confŽrer un vŽritable statut thŽrapeutique dans la pratique soignante. Nous aborderons
cette question particulire de la formation ˆ la nutrition des mŽdecins dans la troisime
partie de la thse.
Si la transmission et lՎducation des mŽdecins ne suffisent pas pour lutter contre cette
invisibilitŽ, lÕempathie, considŽrŽe comme la conscience dÕun soi vulnŽrable, pourrait
alors sÕavŽrer essentielle. Il sÕagit de considŽrer que nous sommes tous vulnŽrables et
donc que nous sommes ou serons tous bŽnŽficiaires du care. La vulnŽrabilitŽ est donc
Ç celle de tout un chacun du fait de son appartenance ˆ lÕespce humaine.2 È CÕest en
reconnaissant que nous avons tous eu besoin dÕautrui pour nous alimenter, (comme
nourrissons, par exemple) quÕil deviendrait envisageable dՐtre davantage capables de
prendre soin dÕautrui et dÕacquŽrir les traits moraux liŽs au care. Cependant, il y a lˆ une
frontire quÕil est nŽcessaire de reconna”tre, entre le souci des autres et la
reconnaissance de la rŽciprocitŽ des besoins.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid., p.175
P. Paperman, Ç Les gens vulnŽrables nÕont rien dÕexceptionnel È, dans Le Souci des Autres, op.cit. , p.
329.
2
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La philosophie de E. Levinas permet de concevoir la responsabilitŽ envers autrui
comme passivitŽ, cÕest-ˆ-dire quÕil sÕagit dÕun appel qui vient de lÕextŽrieur et qui
mÕoblige ˆ rŽpondre ˆ autrui. La source de lՎthique est extŽrieure ˆ moi1. CÕest son
visage, lÕexistence dÕautrui qui convoque la responsabilitŽ. Cela sÕexplique par le fait
que lÕorigine de la responsabilitŽ nÕest pas en moi, mais en autrui : son existence et sa
vulnŽrabilitŽ mÕobligeant. Autrui prend la premire place. CÕest la parole ou la dŽtresse
dÕautrui qui est premire et qui attend donc, de ma part, une rŽponse, une prise en
compte de cette dŽtresse devant laquelle il me revient de rŽagir2. La responsabilitŽ nÕest
pas relative ˆ une obligation ou ˆ un engagement prŽalable ni le fruit dÕune dŽcision
volontaire3. Ce qui est premier, ici est un appel qui est peru : on nÕattend pas une
action qui puisse mՐtre ou non attribuŽe, mais je reois Ç lÕappel È de lÕautre. La
responsabilitŽ suppose donc lÕasymŽtrie dans la relation. Il y a une obligation non dans
le sens classique du terme, mais dans la relation entre lÕappel et la rŽponse. Dans cette
passivitŽ, le sujet responsable est lÕotage dÕautrui car pour tre vraiment sujet,
Ç pleinement humain È, il doit tre responsable dÕautrui. Cependant, cette responsabilitŽ
nÕest pas attribuŽe au sujet dÕune action passŽe, elle ne se rŽfre pas non plus ˆ une
action jugŽe comme bonne ou mauvaise. Il sÕagit ici pour lÕauteur dÕÇ inventer une
attitude ˆ lՎgard dÕautrui È. Autrui nÕest pas victime dÕune action, mais il est vu comme
infiniment vulnŽrable. Ainsi, la conception Žthique de Levinas permet de penser
lÕinterdiction du meurtre, Ç tu ne tueras pas È. Cela doit se comprendre comme
lÕinterdiction de faire mourir mais aussi comme lÕinterdiction dÕautres formes possibles
de la disparition et de lÕhumiliation, ou de la rŽduction de lÕautre homme ˆ un objet,
dŽchu de sa dignitŽ. Cela se traduit par une action : faire le bien ˆ autrui, mais avant
tout, par le fait de donner de soi. Selon lÕexpression de Levinas : Ç Pour lÕautre, malgrŽ
soi, ˆ partir de soi È4.
Avec Levinas, la responsabilitŽ de nourrir lÕhomme malade se conoit comme une
disposition. La souffrance de lÕautre est une charge :
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
C. Pelluchon, Tu ne tueras point, Paris, Cerf, 2013, p. 43.
Je peux ˆ mon tour devenir cet autre qui a besoin dÕaide.
3
Ibid., p. 44.
4
E. Levinas, Autrement qu'etre, ou, Au-dela de l'essence, Martinus Nijhoff, La Haye, 1974, p. 71.
2
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Ç " Laisser des hommes sans nourriture est une faute quÕaucune circonstance nÕattŽnue ; ˆ elle ne
s'applique pas la distinction du volontaire et de l'involontaire" dit Rabbi Yochanan1. È
LÕorigine de cette responsabilitŽ nÕest pas dans le mŽdecin lui-mme, mais en autrui Ð dans
le fait de son existence vulnŽrable. Ainsi, ˆ partir du constat que ma responsabilitŽ consiste ˆ
rŽpondre ˆ lÕappel dÕautrui, non seulement je ne peux le laisser mourir de faim, mais de plus, je
dois tre en mesure de dŽfinir quelle est la meilleure nourriture que je dois lui proposer. Du
coup, il est nŽcessaire de nous interroger sur le sens ˆ donner alors ˆ lÕaliment lorsquÕil est
artificiel et quÕil sÕagit de nourrir lÕhomme malade. Il est question ici de savoir comment le
mŽdecin doit concevoir lÕintŽgration des soins nutritionnels dans la prise en charge globale du
malade.
Pour Levinas, la nourriture nÕa pas pour finalitŽ uniquement de couvrir un besoin ou de
rŽpondre au manque physiologique.
Ç La vie ne consiste pas ˆ rechercher et ˆ consumer les carburants fournis par la respiration et la
nourriture, mais, si lÕon peut dire, ˆ consommer des nourritures terrestres et cŽlestes. (É) Ce dont
nous vivons ne nous asservit pas, nous en jouissons2.È
Le monde de nourritures constitue le milieu o lÕhomme baigne et o se trouvent les
choses dont lÕhomme vit et qui sont ˆ la fois naturelles et culturelles3. Il sÕagit dÕune
notion qui interroge non seulement les rapports entre les hommes, mais aussi la manire
dont ils sÕapproprient les ŽlŽments ou nourritures et se partagent les ressources. Dans le
monde des nourritures, o les aliments ne sont pas de simples carburants ou des moyens
pour obtenir lՎnergie nŽcessaire ˆ la vie, la nourriture est Ç jouissance È, Ç vivre
deÉ È. CÕest Ç la modalitŽ selon laquelle sÕaccomplit le rapport au monde de la
subjectivitŽ sensible et corporelle È4. LÕhomme jouit de ce quÕil consomme : Ç dÕair, de
lumire, dÕaliments, de travail, de spectacle È5. Pour comprendre cette thse, Levinas
souligne que la relation de lÕhomme au monde doit tre comprise ˆ partir de la
corporŽitŽ et, plus prŽcisŽment, de la nature de la sensibilitŽ qui est en jeu. La corporŽitŽ
doit tre comprise comme ce qui se pose dans le monde avant toute intentionnalitŽ.
Avant de se rapporter ˆ lÕextŽrioritŽ, la rŽalitŽ du corps se fonde sur un contact avec la
terre elle-mme afin de pouvoir sÕorienter et dÕaccueillir au sein de cette position
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
E. Levinas, Autrement quՐtre, op.cit., p 219, TotalitŽ et infini (1961), Paris, Ed Le Livre de Poche 1994,
p.219, Levinas cite ˆ Rabbi Yochanan, TraitŽ Synhedrin 104b.
2
E. Levinas, TotalitŽ et infini, Paris, biblio essais, 1971, p. 117-118.
3
C. Pelluchon, Les Nourritures, Philosophie du corps politique, Paris, Seuil, 2015, p. 286.
4
J. P. Zander, Les Vocabulaires des Philosophes, Paris, Ellipses, 2002 p.835.
5
C. Pelluchon, Les Nourritures, Philosophie du corps politique, op.cit., p.10.
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lÕexpŽrience avec les objets extŽrieurs. Ainsi, le corps, en tant que position originale et
premire, se conjugue avec le fait de se tenir debout, dans un prŽsent au sein duquel le
sujet co•ncide avec lui-mme. De ce point de vue, le monde est sensible, au sens o il
est donnŽ. Cette sensibilitŽ ne cherche pas ˆ conna”tre, ˆ apprŽhender par les sens, les
donnŽes de la rŽalitŽ extŽrieure qui affectent le corps mais ˆ contenter le corps luimme. La sensibilitŽ est aussi ce qui permet un regard de celui qui mange envers la
nourriture. Ceci est essentiel car, dans ce contexte, ce nÕest pas la faim qui motive le
besoin, mais la sensibilitŽ. La nourriture nÕest pas seulement un moyen mais une fin, au
sens o on a du plaisir ˆ manger, au sens o le fait de manger lÕaliment reconstitue une
force mais nourrit aussi une vie. Manger, cÕest apaiser sa faim mais aussi gožter aux
aliments en Žprouvant du plaisir. La nourriture nÕest pas un Ç ustensile È1 selon le sens
de Heidegger, ˆ savoir une chose qui nous entoure, ce qui peut servir ˆ quelque chose.
Elle assure le souci dՐtre, mais rŽpond ˆ une dimension de lÕexistence ce qui est le
plaisir.
Or, dans le cadre clinique, la nutrition quand elle nÕest pas ignorŽe, est conue, soit
comme un simple acte de restauration afin de remplir un besoin physiologique, soit
comme un mŽdicament qui a pour but de guŽrir la dŽnutrition, excluant la notion de
plaisir et ses significations phŽnomŽnologiques affectives, sociales et culturelles.
Comme dans le cas de monsieur J. aprs lÕalimentation orale la NP, la NE et les SNO se
sont succŽdŽs avec le but de traiter et de prŽvenir la dŽnutrition. Il a ŽtŽ autorisŽ ˆ boire
des liquides, en plus de la nutrition parentŽrale, pour permettre un minimum de plaisir.
Cela peut sembler peu, mais maintenir le sens de lÕalimentation dans toutes ses
dimensions peut signifier beaucoup pour le patient. Ainsi, lÕoralitŽ :
Ç dessine un rapport au monde qui nous installe au cÏur de notre existence, dans des activitŽs o
le biologique et le symbolique, lÕintime et le social, le naturel et le culturel, le matŽriel et le
spirituel se rejoignent, comme dans la cuisine, lՎrotisme et lÕart2.È
Par lÕaliment, nous sommes reliŽs aux autres tres humains. LÕaliment ne nous
parvient pas tout de suite par nature, il requiert le travail dÕautrui et pose le problme du
partage avec les autres hommes et les autres espces 3. Nous mangeons avec les autres,
en famille et avec les amis dans la convivialitŽ, et parce que quelquÕun prŽpare notre
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
M. Heidegger Etre et temps, Trad. Rudolf Boehm et Alphonse De Waehlens, Žditions Gallimard, Paris,
1964, p.70.
2
Ibid., p. 52.
3
Ibid., p. 22.
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aliment (ou non) qui est issu dÕune production agricole parfois industrielle. Nous
sommes donc, ds que nous mangeons, responsables ˆ lՎgard dÕautrui. Ainsi, avant de
rencontrer le visage dÕautrui qui me dŽsigne comme responsable, lÕaliment et de
manire gŽnŽrale les nourritures, soulignent le caractre relationnel au sujet et le fait que
Ç lÕexistence est dÕemblŽe une position Žthique È1. Selon C. Peluchon,
Ç Mon rapport aux nourritures est le lieu originaire de lՎthique. LՎthique nÕest pas seulement la
dimension de mon rapport ˆ autrui ; elle dŽpend aussi de mon rapport aux nourritures2. È
Sur ce point, lÕenjeu est de savoir comment le fait de nourrir lÕhomme malade, modifie
son rapport ˆ lÕaliment. En transformant lÕaliment en alimentation artificielle, la
tendance est alors dÕexclure la convivialitŽ de cet acte alimentaire qui se rŽduit ˆ une
prise alimentaire. Toutefois, cela ne nous dŽresponsabilise pas de nourrir les hommes
malades. En effet, la nutrition artificielle est issue dÕune production industrielle qui
implique de concevoir la nutrition dans un marchŽ pharmaceutique liŽe ˆ la concurrence
des prix et ˆ des stratŽgies commerciales. Notre responsabilitŽ dans le fait de nourrir
artificiellement lÕhomme malade est de nous assurer de la disponibilitŽ de la nutrition
pour tous les malades. LÕhomme malade ne sort pas du monde des nourritures par le fait
de se nourrir artificiellement. La nutrition clinique doit se placer au centre des
prŽoccupations de la mŽdecine parce que lÕacte de nourrir constitue en lui-mme une
exigence Žthique.
Par consŽquent, il nÕy a pas de place pour un clivage entre Ç cure È et Ç care È. La
nutrition de la personne malade par voie orale ou artificielle, doit tre ŽvaluŽe dans la
perspective du care et participer ˆ la guŽrison (cure) du patient. Cette pratique doit tre
conue par le mŽdecin comme un acte ayant un unique objectif, celui du Ç soin È.
Nourrir lÕhomme malade nŽcessite un engament Žthique qui se conoit comme la mise
en Ïuvre dÕune pratique des soins nutritionnels, mais aussi comme une Ç attention
soutenue ˆ lՎgard de lÕautre È3. En outre, lÕanalyse de Levinas sÕavre indispensable,
dans la mesure o le rapport de lÕhomme ˆ la nourriture se double dÕun rapport Žthique,
voire fraternel ˆ autrui. La position de C. Pelluchon souligne la dimension Žthique de
lÕacte mme de manger, et cela est Žgalement vrai lorsquÔil sÕagit de nourrir lÕhomme
malade.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid.
Ibid., p.21-22.
3
P. Peperman, S. Laugier, Le Souci des Autres, op.cit. , p.15.
2
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2.3 Cas No. 3 : Nutrition clinique et dignitŽ humaine
CAS No 31.
Le cas de Monsieur DS, Maladie de Parkinson
- DS, un homme de 78 ans, souffre de la maladie de Parkinson (MP) depuis six ans.
Il est atteint dÕun diabte de type 2 depuis 2 ans. TraitŽ initialement par le seul
rŽgime, il est, depuis quelques mois, traitŽ par insuline en raison de la nŽphropathie
diabŽtique dŽbutante (protŽinurie). Les sympt™mes de la MP ont progressŽ au fil du
temps et le patient est maintenant incapable de marcher. Il prŽsente des dyskinŽsies
sŽvres, avec des Žpisodes dÕakinŽsie / rigiditŽ plus rŽguliers malgrŽ le traitement
pharmacologique. Sa taille est de 1,70 m et son poids de 57 kg, soit un IMC de 19
kg / m2.
Un mŽdecin lui recommande un rŽgime alimentaire faible en protŽines afin de
limiter lÕintŽraction avec le traitement de la MP. DS dŽbute le rŽgime faible en
protŽines, avec seulement une petite portion de protŽines animales pour le d”ner
(environ 20g de protŽines / jour). Le patient manifeste une intolŽrance aux produits
laitiers.
DS perd du poids aprs 2 semaines de rŽgime. Son taux de glycŽmie sÕaggrave.
Aucune diffŽrence n'a ŽtŽ notŽe dans la frŽquence et la durŽe des Žpisodes
dÕakinŽsie. Il a ŽtŽ recommandŽ qu'il arrte le rŽgime alimentaire faible en protŽines.
Deux ans plus tard, il est admis ˆ l'h™pital en raison d'une infection respiratoire. La
MP a progressŽ avec une dysphagie modŽrŽe ˆ sŽvre et la dŽficience cognitive
sÕaggrave. Au cours de l'admission ˆ l'h™pital, le patient est incapable de manger ˆ
cause de la dyspnŽe. Une nutrition artificielle sÕimpose.
Lors de lÕhospitalisation, le patient prŽsente des troubles cognitifs modŽrŽs qui nÕont
pas empchŽ de l'interroger sur sa volontŽ de recourir ˆ la nutrition artificielle. Il a
acceptŽ comme sa famille, la mise en place d'une sonde d'alimentation. Comme il
fallait sÕy attendre, un traitement ˆ long terme (dysphagie modŽrŽe / sŽvre), avec
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
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Cas disponible sur LLL, Topic 25 : Nutritional Support in Neurological Diseases.
!
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une sonde gastrique percutanŽe (PEG), a ŽtŽ mise en place. Au cours de
l'hospitalisation, la gastroparŽsie (complication du diabte et de la thŽrapie
mŽdicamenteuse) est devenue Žvidente. En dŽpit d'un traitement procinŽtique et de
lÕassistance en continu dÕune pompe pour la nutrition entŽrale, une pneumonie
d'aspiration est apparue, associŽe aux volumes gastriques rŽsiduels ŽlevŽs. La
nutrition a ŽtŽ rŽtablie avec succs en utilisant une extension de jŽjunostomie et le
patient a quittŽ lÕh™pital avec une nutrition entŽrale ˆ domicile. Pendant les mois
suivants, la situation clinique sÕest progressivement dŽtŽriorŽe et il a dŽveloppŽ une
dŽmence avancŽe qui a gŽnŽrŽ une dŽtresse considŽrable chez les membres de la
famille. Le patient a ŽtŽ transfŽrŽ vers un centre de soins de longue durŽe.
2.3.1 Le problme Žthique
La dŽmence nÕest pas synonyme de fin de vie. Cependant, la dŽmence1 est une
maladie progressive et incurable qui conduit ˆ une perte complte de la fonction
cognitive et ˆ une mort subsŽquente. Elle se caractŽrise par une dŽtŽrioration
progressive et/ou Žpisodique de la capacitŽ dŽcisionnelle, ce qui entra”ne une altŽration
de son autonomie, condition requise pour que le patient puisse exprimer son
consentement2. Il existe plusieurs stades Žvolutifs allant du stade prŽ-dŽmentiel au stade
terminal3. Le stade terminal se caractŽrise par une altŽration profonde des fonctions
supŽrieures (aphasie, apraxie, non-reconnaissance de lÕentourage proche) associŽe,
notamment, ˆ des troubles du comportement, une incontinence urinaire et fŽcale, un Žtat
grabataire et des troubles de lÕalimentation. La sociabilitŽ des patients dŽments est
altŽrŽe, mais une communication bilatŽrale avec le soignant est possible. Il faut
reconna”tre que ces patients sont capables dÕexprimer leur volontŽ, mme si cela passe
par une communication souvent non verbale4. Il ne faut pas le confondre avec lՎtat des
patients en Žtats de conscience altŽrŽe (Žtat vŽgŽtatif chronique et Žtat pauci relationnel).
Ces patients, en raison de leurs troubles moteurs et cognitifs majeurs, sont dŽpendants
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Syndrome dŽmentiel, dont lՎtiologie la plus connue est la maladie dÕAlzheimer. Il existe dÕautres
dŽmences apparentes comme la dŽmence de Parkinson, la dŽmence vasculaire ou la dŽmence ˆ corps de
Lewy. Ceux-ci rŽpondent ˆ des critres diagnostiquŽs prŽcisŽment du DSM-IV et de la CIM 10.
2
La notion de consentement est fondamentale en Žthique et en droit. Article 16-3 du Code civil, lÕarticle
L. 1111-4 du Code de la santŽ publique ou encore lÕarticle 37 du Code de dŽontologie mŽdicale, intŽgrŽ
au Code de la santŽ publique.
3
B. Duzˆn, P. Fouassier, Ç Maladie dÕAlzheimer et fin de vie : aspects Žvolutifs et stratŽgies
thŽrapeutiques È, MŽdecine palliative 2011, 10, p.230-244.
4
C. Pelluchon, LÕautonomie brisŽe. BioŽthique et philosophie, op.cit. p. 179.
!
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pour toutes les activitŽs de la vie et prŽsentent un dŽfaut de communication et
dÕinteraction avec le monde extŽrieur.
Les dŽcisions cliniques pour les patients dŽments doit tenir en compte du pronostic
de la maladie. Il faut savoir que la survie moyenne aprs le diagnostic est de huit ans
pour les patients ayant entre 65 et 70 ans. La phase de dŽmence sŽvre peut durer de une
ˆ trois annŽes selon la gravitŽ, mais souvent les patients peuvent vivre plus de vingt
ans.1 Le risque de dŽcs augmente avec la sŽvŽritŽ de la dŽmence ou lՉge de la
personne. Toutefois, la Ç fin de vie È ou la phase terminale est souvent difficile ˆ
pronostiquer.
La dŽmence et les maladies associŽes entra”nent un impact sur lÕapport nutritionnel2.
(Figure 7) Dans le cas de Monsieur DS, lՎvolution de la maladie de Parkinson, de la
dŽmence et du diabte ainsi que les rŽgimes restrictifs ont entra”nŽ un Žtat de
dŽnutrition. La dŽnutrition et la perte de poids dans la dŽmence sont corrŽlŽes avec le
dŽclin cognitif et la progression de la maladie3. La dŽnutrition aggrave la dŽmence et la
dŽmence aggrave la dŽnutrition. Ainsi, la dŽmence et les problmes nutritionnels
provoquent une forte charge de souffrance pour les patients qui aggravent leur
dŽpendance, l'anxiŽtŽ, la dŽpression et les comorbiditŽs.
Figure 7. Cercle vicieux de dŽnutrition et dŽmence4.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid.
D. Volkert, M. Chourdakis, G. Faxen-Irving, T. FrŸhwald, F. Landi, M. H. Suominen, M. Vandewoude,
R. Wirth, S.M. Schneider, ÇESPEN guidelines on nutrition in dementiaÈ, Clinical Nutrition 2015, vol. 34,
p.1052-73.
3
S. Guerin, S. Andrieu, SM. Schneider, M. Milano, R. Boulahssass, P. Brocker, B. Vella. ÇDifferent
modes of weight loss in AlzheimerÕs Disease: A prospective study of 395 patients È Am. J. Clin. Nutr.
2005, vol. 82, p. 435Ð441.
4
D.Volkert, M. Chourdakis, G. Faxen-Irving, T. FrŸhwald, F. Landi, M. H. Suominen, M. Vandewoude,
R. Wirth, S.M. Schneider, ÇESPEN guidelines on nutrition in dementiaÈ, op.cit., p.1052-73.
2
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Nous avons dŽjˆ analysŽ la double vulnŽrabilitŽ quÕimplique la dŽnutrition : il sÕagit
de lÕaffaiblissement physique (avec la possibilitŽ de perdre la vie et la perte de
lÕautonomie), mais aussi de lÕabsence de reconnaissance de ce diagnostic. La dŽnutrition
et la dŽmence affectent non seulement les patients mais Žgalement leurs familles. Pour
ces dernires, ce problme est une vŽritable source d'anxiŽtŽ et de stress car cette
situation peut devenir une charge lourde si lÕon pense au temps passŽ ˆ soigner le
malade. Les altŽrations de lÕhumeur propres aux Žtapes Žvolutives de la dŽmence
entra”nent des altŽrations du gožt et du caractre. La progression de la dŽmence
Ç Inflige ˆ lÕentourage une blessure importante, parce que au-delˆ de la dŽpendance et de la
nŽcessitŽ de sÕoccuper du malade en veillant ˆ la sŽcuritŽ de la maison, les enfants et les petits
enfants ne le reconnaissent plus du tout et sՎloignent parfois de lui1. È
Pour la sociŽtŽ, ce problme est vŽcu comme un Žnorme fardeau financier vu la
charge de soins de santŽ nŽcessaires et les cožts associŽs. Une prise en charge
nutritionnelle adŽquate et raisonnable est alors nŽcessaire, et en particulier dans le cas
dÕun patient atteint de dŽmence dont la capacitŽ de dŽcision est compromise.
Pour Žtudier ce cas, il faut tenir en compte des rŽsultats des analyses des cas
prŽcŽdents. Le cas clinique n¡ 1 nous a permis de mettre ˆ jour la modalitŽ selon
laquelle le support nutritionnel qui suit le diagnostic de dŽnutrition est censŽ rŽpondre ˆ
la vulnŽrabilitŽ particulire quÕimplique ce diagnostic. Le cas clinique n¡ 2 nous a
montrŽ que le fait de nourrir lÕhomme malade nŽcessite un engagement Žthique qui
suppose une Ç attention soutenue ˆ lՎgard de lÕautre È et une conception du support
nutritionnel comme un vŽritable soin. Il sÕagit alors pour le cas n¡ 3 de concevoir les
soins nutritionnels des personnes atteintes de dŽmence dans une perspective du respect
des principes dÕautonomie, de bienfaisance, de non-malfaisance et de justice. Autrement
dit, le support nutritionnel par rŽgime alimentaire spŽcial ou par sonde doit se faire en
respectant le souhait dÕalimentation du patient, ses gožts et ses prŽfŽrences, mais aussi
dans la perspective dÕun bŽnŽfice clinique au sens o lÕamŽlioration de la dŽnutrition
doit lui permettre dՐtre en meilleur santŽ et dÕavoir une meilleure qualitŽ de vie. Elle
doit aussi faire en sorte que lՎvolution de sa dŽmence nÕaltre pas trop son confort et
que les risques de complication liŽs ˆ la maladie soient rŽduits. Ces effets bŽnŽfiques et
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
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C. Pelluchon, LÕautonomie brisŽe. BioŽthique et philosophie, op.cit., p. 177.
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la diminution des risques ont des implications Žconomiques importantes dans le sens o
ils pourraient contribuer ˆ baisser les cožts en santŽ gr‰ce ˆ une moindre utilisation des
mŽdicaments et ˆ des sŽjours moins frŽquents ˆ lÕh™pital.
Dans ce contexte-lˆ, nous avons identifiŽ deux questionnements. Le premier
problme concerne les difficultŽs ˆ respecter le principe dÕautonomie. SÕil est possible
de considŽrer que ce principe est respectŽ car monsieur DS a donnŽ initialement son
consentement, lÕabsence de consensus ˆ propos de la pratique du support nutritionnel
pourrait se traduire par des difficultŽs dans lÕinformation au patient. En effet, le
consentement du patient ˆ tout acte mŽdical est forcŽment liŽ ˆ lÕinformation. Cela veut
dire que la condition pour que le patient puisse donner son consentement libre et ŽclairŽ
est lÕadŽquate information sur les soins proposŽs. Ainsi, le mŽdecin est dans lÕobligation
dÕinformer de manire dŽtaillŽe le patient (ou la famille dans certains cas) sur les
caractŽristiques, les bŽnŽfices et les risques des soins (code de dŽontologie mŽdicale et
loi de mars 2002), information qui, nous allons le voir, est aujourdÕhui controversŽe
dans ce type de cas. Deuximement, si lÕon considre que le principe dÕautonomie est
respectŽ car monsieur DS a donnŽ initialement son consentement ˆ la pose de la sonde
pour lÕalimentation artificielle, il sÕagit Žgalement de savoir comment le respect de ce
principe est maintenu au cours de lՎvolution de la maladie. Ces deux questionnements
nous amnent ˆ nous questionner sur les raisons pour lesquelles un patient, dont la
capacitŽ de dŽcision est compromise et le pronostic incertain, continue dՐtre nourri.
2.3.2 Le support nutritionnel dans la dŽmence
Lorsque les patients ‰gŽs prŽsentant des troubles cognitifs ne peuvent plus
sÕalimenter de manire naturelle (risques vitaux en lien avec la dysphagie comme le
risque dÕaspiration), le mŽdecin a souvent recours ˆ la limitation de lÕalimentation par la
bouche (Nil per os) et ˆ la nutrition artificielle par voie entŽrale. Ainsi, la sonde
nasogastrique permet le passage des solutions de nutrition entŽrale (poches de nutrition
industriellement prŽparŽes), mais aussi de lÕhydratation et des mŽdicaments jusquՈ
lÕintestin. Si la situation clinique se dŽtermine irrŽversible, une alimentation et
hydratation artificielles sont envisagŽes au long terme, comme cÕest le cas pour
Monsieur DS. Il est alors nŽcessaire de poser une sonde de gastrostomie percutanŽe
endoscopique (GPE). La pose dÕune sonde nasogastrique de nutrition entŽrale ou dÕune
PEG chez la personne ‰gŽe atteinte de dŽmence est une situation clinique frŽquente en
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mŽdecine1. Ce geste, du fait de sa dimension percutanŽe, semble facile ˆ mettre en place
et est donc devenu dans certaines situations, un acte technique presque banal.
Cependant, il faut souligner quÕil ne sÕagit pas dÕun geste sans risques. Par ailleurs, ses
bŽnŽfices rŽels sont aujourdÕhui controversŽs. En outre, ce type d'alimentation
artificielle favorise lÕagitation, une plus grande utilisation des contentions physiques et
chimiques. Il va de pair avec une utilisation plus grande des ressources Žconomiques et
du personnel de soins en raison des complications liŽes aux tubes.
Les risques relatifs ˆ la nutrition par sonde et par GEP sont de 3 ˆ 15 % et concernent
le risque de pŽritonite, dÕhŽmorragie, de dŽplacement de la sonde, dÕinfection, dÕabcs,
de fuites et dÕobturation et la bronchopneumonie dÕaspiration2 qui est la principale cause
de mortalitŽ de ces patients3. Les bŽnŽfices de la nutrition entŽrale relvent de divers
ordres. Du point de vue nutritionnel, lÕapport de calories et de nutriments permettrait de
maintenir ou dÕamŽliorer lՎtat nutritionnel du patient. Au plan clinique, la nutrition
entŽrale, par ses effets sur lՎtat nutritionnel et son action sur dÕautres systmes tels que
lÕimmunologique, permettrait dÕamŽliorer les rŽsultats cliniques, en diminuant la
frŽquence des infections, des escarres, et en limitant la durŽe de sŽjour ˆ lÕh™pital. Le
moindre risque dÕaspiration bronchique, de pneumonie de dŽglutition sÕaffirme souvent
comme un des avantages de cette technique. Cependant, les pratiques concernant la
nutrition artificielle par GEP chez les patients atteints de dŽmence ne sont pas unanimes
ˆ cause des controverses sur le bŽnŽfice rŽel et sur les risques attribuŽs ˆ cette pratique.
Deux revues systŽmatiques de la littŽrature scientifique, publiŽes rŽcemment, ont
ŽvaluŽ les effets de la nutrition entŽrale chez des patients atteints de dŽmence4. Les
principaux rŽsultats cliniques (la mortalitŽ, la pneumonie de dŽglutition, les escarres, les
marqueurs nutritionnels et la qualitŽ de vie) et les taux de survie ont ŽtŽ examinŽs. La
revue publiŽe par Goldberg en 2014 a ŽvaluŽ dix Žtudes publiŽes entre 1995 et 2012.
Les Žtudes comparaient la survie des patients dŽments avec dysphagie qui Žtaient
alimentŽs par GEP et les patients non alimentŽs par GEP. Aucune Žtude nÕa montrŽ que
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
MJ Annear, C Toye, F McInerney, C Eccleston, B Tranter, K Elliott, A Robinson. ÇWhat should we
know about dementia in the 21st century? A Delphi consensus studyÈ, BMC Geriatr. 2015, vol. 6, p. 1551.
2
Inhalation de contenu gastrique dans le tractus respiration.
3
D. Westaby, A. Young, P. O'Toole, G. Smith, DS Sanders, ÇThe provision of a percutaneously placed
enteral tube feeding serviceÈ, Gut, 2010, vol. 59, p.1592-605.
4
L. S. Goldberg, Kenneth W Altman, ÇThe role of gastrostomy tube placement in advanced dementia with
dysphagia: a critical reviewÈ, Clinical Interventions in Aging 2014, vol. 9, p. 1733Ð1739. J. Brooke, O
Ojo, ÇEnteral Nutrition in Dementia: A Systematic ReviewÈ, Nutrients, 2015, vol. 7, p. 2456-2468.
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les patients sÕalimentant par GEP avaient un meilleur taux de survie ˆ long terme. Deux
Žtudes ont fait appara”tre un moins bon taux de survie ˆ moyen terme chez les patients
de plus de 80 ans atteints de dŽmence et sÕalimentant par GEP. La revue systŽmatique
de la littŽrature de Brooke publiŽe en 2015 a ŽvaluŽ cinq Žtudes qui comparaient les
effets de la GEP chez des patients ‰gŽs dŽments et chez des patients non dŽments. Deux
de ces Žtudes nÕont pas indiquŽ de diffŽrence dans le taux de mortalitŽ chez les deux
groupes de patients ; une Žtude a fait Žtat dÕune meilleure survie chez les patients
dŽments tandis que deux autres Žtudes ont constatŽ une moins bonne survie chez les
patients dŽments. LÕauteur conclut en affirmant que les rŽsultats de cette revue
systŽmatique permettent de Ç dŽpasser la vision traditionnelle selon laquelle la nutrition
entŽrale administrŽe par GEP augmente le taux de mortalitŽ chez les patients atteints de
dŽmence È. Cette conclusion reste toutefois trs controversŽe.
AujourdÕhui, il nÕy a donc pas de consensus sur les pratiques de lÕalimentation
artificielle chez ce type de patients. A cet Žgard, la SociŽtŽ europŽenne de nutrition
clinique (ESPEN) a rŽcemment donnŽ ses recommandations ou lignes directrices
relatives ˆ la nutrition dans la dŽmence1. LÕESPEN confirme l'utilisation de la nutrition
entŽrale chez les patients atteints de dŽmence lŽgre ou modŽrŽe si la dŽnutrition est le
rŽsultat d'un Žtat rŽversible et seulement pour une durŽe limitŽe. Les Žtats rŽversibles
sont des maladies concomitantes secondaires telles que la dŽpression, l'infection,
l'utilisation de sŽdatifs, la douleur ou une mauvaise santŽ buccodentaire. LÕESPEN ne
recommande pas l'utilisation de la nutrition entŽrale dans la phase terminale de la
dŽmence, bien quÕelle reconnaisse que les dŽcisions sont relatives ˆ chaque patient
atteint de dŽmence et que le pronostic gŽnŽral et les prŽfŽrences du patient devraient tre
pris en considŽration. Enfin, il est important de constater que les deux revues de la
littŽrature et les recommandations de lÕESPEN signalent lÕabsence dՎtudes concernant
les effets de la nutrition entŽrale par GEP sur la qualitŽ de vie.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
D.Volkert, M. Chourdakis, G. Faxen-Irving, T. FrŸhwald, F. Landi, M. H. Suominen, M. Vandewoude,
R. Wirth, S.M. Schneider, ÇESPEN guidelines on nutrition in dementiaÈ, op.cit., p.1052-73. Autres
recommendation de sociŽtŽs savantes qui vont dans le mme sens: American Geriatrics Society Ethics
Committee and Clinical Practice and Models of Care Committee, ÇAmerican Geriatrics Society feeding
tubes in advanced dementia position statementÈ, J Am Geriatr Soc 2014 vol. 62, p.1590-1593. Feeding
tubes for people with Alzheimers disease. Philadelphia: ABIM Foundation, 2013
(http://www.choosingwisely.org/doctor-patient-lists/feeding-tubes-for-people-with-alzheimers-disease.
AlzheimerÕs Association Statements. 2011 (http://www.alz.org/about_us_statements.asp. Fischberg D,
Bull J, Casarett D, ÇFive things physicians and patients should question in hospice and palliative
medicineÈ, J Pain Symptom Manage 2013, vol. 45, p.595-605.
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A ce sujet, le cas de Monsieur DS tŽmoigne de la difficultŽ quÕil y a ˆ appliquer de
telles directives. En effet, la nutrition artificielle par sonde nasogastrique sÕest au dŽpart
instaurŽ lors dÕune complication aigu‘ (infection pulmonaire) typique de lՎvolution de
sa maladie chronique, lorsque les troubles cognitifs Žtaient modŽrŽs et que le patient
avait toujours la facultŽ de dŽcider de sa volontŽ de recourir ˆ la nutrition artificielle.
DÕun c™tŽ, les directives de lÕESPEN ont ŽtŽ appliquŽes car il sÕagissait dÕun patient
atteint dÕune dŽmence modŽrŽe et que la dŽnutrition ou le risque nutritionnel Žtait
secondaire par rapport ˆ son Žtat rŽversible. Cependant, le trouble principal qui conduit
ˆ poser plus tard une sonde de GEP (qui, elle, est dŽfinitive) est la dysphagie. La
dysphagie (difficultŽ ˆ mastiquer et ˆ dŽglutir) est un trouble caractŽristique des
maladies de Parkinson1. La dŽglutition est une activitŽ motrice complexe nŽcessitant un
haut niveau de coordination musculaire sous le contr™le de nombreuses rŽgions du
cerveau. Des problmes de dŽglutition peuvent survenir avec les aliments, les boissons
et la salive. En gŽnŽral, les troubles de dŽglutition surviennent ˆ un stade avancŽ de la
maladie de Parkinson, mais ils peuvent Žgalement survenir aux stades prŽcoces.
Certaines Žtudes montrent que la durŽe de la survie des personnes est corrŽlŽe avec
l'apparition tardive de la dysphagie. La dysphagie peut tre contr™lŽe avec la
rŽŽducation et lÕadaptation alimentaire, mais lorsque le trouble de dŽglutition est majeur
et que le risque de broncho aspiration et de pneumopathie secondaire est ŽlevŽ
(premire cause de mortalitŽ) 2, comme dans le cas de monsieur DS, la nutrition
artificielle sÕimpose. MalgrŽ une prise en charge adŽquate par un traitement
procinŽtique et de lÕassistance en continu dÕune pompe pour la nutrition entŽrale, le
patient prŽsente une complication de la nutrition entŽrale qui nÕest pas rare : une
pneumonie d'aspiration qui est associŽe aux volumes gastriques rŽsiduels ŽlevŽs et ˆ la
gastroparŽsie. Cette complication a mis en jeux le pronostic vital du patient et, elle a eu
un impact sur sa qualitŽ de vie, sur la durŽe de son sŽjour ˆ lÕh™pital et sur les cožts
dÕhospitalisation. Le risque de pneumopathie associŽe ˆ la dysphagie ne pas diminue
donc pas avec la nutrition artificielle.
En fonction de lՎvolution de la maladie, quelques mois aprs la pose de la sonde
nasogastrique, le patient est nourri par sonde de GEP et il a ŽtŽ placŽ en maison de long
sŽjour. Il faut tenir en compte de deux aspects fondamentaux qui ont dž tre ŽvaluŽs lors
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
E. Michoy, S. Hamdy, ÇDysphagia in Parkinson's disease: a therapeutic challenge? È Expert Rev
Neurother, 2010, vol. 10, p. 875-8.
2
Ibid.
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de la pose de la GEP. DÕune part, les risques de prŽsenter de nouvelles complications
sont ŽlevŽs, les bŽnŽfices cliniques sont souvent controversŽs et lÕamŽlioration de la
qualitŽ de vie incertaine. DÕautre part, le pronostic et lÕapprŽciation de lՎvolution de la
maladie sont indispensables lorsquÕon dŽcide de poser la GEP. LՎvolution et le
pronostic ˆ court terme des patients atteints de dŽmence sont cependant difficiles ˆ
dŽterminer. Cependant, dÕaprs lÕinformation sur ce cas, il est probable que Monsieur
DS soit en phase avancŽe de sa dŽmence. Cela signifie que son espŽrance de vie se situe
entre six mois et deux ans. Toutefois, comme nous lÕavons vu plus haut, elle peut tre
plus longue. Par consŽquent, sur le plan clinique, la nutrition artificielle se prŽsente
comme une solution adaptŽe pour faire face aux complications des troubles de
dŽglutition (pneumopathies dÕinhalation, impression de mourir ŽtouffŽ, etc.), mais elle
comporte des risques non nŽgligeables et des bŽnŽfices incertains.
Sur le plan Žthique, si le principe dÕautonomie est respectŽ (car Monsieur DS a donnŽ
initialement son consentement ˆ la pose de la sonde pour lÕalimentation artificielle), le
problme est de savoir comment le respect de ce principe est maintenu au cours de
lՎvolution de la maladie. Le cas clinique ne donne pas dÕinformations ˆ propos de
directives anticipŽes. Il est clair que malgrŽ le fait que les capacitŽs de jugement et de
discernement sont altŽrŽes et avec elles
la capacitŽ de prendre de dŽcisions,
la
communication, souvent non verbale, est possible avec ces patients1. Il existe,
assurŽment, diverses approches (visant ˆ stimuler les sens, comme le toucher, le
massage, la musicothŽrapie, lÕaromathŽrapie)2 qui contribuent ˆ favoriser la
communication non verbale entre le patient et le soignant, mais elle nŽcessiteraient des
formations spŽcifiques pour les professionnels de santŽ. En effet, le soignant peut se
trouver souvent en difficultŽ et dŽstabilisŽ, lorsquÕil sÕagit d'Žchanger avec ces malades.
Or, lÕalimentation orale peut tre un moment favorable pour permettre cet Žchange et
Žtablir une communication entre le patient et le soignant, et pour elle, est aussi un
moment de sociabilitŽ avec les familles et les proches. Avec lÕalimentation artificielle,
on prive le patient de ce moment privilŽgiŽ de partage. La question est donc de savoir
comment les soins nutritionnels mme artificiels peuvent maintenir ce moment de
partage. Comment faire pour que le geste du dŽmarrage dÕune pompe de nutrition
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
MJ Annear, C Toye, F McInerney, C Eccleston, B Tranter, K Elliott, A Robinson. ÇWhat should we
know about dementia in the 21st century? A Delphi consensus studyÈ, BMC Geriatr, 2015, op.cit., p.9.
2
B. Duzˆn, P. Fouassier, Ç Maladie dÕAlzheimer et fin de vie : aspects Žvolutifs et stratŽgies
thŽrapeutiques È, MŽdecine palliative, op.cit., p. 230-244.
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entŽrale, dans le cas de Monsieur DS, ne soit pas uniquement un geste technique vidŽ de
tout contenu social et symbolique liŽ ˆ lÕalimentation ? Nous identifions deux
obstacles : dÕune part, le manque de personnel hospitalier, en particulier dÕinfirmires,
et la surcharge de travail dans les Žtablissements en Europe, et particulirement en
France1. DÕautre part, le fait que le soignant assimile la nutrition entŽrale au
mŽdicament est un autre problme. Le soignant, soucieux dÕoptimiser le temps de
travail et considŽrant que la nutrition entŽrale est uniquement un mŽdicament, ne
favorise aucun type dՎchange avec le malade autour de lÕalimentation. Le dŽbut de la
nutrition artificielle devient ainsi un simple geste technique, effectuŽ rapidement et qui
Žconomise du temps de soins. Or, il suffirait que le dŽmarrage de la pompe de nutrition
sÕaccorde avec un temps de soins qui permettrait au soignant dՐtre attentif aux gestes,
expressions et diverses manifestations du patient. En outre, mme sÕil est difficile de
savoir si le patient a soif ou faim, des manifestations dÕinconfort ou de satisfaction
apparaissent, ce qui pourrait conduire le soignant ˆ adapter les diffŽrents soins aux
besoins pressentis du malade. LÕautonomie du malade, conue au-delˆ de la simple
capacitŽ ˆ sÕautodŽterminer et apprŽhender, comme la double capacitŽ ˆ avoir des
valeurs et des dŽsirs, serait ainsi respectŽe. Il sÕagit ici dÕenvisager et concevoir une
conception de lÕhomme diffŽrente de celle quÕimplique lՎthique de lÕautonomie, liŽe ˆ
la valorisation de la ma”trise de soi et de la performance. Il est alors nŽcessaire de
considŽrer une attention particulaire ˆ la vulnŽrabilitŽ de ces patients. Ainsi lՎthique de
la vulnŽrabilitŽ invite ˆ penser le sujet ˆ la lumire d'une triple expŽrience de l'altŽritŽ :
lÕaltŽritŽ du corps propre, l'altŽritŽ liŽe ˆ lÕautre homme et ˆ la responsabilitŽ pour lui et
lÕautre par les institutions de soin2. L'enjeu est de promouvoir un humanisme qui
affirme notre responsabilitŽ vis-ˆ-vis dÕautrui. Cet idŽal dÕhumanitŽ, dÕaprs Pelluchon:
Ç NÕest pas liŽ ˆ la possession de certains capacitŽs ou ˆ lÕappartenance ˆ une espce, mais il
dŽpend de lÕaffirmation de certains valeurs3. È
LՎthique de la vulnŽrabilitŽ nous permet de reconna”tre alors lÕimportance de la
pratique du support nutritionnel comme un soin, indŽpendamment de la capacitŽ du
patient de dŽcider de son alimentation et la capacitŽ ˆ sÕalimenter tout seul. Cela
implique que lÕexpŽrience dÕune certaine souffrance, quÕimpliquent la faim et la
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
LH. Aiken, for the RN4CAST consortium, ÇNurse staffing and education and hospital mortality in nine
European countries: a retrospective observational studyÈ, The Lancet, 2014, vol. 383, p: 1824Ð1830.
2
C. Pelluchon, LÕautonomie brisŽe. BioŽthique et philosophie, op.cit.
3
C. Pelluchon, ElŽments pour une Žthique de la vulnŽrabilit, les hommes, les animaux, la nature, op.cit.,
p.56.
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dŽnutrition, suscite chez nous la compassion et le souhait que cette souffrance soit
soulagŽe.
Ainsi, lors du dŽmarrage de la nutrition entŽrale chez des patients comme Monsieur
DS, il est nŽcessaire de se poser les bonnes questions concernant la finalitŽ de la pose de
la sonde de GEP : est-ce pour amŽliorer la qualitŽ de vie ou pour prolonger sa survie ?
Des Žtudes qualitatives et quantitatives doivent Žvaluer de manire prospective lÕimpact
de la nutrition artificielle sur ce type de patients. En outre, il faut considŽrer si elle
pourrait favoriser ou pas la rŽapparition de nouvelles complications liŽes aux troubles de
la dŽglutition. Enfin, on ne peut pas nier le prix de la nutrition entŽrale et les enjeux
Žconomiques associŽs ˆ la rŽpartition des ressources. Dans ce contexte, il convient de se
questionner sur la pertinence quÕil y a ˆ nourrir un patient atteint dÕune dŽmence
avancŽe jusquՈ la fin de sa vie : est-il envisageable dÕarrter la nutrition de ces
patients ? Autrement dit, il sÕagit de savoir si le maintien de la nutrition artificielle dans
le cas de Monsieur DS, qui se trouve en institution de long sŽjour et en phase terminale
de sa maladie, pourrait tre considŽrŽ comme de lÕobstination dŽraisonnable. En effet,
dÕaprs lÕarticle 37 du code de dŽontologie mŽdicale, le mŽdecin doit en toutes
circonstances :
Ç S'efforcer de soulager les souffrances de son malade, l'assister moralement et Žviter toute obstination
dŽraisonnable dans les investigations et la thŽrapeutique È.
LÕalimentation et lÕhydratation artificielles font partie de ces traitements susceptibles
dՐtre arrtŽs chez une personne hors dՎtat dÕexprimer sa volontŽ, quÕelle soit ou non
en fin de vie, surtout lorsque leur poursuite traduirait une Ç obstination dŽraisonnable È1.
Celle-ci doit tre estimŽe au cas par cas en fonction des valeurs supposŽes du patient.
Cependant, la dŽmence nous place face ˆ une double difficultŽ, celle de dŽfinir si le
patient est ou non en phase de fin de vie, et si la nutrition artificielle est un traitement
qualifiŽ dÕÇ obstination dŽraisonnable È.
Dire si un patient dŽment est en fin de vie et Žvaluer ce diagnostic est trs difficile2.
Mme si lÕon sait que le risque de dŽcs augmente avec la sŽvŽritŽ de la dŽmence et
lՉge du patient, on ne peut pas dŽterminer ce risque sur un dŽlai de six mois. Ces
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Il nÕy a pas de dŽfinition universellement partagŽe de lÕobstination dŽraisonnable. Code de santŽ
publique dans lÕarticle L.1110-5, des articles L.1111-4 et R.4127-37 et la loi du 22 avril 2005.
2
B. Duzˆn, P. Fouassier, Ç Maladie dÕAlzheimer et fin de vie : aspects Žvolutifs et stratŽgies
thŽrapeutiques È, MŽdecine palliative, op.cit. p. 230-244.
!
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patients ne suivent pas en gŽnŽral une phase dÕaggravation brutale comme, par exemple,
les patients cancŽreux, mais ils ont des fluctuations, avec des phases dÕaggravation, de
stabilisation et dÕamŽlioration. En gŽnŽral, ces patients ne meurent pas de lՎvolution
cŽrŽbrale de la dŽmence, mais dÕautres maladies chroniques liŽes ˆ lՉge et aux
pathologies intercurrentes comme les infections pulmonaires associŽes aux troubles de
la dŽglutition1.
L'Žvolution clinique de la dŽmence avancŽe a ŽtŽ dŽcrite par l'Žtude Choices,
Attitudes, and Strategies for Care of Advanced Dementia at the End-of-Life
2
(Les
choix, les attitudes et les stratŽgies pour les soins de la dŽmence avancŽe ˆ la fin de vie)
qui a suivi de faon prospective 323 rŽsidents de maisons de soins infirmiers ayant cette
maladie pendant 18 mois. La mŽdiane de survie Žtait de 1.3 an. Les complications
cliniques les plus frŽquentes relevaient de problmes d'alimentation (86 % des patients),
dՎpisodes fŽbriles (53 % des patients), et de pneumonie (41 % des patients). Une des
principales recommandations et conclusions de lÕauteur de lՎtude est la suivante :
Ç Given the challenge of predicting life expectancy among patients with advanced dementia,
access to palliative care should be determined on the basis of a desire for comfort care, rather than
the prognostic estimates3.È
Ç Etant donnŽ le dŽfi qui consiste ˆ prŽdire l'espŽrance de vie chez les patients atteints de dŽmence
avancŽe, l'accs aux soins palliatifs devrait tre dŽterminŽ sur la base d'un dŽsir de soins de
confort, plut™t que sur les estimations pronostiquŽes. È
Ainsi, il est fondamental dՐtre trs clair sur la finalitŽ des soins. Concernant
Monsieur DS, la description du cas ne nous indique pas la prŽsence ou lÕabsence de
directive anticipŽe ou dՎcrit manifestant ses volontŽs. Comme dans la plupart des cas,
on peut supposer quÕil nÕy a pas ce genre de documents. Dans ce contexte, les soignants
auraient dž informer sa famille de son Žtat, ce qui aurait ŽtŽ lÕoccasion de revoir les
objectifs de soins, avant que le patient ne commence le traitement, en particulier avant
la pose de la GEP. Si les objectifs sont clairs, le confort doit tre la prioritŽ et seuls les
traitements pour soulager les sympt™mes, devraient tre prescrits. La famille doit
comprendre que la pneumonie d'aspiration est un signe de gravitŽ et dÕavancement de la
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
S.L. Mitchell , ÇAdvanced DementiaÈ, N Engl J Med , 2015, vol. 372, p. 2533-2540.
Mitchell SL, Teno JM, Kiely DK, ÇThe clinical course of advanced dementiaÈ, N Engl J Med, 2009,
vol. 361, p. 529-1538.
3
Ibid.
2
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maladie, prŽcipitŽe par des problmes de dŽglutition qui sont frŽquents chez les patients
atteints de dŽmence avancŽe et qui ne cesseront pas. Si la famille pense quÕoffrir une
tentative de prolonger la vie est en accord avec les prŽfŽrences du patient, les futures
pneumopathies devront tre traitŽes par l'administration d'antibiotiques par la voie la
moins invasive possible. Les objectifs de soins doivent tre revus avec lՎvolution de la
maladie. Dans ce cas, la persistance de lÕalimentation par sonde de GEP peut-elle tre
considŽrŽe comme de lÕobstination dŽraisonnable ?
Les critres qui permettent de qualifier des traitements comme de lÕobstination
dŽraisonnable ont ŽtŽ repris dans les Ç Observations du CCNE ˆ lÕattention du Conseil
dÕEtat È 1en mai 2014. Les traitements qui entrent dans cette catŽgorie sont ceux qui
sont considŽrŽs comme :
Ç inutiles, disproportionnŽ ou nÕayant dÕautre objet que la seule prolongation artificielle de la
vie2.È
Les traitements inutiles sont ceux qui nÕamŽliorent pas lՎtat de santŽ. Ceux dŽfinis
comme disproportionnŽs, correspondent aux risques courus par le patient et ˆ la
disproportion entre le traitement et son efficacitŽ, le bienfait ou bŽnŽfice quÕil reprŽsente
pour le patient :
Ç Les actes de prŽvention, dÕinvestigation et de soins ne doivent pas, en lՎtat des connaissances
mŽdicales, lui faire courir de risques disproportionnŽs par rapport au bŽnŽfice escomptŽ3. È
Parmi les risques, il sÕagit de considŽrer, en plus des risques vitaux ou organiques, les
risques concernant la douleur et la souffrance. Pour Monsieur DS, on considre alors la
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Les Ç Observations du CCNE ˆ lÕattention du Conseil dÕEtat È, 2014. Ç Dans sa dŽcision n¡ 375081 du
14 fŽvrier 2014, le Conseil dÕEtat, statuant au contentieux a invitŽ lÕAcadŽmie de MŽdecine, le ComitŽ
Consultatif National dÕEthique, le Conseil National de lÕOrdre des MŽdecins ainsi que Monsieur Jean
Leonetti ˆ lui prŽsenter Ç avant la fin du mois dÕavril 2014 des observations Žcrites dÕordre gŽnŽral de
nature ˆ lՎclairer utilement sur lÕapplication des notions dÕobstination dŽraisonnable et de maintien
artificiel de la vie au sens de lÕarticle L. 1110-5 du code de la santŽ publique, en particulier ˆ lՎgard des
personnes qui sont, comme Monsieur Lambert, dans un Žtat pauci-relationnel. È Ç Cette demande est faite
pour les besoins de lÕinstruction des requtes, Ç en raison de lÕampleur et la difficultŽ des questions
dÕordre scientifique, Žthique et dŽontologique qui se posent ˆ lÕoccasion du prŽsent litige È.
http://www.ccneethique.fr/sites/default/files/publications/observations_generales_du_ccne_pour_le_cons
eil_detat_-5_mai_2014.pdf. (consultŽ le 2 fŽvrier 2016).
2
Ibid.
3
Article L. 1110-5 du code de la santŽ publique dans sa rŽdaction issue de la loi n¡ 2002-303 du 4 mars
2002 relative aux droits des malades et ˆ la qualitŽ du systme de santŽ.
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pneumopathie et les autres risques liŽs ˆ lÕalimentation par la sonde de GEP, mais
Žgalement la gne et lÕinconfort des sondes dÕalimentation. Ainsi, le patient sans espoir
d'amŽlioration de son Žtat de santŽ est protŽgŽ contre l'acharnement thŽrapeutique. A cet
Žgard, lÕObservations du CCNE ˆ lÕattention du Conseil dÕEtat du 2014 estime que :
Ç lorsque lÕon considre que le maintien de la nutrition et de lÕhydratation artificielles relve dÕune
obstination dŽraisonnable, ce nÕest pas tant dÕune obstination ˆ traiter une maladie dont on parle,
que vŽritablement dÕune obstination dŽraisonnable ˆ maintenir la personne en vie1. È
Il sÕagit, lorsquÕon dŽcide dÕarrter ou non la nutrition artificielle, de savoir quel est
le but des soins en gŽnŽral. Le double statut et la dissociation possible de la nutrition
artificielle comme soin et comme thŽrapeutique confrent une Ç nature particulire È ˆ
cette technique lorsquÕil sÕagit de nourrir lÕhomme malade mourant. Cela implique une
difficultŽ lorsquÕil existe une pluralitŽ de conceptions conduisant ˆ confronter des
valeurs opposŽes liŽes ˆ la dimension symbolique de la nutrition. Ainsi, par exemple,
pour les familles, la nutrition artificielle est davantage un soin, comme le montre le
commentaire de lÕUnion nationale des associations de familles de traumatisŽs cr‰niens :
Ç LÕalimentation entŽrale et lÕhydratation assurent des besoins ŽlŽmentaires sans constituer un
maintien en survie artificielle. Les interrompre, au contraire, consiste ˆ faire mourir de faim et de
soif2.È
Cependant, ce quÕil faut savoir cÕest que la nutrition orale ne doit pas tre proscrite.
Elle est toujours une option et doit tre privilŽgiŽe lorsque le patient est en fin de vie. En
effet, comme nous lÕavons vu prŽcŽdemment, dÕaprs certaines Žtudes, la nutrition orale
peut avoir les mmes rŽsultats que l'alimentation par sonde relativement ˆ la mortalitŽ,
la pneumonie d'aspiration, l'Žtat fonctionnel et le confort. Ainsi, notre point de vue est
quÕil est nŽcessaire dÕamŽliorer l'alimentation orale en modifiant l'environnement, en
intŽgrant la nutrition dans les soins habituels pour les personnes ‰gŽes atteintes de
dŽmence avancŽe. Cependant, il est de la responsabilitŽ de tous les membres de l'Žquipe
soignante de prendre en compte les souhaits prŽcŽdemment exprimŽs par les individus
(gr‰ce ˆ l'examen des directives anticipŽes) qui concernent l'alimentation artificielle et
d'intŽgrer ces souhaits dans le plan de soins.
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1
Observations du CCNE ˆ lÕattention du Conseil dÕEtat, 2014.
PubliŽ dans Ç ƒtat vŽgŽtatif chronique ou pauci relationnel Parcours de soin jusquÕau terme de
lÕexistence. Contribution ˆ la concertation nationale sur la fin de vie È, Espace Ethique, 20 juin 2014 2e
Ždition augmentŽe, p. 52. http://www.espacethique.org (consultŽ le 4 octobre 2015).
2
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Toutefois, en lՎtat actuel du droit, la dŽcision dÕarrter la nutrition relve de la
responsabilitŽ du mŽdecin dÕaprs une dŽcision collŽgiale. Elle associe la famille, mais
la dŽcision dÕarrt de soins de support nÕest pas prise par la famille. DÕo lÕimportance
dans la version adoptŽe de la loi Leonetti, des directives anticipŽes qui auraient alors
une valeur contraignante. Il sÕagit dÕune procŽdure de consultation o le mŽdecin prend
sa dŽcision, aprs avoir consultŽ les diffŽrents intervenants, (la famille, les proches, les
autres soignants, le mŽdecin consultant) et recueilli leur avis.
Ç La dŽcision de limitation ou dÕarrt de traitement est prise par le mŽdecin en charge du patient
aprs concertation avec lՎquipe de soin, si elle existe, et sur lÕavis motivŽ dÕau moins un mŽdecin,
appelŽ en qualitŽ de consultantÉ La dŽcision de limitation ou dÕarrt de traitement prend en
compte les souhaits que le patient aurait antŽrieurement exprimŽs, en particulier dans des
directives anticipŽes, sÕil en a rŽdigŽ, lÕavis de la personne de confiance quÕil aurait dŽsignŽe, ainsi
que celui de la famille, ou, ˆ dŽfaut, celui dÕun de ses proches1. È
Par consŽquent, on peut considŽrer que, pour le mŽdecin, il ne sÕagit pas uniquement
de dŽcider de lÕutilisation ou non dÕune technique avec ses risques et ses bŽnŽfices. La
discussion va supposer la confrontation dÕune pluralitŽ des conceptions de la nutrition
artificielle2, dans une phase de la maladie semblable a ce qui se passe ˆ la fin de la vie.
Nourrir lÕhomme malade, en particulier quand il est dans une telle vulnŽrabilitŽ, renvoie
fondamentalement aux notions de vie et de qualitŽ de vie. Nous avons ŽtudiŽ comment
la fonction de nutrition est essentielle ˆ la vie. Cela implique pour le soignant de prendre
en compte ce que reprŽsentent pour le patient la vie et une vie de qualitŽ, de considerer
ses valeurs et sa fin de vie. LÕacte de nourrir, de se nourrir, comme nous lÕavons dŽjˆ
analysŽ, implique dÕautres facteurs que les seules dimensions biologiques,
psychologiquees et sociales. Se nourrir est indissociable du plaisir, de lÕaffectif et de la
convivialitŽ. Il faut rappeler que lÕindication de Ç Nil per os È et une alimentation par
GEP privent le patient des sensations de plaisir et augmentent la sensation dÕinconfort.
De plus, l'inconfort peut sÕaccro”tre lorsque la cavitŽ buccale nÕest pas rŽgulirement
humidifiŽe. La sonde, en gŽnŽral, agite le malade. Il nÕy a pas de place pour le plaisir ni
pour la convivialitŽ associŽs aux actes de manger et boire. Cela signifie que les soins
nutritionnels doivent porter une attention non seulement aux rŽsultats biologiques et
cliniques, mais aussi aux autres dimensions de la vie de lÕindividu. Il sÕagit de
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Article R. 4127-37 du code de la santŽ publique.
Nous avons ŽtudiŽ dans le cas n. 2 la tension entre le care et le cure dans les soins nutritionnels et il
sÕavre que les soins nutritionnels intgrent ces deux notions de manire indissociable.
2
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considŽrer lÕindividu dans son intŽgralitŽ et cela mme sÕil nÕest pas autonome. Nous
avons ŽtudiŽ cela avec le cas n. 1 en analysant comment la dŽnutrition reprŽsente une
atteinte ˆ lÕintŽgritŽ du patient, les notions dÕintŽgritŽ et de dignitŽ Žtant intimement
liŽes. Il est nŽcessaire de dire prŽcisŽment comment les soins nutritionnels participent au
respect de lÕintŽgritŽ et de la dignitŽ de lÕhomme malade.
2.3.3 Nourrir lÕhomme malade et la question de la dignitŽ humaine
La notion de dignitŽ humaine est centrale dans la bioŽthique europŽenne1. Ce
principe est considŽrŽ comme fondamental pour la rŽflexion mais il a ŽtŽ Žgalement
lÕobjet de questions et de critiques, notamment en Žtant ŽvaluŽ comme une notion vague
et contradictoire. Pour G. Hottois, il sÕagit dÕune notion complexe et Žvolutive et non
Ç lÕexpression principielle univoque et dŽfinitive du fondement moniste qui serait la source de tous
les autres principes Žthiques et juridiques2. È
Pour cela, il nous semble nŽcessaire dÕexpliciter de manire claire le sens quÕil
convient de donner ˆ la notion de dignitŽ, prŽalable indispensable pour rŽflŽchir ˆ la
relation entre Ç nourrir lÕhomme malade È et le concept de Ç dignitŽ È.
La dignitŽ se rŽfre essentiellement ˆ la valeur intrinsque de tout tre humain et se
dŽfinit avant tout comme une notion morale ˆ partir de lÕanalyse kantienne :
Ç Agis de telle sorte que tu traites lÕhumanitŽ aussi bien dans ta personne que dans la personne de
tout autre toujours en mme temps comme fin, et jamais simplement un comme moyen È3.
Dans cet impŽratif catŽgorique, Kant interdit ˆ chaque tre raisonnable moral de
traiter les autres tres raisonnables moraux ou lui-mme seulement comme moyen.
LÕhomme a une valeur, et non pas un prix et il doit tre considŽrŽ comme une fin en soi.
Il ne peut tre jamais regardŽ comme un simple moyen pour les fins dÕautrui ou pour les
siennes propres. De cette manire, la dignitŽ est un principe liŽ ˆ une valeur intrinsque
et absolue, au-delˆ de tout prix, que seul lÕhomme (rationnel) possde, les autres tres
ayant une valeur relative ou Žchangeable. De cet impŽratif dŽcoule lÕobligation de
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Le principisme amŽricain ignore le principe de dignitŽ. G. H. DignitŽ et DiversitŽ, Vrin, 2009, p. 21.
Ruth Macklin, Ç Dignity is a useless concept È, British Medical Journal, 2003, vol. 327,
p. 1419
2
G. Hottois, DignitŽ et DiversitŽ, Paris, Vrin, 2009, p 21.
3
E. Kant, Fondements de la MŽtaphysique des mÏurs, Traduction et notes de V. Delbos, Delagrave,
Paris, 1957, p. 150.
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respecter la dignitŽ. La dignitŽ est ainsi considŽrŽe comme une obligation de toujours
tenir compte de cette valeur spŽciale qui est en chaque personne. Il sÕagit de respecter
lÕautre et de se respecter soi-mme. Cela implique lÕestime de soi, de ne pas se faire mal
de ne pas se vendre. Respecter la dignitŽ dÕautrui, cÕest aussi ne pas favoriser les
conditions matŽrielles qui empcheraient que lÕestime de soi devienne possible.
Pour Kant, lÕautonomie de lՐtre rationnel est le fondement mme de la dignitŽ. Elle
dŽsigne la capacitŽ dՐtre soi-mme lÕauteur de sa propre loi de pouvoir
sÕautodŽterminer. LÕautonomie est ainsi considŽrŽe comme condition de possibilitŽ du
plus haut degrŽ de libertŽ. Celle-ci se dŽfinit comme la possibilitŽ, pour lÕhomme,
dÕobŽir ˆ la loi de sa propre raison, Žtant entendu que, chez Kant, la loi morale est
considŽrŽe comme un fait de la raison (elle est donnŽe ˆ chacun par la raison et confre
ˆ la loi morale une existence). La dignitŽ de lÕhomme, autrement dit le fait de se
considŽrer et de considŽrer autrui comme une valeur absolue, est ce qui permet de
sÕaffirmer comme une personne et non plus comme une chose. Cette prŽcision est
dÕimportance car, ˆ la diffŽrence dÕune chose, privŽe de libertŽ et rŽduite ˆ un simple
prix, ˆ une simple valeur dՎchange, la personne sÕaffirme dans la possibilitŽ de
sÕautodŽterminer, par le pouvoir de sa raison, comme un tre intelligible ayant la mesure
du bien et du monde. CÕest prŽcisŽment en ce sens que la dignitŽ est une manifestation
de la libertŽ dans la mesure o elle permet ˆ lÕhomme, dans sa dimension intelligible de
suivre sa raison normative. DignitŽ et autonomie sont ainsi intimement liŽes : parce
quÕil est autonome, capable de suivre les lois de sa propre raison, lÕindividu devient un
objet de respect et sÕaffirme ainsi comme une personne libre et digne. Par-lˆ, il sÕagit de
reconnaitre que la dignitŽ de lÕhomme se fonde sur la capacitŽ que la personne a de
trouver dans sa propre volontŽ les lois qui vont rŽgir sa vie. Il ne faut pas comprendre la
libertŽ kantienne comme simple arbitre, capacitŽ que lÕhomme a de faire ce quÕil veut,
de choisir, mais bien plus comme un arbitre libre qui lui permet de devenir autonome en
reconnaissant une valeur morale absolue ˆ la raison qui est la facultŽ de lÕuniversel
conue par Rousseau : lÕhomme devient alors son propre lŽgislateur ˆ partir dÕune
raison normative universelle. La libertŽ nÕest donc pas soumise ˆ des lois qui lui seraient
imposŽes par une force extŽrieure ni par les caprices dÕun sujet rŽgi par ses dŽsirs et
exprimant ainsi une volontŽ hŽtŽronome (une volontŽ autre que celle qui obŽit ˆ la loi
morale de la raison).
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Ainsi, pour mieux cerner la notion de dignitŽ, il faut reconna”tre deux
caractŽristiques. Premirement, la dignitŽ est une dŽfinition constitutive de lÕhomme et
de toutes ses parties (gnes, gamtes, cellules, organes, le corps), ˆ travers toutes les
Žtapes (de lÕembryon ˆ lÕindividu Age) et de tous les Žtats (le cadavre, la mort cŽrŽbrale,
la dŽmence). Du coup, la dignitŽ est une caractŽristique de lÕhomme mais aussi de son
appartenance ˆ une communautŽ : lÕhumanitŽ. Deuximement, il sÕagit dÕune notion qui
peut sÕappliquer ˆ la manire dÕassumer certains processus comme la conception, la vie
et la mort. Cette notion pourrait sÕappliquer alors au processus physiologique de la
nutrition. La nutrition implique la formation et transformation de la Ç chair È de
lÕhomme. La chair de lÕhomme qui appartient ˆ son humanitŽ1, ˆ cet Ç irrŽductible
humain È, est au centre de la notion de dignitŽ. Cela implique alors des droits mais
Žgalement des devoirs. Ainsi, dans ces cas-lˆ, comment nourrir lÕhomme malade et
participer au maintien de la dignitŽ humaine ? Les soins nutritionnels sont un processus
que nous avons dŽfini dans le cas n¡ 2, et qui doivent tre considŽrŽs comme un
vŽritable Ç soin È. Cela implique une pratique Ç tendant ˆ soulager un tre vivant de ses
besoins matŽriels ou de ses souffrances vitales, et cela par Žgard pour cet tre mme È.
Cela signifie donc bien que lÕhomme est considŽrŽ ici comme une fin en soi-mme. Les
soins nutritionnels mettent en jeu aussi une relation qui se fonde sur la particularitŽ du
sujet dŽnutri ou qui risque de le devenir, ce qui engage le soignant ˆ faire face ˆ sa
vulnŽrabilitŽ, au besoin quÕa cette personne dÕun autre pour se nourrir. Les besoins
concernent aussi des nutriments qui doivent rŽpondre ˆ la fonction physiologique et
globale quÕimplique la nutrition. Cette globalitŽ biologique nŽcessaire dans les soins
nutritionnels est complŽmentaire de la dimension intentionnelle et relationnelle qui est
globale et intŽgrative. Cela signifie que les soins nutritionnels doivent considŽrer non
seulement le caractre biologique, mais aussi lÕintŽgritŽ du patient dans ses dimensions
psychologique, physique et sociale. Ainsi, prŽserver la dignitŽ de la personne implique
le respect de son intŽgritŽ, ce qui se manifeste Žgalement dans lÕalimentation. Il est
nŽcessaire de reconnaitre la vulnŽrabilitŽ des patients dŽments qui trouvent des
difficultŽs pour sÕalimenter oralement et qui ont une capacitŽ dÕautodŽtermination
limitŽe, pour que leur intŽgritŽ ou la Ç cohŽrence de leur vie È soit respectŽe.
Dans le cas de Monsieur DS, lorsquÕil est alimentŽ artificiellement, son intŽgritŽ est
nŽgligŽe, dans la mesure o il nÕexiste pas de place pour la convivialitŽ, le plaisir et les
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
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C. Pelluchon, LÕautonomie brisŽe. BioŽthique et philosophie, op.cit., p. 145.
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aspects symboliques et affectifs de lÕalimentation. Son corps est atteint physiquement
par une sonde qui trs probablement le gne. Cependant, la notion dÕintŽgritŽ peut se
rapprocher ˆ la notion dÕautonomie. En effet, lorsque la personne est capable de
sÕautodŽterminer, le respect de son intŽgritŽ peut tre confondu avec celui de son
autonomie. Cependant, le principe dÕintŽgritŽ nous indique quÕil nÕest gure lŽgitime
dÕatteindre physiquement et moralement une personne dŽmente et, de la mme manire,
elle nous indique que nous devons faire en sorte de respecter tout ce quÕil est possible de
savoir concernant ses convictions et valeurs. En outre, il faut dŽplacer la notion
kantienne de dignitŽ et celle de lՎthique de lÕautonomie qui Ç subordonne la dignitŽ ˆ
la possession de la raison, ˆ la ma”trise de soi, et ˆ la compŽtitivitŽ et colporte des
reprŽsentations nŽgatives de la vieillesse et du handicap1È, pour comprendre
lÕautonomie au-delˆ de la capacitŽ ˆ sÕautodŽterminer et ˆ la penser comme la double
capacitŽ ˆ avoir des valeurs et des dŽsirs, et ˆ les traduire dans les actes
Ç ˆ tre un cÏur palpitant, mme quand on est dŽpendant des autres, quÕon nÕa plus de force et
quÕon ne pourrait pas tout seul trouver le chemin pour rŽaliser ses dŽsirs, profiter du rayon de
soleil ou du vent, ouvrir la porte de sa chambre2.È
Il sÕagit, dans le cas du Monsieur DS., de comprendre que, malgrŽ lÕavancŽe de sa
maladie et la diminution de ses capacitŽs cognitives, il pourrait Žprouver des souhaits et
manifester certaines valeurs susceptibles dÕindiquer au soignant comment lÕalimenter.
LÕalimentation, mme artificielle, doit pouvoir se conjuguer avec un moment de plaisir
et de partage conforme aux dŽsirs du patient. Cela peut se traduire par le respect de
certains horaires o il sÕagira de favoriser la convivialitŽ et les moments de plaisir en
maintenant un minimum dÕalimentation ou dÕhydratation par la bouche.
La notion de dignitŽ indissociable des notions dÕautonomie, dÕintŽgritŽ et de
vulnŽrabilitŽ permet de justifier la responsabilitŽ des mŽdecins devant lÕacte de nourrir
lÕhomme malade. Cela ne passe pas forcŽment, dans le cas de patients dŽments, par une
nutrition artificielle, mais par une nutrition orale intŽgrŽe aux soins des patients. La
dignitŽ oblige ˆ un respect, ce qui est source de droits et de devoirs. Il sÕagit du droit au
respect de sa dignitŽ et du devoir de respecter sa dignitŽ et celle des autres. Nous venons
dÕinterroger la faon dont la nutrition artificielle, dans le cadre dÕun soin intŽgral de la
personne atteinte de dŽmence, participe ˆ la prŽservation de la dignitŽ. Ce maintien de la
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
2
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C. Pelluchon, LÕautonomie brisŽe. BioŽthique et philosophie, op.cit., p. 192.
Ibid.
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dignitŽ humaine passe Žgalement par un droit fondamental : celui de lÕalimentation et de
la nutrition.
Les concepts relatifs aux droits de lÕhomme, selon E. Hisrch
Ç caractŽrisent et Žclairent les enjeux dÕune exigence Žthique dans les domaines du soin et de la
recherche1. È
Dans le cadre des soins, (ainsi que dÕune manire gŽnŽrale) le respect de ces droits et
de la dignitŽ ne sont pas des valeurs abstraites, mais prennent une dimension pratique
Ç qui dŽfinissent un ordre social et nous situent les uns ˆ lՎgard des autres en charge dÕobligations
rŽciproques 2.È.
Le droit ˆ la santŽ est un des droits fondamentaux de chaque personne ce qui signifie
que toute personne a droit au plus haut niveau de santŽ possible. Il intgre ainsi les
concepts de santŽ ˆ ceux de droits de lÕhomme. Il sÕagit par lˆ dÕaffirmer le Ç droit ˆ È et
Ç de la vie È. Dans la pratique mŽdicale, le respect des droits de lÕhomme constitue des
impŽratifs catŽgoriques et des interdits indiscutables. Dans notre Žtude, il sÕavre
essentiel de savoir comment ces droits peuvent influencer les dŽcisions dans la pratique
de la nutrition clinique.
2.3.4 Le droit ˆ lÕalimentation et le droit Ç ˆ tre nourri È
Le droit ˆ lÕalimentation se dŽfinit comme :
Ç Un droit de lÕhomme reconnu en droit international qui protge le droit de tous les tres humains de
se nourrir dans la dignitŽ, soit en produisant leurs aliments soit en les achetant3.È
Ce droit possde deux composantes en droit international, le droit ˆ une alimentation
adŽquate et le droit fondamental dՐtre ˆ lÕabri de la faim. Il est compris par J. Ziegler
comme :
Ç Le droit dÕavoir un accs rŽgulier, permanent et libre, soit directement, soit au moyen dÕachats
monŽtaires, ˆ une nourriture quantitativement et qualitativement adŽquate et suffisante,
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
E. Hirsch, J.M Mann, Ç Droits de lÕhomme et respect de la personne È dans E. Hirsch, TraitŽ de
BioŽthique, Tome I, Fondements, principes repres, Toulouse, Eres, 2010, p. 249.
2
Ibid., p. 252.
3
O. De Schutter, Rapport du Rapporteur spŽcial sur le doit ˆ lÕalimentation, Additif Mission ˆ
lÕOrganisation des Nations Unies pour lÕalimentation et lÕagriculture*A/HRC/22/50/Add.3
!
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correspondant aux traditions culturelles du peuple dont est issu le consommateur, et qui assure une
vie psychique et physique, individuelle et collective, libre dÕangoisse, satisfaisante et digne1.È
Nous constatons, comme dans toute approche fondŽe sur les droits de lÕhomme, que
la notion de dignitŽ humaine est centrale. Elle est le principe fondamental qui vise ˆ
donner du sens ˆ lÕensemble de normes applicables dans plusieurs domaines y compris
dans la bioŽthique2.
Le rapporteur de lÕONU, O. de Schutter utilise lÕexpression : Ç se nourrir dans la
dignitŽ È. Qu'est-ce que cela signifie ? DÕaprs les diffŽrents textes citŽs prŽcŽdemment,
il sÕagit du droit ˆ une nourriture suffisante3 et correspondant aux besoins des personnes
ˆ ne pas souffrir de la faim. La faim ou la sous-alimentation est alors une atteinte ˆ la
dignitŽ humaine. Ainsi, le droit ˆ une nourriture suffisante est insŽparable du respect de
la dignitŽ et serait indispensable ˆ la rŽalisation des autres droits fondamentaux comme
le droit ˆ la santŽ. Le droit ˆ lÕalimentation se conoit alors pour les organismes
internationaux gouvernementaux4 et non gouvernementaux5 comme un instrument
fondamental dans la lutte contre la faim et la malnutrition.
En effet, le droit ˆ lÕalimentation est rapportŽ dans divers textes internationaux. La
dŽclaration de lÕAssemblŽe gŽnŽrale des Nations Unies de 1948 proclame dans lÕarticle
25 que :
ÇToute personne a droit ˆ un niveau de vie suffisant pour assurer sa santŽ, son bien-tre et ceux de
sa famille, notamment pour lÕalimentation, lÕhabillement, le logement, les soins mŽdicaux ainsi
que pour les services sociaux nŽcessaires ; elle a droit ˆ la sŽcuritŽ en cas de ch™mage, de maladie,
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Le droit ˆ lÕalimentation. Rapport prŽsentŽ par M. Jean Ziegler, Rapporteur spŽcial sur le droit ˆ
lÕalimentation (7 fŽvrier 2001), Doc. O.N.U. E/CN.4/2001/53. Ces deux dŽfinitions sont largement
inspirŽes des travaux dÕA. Sen et de la dŽfinition de la sŽcuritŽ alimentaire donnŽe par les ƒtats dans le
Plan dÕaction du SMA de 1996.
2
R. Andorno, Ç Chapitre 3. DignitŽ humaine, droits de l'homme et bioŽthique : quel rapport
? È, Journal International de BioŽthique, 2010, vol. 21, p. 51-59.
3
DŽfinition du droit ˆ une nourriture suffisante du ComitŽ des droits Žconomiques, sociaux et culturels
(ONU) : Ç Le droit ˆ une nourriture suffisante est rŽalisŽ lorsque chaque homme, chaque femme et chaque
enfant, seul ou en communautŽ avec dÕautres, a physiquement et Žconomiquement accs ˆ tout moment ˆ
une nourriture suffisante ou aux moyens de se la procurer.
4
La FAO depuis sa crŽation an 1945 a fait de la luttent contre la faim un de ses principaux objectifs.
5
Il existe nombreuses ONG qui font de la lutte contre la faim leur principal combat, comme Action
Contre la Faim.
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dÕinvaliditŽ, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance
par suite de circonstances indŽpendantes de sa volontŽ1.È
Le Pacte international relatif aux droits Žconomiques, sociaux et culturels de lÕONU
en 1966, Žtabli, dans lÕarticle 11, que :
Ç Les ƒtats parties au prŽsent Pacte reconnaissent le droit de tout personne ˆ un niveau de vie
suffisant pour elle-mme et sa famille, y compris une nourriture, un vtement et un logement
suffisants, ainsi quÕa une amŽlioration constante de ses conditions dÕexistence É Les ƒtats parties
au prŽsent Pacte, reconnaissant le droit fondamental quՈ toute personne dՐtre ˆ lÕabri de la faim,
adopteront, individuellement et au moyen de la coopŽration internationale, les mesures
nŽcessaires, y compris des programmes concrets2.È
MalgrŽ ces dŽclarations, la lutte contre la faim au XXme sicle est un Žchec. Au
niveau global, la pauvretŽ et le sous-dŽveloppement conduisent ˆ la sous-alimentation
de la population. De plus, on sait que la famine reste aujourdÕhui un problme
gŽopolitique qui atteint des populations trs vulnŽrables et qui est liŽ ˆ une mauvaise
distribution et non ˆ une insuffisance globale de production alimentaire3. Face ˆ cette
Žchec, les politiques de la FAO (lÕOrganisation des Nations Unies pour lÕAlimentation
et lÕAgriculture) sont passŽes dÕune approche fondŽe sur la sŽcuritŽ alimentaire4
(augmentation de la production agricole et garantie de la disponibilitŽ des denrŽes
alimentaires) ˆ une approche fondŽe sur le droit ˆ lÕalimentation. Il sÕagit alors de
protŽger le droit ˆ subvenir ˆ ses propres besoins alimentaires, soit en produisant, soit en
achetant les produits. Cela tŽmoigne dÕune Žvolution par rapport ˆ lÕancienne
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Article 25, DŽclaration universelle des droits de lÕhomme, 1948.
Article 11, Pacte international relatif aux droits Žconomiques, sociaux et culturels, 1976.
3
J. Ziegler, Le droit ˆ lÕalimentation. Paris : Mille et Une Nuits; 2003.
Jean Ziegler est le premier Rapporteur spŽcial des Nations Unies sur le droit ˆ lÕalimentation qui a ŽtŽ
suivi par Olivier de Schutter. Le travail du rapporteur consiste ˆ prŽsenter des propositions,
recommandations et des rapports, aide ˆ la rŽalisation du droit ˆ lÕalimentation, et participe ˆ diffŽrents
Žvnements pour en promouvoir le dŽveloppement.
4
La dŽfinition de la sŽcuritŽ alimentaire a ŽvoluŽ dans le temps. Initialement, ce terme Žvoque la prioritŽ
des Žconomistes agricoles et recouvrait la nŽcessitŽ dÕÇ approvisionner le monde en produits de base, de
soutenir une croissance de la consommation alimentaire, tout en ma”trisant les fluctuations et les prix È.
AujourdÕhui, la dŽfinition est orientŽe vers Ç la qualitŽ et lÕhumain È, et dŽcrit Ç une situation caractŽrisŽe
par le fait que toute la population a en tout temps un accs matŽriel et socio-Žconomique garanti ˆ des
aliments sans danger et nutritifs en quantitŽ suffisante pour couvrir ses besoins physiologiques, rŽpondant
ˆ ses prŽfŽrences alimentaires, lui permettant de mener une vie active et dՐtre en bonne santŽ. È. Il ne
faut pas confondre ce terme avec celui de sŽcuritŽ des aliments. https://www.mondediplomatique.fr/2007/10/DIOUF/15247.F. Del Corso D. Paturel, Droit Ôa lÕalimentation,
www1.montpellier.inra.fr/.../Droit_a_lalimentation/Le_droit_ˆ_lalimentation.
2
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conception du droit ˆ Ç tre nourri È. LÕancien directeur gŽnŽral de la FAO, Jacques
Diouf, explique en 2007 :
Ç CÕest un changement d'optique radical qui est nŽcessaire : le citoyen n'est plus un destinataire
impuissant, objet de charitŽ, mais une personne ayant le droit de bŽnŽficier d'un environnement qui
lui permette de se nourrir et, ˆ dŽfaut, de recevoir de l'assistance en toute dignitŽ. È1
Le droit ˆ lÕalimentation nÕest plus conu comme un acte de charitŽ, mais comme un
droit lŽgal ˆ faire respecter. Ainsi, la place de ce droit a ŽtŽ consacrŽe lors du Sommet
mondial de lÕalimentation de 1996 dans la DŽclaration de Rome et le Plan dÕaction du
Sommet mondial de lÕalimentation. Les Chefs dՃtat et de gouvernement ont rŽaffirmŽ
dans cette DŽclaration :
Ç Le droit de chaque tre humain dÕavoir accs ˆ une nourriture saine et nutritive conformŽment
au droit ˆ une nourriture adŽquate et au droit fondamental de chacun dՐtre ˆ lÕabri de la faim.
Nous proclamons notre volontŽ politique et notre engagement commun et national de parvenir ˆ la
sŽcuritŽ alimentaire pour tous et de dŽployer un effort constant afin d'Žradiquer la faim dans tous
les pays et, dans l'immŽdiat, de rŽduire de moitiŽ le nombre des personnes sous-alimentŽes d'ici ˆ
2015 au plus tard2.È
Le droit ˆ lÕalimentation exige par ailleurs que :
Ç Nous identifiions les personnes souffrant de faim et de malnutrition par le biais dÕune
cartographie adŽquate de lÕinsŽcuritŽ alimentaire et de la vulnŽrabilitŽ, et que nous Žlaborions
ensuite des politiques qui lvent les obstacles ˆ sa jouissance par tout un chacun3. È
Au dŽpart de ce Sommet, un long travail a abouti ˆ la rŽalisation en 2006 des
Directives sur Le Droit ˆ lÕAlimentation de la FAO4. CÕest le texte de rŽfŽrence
aujourdÕhui. Ces directives ont pour but de soutenir la concrŽtisation progressive du
droit ˆ une alimentation adŽquate dans le contexte de la sŽcuritŽ alimentaire nationale. Il
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid., p.6.
Sommet
mondial
de
lÕalimentation,
ConsultŽ
le
19
fŽvrier
2016.
http://www.fao.org/docrep/x2051f/x2051f00.HTM
3
Ibid.
4
Rappelons que le droit ˆ lÕalimentation est un des droits Žconomiques, sociaux et culturels, et donc, que
les Etats doivent progressivement permettre leur rŽalisation, cÕest-ˆ-dire mettre en place des mesures
positives, qui, ˆ long terme, vont faire Žvoluer le respect de ces droits. La situation est diffŽrente pour les
droits civils et politiques, lesquels les Etats doivent garantir gr‰ce ˆ un ComitŽ des droits de lÕHomme qui
permet dÕassurer un contr™le. Depuis 2008 le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits Žconomiques, sociaux et culturels permet reconna”t pour la premire fois la justiciabilitŽ
des droits Žconomiques, sociaux et culturels.
2
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sÕagit pour la premire fois des indications sur la mise en Ïuvre de ce droit ˆ
lÕalimentation.
Le tableau 4 montre les textes qui se rapportent au droit ˆ lÕalimentation en France
dÕune manire implicite et explicite. Ces droits sont prŽsentŽs par P. Creen selon la
hiŽrarchie des normes juridiques, dŽrivŽe de la pyramide de Kelsen. Au sommet des
textes se trouve la Constitution, garant principal des droits. Ici, la dignitŽ de la personne
humaine est un principe ˆ valeur constitutionnelle mais, la France ne dispose pas de
lÕinscription du droit ˆ lÕalimentation dans sa Constitution ni dÕun droit plus large
comprenant celui de lÕalimentation ou encore dÕun droit ˆ lÕalimentation spŽcifique ˆ un
groupe en particulier (par exemple, les enfants)1 . En consŽquence, la France est classŽe
comme ayant un degrŽ moyen de constitutionalitŽ du droit dans lՎchelle de la FAO2.
Cela signifie que lÕunique protection du droit ˆ lÕalimentation est lÕapplication directe
du Pacte au titre de la Constitution.
Depuis 1994, avec la premire loi de bioŽthique en France, la rŽflexion Žthique est
conduite dans le respect des droits de lÕhomme. Ainsi, le respect du droit ˆ
lÕalimentation sÕinscrit dans le respect de principes Žtablis dans ces textes.
Mais que signifie le principe selon lequel le droit ˆ lÕalimentation se prŽsente comme
un droit de lÕhomme ? Cela implique que les ƒtats ont certains devoirs, dont
Ç lÕexŽcution effective peut tre lŽgitimement exigŽe par les particuliers. È Les ƒtats
sont ainsi tenus Ç de respecter et de protŽger le droit ˆ lÕalimentation et de lui donner
effet È.3 Aussi Žtonnant que cela puisse para”tre, ˆ lÕh™pital qui est le lieu privilŽgiŽ des
soins, ce droit nÕest pas respectŽ. En effet, nous avons montrŽ avec le cas n¡ 1 que le fait
dÕavoir faim ˆ lÕh™pital est presque normal et la dŽnutrition est toujours une maladie
frŽquente avec une prŽvalence entre 30 et 50% de malades hospitalisŽs. Dans les annŽes
2000, le Conseil de l'Europe a adoptŽ la RŽsolution Resapa 2003 sur Ç lÕalimentation et
les soins nutritionnels dans les h™pitaux È signŽe par dix-huit pays dont la France. Il
considre que Ç lÕaccs ˆ une alimentation variŽe, saine et sans risque est un droit
fondamental de l'tre humain È et rappelle les effets bŽnŽfiques Ç d'un service de
restauration et de soins nutritionnels adŽquats en milieu hospitalier pour le
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid., p. 11
Cette Žchelle permet une comparaison de la protection constitutionnelle du droit ˆ lÕalimentation dans le
monde. LÕobjectif de cette comparaison est de faire Žtat de la situation actuelle du droit ˆ lÕalimentation.
Dans les directives volontaires ˆ lÕappui de la concrŽtisation progressive du droit ˆ une alimentation
adŽquate dans le contexte de la sŽcuritŽ alimentaire nationale. FAO. Rome, 2005.
3
Le droit ˆ lÕalimentation, organisation des nations unies pour lÕalimentation et lÕagriculture
Rome, 2006.
2
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rŽtablissement des patients et leur qualitŽ de vie È. Il recommande aux Etats signataires
de mettre en Ïuvre des recommandations nationales sur l'alimentation et les soins
nutritionnels dans les h™pitaux. Ainsi, au nom du droit ˆ lÕalimentation, la rŽsolution
prŽconise le dŽpistage et le traitement de la dŽnutrition ˆ lÕh™pital avec des soins
nutritionnels adaptŽs aux malades.
Tableau 4. Le droit ˆ lÕalimentation en France
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Dans ce contexte, la France a mis en place des stratŽgies pour amŽliorer les soins
nutritionnels. En 2002 en France, sont crŽŽes des structures transversales chargŽes de
coordonner et dÕorganiser les soins nutritionnels (CLAN). Cependant, plus dÕune
dŽcennie aprs, les soins nutritionnels ˆ lÕh™pital en France (mais aussi ˆ lՎtranger)
restent partiels et la problŽmatique nutritionnelle reste encore loin dՐtre rŽsolue.
Nous considŽrons que la cause est tout dÕabord ŽpistŽmologique. La mŽdecine ne
sÕest appropriŽe la nutrition que depuis quelques dŽcennies, et cela lorsque la notion de
nutriment artificiel est devenu un outil essentiel pour combattre la maladie.
LÕenseignement de la nutrition nÕest que trs partiel dans les cursus de mŽdecine et il est
trs limitŽ ˆ lÕh™pital. Or, avec le dŽveloppement de la conception de nutriment artificiel
et celui des sociŽtŽs savantes sur la nutrition clinique, cette discipline en tant que
discipline autonome a commencŽ petit ˆ petit ˆ mieux se positionner1. Du coup, le droit
ˆ lÕalimentation ne serait pas respectŽ car Ç mal (re) connu È2. A cette explication,
sÕajoute une deuxime explication qui est dÕordre Žthique : les soins nutritionnels ne
sont que rarement considŽrŽs comme des soins proprement dit. Cela implique que,
lorsque le mŽdecin prescrit une nutrition artificielle, il prescrit un mŽdicament par un
geste technique qui est dŽmuni de toute symbolique ayant pour but dÕaider ˆ la guŽrison.
Le Ç cure È prend la place de Ç care È. Le droit ˆ la santŽ serait invoquŽ mais le droit ˆ
lÕalimentation serait nŽgligŽ. Par consŽquent, lÕattention du patient dans son intŽgritŽ,
nÕest que partielle. Sa dignitŽ est alors atteinte.
Enfin, est-ce que lÕabsence des soins nutritionnels ˆ lÕh™pital peut sÕexpliquer par une
mauvaise conception du droit ˆ lÕalimentation ? Autrement dit, est-ce que les soignants
sont les garants du droit ˆ Çse nourrir È ou du droit Ç ˆ tre nourris È des patients ?
Rappelons la distinction qui est opŽrŽe sur le plan politique. Le bŽnŽficiaire du droit ˆ
lÕalimentation nÕest plus un individu passif et impuissant considŽrŽ comme un objet de
charitŽ et qui doit Ç tre nourri È, mais la personne avec un r™le plus actif ˆ qui lÕEtat
doit assurer un environnement favorable pour lui permettre de Ç se nourrir È et, ˆ dŽfaut,
de recevoir de l'assistance en toute dignitŽ. Dans le contexte de soins, il est nŽcessaire
de mettre lÕaccent sur cette diffŽrence. Le droit ˆ lÕalimentation se conoit alors comme
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
D. Cardenas, Ç What is Clinical Nutrition? Understanding the epistemological foundations of a new
discipline È, Clinical Nutrition ESPEN, 2015, vol. 11, p. e63-e66.
2
P. Crenn, Ç Le droit ˆ la nutrition : un droit de lÕhomme ˆ promouvoir et ˆ dŽfendre È, Nutrition
Clinique et MŽtabolique, 2009, op.cit., p : 172-181.
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le droit ˆ recevoir un support nutritionnel adaptŽ et il doit tre garanti par lÕEtat et les
soignants.
DÕune part, lÕEtat et les dŽcideurs politiques doivent veiller ˆ lÕaccs et ˆ la
disponibilitŽ de lÕalimentation ˆ lÕh™pital. Cela implique, premirement, lÕobtention de
lÕalimentation et de produits de la part des institutions soignantes ou des patients ˆ partir
de la production industrielle des produits (SNO, NE, NP). Par exemple, dans le cas de
Monsieur DS, lÕEtat doit sÕassurer qu«il puisse recevoir, lorsquÕil est hospitalisŽ ˆ
domicile ou en institution de long sŽjour, les poches de nutrition entŽrale1. Cette
accessibilitŽ ˆ la nutrition doit tre ˆ la fois Žconomique et physique. Un accs
Žconomique, car les produits doivent tre vendus ˆ un cožt raisonnable. Les prix des
produits de nutrition artificielle ont un cožt trs ŽlevŽ, ce qui met considŽrablement en
danger le respect de ce droit. Un accs physique, qui doit permettre ˆ tous, y compris
aux malades ˆ lÕh™pital, de sÕapprovisionner en nourriture. Cela ne revient pas, comme
dans le contexte politique, au dŽveloppement dÕun rŽseau de transport, par exemple,
mais il sÕagit de donner les moyens aux institutions de soins, (lÕhospitalisation ˆ
domicile, mais aussi les Žtablissements d'hŽbergement pour personnes ‰gŽes
dŽpendantes, les centres de soins de suite et rŽadaptation, etc.) pour quÕils puissent se
constituer comme un rŽseau apte ˆ assurer des soins nutritionnels. Enfin, lÕalimentation
doit tre adŽquate, en fonction du type de patient, de son Žtat de santŽ, de son sexe, de
ses besoins mŽtaboliques, mais aussi en respectant ses codes culturels (interdits
religieux par exemple). A ces trois caractŽristiques de disponibilitŽ, accessibilitŽ et de
nutrition adŽquate, sÕajoute la notion de durabilitŽ. Il sÕagit, dans le contexte politique,
dÕune durabilitŽ ˆ la fois Žcologique et alimentaire. Dans le contexte des soins, la
durabilitŽ serait pharmacologique et alimentaire. De la mme manire que dans le
premier contexte, il importe de faire en sorte que les gŽnŽrations futures puissent en
bŽnŽficier. Cela pourrait passer par des politiques et des normes rŽgulatrices appliquŽes
ˆ lÕindustrie pharmaceutique. Cela requiert de poser la question de la production et de
sÕinterroger sur les politiques concernant les produits de la nutrition artificielle.
DÕautre part, le droit au support nutritionnel doit guider lÕaction des soignants. Il est
question de dŽfendre le droit ˆ Ç tre nourri È de toute personne malade. Plus
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Les aliments diŽtŽtiques destinŽs ˆ des fins mŽdicales spŽciales (produits de nutrition entŽrale) et la
nutrition parentŽrale sont inscrits sur la liste de produits et prestations remboursables (LPPR). Le
remboursement concerne Žgalement les prestations de service associŽes ˆ lÕutilisation de produits de santŽ
ˆ domicile comme, par exemple, les pompes dÕadministration de la nutrition.
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prŽcisŽment, le droit ˆ recevoir les besoins nutritionnels dans un contexte qui prenne en
charge lՎmotionnel, le symbolique et la dimension sociale de lÕalimentation. Il faut
souligner quÕil ne sÕagit pas de le considŽrer comme un acte de charitŽ, ce qui Žtait le
cas lorsquÕon nourrissait les malades ˆ lÕh™pital au Moyen Age1. Au contraire, bien plus
un soin qui sÕintgre dans les soins gŽnŽraux des malades ˆ lÕh™pital qui sont
doublement vulnŽrables car ils connaitront la faim et la dŽnutrition.
Ainsi, le mŽdecin doit faire respecter le droit au support nutritionnel. Cela se traduit,
au niveau du jugement prudentiel par le fait de proposer un soin alimentaire adaptŽ au
patient en tenant compte des bŽnŽfices possibles (respect du principe de bienfaisance) et
des risques potentiels. Il doit aussi pouvoir arrter tout soin artificiel (respect du
principe de non-malfaisance) et proposer lÕalimentation orale lorsquÕelle est possible et
pertinente. La pratique ne doit pas tre dŽraisonnable et elle doit prendre en
considŽration les souhaits du patient et de la famille. Parmi les bŽnŽfices, il faut non
seulement envisager les bŽnŽfices cliniques, mais aussi les bŽnŽfices sur la qualitŽ de
vie et les liens affectifs et sociaux. Cela doit se traduire non seulement par des
connaissances techniques telles que le pronostic de la maladie et le calcul des besoins de
certains nutriments, mais aussi par le recueil de lÕhistoire personnelle et familiale du
patient, par lÕattention ˆ ses souhaits, ses attentes et son projet de vie. Cela engage donc
ˆ considŽrer non seulement les bŽnŽfices et risques cliniques et nutritionnels de la
nutrition, mais Žgalement sa valeur symbolique, sociale, familiale et culturelle. Il sÕagit
donc pour le mŽdecin dÕapprŽhender un sens plus large de la nutrition et de considŽrer
le patient non comme un simple corps, mais comme une personne prise dans sa
globalitŽ. Autrement dit, il sÕagit de concevoir une place pour la nutrition dans la
prŽservation de la dignitŽ humaine lorsquÕon soigne un patient atteint de dŽmence.
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1
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Voir premire partie de la thse.
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2.4 Cas n¡. 4 : Enjeux Žthiques de la chirurgie bariatrique
CAS No 4. 1
Le cas de Madame CO, ObŽsitŽ et chirurgie bariatrique.
Madame CO ‰gŽe de 28 ans consulte pour une prise en charge chirurgicale de
l'obŽsitŽ. Sa taille est de 182 cm et son poids est de 185 kg, soit un IMC ˆ 55,9
kg / m2. Elle a toujours ŽtŽ en surpoids, aussi longtemps qu'elle se souvienne,
et le poids n'a cessŽ d'augmenter jusqu'ˆ prŽsent. Il nÕy a pas chez elle de
comorbiditŽs liŽes ˆ l'obŽsitŽ, ˆ l'exception dÕune douleur de sa hanche gauche
depuis deux ans, et depuis six mois, de sa hanche droite.
Aprs une prise en charge par lՎquipe multidisciplinaire dÕobŽsitŽ, la patiente
a ŽtŽ opŽrŽe dÕun by-pass gastro-jŽjunal (BPGJ) par laparoscopie. L'opŽration
ainsi que le post-opŽratoire immŽdiate ont ŽtŽ simples. Elle quitte lÕh™pital le
deuxime jour post-opŽratoire.
A deux ans de suivi, la patiente a perdu 75 % de l'excs de poids et est trs
satisfaite de cette Žvolution. Cependant, elle se plaint de fatigue et paresthŽsies
dans les mains et les pieds. Elle dort plus de dix heures par jour et n'a pas ŽtŽ
en mesure de travailler plus de 50 % du temps au cours du dernier mois. Les
analyses biologiques montrent une anŽmie macrocytaire. Le statut en fer ainsi
que des tests de la fonction hŽpatique sont normaux.
Des tests supplŽmentaires rŽvlent des concentrations sŽriques trs faibles de
cobalamine (vitamine B12). Le taux de folates est normal.
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1
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Module 26.2, Nutritional Effects of Cancer Therapy and Potential Modulation of Tumour Growth.
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2.4.1 Le problme Žthique
LÕobŽsitŽ a atteint selon lÕOMS, les proportions dÕune ŽpidŽmie mondiale. En effet
en 2014, 2,8 millions de personnes dŽcdent chaque annŽe du fait de leur surpoids ou de
leur obŽsitŽ1. En France le surpoids2 et lÕobŽsitŽ3 touchent respectivement 32 % et 15 %
des personnes de plus de 18 ans. Le traitement aujourdÕhui de rŽfŽrence est la prise en
charge mŽdico-diŽtŽtique avec des modifications des habitudes alimentaires et une
augmentation de lÕactivitŽ physique. En raison de diverses adaptations biologiques
constatŽes chez les patients obses, ce traitement nÕest que partiellement efficace4. A
cela, il faut ajouter le fait que les stratŽgies pharmacologiques5 proposŽes aujourdÕhui
Žchouent. La pratique de la chirurgie bariatrique appara”t de plus en plus comme le
traitement de choix en France et dans le monde. Les diverses techniques de chirurgie
bariatrique ont ŽvoluŽ et cherchent ˆ minimiser les risques, les complications et les
Žchecs ˆ court et ˆ long terme. Cependant, ces derniers restent aujourdÕhui dÕune
ampleur considŽrable. Le cas de Madame CO nous permet dÕidentifier deux problmes.
En premier lieu, nous allons questionner la place de la diŽtŽtique dans le cadre de la
prise en charge dÕune maladie chronique telle que lÕobŽsitŽ. Les enjeux Žthiques liŽs aux
intŽrts commerciaux de ces pratiques mŽritent dՐtre examinŽs. Deuximement nous
soulignons les enjeux Žthiques des techniques de chirurgie bariatrique.
2.4.2 Enjeux Žthiques des rŽgimes diŽtŽtiques
LÕobŽsitŽ constitue en France un problme de santŽ publique majeur. Une des
consŽquences de cette problŽmatique est la pratique de nombreux rŽgimes amaigrissants
et le recours ˆ de complŽments alimentaires Ç amincissants È, souvent utilisŽs sans
fondement scientifique et sans justification ni suivi mŽdical.
Le rŽgime diŽtŽtique, comme nous lÕavons ŽtudiŽ dans la premire partie, se rŽfre,
du point de vue ŽpistŽmologique, ˆ un Ç genre de vie È ou ˆ Ç lÕusage raisonnŽ et
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
OMS, 10 faits sur lÕobŽsitŽ, http://www.who.int/features/factfiles/obesity/fr/. (consultŽ le 5 juin 2015)
Surpoids = IMC entre 25 et 30kg/m2.
3
ObŽsitŽ= IMC supŽrieur ˆ 30kg/m2.
4
Ch. N. Ochner, AG. Tsai, RF Kushner, T. A. Wadden, ÇTreating obesity seriously: when
recommendations for lifestyle change confront biological adaptationsÈ, The Lancet 2015, vol. 4, p. 232234.
5
LÕorlistat et le seul mŽdicament anti-obŽstiŽ autrisŽ en France. http://www.hassante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2011 09/2011_09_30_obesite_adulte_argumentaire.pdf
2
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mŽthodique des aliments et de toutes les choses essentielles ˆ la vie, tant dans l'Žtat de
santŽ que dans celui de maladie È 1. En effet, dŽjˆ ˆ la fin du XVIIIme sicle, le rŽgime
rŽpondait ˆ un Ç systme raisonnŽ des habitudes alimentaires È encadrŽ par des
prŽoccupations sociales et morales, mais il faisait aussi partie des actions qui ont pour
but de conserver la santŽ (lÕhygine) et des remdes qui cherchent ˆ guŽrir des maladies
comme lÕobŽsitŽ. AujourdÕhui, les rŽgimes diŽtŽtiques ˆ visŽe amaigrissante occupent
une place prŽpondŽrante dans la sociŽtŽ. DÕaprs lÕÇ Etude individuelle Nationale sur
les Consommations Alimentaires 2006-2007 È, prs de 50 % des femmes de corpulence
normale ont suivi un rŽgime amaigrissant pendant lÕenqute ou lÕannŽe prŽcŽdente. En
gŽnŽral, les rŽgimes sont ce par quoi on dŽfinit notre identitŽ individuelle. Ç Dis-moi ce
que tu manges, je te dirai qui tu es2È, proclamait Brillat-Savarin. Les prŽoccupations de
santŽ et de beautŽ guident souvent les choix alimentaires, en particulier les choix des
rŽgimes3. LÕidŽal dÕun corps mince encouragŽ dans les mŽdias ainsi que le souci ou la
peur de tomber malade, nous amnent Žgalement ˆ des modifications de lÕalimentation
qui ne sont pas sans risque pour la santŽ.
Le cas de lÕobŽsitŽ est particulier, non seulement par lÕampleur de cette pathologie,
mais aussi parce quÕelle permet de rŽflŽchir aux enjeux existants lorsquÕune personne
malade Ç est au rŽgime È. Dans le cas de Madame CO, il est fort probable quՈ vingthuit ans elle ait dŽjˆ suivi plusieurs rŽgimes amaigrissants, et cela depuis lÕenfance. Le
fait dՐtre au rŽgime est souvent associŽ aux privations alimentaires particulires. Les
rŽgimes amaigrissants ont pour principe :
Ç dՎtablir un dŽficit ŽnergŽtique (par rapport aux besoins de lÕindividu) par la diminution des
apports alimentaires afin de perdre du poids4. È
On le distingue du rŽgime alimentaire ŽquilibrŽ qui couvre les besoins qualitatifs et
quantitatifs en nutriments dÕun individu et conduit ˆ une balance ŽnergŽtique entre
consommation et dŽpense ŽnergŽtique et donc au maintien de poids. Si ces rŽgimes ont
comme point de dŽpart le r™le avŽrŽ de l'alimentation dans le dŽveloppement de
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
E. LittrŽ, Dictionnaire de Franais, http://littre.reverso.net/dictionnaire-francais/.
B. Savarin, Physiologie du gožt, op.cit., p.215.
3
F. RŽgnier, A. Lhuissier, S. Gojard, Ç Les Žvolutions contemporainesÈ, dans Sociologie de
l'alimentation, Paris, La DŽcouverte, 2009 p. 128.
4
Avis de lÕAgence nationale de sŽcuritŽ sanitaire de lÕalimentation, de lÕenvironnement et du travail
relatif ˆ la demande dՎvaluation des risques liŽs aux pratiques alimentaires dÕamaigrissement, Anses n¡
2009-SA-0099.
2
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certaines pathologies comme lÕobŽsitŽ, mais aussi dans les maladies cardio-vasculaires
(devenues la premire cause de mortalitŽ en France) et les autres pathologies Žgalement
importantes en terme de santŽ publique (comme les caries dentaires, les maladies
digestives, etc.), la plupart des rŽgimes amaigrissants se sont dŽveloppŽs de manire
empirique sans preuve scientifique avŽrŽes et les intŽrts commerciaux sont prŽvalents.
Le tableau 5 montre la liste de 15 rŽgimes amaigrissants identifiŽs et caractŽrisŽs par
lÕAgence nationale de la sŽcuritŽ sanitaire de lÕalimentation, de lÕenvironnement et du
travail (ANSES) qui a permis de dŽterminer leurs impacts sur les apports nutritionnels.
Ils ont ŽtŽ sŽlectionnŽs sur la base de leur popularitŽ (citations frŽquentes sur Internet ou
ouvrages vendus dans le commerce ou par Internet). Ce travail rŽalisŽ en 2009 avait
pour but dՎtablir une Žvaluation des risques liŽs ˆ la pratique de rŽgimes ˆ visŽe
amaigrissante sur la base d'une expertise scientifique collective. Son but nՎtait pas de
rŽaliser Ç un travail de type bŽnŽfice-risque en fonction de la situation propre ˆ chaque
individu, ni dÕindiquer une prise de position sur l'opportunitŽ de suivre un rŽgime, sur
les choix ˆ opŽrer. Les risques ont ŽtŽ ŽvaluŽs dans le cadre des grandes catŽgories de
rŽgimes pour lesquelles des donnŽes scientifiques pertinentes sont disponibles. È1
Par ailleurs, ce travail a permis de mieux identifier les Žventuelles consŽquences
dŽlŽtres des rŽgimes amaigrissants et dÕaider les pouvoirs publics ˆ proposer une
politique de prŽvention dans le cadre du Programme National Nutrition SantŽ.
Tableau 5. Classification des rŽgimes amincissants (DÕaprs Anses Ð Saisine n¡ 2009SA-0099)
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1
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Ibid.
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Cette classification des rŽgimes les caractŽrise du point de vue nutritionnel et met en
Žvidence des dŽsŽquilibres importants. Par exemple, que lÕapport en protŽines est
supŽrieur ˆ lÕapport nutritionnel conseillŽ (ANC) pour la population franaise dans la
majoritŽ de rŽgimes (plus de 80 % des phases de rŽgime). Certains rŽgimes comme les
rŽgimes hyperprotŽiques non hypocaloriques dŽpassent la limite supŽrieure des apports
considŽrŽs comme satisfaisants (2,2 g/kg/j). DÕautres ne couvrent pas le besoin en
nutriments essentiels comme le calcium (23 % des phases de rŽgime). Par exemple, le
rŽgime Atkins 1 classŽ comme hyperprotŽique (Tableau 5) nÕapporte que 294mg de
calcium pour un apport nutritionnel conseillŽs (ANC) de 900mg chez lÕadulte.
Les risques ont ŽtŽ identifiŽs par lÕAnses pour la population gŽnŽrale et pour des
populations spŽcifiques. Les consŽquences des rŽgimes amaigrissants ont ŽtŽ classŽes
comme biologiques, physiopathologiques et psycho-comportementales. En ce qui
concerne les perturbations physiologiques somatiques, ils atteignent le systme osseux
et musculaire, le foie et les reins ainsi que des modifications profondes du mŽtabolisme
ŽnergŽtique et de la rŽgulation physiologique du comportement alimentaire. Par
exemple, la rŽalisation rŽpŽtŽe des rŽgimes amaigrissants a un effet nŽfaste sur
lÕintŽgritŽ du capital osseux. Une perte de poids de 10 %, induit en moyenne une
diminution de un ˆ deux pour cent de la densitŽ minŽrale osseuse, (ostŽopŽnie et risque
de fracture). Les consŽquences de ces rŽgimes trs hypocaloriques peuvent tre nŽfastes
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allant jusquՈ induire une mort subite (en lien avec des troubles du rythme cardiaque).
Sur le plan psychologique, ils induisent des troubles du comportement alimentaire. Ces
perturbations provoquent ce quÕon appelle lÕeffet Ç yo-yo È, dont les pŽriodes de perte et
de reprise de poids Žventuellement plus sŽvre, se succdent. La fluctuation du poids est
considŽrŽe comme un facteur de risque cardiovasculaire et de syndrome mŽtabolique
(rŽsistance ˆ lÕinsuline et diabtes de type 2). En ce qui concerne les populations
spŽcifiques comme les personnes ‰gŽes, le fÏtus, le nourrisson, lÕenfant, lÕadolescent et
le sportif, les consŽquences sont principalement la dŽnutrition, les troubles hormonaux
et les perturbations de la croissance.
La reprise de poids ˆ un an, aprs un rŽgime restrictif, concerne 80 % des sujets et
augmente avec le temps1. La perte de masse maigre (dont la masse musculaire), qui est
une consŽquence des rŽgimes, et lÕabsence dÕadaptation aux modifications de la dŽpense
ŽnergŽtique de repos (principale composante des dŽpenses ŽnergŽtiques) empchent le
maintien dÕun poids stable. Les Žchecs ˆ rŽpŽtition des rŽgimes amaigrissants
provoquent sur le plan psychologique de la dŽpression et compromettent lÕestime de soi.
Face ˆ ces rŽsultats, les experts de lÕAnses concluent que :
Ç La recherche de la perte de poids sans indication mŽdicale formelle comporte des risques dont il
convient dÕinformer les populations concernŽes. Toute dŽmarche de perte de poids nŽcessite une
prise en charge spŽcialisŽe adaptŽe, au mieux dans un cadre interdisciplinaire (mŽdecin traitant,
diŽtŽticien, mŽdecin endocrinologue, mŽdecin nutritionniste, professionnel de lÕactivitŽ physique,
psychologue). Le rapport souligne Žgalement que lՎvolution des habitudes alimentaires doit tre
associŽe ˆ lÕintroduction, au maintien, voire ˆ lÕaugmentation dÕune activitŽ physique rŽgulire2. È
Au total, il a ŽtŽ dŽmontrŽ que la pratique de rŽgimes amaigrissantes nÕest pas un
acte anodin et il comporte, bien au contraire, des risques qui sont nŽfastes pour la santŽ.
De plus, ils ne tiennent pas compte de la complexitŽ de lÕobŽsitŽ qui est une maladie de
caractre multifactorielle3. Or, la pratique de ces rŽgimes est trs rŽpandue et favorisŽe
par de nombreux mŽdecins, diŽtŽticiens et autres professionnels de santŽ. Certains de
ces rŽgimes, en particulier les rŽgimes ˆ base des complŽments alimentaires, sont
mmes prescrits par des personnes sans aucune formation professionnelle.
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1
Ibid.
Ibid.
3
Il sÕagit dÕune maladie de caractre multifactoriel cÕest-ˆ-dire, qui un terrain gŽnŽtique favorable associe
ˆ un environnement obŽsogne (mauvaise alimentation, sŽdentarisme) explique plus de 95 % de lÕobŽsitŽ
(obŽsitŽ polygŽnique ou commune). LÕobŽsitŽ expliquŽe par la mutation dÕun gne est trs rare et
concerne environ 5 % des cas dans le monde. I.S. Farooqi, Ç Obesity: from genes to behavior È, European
Journal of Endocrinology, 2014, vol. 171, p. R191ÐR195.
2
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Cela peut sÕexpliquer par deux raisons. Premirement, cela est dž au fait que la
nutrition clinique nÕest pas reconnue comme une discipline, et mme comme une
spŽcialitŽ mŽdicale, comme nous lÕavons ŽtudiŽ dans la premire partie. Cela conduit ˆ
une mauvaise formation en nutrition des soignants et au manque de mŽdecins
nutritionnistes1. En effet, la population en gŽnŽral cherche les rŽponses aux questions de
nutrition et de santŽ auprs du mŽdecin rŽfŽrent ou de mŽdecin de famille2 or, ces
derniers ne sont pas en capacitŽ de rŽpondre prŽcisŽment ˆ ce problme. Les Žtudes
montrent que malgrŽ le fait quÕils soient conscients de lÕimportance du sujet, ils ne se
sentent pas suffisamment formŽs pour rŽpondre adŽquatement3.
Deuximement, le r™le des mŽdecins et autres soignants, dans la perpŽtuation des
rŽgimes amaigrissants, sÕexplique par le commerce que font certains professionnels de
cette pratique. LÕexemple le plus remarquable en France est le cas du Dr. Dukan, et son
cŽlbre rŽgime amaigrissant hyperprotŽique. Ce mŽdecin nutritionniste a publiŽ plus
d'une vingtaine d'ouvrages sur la "mŽthode Dukan". Cette mŽthode est devenue une
vŽritable marque commerciale, avec une cinquantaine de produits vendus dans les
supermarchŽs et les pharmacies, et un site internet du coaching personnalisŽ qui
comptait jusquՈ plus de 30 000 abonnŽs. Il a ŽtŽ condamnŽ en 2012, par le Conseil de
lÕordre des mŽdecins, pour avoir Ç fait la promotion de son rŽgime ˆ des fins
commerciales È et pour avoir Ç proposŽ d'instaurer une option au baccalaurŽat È
destinŽe ˆ lutter contre l'obŽsitŽ. En effet, il proposait de mettre en place une option.
Ç poids d'Žquilibre au baccalaurŽat rapportant des points d'option pour ceux qui arrivent ˆ garder un
indice de masse corporelle compris entre 18 et 25 entre la seconde et la terminale et serait un bon
moyen de sensibiliser les ados ˆ l'Žquilibre alimentaire4. È
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1
Nous aborderons la problŽmatique de lՎducation en nutrition dans la troisime partie de la thse.
R. Kushner, Ç Barriers to providing nutrition counseling by physicians: a survey of primary care
practitionersÈ, Prev Med 1995, vol. 24, p. 546Ð552.
3
D. Galuska, J. Will, M. Serdula, E. Ford, Ç Are health care professionals advising obese patients to lose
weight? È, JAMA 1999, vol. 282, p. 1576Ð8. R. Kushner, Ç Barriers to providing nutrition counseling by
physicians: a survey of primary care practitionersÈ, op.cit., p. 546Ð52. BS. Levine, MM. Wigren, DS
Chapman, Ç A National survey of attitudes and practices of primary-care physicians relating to nutrition:
strategies for enhancing the use of clinical nutrition in medical practiceÈ, Am J Clin Nutr, 1993, vol. 57,
p. 115-119. Soltesz KS, Price JH, Johnson LW, Ç Family physician`s views of the preventive service task
force recommendations regarding nutritional counselingÈ, Arch Fam Med. 1995, vol. 4, p. 589-593.
4
Le Parisien 18 mai 2012, dans http://www.leparisien.fr/laparisienne/sante/le-docteur-dukan-radie-de-lordre-des-medecins-16-05-2012-2003321.php
2
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Le Conseil de lÕordre lui reproche le manque de prudence dans ses propos vis-ˆ-vis
de la population adolescente qui passe le baccalaurŽat, on lui reproche aussi de faire sa
promotion personnelle et d'exercer la mŽdecine comme un commerce. En effet, il a
violŽ le code de dŽontologie1. Selon lÕarticle 19 (article R. 4127-19 du code de la santŽ
publique) :
Ç La mŽdecine ne doit pas tre pratiquŽe comme un commerce. Sont interdits tous procŽdŽs directs
ou indirects de publicitŽ et notamment tout amŽnagement ou signalisation donnant aux locaux une
apparence commerciale2. È
Cela veut dire que lÕacte mŽdical doit tre considŽrŽ comme un service et le Ç contrat
de soins È qui est ˆ la base de la responsabilitŽ mŽdicale (article 69) nÕest pas une
convention commerciale ni un marchŽ. Or Dukan a mis en avant son intŽrt personnel,
visŽ son enrichissement et non lÕintŽrt des patients. Il a su profiter de lÕintŽrt que
portent les individus ˆ la question du rŽgime alimentaire pour dŽvelopper un commerce
ˆ but lucratif, mais sans tenir compte des consŽquences souvent nŽfastes des rŽgimes sur
les patients.
Cette situation est souvent aggravŽe par le fait que la pratique de la nutrition est
rŽgulirement sortie du cadre mŽdical pour devenir un business ˆ part entire.
LÕexemple le plus remarquable est Herbalife, une entreprise de vente directe crŽŽe
en 1980 aux Etats Unis. Cette entreprise commercialise des produits de Ç contr™le de
poids È, des complŽments alimentaires ainsi que des produits de Ç soins du corps et du
visage È en toute lŽgalitŽ en France et dans 90 pays du monde via un rŽseau de
distributeurs indŽpendants. Des vendeurs sans aucune formation, ni mŽdicale ni de santŽ
assurent la promotion et la vente de :
Ç produits de qualitŽ innovants qui aident des millions de personnes dans le monde ˆ atteindre
leurs objectifs en termes de bien-tre3 È
Ils assurent que les produits Herbalife ont ŽtŽ Ç dŽveloppŽs par des scientifiques, des
mŽdecins et des nutritionnistes È, dont la liste dÕexperts Ç renommŽs È est consultable
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1
Le code de dŽontologie a multipliŽ les mesures rŽglementaires contre une pratique commerciale de la
mŽdecine.
2
Code de la santŽ publique, article R. 4127-19.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006912881&cidTexte=LE
GITEXT000006072665&dateTexte=20120405&oldAction=rechCodeArticle
3
Herbalife, consultŽ le 5 octubre 2015. http://societe.herbalifefrance.fr/qui-sommes-nous.
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sur leur site. Ils utilisent des arguments contondants pour convaincre des milliers des
personnes dans le monde, comme par exemple :
Ç Herbalife s'est engagŽ pour mettre en place des standards sur lesquels toutes les entreprises de
nutrition sont mesurŽes. Nous faisons progresser la science de la nutrition ˆ travers la recherche
scientifique menŽe dans le monde entier1. È
De plus, le Ç herb È de Herbalife est une stratŽgie trompeuse qui induit les
consommateurs ˆ penser quÕil sÕagit de produits ˆ base dÕherbes ou Ç naturels È et par
consŽquent inoffensifs. Ils profitent de la popularitŽ de certaines plantes qui sont
perues comme efficaces dans le traitement et la prŽvention de la maladie. Cependant,
la littŽrature scientifique montre que lÕutilisation de la grande majoritŽ de ces produits
ne se fonde pas sur des preuves scientifiques suffisantes. Il a ŽtŽ dŽmontrŽ
scientifiquement que certains produits de Herbalife
2
causent de graves problmes de
santŽ en particulier des problmes hŽpatotoxiques3. Ce qui pose problme cÕest quÕils
induisent ˆ remplacer des vrais repas ŽquilibrŽs par des complŽments (sous forme de
gŽlules, boissons, etc.) souvent plus chers et artificiels contenant dÕautres produits que
des nutriments, comme par exemple des conservateurs et autres produits chimiques. Or,
la question est de savoir si les complŽments alimentaires sont effectivement dotŽs de
propriŽtŽs particulires et si la population gŽnŽrale ou des groupes particuliers peuvent
en tirer un rŽel bŽnŽfice.
2.4.3 Enjeux Žthiques des complŽments alimentaires
Selon lÕavis des experts, lÕutilisation de ces produits est justifiŽe uniquement dans
des circonstances exceptionnelles et pour certains groupes de populations spŽcifiques
comme les malades atteintes du cancer, les femmes enceintes, les personnes ‰gŽes en
institution, les jeunes enfants4. Il sÕagit de situations que seul un mŽdecin est en capacitŽ
dÕidentifier. Cependant, ces produits sont commercialisŽs comme la solution ˆ la
mauvaise lÕalimentation actuelle. En effet, une alimentation saine, variŽe et ŽquilibrŽe
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1
Ibid.
Nous avons trouvŽ 40 publications sur Medline ˆ propos de Herbalife depuis 1994.
3
F. Stickel, D Shouval, Stickel F., Shouval D, ÇHepatotoxicity of herbal and dietary supplements: an
updateÈ Arch Toxicol 2015, vol. 89, p. 851-65.
2
4
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L. Cynober, J. Fricker, La veritŽ sur les complements alimentaires, Paris, Odile Jacob, 2010, p.12.
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est supposŽe apporter les apports journaliers recommandŽs (AJR). Or, une partie
importante de la population en France ne se trouve pas dans cette situation idŽale. Cela
sÕexplique par lÕabsence de variŽtŽ dans les assiettes, lÕimportante consommation
dÕaliments industriels raffinŽs et transformŽs, lÕappauvrissement en nutriments des
aliments issus de l'agriculture moderne, le contenu des pesticides et autres produits qui
augmentent considŽrablement le stress oxydatif de nos cellules, etc. Toutefois, les
pouvoirs publics en France considŽrant qu'une alimentation ŽquilibrŽe suffit, ne
recommandent pas la prise de complŽments alimentaires dans la population gŽnŽrale. Le
plan national dÕalimentation PNNS ne mentionne pas lÕutilisation des complŽments. Ces
produits sont vendus en pharmacie mais aussi en supermarchŽ, en magasins de
diŽtŽtique ou en vente libre ou en vente directe (comme Herbalife). Les achats de ces
produits sont alors conseillŽs dans la grande majoritŽ des cas par des vendeurs sans
aucune formation professionnelle dans le domaine de la santŽ.
La consommation de ces produits nÕest pas sans risque. Ils constituent une source
dÕapports en vitamines, minŽraux et oligoŽlŽments qui pourraient augmenter les risques
de dŽpassement des limites de sŽcuritŽ pour un certain nombre de ces nutriments. Par
exemple, une revue systŽmatique de la littŽrature publiŽe en 2012, qui inclut 78 essais
cliniques randomisŽs, montre que la prise de supplŽments vitaminiques antioxydants est
associŽe ˆ l'augmentation des risques de mortalitŽ1. La revue regroupe au total 296,707
participants qui ont ŽtŽ randomisŽs pour des supplŽments d'antioxydants (bta-carotne,
vitamine A, vitamine C, la vitamine E et le sŽlŽnium) versus placebo ou pas
d'intervention (contr™le). LՎtude a dŽmontrŽ que les patients consommant des
antioxydants Žtaient 1,03 fois plus susceptibles de mourir que les autres contr™les.
LÕauteur conclut que :
ÇWe found no evidence to support antioxidant supplements for primary or secondary prevention.
Beta-carotene and vitamin E seem to increase mortality, and so may higher doses of vitamin A2.È
Ç Nous nÕavons trouvŽ aucune preuve pour utiliser des supplŽments d'antioxydants pour la
prŽvention primaire ou secondaire. Le bta-carotne et la vitamine E semblent accro”tre la
mortalitŽ, et cela ˆ des doses plus ŽlevŽes de vitamine A. È
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1
G. Bjelakovic, D. Nikolova, LL. Gluud, RG. Simonetti, C. Gluud, Ç Antioxidant supplements for
prevention of mortality in healthy participants and patients with various diseasesÈ, Cochrane Database of
Systematic Reviews 2012, vol. 3. n¡ CD007176.
2
Ibid.
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Cela signifie que les complŽments alimentaires ne sont pas anodins. Il existe des
valeurs de rŽfŽrence, infŽrieures (nutritionnelles) ou supŽrieures (de sŽcuritŽ),
indispensables pour mener une Žvaluation sur chaque nutriment. Certains nutriments
peuvent causer soit des effets toxiques directs ou indirects affectant lՎquilibre
mŽtabolique et physiologique (qui participent de faon complexe au maintien de
lÕhomŽostasie), soit des problmes liŽs aux synergies ou aux antagonismes des
nutriments qui peuvent se prŽsenter entre eux. A titre dÕexemple, un excs dÕapport en
calcium (un nutriment considŽrŽ comme prŽsentant peu de risques toxicologiques), peut
inhiber lÕabsorption intestinale dÕautres minŽraux comme le magnŽsium, le zinc et le
fer1. LՎvaluation de ces risques nŽcessite une connaissance approfondie des effets
physiologiques et toxiques associŽs ˆ chaque nutriment. Or, selon lÕavis de lÕAnses en
2013 :
Ç AujourdÕhui, que ce soit au niveau de lÕAnses ou de lÕEfsa, ce travail scientifique dÕenvergure,
conduit pour certains vitamines et minŽraux (iode, vitamine B5, B8 et C, manganse, molybdne
et fluor), nÕest pas abouti pour lÕensemble des nutriments figurant ˆ lÕannexe du rglement (CE)
1925/2006, ou ˆ lÕannexe de la directive complŽments alimentaires2. È
Cela signifie quՈ ce jour il est possible de consommer des complŽments
alimentaires contenant des nutriments mme si on ne connait pas tout ˆ fait les risques
liŽs ˆ une surconsommation de ces produits. A cela sÕajoute le fait quÕavant la mise sur
le marchŽ de ces produis, seule une dŽclaration prŽalable est nŽcessaire et non une
autorisation de mise sur le marchŽ (AMM) comme pour les mŽdicaments. Pour ces
raisons, un dispositif de veille sanitaire appelŽ Ç nutrivigilance È3 a ŽtŽ crŽŽ en 2009.
Son objectif est d'amŽliorer la sŽcuritŽ du consommateur en identifiant rapidement
d'Žventuels effets indŽsirables liŽs notamment ˆ la consommation de complŽments
alimentaires ou de Ç nouveaux aliments È enrichis en nutriments. Le nombre total de cas
enregistrŽs en 2013 a ŽtŽ de 474 cas dont 107 ont ŽtŽ jugŽs exploitables. La figure 8
montre la distribution des types de complŽments alimentaires impliquŽs dans des
signalements recevables dŽclarŽs spontanŽment en 2013 et la figure 9 montre la
distribution des types dÕeffets dŽclarŽs en 2013.
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1
Avis de lÕAnses, Saisine n¡ 2013-SA-0161.
Ibid.
3
https://www.anses.fr/fr/content/dispositif-national-de-nutrivigilance.
2
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Figure 8. Distribution des types de complŽments alimentaires impliquŽs dans des
signalements recevables dŽclarŽs spontanŽment en 2013 (ANSES 2013)
Figure 9. Distribution des types dÕeffets dŽclarŽs en 2013 (Anses 2013).
LÕutilisation de complŽments alimentaires nÕest pas nouvelle, il sÕagit dÕune pratique
ancrŽe depuis des dŽcennies dans nos sociŽtŽs1. Selon le Syndicat National de
ComplŽments Alimentaires, le marchŽ franais des complŽments alimentaires est en
pleine croissance, avec un dŽveloppement de 6,4 % en 2014, dont 15,7 % dÕadultes et
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1
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Consommation de complŽments alimentaires.
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5,6 % dÕenfants consommateurs de complŽments alimentaires1. Selon lՎtude INCA2
(Žtude individuelle Nationale sur les Consommations Alimentaires 2006-2007), prs
dÕun adulte sur cinq en France en consomme au moins une fois dans l'annŽe prŽcŽdant
sa participation ˆ l'Žtude. Ils sont supposŽs Ç complŽmenter È lÕalimentation, mais ils
sont aussi utilisŽs par leurs supposŽs bŽnŽfices sur la santŽ, le bien-tre, les
performances physiques, sexuelles et la beautŽ entre autres. En gŽnŽral, ces produits
sont conus comme une sorte de mŽdecine complŽmentaire ou parfois Ç magique È
capable dÕamŽliorer tous les maux. Un genre de Ç mŽdicament È sans ordonnance,
conseillŽ traditionnellement par les voisines ou les grand-mres.
Si dÕun point de vue rŽglementaire, le statut des complŽments alimentaires est bien
dŽfini, celui-ci nÕest ni compris ni connu par la population en gŽnŽral. Ils pourraient tre
davantage considŽrŽs comme un mŽdicament et non comme un aliment. LÕUnion
EuropŽenne et la France ont dŽfini en 2002 le complŽment alimentaire comme :
Ç Toute substance ou produit transformŽ, partiellement transformŽ ou non transformŽ destinŽ ˆ tre
ingŽrŽ ou raisonnablement susceptible dՐtre ingŽrŽ par lՐtre humain dont le but est de complŽter
le rŽgime alimentaire normal et qui constitue une source concentrŽe de nutriments ou dÕautres
substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique seuls ou combinŽs, commercialisŽs sous
forme de doses destinŽes ˆ tre prise en unitŽs mesurŽes de faible quantitŽ2.È
Autrement dit, dÕun point de vue rŽglementaire, les complŽments alimentaires sont
considŽrŽs comme des denrŽes alimentaires et font donc partie du champ dÕapplication
du Rglement (CE) N¡ 1924/2006, concernant les allŽgations nutritionnelles et de santŽ
portant sur les denrŽes alimentaires. Ainsi, dans la liste de denrŽes alimentaires sont
intŽgrŽs des produits autorisŽs qui correspondent ˆ toute substance ayant un effet
nutritionnel ou physiologique : vitamines, minŽraux, micronutriments, acides aminŽs,
antioxydants, plantes, phytoconstituants, etc. Les complŽments sont ainsi susceptibles
de porter des allŽgations de santŽ3. Quoi quÕil en soit, les complŽments alimentaires sont
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Consommation de complŽments alimentaires en France : profil des consommateurs et contribution ˆ
lՎquilibre nutritionnel È, exploitation de lÕenqute INCA2
(Les Žtudes individuelles nationales de consommations alimentaires) par le CREDOC - Avril 2010
2
En France, cÕest le dŽcret n¡2006-352 du 20 mars 2006 qui transpose la directive europŽenne
n¡2002/46/CE] sur les complŽments alimentaires commercialisŽs dans les pays de lÕUnion EuropŽenne.
3
Par allŽgation de santŽ, on entend Ç toute mention utilisŽe sur les Žtiquettes, lors de campagnes de
marketing ou de publicitŽ, selon laquelle la consommation dÕun aliment donnŽ ou dÕun de ses ingrŽdients
Ð tels que, par exemple, vitamines et minŽraux, fibres et bactŽries Ç probiotiques È Ð peut avoir des
bienfaits pour la santŽ. È EFSA, http://www.efsa.europa.eu/fr/faqs/faqnutrition
!
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du point de vue rŽglementaire, des aliments. Or, ils ne rŽpondent pas ˆ la dŽfinition de
lÕaliment, ˆ savoir Ç une denrŽe alimentaire comestible, nourrissante, appŽtence, et
coutumire È1. Autrement dit, mme si les complŽments alimentaires peuvent partager
la caractŽristique dՐtre Ç comestibles È et Ç nourrissants È, ils ne partagent pas la
dimension sociale, affective de la nourriture ni sa dimension de plaisir. Ainsi, les
complŽments alimentaires ne stimulent pas lÕappŽtit et ne nous rŽjouissent pas, ils ne
sÕinscrivent pas dans un acte social qui nous permet dՎchanger et de nous rassembler.
De plus, la prŽsentation des complŽments sous forme de gŽlules, pastilles, comprimŽs,
etc. (voir tableau 6) les Žloignent davantage de la conception des aliments. En effet, la
transformation des aliments qui concerne la prŽparation et ˆ lÕacte de cuisson ne
co•ncide pas avec la transformation des nutriments dans les complŽments alimentaires,
compris comme nutriments Ç artificiels È. Cela suppose une transformation chimique
industrielle qui se traduit par une prŽsentation artificielle (pilules, gŽlules, etc.) et par la
possibilitŽ dÕune administration par une voie artificielle. Cette conception nouvelle du
nutriment, qui na”t de la prŽoccupation de nourrir lÕhomme malade face aux nouveaux
dŽfis de la mŽdecine et de la science, donne naissance ˆ une discipline que nous avons
appelŽ Ç Nutrition Clinique È. Cette dernire est centrale en mŽdecine et elle est
autonome par rapport ˆ la science de la nutrition humaine dans la mesure o elle doit
tre conue dans le cadre de lÕinteraction patient-soignant, et non dans le cadre de
lÕinteraction de lÕhomme avec lÕenvironnement qui caractŽrise la science de la nutrition
humaine. En conclusion, dŽfinir les complŽments alimentaires comme une catŽgorie de
denrŽes alimentaires est une erreur. Les consŽquences sur le plan rŽglementaire
conduisent ˆ des implications Žthiques majeures.
Les complŽments alimentaires ont une place plus appropriŽe dans la catŽgorie de
mŽdicaments. Cela se justifie dÕabord, du point de vue de la terminologie, parce quÕil
nÕexiste pas de vŽritable frontire entre le complŽment alimentaire et le mŽdicament.
Les complŽments sont supposŽs agir sur la fonction Ç nutritionnelle È et
Ç physiologique È (voir tableau 6). Il est nŽcessaire de rappeler que la fonction de
nutrition est une fonction physiologique (relative aux fonctions normales de
l'organisme), caractŽristique de tout tre vivant, par laquelle les constituants de la
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Il existe diffŽrents types dÕallŽgations de santŽ : des allŽgations fonctionnelles gŽnŽriques, sur la rŽduction
du risque de maladies ou sur la prŽsence de substances susceptibles dÕamŽliorer ou de modifier les
fonctions normales de lÕorganisme.
1
J. Tremoliers, Ç La nutrition humaine È, dans Tiers-Monde, 1964, op.cit., 795-814.
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matire vivante sÕassimilent (processus mŽtaboliques : anabolisme) mais se sŽparent
Žgalement de lÕorganisme (processus mŽtaboliques : catabolisme). La Ç dŽsassimilation
È de la matire vivante, qualifiŽe comme Ç dŽnutrition È est considŽrŽe comme un Žtat
pathologique, voire une maladie. Ainsi, les complŽments sont censŽs agir sur des Žtats
ou fonctions normaux dans lesquels sont compris des Žtats associŽs au bien-tre comme
le bronzage, la fatigue, la chute de cheveux, etc. Or, on retrouve Žgalement dans la
dŽfinition du mŽdicament, Žtablie par la directive 2004/27/CE (voir tableau 6), cette
propriŽtŽ consistant ˆ agir en modifiant des fonctions physiologiques, ce qui nÕexclut
pas les fonctions nutritionnelles, et cela par un effet qui peut tre de type
Ç pharmacologique È (i.e. relatif ˆ la pharmacologie ou aux mŽdicaments),
Ç immunologique È (i.e. relatif au systme immunitaire) ou Ç mŽtabolique È (i.e. relatif
au mŽtabolisme quÕimpliquent les processus biochimiques: catabolisme, anabolisme).
On peut dŽduire, ˆ partir de ces considŽrations, que les complŽments alimentaires
entretiennent des fonctions physiologiques dites aussi Ç normales È et les mŽdicaments
sont des produits qui corrigent les perturbations ou Ç dysfonctions È physiologiques et
donc Ç pathologiques È. Plus prŽcisŽment, dans le cas des mŽdicaments, on est dans le
cadre de la thŽrapeutique. Autrement dit, on pourrait dire que les complŽments
alimentaires maintiennent lՎtat de santŽ et de bien-tre, normal ou physiologique,
tandis que les mŽdicaments traitent lՎtat anormal ou pathologique voire la maladie.
Autrement dit, si la fonction dÕun produit est uniquement physiologique, ce nÕest pas un
mŽdicament, cÕest un complŽment (voire un aliment).
Nous constatons des difficultŽs et contradictions dans ces dŽfinitions qui ne
permettent pas de diffŽrencier les produits. Tout dÕabord, les deux dŽfinitions se
rejoignent lorsquÕon considre que lÕeffet Ç mŽtabolique È est aussi un effet
Ç nutritionnel È, et ds lors certaines situations Ç pathologiques È sont aussi
Ç nutritionnelles È. Ainsi, on peut attribuer ˆ une mme substance, ce double statut de
mŽdicament et de complŽment, en fonction de la dose et du but utilisŽ. A titre
dÕexemple, nous pouvons citer le cas de lÕacide ascorbique (vitamine C). Cette vitamine
est contenue dans tous les vŽgŽtaux ˆ des quantitŽs variables (les agrumes comme le
citron en sont riches). Le nom Ç ascorbique È a comme origine le prŽfixe grec a Ç
privatif È et Ç scorbut È, signifiant littŽralement anti-scorbut. Le scorbut est une maladie
identifiŽe depuis le XVIme sicle et qui est due ˆ une dŽficience en vitamine C
aujourdÕhui rare, mais encore prŽsente chez des personnes anorexiques. Cette vitamine a
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une fonction Ç physiologique È et Ç nutritionnelle È car elle intervient dans des fonctions
de l'organisme comme l'absorption du fer, la cicatrisation et par une action antioxydante
(capture des radicaux libres), permet la dŽfense contre les infections virales,
bactŽriennes et la protection de la paroi des vaisseaux sanguins. Elle a aussi une
fonction thŽrapeutique car elle est Ç anti scorbutique È et Ç anti oxydante È Un rŽgime
ŽquilibrŽ peut couvrir les besoins individuels en vitamine C et ainsi effectuer sa fonction
nutritionnelle mais aussi thŽrapeutique qui nous permet dՐtre en bonne santŽ, et de
guŽrir des maladies carencielles1. Bien que prŽsent naturellement dans les aliments,
l'acide ascorbique peut tre synthŽtisŽ ˆ partir du D-glucose. Il peut ainsi tre ajoutŽ
dans un complŽment alimentaire (complexe vitaminique) qui serait consommŽ avec
lÕintention dÕacquŽrir un certain bien-tre ou de maintenir la santŽ (homŽostasie).
Cependant, cette vitamine pourrait tre consommŽe et utilisŽe dans le but de traiter un
malade atteint de scorbut, et on serait alors dans le cadre de la thŽrapeutique, ce qui ne
correspond pas ˆ la dŽfinition du complŽment mais du mŽdicament. On trouve
Žgalement la mme molŽcule ajoutŽe aux produits Ç antigrippaux È. Or, ici il est
difficile de savoir si on est dans le cadre du Ç thŽrapeutique È ou du Ç physiologique È.
Nous pouvons aussi citer lÕexemple de la vitamine B12 ou Ciano cobalamine. Il
sÕagit dÕune vitamine essentielle ˆ la croissance et ˆ la division cellulaire mais aussi au
fonctionnement adŽquat de toutes les cellules du corps et ˆ l'Žquilibre du systme
nerveux. Plus prŽcisŽment, elle intervient dans la synthse de l'ADN et de l'ARN, des
protŽines, de la myŽline, dans la formation des globules rouges, ainsi que dans le
mŽtabolisme des glucides et des lipides. Elle est utilisŽe par les vŽgŽtaliens comme
complŽment alimentaire car la source alimentaire principale est le produit dÕorigine
animale. Cependant, elle peut aussi tre utilisŽe comme mŽdicament dans le traitement
de certains Žtats pathologiques. CÕest le cas de Mme CO qui aprs le by-pass gastrojŽjunal (BPGJ), se plaint de fatigue et de paresthŽsie dans les mains et les pieds, et
prŽsente une anŽmie macrocytaire avec un impact sur sa qualitŽ de vie et les activitŽs de
sa vie quotidienne, qui sÕexpliquent par une carence en vitamine B12. Dans ce cadre-lˆ,
la vitamine B12 a un caractre thŽrapeutique et donc elle est un mŽdicament.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
AJ. Michels, B. Frei, Ç Myths, artifacts, and fatal flaws: identifying limitations and opportunities in
vitamin C researchÈ, Nutrients 2013, vol. 16. p. 5161-92.
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En plus des difficultŽs relatives ˆ ces dŽfinitions, ces deux types de produits
partagent la mme finalitŽ, ˆ savoir lÕhomŽostasie1 de lÕorganisme. On peut comprendre
ainsi que maintenir lÕhomŽostasie est atteint par lÕeffet Ç physiologique È des
complŽments et que rŽcupŽrer lÕhomŽostasie est un Žtat qui sÕobtient aprs le traitement
dÕun Žtat Ç pathologique È par les mŽdicaments. Or, il nÕest pas possible de dŽlimiter
une vŽritable frontire entre physiologique et pathologique. Nous avons ŽtudiŽ dans le
cas n¡ 2 la difficultŽ ˆ dŽfinir ces deux notions, en particulier les notions de santŽ et de
maladie. Il nÕy a pas de frontire dŽlimitable, il sÕagit plut™t dÕun Ç continuum È entre
ses Žtats, qui peut tre quantitatif, mais il peut aussi sÕagir dÕune diffŽrence qualitative :
ÇLa maladie humaine est toujours un ensemble... ce qui la produit touche en nous, de si subtile faon,
les ressorts ordinaires de la vie que leurs rŽponses sont moins d'une physiologie dŽviŽe que d'une
physiologie nouvelle 2.È
Il nÕy a donc pas de frontire entre un complŽment alimentaire et un mŽdicament si
lÕon tient en compte la terminologie actuelle.
En deuxime lieu, la place des complŽments dans la catŽgorie des mŽdicaments se
justifie par des raisons Žthiques. En effet, la diffŽrence dans les procŽdures de mise sur
le marchŽ, de contr™le et de vigilance des complŽments par rapport ˆ celle des
mŽdicaments pourrait signifier plus de risques pour la population. Les mŽdicaments sont
soumis ˆ une autorisation de mise sur le marchŽ (AMM), tandis que les complŽments
alimentaires ne le sont pas, une simple dŽclaration est suffisante. Cela implique que
pour quÕun mŽdicament et une nouvelle molŽcule ˆ visŽe thŽrapeutique soient vendus il
faut un certain nombre dÕannŽes, souvent une dŽcennie, pour montrer lÕefficacitŽ et
lÕabsence de danger pour la population. Ensuite un systme de pharmacovigilance
enregistre et Žvalue les effets secondaires, en particulier les effets indŽsirables ˆ court et
ˆ long terme. Il a pour but de minimiser les risques de leur utilisation. Rappelons que du
point de vue lŽgislatif, en France, il existe depuis 1905 une frontire absolue entre le
mŽdicament et lÕaliment, rŽgis par deux codes rŽglementaires et deux entitŽs
administratives totalement distinctes3. Or, les complŽments alimentaires, ne font l'objet
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
LÕhomŽostasie est dŽfinie comme Ç le maintien de la constance du milieu intŽrieur dÕune cellule, dÕun
systme ou dÕun organisme ou, encore, la capacitŽ que peut avoir un systme, quÕil soit ouvert ou fermŽ, ˆ
conserver son Žquilibre de fonctionnement normal en dŽpit des contraintes extŽrieures. È AFF
2
G. Canguilhem, Ç Le normal et le pathologique È, op.cit., p. 166.
3
Au point de vue lŽgislatif, en France, il existe depuis 1905 une frontire absolue entre le mŽdicament et
lÕaliment, rŽgis par deux codes rŽglementaires et deux entitŽs administratives totalement distinctives.
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que d'une dŽclaration prŽalable ˆ leur commercialisation auprs de la Direction gŽnŽrale
de la concurrence, de la consommation et de la rŽpression des fraudes (DGCCRF) et la
surveillance est faite par lÕorganisme de vigilance Ç nutrivigilance È. Ainsi, pour les
mŽdicaments tout est fait pour que le patient ne soit pas exposŽ au moindre risque pour
sa santŽ, tandis que pour les complŽments leur innocuitŽ est supposŽe et seuls les effets
aigus sont surveillŽs et cela depuis 2010 en France. La possibilitŽ de vente directe, en
pharmacie ou dans les supermarchŽs sans encadrement mŽdical, expose davantage la
population aux Žventuels risques dÕune consommation immodŽrŽe ou inadaptŽe. Les
intŽrts commerciaux de ces produits encouragent leur utilisation dangereuse et souvent
inutile. Les intŽrts commerciaux lÕemportent sur les intŽrts du patient. Cela est
dŽmontrŽ par le fait de lÕaugmentation de ce marchŽ, bien que les pouvoirs publics
promeuvent une alimentation saine, et non lÕutilisation anarchique de complŽments
alimentaires. Ainsi, la rŽglementation et lÕencadrement des complŽments alimentaires
sÕimposent afin de contr™ler, dՎtudier et de surveiller les Žventuels avantages et risques
de ces produits.
Les aliments enrichis avec des nutriments ou ce quÕon appelle Ç aliments
fonctionnels È, nÕont pas de statut particulier dans la lŽgislation franaise, ils sont
simplement des aliments. Rappelons la dŽfinition :
Ç Aliment appartenant ˆ lÕalimentation traditionnelle, cÕest-ˆ-dire ayant dŽmontrŽ son action
bienfaisante sur la santŽ par des sicles dÕempirisme, mais supposŽ avoir en outre des vertus
prophylactiques et/ou curatives sur certaines maladies chroniques1. È
Il faut souligner que ces produits gardent leur apparence dÕaliment usuel. Leur utilitŽ
est souvent mise en avant comme un progrs dans lÕindustrie agroalimentaire, car ces
produits permettent de prŽvenir des carences dans certaines populations vulnŽrables
exposŽes aux famines dans le monde. Cependant, la place de ces produits dans des
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
DÕun c™tŽ, le ministre de lÕagriculture qui cadre les lois alimentaires qui font partie du code de la
consommation. DÕun autre c™tŽ, le Ministre de la SantŽ et ses directions dŽpartementales et rŽgionales
qui encadrent les lois sur le mŽdicament et sÕintgrent dans de le code de la santŽ publique et le code de la
sŽcuritŽ sociale. Cette dualitŽ franaise sÕest confirmŽe en 1999 par la crŽation de deux agences
nationales, lÕune consacrŽe ˆ la sŽcuritŽ des aliments (Agence Nationale de SŽcuritŽ Sanitaire de
lÕAlimentation, de lÕEnvironnement et du Travail, ANSES), et lÕautre ˆ la sŽcuritŽ sanitaire et des
mŽdicaments (ANSM). Les dŽbats parlementaires sur ces crŽations tŽmoignent de lÕattachement franais
au dualisme aliment/mŽdicament.
1
Dictionnaire de lÕAcadŽmie de MŽdecine. http://dictionnaire.academie.fr
!
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#$&!
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sociŽtŽs non exposŽes aux carences, au-delˆ des intŽrts commerciaux, reste ˆ
dŽterminer.
En somme, on considre que lÕutilisation de ces complŽments alimentaires est fondŽe
sur le rapprochement opŽrŽ entre les aliments et les mŽdicaments. Ce rapprochement
trouve son fondement et sa lŽgitimation pour beaucoup de scientifiques dans une phrase
attribuŽe ˆ tort ˆ Hippocrate Ç Que la nourriture soit ton remde et ton remde la
nourritureÓ È (Ç let food be thy medicine and medicine be thy food È) 1. Or, pour
Hippocrate, la dite Žtait centrale dans la mŽdecine, mais il ne confondait aucunement
les mŽdicaments (remdes) et les aliments. En outre, Hippocrate est souvent citŽ par son
autoritŽ Žthique. Les lignes directrices relatives aux obligations des mŽdecins ont ŽtŽ
Žtablies depuis lÕAntiquitŽ dans le serment d'Hippocrate, dont l'hŽritage persiste encore.
L'impŽratif Ç premirement, ne pas nuire È est implicite dans la dŽclaration suivante
concernant lÕalimentation :
Ç Je dirigerai le rŽgime des malades ˆ leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je
m'abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai ˆ personne du poison, si on m'en
demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion ; semblablement, je ne remettrai ˆ
aucune femme un pessaire abortif. Je passerai ma vie et j'exercerai mon art dans l'innocence et la
puretŽ2. È
Ainsi, le rŽgime (aujourdÕhui la diŽtŽtique) est devenu avec Hippocrate une pratique
d'une valeur morale, un outil dans le domaine de la pratique mŽdicale. Mais
aujourdÕhui, cette lŽgitimitŽ que confre Hippocrate est rŽcupŽrŽe et elle est utilisŽe
dans un but Žminemment commercial. Les mŽdecins, la sociŽtŽ et les pouvoirs publics
restent des acteurs indiffŽrents et inactifs face ˆ cela.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
"
!Voir Annexe A.!
2
Serment
mŽdical
dÕHippocrate
traduit
par
Emile
LittrŽ,
http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http%3A%2F%2Fwww.alabbara.com%2Fmuseum%2Fmedecine
%2Fpages_01%2FSerment_Hippocrate_ancien.html (consultŽ le 21 fŽvrier 2016).
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#$'!
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Tableau 6. CaractŽristiques des aliments, aliments fonctionnels, complŽments
alimentaires et mŽdicaments.
Aliment
ou
denrŽe
alimentaire
ComplŽment
alimentaire
MŽdicament
Aliment
Fonctionnel
DEFINITION
Toute substance ou produit,
transformŽ,
partiellement
transformŽ ou non transformŽ,
destinŽ ˆ tre ingŽrŽ ou
raisonnablement susceptible
d'tre ingŽrŽ par l'tre humain.
Toute substance ou produit
transformŽ,
partiellement
transformŽ ou non transformŽ
destinŽ ˆ tre ingŽrŽ ou
raisonnablement susceptible
dՐtre ingŽrŽ par lՐtre humain
dont le but est de complŽter le
rŽgime alimentaire normal et
qui constitue une source
concentrŽe de nutriments ou
dÕautres substances ayant un
effet
nutritionnel
ou
physiologique
seuls
ou
combinŽs,
commercialisŽs
sous forme de doses destinŽes
ˆ tre prises
en unitŽs mesurŽes de faible
quantitŽ.
Toute
substance
ou
composition pouvant tre
utilisŽe chez lÕhomme ou
pouvant lui tre administrŽe
en vue soit de restaurer, de
corriger ou de modifier des
fonctions physiologiques en
exerant
une
action
pharmacologique,
immunologique
ou
mŽtabolique, soit dՎtablir un
diagnostic mŽdical
Aliment
appartenant
ˆ
lÕalimentation traditionnelle,
cÕest-ˆ-dire ayant dŽmontrŽ
son action bienfaisante sur la
santŽ
par
des
sicles
dÕempirisme, mais supposŽ
avoir en outre des vertus
prophylactiques
et/ou
curatives
sur
certaines
maladies chroniques
BUT
EFFET
Nutritionnel
PRESENTATION
Substance ou produit,
transformŽ,
partiellement
transformŽ ou non
transformŽ
ComplŽter le
rŽgime
alimentaire
normal
Nutritionnel
Physiologiqu
e,
Bien-tre:
BeautŽ,
bronzage,
minceur É
GŽlules,
pastilles,
comprimŽs, pilules et
autres
formes
similaires, ainsi que
les sachets de poudre,
les
ampoules
de
liquide, les flacons
munis d'un comptegouttes et les autres
formes analogues de
prŽparations liquides
ou
en
poudre
destinŽes ˆ tre prises
en unitŽs mesurŽes de
faible quantitŽ.
PrŽvenir ou
de traiter un
Žtat
pathologique
Corriger ou
restaurer une
fonction
physiologiqu
e altŽrŽe par
un Žtat
pathologique
Pilules, Comprimes,
etc.
SatiŽtŽ,
Plaisir,
ConvivialitŽ,
Prophylactique
et/ou
curative
Nutritionnel
Aliment
SatiŽtŽ,
Plaisir,
ConvivialitŽ
CÕest ainsi que les personnes souffrant dÕobŽsitŽ sont exposŽes ˆ de multiples
rŽgimes et ˆ des complŽments alimentaires souvent prŽsentŽs comme des solutions
Ç magiques È qui permettent une perte de poids Ç rapide, facile et sans effort È. Un
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encadrement rŽglementaire et clinique plus adaptŽ sÕavre souvent nŽcessaire. La
frontire entre mŽdicament et aliment doit tre mieux dŽfinie, en intŽgrant les
complŽments nutritionnels dans le domaine des mŽdicaments. Les mŽdecins doivent
tre mieux formŽs afin de rŽpondre aux questions de nutrition, en particulier, au
problme de lÕobŽsitŽ. La nutrition comme la mŽdecine ne peut pas devenir un
commerce.
La principale consŽquence de lÕutilisation des complŽments alimentaires pour la
minceur et des rŽgimes ˆ rŽpŽtition est lÕaggravation de lÕobŽsitŽ. Face ˆ cela, la
chirurgie propose une option thŽrapeutique qui soulve des nombreux problmes
Žthiques.
2.4.4. Le problme Žthique de la Chirurgie bariatrique :
La chirurgie bariatrique (du grec Ç bar"s È, lourd et Ç iatrique È, relatif au traitement
mŽdical) est lÕalternative non mŽdicale du traitement de lÕobŽsitŽ. Elle comporte deux
grands types dÕintervention. Le premire est celle fondŽe exclusivement sur une
restriction gastrique : anneau gastrique (AGA), gastroplastie verticale calibrŽe (GVC) et
la gastrectomie longitudinale ou sleeve gastrectomy (GL) (figure 10). La deuxime
comporte une malabsorption intestinale : dŽrivation biliopancrŽatique (DBP) ou by-pass
gastrique (BPG) (figure 11)1.
Figure 10. Technique du gastroplastie ou sleeve. (DÕaprs HAS 2009)
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
HAS Recommendations des bonnes pratiques Ç ObŽsitŽ : prise en charge chirurgicale chez
LÕadulte È, Janvier 2009. http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_765529/fr/obesite-prise-en-chargechirurgicale-chez-l-adulte
!
!
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#$)!
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Figure 11. Technique du by-pass gastrique (DÕaprs HAS 2009)
DÕaprs la littŽrature scientifique, le cožt-bŽnŽfice de cette technique pour traiter
lÕobŽsitŽ comparŽ au traitement mŽdical nÕest plus ˆ dŽmontrer1. Elle serait efficace sur
la perte de poids ˆ court et ˆ moyen terme, sur la rŽduction de comorbiditŽs en
particulier du diabte de type 2, sur lÕamŽlioration de la qualitŽ de la vie et sur plusieurs
facteurs de risque cardiovasculaires et ainsi que sur la mortalitŽ globale.2 Elle est aussi
cependant ˆ lÕorigine de complications ˆ court et ˆ long terme, dues principalement ˆ
des Žtats de carences et de dŽnutrition. Ainsi, cette nouvelle technologie chirurgicale
peut conduire ˆ des dŽfis Žthiques importants et ˆ questionner certaines valeurs de la
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
MA. Maggard, LR. Shugarman, M. Suttorp, Ç Meta-analysis: surgical treatment of obesityÈ, Ann Intern
Me, 2005, vol. 142, p. 547Ð59.
2
F. Rashti, E. Gupta, S. Ebrahimi, TR. Shope, TR. Koch, CJ. Gostout. ÇDevelopment of minimally
invasive techniques for management of medically-complicated obesityÈ, World J Gastroenterol 2014,
vol. 20, p.13424-13445. PE. OÕBrien, JB. Dixon, C. Laurie, S. Skinner, J. Proietto, J. McNeil, B. Strauss,
S. Marks, L. Schachter, L. Chapman, Ç Treatment of mild to moderate obesity with laparoscopic
adjustable gastric banding or an intensive medical program: a randomized trialÈ, Ann Intern Med 2006
vol. 144, p. 625Ð633. JB. Dixon, PE. OÕBrien, J. Playfair, L.Chapman, LM. Schachter, S. Skinner, J.
Proietto, M. Bailey, M. Anderson, ÇAdjustable gastric banding and conventional therapy for type 2
diabetes: a randomized controlled trialÈ, JAMA 2008 vol. 299, p. 316Ð323. L. Sjšstršm, AK. Lindroos,
M. Peltonen, J. Torgerson, C. Bouchard, B. Carlsson, S. Dahlgren, B. Larsson, K. Narbro, CD. Sjšstršm,
et al. Ç Lifestyle, diabetes, and cardiovascular risk factors 10 years after bariatric surgeryÈ, N Engl J Med
2004, vol. 351, p. 2683Ð2693. TD. Adams, LE Davidson, SE Litwin, SC. Hunt. ÇGastrointestinal surgery:
cardiovascular risk reduction and improved long-term survival in patients with obesity and diabetesÈ,
Curr Atheroscler Rep 2012, vol. 14, p.606Ð615. RR. Wing ÇLong-term effects of a lifestyle intervention
on weight and cardiovascular risk factors in individuals with type 2 diabetes mellitus: four-year results of
the Look AHEAD trialÈ, Arch Intern Med 2010, vol. 170, p.1566Ð1575.
!
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sociŽtŽ1. Tout dÕabord, comment faut-il considŽrer lÕobŽsitŽ ? Est-elle une maladie ou
un Žtat adaptatif ? En tant que maladie, elle devrait tre traitŽe comme toute autre
maladie, ˆ savoir dÕaprs les connaissances actuelles et le critre de lՎvidence
scientifique. Au contrario, si elle est considŽrŽe comme un Žtat adaptatif, rŽsultat dÕun
certain comportement alimentaire et dÕun certain style de vie, cette pratique est-elle
pleinement justifiŽe ?
2.4.5 LÕobŽsitŽ est-elle une maladie ou Žtat adaptatif auto-infligŽ ?
La chirurgie bariatrique est considŽrŽe comme lÕoption thŽrapeutique la plus efficace
ˆ moyen terme pour traiter lÕobŽsitŽ. Elle est indiquŽe par dŽcision collŽgiale, prise
aprs discussion et concertation pluridisciplinaires, chez des patients adultes rŽunissant
lÕensemble des conditions suivantes2 :
1. Patients avec un IMC= 40 kg/m2 ou bien avec un IMC =35 kg/m2 associŽ au
moins ˆ une comorbiditŽ susceptible dՐtre amŽliorŽe aprs la chirurgie
(notamment maladies cardio-vasculaires dont HTA, syndrome dÕapnŽes
hyperpnŽes obstructives du sommeil et autres troubles respiratoires sŽvres,
dŽsordres mŽtaboliques sŽvres, en particulier diabte de type 2, maladies ostŽoarticulaires invalidantes, stŽatohŽpatite non alcoolique) (niveau de preuve
scientifique : grade B).
2. En deuxime intention, aprs lՎchec dÕun traitement mŽdical, nutritionnel,
diŽtŽtique et psychothŽrapeutique bien conduit pendant 6-12 mois (grade B).
3. En lÕabsence de perte de poids suffisante ou en lÕabsence de maintien de la perte
de poids (grade B).
4. Patients bien informŽs au prŽalable (accord professionnel), ayant bŽnŽficiŽ dÕune
Žvaluation et dÕune prise en charge prŽopŽratoires pluridisciplinaires (grade C).
5. Patients ayant compris et acceptŽ la nŽcessitŽ dÕun suivi mŽdical et chirurgical ˆ
long terme (accord professionnel).
6. Risque opŽratoire acceptable (accord professionnel).
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
B. Hoffman, ÇStuck in the middle: the many moral challenges with bariatric surgeryÈ, Am J Bioeth
2010, vol. 10, p. 3-11.
2
HAS Recommendations des bonnes pratiques Ç ObŽsitŽ : prise en charge chirurgicale chez
lÕadulte È, 2009, op.cit. p.1.
!
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Il faut noter que les indications 1 ˆ 3 sont de grade B ou niveau de preuve 2, ce qui
signifie que lÕindication est fondŽe sur une Ç prŽsomption scientifique fournie par des
Žtudes de niveau intermŽdiaire de preuve, comme des essais comparatifs randomisŽs de
faible puissance, des Žtudes comparatives non randomisŽes bien menŽes, des Žtudes de
cohorte È. LÕindication 4 est de grade C ou niveau de preuve 3 : elle est fondŽe sur des
Ç Žtudes de moindre niveau de preuve, comme des Žtudes cas-tŽmoins È. LÕindication 5
et 6 sont des accords professionnels, cÕest-ˆ-dire quÕil nÕy a pas dՎtudes concernant ces
questions. Dans ce cas, lÕindication implique lÕavis des experts. MalgrŽ lÕabsence dÕun
niveau de preuve scientifique supŽrieure, en 2010, la FDA amŽricaine a Žlargi les
critres d'admissibilitŽ en approuvant l'utilisation de lÕanneau ajustable pour les
personnes qui ont un IMC #30 et un diabte de type2 ou d'autres comorbiditŽs1. Les
patients qui peuvent tre traitŽs par cette technique ont un moindre degrŽ de corpulence,
ce qui reprŽsente plus de la moitiŽ de la population aux Etats-Unis. Si ce seuil pouvait
tre applicable en France, cela concernerait 6,5 millions de personnes, soit 14,5 % de la
population adulte.
Les contre-indications de la chirurgie bariatrique sont, dÕaprs lÕaccord professionnel
:
¥
les troubles cognitifs ou mentaux sŽvres ;
¥
les troubles sŽvres et non stabilisŽs du comportement alimentaire ;
¥
lÕincapacitŽ prŽvisible du patient ˆ participer ˆ un suivi mŽdical prolongŽ ;
¥
la dŽpendance ˆ lÕalcool et aux substances psychoactives licites et illicites ;
¥
lÕabsence de prise en charge mŽdicale prŽalable identifiŽe ;
¥
les maladies mettant en jeu le pronostic vital ˆ court et moyen terme ;
¥
les contre-indications ˆ lÕanesthŽsie gŽnŽrale.
Ainsi, la chirurgie bariatrique est gŽnŽralement considŽrŽe lorsque les autres
traitements ont ŽchouŽ. Dans le cas de Mme. CO, en ce qui concerne les indications
pour la chirurgie, elle a un IMC ˆ 55,9 kg / m2 sans comorbiditŽs liŽes ˆ l'obŽsitŽ, ˆ
l'exception dÕune douleur ˆ sa hanche gauche depuis deux ans, et depuis 6 mois, ˆ sa
hanche droite. Nous ne disposons pas dÕinformations sur les prises en charges mŽdicales
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Medical devices: LAP-BAND adjustable gastric banding system. Available from:
http://www.fda.gov/MedicalDevices/ProductsandMedicalProcedures/DeviceApprovalsandClearances/Rec
ently-ApprovedDevices/ucm248133.htm.
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#%"!
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prŽcŽdant la chirurgie bariatrique. Nous savons quÕelle a toujours ŽtŽ en surpoids, aussi
longtemps qu'elle se souvienne et le poids n'a cessŽ d'augmenter jusqu'ˆ prŽsent. En
effet, lÕobŽsitŽ concerne de plus en plus les enfants et les adolescents, qui ont plus de
risque dՐtre obses ˆ lՉge adulte. Si elle avait ŽtŽ opŽrŽe en France, elle aurait dž
auparavant tre suivie de manire rŽgulire et tre en Žchec dÕun traitement medicodiŽtŽtique par modifications des habitudes alimentaires et du style de vie. Il faut
souligner que le traitement mŽdical1 par modifications des habitudes alimentaires et du
style de vie, prŽsente des limites. IndŽpendamment du poids de dŽpart, la restriction
calorique dŽclenche plusieurs adaptations biologiques visant ˆ prŽvenir la famine. Ces
adaptations peuvent tre assez puissantes pour saper l'efficacitŽ ˆ long terme des
modifications du style de vie pour la plupart des individus souffrant d'obŽsitŽ, en
particulier dans un environnement qui favorise la surconsommation d'Žnergie.
Cependant, elles ne sont pas les seules adaptations biologiques quÕil faut surmonter pour
la rŽussite du traitement. DÕautres se produisent avec le dŽveloppement de l'obŽsitŽ qui
ont pour fonction de prŽserver, voire dÕaccro”tre dans la durŽe, le poids corporel d'un
individu2. Par exemple, lorsque la prolifŽration de prŽ-adipocyte3 se produit, cela
conduit ˆ augmenter la capacitŽ de stockage de la graisse. En outre, l'accoutumance ˆ
rŽcompenser la signalisation neuronale dopaminergique4 se dŽveloppe avec la
surconsommation chronique d'aliments de gožt agrŽable, ce qui conduit ˆ une dŽficit de
la perception de la rŽcompense et lÕaugmentation compensatoire de la consommation.
La difficultŽ des patients obses ˆ adhŽrer au traitement mŽdical sÕexplique aussi du
point de vue psychologique. Cela renvoie ˆ des troubles du comportement alimentaire,
mais aussi ˆ dÕautres facteurs socioculturels, comme la nŽcessitŽ de suivre des modles
alimentaires dŽterminŽs.
Ainsi, ce cas nous invite tout dÕabord ˆ rŽflŽchir au statut de lÕobŽsitŽ. Cette question
est essentielle car un certain nombre des problŽmatiques en dŽcoulent comme par
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Le traitement mŽdical doit tre une prise en charge multidisciplinaire (diŽtŽtique, endocrinologie,
psychologique, etc.) qui cherche principalement les modifications du comportement alimentaire et ˆ
diminuer la sŽdentaritŽ. Il ne sÕagit pas de rŽgimes miracles de magazine de beautŽ.
2
Ch. N. Ochner, AG. Tsai, RF Kushner, T. A. Wadden, ÇTreating obesity seriously: when
recommendations for lifestyle change confront biological adaptationsÈ, op.cit., p. 232.
3
Une cellule (fibroblaste) indiffŽrenciŽe qui peut tre stimulŽ pour former un adipocyte.
4
La Dopamine est un neurotransmisseur produit dans les neurones. Elle joue un r™le majeur dans la
perception du plaisir et du rassasiement. Les recherches suggrent que les personnes obses ressentant
moins le plaisir alimentaire, et auraient donc besoin de plus grandes quantitŽs de nourriture pour parvenir
au rassasiement.
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exemple le regard inquisiteur des mŽdecins et de la sociŽtŽ ainsi que les diffŽrentes
modalitŽs de traitement. Peut-on considŽrer que Mme. CO a souffert dÕune maladie
appelŽe Ç obŽsitŽ È depuis lÕenfance ? Ou bien sÕagit-il plut™t dÕun Žtat dÕadaptation
physiologique ? Peut-on alors le considŽrer comme une situation auto-infligŽe rŽsultant
de mauvaises habitudes alimentaires et de son style de vie ? A qui faut-il attribuer la
responsabilitŽ ? Aux parents lorsquÕelle Žtait enfant, puis ˆ elle-mme lorsquÕelle a ŽtŽ
incapable de perdre du poids ˆ lՉge adulte ? Ou ˆ lՎchec voire au manque des
politiques de santŽ efficaces ? Ces deux positions, ˆ savoir Ç maladie organique versus
Žtat adaptatif auto-infligŽ È, nous placent face au discours moralisant et au discours
mŽdicalisant de lÕobŽsitŽ. Avant dՎtudier ce dualisme, il est nŽcessaire de rŽsumer
brivement ce quÕest aujourdÕhui lÕobŽsitŽ pour la mŽdecine.
DÕun point de vue clinique, lÕobŽsitŽ est dŽfinie comme lÕexcs de masse grasse
entra”nant des inconvŽnients pour la santŽ1. Il sÕagit dÕune maladie chronique qui atteint
un
organe,
le
tissu
adipeux.
Les
principaux
dŽterminant
sont gŽnŽtiques,
psychologiques, biologiques, socioŽconomiques et environnementaux. Ainsi, il faut un
environnement et une gŽnŽtique Ç obŽsognes È (mauvaises habitudes alimentaires
comme lÕexcs calorique, la sŽdentaritŽ et la prŽsence de certains gnes) pour faire
augmenter la masse grasse qui sÕaccumule dans cet organe appelŽ tissu adipeux. Cette
augmentation entra”ne un certain nombre des mŽcanismes molŽculaires qui causent une
inflammation du tissu adipeux et systŽmique. LÕobŽsitŽ est ainsi considŽrŽe comme une
maladie chronique systŽmique.
DÕun point de vue historique, lÕobŽsitŽ avait dŽjˆ ŽtŽ reconnue comme pathologique
depuis Hippocrate et Galien2. Au XVIIIme sicle, le terme du latin obesitas qui veut
dire Ç excs dÕembonpoint È, rŽappara”t. Mais cÕest au XIXme sicle, ˆ partir de la
notion de norme pondŽrale de QuŽtelet, que lÕobŽsitŽ serait considŽrŽe comme la
dŽgradation quantitative dÕun Žtat normal, qui est elle-mme mesurable. LÕobŽsitŽ a
ensuite ŽtŽ dŽfinie dans les annŽes 50 comme facteur de risque par lÕassurance maladie
aux Etats-Unis. Des valeurs seuils du poids ont ainsi ŽtŽ Žtablies ˆ partir desquelles les
cožts en santŽ augmentaient. Ainsi, lÕIMC supŽrieur ˆ 30kg/m2 est dŽfini comme
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
A. Basdevant, J. Aron-Wisnewski, K. Clement, Ç DŽfinitions des obŽsitŽs È, Medecine et chirurgie de
lÕobŽsitŽ, Paris, Lavoisier 2011, p. 5.
2
Hippocrate se rŽfre aux chairs grasses comme Ç flasques È et Ç humides È susceptibles dÕentra”ner la
mort subite, lÕimpuissance et la stŽrilitŽ ; G. Vigarello, Les mŽtamorphoses du Gras, Histoire de lÕobŽsitŽ,
Paris, Seuil, 2010.
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obŽsitŽ. Cela montre bel et bien que la dŽfinition moderne dÕobŽsitŽ a une origine
Žconomique. LÕobŽsitŽ a ŽtŽ reconnue comme une maladie chronique par lÕOMS depuis
1997 et en 2013 par l'American MŽdical Association (AMA), la plus grande association
de mŽdecins des Etats-Unis en se fondant sur le critre du IMC.
Les avancŽes scientifiques de ces dernires annŽes nous permettent de parler dÕÇ
obŽsitŽs È au pluriel. En effet, il nÕy a pas un seul type de trouble, mais diffŽrents types
dÕanomalies quantitatives mais aussi qualitatives du tissu adipeux. Il sÕagit non
seulement de considŽrer la quantitŽ ou lÕexcs de masse grasse, mais aussi sa
localisation (abdominale, viscŽrale, cardiaque, etc.) et le type histologique (hypertrophie
ou hyperplasie adipocitarie). Les consŽquences pour la santŽ ne sont pas identiques.
Pourtant, le traitement et la prise en charge doivent tre diffŽrents. Or, au plan clinique,
ce type dÕobŽsitŽ est difficilement identifiable et tous les patients ayant un IMC
supŽrieur ˆ 30 kg/m2 sont catŽgorisŽs comme obses. Pour mŽmoire, lÕIMC est le
critre de rŽfŽrence pour identifier lÕexcs pondŽral, mais nous avons dŽjˆ montrŽ que
lÕIMC ne permet pas de diffŽrencier un excs pondŽral dÕun excs de masse grasse ou
de masse maigre, et quÕil restreint lÕobŽsitŽ au seul critre quantitatif. Les critres et les
valeurs diagnostiques biologiques dÕobŽsitŽ doivent donc dŽpasser lÕunique valeur de
lÕIMC.
Dans ce contexte, il existe des donnŽes objectives scientifiques qui fondent la notion
dÕobŽsitŽ et qui permettent de la dŽfinir en tant que Ç fonctionnement biologique
subnormal È, indŽpendamment des jugements des valeurs. LÕobŽsitŽ fait ainsi partie
dÕun ensemble de maladies (malnutrition ou troubles nutritionnels : dŽnutrition,
sarcopenie, etc.) qui pourraient se dŽfinir par des critres objectivables : socioculturels
(absence /mauvaise alimentation), cliniques (anorexie, etc.) biologiques (protŽines
sŽriques, etc.), anthropomŽtriques (masse maigre, etc.), fonctionnels (force musculaire,
etc.) et anatomopathologiques (lipodistrophies, etc.). Il sÕagit dÕune maladie chronique
qui Žvolue en suivant plusieurs phases. DÕabord, une phase initiale dÕinstallation : lÕIMC
est infŽrieur au seuil dÕobŽsitŽ et donc la mŽdicalisation du problme sÕavre importante
pour identifier les risques et Žviter le passage ˆ la phase suivante. Il y a des cas o les
patients sont obses depuis lÕenfance comme le cas de Mme CO. Dans cette phase
initiale, la rŽpŽtition des rŽgimes souvent restrictifs1, dans la plupart des cas non
encadrŽs par des spŽcialistes et rŽalisŽs dans un but non mŽdical mais plut™t esthŽtique
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Les rŽgimes minceurs font lÕobjet de nombreuses spŽculations et promettent ˆ tort des pertes rapides et
faciles du poids.
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ou social (idŽal minceur), favorise lÕaccumulation du gras dans le temps. Si cette
accumulation ne sÕarrte pas, il y a ensuite une phase dÕobŽsitŽ Ç maladie È, ce qui
implique un retentissement sur la santŽ psychosomatique et sociale, avec des IMC plus
ou moins importants et trs variables dÕun individu ˆ un autre. Par exemple, un lŽger
surpoids peut tre responsable dÕun diabte de type II, et un individu avec un IMC trs
ŽlevŽ peut nÕavoir aucune comorbiditŽ mŽtabolique. Enfin, une phase de chronicitŽ due
ˆ lÕinstallation dans la durŽe dÕun excs de poids pathologique qui devient de plus en
plus rŽsistant aux traitements. Il faut souligner que cette rŽsistance sÕexplique par
lÕapparition dÕanomalies biologiques organiques dont certaines peuvent devenir
irrŽversibles et contribuer ˆ la persistance de lÕobŽsitŽ, indŽpendamment des facteurs
comportementaux. CÕest trs probablement le cas de Mme. CO. Il faut donc reconna”tre
la complexitŽ de lÕobŽsitŽ et lÕabsence de critre biologique unique.
Le nutritionniste A. Basdevant souligne :
Ç Un bref rappel sur lÕhistoire naturelle de la maladie permet de situer les enjeux de la pratique
clinique et de comprendre pourquoi lÕattitude mŽdicale face ˆ une personne obse ne peut tre
univoque et se rŽsumer ˆ la gestion dÕun IMC È1
LÕobŽsitŽ est aussi un vaste champ de recherche orientŽ vers le dŽveloppement de
stratŽgies thŽrapeutiques. En ce qui concerne lÕoption pharmacologique, ˆ ce jour en
France, le seul mŽdicament autorisŽ qui a pour but de perdre du poids est lÕOrlist‰t2.
Ainsi, le fait dÕune possible prise en charge pharmacologique renforce lÕidŽe dÕune
obŽsitŽ conue comme maladie. Il sÕagirait ainsi dÕun Žtat pathologique susceptible
dՐtre traitŽ par un mŽdicament, comme toute autre maladie. Cependant, force est de
constater que la stratŽgie pharmacologique sÕavre tre un Žchec malgrŽ les efforts
gigantesques des laboratoires pharmaceutiques3. En Europe, le mŽdicament Mysima a
ŽtŽ rŽcemment autorisŽ malgrŽ les doutes relatifs ˆ de possibles risques
cardiovasculaires et psychiatriques sur le long terme et malgrŽ le fait que ce
mŽdicament n'a prouvŽ qu'une efficacitŽ limitŽe sur la perte de poids. Il y a aussi des
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
A. Basdevant, Ç Buts et abus de la dŽfinition mŽdicale contemporaine È, dans Trop gros ? LÕobŽsitŽ et
ses reprŽsentations, J. Csergo, Paris, Autrement, 2011, p. 112.
2
LÕOrlistat commercialisŽes en France comme Alli¨ (orlistat 60 mg) et Xenical¨ (orlistat 120 mg), est
indiquŽ dans le traitement du surpoids ou de lÕobŽsitŽ. Ce mŽdicament empche l'absorption des graisses
de l'alimentation, ce qui conduit ˆ une rŽduction de lÕabsorption calorique.
3
LÕAfssaps a mis en garde en 2011 contre le risque dÕatteintes hŽpatiques rares mais graves lors dÕun
traitement par orlistat. http://ansm.sante.fr/S-informer/Points-d-information-Points-d-information/OrlistatAlli-R-Xenical-R-Mise-en-garde-concernant-le-risque-d-hepatotoxicite-Point-d-information.
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mŽdicaments qui ont ŽtŽ retirŽs du marchŽ ˆ cause dÕeffets secondaires trop importants
et parce quÕils apportaient plus de risques que de bŽnŽfices. Cet Žchec montre aussi la
complexitŽ de cette maladie, la nŽcessitŽ dÕune approche globale et les limites
inhŽrentes aux approches ciblŽes sur un seul mŽcanisme possible.
SÕil est possible de parler de diffŽrents types cliniques et biologiques de lÕobŽsitŽ, il
existe aussi diffŽrents types Ç sociaux È dÕobŽsitŽ. LÕobŽsitŽ nÕest plus associŽe
uniquement ˆ la pauvretŽ et ˆ la prŽcaritŽ. Elle se rŽpartit sur toutes les Žchelles de la
population. Ainsi, par exemple, il y aurait :
¥
une obŽsitŽ associŽe aux processus de la prŽcarisation ;
¥
une obŽsitŽ de transition, rŽsultat de la transformation rapide des contextes
alimentaires (migration ou modernisation de lÕalimentation contemporaine) ;
¥
une obŽsitŽ, rŽsultat de troubles du comportement alimentaire liŽs ˆ la
pression dÕun idŽal de minceur ;
¥
une obŽsitŽ de lÕabondance associŽe aux excs Ç du bon vivant È1.
La diffŽrentiation de ces types dÕobŽsitŽ permettrait de mieux orienter les cibles de la
prise en charge et dÕadapter les stratŽgies thŽrapeutiques.
Toutefois, ˆ ce jour, il est possible dÕaffirmer que la lutte contre lÕobŽsitŽ dans le
monde est un Žchec2. La progression de l'obŽsitŽ se confirme en France3 et ˆ lՎtranger
chez l'enfant comme chez l'adulte. Cela implique un enjeu majeur pour le systme de
soins. Les programmes de santŽ publique et les politiques publiques, en particulier dans
le domaine de l'agroalimentaire et de la communication nutritionnelle, sont dŽcisifs. En
France, l'obŽsitŽ n'est qu'un aspect du vaste PNNS qui a servi ˆ favoriser la prise de
conscience par la sociŽtŽ de ce problme de santŽ publique et ˆ modifier certaines
habitudes alimentaires, mais non ˆ contr™ler lՎvolution de la maladie. Pourquoi cet
Žchec ? La difficultŽ de dŽfinir lÕobŽsitŽ en est-elle la cause ?
Un ŽlŽment peut toutefois nous Žclairer ˆ partir de lÕopposition entre le discours
mŽdical et le discours moralisant de lÕobŽsitŽ. La reprŽsentation sociale et le regard du
gros et du gras sont diffŽrents dÕune culture ˆ une autre et fluctuent dans le temps et ˆ
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
J.P. Poulain, Ç Sociologie de lÕobŽsitŽ : dŽterminants sociaux et construction sociale de lÕobŽsitŽ È, dans
MŽdecine et chirurgie de lÕobŽsitŽ, Paris, Lavoisier 2011, p. 38-41.
2
Organisation Mondiale de la santŽ : http://www.who.int/gho/fr/
3
La proportion des personnes obses est passŽe de 8.5% ˆ 14,5% entre 1997 et 2009 et 15% en 2012.
!
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lÕintŽrieur dÕune mme culture1. En effet, on passe au XXme sicle dÕun regard
valorisant du gros, comme signe de richesse et du succs ˆ un idŽal de minceur,
symbole de la ma”trise de soi et de la beautŽ. CÕest ˆ partir des annŽes 30, quÕen France,
cette transformation est apparue. A partir des annŽes 50, la transformation devient
pleinement effective et on passe ainsi de lÕ Ç embonpoint È au Ç mal en point È, selon
lÕexpression du sociologue Claude Fishler. LÕidŽal de minceur se concrŽtise lorsquÕil est
possible de vivre dans une sociŽtŽ dÕabondance. Ce passage dÕun modle obse ˆ un
modle anti-obse ne sÕest fait pas brutalement. Il sÕagit dÕune baisse de la valeur seuil ˆ
partir de laquelle la sociŽtŽ dŽvalorise lÕobse pour devenir celui qui mange trop2.
Ainsi, selon lÕanalyse du sociologue JP. Poulain, lÕobŽsitŽ considŽrŽe comme
anormale, ˆ savoir comme une dŽviation par rapport ˆ une norme, est une construction
sociale. Cette anormalitŽ a tout dÕabord ŽtŽ interprŽtŽe de manire morale : lÕobse Žtait
vu comme un Ç glouton asocial incapable de maitriser ses appŽtits, non seulement gros,
mais aussi moralement grossier È3. Le sujet de lÕobŽsitŽ est aussi liŽ ˆ une critique du
capitalisme, le gros accumule de lՎnergie comme le capitaliste accumule le capital. Du
coup, le gros est non seulement inesthŽtique, mais il est immoral, car en mangeant plus
que sa part, il nÕaccepterait pas la logique de la redistribution. Ensuite, lÕobŽsitŽ sÕest
peu ˆ peu mŽdicalisŽe. LÕobŽsitŽ nÕest plus laide ou immorale, mais une maladie
pathologique qui implique des risques mŽdicaux pour les patients. Il y a dŽsormais une
raison et une responsabilitŽ mŽdicales de traiter les obses. La mŽdicalisation serait
considŽrŽe comme un progrs car elle :
Ç libre lÕobse du poids du regard moralisateur et fait de lui un Ç malade È, ou quelquÕun qui a des
chances de le devenir È4.
Cela implique alors que le patient atteint dÕobŽsitŽ doit tre aidŽ et soignŽ. Toutefois,
la sŽparation entre un discours moralisateur et mŽdical nÕest pas toujours nette. Encore
aujourdÕhui, le discours moralisateur et la stigmatisation envers les patients obses sont
largement prŽsents dans le contexte clinique5. Cela traduit la permŽabilitŽ du domaine
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
JP. Poulain, Ç Sociologie de lÕobŽsitŽ : dŽterminants sociaux et construction sociale de lÕobŽsitŽ È,
op.cit., p. 40.
2
C. Fischler. LÕHomnivore. Paris, O. Jacob, 2011.
3
J.P. Poulain. Ç Sociologie de lÕobŽsitŽ : dŽterminants sociaux et construction sociale de lÕobŽsitŽ È, dans
MŽdecine et chirurgie de lÕobŽsitŽ, op.cit., p.40
4
Ibid., p. 42.
5
Il faut signaler que de nombreux mŽdecins ne sont pas suffisamment au courant des raisons par
lesquelles personnes souffrant d'obŽsitŽ luttent pour atteindre et maintenir la perte de poids. Cette pauvre
!
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mŽdical aux valeurs dominantes de la sociŽtŽ (idŽal de minceur). Les soignants ont un
regard nŽgatif et culpabilisent les patients obses. Ce phŽnomne est particulirement
important lorsque les patients sont en Žchec de traitement. Cette attitude de la part des
soignants viendrait sÕajouter ˆ la condamnation de la sociŽtŽ et ˆ la stigmatisation des
personnes. Comme le souligne G. Vigarello,
Ç aucun doute, la stigmatisation du gros domine fortement dans une histoire de
lÕobŽsitŽ È1.
Les jugements de valeurs ne se dŽtachent pas de la dŽfinition mŽdicale de lÕobŽsitŽ.
Du coup, on moralise aussi la diŽtŽtique jugeant les rŽgiments comme Ç bons È ou
Ç mauvais È. LÕhomme moderne devient, selon lÕexpression de A. Basdevant, Ç un
dŽlinquant nutritionnel È2. Un Ç bon È rŽgime serait alors un rŽgime idŽal ou Ç normal È
applicable pour toute la sociŽtŽ quand, en rŽalitŽ, il nÕexiste pas un comportement
normal mais des comportements en fonctions de divers contextes.
Toutefois, certains sÕopposent ˆ cette catŽgorisation de lÕobŽsitŽ en tant que maladie.
Celle-ci serait ˆ lÕorigine dÕune mŽdicalisation de lÕobŽsitŽ et, par consŽquent, de
lÕalimentation en gŽnŽral. Cela aurait des effets nŽgatifs sur les patients, le systme de
soins, les soignants et pour les dŽcideurs politiques. Cela impliquerait que le patient se
sente alors malades ou Ç sick È et se Ç dŽresponsabilise È des comportements favorisant
lÕobŽsitŽ. Le patient devient ainsi une victime de la maladie. Le spŽcialiste de santŽ
publique D. L. Katz affirme que :
Ç The misguided urge to pathologies this condition reflects society's failure to come to terms with
the need for prevention. È3
Ç lÕexhortation erronŽe de Ç pathologiser È cette maladie reflte lՎchec de la sociŽtŽ ˆ accepter la
nŽcessitŽ de la prŽvention È.
La considŽration de lÕobŽsitŽ uniquement comme un Žtat adaptatif permettrait de
mettre les dŽcideurs publics et la sociŽtŽ en gŽnŽral face ˆ leurs responsabilitŽs
partagŽes et ˆ les orienter vers de la prŽvention.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
sensibilisation ˆ la problŽmatique, empche les interventions effectives. Nous aborderons ce
problŽmatique dans la troisime partie.
1
G. Vigarello, Les mŽtamorphoses du Gras, Histoire de lÕobŽsitŽ, op.cit. p. 297.
2
A. Basdevant, Ç Buts et abus de la dŽfinition mŽdicale contemporaine È, Trop gros ? LÕobŽsitŽ et ses
reprŽsentations, op.cit. , p. 120.
3
D. L. Katz, Ç Perspective: Obesity is not a diseaseÈ, Nature 2014, p. 508.
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Par consŽquent, il est clair que le mŽdecin doit soigner lÕobse en pensant quÕil sÕagit
dÕune situation autant adaptative que pathologique. Chaque malade obse doit tre pris
en compte dans la singularitŽ de son histoire sans Ç normer È ni Ç juger È sa corpulence
ni son rŽgime alimentaire. Il doit proposer au patient le traitement le plus adaptŽ. Dans
ce contexte, quelle place attribuer ˆ la chirurgie bariatrique ?
2.4.6 Enjeux Žthiques de la chirurgie bariatrique
Le cas de Mme CO est reprŽsentatif de la prise en charge chirurgicale de lÕobŽsitŽ.
En effet, aprs un suivi par lՎquipe multidisciplinaire dÕobŽsitŽ, la patiente a ŽtŽ opŽrŽe
dÕun by-pass gastro-jŽjunal (BPGJ) par laparoscopie. Il sÕagit de la technique la plus
rŽalisŽe en France et dans le monde1. L'opŽration ainsi que le post-opŽratoire immŽdiat
ont ŽtŽ simples et sans complication. Elle quitte lÕh™pital le deuxime jour postopŽratoire. Il faut savoir que les ŽvŽnements adverses majeurs de la chirurgie bariatrique
concernent les complications propres ˆ tout chirurgie gastro-intestinale et se produisent
gŽnŽralement dans les 30 premiers jours. Ils consistent notamment dans l'infection des
plaies, la thrombose veineuse profonde, des occlusions intestinales, les fuites
abdominales et la mort. Les individus trs obses subissant une chirurgie majeure sont
confrontŽs ˆ un risque ŽlevŽ de complications en raison des pathologies prŽexistantes2.
Toutefois, gr‰ce aux progrs de la laparoscopie, qui est moins invasive et traumatisante
quÕauparavant, la mortalitŽ et la morbiditŽ opŽratoires sont rŽduites ˆ 0,1-0,3 et 4,5%, au
cours des dernires annŽes3.
Aprs deux ans de suivi, Mme CO. a perdu 75% de l'excs de poids (pour un IMC
idŽal ˆ 25 kg/m2) cÕest-ˆ-dire que son poids, aprs la chirurgie, est de 108 kg, soit un
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
JL. Colquitt, K. Pickett, E. Loveman, GK. Frampton, Ç Surgery for weight loss in adultsÈ, Cochrane
Database of Systematic Reviews 2014, vol. 4. B. Oleg, C Zeyne, B Dillemans, P. Funch-Jensen, J.
Hedenbro, R. Ahmed, Ç Clinical Indications, Utilization, and Funding of Bariatric Surgery in EuropeÈ,
Obes Surg 2015, vol. 25, p. 1408Ð1416.
2
SA. Nasraway, Jr M. Albert, AM. Donnelly, R. Ruthazer, SA. Shikora, E. Saltzman E. ÇMorbid obesity
is an independent determinant of death among surgical critically ill patientsÈ, Crit Care Med 2006, vol.
34, p.964Ð970.
3
EJ. De Maria, V. Pate, M. Warthen, DA. Winegar, ÇBaseline data from American Society for Metabolic
and Bariatric Surgery-designated Bariatric Surgery Centers of Excellence using the Bariatric Outcomes
Longitudinal DatabaseÈ, Surg Obes Relat Dis 2010, vol. 6, p. 347Ð5; DR Flum, SH Belle, WC King, AS
Wahed, P. Berk, W. Chapman, W Pories, A. Courcoulas, C. McCloskey, J. Mitchell, ÇPerioperative
safety in the longitudinal assessment of bariatric surgeryÈ, N Engl J Med 2009, vol. 361, p. 445Ð54; N.
Gletsu-Miller, and NB. Wright, ÇMineral Malnutrition Following Bariatric SurgeryÈ, Adv Nutr 2013, vol.
4, p. 506Ð517.
!
!
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#%*!
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!
IMC ˆ 31 kg/m2. La patiente est trs satisfaite de cette Žvolution, malgrŽ le fait que son
IMC correspond toujours aux valeurs indiquant une obŽsitŽ. Du fait du pourcentage de
la perte dÕexcs du poids, la chirurgie est considŽrŽe comme un succs. En effet, dÕaprs
la communautŽ scientifique, toute perte supŽrieure ˆ 50% de lÕexcs du poids est un bon
rŽsultat. Or, elle se plaint de fatigue et de paresthŽsies dans les mains et les pieds. Elle
dort plus de dix heures par jour et n'a pas ŽtŽ en mesure de travailler plus de 50 % du
temps au cours du dernier mois. Les analyses biologiques montrent une anŽmie
macrocytaire. Le statut en fer ainsi que des tests de la fonction hŽpatique sont normaux.
Des tests supplŽmentaires rŽvlent des concentrations sŽriques trs faibles de
cobalamine (vitamine B12). Le taux de folates est normal. En effet, elle a une
complication nutritionnelle ˆ long terme : une carence en vitamine B12 avec une
atteinte importante sur la qualitŽ de vie.
Les complications ˆ long terme ainsi que les ŽvŽnements dŽfavorables et le taux de
rŽintervention sont gŽnŽralement peu signalŽs et mal dŽcrits dans la littŽrature
scientifique. Il sÕagit la plupart du temps de donnŽes obtenues rŽtrospectivement avec
un faible suivi du malade. En plus, la plupart des Žtudes montrant lÕefficacitŽ de la
chirurgie concernent des participants suivis sur une pŽriode dÕun ou deux ans, alors que
les effets ˆ long terme de la chirurgie restent flous. Les conclusions de la mŽta-analyse
de JL. Colquitt 1 insistent sur ce fait.
MalgrŽ l'amŽlioration de la sŽcuritŽ pŽri-opŽratoire, les complications ˆ long terme
sont un enjeu important pour les patients subissant une chirurgie bariatrique. Ces
complications peuvent tre dŽcomposŽes ainsi : il y a celles qui sont liŽes ˆ la chirurgie
gŽnŽrale ou gastro-intestinales (la hernie, lÕocclusion intestinale, la cholŽcystite, le
glissement de la bande gastrique ou la dilatation de la poche gastrique, lÕulcre, les
nausŽes,
les vomissements et
la
diarrhŽe),
celles qui
sont
nutritionnelles
(lÕhypoglycŽmie, la perte de la masse maigre, la reprise 2de poids, les carences
vitaminiques et en minŽraux). Enfin sÕajoutent des problmes psychosociaux. Les
carences et la malnutrition sÕexpliquent par le dŽsŽquilibre alimentaire et la restriction
souvent extrme de lÕalimentation, les modifications du gožt et les modifications
anatomiques digestives. En effet, dans le cas du BPGJ, mme si la partie court-circuitŽe
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
JL. Colquitt, K. Pickett, E. Loveman, GK. Frampton. ÇSurgery for weight loss in adultsÈ, Cochrane
Database of Systematic Reviews, 2014, op.cit.
2
La reprise du poids est une complication frŽquente. Au-delˆ de la premire annŽe, elle peut tre
dÕenviron 1 sur 3 patients opŽrŽs du By pass. TC. Cooper, E B. Simmons, K. Webb, J.L. Burns, R. F.
Kushner, ÇTrends in Weight Regain Following Roux-en-Y Gastric Bypass (RYGB) Bariatric SurgeryÈ,
Obesity Surgery&2015, vol. 25, p. 1474-1481.
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de lÕintestin continue de fonctionner pour permettre ˆ la bile de s'Žcouler, Žtant donnŽ
que les aliments ne passent plus par ce chemin, le fer, le calcium et les vitamines ne sont
plus absorbŽs et sont donc ŽliminŽs dans les selles. Les carences nutritionnelles
constituent les plus importantes complications ˆ long terme car elles peuvent conduire ˆ
la dŽnutrition et ˆ des problmes hŽmatologiques, mŽtaboliques et ˆ des troubles
neurologiques en particulier, qui ne sont pas toujours rŽversibles. Les facteurs de risques
qui aggravent cette situation sont les procŽdures de malabsorption comme le BPGJ, les
vomissements rŽcurrents, une mauvaise observance du rŽgime, lÕabsence de
complŽments multivitaminŽs et un suivi mŽdico-nutritionnel non rŽgulier. Comme en
tŽmoignent un nombre croissant de rapports de cas, des Žtudes rŽtrospectives et
quelques Žtudes prospectives, les complications nutritionnelles sont relativement
communes aprs la chirurgie et lÕaugmentation ˆ 82 % de sa prŽvalence rapportŽe.
En ce qui concerne les vitamines et les minŽraux (tableau 7), la chirurgie bariatrique
exacerbe la carence prŽexistante en calcium, en vitamine D et en fer en raison de la
biodisponibilitŽ rŽduite, la malabsorption, l'apport alimentaire pauvre et le non-respect
de la supplŽmentation en micronutriments aprs la chirurgie. Les carences en cuivre et
en zinc sont difficiles ˆ diagnostiquer, parce que le taux sanguin diminue et peuvent tre
associŽes ˆ l'inflammation, avec des signes et sympt™mes partagŽs avec des carences en
d'autres nutriments. Ces questions sont d'une grande importance, en particulier dans les
populations comme les adolescents et les femmes en ‰ge de reproduction qui peuvent
dŽvelopper des problmes qui affectent les fonctions physique et mentale. Les vitamines
ont attirŽ l'attention de la communautŽ scientifique dans les dernires dŽcennies et il est
Žvident qu'elles jouent un r™le clŽ dans l'Žtiologie de nombreuses maladies, dont le
cancer1. Les Žtudes ont montrŽ que lÕexcs et les carences en certaines vitamines
peuvent tre en relation avec un risque supŽrieur de cancer. Ainsi, du point de vue de la
santŽ publique, selon le Nutritionniste Franais Hercberg :
Ç Il appara”t clairement plus prudent de recommander un rŽgime alimentaire sain ˆ vie incluant une
consommation ŽlevŽe de fruits et lŽgumes, en mesure de fournir les antioxydants nŽcessaires,
plut™t que l'utilisation de supplŽments antioxydant incontr™lŽe2. È
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
I. Russo, F. Caroppo, M. Alaibac, ÇVitamins and MelanomaÈ, Cancers 2015, vol. 7. P. 1371Ð1387.
S. Hercberg, E. Kesse-Guyot, N. Druesne-Pecollo, M. Touvier, A. Favier, P. Latino-Martel, S.
Brianon, P. Galan, ÇIncidence of cancers, ischemic cardiovascular diseases and mortality during 5-year
follow-up after stopping antioxidant vitamins and minerals supplements: a postintervention follow-up in
the SU.VI.MAX StudyÈ, Int J Cancer 2010, vol. 127, p. 1875-81.
2
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Tableau 7. Facteurs de risque, signes et sympt™mes de dŽficiences en minŽraux.
Dans ce contexte, une Žvaluation nutritionnelle prŽopŽratoire et le plan de suivi postopŽratoire rigoureux avec l'administration de supplŽments multivitaminŽs et l'Žvaluation
des niveaux sŽriques, sont recommandŽs chez tous les patients. Cependant, il n y a pas
de consensus sur la prescription de micronutriments en termes quantitatif et qualitatif.
Dans certains cas, aucune supplŽmentation nÕest recommandŽe comme dans la sleeve
gastrectomie. En outre, certaines complications nutritionnelles sont bien connues de la
plupart des soignants, comme la malnutrition en protŽines, la carence en vitamine B12,
en vitamine D, en calcium et en fer. Ainsi, ils fournissent des conseils pour la
prŽvention adŽquate et pour contr™ler les carences. Cependant, pour beaucoup d'autres
nutriments, y compris les vitamines B (thiamine, le phosphate de pyridoxal, acide
folique), les vitamines liposolubles (A, K), les acides gras indispensables et les
minŽraux (zinc, cuivre), la sensibilisation des patients et des soignants sur les risques de
carences est faible et la prŽvention et les protocoles de surveillance sont insuffisants, ce
qui entra”ne des consŽquences majeures. Chez Mme CO., nous ne disposons pas
!
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dÕinformation sur la supplŽmentation quÕelle recevait. DÕaprs la pratique courante en
France, il est possible quÕelle prenne au minimum un complŽment multivitaminŽ ainsi
que de la vitamine D, du calcium et de la vitamine B12. On est alors dans le cas dÕune
consommation incontr™lŽe de vitamines et de minŽraux qui pourrait tre nŽfaste pour sa
santŽ.
Ainsi, la pratique de la chirurgie bariatrique est une pratique ˆ risque pour tous les
patients, par la frŽquence ŽlevŽe des carences nutritionnelles qui se produisent et dont
certaines sont mŽconnues par les mŽdecins et nŽgligŽes, ce qui conduit ˆ des
consŽquences dŽvastatrices pour la santŽ des os, le fonctionnement des systmes
immunitaire, nerveux et musculaire. Si gr‰ce ˆ la chirurgie bariatrique, il devient
possible de modifier le poids (notamment lÕIMC) et dÕamŽliorer certaines comorbiditŽs
associŽes ˆ lÕobŽsitŽ ˆ court et ˆ moyen terme, les risques de carences et de malnutrition
sont presque certains et cela indŽpendamment de la perte du poids. LÕeffet de la
chirurgie bariatrique sur la qualitŽ de vie est donc trs variable. Nous avons vu comment
dans le cas de Mme CO, malgrŽ la perte de poids, sa vie nÕest plus la mme en raison de
la fatigue et des troubles neurologiques en lien avec la carence en Vitamine B12.
Ainsi, une maladie comme lÕobŽsitŽ serait-elle en train de devenir un tat de
malnutrition plus complexe ? La question ne semble pas inquiŽter la communautŽ
scientifique. Les publications concernant lÕefficacitŽ et le cožt-bŽnŽfice de la chirurgie
bariatrique sont nombreuses1, tandis que les Žtudes concernant ses risques et ses
consŽquences sur le plan nutritionnel sont beaucoup moins nombreuses2. La question
des complications nutritionnelles ˆ long terme est particulirement incertaine car il
existe trs peu dՎtudes publiŽes. Nous avons trouvŽ une Žtude publiŽe rŽcemment qui a
ŽvaluŽ, dix ans aprs la perte de poids ˆ long terme, la rŽmission des comorbiditŽs, l'Žtat
nutritionnel et le taux de complications chez les patients subissant une BPGJ3. 294
patients ont ŽtŽ ŽtudiŽs. Le pourcentage de perte de l'excs de poids moyen Žtait de
58,9% (non-super-obses 61,3 % contre super-obses 52,9 %, p = 0,034). La pression
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
J, Picot, J. Jones, JL Colquitt, E. Gospodarevskaya, E. Loveman, L. Baxter, AJ. Clegg, Ç The clinical
effectiveness and cost-effectiveness of bariatric (weight loss) surgery for obesity: a systematic review and
economic evaluationÈ, Health Technol Assess 2009, vol. 13, p. 1-190.
2
Nous avons cherchŽ sur Pub Med lÕentrŽe Ç Bariatric surgery weight loss È en nous avons obtenu 7685
rŽfŽrences bibliographiques et pour Ç Bariatric surgery efficacitŽ È, 1071 rŽfŽrences bibliographique
depuis 1983 jusquՈ novembre 2015. En ce qui concerne Ç Bariatric Surgery nutritional deficiencies È,
772 rŽfŽrences bibliographiques et Ç Bariatric Surgery malnutrition È, 619 rŽfŽrences bibliographiques
pour la mme pŽriode.
3
NR. Obeid, W. Malick, SJ Concors, GA Fielding, MS Kurian, CJ Ren-Fielding, ÇLong-term outcomes
after Roux-en-Y gastric bypass: 10- to 13-year dataÈ, Surg Obes Relat Dis 2015, vol. 23, p. S1550.
!
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artŽrielle, le bilan lipidique, et l'hŽmoglobine A1c se sont amŽliorŽs de manire
significative dix ans aprs. La rŽmission des comorbiditŽs Žtait de 46% pour
l'hypertension et l'hyperlipidŽmie et 58% pour le diabte sucrŽ. Trente patients (9 %)
ont ŽtŽ rŽopŽrŽs pour la reprise de poids. Soixante-quatre patients (19,5 %) ont eu des
complications ˆ long terme nŽcessitant une intervention chirurgicale. La mortalitŽ,
toutes causes confondues, Žtait de 2,7 %. Il faut noter que les carences nutritionnelles
ont ŽtŽ observŽes chez 87 % des patients. Mme CO a une carence trs frŽquemment
observŽe chez ces patients : la vitamine B12. A ce jour, il nÕexiste pas de consensus ˆ
propos de la supplŽmentation et la vigilance de cette vitamine. On ne connait pas avec
certitude ˆ partir de quel seuil plasmatique de vitamine B12 le patient bŽnŽficierait
dÕune telle supplŽmentation. Le seuil biologique dÕun dŽficit en vitamine B12 entra”ne
des consŽquences hŽmatologique (anŽmie), muco-cutanŽe (glossite, ulcres, vaginites et
ictre) et neurologique (paresthŽsie, ataxie, atteinte de la sensibilitŽ profonde,
polynŽvrite) et possiblement des troubles cognitifs.
SÕinterroger sur la chirurgie bariatrique est particulirement pertinent car il sÕagit
dÕune technique de modifications anatomiques des organes sains (rŽsection de lÕestomac
et de lÕintestin) qui vise ˆ soulager des sympt™mes mais sans toujours rŽussir la guŽrison
complte. On sait que les modifications, par un effet mŽcanique (diminution de la
capacitŽ gastrique) et hormonal (diminution de la ghrŽline produite par lÕestomac et
autres hormones digestives) conduisent aux modifications du gožt et ˆ la diminution de
la prise alimentaire1. Cet effet est cependant trs variable dÕune personne ˆ une autre et
elle peut tre Žgalement temporaire. Dans le cas de la technique de gastrectomie type
sleeve, la rŽsection de deux tiers de lÕestomac contraint ˆ manger moins parce quÕil nÕy
a plus de place pour recevoir les aliments. Si le patient fait des excs, il vomira le trop
plein. La rŽsection de cet organe induit Žgalement un effet satiŽtogne par diminution de
lÕhormone ghrŽline. Dans le cas du BPGJ, la rŽsection intestinale produit une
malabsorption non uniquement des calories, comme cela serait souhaitable, mais de
nombreux micronutriments essentiels pour un bon Žtat de santŽ. Ainsi, on mange moins
et on absorbe moins, ce qui donne lieu ˆ une perte du poids.
NŽanmoins, le taux dՎchec est important. Il est acceptŽ aujourdÕhui pour les patients
opŽrŽs de BPGJ avec un taux de rŽussite de 70 %. Cela se traduit par un 30 % dՎchec, ˆ
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
P. Behary, AD. Miras ÇFood preferences and underlying mechanisms after bariatric surgeryÈ, Proc Nutr
Soc, 2015, vol. 74, p. 419-25.
!
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savoir 30 % des patients perdent moins de 50 % de lÕexcs de poids. Comment peut-on
expliquer cet Žchec ? Dans la plupart des cas, la chirurgie nÕa pas dŽclenchŽ les
mŽcanismes satiŽtognes et le patient se trouve dans lÕincapacitŽ de modifier ses
habitudes alimentaires et son mode de vie, ce qui ne lui permet pas de perdre du poids.
Dans ce contexte, on peut se demander si lÕamputation des organes sains est la
solution de lÕobŽsitŽ. La difficultŽ est quÕil sÕagit dÕune maladie complexe qui est
produite par des dŽterminants biologiques forts comme la gŽnŽtique mais aussi par des
facteurs socioŽconomiques et culturels et que la chirurgie bariatrique ne permet pas, ˆ
elle seule, de perdre du poids et de le stabiliser dans le temps. Elle nÕest efficace quՈ
condition de modifier ses habitudes alimentaires, dÕaugmenter son activitŽ physique et
dՐtre suivi mŽdicalement ˆ vie. Ces derniers ŽlŽments, compris comme des
modifications hygiŽno-diŽtŽtiques, sont le fondement du traitement mŽdico-nutritionnel
de lÕobŽsitŽ qui vise ˆ modifier ses habitudes et son mode de vie de manire durable.
Leur efficacitŽ a ŽtŽ dŽmontrŽe dans la plupart des obŽsitŽs (il y a des obŽsitŽs en phase
de chronicitŽ trs rŽsistante aux modifications en raison des mŽcanismes biologiques
liŽs ˆ lÕinflammation et aussi ˆ la difficultŽ dÕaugmenter lÕactivitŽ physique). Cela
signifie que ces mesures, lorsquÕelles sont encadrŽes par des professionnels, sont
capables dÕinduire la perte de poids, chez la plupart des patients obses. Cependant, la
difficultŽ est de maintenir lÕadhŽrence ˆ cette modification et donc la perte de poids
dans le temps. Les raisons ˆ cela sont biologiques (obŽsitŽs chroniques rŽsistantes), mais
aussi socioculturelles et Žconomiques. Il est ainsi difficile de comprendre comment, si
les patients ne veulent pas tre obses, ils nÕarrivent pas ˆ suivre les changements de
comportements alimentaires. Est-il possible de parler alors dÕun Žtat auto-infligŽ ? Nous
constatons dans la pratique courante de la mŽdecine, que les patients souffrant de cette
maladie, se sentent envahis par cet excs de gras et se dŽvalorisent1 en se sachant
incapables de modifier ces habitudes alimentaires. Or, la science sait aujourdÕhui que
ces difficultŽs ont en partie une explication biologique (organique et psychologique),
mais quÕil existe aussi un facteur social et Žconomique prŽpondŽrant.
Face ˆ lՎchec de la mŽdecine dans le traitement de cette maladie et ˆ son ampleur
ŽpidŽmique, la mŽdecine a dŽveloppŽ une technique chirurgicale. Ce nÕest pas la
premire fois que la technique est la rŽponse ˆ un problme mŽdical dans lÕhistoire de la
mŽdecine. Nous considŽrons que la chirurgie bariatrique est ainsi la Ç saignŽe du
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
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La dŽvalorisation de soi est-elle la consŽquence ou la cause de lÕobŽsitŽ ? Ou les deux ?
!
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!
XXIme sicle È. Face ˆ lÕabsence du contr™le dÕune ŽpidŽmie et de la connaissance des
mŽcanismes exacts sous-jacents, la mŽdecine propose lÕextraction des organes sains. De
mme que la saignŽe guŽrissait les fivres et autres pathologies en Žliminant les
mauvaises humeurs, de mme aujourdÕhui la chirurgie bariatrique guŽrit lÕobŽsitŽ en
extirpant ou sectionnant lÕorgane principal de la digestion et de lÕabsorption. Cela
montre que la conception de la maladie est toujours archa•que et quÕon est capable
aujourdÕhui de proposer massivement des options thŽrapeutiques qui ont des
consŽquences graves entra”nant des Žtats des carences et de malnutrition sŽvre. La
complexitŽ de lÕobŽsitŽ est niŽe ainsi que le fait quÕil existe du point de vue
sociologique et biologique des Ç obŽsitŽs È. La mŽdecine a fermŽ les yeux pendant des
sicles sur les effets nŽfastes de la saignŽe. De mme, la mŽdecine aujourdÕhui nÕest pas
encore capable de mesurer lÕimpact nutritionnel de cette chirurgie. Elle propose cette
chirurgie ˆ tort, sans discrimination et mme avec un seuil de poids de plus en plus bas.
Or, elle devrait tre limitŽe ˆ des cas exceptionnels. De plus, des connaissances sont
nŽcessaires concernant les effets dŽlŽtres, la perte du poids au long terme, la rŽelle
amŽlioration des comorbiditŽs associŽes ˆ lÕobŽsitŽ, les effets sur lÕincidence du cancer
et autres pathologies auto-immunes par exemple. La saignŽe a eu ses dŽfenseurs et ses
dŽtracteurs tout au long de lÕhistoire de la mŽdecine. Les dŽtracteurs de la chirurgie
bariatrique sont encore muets, accablŽs par les nombreuses publications faisant Žtat des
rŽsultats spectaculaires de cette technique sur la perte de poids et lÕamŽlioration de
lÕIMC. LÕendŽmie de lÕobŽsitŽ est loin dՐtre contr™lŽe et elle ne le sera pas avec une
technique chirurgicale car on est face ˆ un problme en grande mesure causŽ par des
dŽterminants socio-culturels. Les progrs de la mŽdecine et, en particulier, de la
statistique mŽdicale, ont permis de mettre en Žvidence lՎchec de la saignŽe au
XVIIIme sicle. Comment pourrait-on limiter la chirurgie bariatrique ? La mŽdecine
risque de le regretter comme cela a ŽtŽ le cas avec saignŽe en 1877 :
Ç Il serait absurde de croire quÕen saignant on purifie le sang et que lÕon soutire le vice ;
si le sang Žtait viciŽ, il serait autant dans ce qui reste que dans ce quÕon en extrait. Mais
enfin, pourquoi avoir recours ˆ ces moyens violents et sanguinaires ? 1. È
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
F.V. Raspail, Manuel Annuaire de la SantŽ ou Medecine et pharmacie Domestiques, Bruxelles,
Imprimerie de la sociŽtŽ des beaux-arts, 1845, p. 121.
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CHAPITRE 3 : Nutrition et Soins Palliatifs
3.1 Questions Žthiques des soins nutritionnels en situation palliative : la position du
mŽdecin.
Les soins palliatifs, selon la dŽfinition de lÕOMS de 2014, correspondent aux soins
prodiguŽs aux Ç maladies engageant le pronostic vital È et ˆ une approche destinŽe ˆ
tre mise Ç en Ïuvre prŽcocement au cours de la maladie, en conjonction avec dÕautres
thŽrapies visant ˆ prolonger la vie. 1È Cette dŽfinition inclut les patients ayant des
maladies incurables, mais aussi ceux qui se trouvent ˆ un stade de la maladie o la
guŽrison est peu probable, certes, mais pas impossible. Ce stade peut durer plusieurs
mois, voire plusieurs annŽes2. Les principales maladies concernŽes sont des pathologies
chroniques comme les cancers, les pathologies neuromusculaires et cŽrŽbrales
dŽgŽnŽratives, lÕinsuffisance organique sŽvre respiratoire, hŽpatique, rŽnale, cŽrŽbrale,
les infections non curables, etc. Cette phase ne se dŽfinit pas par lÕabsence de
traitements spŽcifiques (chimiothŽrapie, radiothŽrapie, etc.) de la maladie car ces
derniers peuvent parfois ralentir lՎvolution et/ou amŽliorer les sympt™mes et la qualitŽ
de vie. Le but des soins palliatifs est de soulager la douleur et les autres sympt™mes
pŽnibles, intŽgrant les aspects psychologiques et spirituels, dÕamŽliorer ainsi la qualitŽ
de vie des patients et dÕaccompagner leurs familles. La SociŽtŽ franaise
dÕaccompagnement et de soins palliatifs les dŽfinit comme :
Ç des soins actifs dŽlivrŽs dans une approche globale de la personne atteinte d'une maladie grave,
Žvolutive ou terminale. LÕobjectif des soins palliatifs est de soulager les douleurs physiques et les
autres sympt™mes, mais aussi de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et
spirituelle3.È
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
http://www.who.int/cancer/palliative/fr/.
P. B, JC. Desport, Ç Nutrition en situation palliative È, TraitŽ de nutrition artificielle, op.cit., p. 1129.
3
Ibid., p. 1130.
2
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Le modle de lÕAssociation canadienne de soins palliatifs (figure 12) facilite la
comprŽhension de ce type de soins1. Nous avons intŽgrŽ ˆ ce modle de soin les
ŽlŽments clŽs du support nutritionnel.
Figure 12. Adaptation du modle de soins palliatifs de lÕAssociation canadienne de
soins palliatifs.
Les soins nutritionnels sÕinscrivent dans les soins gŽnŽraux des malades en soins
palliatifs et peuvent, dans certains cas, sÕavŽrer indispensables. En effet, les nouvelles
thŽrapeutiques ont permis de prolonger la survie de malades qui, auparavant, dŽcŽdaient
en raison de lՎvolution de la maladie. Pour ces patients, la nutrition est devenue un
facteur de survie. Par exemple, dans les maladies tumorales, la nutrition artificielle peut
Žviter lÕaggravation de lՎtat de dŽnutrition et la personne peut recevoir les doses
adŽquates des traitements anticancŽreux.
En soins palliatifs, le but du support nutritionnel doit sÕadapter en fonction de
lՎvolution de la maladie et des besoins du patient. Pour cela, l'Žtat nutritionnel doit tre
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
FD. Ferris, HM. Balfour, K. Bowen, J. Farley, M. Hardwick, C. Lamontagne, M. Lundy, A. Syme, P.
West, ÇModle de guide des soins palliatifs: FondŽ sur les principes et les normes de pratique nationaux
OttawaÈ, Association canadienne de soins palliatifs, 2002. p. 15.
!
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ŽvaluŽ ds le dŽbut du traitement et faire ensuite lÕobjet dÕun suivi rŽgulier au cours du
traitement, au moyen dÕoutils appropriŽs. Dans ce contexte particulier, outre le fait de
dŽmarrer une pompe de nutrition entŽrale ou dÕinstaller une perfusion de nutrition
parentŽrale, il est nŽcessaire de prodiguer une Žducation nutritionnelle et des conseils
diŽtŽtiques aux patients et aux familles. Les soins nutritionnels visent ainsi ˆ produire un
effet thŽrapeutique spŽcifique (prŽvenir et traiter la dŽnutrition / la cachexie,
l'amŽlioration de lÕadministration des traitements anti-tumoraux, le contr™le des effets
indŽsirables des traitements anti-tumoraux) ou ˆ favoriser le confort du patient en
amŽliorant sa qualitŽ de vie. Toutefois, le principal objectif est de maintenir la nutrition
orale (lorsquÕelle est possible) en fournissant des conseils nutritionnels adaptŽs au cas
par cas1.
Au plan clinique, la place de la nutrition artificielle en soins palliatifs reste toutefois
controversŽe2. La revue de la littŽrature de MI del Rio et collaborateurs publiŽe en 2011,
explicite les effets cliniques en soins palliatifs (Tableau 8). Il souligne aussi lÕabsence
dՎtudes de bonne qualitŽ sur cette question3.
!
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Depuis quelques annŽes, la pratique du ježne thŽrapeutique est de retour. Il sÕagit dÕune pratique
millŽnaire fondŽe sur des conceptions hippocratiques ˆ partir du principe suivant : Ç pas de nourriture au
fort de la maladie È. Cela concerne l'ingestion de petites quantitŽs ou le refus de consommer des aliments
ou des boissons caloriques pour des pŽriodes qui varient gŽnŽralement de douze heures ˆ trois semaines.
LÕintŽrt de cette pratique dans le traitement des maladies cancŽreuses a fait lÕobjet de nombreuses Žtudes
rŽcentes chez lÕanimal. Les quelques Žtudes chez lÕhomme nÕont pas, ˆ ce jour, confirmŽ lÕintŽrt
clinique dÕune telle pratique. Les risques sur le mŽtabolisme, lՎtat nutritionnel et autres fonctions de
lÕorganisme restent probables et, de plus, il nÕexiste, ˆ ce sujet, aucun consensus. VD. Longo, MP.
Mattson, ÇFasting: Molecular Mechanisms and Clinical ApplicationsÈ, Cell Metab 2014, vol.19, p. 181Ð
192.
2
D. Casarett, J. Kapo, A. Caplan, ÇAppropriate Use of Artificial Nutrition and Hydration Ñ Fundamental
Principles and RecommendationsÈ, New England journal of Medicine, 2005, vol. 353, p.24.
3
MI. del Rio, B. Shand, P. Bonati, A. Palma, A Maldonado, P. Taboada, F. Nervi, ÇHydration and
nutrition at the end of life: a systematic review of emotional impact, perceptions, and decision making
among patients, family, and health care staffÈ, Psycho-Oncology, 2012, vol. 21, p.913-921.
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Tableau 8. Evidence clinique sur les bŽnŽfices de la nutrition artificielle chez le patient
au stade terminal
Pour mieux Žlucider ces controverses et les enjeux Žthiques qui leur sont associŽs,
nous allons Žtudier lÕexemple des maladies cancŽreuses. Il faut souligner que les
objectifs du support nutritionnel ne sont pas les mmes pour les patients atteints de
cancer en cours de traitement et pour ceux qui se trouvent en soins palliatifs. Tout
dÕabord, pour les patients subissant un traitement curatif, la gestion de la dŽnutrition est
fondŽe sur la nutrition entŽrale lorsque le tube digestif est fonctionnel. De mme, la
nutrition parentŽrale est indiquŽe pour les patients dont le tube digestif ne fonctionne
pas (par exemple, pour les patients atteints de carcinose pŽritonŽale avec occlusion
intestinale dans le cadre de cancers gynŽcologiques ou digestifs). La nutrition
parentŽrale offre la possibilitŽ d'augmenter ou d'assurer l'apport en nutriments des
patients dont la nutrition entŽrale et/ou la prise alimentaire normale sont insuffisantes.
La durŽe de ce type de nutrition peut aller jusqu'ˆ plusieurs mois. Il augmente la survie
et reprŽsente aussi un gain significatif en termes de morbiditŽ liŽe ˆ la maladie.
Toutefois, il est important de souligner que lorsque certains types de cancers se
prŽsentent ˆ un stade avancŽ, les altŽrations mŽtaboliques mnent ˆ des Žtats de
cachexie majeure avec une fonte musculaire importante sans que lÕapport suffisant de
nutriments puissent amŽliorer cet Žtat. En outre, les complications de la nutrition
artificielle peuvent se produire ˆ court, moyen ou long terme. Elles comprennent
!
!
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!
!
principalement les infections des cathŽters, des complications septiques, hyponatrŽmie,
et autres troubles mŽtaboliques entra”nant une dŽshydratation avec des troubles
Žlectrolytiques.
Ceux-ci,
ˆ
leur
tour,
peuvent
entra”ner
un
coma,
une
hypertriglycŽridŽmie ou des complications hŽpatobiliaires ˆ plus long terme, avec risque
d'Žvolution vers une fibrose active et la cirrhose. Ces complications sont moins
frŽquentes lorsque le support nutritionnel est conduit par des Žquipes formŽes et
qualifiŽes en nutrition clinique. Or, cet aspect reste aujourdÕhui problŽmatique parce que
la discipline nÕest pas reconnue et que la formation des mŽdecins et des autres
personnels soignant se rŽvle insuffisante comme nous le verrons dans la troisime
partie de notre Žtude.
Ensuite, pour les patients en soins palliatifs, la particularitŽ de la nutrition artificielle
est de se prŽsenter ˆ la fois comme un traitement et comme un soin conduisant ˆ des
questionnements particuliers de la part des mŽdecins, notamment, en ce qui concerne les
dŽcisions relatives ˆ lÕarrt ou ˆ la poursuite de cette pratique. En lÕabsence de certitude
ˆ propos des bŽnŽfices et des risques cliniques, le questionnement risque de perdurer.
En effet, ˆ ce jour, il y a peu d'Žtudes cliniques ayant rŽellement ŽvaluŽ la relation
risque-bŽnŽfice de la nutrition artificielle pour ces malades. DÕaprs la revue de
Cochrane collaboration1 de 2008 et lÕactualisation de 2014, il y a cinq Žtudes
prospectives non contr™lŽes Žvaluant cet aspect, mais aucune Žtude contr™lŽe
randomisŽe. Par consŽquent,
Ç Il n'est pas possible de dŽfinir clairement les bŽnŽfices et les effets dŽlŽtres de ce traitement. Les
essais de bonne qualitŽ sont insuffisants pour faire des recommandations sur la pratique concernant
2
l'utilisation de la nutrition mŽdicalement assistŽe chez les patients en soins palliatifs .È
En ce qui concerne lÕeffet du support nutritionnel sur la qualitŽ de vie, une revue de
la littŽrature publiŽe en 2012 montre que les rŽsultats concernant la nutrition entŽrale
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
La collaboration Cochrane est une organisation ˆ but non lucratif. Il sÕagit dÕune collaboration qui
cherche ˆ organiser de manire systŽmatique les informations concernant la recherche mŽdicale. Elle
fournit des informations concernant les preuves scientifiques pour la prise de dŽcision mŽdicale, fondŽes
sur des essais cliniques bien menŽs. Les preuves scientifiques sont nŽcessaires pour prendre des dŽcisions
de soin efficaces et pour mettre en lumire les domaines o les donnŽes sont insuffisantes et o plus de
recherches sont nŽcessaires. Elle publie (Cochrane library) des revues systŽmatiques ou mŽta-analyses
d'essais randomisŽs contr™lŽs, d'interventions en santŽ.
2
P. Good, R. Richard, W. Syrmis, S. Jenkins-Marsh, J. Stephens, ÇMedically assisted nutrition for adult
palliative care patientsÈ, Cochrane Database Syst Rev, 2014, vol. 23, p. 8.
!
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sont contradictoires relativement ˆ la survie et ˆ la qualitŽ de vie des malades atteints de
cancer. Pour la nutrition parentŽrale, la revue signale lÕabsence dՎvidence scientifique1.
Il existe donc un accord entre les professionnels de santŽ selon lequel il est
dŽconseillŽ de dŽmarrer la nutrition artificielle chez un patient hippophagique au stade
final du cancer, si son espŽrance de vie est plus courte que la durŽe prŽvue qu'il faudrait
pour mourir de faim (ce qui reprŽsente moins de 2 mois)2. Inversement, on ne sait pas ce
qui doit tre fait pour ces patients atteints dÕun cancer incurable quand l'espŽrance de
vie est supŽrieure ˆ 2 mois. Compte tenu de l'incertitude concernant la balance
bŽnŽfice/risque de la nutrition parentŽrale complŽmentaire, L. Pazart, du CHRU de
Besanon, mne une Žtude non publiŽe ˆ ce jour pour dŽterminer laquelle des deux
options, ˆ savoir, initiation de la nutrition parentŽrale complŽmentaire ou aucune
introduction de la nutrition parentŽrale, est la meilleure en termes de qualitŽ de vie.
LÕidŽe est de pouvoir dŽterminer lÕoption pertinente sans entra”ner une diminution
significative de la survie dans la phase palliative du cancer3.
Toutefois, diverses sociŽtŽs scientifiques ont publiŽ des lignes directrices spŽcifiques
pour l'utilisation de la nutrition artificielle4. Nous citons ici celles de lÕESPEN
5
largement accueillies en France et en Europe. Il faut noter que la plupart des directives
existantes dŽcoulent dÕun accord entre experts. Par exemple, concernant la nutrition
parentŽrale en soins palliatifs (dans le domaine de l'oncologie non chirurgicale) en cas
d'insuffisance intestinale, la NP ˆ long terme devrait tre proposŽe si :
1. la nutrition entŽrale est insuffisante ;
2. lÕespŽrance de survie en raison de la progression de la tumeur est plus longue que
2-3 mois ;
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
V. Prevost, MC. Grach, Ç Nutritional support and quality of life in cancer patients undergoing palliative
care È, Eur J Cancer Care, 2012, vol. 21, p. 581-90.
2
P. Bachman, C. Marti-Massoud, MP. Blanc-Vincent, ÇSummary version of the Standards, Options and
Recommendations for palliative or terminal nutrition in adults with progressive cˆncerÈ, Br J Cancer,
2003, vol. 89, p. S107Ð10. P. Bachman, JC. Desport, Ç Nutrition en situation palliative È, TraitŽ de
nutrition artificielle, Paris, Springer, 2007, p.1 136.
3
L. Pazart, Ç Parenteral nutrition at the palliative phase of advanced cancer: the ALIM-K study protocol
for a randomized controlled trialÈ, Trials 2014, vol. 15, p. 370.
4
En France, lÕHAS a publiŽ les Ç ModalitŽs de prise en charge de l'adulte nŽcessitant des soins palliatifs,
2002 È ; P. Bachman et collaborateurs Ç Standards, Options et Recommandations È de la FŽdŽration
nationale des centres de lutte contre le cancer (FNCLCC) et les Centres rŽgionaux de lutte contre le
cancer (CRLCC), Bulletin du Cancer, 2001.
5
J. Arends, G. Bodoky, F. Bozzetti, et al, Ç ESPEN Guidelines on Enteral Nutrition : non-surgical
oncologyÈ, Clin Nutr, 2006, vol. 25, p.245Ð259 ; Bozzetti F, Arends J, Lundholm K, et al. Ç ESPEN
guidelines on parenteral nutrition: non-surgical oncologyÈ, Clin Nutr, 2009, vol. 28, p. 445Ð454.
!
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3. il est prŽvu que la NP puisse stabiliser ou amŽliorer l'Žtat de performance physique
et la qualitŽ de la vie ;
4. le patient dŽsire ce mode de soutien nutritionnel.
Selon ESPEN, le but de la nutrition entŽrale en soins palliatifs est de minimiser la
perte de poids aussi longtemps que le patient est consentant et que la phase de fin de vie
n'a pas dŽbutŽe. Lorsque la fin de la vie est trs proche, la plupart des patients
nŽcessitent des quantitŽs minimales de nourriture et de peu d'eau pour rŽduire leur faim
et leur soif. De petites quantitŽs de liquide peuvent aussi aider ˆ Žviter des Žtats de
confusion induite par la dŽshydratation. LÕhydratation sous-cutanŽe ˆ l'h™pital ou ˆ la
maison peut tre utile ainsi que la mise ˆ disposition dÕune voie pour l'administration de
mŽdicaments.
MalgrŽ ces directives et ces recommandations diverses, de grandes variations dans
l'utilisation de la nutrition artificielle en situation palliative existent ˆ travers le monde1.
Dans une enqute europŽenne portant sur 20.480 dŽcs, les dŽcisions de non-traitement,
lÕinterruption dÕun traitement mŽdicamenteux (chimiothŽrapie, etc.) ou de lÕhydratation
et de la nutrition artificielles sont les causes les plus frŽquentes de dŽcs (71 % des
dŽcisions de non-traitement en Italie)2. Le pourcentage de tous les dŽcs qui ont ŽtŽ
prŽcŽdŽs par une dŽcision de retirer la nutrition artificielle varie de 2,6 % en Italie ˆ 10,9
% aux Pays-Bas. Ainsi, il nÕy a pas de consensus parmi les soignants, en ce qui
concerne l'introduction ou le retrait de la nutrition artificielle lorsque le patient se trouve
en soins palliatifs et, particulirement, en fin de vie.
Face ˆ la difficultŽ dՎtablir les indications et les modalitŽs de la nutrition artificielle
au cours des phases terminales palliatives, il est alors nŽcessaire que la prise en charge
sÕeffectue Ç au cas par cas È. Il sÕavre essentiel de trouver le seuil qui ferait basculer la
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
HM. Buiting, JJ. van Deldn, JA. Rietjens, et al. and EURELD-Consortium, ÇForgoing artificial nutrition
or hydration in patients nearing death in six European countriesÈ, J Symptom Manage, 2007, vol. 34, p.
305-14.
2
Observatoire National de la Fin de Vie, Rapport 2011 Ç Fin de vie : un premier Žtat des lieux È
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/124000093.pdf (consultŽ le 3 juin
2015).
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nutrition artificielle dans lÕacharnement thŽrapeutique. Rappelons que la loi Leonetti de
20051
Ç affirme lÕinterdiction de lÕobstination dŽraisonnable pour tous les malades et
renforce les
2
devoirs des mŽdecins en matire dÕinformation et dՎcoute des malades È .
Il revient alors au mŽdecin dÕassumer la responsabilitŽ de dŽfinir la convenance des
traitements, sachant toutefois que le patient a la libertŽ de refuser n'importe quel
traitement, y compris la nutrition artificielle. Ainsi, les pratiques mŽdicales ont ŽtŽ
bouleversŽes pour favoriser lÕautonomie du patient et une approche concertŽe. Il est
alors nŽcessaire de mener, pour chaque patient, une rŽflexion Žthique et de ne pas
mŽconna”tre la complexitŽ des situations. Il sÕagit pour le mŽdecin de dŽcider de ne pas
entreprendre ou dÕinterrompre la nutrition artificielle lorsquÕelle est considŽrŽe comme
disproportionnŽe au regard de son bŽnŽfice pour le patient, ou lorsquÕelle ne vise quՈ le
maintenir artificiellement en vie. Compte-tenu du caractre affectif et social de la
nutrition, ces dŽcisions sont particulirement difficiles ˆ prendre.
Cela implique, pour les soignants, des questionnements relatifs ˆ la prise de dŽcision
concernant la poursuite ou lÕarrt du support nutritionnel. Ce questionnement, dans le
cadre de traitements spŽcifiques anticancŽreux plus amples, a ŽtŽ ŽtudiŽ par L.
Baussant3 en France. Il a analysŽ de manire prospective la prŽvalence de
lÕinterrogation sur la pertinence de thŽrapies spŽcifiques anticancŽreuses chez les
patients atteints de cancer avancŽ et hospitalisŽs dans cinq institutions du pays. Il a
considŽrŽ la perspective des mŽdecins et des patients concernant le processus de
dŽcision. Les rŽsultats ont montrŽ que ces questionnements concernent prs de 13 % des
patients hospitalisŽs. Ces questionnements ont ŽtŽ posŽs ˆ des patients dont lÕespŽrance
de vie Žtait estimŽe entre quinze jours et trois mois. Il a montrŽ Žgalement que les
mŽdecins peuvent adopter diffŽrentes positions (principalement lÕarrt ou la poursuite
des soins) soulevant des questionnements Žthiques importants.
Dans ce contexte, les mŽdecins doivent respecter les principes dÕautonomie, de
bienfaisance, de non-malfaisance et de justice lorsqu'ils sont confrontŽs ˆ la dŽcision
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Loi n¡ 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et ˆ la fin de vie, JORF n. 95 du 23
avril 2005.
2
Fin de vie : http://www.gouvernement.fr/fin-de-vie-ce-qu-il-faut-savoir-avant-l-ouverture-du-debat.
(consultŽ le 3 novembre 2015).
3
Y. Beaussant, F. Mathieu-Nicot, L. Pazart, et al., ÇIs shared decision-making vanishing at the end-oflife? A descriptive and qualitative study of advanced cancer patientsÕ involvement in specific therapies
decision-makingÈ, BMC Palliative Care, 2015, p. 14-61.
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dÕarrter ou de continuer la nutrition artificielle. Sur ce point, lÕauteur dŽcrit un modle
dominant o les mŽdecins prennent la position de Ç non choix È et cela de deux
manires diffŽrentes. La premire consiste ˆ Ç attendre et voir È. Autrement dit, ils
laissent lՎvolution de la situation imposer dÕelle-mme la dŽcision. Cette faon de
rŽpondre ˆ l'incertitude semblait favorisŽe par le fait que certains patients Žtaient
rŽticents ˆ sÕimpliquer dans le processus de dŽcision et que certains mŽdecins Žtaient
rŽticents ˆ favoriser cette implication1. L'autre solution est de dŽcider de laisser le choix
au patient entre la poursuite ou lÕarrt des traitements. Cette attitude, dŽcrite ailleurs
dans la littŽrature, correspond ˆ une minoritŽ de patients2, et elle est susceptible de les
mettre dans une situation difficile o ils nÕont Ç pas le choix È. Il sÕagit dÕune position
o ils ont ˆ choisir entre lÕinŽluctabilitŽ de la mort et les traitements potentiellement
inutiles (mais Çl'espoir de soutienÈ) ou des traitements prŽjudiciables3.
Toutefois, lՎtude dŽcrit un autre modle de prise de dŽcision o les mŽdecins initient
trs t™t les rŽflexions et le dialogue sur les incertitudes et les limites des traitements avec
les patients, leurs familles et les Žquipes soignantes. Cela permet l'Žmergence de repres
individuels ou de seuils permettant de guider la dŽcision sur le r™le appropriŽ de
thŽrapeutiques spŽcifiques dans une situation donnŽe. La pertinence d'une telle approche
dans la clarification des objectifs spŽcifiques de soins pour chaque patient, a ŽtŽ
soigneusement examinŽe par L. Emanuel4. Il souligne lÕimportance de pouvoir :
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
EC. Beaussant, S. Reiter-Theil, D. Lange-Riess, N. Schmahl-Menges, W. Hiddemann, ÇPatient
involvement in decisions to limit treatment: the crucial role of agreement between physician and patientÈ,
J Clin Oncol, 2009, vol. 27, p.2225Ð30. H. De Haes H, N. Koedoot, ÇPatient centered decision making in
palliative cˆncerÓtreatment: a world of paradoxesÈ, Patient Educ Couns, 2003, vol. 50, p. :43Ð9. P. Kirk,
I. Kirk, LJ. Kristjanso, ÇWhat do patients receiving palliative care for cancer and their families want to be
told? A Canadian and Australian qualitative studyÈ BMJ, 2004, vol. 328, p.1343.
39. J. Ernst, E. BrŠhler, A. Aldaoud, et al. ÇDesired and perceived participation in medical
decisionmaking in patients with haemato-oncological diseasesÈ, Leuk Res, 2010, vol. 34, p. 390Ð2.
2
K. Pardon, R. Deschepper, R. Vander Stichele, et al. ÇPreferred and actual involvement of advanced
lung cancer patients and their families in end-of-life decision making: a multicenter study in 13 hospitals
in Flanders, BelgiumÈ, J Pain Symptom Manage, 2012, vol. 43, p.515Ð26; E. Voogt, ÇAttitudes of
patients with incurable cancer toward medical treatment in the last phase of lifeÈ, J Clin Oncol, 2005, vol.
23, p. 2012Ð9. N. Kraetschmer, N. Sharpe, S. Urowitz, RB. Deber, ÇHow does trust affect patient
preferences for participation in decision-making? È, Health Expect, 2004, vol. 7p.317Ð26.
3
Y. Beaussant, F. Mathieu-Nicot, L. Pazart, et al. ÇIs shared decision-making vanishing at the end-oflife? A descriptive and qualitative study of advanced cancer patientsÕ involvement in specific therapies
decision-makingÈ, BMC Palliative Care, op.cit. p. 14.
4
L. Emanuel, K. Scandrett, ÇDecisions at the end of life: have we come of age? È, BMC Med, 2010, vol.
8, p. 57.
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¥ IntŽgrer rŽgulirement les patients dans les pratiques soignantes de discussions
et de documentations sur les objectifs des soins.
¥ ƒvaluer si les seuils personnels peuvent tre utilisŽs pour une planification
prŽalable efficace et adaptŽe.
¥ Apprendre davantage sur l'Žvolution des valeurs des populations face ˆ la
maladie.
¥ Utiliser les normes de la communautŽ comme un guide raisonnable en l'absence
d'autres informations.
¥ Favoriser lÕapprŽhension de la mort pour des gens qui ont un mauvais pronostic.
Quoi quÕil en soit, la prise de dŽcision concernant le support nutritionnel doit tenir
compte de multiples aspects : les sympt™mes rŽels ressentis par le patient (soif, faim),
lՎvolution de la maladie avec la notion de survie prŽvisible, le contexte psychologique,
le r™le social de lÕalimentation, les donnŽes fournies par la littŽrature concernant les
bŽnŽfices/risques et la double caractŽristique de la nutrition artificielle qui est ˆ la fois
un traitement spŽcifique pour la dŽnutrition et un soin de base. Ainsi, cela favorise chez
les mŽdecins des attitudes et positionnements divers qui sont susceptibles dÕentra”ner
une polarisation entre ceux qui considrent que la nutrition pour ces patients est ou
Ç bonne È ou Ç mauvaise È. En consŽquence, il est pertinent de savoir quelles sont les
attitudes des mŽdecins face ˆ ces questionnements. Dans le cadre de notre Žtude, une
revue de la littŽrature sÕest rŽvŽlŽe nŽcessaire afin de rŽpondre ˆ la question suivante :
quelles sont les attitudes ou les positions des mŽdecins concernant la nutrition
artificielle en soins palliatifs ?
3.2 Revue systŽmatique de la littŽrature. MŽthodologie
Une revue de la littŽrature suit une mŽthodologie systŽmatique et rigoureuse qui
commence par une recherche exhaustive de toutes les Žtudes rŽpondant ˆ une question
prŽcise. Cette question doit tre claire et dŽfinie a priori et elle doit figurer dans le titre,
l'abstract ou dans la dernire phrase de l'introduction. En effet, en ciblant une question
prŽcise, les auteurs arrivent plus facilement ˆ rŽunir des Žtudes homognes etˆ aboutir ˆ
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une conclusion1. Celle-ci fait aussi lՎvaluation critique de la qualitŽ mŽthodologique
des Žtudes retenues et ensuite la synthse des rŽsultats. En ce qui concerne la recherche
bibliographique, nous avons consultŽ Medline, la principale base de donnŽes
biomŽdicales ainsi que Proquest qui contient Žgalement des ressources telles que des
mŽmoires et thses, des ebooks, des journaux, des collections historiques, des archives
gouvernementales et culturelles2. Nous avons ciblŽ les publications entre 1990 et 2015,
en anglais, franais et espagnol en utilisant des mots clŽs du MeSH (Medical Subject
Headings) :
! nutrition artificielle et hydratation, Ç artificial nutrition and hydrationÈ ;
! attitudes et perceptions, Ç attitudes and perceptions È ;
! fin de vie Ç end of life È ;
! soins palliatifs Ç palliative care È ;
Nous avons ŽvaluŽ les titres de toutes les publications et pour ceux qui paraissaient
pertinents, nous avons analysŽ les rŽsumŽs. Les publications sŽlectionnŽes sont celles
dont les Žtudes devaient inclure : (i) les attitudes, perception ou positionnement des
mŽdecins concernant la nutrition artificielle ; (ii) les patients adultes en fin de vie ou en
soins palliatifs ; (iii) les recherches empiriques originales, excluant ainsi les rapports de
cas, les avis, et, enfin, les documents de travail. Si les rŽsumŽs prŽsentaient ces trois
critres d'inclusion, le texte intŽgral Žtait ŽvaluŽ. Nous avons exclu les Žtudes qui
Žvaluent i) les attitudes et perceptions uniquement chez les infirmiers et autres
soignants ; ii) lÕhydratation uniquement ; iii) la situation exclusive des dŽmences (dŽjˆ
analysŽe dans le cas n¡ 4 du chapitre prŽcŽdent) ; iv) des Žtats de conscience altŽrŽe
(Žtat vŽgŽtatif chronique et Žtat pauci relationnel). Ces derniers, mme sÕils sont
concernŽs par les soins de confort, ont ŽtŽ exclus en raison des dŽbats particuliers
concernant notamment lÕincertitude qui existe relativement au diagnostic, au pronostic
et ˆ la notion de conscience. Sur ce point, lÕattitude des mŽdecins peut tre trs
diffŽrente et cette situation mŽriterait une analyse sŽparŽe.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
http://tutoriel.fr.cochrane.org/fr/revue-systŽmatique
http://www.proquest.com/about/news/2014/Jisc-and-ProQuest-Enable-Access-to-Essential-DigitalContent.html
2
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3.3 RŽsultats et analyse de la littŽrature
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Tableau 9. RŽsultats de la recherche Žlectronique Medline par mots clŽs.
Mots clŽfs
QuantitŽ
ÇArtifitial nutrition and hydratation È and Ç end of life È.
99
Artifitial nutrition and hydratation È and Ç palliative 84
careÈ
Ç artificial nutrition and hydration È Ç end of life È and 21
Ç attitudes È
Ç artificial nutrition and hydration È and Ç end of life È 4
and Ç attitudes È and Ç perceptions È
Ç artificial nutrition and hydration È,
Ç end of life È, 2
Ç attitudes and perceptions È and Ç physicians È.
Le tableau 9 montre le rŽsultat de la recherche Žlectronique bibliographique. Nous
avons ŽvaluŽ tous les titres de ces publications ainsi que les rŽsumŽs. MalgrŽ le r™le
central du mŽdecin dans la prise de dŽcision dÕinitier ou dÕarrter la nutrition artificielle
en soins palliatifs, nous avons trouvŽ une seule Žtude Žvaluant lÕattitude des mŽdecins.1
En ce qui concerne la recherche bibliographique sur ProQuest, elle nÕa pas produit de
nouvelles dՎtudes. Ce constat a attirŽ notre attention. En effet, cette information serait
essentielle pour Žtudier les diverses attitudes, les aspects qui sont impliquŽs dans la prise
de dŽcision des mŽdecins, la faon dont il serait possible de diffŽrentier lÕattitude des
mŽdecins de celle adoptŽe par les patients, leurs familles et autres soignants. Cette
information permettrait aussi dÕidentifier les obstacles pour favoriser la nutrition orale et
garantir son r™le affectif et social.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
P. vand der Riet, P. Good, I Higgins, L. Sneesby, ÇPalliative care professionals' perceptions of nutrition
and hydration at the end of lifeÈ, Int J Palliat Nurs 2008, vol. 14, p. 145-51.
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Il faut souligner que les publications concernant les attitudes et les perceptions des
infirmires et autres soignants (care givers) sur la nutrition artificielle et lÕhydratation
en soins palliatifs sont frŽquentes1. Par exemple, E. Piot montre que sur 163 infirmiers
interrogŽs et impliquŽs dans les dŽcisions concernant la nutrition artificielle en fin de
vie, 42 (25,8 %) avaient toujours ou souvent ŽtŽ confrontŽs ˆ des dilemmes Žthiques, et
97 (60 %) ont rŽpondu que le retrait de la nutrition artificielle avait toujours ou souvent
ŽtŽ prŽcŽdŽ par une discussion multidisciplinaire. Les aspects qui Žtaient associŽs ˆ des
dilemmes Žthiques importants sont l'existence de divergences d'opinion au sein de
l'Žquipe de soins de santŽ, le manque d'informations concernant l'indication du retrait de
la nutrition artificielle, le fait de se sentir mal ˆ l'aise avec le patient et ses parents, la
culpabilitŽ, les sentiments d'abandon des soins et lÕinquiŽtude. Une rŽcente analyse de
la littŽrature sur les attitudes des infirmires envers la nutrition artificielle et
lÕhydratation en fin de vie a montrŽ que les arguments pour ou contre refltent en
gŽnŽral les positions du grand public. Un certain nombre de prŽsupposŽs cliniques
Žtaient incompatibles avec lՎvidence clinique, imposant l'idŽe que les infirmires
devraient recevoir des informations sur les dernires donnŽes cliniques concernant
l'indication de la nutrition artificielle pour les patients en phase terminale2.
LÕattitude des patients et des familles en soins palliatifs a aussi ŽtŽ davantage
ŽtudiŽe. La nutrition est valorisŽe et considŽrŽe comme essentielle pour prŽserver la vie,
pour diminuer les sympt™mes, parce quÕil exprime lÕabsence dÕabandon de la lutte
contre la maladie et calme lÕanxiŽtŽ3. La confiance et la technologie Žtaient liŽs : cette
technologie a, en effet, donnŽ aux familles la garantie de lÕespoir que quelque chose a
ŽtŽ fait pour leurs proches4. Une enqute prospective transversale rŽcente rŽalisŽe en
Allemagne Žvaluant les prŽfŽrences des soixante-cinq patients atteints de cancer et en
fin de vie montre que 39 % des patients Žtaient contre la nutrition artificielle et
lÕhydratation ; 36% ont choisi la seule hydratation et 23 % lÕalimentation artificielle et
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
E. Piot, BF. Leheup, C. Goetz, et al Ç Caregivers Confronted with the Withdrawal of Artificial Nutrition
at the End of Life: Prevalence of and Reasons for Experienced Difficulties È, Am J Hosp Palliat Care,
2015, vol. 32, p.732-7.
2
E. Bryon, BD de CasterlŽ, C. Gastmans, ÇNursesÕ attitudes towards artificial food or fluid
administration in patients with dementia and in terminally ill patients: a review of the literatureÈ, J Med
Ethics 2008, vol. 34, p. 431Ð436.
3
MI. del Rio, B. Shand, P. Bonati, et al. Ç Hydration and nutrition at the end of life: a systematic review
of emotional impact, perceptions, and decision making among patients, family, and helath care staffÈ,
Psycho-Oncology , 2012, op.cit. p.913.
4
P. van der Riet, GP. Higgins, L. Sneestry, ÇPalliative Care Professionals perceptions of nutrition and
hydratation at the end of lifeÈ, Int J Palliat Nurs 2008, vol.14. p.148.
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lÕhydratation. Les parents, qui ont dž dŽcider au nom du patient, Žtaient susceptibles
d'opter davantage pour lÕhydratation (52 %). Lorsque la nutrition et lÕhydratation
avaient ŽtŽ abandonnŽes les familles ont signalŽ plus frŽquemment des prŽoccupations
sur les sympt™mes physiques que les patients. Ce constat est confirmŽ par une analyse
menŽe par S. Antoun,
Ç LÕabsence dÕalimentation peut donc ne pas engendrer de souffrance physique et morale en
situation palliative terminale. Le sympt™me prŽdominant est lÕanorexie. DÕo lÕimportance de bien
analyser les sympt™mes du patient et la souffrance rŽelle entra”nŽe par lÕabsence dÕalimentation.
Le sentiment de faim est probablement diffŽrent chez les patients en fin de vie et chez les
personnes ayant conservŽ un bon Žtat de santŽ. Il est intŽressant de noter que cette absence
dÕalimentation est plus souvent le souci de lÕentourage et des soignants que celui du patient luimme.È 1
Enfin, lՎtude montre aussi que les patients et leurs familles prŽfrent que
lÕinformation et lÕaccompagnement aidant ˆ la prise de dŽcision soient prodiguŽes par
les mŽdecins2.
Concernant lÕattitude et la perception des mŽdecins, celles-ci ont ŽtŽ ŽtudiŽes par P.
vand der Riet et ses collaborateurs. LՎtude Ç Palliative care professionals' perceptions
of nutrition and hydration at the end of life È, publiŽe en 2008, est une Žtude qualitative
qui explore les perceptions et les attitudes des infirmires et des mŽdecins en soins
palliatifs ˆ l'Žgard de la nutrition et de l'hydratation du patient en fin de la vie3. Pendant
une pŽriode de six mois, quatre mŽdecins de deux unitŽs de soins palliatifs en Australie
ont ŽtŽ interrogŽs. LՎtude rŽvle que les mŽdecins de soins palliatifs estiment que la
nutrition et l'hydratation en fin de vie profitent rarement aux patients. Ils considrent
quÕaussi longtemps que la nutrition orale adŽquate est assurŽe, les patients ne souffrent
pas. Les sondes et les cathŽters peuvent se prŽsenter comme un fardeau et sÕen libŽrer
peut faciliter la communication entre le patient et le mŽdecin. Contrairement ˆ l'a priori
des familles et de la communautŽ en gŽnŽral, la dŽshydratation a ŽtŽ considŽrŽe par les
mŽdecins et les infirmires comme une Žvolution normale en fin de vie, sachant que les
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
S. Antoun, M. Merad, M. Gabolde, Ç Nutrition artificielle et fin de vie. È, Laennec 2006, op.cit., p. 9.
J. BŸkk, T. Unterpaul, G. NŸbling, R. J. Jox, S. Lorenz, Ç Decision making at the end of lifeÑcancer
patientsÕ and their caregiversÕ views on artificial nutrition and hydrationÈ, Support Care Cancer 2014, vol.
22, p.3287-99.
3
P. vand der Riet, P. Good, I Higgins, L. Sneesby, Ç Palliative care professionals' perceptions of nutrition
and hydration at the end of lifeÈ, Int J Palliat Nurs. op.cit. p.145.
2
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patients ne souffrent pas de soif ou ne lÕexpriment pas. Ainsi, par exemple, un des
mŽdecins affirme que
Ç La dŽshydratation est une partie normale du processus de la mort et donc, par consŽquent,
interfŽrer avec cela tend ˆ crŽer plus de souffrance1.È
Les mŽdecins interrogŽs dans lՎtude soulignent lÕimportance de la communication et
de lՎducation des membres de la famille sur les changements qui se produisent quand
une personne est mourante, et cette communication et ces informations deviennent une
partie importante des soins dŽlivrŽs aux patients.
Tout au long de lՎtude, les auteurs ont mis en Žvidence un discours opposant les soins
aigus et les soins palliatifs. Ainsi, lorsque les mŽdecins des h™pitaux (soins aigus) sont
amenŽs ˆ administrer des soins palliatifs, ils privilŽgient des soins plus invasifs
impliquant lÕadministration artificielle de nutriments et de fluides. La transition de soins
aigus aux soins palliatifs2 a ŽtŽ identifiŽe comme un processus difficile et souvent lourd
qui sÕaccompagne de beaucoup dÕincertitude, entra”nant ainsi le brouillage des
frontires entre soins curatifs et soins palliatifs.
Ainsi, en raison du dŽfaut dՎtudes, les analyses qualitatives prospectives Žvaluant les
diverses attitudes et perceptions de la nutrition artificielle en soins palliatifs sÕavrent
nŽcessaires. Ces Žtudes doivent cibler les aspects Žmotionnels, cultures et lŽgaux qui
pourront tre associŽs aux attitudes des mŽdecins lors de la prise de dŽcisions. Du point
de vue Žmotionnel, en phase terminale lÕimage de la nutrition est souvent valorisŽe par
la projection de nos propres sentiments, notamment de nos propres craintes au sujet de
la faim et de la soif3. Celles-ci sont frŽquemment associŽes ˆ une idŽe de confort et de
diminution des souffrances. De plus, le retrait ou le refus de la nutrition artificielle est
souvent interprŽtŽ comme la perte dÕespoir de guŽrison ou comme lÕexpression dÕun
abandon du malade. LÕaspect culturel peut Žgalement avoir un impact sur lÕattitude du
mŽdecin et devrait tre explorŽ. Par exemple, ˆ Ta•wan on pense que si une personne
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid.,
En France, seules 20% des personnes qui devraient bŽnŽficier des soins palliatifs yont accs.
http://www.gouvernement.fr/fin-de-vie-ce-qu-il-faut-savoir-avant-l-ouverture-du-debat
3
S. Antoun, M. Merad, M. Gabolde, Ç Nutrition artificielle et fin de vie. È, Laennec 2006, op.cit.
2
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dŽcde en ayant faim, lՉme devient agitŽe et affamŽe. Pour cela, on prŽfre maintenir la
nutrition artificielle jusqu'au dŽcs1.
En conclusion, lÕincapacitŽ des patients en soins palliatifs ˆ sÕalimenter prŽsente des
dŽfis majeurs, en particulier pour les mŽdecins. Elle ne doit pas tre conue comme la
cause de la mort, mais comme un signe attestant de sa gravitŽ de la maladie et de la
proximitŽ de la mort. La nutrition orale doit tre favorisŽe tout au long des soins.
Toutefois, la nutrition artificielle doit viser non seulement un effet thŽrapeutique mais
Žgalement le confort et la qualitŽ de vie de la personne. La qualitŽ de vie Žtant une
notion multidimensionnelle avant tout individuelle, personne ne peut prendre la place du
malade pour Žvaluer et mesurer ses attentes relativement ˆ la nutrition. A la question de
savoir, quel sens donner ˆ la nutrition en fin de vie, la rŽponse des mŽdecins doit alors
se centrer sur les attentes du patient davantage que sur leurs propres perceptions. Cela
implique quÕils soient capables de dialoguer avec le patient et avec ses proches pour
dŽchiffrer sa volontŽ.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Chiu TY, Hu WY, Chuang RB, Cheng YR, Chen CY, Wakai S. Ç Terminal cancer patientÕs wishes and
influencing factors toward the provision of artificial nutrition and hydration in Taiwan È, J Pain Symptom
Manage 2004, vol. 27, p. 206Ð214
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Conclusion
Au terme de notre rŽflexion, nous avons montrŽ comment, au niveau
Ç prudentiel È du jugement mŽdical, la reconnaissance dÕune double vulnŽrabilitŽ du
patient atteint de malnutrition place le mŽdecin face ˆ la responsabilitŽ de nourrir
lÕhomme malade. Il doit reconna”tre la souffrance et lÕaltŽritŽ du corps dŽnutri et il est
de sa responsabilitŽ, en tant que praticien, de rŽpondre ˆ la faim et ˆ la dŽnutrition du
malade. Cela implique la nŽcessitŽ de mettre en place des soins nutritionnels adŽquats et
dÕapprŽhender le sens du support nutritionnel comme Ç cure È et comme Ç care È, et ce
dans tous les moments de la vie, y compris en phase de fin de vie. Des qualitŽs diverses
morales et techniques telles que lՎcoute, lÕattention, la responsabilitŽ, les compŽtences
techniques et la capacitŽ de rŽpondre aux besoins du malade, sÕavrent essentielles pour
intŽgrer les soins nutritionnels dans la prise en charge globale du patient. Le mŽdecin
doit se donner comme exigence de respecter les principes fondamentaux de la
bioŽthique (bienfaisance, non malfaisance, autonomie et justice), tout en considŽrant
que les nutriments, mme artificiels, ne sont pas de simples moyens, mais une fin
indissociable des dimensions de convivialitŽ, de plaisir et de relation affective qui font
partie de lÕalimentation.
Il est ds lors nŽcessaire de sÕinterroger sur lÕadŽquation entre cette pratique de la
nutrition clinique et la conception de lÕalimentation et de la nutrition qui prŽvaut au sein
des institutions de soin, dans la sociŽtŽ et dans lÕenseignement.
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Troisime partie
Le r™le des institutions dans la nutrition
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INTRODUCTION
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Au cÏur mme de la pratique de la mŽdecine, de ses questionnements et de ses
enjeux Žthiques particuliers, Žmerge une nouvelle problŽmatique : le r™le des
institutions. Est-ce que les institutions offrent le cadre nŽcessaire pour que le mŽdecin
soit en mesure de rŽpondre pleinement ˆ la souffrance dÕautrui ? En effet, en analysant
des cas reprŽsentatifs de la pratique de cette discipline, nous avons mis en Žvidence, au
sein de la relation mŽdecin-patient, lÕaltŽritŽ du corps dŽnutri et la responsabilitŽ du
mŽdecin face ˆ cette double vulnŽrabilitŽ, aux besoins nutritionnels et ˆ la faim du
patient, quÕil soit ˆ lÕh™pital ou non. Dans ce cadre, les soins nutritionnels, pour offrir
une rŽponse appropriŽe, exigent de la part du mŽdecin et du personnel soignant des
qualitŽs morales particulires.
Ainsi, nous allons au chapitre premier dŽlimiter le cadre juridique et rglementaire
qui concerne les soins nutritionnels et analyser les politiques de santŽ publiques en
nutrition susceptibles dÕencadrer la pratique des soins nutritionnels. Les notions de
Ç bien manger È et de Ç se nourrir È se trouvent au centre de la rŽflexion. Nous allons
montrer comment, malgrŽ un cadre lŽgislatif prŽcis et lÕexistence de politiques
nutritionnelles, la formation des mŽdecins et autres professionnels de santŽ en nutrition
reste insuffisante et inadŽquate. Cela nous amnera, dans le deuxime chapitre, ˆ poser
les questions suivantes : comment sont formŽs les mŽdecins en nutrition ? Comment
dŽfinir le r™le du mŽdecin dans la pratique de cette discipline ? Quelles sont les
compŽtences et les connaissances techniques nŽcessaires pour nourrir lÕhomme
malade ? Il sÕagit de questionner lÕenseignement de la nutrition en mŽdecine. Cela
permettra de faire le point sur la situation de lՎducation et de la formation des mŽdecins
et de proposer, lors du troisime chapitre, un contenu et des stratŽgies susceptibles de
faire Žvoluer la pratique mŽdicale.
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CHAPITRE 1. Cadre lŽgislatif et politiques de santŽ publique dans le domaine de
la nutrition
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1.1 La politique nutritionnelle en France
La nutrition est un thme prioritaire dans les politiques de santŽ publique en France
et ˆ lՎtranger. Elle est considŽrŽe comme fondamentale dans la prise en charge
mŽdicale des maladies chroniques1 tant au niveau de leur origine, de leur
dŽveloppement et de leur aggravation. Il sÕagit aussi dÕun ŽlŽment thŽrapeutique
important et dÕun facteur pronostic aussi bien des maladies chroniques comme lÕobŽsitŽ,
le cancer et les maladies cardiovasculaires, que dÕautres maladies comme la
malnutrition, les dŽsordres alimentaires chez les jeunes et la dŽnutrition ˆ tous les ‰ges.
Ce quÕil convient Žgalement de retenir ici, cÕest que ces maladies ont un impact socioŽconomique majeur. En France, en 2008, un tiers des dŽcs survenus avant 65 ans
renvoient ˆ des causes liŽes ˆ des facteurs modifiables comme lÕalimentation, la
malnutrition et la sŽdentaritŽ. Selon l'OMS en Europe, les maladies chroniques sont
responsables de 8 dŽcs sur 10. Cette problŽmatique est considŽrŽe comme un obstacle
pour le dŽveloppement des pays en raison des cožts qui sÕimposent aux mŽnages et ˆ
lՃtat. Selon lÕOMS, environ 1,7 million de dŽcs sont imputables ˆ une mauvaise
alimentation, en particulier ˆ une faible consommation de fruits et de lŽgumes. C«est
pourquoi, en 2013, la dŽclaration de Vienne a ŽtŽ signŽe par des ministres europŽens
afin mettre en place une politique relative ˆ l'alimentation, la nutrition et l'activitŽ
physique. Cette dŽclaration reconna”t que :
Ç une alimentation saine peut contribuer ˆ la rŽalisation des objectifs mondiaux en matire de
maladies non transmissibles adoptŽs par la Soixante-sixime AssemblŽe Mondiale de la SantŽ, y
compris lÕobtention dÕune baisse relative de 25 % de la mortalitŽ prŽmaturŽe due ˆ des maladies
non transmissibles pour 2025 au plus tard. Une action commune ciblŽe visant ˆ promouvoir une
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1
Les maladies chroniques ou maladies non transmissibles (MNT) ne se transmettent pas dÕune personne ˆ
lÕautre. Elles sont de longue durŽe et Žvoluent en gŽnŽral lentement. Les quatre principaux types de
maladies non transmissibles sont les maladies cardiovasculaires (accidents vasculaires cardiaques ou
cŽrŽbraux), les cancers, les maladies respiratoires chroniques (comme la broncho-pneumopathie
chronique obstructive ou lÕasthme) et le diabte. http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs355/fr/.
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meilleure nutrition nous aidera dans les efforts que nous menons pour atteindre cet objectif
mondial non contraignant1. È
Les problmes de santŽ en lien avec la nutrition ont comme particularitŽ de concerner
lÕensemble de la population, de reposer sur des connaissances scientifiques bien
documentŽes et de concerner des facteurs de risque (ou de protection) bien identifiŽs sur
lesquels il est possible dÕintervenir et, par suite, dÕespŽrer avoir ainsi un impact sur
lÕincidence des maladies chroniques2. Ainsi, force est de constater que la problŽmatique
nutrition-santŽ fait participer de multiples acteurs. Il sÕagit principalement des
professionnels de santŽ (diŽtŽticiennes, mŽdecins, pharmaciens, etc.), des institutions
publiques (ministres de la santŽ, de lՎducation), le secteur agro-alimentaire et
lÕindustrie pharmaceutique. Les diverses politiques nutritionnelles Žmanent des
institutions publiques. En ce qui concerne lÕindustrie agroalimentaire qui produit 80 %
des produits consommŽs, leur r™le est essentiel car ses actions peuvent avoir un impact
majeur sur les aliments eux-mmes et sur les choix des aliments. LÕindustrie
pharmaceutique, comme nous lÕavons ŽtudiŽ dans la premire partie de notre recherche,
joue elle aussi un r™le dŽterminant dans la disponibilitŽ des produits de nutrition
artificielle.
Le Plan National Nutrition SantŽ (PNNS)3 ŽlaborŽ par lÕINPES et lÕAgence franaise
de sŽcuritŽ sanitaire des aliments (AFSSA) dŽtermine la politique de santŽ publique de
rŽfŽrence en matire de nutrition. Il est fondŽ sur une approche plurisectorielle intŽgrant
les ministres chargŽs de lՎducation nationale, des affaires sociales, de lÕagriculture, de
la consommation, de la recherche, et discutŽ avec les collectivitŽs territoriales, le
mouvement associatif et les acteurs Žconomiques. Il est, depuis 2010, inscrit dans le
Code de la SantŽ Publique (Loi n¡2010-873, article L3231-1)4. Sa fonction est de
conseiller la population franaise : les particuliers, les restaurateurs, les mŽdecins, les
industriels, etc.5. Elle revt Žgalement une dimension de prŽvention qui vise ˆ rŽduire
les facteurs de risque et la promotion des facteurs de protection alimentaires et lÕactivitŽ
physique. Il faut noter que la nutrition dans le cadre du PNNS, inclut dans un sens large
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
OMS, DŽclaration de Vienne sur la nutrition et les maladies non transmissibles dans le contexte de
SantŽ 2020, 2013, p.7.
2
Justification de la politique nutritionnelle en France, social sante.gouv.fr/IMG/pdf/CONCLUSION.pd
3
Depuis 2001, il existe PNNS1, PNNS2 et PNNS3. LE PNNS est attendu en 2016.
4
Les actions concernant le domaine de l'alimentation sont Žgalement inscrites dans le programme
national pour l'alimentation (PNA) dŽfini ˆ l'article L. 230-1 de la loi n¡ 2010-874 du 27 juillet 2010 de
modernisation de lÕagriculture et de la pche
5
Son site est http://mangerbouger.fr
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la dimension de lÕactivitŽ physique, (comme un composant de la dŽpense ŽnergŽtique)
conu non seulement comme la pratique du sport mais Žgalement comme une dimension
englobant lÕensemble des mises en mouvement du corps dans la vie quotidienne. En ce
sens, lÕobjectif est de :
Ç proposer des recommandations fiables et scientifiquement validŽes, pour aider la population et
les professionnels du secteur ˆ dŽcrypter les informations parfois contradictoires que lÕon entend
tous les jours sur la nutrition. È
Les recommandations, classŽes en neuf repres facilement identifiables1, insistent sur
la pertinence de la nutrition pour la santŽ et cherchent ˆ intŽgrer la diversitŽ sociale et
culturelle :
Ç Il sÕagit de promouvoir une nutrition positive associant alimentation et plaisir. Les guides ne se
veulent pas normatifs, mais prennent en compte la diversitŽ des situations, la complexitŽ de lÕacte
alimentaire et ses dimensions sociale et culturelle2. È
Toutefois, au-delˆ des controverses sur sa validitŽ scientifique3, cette politique a de
limites dans la mesure o elle cible des dŽterminants individuels du comportement
alimentaire et dÕactivitŽ physique, en sÕappuyant uniquement sur lÕinformation et la
communication4. Cela se traduit par des inŽgalitŽs de rŽsultats au niveau de la
population. Par exemple, il y a des rŽsultats favorables avec une stabilisation du nombre
dÕadultes obses, mais les rŽsultats sont inŽgaux chez les enfants ; il y a une
amŽlioration concernant lÕobŽsitŽ chez les enfants de cadres entre 2002 et 2005, tandis
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1
Ces repres concernent la consommation de fruits et lŽgumes, de produits laitiers, de fŽculents, de viande
de poisson, dÕÏuf, de matires grasses, de produits sucres, du sel, dÕeau et lÕactivitŽ physique. Quatre
axes stratŽgiques structurent la troisime version de ce programme : rŽduire lÕobŽsitŽ et le surpoids dans
la population, augmenter lÕactivitŽ physique et diminuer la sŽdentaritŽ ˆ tous les ‰ges, amŽliorer les
pratiques alimentaires et les apports nutritionnels, notamment chez les populations ˆ risque et rŽduire la
prŽvalence des pathologies nutritionnelles. Le Plan ObŽsitŽ 2010-2013, s'articule avec le PNNS, avec
lÕobjectif de rŽduire la progression de lÕobŽsitŽ, qui touchait prs de 15% des adultes en 2010 contre 8,5%
en 1997, et de faire face ˆ ses consŽquences mŽdicales et sociales.
2
http://www.inpes.sante.fr/10000/themes/nutrition/nutrition_guides_alimentaires.asp
3
Ces recommandations sont largement acceptŽes en France et bŽnŽficient dÕune reconnaissance et dÕune
exemplaritŽ mondiales : le Bulletin de lÕOMS dÕaožt 2013 donne en exemple le PNNS, notamment pour
son volet prŽvention du surpoids et de lÕobŽsitŽ de lÕenfant. En France, sa pertinence a ŽtŽ validŽe par
lՎtude NutriNet. Par exemple, sur le plan cardiovasculaire, les rŽsultats de cette Žtude soulignent
lÕimportance de promouvoir lÕensemble des mesures du PNNS. Cependant, certaines de ces
recommandations ont ŽtŽ questionnŽes sur le plan scientifique comme, par exemple, les recommandations
relatives aux laitages ou ˆ la quantitŽ des cŽrŽales et au risque dÕobŽsitŽ. Certaines critiques ont ŽtŽ faites
Žgalement concernant le lobbying des industries agroalimentaires dans ces recommandations.
4
CÕest ainsi que la politique exige des messages sanitaires obligatoires dans certains produits de
consommation comme Ç pour votre santŽ, mangez au moins cinq fruits et lŽgumes par jour È.
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que la situation concernant les enfants dÕouvriers sÕaggrave1. Cela sÕexplique par le fait
que ces habitudes relvent dÕun choix personnel qui est influencŽ par de nombreux
dŽterminants. Les choix de bonnes habitudes peuvent tre mieux orientŽs dans le cadre
dÕun environnement favorable au Ç bien manger È. CÕest ainsi que le PNNS2 a ŽvoluŽ
ces dernires annŽes pour intŽgrer des stratŽgies et de politiques visant ˆ amŽliorer les
dŽterminants sociaux et lÕenvironnement nutritionnel3.
Ce qui se trouve au centre de cette problŽmatique est la dŽfinition du Ç bien
manger È et le sens de Ç se nourrir È. En effet, les politiques nutritionnelles du PNNS
sont lÕobjet de questionnement quant ˆ leur prise en compte de la diversitŽ des
significations et des valeurs de lÕalimentation dans la sociŽtŽ. Nous parlons dÕune
sociŽtŽ pluraliste : la grande majoritŽ de Franais restent certes, attachŽe aux modle
alimentaire traditionnel (trois repas par jour, repas familiaux, structurŽs, etc.) mais dans
ses pratiques alimentaires, ils sont de plus en plus singulier. En effet, dÕune manire
gŽnŽrale, les habitudes alimentaires actuelles en France restent traditionnelles : les
rituels alimentaires, quotidiens ou festifs, structurent le temps alimentaire et sont les
ciments de la sociŽtŽ. Il sÕagit dÕun modle qui reste particulirement liŽ au gožt, au
plaisir et ˆ la convivialitŽ. Le Ç bien manger È de la gastronomie franaise a ŽtŽ reconnu,
depuis 2010, comme patrimoine immatŽriel de lÕhumanitŽ par lÕUNESCO. CÕest la
reconnaissance dÕune pratique sociale ritualisŽe et particulire. Le Ç repas
gastronomique des Franais È illustre la richesse et la diversitŽ de la gastronomie,
conue comme :
Ç une pratique sociale coutumire destinŽe ˆ cŽlŽbrer les moments les plus importants de la vie des
individus et des groupes, tels que naissances, mariages, anniversaires, succs et retrouvailles. Il
sÕagit dÕun repas festif dont les convives pratiquent, pour cette occasion, lÕart du Ç bien manger È
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
N. Guignon N. ÇLa santŽ des adolescents des classes de CM2 en 2004 2005. Premiers rŽsultats. È,
ƒtudes et rŽsultats, 2008, vol. 632, p. 16.
2
LE PNNS 4 2016-2020 nÕa pas encore ŽtŽ publiŽ.
3
Les actions sur ces derniers incluent notamment : lÕamŽlioration de la qualitŽ nutritionnelle de lÕoffre
alimentaire (y compris dans la restauration collective) et de lÕaccessibilitŽ physique et Žconomique ˆ des
aliments de bonne qualitŽ nutritionnelle, pour tous, notamment, pour les populations les plus fragiles
(populations dŽfavorisŽes, enfants, etc.) ; lÕorientation des choix des consommateurs, au moment de lÕacte
dÕachat, vers des aliments de meilleure qualitŽ nutritionnelle et la rŽduction de la pression du marketing
incitant ˆ la consommation dÕaliments de moins bonne qualitŽ nutritionnelle (notamment pour les
populations vulnŽrables, les enfants, etc.) ; la crŽation des conditions de la pratique dÕune activitŽ
physique quotidienne pour tous, la garantie dÕune prŽvention, dÕun dŽpistage et dÕune prise en charge
optimale
des
problmes
de
santŽ
liŽs
ˆ
la
nutrition.
http://sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_Hercberg_15_11_2013.pdf. (consultŽ le 17 mars 2016).
S. Hercberg, Ç Pour une politique nutritionnelle ˆ la hauteur des enjeux de SantŽ Publique ! È, SantŽ
Publique 2014, vol. 26, p. 281-282.
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et du Ç bien boire È. Le repas gastronomique met lÕaccent sur le fait dՐtre bien ensemble, le plaisir
du gožt, lÕharmonie entre lՐtre humain et les productions de la nature1. È
Bien manger implique diffŽrents moments et Žtapes qui commencent par le choix des
mets, dans une abondance de recettes des plus traductionnelles aux plus innovantes.
Puis il y a le choix de Ç bons È produits, avec une prŽfŽrence pour la production locale
et traditionnelle, et leur harmonisation. Toutefois, le repas est avant tout un moment de
communion et de partage. Dans une table bien dŽcorŽe, dont chaque instrument est ˆ
une place dŽfinie, le rituel sÕinstalle par lÕapŽritif et se termine par le digestif. Ce
modle gastronomique franais, qui inclut certains produits comme le vin ainsi que les
codes de bonnes manires ˆ table, a ŽtŽ exportŽ dans le monde. Les rŽsultats dÕun
programme de recherche rŽalisŽ par lÕObservatoire Ciel des Habitudes Alimentaires
(OCHA) sur les adolescents (AlimAdos 2006-2010) montre combien des jeunes issus de
cultures et de milieux divers aujourdÕhui en France Ç inscrivent leur modernitŽ
alimentaire au filtre du modle alimentaire franais2. È Les chercheurs ont observŽ un
attachement des adolescents au repas familial et ˆ un ensemble de rgles. Ils sont les
premiers ˆ les dŽcrier et ˆ les transgresser entre 13 et 17 ans, mais ils en reconnaissent
lÕintŽrt ds 17-18 ans3.
Toutefois, dans un monde en constant changement et globalisŽ, il est possible de se
questionner sur dÕautres valeurs que la sociŽtŽ mobilise lors de lÕacte de manger.
SÕinscrivent de plus en plus dans la culture franaise des pratiques Ç amŽricanisŽes È
comme les Ç fast food È. Elle sont lÕantithse du bien manger ˆ la franaise, avec des
plats peu diversifiŽs quÕil faut manger en toute vitesse et qui sont inadaptŽs ˆ la
prŽservation d«une bonne santŽ, mais il y a aussi des types dÕÇalimentation
particuliresÈ 4. Ces dernires se justifient par le souci des individus d«avoir une bonne
santŽ, mais elles sÕexpliquent Žgalement par des questions Žthiques. Les pratiques
motivŽes par le souci de la santŽ se caractŽrisent soit par une surveillance contraignante
de lÕalimentation en raison de pathologies graves comme les allergies alimentaires et les
intolŽrances au gluten par exemple. Cela nŽcessite lՎlimination de certains aliments, ce
qui reprŽsente une contrainte, qui permet cependant ˆ lÕindividu dՐtre actif dans son
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
http://www.unesco.org/culture/ich/fr/RL/le-repas-gastronomique-des-francais-00437 (consultŽ le 15
janvier 2016).
2
AlimAdos : Comportements alimentaires des adolescents et origines culturelles. ƒtude comparŽe du
rapport aux aliments des jeunes de 12 ˆ 19 ans, 2006-2010). http://www.lemangeur-ocha.com
3
http://www.lemangeur-ocha.com (consultŽ le 15 janvier 2016).
4
http://www.lemangeur-ocha.com/colloque-ocha-les-alimentations-particulieres-a-paris-les-19-et-20janvier-2012/(consultŽ le 15 janvier 2016).
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rapport ˆ lÕalimentation et de sÕapproprier la gestion du risque relatif ˆ certaines
maladies. Le gožt et le plaisir ainsi que les sens de convivialitŽ restent intacts. DÕautres
pratiques, qui sÕinscrivent dans une logique de prŽvention, sÕexpliquent par la peur plus
ou moins justifiŽe de contracter des maladies comme lÕobŽsitŽ, le cancer, les maladies
cardiovasculaires ou des problmes de santŽ comme par exemple les toxi-infections ou
lÕinfertilitŽ liŽes aux perturbateurs endocriniens. La disponibilitŽ des produits appelŽs
alicaments (functional food) comme par exemple les yaourts Ç Danacol È de Danone,
capables de Ç rŽduire le taux de cholestŽrol È, ou la margarine Ç St Huber È enrichie en
omŽga 3 et commercialisŽe pour la Ç bonne santŽ cardiovasculaire È, montre comment
les industries agroalimentaires rŽpondent ˆ cette demande, ˆ ce dŽsir de manger tout en
se soignant, et lÕencouragent.
Certaines pratiques sont aussi fondŽes sur des mythes ou des croyances alimentaires.
Ces derniers sont ˆ lÕorigine soit des informations initialement considŽrŽes comme
vŽridiques puis dŽmenties mais qui persistent dans la sociŽtŽ, soit des intuitions
supposŽes sur les vertus ou les dangers de certains aliments1. Certains exemples
concernent lÕalimentation de groupes sanguins, le crudivorisme, la macrobiotique, les
rŽgimes dissociŽs, etc. Ces derniers, qui consistent ˆ manger une seule et unique
catŽgorie d'aliments, sont fondŽs sur le principe erronŽ selon lequel Çchaque aliment
consommŽ isolŽment ne fait pas grossir et que l'aliment consommŽ n'est pas important,
mais que ce sont le moment et la manire dont il est consommŽ qui le sont 2È. Il existe
aussi dÕautres pratiques alimentaires dont s«emparent des entreprises et qui prŽtendent
rŽpondre ˆ un service dans le cadre du marchŽ. A titre dÕexemple, citons Weight
Watchers (WW), une entreprise amŽricaine cotŽe en bourse et qui gŽnre des millions
de dollars de gain en proposant un programme pour Ç rŽapprendre ˆ manger et perdre du
poids en mangeant de tout et de ce quÕon aime 3È. Le WW offre un programme
dÕaccompagnement (en ligne ou en prŽsentiel, par groupe), pour bien manger en
choisissant les aliments avec un systme de points en fonction de la quantitŽ des calories
et alors que la qualitŽ de aliments est suggŽrŽe comme Žtant secondaire. Ce systme est
liŽ Žgalement ˆ lÕachat de produits WW que nous pouvons trouver facilement dans les
supermarchŽs. Ce type dÕalimentation que lÕon quantifie et calcule, conduit ˆ un autre
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
A ce sujet, voir notre Žtude 2015, La Nutrition 100 questions rŽponses, Paris, Ellipses, 2015. Chaque
question est classŽe comme relevant d«un fait, d«un mythe ou d«une prŽsomption. Elles sont abordŽes et
expliquŽes avec un souci pŽdagogique de clartŽ et de pertinence, suivi dÕune recommandation.
2
http://www.regimesmaigrir.com/regimes/shelton.php. (ConsultŽ le 15 mars 2016)
3
Https://www.weightwatchers.com/fr/(ConsultŽ le 15 mars 2016)
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rapport aux aliments et s«oppose ˆ une alimentation saine et nourricire. Aux
dimensions de plaisir et de convivialitŽ sÕajoute une prŽoccupation de plus en plus
importante ˆ lՎgard de la santŽ et du bien-tre. Ces derniers riment avec un idŽal de
minceur qui sÕassocie avec lÕidŽal de beautŽ au sein de la sociŽtŽ contemporaine. Le
modle de minceur devient aussi le signe dÕaccomplissement personnel synonyme de
rŽussite et de contr™le de soi. Or, cet idŽal favorise un comportement ˆ risque comme
les rŽgimes restrictifs et les troubles de type anorexie et boulimie. A cette obsession de
la minceur sÕajoutent des prŽoccupations motivŽes par lÕampleur de lՎpidŽmie de
maladies comme lÕobŽsitŽ, le diabte et lÕhypertension, mais aussi par les multiples
controverses et scandales. Le meilleur exemple est sans doute celui de lÕaffaire de 2013
concernant la prŽsence de la viande de cheval dans des lasagnes Findus, du fabriquant
Spanghero, qui ont conduit ˆ une crise de confiance des franais dans la traabilitŽ dans
du secteur alimentaire et ˆ une interrogation sur ce quÕils consomment.
DÕautres pratiques comme le rŽgime bio1, le vŽgŽtarisme ou le vŽgŽtalisme, peuvent
rŽsulter dÕengagements Žthiques dŽfinis relatifs au respect de lÕenvironnement, au bientre animal et aux conditions dՎlevage. Cela montre le souci Žthique des
consommateurs qui sont concernŽs par les enjeux sociŽtaux liŽs ˆ lÕenvironnement, aux
anomaux et aux gŽnŽrations futures. Corine Pelluchon le souligne dans Les
Nourritures :
Ç La prise en compte des dŽfis globaux et ˆ long terme liŽs ˆ la crise environnemental, la protection
dÕune biosphre fragile, dont les ressources ne sont pas infinies, et lՎquitŽ intergŽnŽrationnelle et
interspŽcifique exigent de repenser de fond en comble la justice2. È
Pour lÕauteur, la justice est considŽrŽe comme le partage des nourritures. En effet,
Ç mon rapport aux nourritures est le lieu originaire de lՎthique È et cela implique que
nos gestes au quotidien, les choix dÕaliments et la manire dont nous mangeons se
constituent comme une exigence Žthique pour la sociŽtŽ actuelle et future. Cela conduit
ˆ inscrire la question animale et lՎcologie dans le dŽbat politique actuel. Ce type
dÕalimentation Ç Žthique È nous interpelle en raison des inŽgalitŽs constatŽes par
certains chercheurs franais et Žtrangers au sujet de la population cible : cette
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Par exemple, lÕalimentation bio, est prisŽe en raison de ses effets supposŽs bŽnŽfiques sur la santŽ et
parce quÕelle est moins polluante que le non bio. SÕil nÕa pas ŽtŽ dŽmontrŽ quÕune alimentation biologique
Žtait meilleure en termes de qualitŽ nutritionnelle quÕun rŽgime non bio, les personnes qui y adhŽrent ont
des pratiques plus sains et proches des recommandations du PNNS ˆ savoir une mmeilleure
consommation de fruits et de lŽgumes. https://www.etude-nutrinet-sante.fr/fr/common/login.aspx
(ConsultŽ le 15 mars 2016)
2
C. Pelluchon, Les Nourritures, Philosophie du corps politique, op.cit., p. 205.
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alimentation est promue chez les groupes sociaux bŽnŽficiant dÕun niveau dÕinstruction
ŽlevŽe et de hauts revenus1.
Par consŽquent, lÕenjeu de la sociŽtŽ actuelle consiste ˆ concilier dans lÕacte de
manger, la convivialitŽ et le plaisir avec le souci de la santŽ, en visant Žgalement le
respect de lÕenvironnement.
Avec les politiques publiques nutritionnelles et les multiples campagnes publicitaires
qui sÕimposent sur certains produits et dans tous les mŽdias (Ç au moins 5 fruits et
lŽgumes par jour, etc. È), nous sommes confrontŽs ˆ un paradoxe : lÕacte individuel ou
Ç privŽ È de manger devient un acte Ç politique È. Autrement dit, la faim, les gožts, les
choix et les besoins nutritionnels sont privŽs, mais la malnutrition est publique et nos
choix de consommation ont un impact sur les autres hommes. LÕenjeu ici est de
concilier les libertŽs individuelles dans les choix alimentaires et les revendications de
recommandations nutritionnelles pour tous. Pour le PNNS, lÕacte de Ç bien manger È est
fondŽ sur neuf repres applicables ˆ toute la population et ses recommandations
transmettent le souci de Ç se nourrir È pour une question de santŽ, en vue de la
prŽvention des maladies. Ces recommandations sont le rŽsultat de lÕanalyse d«experts
qui
tiennent
compte
de
lՎvidence
scientifique
suffisante
(grandes
Žtudes
ŽpidŽmiologiques, Žtudes contr™lŽes et randomisŽes) mais il y a aussi des nombreuses
incertitudes dans lÕavis de ces experts. La mise en place de ces recommandations est
justifiŽe par lՎvaluation du rapport cožt-efficacitŽ de ces politiques. Par exemple, une
Žvaluation de la politique par lÕInstitut national de la recherche agronomique avec des
Žvaluations compatibles avec les valeurs cožt/efficacitŽ obtenues pour de nombreuses
autres politiques publiques au niveau international, permet dÕaffirmer quÕune campagne
dÕinformation du type Ç manger au moins 5 fruits et lŽgumes par jour È :
Ç rŽduit le nombre de morts de 255, et sauve 3540 jours de vie, avec un cožt moyen dÕune vie
ŽconomisŽe de 43K$, et celui dÕune annŽe de vie sauvŽe de 3K$, gr‰ce ˆ une augmentation
moyenne de la consommation de fruits et lŽgumes de 3,58g/j2.È
Ces exigences en termes Žconomiques sont pleinement justifiŽes. Elles prendront ˆ
l«avenir une place de plus en plus significative dans la mesure o la mŽdecine et la
recherche biomŽdicale ont un cožt majeur pour la sociŽtŽ. Il sÕagit, dans la pratique de
la nutrition de concilier et de traduire ces recommandations au cas par cas. Toutefois, il
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid, et Etude Nutrinet santŽ https://www.etude-nutrinet-sante.fr/fr/common/login.aspx (consultŽ le 16
mars 2016)
2
INRA http://www.sae2.inra.fr (ConsultŽ le 16 mars 2016)
!
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est pertinent de se demander si la dŽfinition de Ç bien manger È et les valeurs impliquŽes
dans lÕacte de Ç se nourrir È, dans le cadre des politiques nutritionnelles ˆ visŽe
prŽventive, sont identiques ˆ celles qui sont promulguŽes dans une dynamique de soins.
1.2.1 La politique nutritionnelle relative ˆ l'alimentation et ˆ la nutrition dans les
Žtablissements de santŽ en France
Le point de dŽpart de notre rŽflexion relative aux prioritŽs, au cadre rŽglementaire et
aux enjeux dÕune politique publique ciblŽe sur l'alimentation et la nutrition dans les
Žtablissements de santŽ, se fonde sur lՎtude menŽe, en 1997, par le Pr B. Guy Grand
lors de sa mission dՎvaluation des besoins. Il soulignait dans son rapport un triple
constat : premirement, une mŽdicalisation insuffisante des problmes nutritionnels,
notamment face ˆ la dŽnutrition frŽquente des patients. Deuximement, des failles dans
la qualitŽ de lÕalimentation hospitalire. Troisimement, une quasi absence de formation
initiale et continue des personnels hospitaliers, et un nombre insuffisant des
diŽtŽticiennes. Son analyse a ŽtŽ ˆ lÕorigine de la prise de conscience des enjeux
mŽdico-sociaux liŽs aux troubles nutritionnels. Il suggre la mise en place dÕun ComitŽ
de Liaison Alimentation Nutrition (CLAN) et dÕune stratŽgie pour organiser les soins
nutritionnels de manire transversale dans les Žtablissements des soins. Il propose ces
comitŽs ˆ lÕinstar des ComitŽs de Lutte contre Les Infections Nosocomiales (CLIN), qui
depuis 1980, ont fait largement la preuve de leur efficacitŽ dans la ma”trise du risque
bactŽriologique hospitalier1.
Depuis 2001, cette rŽflexion sÕinscrit dans le cadre du premier PNNS ˆ la suite de la
commission prŽsidŽe par le Professeur C. Ricourt qui a mis au point un certain nombre
dÕoutils pour amŽliorer lՎvaluation du risque nutritionnel et de sa prise en charge. Cela
a conduit ˆ des changements relatifs ˆ lÕoffre de soins nutritionnels en milieu
hospitalier. Aux CLAN sÕest ajoutŽe lÕunitŽ transversale de nutrition clinique (UTNC)2.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
B. Guy-Grand, Alimentation en milieu hospitalier : rapport de mission ˆ Monsieur le Ministre chargŽ
de la santŽ, 1997, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/974060600/ (consultŽ le 30
novembre 2015).
Ricour C., Zazzo F. Mise en place dÕune politique nutritionnelle dans les Žtablissements de santŽ.
http://www.mangerbouger.fr/pro/IMG/pdf/RapportRicour-Nutritrion-EtablissementsSante.pdf
Circulaire DHOS/E1 n¡ 2002-186 du 29 mars 2002 relative ˆ l'alimentation et ˆ la nutrition dans les
Žtablissements de santŽ. http://sante.gouv.fr/fichiers/bo/2002/02-16/a0161475.htm
C. Couet, Ç UnitŽs transversales de nutrition clinique : contexte, enjeux et crŽation È, Cah. Nutr. Diet.,
2009, 44 : 151-152.
2
Circulaire DHOS/E1 n¡ 2002-186 du 29 mars 2002 relative ˆ l'alimentation et ˆ la nutrition dans les
Žtablissements de santŽ. http://sante.gouv.fr/fichiers/bo/2002/02-16/a0161475.htm, (consultŽ le 30
novembre 2015).
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Ces outils ont permis dÕoffrir aux Žtablissements de santŽ un cadre gŽnŽral, dŽclinŽ au
niveau national avec le ComitŽ National dÕAlimentation et de Nutrition des
Etablissements de SantŽ (CNANE) et au niveau local avec les CLAN1. Les CLAN
sÕinscrivent dans une dŽmarche dՎvaluation de lÕactivitŽ de ces Žtablissements et de
lÕobligation dÕamŽlioration continue de la qualitŽ des soins dispensŽs (articles L. 6113-1
ˆ L. 6113-3 du code de la santŽ publique). Leur mission est triple : fournir des conseils
pour amŽliorer la prise en charge nutritionnelle des patients et de la qualitŽ de
lÕensemble de la prestation alimentationÐnutrition ; favoriser lÕimpulsion dÕactions
adaptŽes ˆ lՎtablissement et destinŽes ˆ rŽsoudre des problmes concernant
lÕalimentation ou la nutrition ; proposer des formations pour les personnels impliquŽs.
Les objectifs des CLAN visent, dÕune part, ˆ assurer des actions ciblŽes et concrtes
telles que des restructurations (par exemple des cuisines), et la mise en conformitŽ avec
les aspects rŽglementaires, des facilitŽs logistiques et des gains financiers et/ou
comptables, et, dÕautre part, ˆ prŽciser lÕanalyse des besoins du patient dans la tous leurs
aspects et leur satisfaction en ce qui concerne lÕalimentation (restauration) et la
nutrition.
Il est important de souligner le caractre non obligatoire des CLANs, contrairement
aux CLINS2, puisquÕil sÕagit seulement dÕune Ç dŽmarche incitative qui doit sÕinscrire
dans le projet dՎtablissement È3. Cela est dÕautant plus surprenant que le constat est fait
quÕenviron 5% des patients qui sŽjournent ˆ lÕh™pital contractent une infection au sein
de lՎtablissement4 contre un taux de dŽnutrition de 30 ˆ 50% qui sÕavre Žgalement,
dans la majoritŽ des cas, nosocomial. Comment justifier cette inŽgalitŽ entre les prioritŽs
relatives aux infections nosocomiales et celles qui concernent la nutrition ? Toutefois,
en imposant les soins nutritionnels comme une condition de la qualitŽ dans les soins, les
Žtablissements de santŽ se sont appropriŽs les CLANs de manire progressive : en 2008,
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
En ce qui concerne les Žtablissements publics de santŽ, les interventions dÕun tel comitŽ doivent
sÕarticuler avec les attributions de la commission mŽdicale dՎtablissement (CME). En effet, lÕarticle L.
6144-1 CSP indique que la CME : " 3¡ prŽpare avec le directeur la dŽfinition des orientations et les
mesures relatives ˆ la politique dÕamŽlioration continue de la qualitŽ mentionnŽe aux articles L. 6113-2 et
L. 6113-3 " . Ces dispositions valent notamment en matire dՎlaboration de la politique de nutrition.
2
Tout Žtablissement de santŽ avait obligation de crŽer un comitŽ de lutte contre les infections
nosocomiales (CLIN) et de se doter d'une Žquipe opŽrationnelle d'hygine (EOH) avant le 31 dŽcembre
2001.
3
Le C.L.A.N en 10 questions, PNNS, 2004.
http://www.inserm.fr/thematiques/immunologie-inflammation-infectiologie-et-microbiologie/dossiers-dinformation/infections-nosocomiales
4
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selon une enqute portant sur 1250 Žtablissements en France, (sur 2789, soit 44, 8% de
rŽponses) 73 % possŽdait une CLAN.
En ce qui concerne les UTNC, leurs missions principales sont le dŽpistage et la prise
en charge des troubles nutritionnels auxquels sÕajoutent des missions de recherche1.
Elles regroupent des moyens humains et techniques individualisŽs au sein desquels
sÕexprime une pluralitŽ de compŽtences. Ainsi, depuis 2008, 9 UTNC ont ŽtŽ crŽŽes
(aux CHU de Caen, Lille, Lyon, Nancy, Paris (Joffre-Dupuytren et Necker), Rouen et
Toulouse) de manire expŽrimentale2. Ce type dÕorganisation transversale de la
nutrition clinique a pour objectif dÕamŽliorer la qualitŽ et la sŽcuritŽ des soins en
organisant lՎvaluation systŽmatique de lՎtat nutritionnel des patients, dans les 48
premires heures dÕhospitalisation, la surveillance, lÕintŽgration du traitement
nutritionnel et lՎducation du patient dans le projet de soins3. La figure 6 montre cette
organisation des soins.
Au sein de cette organisation, le mŽdecin se trouve au premier niveau lorsquÕil
identifie le risque nutritionnel et adresse le patient aux diŽtŽticiens ou aux mŽdecins
nutritionnistes. Il est Žgalement concernŽ par le troisime niveau de soins, celui qui
correspond ˆ la prise en charge par un expert4 . Lors de cette prise en charge, le mŽdecin
est responsable des soins de deuxime ˆ la cinquime Žtape. Cela signifie que le patient
bŽnŽficiera
-
dÕun diagnostic nutritionnel et dÕun avis thŽrapeutique complŽmentaires ;
-
dÕune proposition de soins nutritionnels adaptŽe aux capacitŽs fonctionnelles du
tube digestif ;
-
dÕune organisation de la prise en charge ambulatoire des soins nutritionnels ;
-
dÕun suivi nutritionnel rŽgulier en ambulatoire ou h™pital de jour5.
PrŽcisons toutefois que cette organisation est rŽgie par un ensemble de textes
rglementaires et de normes juridiques susceptibles dÕorienter la pratique des mŽdecins.
Ces textes peuvent tre classŽs selon une typologie relative aux ŽlŽments suivants :
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Deuxime programme national nutrition santŽ 2006-2010. Actions et mesures.
http://www.mangerbouger.fr/IMG/pdf/PNNS2-Complet.pdf, (consultŽ le 15 mars 2016)
2
Les UTC existent aux Etats unis depuis les annŽes soixante-dix. GL. Blackburn, A. Bothe Jr, MA.
Lahey, Ç Organization and administration of a nutrition support serviceÈ, Surg Clin North Am 1981, vol.
61, p. 709-719.
3
Ministre des affaires sociales et de la santŽ et Direction gŽnŽrale de lÕoffre de soins, Synthse
pŽdagogique sur lÕorganisation transversale de la nutrition au sein des Žtablissements de santŽ et
mŽdico-sociaux, Bilan de lÕexpŽrimentation des UTNC 2008-2011 et propositions. op.cit. p.5
4
Signalons, sur ce point, que les enjeux autour de la dŽfinition du mŽtier de nutritionniste seront analysŽs
dans le chapitre trois de cette partie
5
Ibid., p. 7.
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-
statut de lÕaliment,
-
organisation des soins,
-
dŽontologie mŽdicale.
Ce cadre rŽglementaire vient sÕajouter ˆ tous les textes juridiques qui concernent le
droit ˆ lÕalimentation de manire implicite ou explicite (Tableau 4). Le respect de ce
droit dans le cadre de la nutrition clinique, facteur dŽcisif dans lÕanalyse de notre
deuxime partie, doit tre apprŽhendŽ, de notre point de vue, comme le droit ˆ Ç tre
nourri È, et plus prŽcisŽment, comme le droit ˆ recevoir un support nutritionnel adaptŽ et
qui doit tre garanti par les institutions et les soignants. Trois arguments justifient cette
argumentation : le cadre rŽglementaire permet, en premier lieu, de donner un statut
particulier aux nutriments artificiels, quÕils soient administrŽs par voie orale, entŽrale ou
parentŽrale. Ils sont conus soit comme des ADFMS, soit comme des mŽdicaments, ce
qui implique une expertise mŽdicale spŽcifique. Deuximement, il permet dÕintŽgrer de
manire cohŽrente le support nutritionnel (NE, NP, SNO) dans les soins mŽdicaux
gŽnŽraux et positionne ainsi les mŽdecins aux diffŽrents niveaux des soins nutritionnels.
Troisimement, la loi de 2 fŽvrier de 2016, en considŽrant la nutrition artificielle comme
un traitement, et sous rŽserve que la volontŽ du patient soit prise en compte, permet
lÕarrt ou lÕabstention de la nutrition artificielle au mme titre que les autres traitements
actifs si elle nÕa pour seul but que le maintien artificiel de la vie, ce qui revient ˆ rŽduire
celle-ci ˆ un traitement inutile ou disproportionnŽ.
A ce point de notre rŽflexion, force est de constater que ce cadre normatif et les
politiques nutritionnels concernant la nutrition clinique sont le rŽsultat dÕune
interrogation relative ˆ la fois ˆ la restauration, et plus rigoureusement, ˆ la fonction
quÕimpliquent le confort et lÕaccueil du patient, et ˆ la Ç fonction mŽdicale È de la
nutrition, autrement dit, ˆ ce que nous avons appelŽ les soins nutritionnels. CÕest qui est
en jeu dans cette conception de la nutrition et de lÕalimentation, c«est, son impact sur le
bien-tre et/ou la qualitŽ de vie de la personne sa guŽrison et sa survie des patients. Pour
concilier ces deux fonctions, il est nŽcessaire de comprendre que lÕenjeu du Ç bien
manger È est principalement de ne pas exclure les dimensions de plaisir et de
convivialitŽ, dÕautant plus que Ç se nourrir È peut signifier aussi Ç tre alimentŽ par
autrui È tout en sachant que les soins nutritionnels participent aux processus globaux des
soins mŽdicaux. Il est ainsi possible de conclure que nourrir lÕhomme malade est une
prŽoccupation pour les dŽcideurs politiques. Cependant, cela ne se traduit pas par des
!
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pratiques homognes dans le milieu hospitalier franais. Le Pr. Basdevant1 signale
dÕailleurs, en 2013, des difficultŽs et des insuffisances dans lÕorganisation et la
coordination des soins nutritionnels dans les divers Žtablissements de soins. Les raisons
ŽvoquŽes sont les suivantes :
Ç Les insuffisances dans la coordination des soins sont liŽes ˆ de nombreux facteurs. On peut citer
en premier lieu un dŽfaut de gradation des soins et un cloisonnement des intervenants dÕautant plus
problŽmatiques quÕil faut gŽrer plusieurs pathologies gŽrŽes par diffŽrentes Žquipes mŽdicales qui
ne sont pas toujours en cohŽrence les unes avec les autres2.È
Figure 13. Cadre rglementaire de la nutrition clinique.
Cela sÕexplique principalement par le manque de formation initiale de mŽdecins en
nutrition et par les difficultŽs relatives ˆ la dŽfinition du mŽtier de nutritionniste. La
nutrition Žtant limitŽe ˆ une formation complŽmentaire pour les mŽdecins, cela empche
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
A. Basdevant, Propositions pour un nouvel Žlan de la politique nutritionnelle franaise de santŽ
publique dans le cadre de la StratŽgie Nationale de SantŽ, Mesures concernant la Prise en charge des
maladies liŽes ˆ la nutrition, Ministre de la SantŽ, 2013,
http://sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_Basdevant_15_11_2013.pdf. (consultŽ le 16 mars 2016).
2
Ibid.p.7.
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la cohŽrence des soins nutritionnels. A cela sÕajoute le fait que les professionnels de la
santŽ en nutrition ne sont pas en mesure actuellement de rŽpondre ˆ la demande1 : faible
nombre de nutritionnistes, des activitŽs de diŽtŽtique non valorisŽes, des effectifs
contraints, etc. Dans ce contexte, il est urgent de dŽfinir des stratŽgies et des politiques
dՎducation en nutrition qui viseront ˆ rŽorienter les missions et les mŽtiers des
professionnels de santŽ. Il sÕagit, en particulier, de reprendre la formation initiale des
mŽdecins et de parvenir ˆ la validation dÕune spŽcialitŽ en nutrition.
Ces diffŽrentes Žtapes de notre recherche nous conduisent par consŽquent ˆ nous
questionner sur les raisons qui rendent nŽcessaire lÕamŽlioration de la formation des
mŽdecins en nutrition. Il sÕagit ainsi de comprendre pourquoi, malgrŽ les liens Žvidents
entre mŽdecine et nutrition, ces deux sciences ne se trouvent gure associŽes dans la
formation des professionnels de santŽ.
1.2 La place de la nutrition dans lÕenseignement de la mŽdecine du XVIIIme au
XIXme sicle
Avant dՎtudier la situation actuelle de lÕenseignement de la nutrition dans les Žcoles
de mŽdecine et la dŽfinition du mŽtier de nutritionniste, il est nŽcessaire de faire un bref
rappel historique afin de comprendre lÕorigine de cette dissociation entre mŽdecine et
nutrition dans le parcours de formation mŽdical2.
La question de la formation des mŽdecins en nutrition nÕest pas nouvelle3. Dans
lÕhistoire de la mŽdecine, nous constatons que cette problŽmatique est liŽe ˆ la recherche
dÕun positionnement de la nutrition au sein de la pratique de la mŽdecine. En effet, loin
dՐtre Žvidente, la pertinence de la nutrition dans la thŽrapeutique mŽdicale a ŽtŽ objet
des questionnements permanents. Dans lÕAntiquitŽ, les mŽdecins considŽraient la
diŽtŽtique comme une partie de lÕarsenal thŽrapeutique et avaient fait des aliments un
remde contre les maladies et le dŽsŽquilibre des humeurs. Ces principes antiques
restent presque intacts jusquÕau XVIIme sicle, lorsque les progrs des sciences ont
confirmŽ le r™le de lÕalimentation dans la guŽrison de certaines maladies et dans la
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid, p. 8.
Certains aspects historiques et ŽpistŽmologiques de la science de la nutrition ont dŽjˆ ŽtŽ abordŽs dans la
premire partie. Nous allons ici nous limiter ˆ lÕaspect historique de lՎducation de cette science.
3
C. Marchand, Ç Le mŽdecin et lÕalimentation. Principes de nutrition et recommandations alimentaires en
France (1887-1940) È, p. 45. p. 45. Thse de doctorat soutenue ˆ lÕuniversitŽ Franois Ð Rabelais de
Tours, 2014.
2
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prŽservation de lՎtat de santŽ. A partir du XIXme cependant, les maladies sont
abordŽes sous la perspective de la bactŽriologie suite aux dŽcouvertes de Louis Pasteur,
la prophylaxie et le traitement des maladies infectieuses occupant alors une place
prŽpondŽrante. LÕhygine publique devient une affaire prioritaire pour lÕEtat. La chimie
confirme ainsi sa place dans la thŽrapeutique. La biologie et la physiologie permettent
une meilleure connaissance du fonctionnement du corps humain. Ainsi, lÕenseignement
de lÕhygine et la thŽrapeutique oriente la mŽdecine moderne en France.
Par ailleurs, au XIXme sicle, face ˆ de nombreuses dŽcouvertes, en particulier celle
des mŽdicaments, la place de la diŽtŽtique se fait de plus en plus restreinte1. MalgrŽ les
liens historiques entre la diŽtŽtique et la thŽrapeutique depuis lÕAntiquitŽ, ceux-ci se
distendent progressivement avec le progrs de la pharmacopŽe. Selon Apollinaire
Bouchard, professeure dÕhygine ˆ la facultŽ de mŽdecine :
Ç comment ne pas comprendre et admirer les succs Žclatant de la thŽrapeutique pharmacologique,
lorsquÕils sÕappuient sur la dŽcouverte et lՎtude des propriŽtŽs de la quinine, de la morphine, de
lÕatropine, de la digitaline, des iodure et bromure de potassium, du chloroforme et du chloral, etc.?
Avec pareilles armes ˆ manier, on comprend trs bien lÕamoindrissement progressif de la
thŽrapeutique hygiŽnique2. È
Les travaux dÕenseignant du Georges Dujardin-Beaumetz qui tente de maintenir la
place de lÕhygine alimentaire et de redŽfinir Ç sur de bases aussi scientifiques que
possible È3 la nutrition au sein de la pratique de la mŽdecine en sont la preuve. Il publie
en 1886 L'hygine alimentaire : aliments, alimentation, rŽgime alimentaire dans les
maladies, destinŽ aux ŽlevŽs de la facultŽ de Paris ˆ lÕh™pital de Cochin afin quÕils
prennent conscience de la place toujours aussi primordiale de lÕalimentation dans le
traitement de la maladie, prŽcisant ainsi que la thŽrapeutique ne se limite pas ˆ la seule
prescription pharmacologique des mŽdicaments. Il faut souligner que le recours au
terme dÕÇ hygine alimentaire È exprime la volontŽ dÕune rupture avec lÕancienne
diŽtŽtique et lÕaffirmation dÕune discipline fondŽe sur des Žvidences scientifiques.
DŽsormais lÕÇ hygine thŽrapeutique È est la partie de la mŽdecine ˆ laquelle correspond
lÕancienne Ç diŽtŽtique È. La science du rŽgime alimentaire dans les maladies se dŽfinit
de nos jours comme Ç diŽtŽtique È :
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid.
A. Bouchardat Ç ConsidŽrations gŽnŽrales sur lÕhygine thŽrapeutique È, BGTM 1874, vol. 87, p. 145146.
3
G. Dujardin-Beaumetz, LÕhygine alimentarie: aliments, alimentation, rŽgime alimentaire dans les
maladies, Paris, Doin, 1889, p. VI.
2
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ÇOn donnait autrefois ˆ cet ensemble de moyens [hygine thŽrapeutique] le nom de diŽtŽtique, mot
que lÕon a attribuŽ depuis plus particulirement ˆ lÕhygine alimentaire1. È
Par consŽquent, les mŽdecins considrent la Ç dite È comme synonyme de
ÇrŽgimeÈ :
Ç Ce mot pris quelque fois comme synonyme dÕabstinence est surtout employŽ en mŽdecine pour
dŽsigner le rŽgime, aussi bien chez lÕhomme sain que chez le malade2. È
A partir de 1890, les traitŽs dÕhygine alimentaire regroupent le savoir mŽdical sur
lÕalimentation de lÕhomme sain et malade3. Cependant, la question alimentaire (plus
prŽcisŽment lÕhygine alimentaire) est absente de lÕenseignement mŽdical.
A la fin du XIXme sicle, le dipl™me de doctorat sÕaffirme comme le seul titre
valable pour exercer la mŽdecine. Il peut sÕobtenir auprs de huit facultŽs de mŽdecine
aprs cinq annŽes dՎtudes puis la soutenance dÕune thse. Au cours de cette pŽriode,
lÕenseignement anatomie-clinique qui prŽdomine commence ˆ cŽder la place aux
enseignements en biologie, physiologie et aux techniques de laboratoire. Il est important
de souligner quÕil nÕexiste pas, ˆ ce stade, de cours spŽcifique sur lÕalimentation, celle-ci
Žtant enseignŽe dans plusieurs matires comme la physiologie, la chimie biologique, la
bactŽriologie et lÕhygine.
Concernant la thse, on considre que le sujet peut tre un facteur dŽterminant dans
la future vocation des Žtudiants en mŽdecine. Il peut sÕagir dÕun mŽmoire rŽcapitulatif
des connaissances dans un domaine prŽcis de la mŽdecine ou de travaux de recherche
qui font appel ˆ lÕobservation et ˆ lÕexpŽrimentation dans lesquels les h™pitaux servent
souvent de terrain dՎtude. Or le nombre dՎtudiants traitant de la nutrition ou de
lÕalimentation dans un sujet de thse de mŽdecine est trs rare. En effet, entre 1880 et
1892, celles-ci reprŽsentent moins de 1% des sujets dՎtudes4. Cela montre bien que
lÕalimentation et lÕhygine alimentaire ne sont pas considŽrŽes comme des objets
dÕanalyse pertinents pour les Žtudiants de mŽdecine5.
En ce qui concerne lÕenseignement pratique Ç clinique È, ds 1843, les stages dÕune
annŽe sont obligatoires pour tous les Žtudiants de troisime annŽe, avant de devenir par
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid., p.11.
P. Labarthe, Dictionnaire populaire de mŽdecine usuelle, Paris, Marpon et Flammarion, 1887, p. 618.
3
C. Marchand, Ç Le mŽdecin et lÕalimentation. Principes de nutrition et recommandations alimentaires en
France (1887-1940) È, op.cit., p.71.
4
Ibid, p.71.
5
Ibid, p.72.
2
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la suite obligatoires ds la premire annŽe. LÕenseignement de lÕhygine alimentaire est
quasi inexistant dans ces stages, en dehors de quelques exemples, comme les
enseignements de Georges Dujardin-Beaumetz et de son disciple Godefroy Bardait.
Il est possible dÕexpliquer ce manque dÕintŽrt pour la question de lÕalimentation, par
le contexte dans lequel sÕexerce ˆ cette Žpoque la mŽdecine qui fait des maladies
ŽpidŽmiques le thme majeur et le plus urgent parce que la disponibilitŽ de nouveaux
traitements dŽveloppŽs sur des bases scientifiques suscite lÕintŽrt des mŽdecins. Ainsi,
C. Marchand explique que
Ç les dŽcouvertes scientifiques nutritionnelles restaient encore celles du laboratoire. Cette science,
jeune et balbutiante, nՎtait pas encore vulgarisŽe. La question de lÕhygine alimentaire restait
lÕapanage dÕune hygine individuelle, et le plus souvent dÕune population aisŽe et informŽe. Or les
questionnements des mŽdecins-hygiŽnistes de la fin du XIXme sicle tournaient autour des flŽaux
sociaux et des maladies ŽpidŽmiques qui Žtaient beaucoup plus urgents1. È
De plus, comme nous lÕavons analysŽ dans la premire partie, la nutrition du malade
nÕest plus une prŽoccupation du mŽdecin ni un objet prioritaire de ses recherches malgrŽ
le fait Žtabli que, dans le rglement intŽrieur des h™pitaux, seuls les mŽdecins sont
compŽtents pour traiter du rŽgime des malades. Dans les faits, les soins nutritionnels
concernent principalement lÕinfirmire et leur gestion est confiŽe ˆ lÕintendance tenue
par Ç lՎconome È. Il y a ainsi un dŽcalage entre ce que les mŽdecins sont censŽs faire et
leur savoir.
Ensuite, dans les annŽes 1920 et 1930, il y a une mise en place dÕun enseignement
complŽmentaire et non obligatoire sur ces sujets dans les facultŽs de mŽdicine. Certes, il
nÕy a pas dans le curriculum officiel un enseignement traitant spŽcifiquement de
lÕalimentation, mais les Žtudiants peuvent acquŽrir certaines connaissances par le biais
dÕautres disciplines. De cette manire, les professeurs de mŽdecine Žlvent la diŽtŽtique
(hygine alimentaire) au mme niveau que les autres disciplines mŽdicales, sans
toutefois arriver ˆ obtenir une chaire mŽdicale indŽpendante. Il faut reconna”tre toutefois
que lÕenseignement de la diŽtŽtique et de lÕalimentation rationnelle se dŽveloppe
davantage que dans les dŽcennies prŽcŽdentes, ce qui profite non seulement aux
mŽdecins mais aussi plus gŽnŽralement ˆ lÕensemble du corps soignant en particulier
aux infirmires.
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1
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Ibid.
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En 1937, lors du IIme congrs scientifique international de lÕalimentation, les
mŽdecins affirmaient que :
Ç Les titulaires des chaires de physiologie, de biologie, de bactŽriologie, ou leurs agrŽgŽs attribuent
bien dans leurs enseignements une place normale ˆ lՎtude des fonctions de nutrition, ˆ celle des
aliments, ˆ celle des microorganismes qui exercent une action au cours de la digestion. LÕhygine
gŽnŽrale sÕattache plus particulirement ˆ la puretŽ et ˆ la protection des aliments (É) Mais toutes
ces connaissances acquises successivement par lՎtudiant au cours de ses Žtudes ne sont point
reliŽes entre elles. Elles constituent des matŽriaux Žpars et non point une construction (É). Chaque
professeur se place obligatoirement au point de vue de la discipline quÕil enseigne ; nul ma”tre
nÕest autorisŽ, par la spŽcialisation de sa chaire, ˆ pratiquer la synthse qui fournirait les rgles
actuelles de lÕalimentation rationnelle1. È
En dehors des cours de pŽdiatrie dont les Žtudiants bŽnŽficient sous la forme de cours
magistraux et de formation hospitalire, lÕenseignement de lÕalimentation et de la
nutrition se limite ˆ quelques cours de chimie ou de physiologie et ˆ quelques tentatives
ponctuelles dÕenseignement complŽmentaire2. Cependant, malgrŽ un enseignement
limitŽ, le mŽdecin est censŽ tre le garant dÕune bonne alimentation et le prescripteur de
rŽgimes diŽtŽtiques. Les soins nutritionnels reviennent aux infirmiers responsables
traduire en soins les prescriptions du mŽdecin.
On concevait alors ainsi le r™le de lÕinfirmerie :
Ç Toute infirmire soignante devrait Žvidemment tre capable de composer puis dÕexŽcuter le
menu de son malade et de conna”tre les ŽlŽments de la cuisine diŽtŽtique. Mais ce sont surtout les
infirmires dÕhygine sociale ou visiteuses qui ont besoin dÕune solide instruction thŽorique et
pratique dÕhygine alimentaire. Elles ont ˆ organiser et ˆ conseiller des rŽgimes, des achats de
3
denrŽes, parfois ˆ exŽcuter des prŽparations spŽciales, pour les tuberculeux, par exemple . È
Les cours de diŽtŽtique et de nutrition sont inclus dans lÕenseignement de
lÕinfirmerie. Lorsque la profession de diŽtŽticien est crŽŽe, ces professionnels sont
conus comme les intermŽdiaires entre les mŽdecins et les infirmires. Cette profession
devient officielle en France en 1951 avec le brevet de technicien en diŽtŽtique,
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
S. Dejust, E. Fauterau, Ç Place de lÕhygine alimentaire dans les Žtudes et la pratique mŽdicale È dans
SociŽtŽ Scientifique dÕHygine Alimentaire, IIe Congrs Scientifique International de lÕAlimentation,
Paris, Alenonnaise, 1937, p. 3.
2
Les dŽtails des cours dÕalimentation et nutrition au seine des facultŽs de mŽdecine en France est
rŽpertoriŽ dans la thse de C. Marchand Ç Le mŽdecin et lÕalimentation Principes de nutrition et
recommandations alimentaires en France (1887-1940) È, op.cit., p.493.
3
H. LabbŽ, R. Legendre. Ç Rapport sur lÕorganisation de lÕenseignement et la vulgarisation de lÕhygine
alimentaire en France È, BSSHA, 1920, vol. 10, p. 259.
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enseignement assurŽ initialement par les infirmires. Dans ce cadre, le mŽdecin est le
responsable de la prescription des rŽgimes pour les malades, mais seule la diŽtŽticienne1
est capable dՎtablir prŽcisŽment ces rŽgimes. Elle Žlabore les menus spŽcifiques que les
cuisiniers doivent mettre en forme. Malheureusement, la faible formation thŽorique et
pratique des mŽdecins dans le domaine de la nutrition ne sÕest pas amŽliorŽe aux
XXme sicle.
Toutefois, aux Etats Unis, depuis les annŽes soixante, on constate un appel constant
et des efforts pour amŽliorer lÕenseignement en nutrition des mŽdecins. Ainsi, the The
Council on Foods and Nutrition considre, en 1963, que
Çthere is an urgent need to define the responsibilities and challenges of medical schools in the
teaching of nutrition. Modern research has shown the importance of nutritional factors in the
pathogenesis and therapy of disease and the importance of nutrition in conditions of physiologic
stress, i.e., in growth, pregnancy, and lactation 2.È
Ç il y a un besoin urgent de dŽfinir les responsabilitŽs et les dŽfis propres aux Žcoles de mŽdecine
dans l'enseignement de la nutrition. La recherche moderne a montrŽ l'importance des facteurs
nutritionnels dans la pathogense et le traitement de la maladie et l'importance de la nutrition dans
des conditions de stress physiologique, ˆ savoir, la croissance, la grossesse et l'allaitement
maternel. È
En France, on observe des avancŽes importantes pour amŽliorer cette situation. En
effet, depuis la crŽation dÕune sous-section de nutrition dans le Conseil National des
UniversitŽs (CNU), en 1988, la nutrition est reconnue comme une discipline. Cela
signifie que la nutrition est enseignŽe au mme titre que lÕanatomie ou la physiologie.
La sous-section de nutrition forme les professionnels de santŽ :
Ç engagŽs dans le diagnostic, la coordination des soins et des traitements des maladies de la
nutrition et remplit des missions de soins et de prŽvention auprs de toutes les catŽgories d'‰ge et
de toutes les classes socio-Žconomiques de la population. Elle forme les experts en nutrition
indispensables aux agences nationales (ANSES, Agence nationale de sŽcuritŽ sanitaire de
l'alimentation, de l'environnement et du travail; AFSAPS, Agence franaise de sŽcuritŽ sanitaire
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Lors des premires dŽcennies, il sÕagit dÕune profession strictement fŽminine. Encore aujourdÕhui, cÕest
une profession reprŽsentŽe principalement par les femmes.
2
Council on Foods and Nutrition, American Medical Association. ÇNutrition teaching in medical
schoolsÈ, JAMA. 1963;183(11):955- 957.
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des produits de santŽ; HAS, Haute autoritŽ de santŽ) et internationales (EFSA, European Food
Safety Authority, FAO)1. È
La mme annŽe, les enseignants de nutrition se sont rassemblŽs dans le Collge des
Enseignant de Nutrition (CEN). Cet organisme a pour objectif de promouvoir
lÕenseignement de la nutrition dans les facultŽs de mŽdecine. Il dŽfinit les objectifs
pŽdagogiques ds les premier, deuxime et troisime cycles et se constitue comme une
force de proposition auprs des instances nationales2. Le CEN distingue trois niveaux de
formation initiale en nutrition pour les mŽdecins :
- la formation commune ˆ lÕensemble des mŽdecins au cours des premiers et
deuximes cycles, avec notamment la dŽfinition des questions relevant de la
discipline pour lÕexamen national classant (ENC) ;
- la formation spŽcialisŽe pour des nutritionnistes de terrain ou de proximitŽ, incluant
diffŽrentes problŽmatiques : place et contenu du Dipl™me dՎtudes spŽcialisŽes
complŽmentaires (DESC de type I), place et contenu des Dipl™mes dÕUniversitŽ
(DU) ou Inter-Universitaire (DIU), reconnaissance et validation des professionnels
exerant dŽjˆ dans ce domaine ;
- la formation des nutritionnistes spŽcialistes hospitaliers ou libŽraux, pour jouer le
r™le de recours, de rŽfŽrents ou des r™les particuliers (rŽseaux, santŽ publique,
recherche, etc.) avec un exercice exclusif comme les autres spŽcialitŽs mŽdicales.
Deux textes encadrent la formation au cours des deux premiers cycles des Žtudes
mŽdicales, en termes de nature et de contenu : 1) lÕarrtŽ du 18 mars 1992, organisant le
premier cycle et la premire annŽe du deuxime cycle des Žtudes mŽdicales, et 2)
lÕarrtŽ du 4 mars 1997 organisant la deuxime partie du deuxime cycle des Žtudes
mŽdicales. Dans ces textes, la nutrition est attachŽe ˆ la formation dÕune discipline, la
physiologie. Ainsi, la nutrition sÕenseigne de manire transversale ˆ travers diverses
disciplines parmi lesquelles se trouvent aussi la biochimie. Nous avons cherchŽ ˆ
conna”tre la rŽalitŽ et le contenu de cet enseignement dans les facultŽs de mŽdecine
franaises. Or, nous nÕavons pas trouvŽ cette information disponible. Il est
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1
Le Conseil national des universitŽs pour les disciplines mŽdicales, odontologiques et pharmaceutiques
est l'instance nationale compŽtente ˆ l'Žgard du recrutement et du suivi de la carrire des professeurs des
universitŽs et des ma”tres de confŽrences des disciplines mŽdicales, odontologiques et pharmaceutiques.
http://www.cpcnu.fr/web/sous-section-4404/presentation
2
http://www.lewebducen.fr/
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vraisemblable que lÕimportance de lÕenseignement de la nutrition soit extrmement
variable en fonction des centres dÕintŽrt des enseignants de la discipline et de leur
sensibilisation aux questions de nutrition1. En outre, la nutrition nÕest toujours pas
reconnue comme une spŽcialitŽ dÕexercice mais uniquement comme une formation
complŽmentaire ou sous-spŽcialitŽ (formation par DESC )2. Nous avons alors cherchŽ ˆ
conna”tre la situation ˆ lՎtranger.
1.3 LՎtat actuel de lÕenseignement en nutrition dans les Žcoles de mŽdecine ˆ
lՎtranger
Diverses Žtudes montrent que lÕenseignement de la nutrition dans les Žcoles de
mŽdecine est Žgalement insuffisant ˆ lՎtranger. Aux Etats Unis, depuis lÕan 2000 et
tous les 4 ans, lՎtat de lՎducation des 133 Žcoles de mŽdecine accrŽditŽes a ŽtŽ
ŽvaluŽ3. Le tableau 10 montre la quantitŽ des heures dÕenseignement dans les Žcoles de
mŽdecine de lÕan 2000 au 2012. Le tableau 11 montre la rŽpartition des heures dans les
diffŽrentes disciplines.
Tableau 10. Nombre dÕheures dÕenseignement en nutrition dans les Žcoles de mŽdecine
aux USA.
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1
A. Martin, Ç La formation ˆ la nutrition des professionnels È, Rapport au Ministre de la santŽ, op.cit., p.
9.
2
E. Fontaine, Ç Ne dites pas ˆ ma mre que je suis nutritionniste, elle croit que je suis mŽdecin È,
Nutrition Clinique et MŽtabolisme 2014, vol. 28, p. 1-2. Collge des Enseignants de Nutrition des
FacultŽs de MŽdecine, RŽfŽrentiel mŽtier du MŽdecin Nutritionniste, 2010. http://www.lewebducen.fr
ConsultŽ le 29 fŽvrier 2016.
3
KM. Adams, M. Kohlmeier, SH. Zeisel, Ç Nutrition education in US medical schools : latest update of a
national survey È, Acad Med 2010, vol. 85, p.1537Ð1542. KM. Adams, KC. Lindell, M. Kohlmeier, SH.
Zeisel, Ç Status of nutrition education in medical schoolsÈ, Am J Clin Nutr 2006, vol. 83, p. 941SÐ944S.
Committee on Nutrition in Medical Education FaNB, Commissionon Life Sciences, and National
Research Council, Nutrition Education in U.S. Medical Schools, The National Academies Press,
Washington, DC, USA, 1985.
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Tableau 11. Place de lÕenseignement de la nutrition dans les Žcoles de mŽdecine aux
USA.
LÕenqute a ŽtŽ menŽe par lՎquipe de Ç Nutrition in Medicine È de lÕuniversitŽ du
Caroline du Nord1. Les chercheurs ont contactŽ par courriel 133 Žcoles qui ont rŽpondu
ˆ un sondage en ligne concernant les heures dÕenseignement en nutrition, leur
rŽpartition ˆ travers le programme de mŽdecine et leur inclusion au sein de diffŽrentes
disciplines spŽcifiques. Un total de 121 (91%) Žcoles ont rŽpondu. La plupart des Žcoles
(86/121, 71%) ne parviennent pas ˆ fournir le minimum de 25 heures dÕenseignement en
nutrition recommandŽ par lÕAcadŽmie National de Sciences (National Academy of
Sciences) dans le cadre du rapport Nutrition Education in U.S. Medical Schools2 . Dans
cette enqute, 43 (36%) Žcoles fournissent moins de la moitiŽ du minimum
recommandŽ. La majoritŽ de lÕenseignement se limite ˆ des cours prŽcliniques, avec une
moyenne de 14,3 heures. Au total, lÕenqute montre que le nombre dՎcoles de
mŽdecine avec un enseignement minimum en nutrition a progressivement diminuŽ
depuis lÕenqute de 2000.
Il est nŽcessaire de souligner que cette enqute faite partie du programme Nutrition
in MŽdecine (NIM). Le programme NIM est largement utilisŽ aux ƒtats-Unis et ˆ
l'Žtranger. Ce programme consiste en un ensemble des cours en ligne, disponibles
gratuitement pour les Žcoles de mŽdecine. Il a ŽtŽ crŽŽ afin de dŽvelopper
lÕenseignement en nutrition pour les Žtudiants en mŽdecine et ainsi favoriser un meilleur
dŽveloppement de la pratique de cette discipline dans la mŽdecine. Depuis 2010, le NIM
propose Žgalement une formation pour les mŽdecins spŽcialistes3.
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1
Nutrition in Medicine est un projet qui a pour mission dŽvelopper les connaissances et compŽtences en
nutrition chez les futurs mŽdecins http://nutritioninmedicine.org/
2
National Research Council (U.S.) Nutrition Education in U.S. Medical Schools. Washington, DC:
National Academy Press; 1985. Committee on Nutrition in Medical Education
3
KM. Adams, M. Kohlmeier, M. Powell, SH. Zeisel. Ç Nutrition in Medicine: Nutrition Education for
Medical Students and ResidentsÈ, Nutr Clin Pract 2010, vol. 25, p. 471Ð480.
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En Europe, cette mme enqute a ŽtŽ rŽalisŽe en 2014 par lՎquipe de M. Chung.
Aprs avoir contactŽ 217 Žcoles accrŽditŽes de mŽdecine en Europe occidentale, 32
Žcoles (14,7%) ont rŽpondu1. Les rŽsultats obtenus sont sans appel quant au
positionnement de la nutrition dans la formation mŽdicale : l'Žducation nutritionnelle
nÕest obligatoire que dans 22 Žcoles (68,8%). Les autres Žcoles ont indiquŽ que
l'Žducation nutritionnelle Žtait Ç en option uniquement È (n = 6 ; 18,8%), Ç pas offert Ç
(n = 3 ; 9,4%), ou Ç ne sait pas È (n = 1 ; 3,1%). La moyenne dÕheure dÕenseignement en
nutrition requise pour l'ensemble du curriculum est indiquŽe dans le tableau 12.
Tableau 12. RŽponses des Žcoles de mŽdecine par pays et leur total dÕenseignement
nutritionnel dans les programmes
Les Žcoles de mŽdecine qui enseignent la nutrition le font avec une moyenne de
23,68 (± 17,6) heures prŽsentielles dans le programme complet de mŽdecine. Ces heures
sont Žgalement dispensŽes au cours de la phase prŽclinique (14,0 ± 12,4) et clinique (9.4
± 10.7) de la formation mŽdicale. On note que la moyenne des heures d'enseignement
nutritionnel requises par lՎcole est comparable aux programmes d'Žtudes mŽdicales aux
ƒtats-Unis ŽvaluŽe dans les enqutes de 2006 (23,9 h) et 2010 (19,6 h)2. Cependant,
contrairement ˆ leurs homologues amŽricains, les Žcoles europŽennes, dans leurs
rŽponses, ont exprimŽ qu'elles ne pensent pas que ce montant se rŽvle insuffisant.
Notons toutefois que le taux de rŽponses est trs faible pour tre gŽnŽralisŽ, mais ce
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1
M. Chung, VJ. van Buul, E. Wilms, N. Nellessen, FJPH. Brouns, ÇNutrition education in European
medical schools: results of an international surveyÈ, European Journal of Clinical Nutrition 2014, vol.
68, p. 844Ð846.
2
KM. Adams, M. Kohlmeier, SH. Zeisel, ÇNutrition education in US medical schools: latest update of a
national surveyÈ, op.cit., p.1537Ð1542. KM. Adams, KC. Lindell, M. Kohlmeier, SH. Zeisel, ÇStatus of
nutrition education in medical schoolsÈ, Am J Clin Nutr 2006, vol. 83, p. 941SÐ944S.
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constat portant ˆ la fois sur le nombre et le contenu des rŽponses est significatif quant ˆ
lÕintŽrt portŽ ˆ la nutrition au cours de la formation mŽdicale en Europe.
Compte tenu des ŽlŽments relatifs ˆ cette description historique, trois conclusions
sÕimposent : en premier lieu, la nutrition, au-delˆ de son positionnement, sÕest toujours
prŽsentŽe comme une science appartenant au domaine mŽdical, ce qui rŽvle par lˆ la
prŽoccupation des professionnels de santŽ ˆ lՎgard de son enseignement. Toutefois,
bien que cette science soit identifiŽe comme une compŽtence relevant des mŽdecins, elle
ne possde pas dÕidentitŽ propre. Preuve en est, lÕabsence de formation et de spŽcialitŽ
qui lui soit dŽdiŽe. Enfin, la nutrition, au sein de la mŽdecine, est au croisement dÕun
ensemble de disciplines diverses, soulignant du coup sa dimension multidisciplinaire.
Cela dit, cette dernire ne se conjugue pas avec une dŽfinition qui lui est propre et qui
serait susceptible de dŽterminer prŽcisŽment les compŽtences spŽcifiques requises dans
la formation de chacune des disciplines. Pour ces raisons, il devient important ˆ prŽsent
de comprendre la faon dont le corps mŽdical apprŽhende la nutrition et dՎvaluer son
niveau de compŽtence.
1.4 LÕattitude et les compŽtences des mŽdecins en nutrition
Les attitudes et les compŽtences des mŽdecins en nutrition ont souvent ŽtŽ
questionnŽes en France et ˆ lՎtranger. Aux Etats-Unis une Žtude a indiquŽ que les
connaissances du mŽdecin en nutrition peuvent mme, sur certains thmes, tre
infŽrieures ˆ celle du patient1.
En France, une enqute rŽalisŽe en 2007 auprs des patients obses2 a relevŽ que les
patients estiment, dans prs de la moitiŽ des cas, que le gŽnŽraliste rencontrŽ nՎtait pas
correctement formŽ pour les suivre ˆ la fois sur le plan technique et sur le plan humain.
La moitiŽ des patients obses ont rencontrŽ des problmes relationnels et plus du tiers
des problmes techniques lors des hospitalisations. Au-delˆ des aspects techniques
concernant notamment les informations sur les diffŽrents traitements disponibles
(notamment pour lÕobŽsitŽ massive) et la disposition dÕun matŽriel adaptŽ,
cette
enqute montre quÕil existe une demande trs importante (touchant 80 % des patients
obses) pour que lÕaspect psychologique soit abordŽ et mieux pris en compte3.
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1
K. Lazarus, ÇNutrition practices of family physicians after education by a physician nutrition specialistÈ,
Am J Clin Nutr. 1997, vol. 65, p.2007SÐ2009S.
2
Association le pulpeclub, www.pulpeclub.com.
3
A. Martin, Ç La formation ˆ la nutrition des professionnels È, Rapport au Ministre de la santŽ, Avril
2009 http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_A_Martin_formation_nutrition.pdf
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Le Baromtre nutrition santŽ de lÕINPES1 de 2008 montre que le corps mŽdical et les
diŽtŽticiens ne reprŽsentent que la 4me et 6me source dÕinformation nutritionnelle,
aprs les mŽdias Žcrits, audiovisuels, internet, les parents et les amis. LÕenqute montre
que, globalement, les mŽdias sont toujours les plus citŽs et que la tendance est ˆ
lÕaugmentation (54,9 % en 2008 vs 47,8 % en 1996 ; p<0,001), contrairement au
professionnels de santŽ qui le sont de moins en moins citŽs (25,1 % vs 19,0 % ;
p<0,001) (Figure 14.)
Cela ne va pas sans poser des difficultŽs car ces autres sources dÕinformation ne sont
pas toujours fiables dans la mesure o elles transmettent des messages souvent erronŽs
et contradictoires et qui sont parfois liŽs ˆ des intŽrts exclusivement commerciaux. Les
mŽdecins et les autres professionnels de la santŽ sont considŽrŽs comme des sources
plus fiables d'information et comme de puissants modles pour opter pour des
habitudes de vie saines 2. En effet, cette mme enqute montre que 67% des personnes
interrogŽes ont consultŽ leur mŽdecin dans les trois mois qui ont prŽcŽdŽ lÕenqute.
Parmi ces personnes, 24,9 % dÕentre elles ont parlŽ ˆ leur mŽdecin de leur alimentation.
Ces consultations sont liŽes au fait de suivre un rŽgime, que ce soit pour maigrir ou pour
une raison de santŽ. La proportion de personnes ayant parlŽ de leur alimentation durant
ces consultations est restŽe stable depuis 1996. Dans ce contexte, le mŽdecin doit tre
prŽparŽ avec un niveau de compŽtence suffisant ˆ rŽpondre aux interrogations des
patients concernant lÕalimentation, le dŽpistage et la prise en charge des pathologies
liŽes ˆ la nutrition, lՎducation et la prŽvention nutritionnelle.
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1
Depuis 1992, lÕInstitut national de prŽvention et d'Žducation pour la santŽ (Inpes) mne, en partenariat
avec de nombreux acteurs de santŽ, une sŽrie dÕenqutes appelŽes Ç Baromtres santŽ È, qui abordent les
diffŽrents comportements et attitudes de santŽ des Franais. Ces enqutes sont des sondages alŽatoires ˆ
deux degrŽs (tirage dÕun mŽnage puis dÕun individu), rŽalisŽs ˆ lÕaide du systme dÕinterview par
tŽlŽphone assistŽ par ordinateur. Le baromtre nutrition initiŽ en 1996 a ŽtŽ rŽalisŽ ˆ trois occasions. Ses
donnŽes ˆ ŽchŽance rŽgulire constituent un prŽcieux outil de surveillance pour mieux percevoir
lՎvolution des comportements et des attitudes des Franais dans le domaine de la nutrition.
http://www.inpes.sante.fr/Barometres/barometre-sante-2014/index.asp.
2
KM. Kolasa, K. Rickett, Ç Barriers to Providing Nutrition Counseling Cited by Physicians: A Survey of
Primary Care Practitioners È, Nutrition in Clinical Practice, 2010, vol.25, p. 502-509.
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Figure 14. Principales sources dÕinformation sur la nutrition, selon le sexe1.
Cependant, plusieurs Žtudes montrent que dans l'ensemble les mŽdecins sont d'accord
sur l'importance de la nutrition dans leur pratique mŽdicale, mais qu«ils ne se sentent pas
ˆ l'aise ni bien prŽparŽs pour fournir des conseils en nutrition ˆ leurs patients. Ainsi,
pratiquement toutes les Žtudes publiŽes ˆ propos du r™le des mŽdecins dans la nutrition
ont indiquŽ que si
les mŽdecins de soins primaires se sentent concernŽs, ils ne
fournissent pas de manire gŽnŽralisŽe des conseils de nutrition ˆ leurs patients2.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid.
BS. Levine, MM. Wigren, DS. Chapman, JF. Kerner, RL. Bergman, RS. Rivlin, ÇA national survey of
attitudes and practices of primary-care physicians relating to nutrition: strategies for enhancing the use of
clinical nutrition in medical practiceÈ, Am J Clin Nutr. 1993, vol. 57, p. 115Ð119. Flocke SA, Clark A,
Schlessman K, Pomiecko G. Exercise, diet, and weight loss advice in the family medicine outpatient
setting. Fam Med. 2005;37(6):415-421. Flocke SA, Crabtree BF, Stange KC. ÇClinician reflections on
promotion of healthy behaviors in primary care practiceÈ, Health Policy, 2007, vol. 84, p. 277-283.
Goldstein MG, Whitlock EP, DePue J. Planning Committee of the Addressing Multiple Behavioral Risk
Factors in Primary Care Project, ÇMultiple behavioral risk factor interventions in primary care: summary
of research evidenceÈ, Am J Prev Med, 2004, vol.27, p.61-79. Heaton PC, Frede SM. ÇPatientsÕ need for
more counseling on diet, exercise, and smoking cessation: results from the National Ambulatory Medical
Care SurveyÈ, J Am Pharm Assoc, 2006, vol. 46, p. 364-369. Kolasa KM. Ç ÒImagesÓ of nutrition in
medical education and primary careÈ, Am J Clin Nutr, 2001, vol. 73, p. 1006-1009. Kolasa KM, Kay C,
Henes S, Sullivan C. ÇThe clinical nutritional implications of obesity and overweightÈ, N C Med J. 2006,
vol. 67, p. 283-287. Kushner RF. Danon Institute Award for Excellence in Medical/ Dental Nutrition
Education Lecture, 2002. ÇWill there be a tipping point in medical nutrition education? È, Am J Clin Nutr,
2003, vol. 77, p. 288-291. Soltesz KS, Price JH, Johnson LW, Tellijohann SK, ÇFamily physiciansÕ views
of the preventive services task force recommendations regarding nutritional counselingÈ, Arch Fam Med,
1995, vol. 4, p. 589-593. Tsai AG, Wadden TA. ÇTreatment of obesity in primary care practice in the
United States: a systematic reviewÈ, J Gen Intern Med, 2009, vol. 24, p. 1073-1079. Wynn K, Trudeau
2
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En France, en 2006, une enqute dÕopinion sur 1500 mŽdecins gŽnŽralistes a ŽtŽ
rŽalisŽe pour mieux comprendre les difficultŽs auxquelles sont confrontŽs les mŽdecins
gŽnŽralistes concernant la nutrition. Il faut noter que seulement 21 % des enqutŽs ont
ŽtŽ suivies de rŽponses, soit trois cents mŽdecins ont rŽpondu. Les principaux rŽsultats
de lÕenqute ˆ retenir sont les suivants1 :
-
3/4 des mŽdecins gŽnŽralistes ayant rŽpondu au questionnaire estiment tre plus
souvent interrogŽs sur des questions nutritionnelles depuis quelques annŽes ;
-
la majoritŽ (85%) se sentent ˆ lÕaise pour donner des conseils nutritionnels ;
-
les conseils nutritionnels sont majoritairement dispensŽs par oral (90%) et
peuvent, dans un tiers des cas, tre accompagnŽs dÕun Žcrit ou dÕun document
imprimŽ (respectivement 38% et 34% des rŽponses) ;
-
les difficultŽs rencontrŽes par les mŽdecins gŽnŽralistes sur les questions de
nutrition sont les suivantes: le manque de temps, un manque de travail dՎquipe
et lÕinadaptation ou le manque de support dÕinformation. Un manque de
connaissance sur ce sujet est aussi reconnu par la moitiŽ des mŽdecins.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
JD, Taunton K, Gowans M, Scott I. ÇNutrition inprimary care: current practices, attitudes, and barriersÈ,
Can Fam Physician, 2010, vol. 56, p. e109-e116.Yarnall KS, Pollak KI, Ostbye T, Krause KM, Michener
JL, ÇPrimary care: is there enough time for prevention?È, Am J Public Health, 2003, vol. 93, p. 635-641.
NA Anis, RE Lee, EF Ellerbeck, N Nazir, KA Greiner, JS Ahluwalia. ÇDirect observation of physician
counseling on dietary habits and exercise: patient, physician, and office correlatesÈ, Prev Med, 2004, vol.
38, p. 198-202. Soltesz KS, Price JH, Johnson LW, Telljohann SK. ÇPerceptions and practices of family
physicians regarding diet and cancerÈ, Am J Prev Med, 1995, vol. 11, p. 197-204. Eaton CB, Goodwin
MA, Stange KC. ÇDirect observation of nutrition counseling in community family practiceÈ, Am J Prev
Med, 2002, vol. 23, p. 174-179. R Kuschner, ÇThe expert weighs in: managing obesity in primary care
practice: interview with Robert Kushner, MD. È, Obes Weight Manage, 2009, vol. 5, p. 202-206.
1
SociŽtŽ Franaise de MŽdecine GŽnŽrale, Nutrition en mŽdecine gŽnŽrale : quelles rŽalitŽs ? 2006,
http://www.observatoiredupain.fr/images/produits/FD373FF9-4087-44c4-9598-53CDD8460A2F.PDF.
ConsultŽ le 24 fŽvrier 2016.
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Figure 15. Les principales difficultŽs rencontrŽes par les mŽdecins gŽnŽralistes sur
les questions de nutrition
Les obstacles pour intŽgrer la nutrition ˆ la pratique mŽdicale de cette Žtude sont
similaires ˆ ceux ciblŽs dans dÕautres enqutes rŽalisŽs ˆ lՎtranger et qui seront
analysŽs ci-aprs. Il faut souligner que, globalement, les mŽdecins interrogŽs (85%) se
sentent ˆ lÕaise pour donner des conseils nutritionnels. La majoritŽ des mŽdecins
nÕhŽsitent pas ˆ se faire aider par les diŽtŽticiennes ou des infirmiers formŽs ˆ donner
des conseils diŽtŽtiques et ˆ se documenter par des outils informatiques ou par le Web.
Cependant, les mŽdecins ont le souci de la qualitŽ de lÕinformation qui est ˆ leur
disposition. Ils considrent que les sources dÕinformation sont hŽtŽrognes et parfois
divergentes ou peu crŽdibles et que les informations ne sont pas toujours scientifiques.
Voici un exemple dՎvaluation menŽe par lÕun des mŽdecins interrogŽs. Il dŽnonce :
Ç le caractre absolument pas scientifique du sujet. Il y a que des opinions et peu de connaissances.
Trop de discours politiquement corrects. Multiples sources d'information parfois divergentes dans
leur contenu. Sources trs variŽes dont les bases scientifiques sont sujettes ˆ caution, ou pas
logiques, la documentations sur l'industrie alimentaire est trop orientŽe sur ses produits1.È
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
!
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Ibid.
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!
Figure 16. RŽponse ˆ la question : vous sentez-vous ˆ l'aise pour donner des
conseils nutritionnels ?
Afin d'Žvaluer la pertinence du PNNS et de mieux cerner l'adŽquation des
recommandations gouvernementales avec la pratique en soins primaires, des travaux
rŽalisŽs dans diffŽrentes rŽgions franaises montrent de manire gŽnŽrale que les
mŽdecins se sentent concernŽs, mais peu dÕentre eux sont formŽs en nutrition, ce qui les
conduit ˆ mettre en Ïuvre des pratiques trs variŽes en matire d'Žducation
nutritionnelle. Dans lՎtude menŽe en Rh™ne-Alpes1 prs de 3/4 des mŽdecins dŽclarent
que leur r™le en matire d'Žducation nutritionnelle est de donner des conseils
personnalisŽs, mme en l'absence de demande du patient. Cependant, seule la moitiŽ
d'entre eux a connaissance des recommandations du PNNS et des guides "la santŽ vient
en mangeant" envoyŽs ˆ tous les mŽdecins. Les chercheurs ont constatŽ que les plus
informŽs sont les mŽdecins installŽs en zone urbaine, les femmes et les moins de 45 ans.
Cette Žtude a identifiŽ quatre types de pratiques :
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Gruaz D., Fontaine D. MŽdecins gŽnŽralistes et Žducation nutritionnelle en Rh.ne- Alpes. Lyon : ORS
Rhone-Alpes, 2004, 51. http://www.ors-rhone-alpes.org/pdf/ Nutrition_2004.pdf (consultŽ le 15 mars
2016).
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1. Les mŽdecins qui pensent que c'est leur r™le de faire de l'Žducation nutritionnelle
et qui en font systŽmatiquement avec tous leurs patients.
2. Ceux qui pensent que c'est leur r™le et qui en font systŽmatiquement avec certains
publics et ds qu'ils reprent une demande de la part des autres patients.
3. Ceux qui pensent que c'est leur r™le et qui en font ds qu'ils reprent une demande.
4. Ceux qui pensent que ce n'est pas leur r™le et qui n'en font que lorsquÕil y a une
demande.
LՎtude rŽalisŽe en rŽgion parisienne montre que des conseils nutritionnels sont
donnŽs dans 42,4% des consultations1. Les conseils concernent principalement le
domaine diŽtŽtique (90,2%) et ils sont donnŽs oralement (80,5%) et ˆ l'initiative du
mŽdecin (81,6%). Autrement dit, collaborer avec d'autres professionnels de la santŽ ˆ
des fins nutritionnelles est extrmement rare (5,4%). Des conseils nutritionnels sont
Žgalement donnŽs en particulier pour la prŽvention secondaire, pour les patients ‰gŽs de
40 ans ou plus, souffrant dÕobŽsitŽ et avec une ou plusieurs maladies chroniques.
Notons que les mŽdecins les plus enclins ˆ dŽlivrer ces conseils sont ‰gŽs de 45 ans et
plus, avec une pratique de convention d'honoraires et une pratique spŽcifique dans un
domaine de la mŽdecine. Cela dit, dans le cas o des conseils nutritionnels sont donnŽs,
la consultation ne dure quÕune minute de plus en moyenne.
Cette problŽmatique a ŽtŽ largement ŽtudiŽe ˆ lՎtranger. Par exemple, dans une autre
Žtude publiŽe en 1995, R. Kushner dŽcrit dans le contexte amŽricain, les attitudes, les
pratiques, les comportements et les obstacles ˆ lÕoctroi de conseils nutritionnels chez
2250 mŽdecins de soins primaires (mŽdecins gŽnŽraliste, internistes, pŽdiatres)2. Cette
Žtude est frŽquemment citŽe comme rŽfŽrence pour reconna”tre que la nutrition et les
conseils nutritionnels sont des composantes essentielles dans la prise en charge
mŽdicale principalement ˆ visŽe prŽventive. Parmi les 1103 mŽdecins ayant rŽpondu, la
majoritŽ des mŽdecins (3/4 des rŽpondants) estiment que la consultation diŽtŽtique est
importante et quÕelle relve de la responsabilitŽ du mŽdecin. Les obstacles perus ˆ la
prestation de conseils diŽtŽtiques sont, selon leur ordre dÕimportance, les suivants : le
manque de temps, des matŽriels didactiques insuffisants, le manque de formation et de
connaissances et le remboursement insuffisant. Ces raisons engendrent un manque de
confiance des mŽdecins dans ce domaine et contribuent ˆ ne pas intŽgrer la nutrition
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
A. Covi-Crochet, JC. CittŽe, L. Letrilliart, Ç FrŽquence, modalitŽs et dŽterminants de l'Žducation
nutritionnelle des patients en mŽdecine gŽnŽrale : l'Žtude NutrimgeÈ, Rev Prat, 2010, vol. 60, p. 4-8.
2
R. Kushner, ÇBarriers to providing nutrition counseling by physicians: a survey of primary care
practitionersÈ, Prev Med, 1995, vol. 24, p.546Ð552.
!
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dans la pratique mŽdicale.
Une autre Žtude a ŽvaluŽ la pratique de la nutrition en 2006 chez 4512 mŽdecins et
infirmiers du Danemark, Norvge et Sude1. La principale raison de lÕinsuffisante
pratique nutritionnelle est le manque de connaissance en nutrition. (Figure 17). Les 73
% des personnels mŽdicaux consultŽs reconnaissent lÕimportance de la dŽnutrition, mais
dÕautres donnŽes sont plus prŽoccupantes : 25% ont trouvŽ qu«il est difficile d'identifier
les patients ayant besoin d'une thŽrapie nutritionnelle, 39 % manquaient de techniques
pour identifier les patients souffrant de malnutrition, 53 % ont trouvŽ qu'il est difficile
de calculer le besoin en Žnergie des patients et 66 % ne connaissant pas des lignes
directrices nationales pour la nutrition clinique. Point culminant, seuls 28% des
enqutŽs, considrent que la pratique insuffisante de la nutrition peut conduire ˆ des
complications et ˆ une hospitalisation prolongŽe.
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"#$%&'! ()*! Raisons rapportŽes par les mŽdecins et infirmiers pour expliquer
lÕabsence de pratique nutritionnelle dans les h™pitaux scandinaves. (trois rŽponses
par personne au maximum).
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
M. Mowe, I. Bossaeus, HH Rasmussen, J. Kondrup, M. Unosson, I. Irtu, Ç Nutritional routines and
attitudes among doctors and nurses in Scandinavia: a questionnaire based survey È, Clinical Nutrition,
2006, vol. 25, p. 5254-32.
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En 2010, K. Wynn et al.1 ont rŽalisŽ une enqute auprs de mŽdecins canadiens, afin
dՎtudier le r™le des mŽdecins de soins primaires dans la prise en charge des patients
atteints de problmes liŽs ˆ la nutrition. Il sÕagissait Žgalement de savoir si lÕapplication
de conseils nutritionnels recommandŽs par les directives canadiennes de pratique
clinique de 2006 sur le traitement et la prŽvention de lÕobŽsitŽ est possible dans les
pratiques de soins primaires. Les rŽsultats montrent que sur les huit cents mŽdecins
consultŽs, le taux de rŽponse est de 59,6 %. Globalement, les rŽpondants adoptent des
attitudes positives concernant le r™le de la nutrition dans la santŽ des patients (voir
tableau 8), et la plupart (58,1 %) estiment que plus de 60 % de leurs patients
bŽnŽficieraient de conseils nutritionnels.
Tableau 8. Attitude des mŽdecins de soins primaires dans le domaine de la
nutrition.
Il est important de souligner que lՎtude montre un Žcart considŽrable entre la
proportion de patients qui, selon les rŽpondants, bŽnŽficient de ces conseils et la
proportion de ceux qui reoivent dans les faits de tels conseils, soit au cabinet du
mŽdecin, soit par lÕintermŽdiaire dÕune consultation en diŽtŽtique. Les mŽdecins ruraux
adressent plus souvent leurs patients aux services diŽtŽtiques que les mŽdecins urbains.
En ce qui concerne les obstacles pour la pratique des conseils en nutrition, cette Žtude
a identifiŽ, par ordre dÕimportance, le manque de formation, le manque de temps et de
rŽmunŽration, le recours insuffisant dans les services de diŽtŽtique et lÕabsence
dÕinterventions fondŽes sur des preuves. Il faut noter quÕil sÕagit dÕobstacles dŽjˆ
identifiŽes par Kushner en 1995. (Figure 18)
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
K. Wynn, JD. Trudeau, K. Taunton, M. Gowans, I. Scott, ÇNutrition inprimary care: current practices,
attitudes, and barriersÈ, Can Fam Physician, 2010, vol.56, p. e109-e116.
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Figure 18. Obstacles pour la pratique des conseils nutritionnels dans les soins
primaires.
Presque tous les rŽpondants indiquent que le manque de temps et de rŽmunŽration
sont les principaux obstacles au conseil nutritionnel. La formation nÕest pas considŽrŽe
comme un obstacle aussi important, mme si 82,3 % des mŽdecins de famille
mentionnent avoir eu une formation insuffisante ˆ la facultŽ de mŽdecine et seulement
30 % dÕentre eux reconnaissent faire usage de ressources en lien avec la nutrition.
Figure 19. Formations et ressources utilisŽes par les mŽdecins pour lÕapprentissage
de la nutrition.
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LÕabsence de connaissances en nutrition et la faible rŽmunŽration pour la
consultation peuvent avoir un impact sur la motivation des mŽdecins et sur la formation
continue en nutrition. Cette Žtude souligne d«ailleurs la nŽcessitŽ dÕamŽliorer la
formation des mŽdecins.
Nous avons trouvŽ six Žtudes Žvaluant la connaissance des internes et mŽdecins
praticiens en nutrition. Les rŽsultats montrent un taux de bonnes rŽponses allant de 50 %
ˆ 66 %1. De plus, ces Žtudes montrent la demande des mŽdecins ayant pour objet des
informations et des formations supplŽmentaires sur un large Žventail de thmes de
nutrition.2
En 2010, nous avons rŽalisŽ une Žtude en Colombie auprs des Žtudiants de
mŽdecine de la quatrime ˆ la sixime annŽe de lÕEcole Colombienne de MŽdecine et
des internes de premire annŽe de lÕinternat de mŽdecine et chirurgie3. LÕobjectif Žtait
dՎvaluer les connaissances en nutrition des Žtudiants de mŽdecine et leur attitude sur ce
sujet. Nous avons rŽalisŽ une Žvaluation avec 30 questions fondŽes sur lՎtude de
ML.Vetter.4 Un total de 338 Žlves a participŽ (88%). LՎtude a montrŽ que les Žlves
ont une attitude favorable ˆ l'Žgard de la nutrition, mais il y a des lacunes dans les
connaissances. Le nombre moyen de rŽponses correctes Žtait de 53%.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
RK. Kirby, KB. Chauncey, BG. Jones, ÇThe effectiveness of a nutrition education program for family
practice residents conducted by a family practice resident-dietitianÈ, Fam Med. 1995, vol. 27, p. 576Ð580.
NJ. Temple, ÇSurvey of nutrition knowledge of Canadian physiciansÈ, J Am Coll Nutr. 1999, vol.18,
p.26Ð29. M. Raman, C. Violato, S. Coderre, ÇHow much do gastroenterology fellows know about
nutrition? È, J Clin Gastroenterol. 2009, vol. 43, p. 559Ð564. ML. Vetter, SJ. Herring, M. Sood, NR.
Shah, AL. Kalet, ÇWhat do resident physicians know about nutrition? An evaluation of attitudes, selfperceived proficiency and knowledgeÈ, J Am Coll Nutr. 2008, vol. 27, p. 287Ð298. Flynn M, Sciamanna
C, Vigilante K. ÇInadequate physician knowledge of the effects of diet on blood lipids and lipoproteinsÈ,
Nutr J. 2003, vol. 2, p. 19.
2
VH. Coleman, DW. Laube, RW. Hale, SB. Williams, ML. Power, J. Schulkin, ÇObstetriciangynecologists and primary care: training during obstetrics-gynecology residency and current practice
patternsÈ, Acad Med. 2007, vol. 82, p. 602Ð607. TV. Mihalynuk, RH Knopp, CS. Scott, JB. Coombs,
ÇPhysician informational needs in providing nutritional guidance to patientsÈ, Fam Med. 2004, vol. 36, p.
722Ð726.
KB. Roberts, S. Starr, TG. DeWitt, ÇThe University of Massachusetts Medical Center office-based
continuity experience: are we preparing pediatrics residents for primary care practice? È, Pediatrics 1997,
vol. 100, p.E2.
3
D. Cˆrdenas, ÇEvaluation of attitudes and knowledge in nutrition in undergraduate and graduate
students at the medical school of the Universidad El BosqueÈ, Nutrition in Clinical Practice 2011, vol. 1,
p. 94-102. D. Cˆrdenas. ÇEvaluaci—n de Actitudes y Conocimientos en nutrici—n de los estudiantes de
medicina de la universidad El BosqueÈ, RCMN, 2010, vol. 2, 93- 99.
4
Herring SJ, Sood M, ÇWhat Do Resident Physicians Know about Nutrition? An Evaluation of Attitudes,
Self-Perceived Proficiency and KnowledgeÈ, J Am Coll Nutr, 2008; 27:287Ð98.
!
!
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Aujourd'hui, les obstacles ˆ la pratique des conseils nutritionnels et ˆ la nutrition en
gŽnŽrale continuent dՐtre les mmes que ceux signalŽs par Kushner il y a 20 ans. Sur
ce point, KM. Kolasa et K. Rickett soulignent que :
Ç Pour voir un changement dans la proportion de mŽdecins qui donnent des conseils en nutrition,
on doit avoir les ŽlŽments suivants : les mŽdecins, rŽsidents et Žtudiants en mŽdecine, doivent
d'tre ŽduquŽs ˆ la nutrition; les ressources doivent tre actualisŽes; la rŽmunŽration pour des
conseils sur la nutrition doit tre amŽliorŽe; et des changements organisationnels doivent tre faits
pour permettre aux mŽdecins de fournir des messages brefs sur la nutrition fondŽes sur des
preuves, avec le soutien des infirmires, des diŽtŽticiennes et d'autres au cabinet ou en dehors1.È
Ainsi, nous constatons que dans la pratique mŽdicale en soins primaires2, malgrŽ la
perception positive des mŽdecins ˆ l«Žgard de la nutrition, le mŽdecin en gŽnŽral nÕest
pas prŽparŽ pour affronter cette problŽmatique.
Concernant le contexte hospitalier, lÕESPEN en 2003 a ŽtŽ ˆ lÕinitiative de la
RŽsolution ResAP (2003)3 du Conseil de lÕEurope sur l'alimentation et les soins
nutritionnels dans les h™pitaux. Cette rŽsolution se justifie par :
Ç LÕampleur inacceptable du phŽnomne de la dŽnutrition parmi les personnes hospitalisŽes en
Europe (É) et rappelle que la dŽnutrition chez les personnes hospitalisŽes entra”ne un allongement
de la durŽe d'hospitalisation, un rŽtablissement plus long, une dŽgradation de la qualitŽ de vie et
3
des surcožts . È
L«Žlaboration et la mise en Ïuvre de recommandations nationales sur l'alimentation
et les soins nutritionnels dans les h™pitaux sont suggŽrŽs et, en ce qui concerne
lÕenseignement et connaissances nutritionnelles, on propose de :
Ç i. Mettre en Ïuvre un programme de formation continue en nutrition gŽnŽrale et aux techniques
de soutien nutritionnel ˆ l'intention de tous les personnels qui participent au processus
d'alimentation des malades.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
KM. Kolasa, K. Rickett, Ç Barriers to Providing Nutrition Counseling Cited by Physicians: A Survey of
Primary Care PractitionersÈ, Nutrition in Clinical Practice, 2010 vol. 25, 502-509.
2
Selon lÕOMS, les soins de santŽ primaires sont ceux orientŽs sur les principaux problmes de santŽ
publique de la "communautŽ". Ils incluent lՎducation, les vaccinations, lÕaccs ˆ lÕeau potable,
lÕalimentation, la protection maternelle et infantile, lÕhygine et lÕaccs aux soins de base.
3
ComitŽ des Ministres, Rapport ResAP(2003)3 sur lÕalimentation et les soins nutritionnels dans les
h™pitaux., Conseil de lÕEurope, 2003, http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/resolution_conseil_europe.pdf.
(consultŽ le 15 mars 2015).
!
!
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$"+!
!
!
ii. La nutrition clinique doit figurer dans les programmes des diffŽrents cycles d'Žtudes
universitaires de mŽdecine.
iii. Des chaires de nutrition clinique doivent tre crŽŽes.
iv. Les facultŽs de mŽdecine doivent former ˆ la nutrition clinique ˆ l'intention des adultes et des
enfants, en faire une discipline spŽcialisŽe dont l'enseignement doit aborder les aspects prŽventifs
aussi bien que thŽrapeutiques des soins et du soutien nutritionnel.
v. Il convient d'amŽliorer la formation du personnel infirmier ˆ la nutrition clinique, en mettant
spŽcialement l'accent sur l'Žvaluation du risque nutritionnel, le contr™le de l'alimentation et les
techniques d'alimentation.
vi. La formation des diŽtŽticiens-cliniciens et des diŽtŽticiens gŽnŽralistes ˆ l'Žchelon national doit
tre fixŽe au plus haut niveau des formations de deuxime cycle pour permettre ˆ tous les
diŽtŽticiens d'Europe de jouer un r™le plus central dans les soins et le soutien nutritionnels.
vii. La formation des diŽtŽticiens administratifs doit tre revalorisŽe, en particulier en ce qui
concerne le volet gestionnel.
viii. La formation initiale et continue des gestionnaires/contr™leurs des services de restauration en
milieu hospitalier doit diffŽrer de celle des gestionnaires de services h™teliers et les prŽparer ˆ
s'occuper de malades.
ix. Il faut se concentrer tout spŽcialement sur la formation ˆ la nutrition des personnels non
cliniques, par exemple les aides-soignants (Ç care assistants È) travaillant ˆ temps partiel, et les
intendants de service (Ç Ward housekeepers È) et sur la dŽfinition de leur domaine de
responsabilitŽ.
x. Il convient d'accorder une attention particulire ˆ l'Žducation et ˆ la sensibilisation du public (y
compris des malades) ˆ l'importance d'une bonne alimentation.
xi. Il faut encourager les initiatives europŽennes relatives ˆ la formation ˆ la nutrition clinique.
xii. Il faut Žtendre la coopŽration entre les associations de nutrition clinique des diffŽrents pays 1.È
Compte-tenu de ces ŽlŽments, trois aspects importants de cette rŽsolution sont ˆ
mentionner. Premirement, on note lÕimportance et la nŽcessitŽ dÕintŽgrer la nutrition
dans les Žtudes de mŽdecine, de renforcer lՎducation et formation des diŽtŽticiens et de
former les personnels soignant non cliniciens. Deuximement, il est nŽcessaire
dՎduquer les patients en ce qui concerne la nutrition, et troisimement, la
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
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!
Ibid.
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reconnaissance de la nutrition comme une spŽcialitŽ ˆ part entire sÕimpose avec
Žvidence.
Pour que ce type de politique puisse avoir un impact sur la population, il est
indispensable de mener une action multisectorielle, ce qui nŽcessite lÕengagement
gŽnŽralisŽ et actif de tous les secteurs et acteurs concernŽs. Pour cela, la dŽclaration de
Vienne, par exemple, affirme la nŽcessitŽ de :
Ç La prŽsence de ressources humaines adŽquates pour assurer, dans le domaine de la nutrition, des
interventions inspirŽes de bases factuelles, y compris des conseils et des soins1.È
Cela implique des ressources humaines Ç adŽquates È, ce qui laisse supposer quÕil
sÕagit de professionnels ayant des compŽtences spŽcifiques et capables de garantir
lÕapplication de ces politiques. Nous avons cherchŽ dans le contexte de politiques
internationales ceux qui pourraient tre les professionnels concernŽs. Ainsi, Le Plan
dÕaction de 20032 de lÕOMS propose une stratŽgie pour promouvoir lÕalimentation
saine et lÕactivitŽ physique :
ÇLa formation de tous les professionnels de la santŽ (y compris les mŽdecins, les infirmires,
dentistes et nutritionnistes) devrait inclure l'alimentation, la nutrition et l«activitŽ physique comme
dŽterminants de la santŽ mŽdicale et dentaireÉ Il y a un besoin urgent de dŽvelopper et de
renforcer les structures existantes et les programmes de formation pour mettre en Ïuvre ces
actions avec succs3.È
Ces politiques internationales attestent donc que le mŽdecin est concernŽ par la mise
en Ïuvre de ces recommandations et par les stratŽgies publiques concernant la nutrition.
Ainsi, il est possible de dŽfinir le r™le des mŽdecins dans deux contextes : 1) dans les
problŽmatiques propres aux soins primaires, ˆ visŽe principalement prŽventive, ˆ savoir
les problmes les plus frŽquents de la population en lien avec la nutrition, comme la
dŽnutrition, lÕobŽsitŽ, le cancer, lÕhypercholestŽrolŽmie, lÕhypertension, etc. 2) pour
rŽpondre ˆ la nŽcessitŽ dՎtablir des soins spŽcialisŽs, ˆ visŽe principalement
thŽrapeutique, dans les diffŽrents structures de santŽ : utilisation appropriŽe des soins
nutritionnels (NE, NO SNO), activitŽ de recherche et formation, etc.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ibid., p. 9.
L'objectif global des recommandations publiŽes dans ce Plan dÕaction de lÕOMS, est de mettre en Ïuvre
des politiques
et des stratŽgies plus efficaces et plus durables pour faire face aux dŽfis de santŽ publique liŽs ˆ
l'alimentation et la santŽ.
3
WHO/FAO, Diet, nutrition and the prevention of chronic diseases, Genve, 2003, p. 68.
2
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Ainsi, au niveau tŽlŽologique du jugement mŽdical, la prise de dŽcision mŽdicale
interroge les actions des institutions publiques lorsquÕelles ciblent la nutrition comme
une prioritŽ pour amŽliorer la santŽ des Franais et dŽfinissent la dŽnutrition et la faim ˆ
lÕh™pital comme une prioritŽ. Il sÕagit dÕun cadre politique qui explicite les prioritŽs et
les choix concernant les notions de Ç se nourrir È et lÕacte de Ç bien manger È. Nous
avons dŽfini de manire non exhaustive le cadre lŽgislatif qui permet dÕorienter
lÕorganisation des soins nutritionnels, en particulier, la place du mŽdecin, mais aussi de
statuer sur le caractre thŽrapeutique de la nutrition artificielle notamment en fin de vie.
Or si les notions au centre des politiques nutritionnelles mobilisent des valeurs de santŽ
et font de la lutte contre la maladie une prioritŽ, nous constatons une incohŽrence entre
ces exigences politiques, le cadre normatif existant et la pratique mŽdicale. Cela a pour
consŽquence de produire une mŽfiance vis-ˆ-vis des instructions et risque de fragiliser la
dŽcision mŽdicale. Il est alors pertinent dÕinterroger les consŽquences de lÕinsuffisance
de formation en nutrition des mŽdecins sur leur pratique, ˆ savoir du premier niveau de
jugement mŽdical appelŽ le niveau prudentiel.
!
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CHAPITRE 2. Les consŽquences d«une formation insuffisante de mŽdecins en
nutrition
!
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2.1 La compŽtence en nutrition :
plus quÕune qualitŽ technique, une notion
morale.
LÕintŽrt de lՎducation et de la formation dans le questionnement Žthique a ŽtŽ
soulignŽ par P. RicÏur :
Ç Les jugements profŽrŽs ˆ cette occasion exemplifient une sagesse pratique dÕune nature plus ou
moins intuitive rŽsultant de lÕenseignement et de lÕexercice1. È.
LÕenseignement faonne le jugement et la dŽcision mŽdicale. En tenant compte de
notre analyse initiale sur la formation, lÕattitude et la pratique de la nutrition des
mŽdecins, mais aussi de notre expŽrience comme mŽdecin, nous pouvons conclure que
la pratique de la nutrition aujourdÕhui est le fait de mŽdecins qui :
1.
Identifient la nutrition comme un thme important mais ne se sentent pas
toujours concernŽs.
2.
Ne reconnaissent pas facilement les problŽmatiques nutritionnelles des
patients.
3.
Ne pensent pas ˆ adresser les patients aux confrres compŽtents en nutrition.
En effet, nՎtant pas formŽ pour reconna”tre ni aborder les problŽmatiques propres ˆ
la nutrition, le mŽdecin les rend du coup invisible, augmentant ainsi la vulnŽrabilitŽ des
patients. Cette vulnŽrabilitŽ renforcŽe par les mŽdecins va sÕajouter ˆ la vulnŽrabilitŽ
induite par la pathologie de la dŽnutrition, qui se caractŽrise par lÕatteinte multiorganique et lÕimpact psychique et social de cet Žtat. CÕest ce que nous avons appelŽ la
double vulnŽrabilitŽ particulire du patient dŽnutri2. Les consŽquences pour les patients,
au-delˆ des effets biologiques et cliniques dŽmontrŽs (risques dÕaugmenter la mobilitŽ,
la mortalitŽ, les cožts de dŽpense de santŽ et la dŽtŽrioration de la qualitŽ de vie des
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
2
!
!
P. RicÏur, Ç Les trois niveaux du jugement mŽdical È, op.cit., p. 227.
Nous avons dŽjˆ analysŽ ce point dans la deuxime partie.
!
$"%!
!
!
patients), compromettent lÕengagement moral quÕimplique le Ç pacte de soins È qui est
fondŽ sur la confiance mutuelle et la confidentialitŽ. Pour ces raisons, il est ˆ prŽsent
pertinent dÕinterroger les consŽquences de lÕabsence de formation des mŽdecins en
nutrition au premier niveau du jugement mŽdical appelŽ Ç niveau prudentiel È.
Le mŽdecin a un devoir de compŽtence. Selon lÕarticle 11 du Code de DŽontologie
MŽdicale :
Ç Tout mŽdecin entretient et perfectionne ses connaissances dans le respect de son obligation de
1
dŽveloppement professionnel continu .È
Cela implique, pour le mŽdecin, un exercice de sa profession conforme aux donnŽes
acquises de la science. Cela suppose Žgalement un savoir aussi large que possible et une
bonne adaptation ˆ l'exercice de l'activitŽ mŽdicale2. Le mŽdecin a ainsi lÕobligation de
sÕinformer des progrs nŽcessaires ˆ sa pratique. La complexitŽ croissante et lÕavancŽe
rapide de la recherche mŽdicale fait de cette obligation un impŽratif de plus en plus
difficile et exigeant. Pour cela, le mŽdecin doit toujours tre conscient de ses limites et
de ses lacunes et doit recourir aux confrres si nŽcessaire. Le mŽdecin est Žgalement
dans lÕobligation de structurer sa dŽcision par une rŽflexion et une analyse mŽthodique
en tenant compte, selon le code de dŽontologie,3 de :
¥
Ç La connaissance scientifique, qui repose sur des critres prŽcis de vŽrification permettant
une objectivitŽ des rŽsultats.
¥
LÕenseignement de ces connaissances scientifiques se fait lors des Žtudes et font lÕobjet de
contr™les, de thses, de travaux qui forgent nos certitudes.
¥
Le dŽveloppement professionnel continu (DPC) se veut tre lÕaccompagnement dynamique
de toute vie professionnelle alliant en permanence formation, Žvaluation et collŽgialitŽ.
¥
Les rŽfŽrentiels, protocoles, recommandations, sont des guides Žvolutifs de bonnes pratiques
confortant ˆ tout moment ses certitudes.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Article R.4127-11 du CSP.
https://www.conseil-national.medecin.fr/article/article-11-formation-continue-235
3
Article 32 (article R.4127-32 du CSP): ÇDs lors quÕil a acceptŽ de rŽpondre ˆ une demande, le mŽdecin
sÕengage ˆ assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dŽvouŽs et fondŽs sur les donnŽes
acquises de la science, en faisant appel, sÕil y a lieu, ˆ lÕaide de tiers compŽtents. È
Article 33 (article R.4127-33 du CSP): ÇLe mŽdecin doit toujours Žlaborer son diagnostic avec le plus
grand soin, en y consacrant le temps nŽcessaire, en sÕaidant dans toute la mesure du possible des
mŽthodes scientifiques les mieux adaptŽes et, sÕil y a lieu, de concours appropriŽs. È
2
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La collŽgialitŽ est un facteur indispensable de la prise de dŽcision car ce Ç choc È des
pensŽes est un moyen objectif de conforter et dÕenrichir ses certitudes (É) en toute
confraternitŽ.
¥
Le contexte sociŽtal est indissociable de ses prises de dŽcision car ce contexte prend certes
en compte lÕindividu, mais au cÏur dÕun projet de sociŽtŽ animŽ par une politique de santŽ
qui se doit dÕexister dans tout Žtat dŽmocratique.
¥
Le patient, sa conscience, son habitus, son contexte familial et professionnel restent lÕultime
facteur de ses dŽcisions mŽdicales dans lÕintimitŽ de la rencontre de la conscience du
soignant et de la conscience du patient1. È
Cependant, le mŽdecin est confrontŽ ˆ une double difficultŽ : lÕinsuffisance de sa
formation initiale thŽorique et pratique et le dŽfaut de reconnaissance de nutrition!
comme spŽcialitŽ.
MalgrŽ un cadre politique en matire de santŽ et des obligations de connaissance,
force est de constater que les mŽdecins en gŽnŽrale, ne sont pas attentifs aux inquiŽtudes
et aux interrogations du patient. Parmi ces derniers, on cite en prioritŽ les suivantes :
Quel est mon rŽgime ? Puis-je manger ? Quelle sera mon alimentation lors de mon
hospitalisation ? Aurai-je faim ? Si je ne mange pas, comment je pourrais tre nourri ?
A ce sujet, lՎthique du care nous a permis dÕidentifier les dispositions morales, dont la
compŽtence2 qui sont nŽcessaires pour rŽaliser un bon soins nutritionnel. Nous avons montrŽ
dans la deuxime partie comment les soins nutritionnels peuvent sÕintŽgrer aux quatre Žtapes du
care dŽfinis par Tronto. (Voir figure 6). Les ŽlŽments de lՎthique du care comme lÕattention, la
responsabilitŽ, la compŽtence et la capacitŽ de rŽponse sont essentiels pour delivrer des soins
nutritionnels adŽquats. En effet, parmi ces Žtapes, la troisime Žtape, le care giving exige un
ŽlŽment dŽcisif : la compŽtence. Selon J. Tronto :
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
X. Deau, Ç DŽcision conjoncturelle et dŽcision mŽdicale, Structure de la dŽcision È, dans
LÕindŽpendance de la dŽcision mŽdicale, M. BIENCOURT, Rapport de la Commission nationale
permanente adoptŽ lors des Assises du Conseil National de lÕOrdre des MŽdecins du 19 juin 2010, p. 7.
2
La notion de compŽtence dans le domaine professionnel se rŽfre a trois savoirs, Ç savoir È ou ce que je
sais, jÕai connais, jÕai appris, Ç savoir Ðfaire È ce que je suis capable de faire et Ç savoir tre È ce que je
suis ou je ne suis pas. DÕaprs RŽmi Gagnayr et Jean-Franois dÕIvernois la compŽtence va au delˆ de ces
savoirs et ils donnent une dŽfiions sÕappuient sur trois notions2. La premire se rŽfre a que la compŽtence
est proche dÕun systme intŽgrŽ de savoirs au sens large (savoir, savoir-faire, savoir-tre,), la deuxime
considre que la compŽtence permet dÕaboutir ˆ une performance, (sa part observable ou mesurable) et
cela dans plusieurs contextes ou situations professionnels et troisime une compŽtence nŽcessite que le
professionnel soit en mesure de mener une activitŽ rŽflexive au cours mme de sa rŽalisation.
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Ç sÕassurer que le travail du soin est accompli avec compŽtence doit tre un aspect moral du care,
si lÕadŽquation de la sollicitude accordŽe doit tre la mesure de la rŽussite de cet acte1. È
Cela implique que pour assurer un bon care nutritionnel, il est nŽcessaire dÕintŽgrer
le mŽdecin aux soins nutritionnels en tenant compte de ses compŽtences et non de sa
seule bonne volontŽ. Ainsi, la compŽtence relve de la vertu. Cette approche relative ˆ
lՎthique des vertus qui fait porter lÕaccent sur les dispositions morales ˆ acquŽrir pour
bien agir, intgre comme toute Žthique de la responsabilitŽ, une attention aux
consŽquences de ses actions. Elle est donc Žgalement consŽquentialiste. Avoir
lÕintention de rŽpondre aux besoins nutritionnels du patient ou prendre conscience de la
responsabilitŽ de nourrir les malades mais sans y parvenir rŽellement, ne suffit pas pour
dŽlivrer des soins nutritionnels de qualitŽ. Dans ce domaine particulier de la nutrition
clinique, il est Žvident que la disponibilitŽ des ressources comme les produits de NP,
NE, est indispensable pour mener un soin nutritionnel adaptŽ et de qualitŽ, mais il est
Žgalement nŽcessaire de mener les soins avec compŽtence. De ce fait, serait-il possible
de considŽrer le mŽdecin comme moralement responsable de cette incompŽtence ?
Les institutions qui ont chargŽ ce mŽdecin dÕeffectuer des soins nutritionnels ont bel
et bien pris en compte le problme, mais sans sÕassurer que le care nutritionnel
(rŽpondre aux besoins nutritionnels par une prise en charge spŽcifique pour prŽvenir et
traiter la malnutrition) soit vŽritablement rŽalisŽ. Cette situation correspond ˆ la rŽalitŽ
actuelle. Les autoritŽs et les institutions de santŽ, tout en se souciant de lÕampleur de
cette problŽmatique, continuent ˆ demander aux mŽdecins dÕassumer cette
responsabilitŽ sans que leur compŽtence soit totalement acquise. Par exemple, le PNNS
mis en place par le ministre de la santŽ et qui vise ˆ amŽliorer lՎtat de santŽ de la
population en agissant sur la nutrition, ne prŽvoit pas dÕamŽlioration relative ˆ la
formation des mŽdecins. En outre, la nutrition artificielle reste une prescription
mŽdicale dans le systme des soins, sans que cela soit vŽritablement une compŽtence
entrant dans la formation des mŽdecins. LÕadhŽsion des mŽdecins ˆ lՎthique
professionnelle ne rŽsout en rien leur incompŽtence en nutrition. La responsabilitŽ est
toutefois partagŽe car les professionnels, les institutions de santŽ et dՎducation doivent
Žgalement intŽgrer la nutrition au sein de lÕenseignement de la mŽdecine. Ainsi, un
mŽdecin compŽtent en nutrition doit mobiliser et organiser les diffŽrents savoirs selon
les diffŽrents contextes et les situations.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
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J. Tronto, Un monde vulnŽrable, op.cit., p.180.
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2.2 ConsŽquences Žthiques de la formation insuffisante de mŽdecins en Žgard aux
principes de bioŽthique
Le principe de lÕautonomie
DÕorigine kantienne, ce principe consiste ˆ reconna”tre en chacun une dimension de
sujet libre capable de juger et de se dŽterminer par lui-mme, dÕaprs les lois de sa
propre raison, qu«a une valeur universelle. Il sÕagit dÕaprs lÕimpŽratif kantien, de
toujours traiter lÕhumanitŽ en sa personne et en celle dÕautrui, toujours en mme temps
comme une fin et jamais simplement comme un moyen. Si lÕon tient compte de son
Žtymologie (du grec autos Ç auto È et nomos Ç rgle È) ce principe dŽsigne la capacitŽ
de se fixer ses propres lois1. Or on considre que le sens donnŽ a cette notion est large
mais que :
Ç Virtually all theories of autonomy view two conditions as essential for autonomy : liberty
(independence from controlling influences) and agency (capacity for intentional action). 2.
Ç Pratiquement toutes les thŽories de l'autonomie considrent deux conditions comme essentielles
pour lÕautonomie : la libertŽ (indŽpendance par rapport ˆ des influences sous contr™le) et agentivitŽ
(capacitŽ de faire une action intentionnelle). È
Dans le domaine de lՎthique mŽdicale, la notion dÕautonomie joue un r™le
primordial mme si elle nÕest pas toujours un point de dŽpart et qu«il importe de la
reconfigurer3. Ce principe se rŽfre au devoir du soignant de respecter le libre choix du
malade. Cela exige pour tout acte mŽdical ayant des consŽquences sur autrui, de
respecter le consentement ŽclairŽ. Celui-ci est dŽfinit selon Beauchamp et Childress
comme suit :
Ç Un consentement ŽclairŽ est lÕautorisation autonome dÕun individu qui accepte une intervention
mŽdicale ou qui accepte de participer ˆ la recherche4. È
Ce consentement se constitue comme devoir pour les mŽdecins. Selon le code
dŽontologique, dans lÕarticle 36 on lit :
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
TL. Beauchamp, JF. Childress, Principles of Biomedical Ethics. op.cit., p. 99.
Ibid., p. 100.
3
C. Pelluchon, LÕautonomie brisŽe. BioŽthique et philosophie, op.cit., p.25.
4
TL Beauchamp, JF Childress, Principles of Biomedical Ethics, op.cit., p.119.
2
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Ç Le consentement de la personne examinŽe ou soignŽe doit tre recherchŽ dans tous les cas.
Lorsque le malade, en Žtat d'exprimer sa volontŽ, refuse les investigations ou le traitement
proposŽ, le mŽdecin doit respecter ce refus aprs avoir informŽ le malade de ses consŽquences. Si
le malade est hors d'Žtat d'exprimer sa volontŽ, le mŽdecin ne peut intervenir sans que ses proches
aient ŽtŽ prŽvenus et informŽs, sauf urgence ou impossibilitŽ1. È
Ainsi, le respect du principe dÕautonomie exige un devoir d'information qui doit
aussi tre compris par le patient. En effet, l'information du patient est la condition
prŽalable de son consentement,
Ç Toute personne prend, avec le professionnel de santŽ et compte tenu des informations et des
prŽconisations qu'il lui fournit, les dŽcisions concernant sa santŽ2. È
Cette notion dÕautonomie dans ce contexte protge et encourage le droit de savoir
parce que lÕautonomie du sujet nÕest possible et ne devient progressivement effective
quÕau moyen dÕune connaissance venant Žclairer la volontŽ et la libertŽ. Ainsi,
lÕautonomie est considŽrŽe davantage comme un point dÕarrivŽe quÕun point de dŽpart3.
CÕest pourquoi, le mŽdecin a le devoir de crŽer les conditions nŽcessaires pour que le
patient soit pleinement en mesure de prendre la dŽcision ce qui implique un dialogue
permettant au patient de comprendre les informations.
Or, dans le cadre de la pratique de la mŽdecine actuelle, le respect de ce principe est
compromis lorsque le mŽdecin nÕest pas capable dÕidentifier et, en consŽquence, de
traiter pleinement les problŽmatiques nutritionnelles. Ds lors, le mŽdecin ne pourrait
informer correctement le patient et offrir les conditions pour que le patient donne son
consentent en toute connaissance de cause.
Prenons lÕexemple du cas numŽro un traitŽ dans la deuxime partie. Il sÕagit de
monsieur Dn, ‰gŽ de 71 ans qui a ŽtŽ admis ˆ lÕh™pital pour la premire fois pour une
broncho-pneumonie gauche d'aspiration. Il prŽsentait un risque de dŽnutrition en raison
de la perte de 8 kg de son poids corporel en raison de sympt™mes digestifs. La semaine
prŽcŽdente ˆ lÕhospitalisation, le patient Žtait incapable de manger des aliments solides.
Lors de son admission ˆ lÕh™pital, son IMC nÕindiquait pas de maigreur. DÕune manire
gŽnŽrale, le mŽdecin fait le diagnostic de broncho-pneumonie gauche d'aspiration et
propose alors au patient un traitement antibiotique adaptŽ. Le patient doit alors donner
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Consentement ŽclairŽ du patient, article R.4127-36 du code de la santŽ publique.
2
LÕarticle L.1111-4 du code de la santŽ publique prŽcise ˆ cet Žgard.
C. Pelluchon, LÕautonomie brisŽe. BioŽthique et philosophie, op.cit., p.31.
3
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son consentement ˆ ce traitement. Ce quÕil ignore, toutefois, cÕest que le mŽdecin aurait
pu rŽaliser un tamisage nutritionnel et identifier le risque nutritionnel, ce qui le conduit
ˆ proposer une deuxime intervention par supplŽments alimentaires et lÕadaptation de la
consistance des aliments si des troubles de la dŽglutition sont dŽtectŽs. Dans ce
contexte, le patient aurait pu dŽcider de son alimentation en connaissant toutes les
informations. Si le mŽdecin est attentif aux problmes nutritionnels, il aurait pu
Žgalement demander lÕavis dÕun nutritionniste ou dÕune diŽtŽticienne pour proposer le
diagnostic et le traitement nutritionnel adaptŽ. En effet, faire appel au concours dÕun
confrre fait partie de la responsabilitŽ mŽdicale et du soin intŽgrŽ. Or, pour que le
mŽdecin soit sensible et attentif ˆ la problŽmatique nutritionnelle, il est nŽcessaire quÕil
puisse acquŽrir ces compŽtences au cours de sa formation initiale ˆ la nutrition. Il y a
aussi une autre difficultŽ. En effet, le mŽdecin souhaite adresser les patients aux
confrres capables dÕassumer ce problme, il rencontre une difficultŽ car le nombre de
professionnels est limitŽ en raison de la non-reconnaissance de la nutrition comme une
vŽritable spŽcialitŽ. Ainsi, le principe de bienfaisance nÕest pas non plus respectŽ.
Comme nous lÕavons dŽjˆ analysŽ dans la deuxime partie, les effets bŽnŽfiques des
soins nutritionnels sur lՎvolution de la maladie ont ŽtŽ largement dŽmontrŽs. (Voir
tableau 3). LÕabsence des soins nutritionnels mettent alors en jeu le non-respect de ce
principe de bienfaisance.
Le principe de non-malfaisance peut Žgalement tre nŽgligŽ. Ce principe implique
pour le mŽdecin, de ne pas nuire intentionnellement ˆ son patient (primum non nocere)
ou dÕutiliser ses compŽtences pour Žviter un prŽjudice ˆ quelquÕun. Il implique
l«obligation de ne pas tuer, de ne pas causer de douleur ou de souffrance, de ne pas
priver les autres des bonnes choses de la vie1. Ce principe qui est important dans les
questions dÕarrt ou de limitation des traitements et dÕaide active ˆ mourir, doit aussi
tre respectŽ lorsque nous recommandons un certain type dÕintervention nutritionnelle.
LÕobligation de non-malfaisance implique non seulement de ne pas nuire
intentionnellement mais aussi de ne pas imposer le risque dÕun mal futur. Rappelons que
les indications pour la NE et la NP sont strictes en raison des nombreuses complications
possibles. Dans le cas de lՎpidŽmie de lÕobŽsitŽ de nombreux mŽdecins gŽnŽralistes
aujourdÕhui ne sont pas suffisamment informŽs des raisons pour lesquelles les personnes
souffrant d'obŽsitŽ luttent pour atteindre et maintenir la perte de poids. Cette faible
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
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!
TL. Beauchamp, JF. Childress, Principles of Biomedical Ethics, op.cit., p.153.
!
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sensibilisation ˆ ce problme, est un obstacle ˆ des interventions efficaces et elle
favorise frŽquemment des interventions nuisibles comme des rŽgimes non ŽquilibrŽs ou
la dŽlivrance de complŽments potentiellement dangereux.
Cette situation met du mme coup en jeu le principe de justice et notamment deux
sens prŽcis de la justice : une premire signification collective et Žconomique (ŽquitŽ)
qui tient compte de la distribution des ressources et qui a pour but dÕoptimiser les
rapports cožts /bŽnŽfices des soins. Cette signification renvoie ˆ la dimension sociale de
lÕhomme et permet de mettre en Žvidence le fait quÕun mŽdecin non formŽ en nutrition
augmentera les dŽpenses des soins. En effet, comme nous lÕavons analysŽ dans la
deuxime partie, les soins nutritionnels permettent, dans de nombreux cas, de faire des
Žconomies. Une deuxime signification de la justice au sens individuel1 du terme
implique de rŽpondre au sentiment dÕinjustice vŽcu dans la maladie et la nŽcessitŽ de
rŽpondre par la reconnaissance de lÕautonomie du patient, le devoir de bienfaisance et le
souci de non-malfaisance. Ainsi sera juste la dŽcision qui sera parvenue ˆ intŽgrer en
elle ces trois principes Žthiques. Un mŽdecin intŽgrant les connaissances relatives ˆ la
nutrition dans son exercice de la mŽdecine, pourrait faire participer le patient aux
dŽcisions concernant son alimentation. Ainsi, les compŽtences et les connaissances sur
la nutrition sÕavrent nŽcessaires pour bien informer le patient et le faire participer au
processus de dŽcision. Un mŽdecin formŽ en nutrition pourrait donc rŽflŽchir au
bŽnŽfice possible en termes cliniques et de qualitŽ de vie des soins nutritionnels. Il
pourrait aussi Žviter dÕexposer le malade aux risques quÕimplique la malnutrition.
Par consŽquent, lÕexclusion de la nutrition des soins des patients, conduit ˆ une
mŽdecine fragilisŽe. Celle-ci se dŽfinit comme une mŽdecine qui ne trouve pas de
cohŽrence entre le devoir de compŽtence, le devoir de prendre en charge les problmes
les plus frŽquents et les exigences de santŽ publique en nutrition. Les institutions
dՎducation ont toutefois un r™le primordial ˆ jouer pour mettre fin ˆ cette incohŽrence.
Avant dÕanalyser le r™le concret des institutions dՎducation, nous voulons montrer
comment une mŽdecine ainsi fragilisŽe par la mŽfiance vis-ˆ-vis des institutions est l«un
des facteurs principaux expliquant des dŽrives de certaines thŽrapies alternatives.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
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P. Le Coz, Petit traitŽ de la dŽcision mŽdicale, Paris, Seuil, 2007, p. 53.
!
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2.3 Les risques de thŽrapies complŽmentaires et les dŽrives sectaires
Une mŽdecine qui conoit la maladie sans prendre en considŽration ses dŽterminants
nutritionnels est une mŽdecine fragilisŽe. Une telle fragilitŽ est aggravŽe par
lÕinsuffisance de formation adŽquate en nutrition. PrŽcisons ce quÕil faut entendre par la
notion de Ç mŽdecine fragilisŽe È.
Il sÕagit dÕune mŽdecine qui ne considre pas le malade dans son intŽgritŽ.
ConsidŽrer le patient dans son intŽgritŽ signifie aborder la personne dans son ensemble
ou de manire holistique (du grec holes, Ç tout entier È) en tenant compte de la
dimension psychologique, morale et sociale (ses raisons, ses valeurs, ses convictions,
ses dŽsirs, ses motifs et ses choix) en plus de la dimension physique (son corps). La
nutrition et lÕalimentation sont indissociables de la notion de vie et sÕintgrent ˆ
lÕhomme par ses aspects affectifs et symboliques ainsi que par ses liens avec la santŽ et
la maladie. Elles appartiennent aussi ˆ lÕidentitŽ sociale et culturelle de la personne et ne
peuvent pas tre considŽrŽes comme de simples facteurs externes.
Se prŽoccuper de lÕalimentation et des problmes nutritionnels encourage une
approche intŽgrale du malade et cela est Žgalement vrai lorsqu'il sÕagit dÕun malade ˆ
lÕh™pital. Par exemple, il est frŽquent que les patients hospitalisŽs restent des heures ˆ
ježner (Nil per sos) pour des indications mŽdicales (attente dÕexamens ou dÕune
intervention). Ces pŽriodes de ježne souvent excessifs sont source non seulement de
dŽficit de nutriments et de malnutrition, mais aussi de souffrance et dÕangoisse. Or ces
difficultŽs peuvent disparaitre si le mŽdecin est attentif ˆ lÕalimentation de ses malades.
Le patient bien alimentŽ ˆ lÕh™pital sera un patient reconnaissant du traitement intŽgral
et enclin ˆ le suivre. LÕexclusion de la nutrition de la formation des mŽdecins participe
donc ˆ une certaine Ç deshumanisation È de la mŽdecine. La mŽdecine est alors
fragilisŽe. Celle-ci est vŽcue par le patient comme une atteinte ˆ sa dignitŽ et cette
situation conduit ˆ rechercher des solutions alternatives ou des Ç mŽdecines È qui
comblent ces besoins dÕattention et de considŽration, notamment sur des questions de
nutrition. Ainsi, cette fragilisation de la mŽdecine a par consŽquent responsable de
dŽrives dans le cas de pratiques dŽfinies comme mŽdecines douces, naturelles,
1
non
conventionnelles, ou Ç thŽrapies complŽmentaires È 2. La concurrence entre ces
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
MŽdecines alternatives et complŽmentaires, chez les Anglo-saxons.
Il existe 17 catŽgories de thŽrapies complŽmentaires et la mission interministŽrielle de vigilance et de
lutte contre les dŽrives sectaires dŽnombre 400 pratiques "ˆ visŽe thŽrapeutique" (dont la plupart ne
mŽritent Žvidemment pas lÕappellation de thŽrapie complŽmentaire). Seules l'acupuncture et
2
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thŽrapies complŽmentaires et la mŽdecine allopathique, (scientifiquement vŽrifiable)
nÕest pas rŽcente1, et la possibilitŽ actuelle de ces doubles soins remonte au XIXme
sicle. Le recours ˆ des thŽrapies complŽmentaires ne cesse pas dÕaugmenter. En effet,
elles sont plus populaires actuellement que dans les 50 dernires annŽes. Prs de quatre
franais sur dix y ont recours, particulirement, les malades atteints de cancer2.
Notons cependant que le terme de Ç thŽrapie complŽmentaire È est recommandŽ par
lÕAcadŽmie Nationale de MŽdecine pour des raisons prŽcises. Il :
ÇNous semble le meilleur car il Žvite lÕappellation tout ˆ fait injustifiŽe de "mŽdecines" et implique
que ces pratiques ne sont que de possibles complŽments aux moyens de traitement quÕoffre la
mŽdecine proprement dite, ˆ laquelle elles ne sauraient se comparer ni se substituer3È.
Ainsi, il est donc clair que ces pratiques doivent rester ˆ leur juste place : Ç celle de
mŽthodes adjuvantes pouvant complŽter les moyens de la mŽdecine È. Cependant, elles
se disent souvent plus efficaces en raison de leur dimension Ç naturelle È et Ç
holistique È. Toutefois, le sens de la notion de Ç naturel È utilisŽe dans les thŽrapies
complŽmentaires est difficile ˆ cerner4. Il est utilisŽ dans son sens original, ˆ savoir, au
sens de ce qui vient de la nature par opposition aux termes scientifique et technique ou
artificiel qui renvoient ˆ une modification de la nature par lÕhomme. La nature est
associŽe avec les notions de Ç mre È et de Ç nourricire È, et, de ce fait, elle est en
quelque sorte perue comme sžre, agissant comme une influence bŽnigne et ayant de
l'humanitŽ. Ce qui est alors sous-jacent, cÕest lÕidŽe quÕil faut vivre en accord avec la
nature et cÕest bel et bien la nature qui soigne comme il faut. Pour certaines Ç thŽrapies
complŽmentaires È, la nature prend un caractre presque semblable ˆ Dieu. Mettre en
avance le caractre Ç naturel È dÕune thŽrapie est aussi une manire de faire concurrence
ˆ la mŽdecine, car cÕest le naturel qui soigne et non ce qui vient du progrs de la
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
l'homŽopathie sont, en France, reconnues comme Ç orientation mŽdicale È mais elles ne sont toutefois pas
des spŽcialitŽs: http://www.hopital.fr/Vos-dossiers-sante/Prises-en-charge/Medecines-alternatives-etcomplementaires#sthash.W5f1PKjA.dpuf
1
Cette double approche concurrentielle de la mŽdecine remonte ˆ lÕAntiquitŽ o l'Žcole grecque
d'AsclŽpios, qui prŽconise le traitement Ç hŽro•que È dirigŽ par un mŽdecin, Žtait opposŽ ˆ l'Žcole Hygeia,
qui Žtait davantage ciblŽe sur le patient et visait ˆ amŽliorer la capacitŽ du patient ˆ vivre en harmonie
avec leur environnement et l'utilisation des ressources internes pour lutter contre la maladie.
2
D. Bontoux, D. Couturier, CH.J. Menks, Ç ThŽrapies complŽmentaires - acupuncture, hypnose,
ostŽopathie, tai-chi , leur place parmi les ressources de soinsÈ, AcadŽmie nationale de mŽdecine rapport
du 5 mars 2013
3
Ibid.
4
S. Tyreman, ÇValues in complementary and alternative medicineÈ, Med Health Care and Philos 2011,
vol. 14, p. 209Ð217.
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!
science. Dans ce contexte, la nutrition fait partie de ce Ç naturel È quÕil faut suivre pour
se soigner.
Le terme Ç holistique È prend lui aussi diverse sens. Il se rŽfre ˆ des thŽrapies
centrŽes sur le patient et respectant son autonomie, ce qui leur permet dՐtre au centre
des dŽcisions relatives ˆ sa santŽ et ˆ son bien-tre. Holistique se rŽfre aussi en termes
des soins ˆ ces thŽrapies qui se donnent comme objectif de faire le plus grand bien aux
patients pris dans leur intŽgritŽ. Les thŽrapies qui se disent holistiques prŽtendent traiter
le malade comme personne et non la maladie. Or, dans ces trois manires de concevoir
Ç lÕholistique È, il nÕy a rien dÕoriginal, puisquÕil sÕagit ici de diverses manires
dÕimpliquer les principes fondamentaux de lՎthique mŽdicale tels que lÕautonomie et la
bienfaisance. LÕalimentation et la nutrition mobilisent intuitivement les notions de
Ç naturel È et Ç holistique È et se prtent donc facilement ˆ ces thŽrapies
complŽmentaires. Or la difficultŽ majeure est que les modalitŽs sous lesquelles certaines
thŽrapies utilisent la nutrition, sous prŽtexte de privilŽgier la dimension naturelle et
holistique du soin peuvent nuire gravement au patient.
LÕutilisation de certaines de ces thŽrapies avec des promesses et recettes de guŽrison,
de bien-tre et de dŽveloppement personnel, est ˆ lÕorigine de pratiques sectaires.
LÕampleur de cette problŽmatique est constatŽe par le dynamisme de ces groupes au
moyen dÕune promotion agressive sur internet et sur les rŽseaux sociaux, de leur
participation ˆ de nombreuses manifestations (colloques, salons), de la diffusion de
produits complŽmentaires thŽrapeutiques par le systme des ventes pyramidales, de la
protection de labels et, pire encore, par lÕinvention dÕÇ ordres È pseudo-professionnels1.
Cette problŽmatique attire notre attention dÕune part parce que prs de trois mil
mŽdecins, en France, seraient en lien avec la mouvance sectaire et, dÕautre part, parce
que la nutrition est considŽrŽe par la Mission interministŽrielle de vigilance et de lutte
contre les dŽrives sectaire comme un domaine ˆ risque2.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Mission interministŽrielle de vigilance et de lutte contre les dŽrives sectaire, Guide SantŽ et dŽrives
sectaires,
http://www.derives-sectes.gouv.fr/publications-de-la-miviludes/guides/santŽ-et-dŽrivessectaires, 2012 (consultŽ le 10 mars 2016)
2
La dŽrive sectaire est un dŽvoiement de la libertŽ de pensŽe, dÕopinion ou de religion qui porte atteinte
aux droits fondamentaux, ˆ la sŽcuritŽ ou ˆ lÕintŽgritŽ des personnes, ˆ lÕordre public, aux lois ou aux
rglements. Elle se caractŽrise par la mise en Ïuvre, par un groupe organisŽ ou par un individu isolŽ,
quelle que soit sa nature ou son activitŽ, de pressions ou de techniques ayant pour but de crŽer, de
maintenir ou dÕexploiter chez une personne un Žtat de sujŽtion psychologique ou physique, la privant
dÕune partie de son libre arbitre, avec des consŽquences dommageables pour cette personne, son
entourage ou pour la sociŽtŽ. Il sÕagit dÕun concept opŽratoire, permettant de dŽterminer un type de
comportements bien prŽcis qui nŽcessitent une rŽaction de la part de la puissance publique. Il nÕexiste
!
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Ces pratiques sont considŽrŽes comme dangereuses parce que elles atteignent non
seulement des personnes vulnŽrables, solitaires, exclues ou ˆ la recherche dÕun certain
ŽsotŽrisme, mais Žgalement des personnes sans difficultŽ particulire. Elles sont aussi
dangereuses par lÕabsence dՎvaluation indŽpendante et rigoureuse des mŽthodes et des
formations qui excluent explicitement ou de fait les pratiques mŽdicales
conventionnelles. Certaines de ces thŽrapies sont rŽalisŽes par des Ç gourous
thŽrapeutiques È qui exercent une vŽritable emprise mentale sur les malades. Le point
commun ˆ ces pratiques est de ne pas tre reconnues au plan scientifique par la
mŽdecine conventionnelle et donc de ne pas tre enseignŽes au cours de la formation
initiale des professionnels de santŽ1. Or cela nÕest pas sans rapport avec la difficultŽ que
nous avons dŽnoncŽe : la nutrition est une science largement validŽe au plan scientifique
qui nÕest cependant que peu enseignŽe aux professionnels de santŽ, ce qui laisse la porte
ouverte aux dŽrives thŽrapeutiques
LÕabsence dÕune rŽfŽrence mŽdicale solide pour les questions et les problŽmatiques
de la nutrition de la population2 favorise, dÕune part, la permanence et lÕancrage de
fausses croyances et dÕautre part, la nŽcessitŽ de chercher des soins qui soient capables
de rŽpondre ˆ ces questions. Cela favorise du mme coup les thŽrapies et dŽrives
sectaires dans le domaine de la nutrition. PrŽcisons quÕune thŽrapeutique devient
sectaire lorsquÕelle essaie de faire adhŽrer le patient ˆ une croyance, ˆ un nouveau mode
de pensŽe, ce qui se fait plus facilement avec les questions relatives ˆ la nutrition. En
prŽtextant lÕinutilitŽ des traitements conventionnels, le Ç pseudo-praticien È va
demander au patient dÕavoir toute confiance en lui car lui seul dŽtient la mŽthode Ç
miracle È capable de le guŽrir. CÕest ainsi que de nombreux rŽgimes et Ç mŽthodes È
alimentaires sont considŽrŽes comme une alternative pour la santŽ ou la solution
Ç miraculeuse È ˆ de nombreux problmes.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
aucune dŽfinition juridique de la secte, et aucun texte de loi nÕinterdit lÕappartenance ˆ une secte. Le
lŽgislateur a nŽanmoins crŽŽ le dŽlit dÕabus frauduleux de lՎtat de faiblesse par sujŽtion psychologique.
Guide SantŽ et dŽrives sectaires Mission interministŽrielle de vigilance et de lutte contre les dŽrives
sectaires, La documentation Franaise, p. 10.
1
Plusieurs universitŽs ont pris l'initiative d'enseigner certaines thŽrapies complŽmentaires, notamment
lÕacupuncture et lÕhomŽopathie, en crŽant des dipl™mes universitaires et interuniversitaires. Certaines de
ces pratiques sont entrŽes dans les soins des h™pitaux comme lÕhypnothŽrapie.
2
Mais aussi lÕabsence de formation clinique plus solide de diŽtŽticiens.
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Certaines mŽthodes non conventionnelles ˆ visŽe thŽrapeutique, proposent des
pratiques de Ç dŽtoxication È alliant exercice physique, frugalitŽ ou encore ježne1.
AujourdÕhui, les cures de ježne sont recommandŽes par des gourous et charlatans sous
diffŽrentes formes : ježne modifiŽ (absorption dÕun seul type dÕaliment : jus de fruit,
lŽgumes, bouillon, tisanes), la mono dite (consommation dÕun seul aliment comme le
raisin, les cerises, les pommes, les poireaux) et le ježne intŽgral. Par exemple,
lÕinstinctothŽrapie ou pratique crudivore qui consiste dans la seule consommation
dÕaliments crus sŽlectionnŽs sur leur odeur est pratiquŽe en France depuis 1983. Cette
thŽorie a ŽtŽ ŽlaborŽe par Guy Claude Burger2 ˆ partir de l'hypothse d'une adaptation
gŽnŽtique incomplte aux modifications subies par l'alimentation humaine depuis la
PrŽhistoire3. Par la marginalisation et lÕextrŽmisme de ses propos, cette thŽorie est
considŽrŽe comme sectaire4. Elle comporte des risques graves pour la santŽ5. A ce jour,
il nÕy a pas dՎtudes cliniques sur l'instinctothŽrapie qui montre une quelconque preuve
de son efficacitŽ, en particulier contre le cancer. La thŽorie de Burger reste fondŽe sur
des expŽriences personnelles et invŽrifiables6. Or, malgrŽ cela, certains mŽdecins7
comme le Dr Jean Seignalet, ancien ma”tre de confŽrences ˆ la FacultŽ de mŽdecine de
Montpellier, sont favorables ˆ cette thŽrapie. Ce mŽdecin affirme avoir fait sur plusieurs
annŽes :
Ç Une Žtude attentive de ses publications et ne pas y avoir dŽcelŽ de faille. Les travaux de Burger
se rattachent ˆ la mŽdecine classique (É) et lÕinstinctothŽrapie repose sur une dŽmarche
scientifique rigoureuse8.È
Il considre que le raisonnement de Burger est :
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Mission interministŽrielle de vigilance et de lutte contre les dŽrives sectaire, Guide SantŽ et dŽrives
sectaires, http://www.derives-sectes.gouv.fr/publications-de-la-miviludes/guides/santŽ-et-dŽrivessectaires, 2012 (consultŽ le 10 mars 2016) op.cit., p. 115.
2
Il a ŽtŽ condamnŽ pour publicitŽ irrŽgulire et escroquerie et pour exercice illŽgal de la mŽdecine. Il a
ŽtŽ aussi reconnu coupable de viols sur mineurs et condamnŽ ˆ 15 ans de rŽclusion criminelle.
3
O. Jallut, ÇInstinct therapy--raw food with meat with exclusion of milk productsÈ, Schweiz Rundsch
Med Prax. 1989, vol. 78p. : 697-701.
4
Mission interministŽrielle de vigilance et de lutte contre les dŽrives sectaire, Guide SantŽ et dŽrives
sectaires, http://www.derives-sectes.gouv.fr/publications-de-la-miviludes/guides/santŽ-et-dŽrivessectaires, 200 (consultŽ le 10 mars 2016) op.cit., p. 30.
5
DŽnutrition, carence (notamment en vitamines B1 et B6 ainsi qu'en fer, calcium, magnŽsium, zinc,
cuivre et en chrome) et risques infectieux.
6
O. Jallut, ÇInstinct therapy -raw food with meat with exclusion of milk productsÈ, op.cit., p. 697-701.
7
On peut citer Žgalement le Pr Henri Joyeux connu par ses pratiques controversŽes ainsi que son livre
Changez dÕalimentation, Paris, Rocher, 2013. http://www.professeur-joyeux.com
8
J. Seignalet, Ç PrŽface È, dans InstinctothŽrapie, Manger Vrai, Guy Claude Burger, Paris, Rocher, 1990,
p.16. J. Seignalet, L'alimentation, ou la troisime mŽdecine. Paris, ƒditions Francois-Xavier de Guibert,
1998.
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Ç Logique et bien construit, clair malgrŽ sa complexitŽ et en accord avec les donnŽes actuelles de
la science (É) En conclusion, je considre Guy-Claude Burger comme un chercheur brillant,
cultivŽ, logique, qui mŽrite dՐtre ŽcoutŽ et jugŽ impartialement1.È
Or, il faut savoir que Jean Seignalet Žtait immunologue et chercheur, ma”tre de
confŽrences ˆ lÕUniversitŽ de Montpellier et pionnier des greffes d'organes et de tissus.
LorsquÕil a ŽtŽ atteint d'un syndrome dŽpressif, il sÕest intŽressŽ ˆ la nutrition. Il adapte
son alimentation selon les recommandations de plusieurs nutritionnistes dont le rŽgime
de Burger. Il nÕa aucune formation ou parcours scientifique en nutrition. Cependant, il
publie une mŽthode qui est encore utilisŽe en France. Son livre L'alimentation, ou la
troisime mŽdecine explique sa thŽorie fondŽe sur
Ç LÕincapacitŽ de la mŽdecine actuelle ˆ rŽpondre ˆ la question essentielle : "Pourquoi mon
organisme se met-il soudainement ˆ dysfonctionner aprs des annŽes de bons et loyaux services?
2
È
Son hypothse met au jour trois types de mŽcanismes qui impliquent lÕintestin grle,
sans aucune vŽritable preuve scientifique. Les dernires Žditions de ce livre sont lÕobjet
dÕune promotion de la part de lÕassociation Seignalet :
Ç Si le rŽgime Seignalet est aujourd'hui le rŽgime santŽ de rŽfŽrence, c'est parce qu'il a fait ses
preuves auprs de milliers de patients. Il propose une vŽritable alternative ˆ la mŽdecine classique,
en particulier lˆ o cette dernire Žchoue le plus souvent : les maladies chroniques3.È
Du fait de ses caractŽristiques, mme si la mŽthode de Seignalet ne peut pas tre
considŽrŽe comme une dŽrive sectaire, car elle sÕavre moins extrme que la mŽthode
de Burger, elle peut tre conue comme une thŽrapie alternative dangereuse en raison
des dŽsŽquilibres alimentaires quÕelle peut causer et surtout parce quÕelle propose une
alternative ˆ la mŽdecine Ç classique È et non une modalitŽ Ç complŽmentaire È. Cette
mŽthode se fonde sur des intuitions et des croyances qui prŽtendent tre transmises aux
malades comme des vŽritŽs validŽes scientifiquement. On constate aussi que cette
mŽthode est dangereuse car elle est lŽgitimŽe par le fait dՐtre proposŽe par un mŽdecin
reconnu dans un domaine de la mŽdecine (lÕimmunologie et non la nutrition) fondant sa
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
J. Seignalet, InstinctothŽrapie, Manger Vrai, op.cit., p. 16.
J. Seignalet. L'alimentation, ou la troisime mŽdecine, op.cit.,
3
Association Seignalet : http://www.seignalet.fr/qui-sommes-nous.html#mid_139 (consultŽ le 20 janvier
2016).
2
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pertinence sur des publications supposŽes scientifiques1. Il est difficile pour la
population de le prendre pour un charlatan2.
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1
Son site internet affirme avoir plusieurs publications. En effet il sÕagit de sept publications scientifiques
dans le domaine de lÕimmunologie de 1975 ˆ 1995. Il nÕy a pas de publication scientifique sur la nutrition.
2
Il y a dÕautres exemples de charlatanisme difficile ˆ discerner par la population, comme par exemple, le
cas du Pr Henri Joyeux.
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CHAPITRE 3. LÕenseignement de la nutrition
3.1 Le problme
Les raisons qui pourraient expliquer le faible positionnement de la nutrition dans
lÕenseignement mŽdical en France ont ŽtŽ exposŽes dans le rapport au Ministre de la
santŽ prŽsentŽ par le Pr Ambroise Martin en 2009. LÕauteur souligne que :
Ç La nutrition est une discipline mŽdicale hospitalo-universitaire rŽcente, peu ŽtoffŽe et encore
fragile. DÕune faon gŽnŽrale, la nutrition mŽdicale franaise cherche encore son identitŽ : peuttre plus que dÕautres disciplines, elle reste fragile du fait de la dŽmographie mŽdicale et du fait
quÕelle se trouve confrontŽe aux importants mouvements de rŽforme des Žtudes mŽdicales, rŽcents
ou ˆ venir sans avoir eu le temps de consolider sa lŽgitimitŽ. LÕabsence de technicitŽ apparente de
la nutrition courante (au sens de la nŽcessitŽ du recours ˆ des instruments biologiques, dÕimagerie
ou dÕexploration sophistiquŽs) comme la rŽelle difficultŽ dÕobtention de rŽsultats probants rapides
sont vraisemblablement des ŽlŽments, parmi dÕautres ŽlŽments liŽs ˆ son enseignement qui seront
ŽvoquŽs plus loin, qui expliquent en partie la dŽsaffection du corps mŽdical en exercice ou en
formation vers cette discipline. La nutrition, sans doute comme quelques autres disciplines, est en
concurrence avec dÕautres disciplines davantage curatives, plus attractives et peut-tre plus
rŽmunŽratrices, dans un contexte de contraction de la dŽmographie mŽdicale1. È
Ce rapport indique, en effet, trois problmes : tout dÕabord, on voit la nŽcessitŽ pour
la nutrition de trouver une identitŽ au sein de la profession mŽdicale. Autrement dit, il
sÕagit de lŽgitimer les actions relatives au savoir-faire de la nutrition clinique. Est-ce que
le mŽdecin doit tre compŽtent en nutrition ? Dans ce cadre de rŽflexion, la visŽe est de
dŽfinir les limites de cette compŽtence. LÕenjeu est de savoir si la compŽtence du
mŽdecin sÕarrte ˆ la maladie, ou si elle peut sՎtendre Žgalement ˆ lՎtat nutritionnel et
ˆ la santŽ. Le mŽdecin doit-il prendre en charge lÕalimentation et les soins nutritionnels
des malades ou bien aussi celle des bien portants ? Autrement dit, faut-il exiger de la
nutrition une visŽe uniquement thŽrapeutique ou bien lui confŽrer aussi une dimension
prŽventive ? La dŽfinition de la nutrition clinique que nous avons Žtablie dans la
premire partie de la thse nous permettra de dŽfinir ces limites.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
A. Martin, Ç La formation a la nutrition des professionnels È, Rapport au Ministre de la santŽ, Avril
2009 http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_A_Martin_formation_nutrition.pdf (consultŽ le 5 mars
2016)
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Le deuxime problme tient ˆ lÕabsence de reconnaissance dÕune technicitŽ propre ˆ
la nutrition clinique. C«est un obstacle ˆ la reconnaissance de la place de la nutrition
dans la mŽdecine. Or, aujourdÕhui la recherche a permis de dŽvelopper un savoir-faire
technique propre ˆ la nutrition clinique : BioimpŽdance, DEXA, et d«autres techniques
de mesure de composition corporelle ainsi que les instruments de calorimŽtrie indirecte.
Il sÕagit ici de diffŽrents instruments diagnostiques qui nŽcessitent des connaissances et
une expertise spŽcialisŽe. Issus de recherches et avancŽes scientifiques majeures, ils
permettent de rŽaliser avec prŽcision le diagnostic de la malnutrition, en particulier, le
compartiment de la composition corporelle atteint par cet Žtat, et dÕindiquer avec
prŽcision les besoins nutritionnels d«une personne. Ces sont deux aspects clŽs dans le
savoir-faire de la nutrition clinique. Par exemple, la dŽtermination de la masse maigre et
de la masse musculaire est nŽcessaire de nos jours dans diverses situations comme
lÕobŽsitŽ, le problme de la nutrition du sujet ‰gŽ, les malades en rŽanimation et le
cancer. La perte de la masse maigre dans les cas de malnutrition comme la cachexie, la
sarcopenie et lÕobŽsitŽ, est liŽe ˆ lÕaugmentation de la morbi-mortalitŽ bien connue
aujourdÕhui. On sait, que les patients atteints de cachexie, avec une perte musculaire
importante, prŽsentent des risques de toxicitŽ ŽlevŽs suite au traitement par
chimiothŽrapie. La dŽtermination de la masse maigre permettrait dÕajuster les doses de
chimiothŽrapie. Ce traitement qui Žtait calculŽ en fonction de la surface corporelle, est
dŽsormais calculŽ en fonction de la masse maigre, autrement dit, en tenant compte du
statut nutritionnel, limitant ainsi la toxicitŽ des mŽdicaments1. En ce qui concerne les
techniques de dŽtermination de la dŽpense ŽnergŽtique, calorimŽtrie indirecte,
pletismographie, etc., elles se sont simplifiŽes et perfectionnŽes ces dernires annŽes
mais, en raison de leur cožt important, elles restent limitŽes ˆ la recherche ou ˆ certains
centres spŽcialisŽs.
Enfin, la concurrence avec dÕautres disciplines mŽdicales, qui ne sont pas spŽcifiques
ˆ la nutrition, sÕinscrivent dans une problŽmatique plus large que les seules conditions
de lÕexercice de la mŽdecine. Force est de reconna”tre que la nutrition sÕaffirmera
comme une science bien plus attractive quand la mŽdecine aurait pu se lÕapproprier
pleinement et que son r™le, ses compŽtences et son champ dÕaction soient clairement
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
M. de la Torre-Vallejo, J. Turcott J, O. Arrieta, V. Baracos V, ÇLetters to the Editor: Sarcopenia in the
Oncology Setting: The Use of CT Scan Images to Assess Lean Body MassÈ, Oncologist, 2016, vol. 21,
p.e2.
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dŽfinis. Reste donc ˆ prŽsent ˆ dŽlimiter le domaine de la nutrition et ˆ Žtudier les
modalitŽs de sa relation avec le champ de la mŽdecine.
3.2 Les limites intra et interdisciplinaires de la nutrition
La nutrition est une science autonome au croisement dÕun questionnement
multidisciplinaire (Figure 20). Nous lÕavons dŽfini dans la premire partie de notre
Žtude comme une science empirique qui Žtudie la relation de lÕhomme ˆ lÕaliment.
LÕautonomie de cette science se fonde sur la distinction dÕun domaine particulier, ˆ
savoir Ç lՎtat nutritionnel È. Il sÕagit dÕune science qui Žtudie la relation entre santŽ/Žtat
nutritionnel et qui possde comme moyen propre, la diŽtŽtique, conue comme la
science du rŽgime alimentaire. Nous lÕavons, ˆ ce titre, dŽfinie dans un cadre de
rŽfŽrence spŽcifique : lÕinteraction entre lÕenvironnement et lÕorganisme, autrement dit,
entre le nutriment (lÕaliment) et les divers systmes et fonctions de lÕorganisme qui
assurent lՎtat de santŽ. Elle pourrait donc tre conue aussi comme un domaine de
lՎcologie.
Figure 20. MultidisciplinaritŽ de la science de la nutrition.
Dans notre dŽfinition, le caractre multidisciplinaire est fondamental. Avant
dՎtudier les relations entre la nutrition et les sciences biologiques, psychologiques et
!
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sociales, il est primordial, dans un premier temps, de dŽfinir prŽalablement la
multidisciplinaritŽ. Celle-ci se prŽsente comme1.
Ç LՎtude dÕun objet dÕune seule et mme discipline par plusieurs disciplines ˆ la fois2.È
Une discipline est une branche de la connaissance donnant matire ˆ
enseignement, au sens strict du terme, cÕest ˆ dire un Ç savoir organisŽ selon lÕordre de
la raison È. Dans ce cadre, une discipline est un :
Ç Ensemble de connaissance dont la logique interne et lÕarticulation imposent de rgles auxquelles
3
les disciplines ne peuvent pas dŽroger È
Par exemple, une calorie est lÕunitŽ de mesure de la valeur ŽnergŽtique des aliments
et correspond, de manire invariable, ˆ la quantitŽ d'Žnergie nŽcessaire pour Žlever la
tempŽrature d'un gramme d'eau de 1 ¡C. Dans le langage courant, la notion de discipline
recouvre une plus grande gŽnŽralitŽ et dŽsigne un champ de connaissances et de
pratiques qui prŽsente une spŽcificitŽ socialement reconnue.
Les personnes qui appartiennent ˆ un groupe disciplinaire se regroupent autour dÕune
identitŽ commune. Cette manire dÕagir particulire ˆ chaque discipline se traduit par un
ensemble de modalitŽs de penser, qui caractŽrisent une profession. CÕest prŽcisŽment ˆ
cette signification que nous allons nous rŽfŽrer lors de lՎtude la multidisciplinaritŽ et
lÕinterdisciplinaritŽ de la nutrition.
La figure 20 montre les diverses disciplines qui sont concernŽes par la science de la
nutrition humaine. Cette multidisciplinaritŽ est conue comme lÕinteraction de ces
disciplines dans le domaine spŽcifique de la nutrition. Cette interaction se caractŽrise
par une dimension relationnelle entre diffŽrentes disciplines, en faisant appel ˆ chacune
de leurs compŽtences pour Žtudier lÕobjet de la nutrition. Ces disciplines qui se
chevauchent partagent donc des bases de rŽfŽrences, des principes et des mŽthodes qui
visent le mme objet : lՎtude de lՎtat nutritionnel et de sa relation avec la santŽ.
La nutrition est biologique lorsquÕon Žtudie lÕensemble des procŽdŽs (biochimiques,
physiologiques, molŽculaires, etc.) par lesquels les individus utilisent les nutriments des
aliments pour voir un bon Žtat nutritionnel et assurer un Žtat adŽquat de santŽ.
LÕutilisation de ces nutriments peut tre fonctionnelle si elle sÕavre bŽnŽfique pour la
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Dictionnaire Le Petit Robert, MontrŽal, Dictionnaire Le Robert, 1993.
N. Basarab, Ç La transdisciplinaritŽ È, Manifeste, ƒditions du Rocher, Monaco, 1996.
3
M. Payette, Ç InterdisciplinaritŽ : clarification des concepts È, UniversitŽ
https://www.usherbrooke.ca/psychologie/fileadmin/sites (consultŽ le 27 mars 2016).
2
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de
Sherbrooke,
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santŽ ou dysfonctionnelle, voire pathologique, pour lՎtat de santŽ. La notion de
nutriment est trs importante car elle dŽfinit le cadre de rŽfŽrence particulier de la
nutrition. Point dŽcisif, lorsque les disciplines biologiques, mais aussi psychosociales,
interagissent avec la nutrition, cette notion obŽit ˆ la mme dŽfinition. En effet, le
nutriment est conu comme un
Ç Composant alimentaire simple, qui ne nŽcessite pas de transformation chimique prŽalable pour
tre assimilŽ par lÕorganisme considŽrŽ1.È
Ces nutriments sont classŽs selon leur abondance dans les aliments, macro ou
micronutriments, ou par leurs caractŽristiques biochimiques ; les macronutriments,
quant ˆ eux, sont classŽs comme protŽines, glucides ou lipides. Ils sont principalement
issus de la production agricole, mais aussi de la production et la de la transformation
industrielle. Les nutriments en raison de leur r™le dans le mŽtabolisme et en tant que
source dՎnergie et de composants structuraux sont dŽterminants pour lՎtat nutritionnel
et pour lՎtat de santŽ. Cette dŽfinition est importante car cÕest ˆ partir de la
transformation de ce concept que nous avons Žtabli lÕorigine de la nutrition clinique.
La nutrition est concernŽe aussi par les sciences psychosociales, dans la mesure o le
choix des aliments et lÕacte de manger sont dŽterminŽs par ces deux dimensions. Par
exemple, la problŽmatique de la faim peut tre ŽtudiŽe ˆ partir dÕun regard croisŽ entre
la biologie, qui Žtudiera les effets sur le mŽtabolisme, la psychologie, qui Žvaluera
lÕimpact de la restriction alimentaire et des altŽrations mŽtaboliques liŽes ˆ la faim, et
les sciences humaines et sociales que dŽtermineront les possibles explications de la nonvisibilitŽ au niveau gŽopolitique et les stratŽgies possibles de prise en charge des
personnes. De cette manire, les connaissances scientifiques permettent de comprendre
la synergie entre lÕingestion des nutriments, le mŽtabolisme et le comportement humain.
Lorsque la nutrition est ŽtudiŽe par ces disciplines, de nouvelles disciplines peuvent
surgir. Par exemple, lՎthique de lÕaliment ou Ç food ethics È est dŽfini comme le
domaine qui fournit une analyse Žthique et des lignes directrices pour la conduite
humaine relativement ˆ la production, la distribution, la prŽparation et la consommation
des aliments. Il sÕagit dÕun nouveau champ de connaissance reconnu socialement (il
existe dÕailleurs un Journal of Food ethics) qui ne se trouve pas juxtaposŽ ˆ la nutrition
mais est ˆ la frontire de son cadre de rŽfŽrence. La nutrition molŽculaire est un autre
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Dictionnaire mŽdical en ligne de lÕAcadŽmie Nationale de MŽdecine 2013. http://dictionnaire.academiemedecine.fr/. (consultŽ le 10 avril 2014).
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exemple de collaboration entre les sciences biologiques et la nutrition. En utilisant les
mŽthodes de biologie molŽculaire, le but est de mieux comprendre les phŽnomnes et
les processus impliquŽs dans lÕutilisation de nutriments par lÕorganisme.
Compte tenu de ces ŽlŽments, la nutrition sÕaffirme donc comme une science
multidisciplinaire, et cÕest ainsi quÕelle doit tre enseignŽe. Dans ce contexte, comment
intŽgrer lÕenseignement de la nutrition dans la formation initiale des mŽdecins ? Il est
possible de concevoir trois possibilitŽs :
1. LÕenseignement dÕun cours spŽcifique et obligatoire de nutrition.
2. LÕenseignement dÕun cours spŽcifique optionnel, non obligatoire, de nutrition.
3. LÕenseignement de la nutrition de manire fragmentŽe dans diverses
disciplines.
Les auteurs divergent ˆ ce sujet1. Par exemple, DS McLaren affirme que
Ç Nutrition on its own is not a science; it is an integral part of physiology, biochemistry, cell or
molecular biology. Consequently, when it is taught as a separate academic subject the result is
bound to be incomplete (É) If nutrition were given its rightful place as an integral part of the basic
sciences there would be no need for separate courses or textbooks on nutrition. 2È
Ç La Nutrition nÕest pas une science ; elle est une partie intŽgrante de la physiologie, la biochimie,
la biologie molŽculaire ou cellulaire. Par consŽquent, quand elle est enseignŽe en tant que
discipline universitaire ˆ part, le rŽsultat est incomplet (É) si on donnait la juste place ˆ la
nutrition en tant que partie intŽgrante des sciences fondamentales, il n'y aurait pas besoin de cours
distincts ou des manuels sur la nutrition. È
Son argument est fondŽ sur la distinction entre la diŽtŽtique et la nutrition. La
diŽtŽtique est considŽrŽe comme une science et un art semblable ˆ la mŽdecine. La
nutrition est considŽrŽe comme un processus physiologique du mme type que la
respiration ou la reproduction et doit donc tre rattachŽe ˆ la physiologie. Il sÕagit ici
dÕune manire rŽductrice de concevoir la nutrition par la seule caractŽristique de sa
fonction biologique. Or la premire partie de cette thse a permis dՎtablir la nutrition
comme science et de mettre en Žvidence sa relation avec la diŽtŽtique. En dÕautres
termes, nous considŽrons la nutrition comme une science mais aussi comme un art, la
diŽtŽtique en faisant partie, toute dissociation entre elles se rŽvŽlant contre-productive
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
RF. Kuschner, Ç Will there be a tipping point in medical nutrition education? È, Am J Clin Nutr 2003,
vol. 77, p. 288-291.
2
DS. McLaren, ÇNutrition in medical schools: a case of mistaken identity È, Am J Clin Nutr 1994, vol.
59. p. 960-963.
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du point de vue mŽdical. Cela a bien Žvidemment des consŽquences sur lÕenseignement
des mŽdecins et des diŽtŽticiens dans la mesure o les mŽdecins ne sont pas uniquement
concernŽs par la fonction nutritionnelle : ils doivent aussi apprendre la diŽtŽtique. De
mme, les diŽtŽticiens ne sÕoccupent pas uniquement de la dite, mais ils doivent Žlargir
leurs compŽtences aux autres domaines de la nutrition. Il est alors nŽcessaire de savoir
comment former ou mieux former les mŽdecins en nutrition.
3.2.1 LÕenseignement fragmentŽe de la nutrition en France
Les Žtudes de mŽdecine en France se dŽroulent en trois cycles1. Le premier cycle de
trois ans dit Ç de formation gŽnŽrale È, se termine par lÕobtention du dipl™me de
formation gŽnŽrale en sciences mŽdicales. Cette partie a pour objectif lÕacquisition des
connaissances scientifiques de base, indispensables ˆ la ma”trise ultŽrieure des savoirs et
des savoir-faire nŽcessaires ˆ lÕexercice des mŽtiers mŽdicaux2. Cette base scientifique
est ample puisquÕelle englobe la biologie, certains aspects des sciences exactes et
plusieurs disciplines des sciences humaines et sociales. La premire annŽe ainsi que le
concours sont communs aux Žtudiants en mŽdecine, pharmacie, odontologie et aux
sages-femmes, mais ils excluent dÕemblŽe les diŽtŽticiens. Le tronc commun est
composŽ de huit unitŽs dÕenseignement et possdent un programme fixŽ nationalement3.
Dans cette organisation acadŽmique, lÕenseignement de la nutrition est situŽ dans lÕunitŽ
n¡ 1 : Ç Atomes, biomolŽcules, gŽnome, bioŽnergŽtique, mŽtabolisme. È Comme nous
lÕavons dŽjˆ mentionnŽ, il est difficile de conna”tre le contenu rŽel de cet enseignement,
qui trs vraisemblablement, varie en fonction des centres dÕintŽrt des enseignants de la
discipline et de leur sensibilisation aux questions de nutrition.
Le deuxime cycle de trois ans dit Ç de formation approfondie È a pour objectif de
faire acquŽrir des compŽtences gŽnŽriques permettant aux Žtudiants d'exercer par la
suite en milieu hospitalier ou en milieu ambulatoire ; le troisime cycle a pour objectif
de permettre lÕacquisition des compŽtences professionnelles liŽs ˆ la formation dans
laquelle ils s'engageront au cours de leur spŽcialisation4. Les enseignements portent
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Ces Žtudes se rŽalisent au sein dÕune universitŽ ayant une unitŽ de formation et de recherche de
mŽdecine (parfois mixte entre la mŽdecine et la pharmacie), associŽe ˆ lÕun des 29 centres hospitaliers
universitaires. https://www.conseil-national.medecin.fr/article/les-etudes-de-medecine-en-france-400
2
ArrtŽ du 22 mars 2011 relatif au rŽgime des Žtudes en vue du dipl™me de formation gŽnŽrale en
sciences mŽdicales, Journal Officiel n. 0087 du 13 avril 2011.
3
ArrtŽ du 28 octobre 2009 relatif ˆ la premire annŽe commune aux Žtudes de santŽ, Journal Officiel n.
0266 du 17 novembre 2009.
4
ArrtŽ du 8 avril 2013 relatif au rŽgime des Žtudes en vue du premier et du deuxime cycle des Žtudes
mŽdicales
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essentiellement sur ce qui est frŽquent, grave ou qui constitue un problme de santŽ
publique, ainsi que sur ce qui est cliniquement exemplaire. L'organisation des
enseignements est dŽfinie par l'unitŽ de formation et de recherche de mŽdecine, puis
approuvŽe par le prŽsident de l'universitŽ. Le programme est national et prŽpare aux
Žpreuves classificatoires nationales. Sur ce point, le Collge des enseignants de nutrition
des FacultŽs de MŽdecine de France (CEN) a identifiŽ la nutrition dans les trois types de
questions possibles dans cette Žpreuve et dans 7 modules et 24 items1. Ici, non plus,
nous ne connaissons pas la pratique en France de cet enseignement.
Au cours du troisime cycle de trois ˆ cinq ans dit Ç d'Žtudes spŽcialisŽes È,
lՎtudiant en mŽdecine devient alors interne, il est toujours considŽrŽ comme un
Žtudiant, mais il partage la responsabilitŽ de son droit de prescription avec un mŽdecin
senior. En 2001, il existait 11 filires, dont la nutrition ne faisait pas partie, dans la
mesure o la nutrition est considŽrŽe comme une formation complŽmentaire.
Figure 21. Les Žtudes de mŽdecine et lÕenseignement fragmentŽ de la nutrition2.
Bien que cette approche permette lÕintŽgration de la nutrition de manire transversale
aux autres disciplines, il se pourrait que les Žtudiants ne reconnaissent pas la nutrition
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
http://www.lewebducen.fr/dcem-ecn/ (consultŽ le 30 novembre 2015).
Figure adaptŽe de : http://www.remede.org/documents/comment-s-organisent-les-etudes-de.html
(consultŽ le 17 mars 2016) .
2
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comme une discipline distincte. Dans ce cas, la solution serait de proposer un
enseignement par un cours indŽpendant ou autonome en nutrition. Certaines universitŽs,
comme lÕUniversitŽ de Chicago dans les annŽes 80, ont suivi cette option. Voici ce
quÕaffirme le Pr L. Clifford ˆ propos de cette expŽrience :
ÇWhen I started in this field, I believed that we had to implement a stand-alone nutrition course.
After all, if students did not take a required course in nutrition, all of the nutrition principles that I
deemed important would be lost among the clutter. My colleagues and I did just that at the
University of Chicago in the late 1980s, when we introduced the first nutrition course in the
curriculum. That experience taught me an important lessonÑstand-alone courses will fail if
nutrition is not integrated throughout the entire curriculum. Without that step, nutrition will be
seen merely as a peripheral, isolated subject with very little practical relevance1. È
Ç Ë mes dŽbuts dans ce domaine, jÕai pensŽ que nous devions mettre en place un cours de nutrition
autonome. Aprs tout, si les Žlves ne prenaient pas un cours obligatoire en matire de nutrition,
tous les principes de la nutrition que je jugeais importants seraient perdus dans cette dispersion.
Mes collgues et moi avons fait cela ˆ l'UniversitŽ de Chicago ˆ la fin des annŽes 1980, lorsque
nous avons lancŽ le premier cours de la nutrition dans le programme. Cette expŽrience m'a appris
une leon importante : des cours autonomes seront vouŽs ˆ lՎchec si la nutrition nÕest pas intŽgrŽe
dans l'ensemble du programme. Sans cette Žtape, la nutrition sera considŽrŽe simplement comme
un sujet isolŽ pŽriphŽrique avec trs peu d'intŽrt pratique. È
En France, en 2005, le CEN a proposŽ la mise en place dÕun module autonome de
nutrition clinique dans le deuxime cycle de formation des mŽdecins. La mise en place
de ce type de cours aurait, selon le rapport du Pr Martin, les avantages suivants :
- Respecter la logique pŽdagogique de la discipline, qui du fait de son caractre
transversal, ne peut tre assurŽe par la dispersion dans les modules actuels ; dans la
dispersion actuelle des enseignements, les cas particuliers sont frŽquemment enseignŽs
avant lÕenseignement des bases de la nutrition.
- Assurer une meilleure Žvaluation des connaissances. La faible place de la nutrition
au sein des diffŽrents modules o elle est prŽsente a conduit ˆ la quasi disparition de la
nutrition dans les questions dÕexamen.
- Permettre aux Žtudiants de travailler plus efficacement pour la prŽparation de
lÕexamen classant national, le systme actuel les conduisant, selon lÕexpŽrience des
enseignants, ˆ faire pratiquement lÕimpasse sur la nutrition.
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1
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RF. Kuschner, Ç Will there be a tipping point in medical nutrion education? È, op.cit.,, p. 290.
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Cependant, lÕinconvŽnient ici est de proposer des modules pour une seule discipline,
mme transversale comme la nutrition, alors que la conception modulaire de
lÕenseignement de deuxime cycle vise, au contraire, ˆ dŽcloisonner les disciplines.
Selon lՎtude de K. Adams sur lÕenseignement dans les Žcoles de mŽdecine NordamŽricaines, 20 % des facultŽs disposent dÕun cours de nutrition autonome et dans 80 %
dÕentre elles, la nutrition est intŽgrŽe dans d'autres cours ou environnements
d'apprentissage.
Figure 22. RŽpartition des heures dÕenseignement de nutrition dans les Žcoles de
mŽdecine aux USA.
Toutefois, quÕelle soit enseignŽe de manire fragmentŽe ou comme un cours
autonome (ce qui permettrait de consolider la nutrition), ce qui est rŽvŽlateur cÕest le fait
quÕelle soit intŽgrŽe tout au long du curriculum de mŽdecine. Ce type dÕenseignement, ˆ
la fois par modules autonomes et intŽgrŽs transversalement, a fait ses preuves aux EtatsUnis. LՎcole de mŽdecine de Mercer University a mis en place un programme intŽgrŽ
de nutrition dont lÕefficacitŽ a permis dÕamŽliorer les compŽtences dans la pratique de la
nutrition. Celle-ci a ŽtŽ mesurŽe par un examen clinique dotŽ dÕun objectif structurŽ,
permettant ainsi de diminuer le nombre dՎtudiants (de 68% ˆ 11,5%)1, considŽrant que
le volume horaire relatif ˆ lÕenseignement de la nutrition Žtait insuffisant.
En 2010, nous avons eu lÕoccasion dՎvaluer puis dÕintŽgrer la nutrition dans la
formation des mŽdecins dans une universitŽ privŽe en Colombie. LÕEcole colombienne
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
B. Tobin, K. Welch, M. Dent, C. Smith, B. Hooks, R. Hasch, ÇLongitudinal and horizontal integration
of nutrition science into medical school curriculaÈ, J Nutr 2003, vol. 133, p. 567S-72S.
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de mŽdecine est une Žcole accrŽditŽe du Label dÕexcellence acadŽmique (Ç acreditacion
de Alta calidad È octroyŽe par le Ministre de lՎducation nationale colombien), avec
une approche biopsychosociale, qui organise lÕenseignent de la mŽdecine en six annŽes
de formation et en trois blocs (biologique, communautaire ou sociale et psychologique).
Les six annŽes se divisent en trois cycles de formation : un cycle Ç prŽclinique È de trois
annŽes, un cycle Ç clinique È de deux 2 annŽes, puis une annŽe de Ç internado È ou
lՎquivalent Ç dÕexternat È. LՎvaluation initiale rŽalisŽe par nos soins dans le cadre
dÕune recherche sur lÕenseignement de la nutrition montrait que la nutrition Žtait
pratiquement absente sauf dans un cours en deuxime annŽe de mŽdecine, en soins
primaires et dans un cours de pŽdiatrie. Nous avons aussi rŽalisŽ une Žtude auprs des
Žtudiants de mŽdecine du cycle clinique et des Žtudiants de premire annŽe de lÕinternat
de mŽdecine et chirurgie. Celle-ci tŽmoigne de leur attitude favorable ˆ l'Žgard de la
nutrition, malgrŽ lՎvidence de certaines lacunes dans les connaissances1.
A la suite de cette Žvaluation, nous avons intŽgrŽ un total de 90 heures de formation,
dont 90% dans le cours du bloc de mŽdecine communautaire et sociale du cycle
prŽclinique, qui avait un nombre de crŽdits acadŽmiques plus faible par rapport aux
cours de biologie. Les 10% restants ont ŽtŽ intŽgrŽs au bloc biologique du cycle
clinique. Cette rŽussite est due ˆ la constitution dÕune Žquipe dÕenseignants composŽe
dÕun pŽdiatre nutritionniste, dÕun mŽdecin nutritionniste, et de deux diŽtŽticiens2.
Cependant, un an aprs, une rŽforme du curriculum qui a avait comme but, entre autres,
de diminuer la charge dÕenseignement en prŽsentiel, de rŽorganiser certaines disciplines
et dÕen introduire de nouvelles, a conduit ˆ diminuer progressivement le nombre total
dÕheures dÕenseignement de 70%, malgrŽ notre dŽsaccord. Un cours Žlectif non
obligatoire a ŽtŽ toutefois mis en place. Les enseignants, en raison de lÕabsence de
cours, se sont du coup orientŽs davantage vers la recherche, mais des stratŽgies ont ŽtŽ
dŽfinies (non effectives ˆ ce jour) pour rŽcupŽrer le place de ces enseignements.
La situation actuelle en France, lÕexpŽrience de certaines universitŽs aux Etas Unis et
notre Žvaluation en Colombie nous conduisent ˆ formuler trois conclusions. Tout
dÕabord, idŽalement, lÕintŽgration de la nutrition doit tre transversale et cela au moyen
de la crŽation dÕun cours autonome. Cependant, compte tenu de la surcharge des
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
D. Cˆrdenas, ÇEvaluation of attitudes and knowledge in nutrition in undergraduate and graduate
students at the medical school of the Universidad El BosqueÈ, Nutrition in Clinical Practice 2011, vol. 1,
p. 94-102.
2
D. Cˆrdenas, ÇEl papel del mŽdico en la nutrici—nÈ, Revista Salud Bosque 2011, vol. 1, p. 57-62.
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curriculums et de la tendance actuelle ˆ dŽcloisonner les disciplines, lÕenseignent de
nutrition peut tre offert en sÕintŽgrant aux autres disciplines. Afin de donner une
cohŽrence ˆ la discipline et de renforcer sa visibilitŽ auprs des Žtudiants, dÕautres
stratŽgies doivent cependant tre recherchŽs. Ensuite, lÕimportance dŽcisive de la
nutrition pour le mŽdecin doit constamment tre rappelŽe et dŽfendue auprs des
dŽcideurs institutionnels, des enseignants et des Žtudiants. La fait est que le caractre
secondaire ou de moindre importance de la nutrition reste bien ancrŽ dans la perception
qu«on les mŽdecins de cette science et ses prŽjugŽs sont difficiles ˆ extirper. Enfin, il est
nŽcessaire dÕassurer la prŽsence de mŽdecins nutritionnistes qui jouent un r™le de
rŽfŽrence, que ce soit dans lÕenseignent thŽorique ou pratique.
Dans ce contexte, il devient nŽcessaire de savoir quel est le contenu de
lÕenseignement de la discipline. Ceci ne va pas sans poser la question des limites des
compŽtences des mŽdecins en nutrition. Cela est particulirement important parce que
lÕexercice de la discipline de la nutrition est partagŽ avec les diŽtŽticiens. Il convient
alors de dŽlimiter leurs champs dÕactions respectifs. La question fondamentale est la
suivante : la compŽtence du mŽdecin sÕarrte-t-elle ˆ la maladie ? Autrement dit, le
mŽdecin est-il concernŽ par la dimension thŽrapeutique de la nutrition ou bien est-ce
que sa compŽtence peut sՎtendre Žgalement ˆ lՎtat nutritionnel et ˆ la santŽ, ˆ savoir
ˆ la dimension prŽventive ? Afin de dŽfinir le contenu des enseignements, il est
nŽcessaire de dŽfinir au prŽalable les limites de la nutrition comme science. Ainsi,
partant dÕun noyau de connaissances propres ˆ la nutrition, il serait possible de dŽfinir
les contenus des enseignements et les compŽtences respectives requises par les
mŽdecins et les diŽtŽticiennes.
Cette recherche a ŽtŽ menŽe par la SociŽtŽ amŽricaine de sciences de la nutrition
(SACN, American society for nutritional science) en Žlaborant les dŽfinitions suivantes :
- Un noyau de connaissances spŽcifiques, individualisant la discipline. La
composition de ce noyau est prŽsentŽe dans le tableau 12.
- Des recouvrements avec dÕautres disciplines : chimie, biochimie, biologie
molŽculaire, ŽpidŽmiologie, science des aliments, gŽnŽtique, immunologie, É.
- Des interfaces avec dÕautres disciplines : oncologie, pharmacologie,
neurobiologie, etc.
Le noyau de connaissances spŽcifiques permet ainsi de dŽlimiter ses frontires et
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confrent ˆ la nutrition son unicitŽ et son identitŽ. (Figure 23) La consolidation de ce
noyau permettra dÕassurer l«avenir ˆ la discipline lorsquÕelle est en mesure de sՎtendre
et de communiquer avec dÕautres sciences. Ce noyau se chevauche de manire
significative avec les connaissances d'autres sciences et construit des interfaces de
savoirs avec des disciplines supplŽmentaires qui reprŽsentent les nouvelles frontires de
la recherche en nutrition. LÕenseignement en nutrition doit ainsi rŽpondre ˆ trois
exigences : tre complet relativement au noyau de connaissances spŽcifiques ; avoir une
profondeur sŽlective dans les connaissances disciplinaires qui se chevauchent ; et offrir
la possibilitŽ aux Žtudiants de se confronter aux disciplines dÕinterface.
Figure 23. Contribution dÕautres disciplines au noyau de connaissances de la
nutrition1.
Dans ce cadre, lÕenseignement doit pouvoir permettre de mettre en relation
l'intŽgration et l'application de l'alimentation ˆ partir du niveau cellulaire et molŽculaire.
La dŽfinition de ce noyau a ŽtŽ Žtablie par SACN dans le cadre de lÕenseignement
multidisciplinaire des sciences de la nutrition, en particulier pour les formations
doctorales. Le but est de prŽparer des chercheurs qui puissent affronter les dŽfis de la
sociŽtŽ actuelle en tenant compte des nombreuses avancŽes dans dÕautres sciences. Ce
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
LH. Allen, ME. Bentley, SM. Donovan, DM. Ney, PJ Stover, Ç Securing the future of nutritional
science through integrative graduate education È, J Nutr 2002, vol. 132, p. 779-784.
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noyau dŽfinit sept thmes principaux, dont trois correspondent aux connaissances et
compŽtences pour la recherche. Parmi les disciplines de recouvrement, se trouve la
mŽdecine, et dans le noyau de connaissances, dans lÕunitŽ thŽmatique n¡ 5 Ç Nutrition et
maladie È, est mentionnŽ lÕitem Ç Nutrition Clinique È. Cette caractŽrisation de la
nutrition comme science a lÕavantage dՐtre simple et aisŽ ˆ comprendre. Toutefois, la
difficultŽ ici est quÕelle ne permet pas de positionner la mŽdecine ˆ sa juste place.
Comme nous allons lՎtudier, la nutrition ne peut pas tre considŽrŽe comme une
discipline de recouvrement ou dÕinterface mais doit sÕaffirmer comme une discipline
dÕintŽgration. Plus rigoureusement, elle doit tre conue comme dans une interaction
interdisciplinaire.
Pour cerner ce point, nous avons voulu comparer la caractŽrisation de la science de la
nutrition de la SACN avec notre dŽfinition de la nutrition humaine. Une diffŽrence
fondamentale se manifeste : notre dŽfinition de la nutrition humaine comme discipline
multidisciplinaire a pour but de poser un cadre de rŽfŽrence pour les enseignements de
la nutrition pour les professions de santŽ. Par opposition aux propositions de la SACN,
cela signifie quÕelle ne concerne pas la nutrition uniquement sur le plan de la recherche
et de la constitution de nouvelles connaissances. Elle concerne aussi la mise en pratique
de cette connaissance, en Žtablissant la nutrition comme une techn, Ç un savoir
thŽorique et un savoir-faire pratique Žtroitement reliŽs1 È. Dans cette dŽfinition il est
possible de dŽfinir Žgalement un noyau de connaissances propres, qui partage certaines
connaissances et des savoir-faire techniques avec les sciences biologiques, sociales et
humaines, et neuropsychologiques (ou disciplines de recouvrement). Les nouvelles
disciplines surgissent de lÕinteraction entre la nutrition et ces dernires disciplines et
permettent donc dՎlargir ces frontires, dÕaller au-delˆ du cadre de lÕinteraction entre
lÕorganisme et lÕenvironnement. Il est possible aussi, ˆ partir de notre dŽfinition, de
concevoir des disciplines dÕÇ interface È mais pas dans le mme sens que celui qui est
indiquŽ par la SACN. Certaines disciplines, comme par exemple les sciences
Žconomiques, les sciences de lՎducation et le marketing, peuvent tre concernŽes par la
nutrition mais ne participent pas ˆ la composition du noyau de connaissances
spŽcifiques de la nutrition humaine. Autrement dit, si lÕenseignement de la nutrition doit
se fonder sur ce noyau de connaissances, la connaissance des disciplines dÕinterface
nÕest pas forcement intŽgrŽe dans les enseignements.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
A. Debru, Ç Au commencement de notre rationalitŽ mŽdicale : la mŽdecine hippocratique È dans Aux
origines de la mŽdecine, op.cit., p. 32.
!
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Il sÕensuit que notre conception de la science de la nutrition humaine permet de
donner une autre place ˆ la mŽdecine. La recherche rŽalisŽe dans la premire partie de
notre Žtude a permis dÕidentifier une vŽritable interaction entre nutrition et mŽdecine.
Cela signifie que nous considŽrons cette relation dans sa dimension interdisciplinaire.
LÕinterdisciplinaritŽ est dŽfinie comme :
Ç Une modalitŽ de lÕorganisation du travail qui vise lÕinteraction entre diffŽrentes disciplines. Cette
interaction a pour but de produire lÕintŽgration des connaissances, des expertises et des
contributions propres ˆ chaque discipline dans un processus de rŽsolution de problmes
complexes1. È
A diffŽrence de la multidisciplinaritŽ, dans lÕinterdisciplinaritŽ, lÕinteraction des disciplines
conduit ˆ la transformation de certains concepts et ˆ la dŽlimitation d«un nouveau cadre de
rŽfŽrence. En effet, lorsque la mŽdecine cherche ˆ nourrir lÕhomme malade, lՎvolution du
concept de nutriment permet de concevoir un outil thŽrapeutique (support nutritionnel) pour
rŽpondre ˆ la souffrance et ˆ la faim dans un Žventail large de situations : la fin de vie, les
patients en rŽanimation, les personnes ‰gŽes, les personnes atteintes de dŽmences, les patients en
situation post-chirurgicale, les patients souffrant de cancers, etc. Le nutriment est alors conu
comme Ç nutriment artificiel È, en raison de son origine et de son mode dÕadministration.
Comme consŽquence de cette interdisciplinaritŽ, une nouvelle discipline voit le jour : la
nutrition clinique.
Figure 24. InterdisciplinaritŽ de la nutrition clinique
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
M. Payette, Ç InterdisciplinaritŽ : clarification des concepts È, UniversitŽ
https://www.usherbrooke.ca/psychologie/fileadmin/sites (consultŽ le 27 mars 2016).
!
!
!
de
Sherbrooke,
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La nutrition clinique ne doit pas tre considŽrŽe simplement comme lÕapplication de
la nutrition dans le domaine de la clinique ou comme la prolongation de la diŽtŽtique. Il
sÕagit dÕune nouvelle discipline rŽsultant de lÕinteraction de la nutrition, de la mŽdecine
et de lՎvolution du concept de Ç nutriment È. Cette discipline nÕest plus dŽfinie dans le
cadre de lÕinteraction entre lÕenvironnement et lÕorganisme, mais dans un cadre de
rŽfŽrence spŽcifique inscrit dans lÕinteraction patient-mŽdecin (soignant). Nous avons
proposŽ une dŽfinition de la nutrition clinique fondŽe sur son statut ŽpistŽmologique,
son objet et son domaine spŽcifique de la connaissance :
La nutrition clinique est une science interdisciplinaire, concernŽe par la malnutrition (dŽnutrition /
surpoids obŽsitŽ / carences). Son objectif est d'appliquer les principes du support nutritionnel (i.e.
nutriment artificiels) dans le cadre des soins nutritionnels afin d'assurer l'Žtat nutritionnel et de
moduler d'autres fonctions biologiques pour influencer positivement le traitement des patients et la
guŽrison1.
Il
est
possible
dÕidentifier
certaines
caractŽristiques
ŽpistŽmologiques
et
sociologiques qui confirment lÕautonomie de cette discipline. Le tableau 13 expose ces
diffŽrents critres. Cela requiert une dŽfinition prŽcise dÕun noyau de compŽtences
relatives ˆ la nutrition clinique. En effet, nous considŽrons que ce noyau correspond ˆ
une formation de type spŽcialitŽ pour les mŽdecins et autres soignants. Autrement dit,
elle permet de dŽfinir le mŽtier de nutritionniste, point sur lequel nous reviendrons par
la suite.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
D. Cardenas, Ç What is Clinical Nutrition? Understanding the epistemological foundations of a new
disciplineÈ, op.cit., p. e63-e66.
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Tableau 13. Critres ŽpistŽmologiques et sociologiques de l«autonomie de la discipline
de la nutrition clinique (voir Annexe A, Cardenas D, Clinical Nutrition 2015.)
Nous avons voulu comparer le noyau de connaissances propres de la nutrition de
SACN (tableau 14), avec des propositions de contenus dÕenseignement formulŽes pour
les Žtudes en mŽdecine en France et dans diffŽrentes universitŽs aux Etats-Unis. Il est
important de souligner que cette question est ŽtudiŽe depuis les annŽes 80,
principalement aux Etats-Unis et que peu de publications ˆ ce sujet provenant dÕautres
pays, existent. Nous avons choisi trois universitŽs1 : la facultŽ de mŽdecine de
lÕUniversitŽ de Harvard a dŽfini cinq unitŽs thŽmatiques appelŽes Ç essentielles È avec
92 items2. Ce contenu traduit dix objectifs dÕenseignement. Par exemple, lÕitem
Ç dŽficience en vitamines et minŽraux È de lÕunitŽ thŽmatique Ç Biochimie, physiologie
et pathologie È sÕaccorde avec lÕobjectif Ç Description de lÕabsorption et du
mŽtabolisme des principaux nutriments chez lÕhomme sain et malade È. Ce contenu est
similaire ˆ celui que propose le programme de Nutrition in MŽdecine de lÕuniversitŽ de
UniversitŽ du Caroline du Nord3. Ce programme est dŽsormais utilisŽ comme rŽfŽrence
dans ce pays. LÕuniversitŽ de Northwestern ˆ Chicago4 propose quant ˆ elle, onze unitŽs
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
L. Clifford, Ç Integrating nutrition as a theme throughout the medical school curriculum È, Am J Clin
Nutr 2000, vol. 72, p. 882S-889S.
2
Ibid., p. 883S.
3
KM. Adams, M. Kohlmeier, M. Powell, SH. Zeisel. Ç Nutrition in Medicine: Nutrition Education for
Medical Students and ResidentsÈ, op.cit., p. 471Ð480.
4
RF. Kushner, VH. Linda, RL. Cheryl, SE. Marilyn, WB. Connie, M. Kohlmeier, and SR. Akabas,
Ç Nutrition education in medical school: a time of opportunityÈ, Am J Clin Nutr 2014, vol. 99, p. 1167SÐ
73S.
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thŽmatiques qui renvoient aux cycles prŽclinique et clinique de la formation. Nous
constatons que les contenus du programme du CEN sont semblables ˆ ceux des
universitŽs amŽricaines, mais ils sont prŽsentŽs sans tre regroupŽs dans des unitŽs
thŽmatiques, bien quÕintŽgrŽs dans les UnitŽs dÕEnseignement de chaque cycle. Les
trois programmes de ces universitŽs amŽricaines et celui du CEN ont comme point
commun de dŽfinir des contenus concernant :
-Les aspects fondamentaux biologiques, qui correspondraient ˆ la connaissance de
recouvrement avec les disciplines biologiques (biochimie, physiologie, etc.).
- LՎvaluation de lՎtat nutritionnel.
- Le nutriment, lÕaliment et les complŽments.
- La dimension thŽrapeutique et prŽventive de la nutrition.
La thŽrapie nutritionnelle qui concerne principalement lÕutilisation de support
nutritionnel (IE. NE, NP, SN) est prŽsente dans les trois programmes universitaires
mentionnŽs mais elle nÕest pas intŽgrŽe au noyau de connaissances propres ˆ la nutrition
de la SACN.
De manire gŽnŽrale, ces points communs montrent que la nutrition cible lՎtat
nutritionnel et cela dans une dimension prŽventive en lien avec lՎtat de santŽ, les
patients sains et en prenant compte de la dimension thŽrapeutique concernant la maladie
et les malades. Ainsi les compŽtences des mŽdecins dans leur exercice ne se limitent pas
ˆ la dimension curative, mais elles incluent aussi la dimension prŽventive, ˆ savoir les
compŽtences quÕimpliquent les 9 repres du PNNS.
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Tableau 14. Noyaux de connaissances de la discipline de la nutrition selon la SociŽtŽ
amŽricaine des sciences de la nutrition et la connaissance pour lÕenseignement de la
nutrition dans les facultŽs de mŽdecine.
A titre dÕexemple dÕavancŽe significative, en 2011, nous sommes parvenus, en
Colombie, avec la SociŽtŽ colombienne de nutrition clinque, ˆ Žtablir un consensus
national sur les compŽtences requises de la part du mŽdecin en nutrition1. Un comitŽ
dÕexperts intŽgrant quatre mŽdecins et deux diŽtŽticiennes a sŽlectionnŽ, en se fondant
sur les rŽsultats de la littŽrature scientifique, un total de 6 unitŽs thŽmatiques et de 178
compŽtences. Lors dÕune journŽe consacrŽe ˆ lՎlaboration de ce consensus, 47
professionnels mŽdecins et diŽtŽticiennes impliquŽs dans le domaine de la nutrition ont
ŽtŽ invitŽs. Par votation, ces donnŽes ont ŽtŽ sŽlectionnŽs, les compŽtences ne faisant
pas le consensus ayant fait lÕobjet de discussions. Parmi les rŽsultats, certaines
compŽtences comme le dŽpistage, lՎvaluation nutritionnelle et les connaissances du
r™le de la nutrition et dÕautres modes de vie sains dans la prŽvention des maladies
corniques, ont ŽtŽ considŽrŽes ˆ l'unanimitŽ comme prioritaires.
Parmi les compŽtences qui nÕont pas fait l«unanimitŽ, il faut signaler les Ç conseils
nutritionnels È (nutritional couselling). Ces derniers se dŽfinissent comme un processus
Žducatif, concernant lÕalimentation, qui implique la communication entre le soignant
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
D. Cardenas, J. Kling, LS. Hidalgo, C. BagŽs, A. Navas, C. Posada, ÇConsenso nacional sobre
competencias profesionales en nutrici—n para el mŽdico general È, RCMN 2012, vol. 3, p. 19-35.
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formŽ en nutrition et l'individu ˆ toute Žtape de la vie. En France, cela concerne par
exemple, lՎducation des 9 repres nutritionnels du PNNS. Le but est d'analyser une
situation nutritionnelle individuelle et dÕaider ˆ prendre des dŽcisions ˆ ce sujet, sur la
base des rŽsultats de l'Žvaluation et de l'analyse des pratiques nutritionnelles, du
renforcement des pratiques identifiŽes comme positives et de corriger celles considŽrŽes
ˆ risque, afin d'assurer un Žtat nutritionnel adŽquat. L'objectif du conseil est de
maintenir la santŽ et la qualitŽ de vie, dÕassurer la prŽvention des maladies et le
traitement de certaines maladies liŽes ˆ l'alimentation. Le Preventive Services Task
Force des Etats-Unis recommande dÕailleurs de fournir des conseils sur le
comportement alimentaire chez les patients adultes dans des cas spŽcifiques tels que
l'hyperlipidŽmie et d'autres facteurs ˆ risque connus pour les maladies cardiovasculaires,
ainsi que dans le cas de maladies chroniques liŽes ˆ l'alimentation. Le conseil
nutritionnel, selon cette entitŽ, peut tre donnŽ par les mŽdecins de soins primaires ou
par d'autres spŽcialistes rŽfŽrents, tels que des nutritionnistes ou des diŽtŽticiens1. En
France, les conseils nutritionnels sont un ŽlŽment constitutif de la consultation en
diŽtŽtique.
Les raisons ŽvoquŽes pour concevoir cette compŽtence rŽsident dans lÕidŽe quÕelle
ne concerne pas les mŽdecins, mais serait propre ˆ la pratique du mŽtier de
diŽtŽticienne. En Colombie, comme dans la plupart des pays dÕAmŽrique latine, ainsi
quÕaux Etats-Unis, le titre de Ç diŽtŽticien È est obtenu aprs une formation universitaire
de bac +4, pouvant parfois sՎtendre mme jusquÕau niveau de Master et de Doctorat.
DÕune certaine manire, ces professionnels se sentent en concurrence et menacŽs de voir
leurs domaines de compŽtences concurrencŽ et transgressŽ par dÕautres professionnels.
Cela sÕexplique prŽcisŽment par lÕabsence de dŽfinitions des compŽtences et de
domaines spŽcifiques ˆ chaque mŽtier, favorisant ainsi lÕidŽe quÕil sÕagit dÕun champ
dont pourraient s«emparer diffŽrents professionnels.
Aprs cette analyse, il est possible de rendre compte de lÕimportance de ce noyau
de connaissances en nutrition humaine, tel quÕil est identifiŽ par le CEN, et qui peut
servir de rŽfŽrence ˆ lÕenseignement dans les facultŽs de mŽdecine. Or, la difficultŽ est
que cet enseignement est dŽfinitivement inscrit dans les curriculums, en accord avec une
formation pratique dans le cadre de stages hospitaliers. Cependant, nous pensons quÕil
est nŽcessaire de dŽfinir un noyau de connaissances gŽnŽrales susceptibles de servir
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
U.S. Preventive Services Task ForcŽ. Ç BehavioralCounseling in PrimaryCaretoPromote a Healthy Diet
: Recommendations and RationaleÈ, Am J Prev Med 2003, vol. 24, p. 93-100.
!
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comme cadre de rŽfŽrence en France, une sorte de socle de connaissances et de
compŽtences de base indispensables, complŽtŽes ensuite par lÕapport de chaque corps
professionnel. Cela donnerait une cohŽrence ˆ la fois aux enseignements de la nutrition
et ˆ lÕexercice des soins nutritionnels. Ce noyau de connaissances doit, pour cela, bien
tenir compte de la politique nutritionnelle en France, notamment du PNNS.
Il est important de souligner que toutes les professions de santŽ sont concernŽes par
les soins nutritionnels : mŽdecins, sages-femmes et odontologistes, mais aussi
diŽtŽticiens,
infirmiers,
masseurs-kinŽsithŽrapeutes,
ergothŽrapeutes
et
psychomotriciens, et orthophonistes. Cette pratique se fonde sur la mise en Ïuvre de
compŽtences communes et le respect de compŽtences individuelles professionnelles.
Les soins nutritionnels, ainsi rŽalisŽs par lÕensemble des professionnels du soin, doivent
chercher ˆ Žtablir des compŽtences impliquant une collaboration interprofessionnelle, et
cela pour le bŽnŽfice des patients. Toutefois, le bin™me mŽdecin-diŽtŽticien reste un des
acteurs clŽ des soins nutritionnels. Dans ce cadre prŽcis, et pour que cela devienne
effectif, il est dÕabord indispensable de dŽfinir les limites et les difficultŽs dÕinteraction
de ces deux professions.
3.2.2 Le mŽtier de diŽtŽticien
Le travail menŽ par les professionnels en diŽtŽtique est complŽmentaire de celui mis
en Ïuvre par les professionnels mŽdecins dans les soins nutritionnels. Cependant, cette
complŽmentaritŽ a du mal ˆ se mettre en place. Les difficultŽs se trouvent toutefois des
deux c™tŽs. DÕune part, les mŽdecins, comme nous lÕavons dŽjˆ analysŽ, ne sont pas
formŽs et, souvent, ils ne sont pas attentifs ˆ la problŽmatique nutritionnelle dans les
Žtablissements de santŽ, ce qui conduit ˆ une mŽconnaissance du mŽtier de diŽtŽticien.
DÕautre part, il nÕexiste pas de r™le bien dŽfini pour les diŽtŽticiens dans les
Žtablissements de santŽ et leurs fonctions sont souvent ambigu‘s. Voici ce quÕaffirme ˆ
propos de cette difficultŽ le Pr. Kempt dans son Rapport sur lՎvolution du mŽtier de
diŽtŽticien :
Ç Il existe en effet un contraste frappant entre lÕimportance dŽclarŽe des problmes de santŽ
publique (PNNS) et la place centrale de la nutrition par rapport aux moyens et ˆ lÕimportance
!
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donnŽe ˆ ces diffŽrents acteurs, quel que soit le domaine dÕexpression (soins, Žducation,
1
organisation et recherche) . È
La preuve de cela est lÕabsence dՎvolution de la formation des diŽtŽticiens, malgrŽ
une demande gŽnŽrale de la part des associations de diŽtŽticiens et le fait que cela soit
signalŽ dans de nombreux rapports concernant la problŽmatique nutritionnelle. En effet,
il sÕagit dÕune profession trs hŽtŽrogne : elle se prŽsente certes comme une discipline
mŽdicale mais elle est principalement reconnue surtout par ses activitŽs au sein de la
collectivitŽ et dans lÕindustrie alimentaire. Le mŽtier de diŽtŽticien prŽsente ainsi des
enjeux majeurs qui ont comme origine le fait que leur formation se rŽvle inadaptŽe.
Il sÕagit dÕun mŽtier reconnu comme professionnel de santŽ depuis moins de 10 ans,
mais sa formation nÕa pas ŽvoluŽ au rythme des enjeux actuels. En effet, la formation
semble courte et insuffisante au regard des vastes domaines possibles dÕexercice de la
profession. Cela pose particulirement problme dans le domaine mŽdical.
La profession de diŽtŽticien est inscrite depuis plusieurs annŽes dans le Code de la
SantŽ Publique dans la rubrique auxiliaires mŽdicaux2. Ce cadre rŽglementaire fixe
lÕexercice de la profession et autorise quelques uns ˆ porter le titre de Ç diŽtŽticien È.
Les personnes titulaires du dipl™me d'Etat franais de diŽtŽticien peuvent faire
accompagner ou non leur titre du qualificatif, Ç nutritionniste È3.
Pour accŽder ˆ ce Dipl™me dÕEtat franais, deux voies sont possibles : le Brevet de
Technicien supŽrieur en DiŽtŽtique (B.T.S.) et le Dipl™me universitaire en gŽnie
biologique option DiŽtŽtique (D.U.T.). Il sÕagit de formations dŽlivrŽes par le ministre
de l'Education Nationale et dont la durŽe de formation est de 2 annŽes. Or la
dŽnomination Ç Dipl™me dÕEtat È nÕest cependant pas applicable pour les dipl™mes
actuels, ce qui nÕempche pas les professionnels dÕexercer. Il faut noter que ces deux
formations sont bel et bien distinctes, alors quÕelles ciblent la mme profession et par
suite la mme fonction. Ce rglement dŽfinit la profession comme :
Ç toute personne qui, habituellement, dispense des conseils nutritionnels et, sur prescription
mŽdicale, participe ˆ l'Žducation et ˆ la rŽŽducation nutritionnelle des patients atteints de troubles
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
M. Krempf Rapport sur lՎvolution du mŽtier de diŽtŽticien, Programme National Nutrition SantŽ
(PNNS), 2002. http://www.afdn.org/fileadmin/pdf/rapport_krempf.pdf (consultŽ le 2 fŽvrier 2016) . Ce
rapport s'inscrit dans le cadre du programme national nutrition santŽ, qui a retenu au nombre des actions ˆ
mener, une rŽflexion sur les mŽtiers de la nutrition et sur la formation des personnels intervenant dans ce
domaine.
2
Loi N¡ 2007-127 du 30 janvier 2007, Journal officiel n. 27 du 1 fŽvrier 2007.
3
Le terme de Ç nutritionniste È est un qualificatif mais qui ne dŽfinit pas une profession, il peut tre
utilisŽ par toute personne (mŽdecin, ingŽnieur, diŽtŽticien,) ayant une formation en nutrition. Nous
analyserons les enjeux de ce qualificatif plus bas.
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du mŽtabolisme ou de l'alimentation, par l'Žtablissement d'un bilan diŽtŽtique personnalisŽ et une
Žducation diŽtŽtique adaptŽe1.È
Leur fonction est donc dŽfinie selon divers domaines :
-
Les Žtablissements des soins.
-
Le secteur libŽral.
-
La restauration collective.
-
Les structures de santŽ publique (municipalitŽ, centre dÕexamens pour la santŽ,
comitŽ dՎducation pour la santŽ, etc.).
-
LÕindustrie alimentaire et pharmaco/diŽtŽtique.
-
Les structures de recherche.
MalgrŽ les multiples fonctions auxquelles ils sÕappliquent et lÕimportance confirmŽe par les
pouvoirs publics (politique PNNS) du r™le des diŽtŽticiens, ces dipl™mes ne durent que deux
annŽes. Une formation sur trois annŽes pour lÕenseignement supŽrieur mettrait le dipl™me au
niveau dÕune licence professionnelle et serait donc considŽrŽ comme un dipl™me reconnu de
niveau II, Žquivalent cadre, donc nettement au-dessus du niveau de recrutement actuel des
diŽtŽticiens dans les Žtablissements de soins2.
La formation est organisŽe sur deux annŽes (1600 heures de cours avec les TD et les
TP)
et
regroupe
diffŽrentes
disciplines
:
franais,
nutrition/alimentation,
biochimie/physiologie, bases physiopathologiques, rŽgimes, techniques culinaires,
gestion et une langue facultative. Deux stages sont prŽvus : lÕun de 6 semaines durant la
premire annŽe et lÕautre de 14 semaines (parfois fractionnŽ en plusieurs pŽriodes) la
deuxime annŽe, soit un total de pratique sur le terrain dÕenviron 20 semaines.
LÕenseignement thŽorique et pratique se rŽvle largement insuffisant si on le compare
aux autres professions de santŽ (voir Tableau 15).
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Loi N¡ 2007-127 du 30 janvier 2007, Art. L 4371-1
M. Krempf, Rapport sur lՎvolution du mŽtier de diŽtŽticien, Programme National Nutrition SantŽ
(PNNS), op.cit.p. 24.
2
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Tableau 15 Comparaison de la formation du diŽtŽticien par rapport ˆ celle du personnel
soignant ou rŽŽducateurs1
Le diŽtŽticien est certes un professionnel de santŽ, mais sa formation nÕest pas menŽe
en milieu hospitalier. La place de ces professionnels dans le milieu de soins est du coup
souvent ambigu. La fonction des diŽtŽticiens, pour beaucoup dÕadministrateurs
dՎtablissement de santŽ, est avant tout un service apportŽ ˆ la clientle (malades ou
restauration collective). CÕest la fonction de gestion administrative (des stocks et de
lÕalimentation des usagers des h™pitaux) qui est prioritaire avec comme finalitŽ de
pouvoir assurer la sŽcuritŽ maximale et, le cas ŽchŽant, une qualitŽ gustative acceptable.
Il est intŽressant de souligner quÕencore aujourdÕhui dans de trs nombreux
Žtablissements, le service diŽtŽtique dŽpend, comme au XVIIIme sicle, directement de
la direction des services Žconomiques et/ou du responsable des unitŽs de production.
Cela montre comment la diŽtŽtique et la nutrition ˆ lÕh™pital, ne sont toujours pas
conues comme un soin.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
M. Krempf, Rapport sur lՎvolution du mŽtier de diŽtŽticien, Programme National Nutrition SantŽ
(PNNS), op.cit., p. 19.
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L«autre preuve confirmant cette thse est le r™le du diŽtŽticien, censŽ traduire en
menu la prescription diŽtŽtique du mŽdecin : il est souvent assimilŽ ˆ un cuisinier. La
mission relative aux soins est alors nŽgligŽe. Cette problŽmatique est moins frŽquente
lorsque lՎtablissement se passe de services diŽtŽtiques pour confier toute la restauration
ˆ une unitŽ de production de repas. Dans ce contexte, il est frŽquent dÕobserver que les
soins et lՎducation nutritionnels sont largement nŽgligŽs, voire occultŽs. Dans les
Žtablissements o il existe un service de diŽtŽtique, il est possible de rencontrer dÕautres
difficultŽs. Premirement, les effectifs souvent trs faibles obligeant ainsi ˆ cibler et ˆ
limiter les interventions uniquement sur quelques services ou sur certains types de
patient, mais au dŽtriment des nombreux autres patients hospitalisŽs. Cette dilution de
lÕactivitŽ conduit ˆ une perte de lÕefficacitŽ des soins. Deuximement, lÕabsence de
dŽfinition des r™les des diffŽrents soignants pose des difficultŽs. Cela concerne le
mŽdecin mais aussi les infirmires. Rappelons que la mission du mŽtier de diŽtŽticien,
avant que ce dernier n«existe, Žtait, en France, confiŽe aux infirmires. Du coup,
certaines infirmires considrent quÕelles ont aussi pour mission la prise en charge des
aspects nutritionnels du patient hospitalisŽ. Ainsi, certaines des missions, comme
lՎducation nutritionnelle ou le calcul de la prise alimentaire des patients, qui auraient
dž normalement revenir aux diŽtŽticiens, ont ŽtŽ attribuŽes ou rŽattribuŽs au personnel
soignant notamment, aux infirmires.
En ce qui concerne les mŽdecins, leur position envers les diŽtŽticiens est souvent
ambigu‘, car ils reconnaissent lÕimportance de la nutrition mais ne leur donnent pas une
place dans les soins intŽgraux du malade. Cela sÕexplique, dÕune part, parce que le
mŽtier de diŽtŽticien est assez mal connu de la part des mŽdecins gŽnŽralistes1 (qui
dÕailleurs confondent le r™le exact des diŽtŽticiens et des nutritionnistes) et, dÕautre part,
par le non-remboursement des actes diŽtŽtiques. Les mŽdecins peuvent les considŽrer
comme de simples adjuvants au soin sans les intŽgrer vŽritablement dans lՎquipe
soignante. Certes, cela a ŽvoluŽ lŽgrement avec la place du diŽtŽticien dans le CLAN et
dans les UnitŽs transversales de nutrition.
Les mŽdecins, une fois identifiŽe une
problŽmatique nutritionnelle, comme par exemple, la nŽcessitŽ de la perte de poids ou la
nŽcessitŽ de mettre en place un rŽgime hypocholestŽrolŽmiant, peuvent dŽsormais
adresser les malades ˆ une consultation diŽtŽtique. Pour cela, les mŽdecins devront
conna”tre ces indications et les principes de ces interventions alimentaires, mais ce sont
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
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Ibid., p.23.
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les diŽtŽticiens qui sont concernŽs par cette fonction. CÕest au moyen dÕune consultation
diŽtŽtique bien menŽe (consultation initiale de suivi, etc.) que l«objectif de perte du
poids ou de rŽduction du cholestŽrol par une intervention diŽtŽtique pourra tre atteint.
Ces consultations sont de vŽritables soins et doivent tre inscrits dans les soins
nutritionnels. Elles ont pour objectif de :
Ç garantir des apports nutritionnels quantitativement et qualitativement conformes ˆ lՎtat
physiologique des personnes, ˆ leur pathologie et aux traitements poursuivis, tout en tenant compte
de leurs prŽfŽrences, de leurs habitudes culturelles et religieuses, de leurs capacitŽs individuelles,
et en prŽservant le plaisir de sÕalimenter. La dŽmarche de soin diŽtŽtique apporte un cadre ˆ la
consultation diŽtŽtique et comporte de spŽcificitŽs en termes dÕoutils, de stratŽgies et dՎvaluation,
selon les orientations des consultations1.È
MalgrŽ lÕimportance accordŽe ˆ la nutrition et la possibilitŽ de confŽrer un statut de
soins aux consultations diŽtŽtiques, ces dernires ne sont pas remboursŽes par la sŽcuritŽ
sociale mais uniquement par certaines mutuelles. Ainsi, dans la majoritŽ des
consultations mŽdicales, face ˆ la nŽcessitŽ dÕune intervention nutritionnelle, lÕaction est
souvent limitŽe ˆ des recommandations gŽnŽralisŽes sur le mode dÕune prescription
mŽdicale, uniformisŽe et identique pour tous les patients. Ces recommandations
diŽtŽtiques ne peuvent ainsi prŽtendre sÕintŽgrer dans les soins du patient et ne font pas
lÕobjet d«un suivi adaptŽ et nŽcessaire.
Dans ce contexte, il sÕavre indispensable de redŽfinir le r™le et la mission de
diŽtŽticien. Cette profession doit Žvoluer pour avoir une meilleure lisibilitŽ dans le cadre
des soins. Pour cela, le statut de diŽtŽticien doit tre modifiŽ et devenir lՎquivalent de
celui dÕun Ç cadre È et sa formation devrait pouvoir sÕintŽgrer ds la premire annŽe
dՎtudes ˆ un dipl™me de formation gŽnŽrale en sciences mŽdicales. Leur
complŽmentaritŽ avec la mŽdecine doit se fonder sur cette avancŽe dans la formation.
A ce manque de formation solide des diŽtŽticiens sÕajoute un problme qui est celui
du manque de rŽfrent mŽdecin spŽcialisŽ.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
Association de diŽtŽticiens de langue Franaise, Recommandations pour la pratique clinique, La
consultation diŽtŽtique rŽalisŽe par un diŽtŽticien, Haut autoritŽ de SantŽ, 2006.
http://www.afdn.org/fileadmin/pdf/recommandations/consultation_dietetique_recos.pdf (consultŽ le 30
mars 2016)
!
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3.3 Le mŽtier de nutritionniste : un problme ˆ rŽsoudre, une exigence ˆ accomplir
Si lÕon est amenŽ ˆ rŽflŽchir sur le mŽtier de nutritionniste, cÕest prŽcisŽment parce
que cette qualification peut tre utilisŽe aujourdÕhui en France avec peu de
discernement. En effet, le mot nutritionniste ne dŽfinit pas une profession, il peut tre
utilisŽ par toute personne mŽdecin, ingŽnieur, diŽtŽticien, infirmire ayant reu une
formation en nutrition. Or cette formation souvent universitaire est diverse et trs
hŽtŽrogne, et au regard de ses implications scientifiques, elle ne sÕimprovise pas.
Ce qui se trouve au centre de cette problŽmatique et de la nŽcessitŽ de dŽfinir
clairement le mŽtier de nutritionniste, cÕest le souci de nourrir lÕhomme malade. Dans
le cadre actuel de la pratique de la mŽdecine et face ˆ de nombreuses situations
auxquelles on peut dŽsormais remŽdier gr‰ce au progrs de la mŽdecine, la nutrition
peut tre le facteur dŽterminant de la survie de la personne et du succs du traitement.
MalgrŽ les nombreuses avancŽes de la mŽdecine dans dÕautres domaines, la faim, la
dŽnutrition et d«autres pathologies de la nutrition sont frŽquentes et rŽgulirement
ignorŽes ˆ lÕh™pital ou par les cadres libŽraux. Toutefois, nourrir lÕhomme malade nÕest
pas seulement un soin, mais un traitement, qui nŽcessite de la part de professionnels des
compŽtences spŽcifiques. Nous avons ŽtudiŽ les enjeux Žthiques de ce double statut de
la nutrition. Il sÕagit de faire face ˆ la double vulnŽrabilitŽ des malades dŽnutris et cela
avec des qualitŽs morales dÕattention, de compŽtence, de responsabilitŽ et avec la
capacitŽ de rŽponse. Face ˆ cela, la dŽfinition rigoureuse dÕun professionnel avec les
compŽtences scientifiques et techniques nŽcessaires mais aussi morales, est plus que
jamais une exigence pour faire face ˆ la faim et la souffrance de ces patients.
Qui est aujourdÕhui Ç nutritionniste È en France ? CÕest un mŽtier qui sÕexerce en
libŽral ou ˆ lÕh™pital. Il existerait des milliers de mŽdecins, (on ne dispose pas de
statistiques prŽcises) qui affirment pratiquer la Ç nutrition È, souvent aprs la validation
dÕun Dipl™me Universitaire en Nutrition. Cependant, cela nÕest pas reconnu par le
Conseil de lÕordre des mŽdecins comme Žtant une pratique officielle. La difficultŽ ici est
quÕil nÕexiste pas de contr™le sur ces formations ni sur les modes dÕexercice de la
nutrition. Pour ne rien ignorer de ce panorama inquiŽtant, il existe aussi des nonmŽdecins avec des formations (ˆ distance sur internet) qui rŽalisent des consultations de
nutrition. CÕest le cas de nombreux Ç coach nutritionnels È qui, aprs une formation de
quelques heures, deviennent des Ç conseillers en nutrition È.
CÕest ainsi qu«il est
possible de rencontrer des Ç coach minceurs È, Ç amaigrisseurs È, Ç nutriciopathes È, Ç
!
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micronutriciologues È, Ç nutritiologies È tous plus ou moins dangereux dans la mesure
o le public les considre comme des nutritionnistes avŽrŽs.
AujourdÕhui, les mŽdecins ayant officiellement le titre de nutritionnistes, sont des
mŽdecins qui ont validŽ le dipl™me d'Žtudes spŽcialisŽes complŽmentaires de Nutrition
(DESC). Il sÕagit dÕun DESC de type 1 ouvert Žgalement, aux spŽcialistes de MŽdecine
gŽnŽrale. Le DESC type 1 nÕest pas qualifiant. Autrement dit, il nÕimpose pas un
exercice exclusif de la discipline. Ainsi, la nutrition continue de se fragmenter en raison
dÕun exercice inscrit dans un spectre trop large de spŽcialitŽs. Par exemple, un
rŽanimateur ayant validŽ le DESC de nutrition se limitera aux soins nutritionnels dans le
service de rŽanimation, ou un gastroentŽrologue, aux soins concernant les maladies du
systme digestif. Toutefois, et cÕest lˆ aussi un problme, le nombre dՎtudiants est en
baisse depuis 2007. 50 Žtudiants sont inscrits en moyenne mais la validation finale nÕest
effectuŽe que par cinq ˆ huit Žtudiants par an au niveau national. La raison principale
rŽside dans le manque dÕattractivitŽ et de dŽfinition claire de ce mŽtier. Depuis 2004, la
FŽdŽration nationale des associations mŽdicales de nutrition1 a pour objectif de garantir
un cadre rŽglementaire de protection du titre de mŽdecin nutritionniste. Cette entitŽ
certifie la pratique de la Nutrition ˆ tous les praticiens qui ne justifient pas du DESC, au
moyen de conditions strictes, avec lÕaide des reprŽsentants universitaires de la
discipline, puis des autoritŽs corporatives et administratives.
La nŽcessitŽ de reconna”tre la nutrition comme une vŽritable spŽcialitŽ nÕest pas
rŽcente et elle ne se limite pas au contexte franais. Voici ce quÕaffirme en 1979 les
professeurs de mŽdecine de Letterman Army Institute of Research ˆ San Francisco :
ÇDespite the recognition that dietary components or their absence can cause illness, that
chronically ill patients often are malnourished and that nutritional therapy is technically possible in
conditions in which it had been impossible, there still is reluctance by some to accept clinical
nutrition as a medical specialty. Instead nutrition is fragmented among other medical specialties
where it is used only within the context of that specialty without regard for clinical nutrition as an
entity2. È
Ç MalgrŽ la reconnaissance du fait que les composants alimentaires ou leur absence peuvent causer
des maladies, que les patients souffrant de maladies chroniques souvent sont mal nourris et que la
thŽrapie nutritionnelle est techniquement possible dans des conditions dans lesquelles auparavant
cela Žtait impossible, il y a encore une rŽticence de certains ˆ accepter la nutrition clinique comme
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
http://www.fnamn.fr/category/presentation/ (consultŽ le 30 mars 2016).
RH. Herman, L. Hagler, Ç Clinical Nutrition is a Medical SpecialityÈ, The Western Journal of Medecine
1983, vol. 130, p. 93-94.
2
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une spŽcialitŽ mŽdicale. Au lieu de cela, la nutrition est fragmentŽe parmi dÕautres spŽcialitŽs
mŽdicales o elle est utilisŽe uniquement dans le cadre de cette spŽcialitŽ sans tenir compte de la
nutrition clinique comme entitŽ. È
Aux Etats Unis, le Physician Nutrition Specialist¨ est une titre confŽrŽ aux mŽdecins
spŽcialistes ayant validŽ une formation spŽcifique de nutrition1. CÕest Žgalement une
sous-spŽcialitŽ exercŽe ˆ partir de la mŽdecine interne, de la pŽdiatrie, de la mŽdecine
familiale, ou de la chirurgie gŽnŽrale et parfois de la gastroentŽrologie pŽdiatrique, de
l'endocrinologie, des soins intensifs, de la nŽphrologie, de la cardiologie ou autres. A ce
jour, nous nÕavons pas trouvŽ un pays qui reconnaisse la nutrition comme une vŽritable
spŽcialitŽ mŽdicale. En AmŽrique Latine, les formations complŽmentaires en nutrition
sont rares et la plupart sont des formations sont de type master. En France, malgrŽ le fait
que la sociŽtŽ des savants et des experts2 a exprimŽ sa position face ˆ la nŽcessitŽ de
reconna”tre la nutrition come une spŽcialitŽ (mŽdecins nutritionnistes), elle reste encore
aujourdÕhui une formation complŽmentaire pour divers spŽcialistes.
Compte-tenu de ces difficultŽs, comment redŽfinir le mŽtier de Ç nutritionniste È ? Le
CNE propose un DES de quatre annŽes permettant la qualification de Ç MŽdecin
nutritionniste È. Cet organisme dŽfinit le mŽtier ainsi :
Ç lÕutilisation du terme Ç Nutritionniste È doit tre rŽservŽe ˆ des mŽdecins ayant un exercice
exclusif de la Nutrition (É). Le MŽdecin Nutritionniste est un mŽdecin avant tout compŽtent dans
quatre domaines : les maladies de la surnutrition (obŽsitŽ y compris le suivi aprs chirurgie
bariatrique, diabte de type 2, syndrome mŽtabolique, dyslipidŽmies, stŽatopathies mŽtaboliques
(NASH)), la dŽnutrition (personne ‰gŽe fragile, cancer, situations dÕagression, insuffisances
dÕorganes, maladies digestives, malade hospitalisŽ, maladies chroniques, carences nutritionnelles
spŽcifiques), les pathologies liŽes ˆ lÕalimentation ou nŽcessitant des rŽgimes alimentaires
spŽcifiques (allergies alimentaires, erreurs innŽes du mŽtabolisme), et les troubles du
comportement alimentaire (anorexie mentale, boulimieÉ). Il est compŽtent aussi dans tous les
domaines qui touchent ˆ la prŽvention des maladies nutritionnelles ou des maladies pour lesquelles
la nutrition est un facteur prŽdisposant ou protecteur3. È
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
http://www.nutritioncare.org/NBPNS/Physician_Nutrition_Specialist/Physician_Nutrition_Specialist/
(ConsultŽ le 27 mars 2016)
2
SociŽtŽ Francophone de Nutrition : E. Fontaine, Ç Ne dites pas ˆ ma mre que je suis nutritionniste, elle
croit que je suis mŽdecin È, op.cit., p.1-2. A. Martin, Ç La formation ˆ la nutrition des professionnels È,
op.cit.
3
Referentiel Metier de Nutrition, College des Enseignants de Nutrition de FacultŽs de MŽdecins, 2010.
www.lewebducen.fr/app/download/5789210128/rŽfŽrentiel+mŽtier+nutrition.pdf. (consultŽ le 10 Mars
2016).
!
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Le MŽdecin Nutritionniste peut exercer en milieu libŽral ou dans toute structure
impliquŽe dans le soin ou la prŽvention. Sa mission concerne la dimension de soin de la
nutrition mais aussi lÕorganisation et la coordination des soins et de la recherche
biomŽdicale. Ainsi, les mŽdecins sont en charge :
Ç Du diagnostic (dŽterminants et consŽquences) de ces situations pathologiques, de lՎvaluation de
lՎtat nutritionnel (par des moyens cliniques et des explorations complŽmentaires dont certaines lui
sont propres : calorimŽtrie indirecte, techniques de mesure de la composition corporelle, holter
dÕactivitŽ physique É), de la mise en place et du suivi des stratŽgies nutritionnelles mŽdicales ou
chirurgicales (incluant la nutrition pŽri-opŽratoire). È
Ces spŽcialitŽs seraient concernŽes par le deuxime et troisime niveaux des soins de
santŽ. Le premier niveau est relatif aux soins de santŽ primaires pris en charge par le
mŽdecin gŽnŽraliste, dÕo lÕimportance dÕune formation initiale adaptŽe de ces
professionnels. Le second niveau correspond aux soins de premier recours nutritionnel
et concerne directement les mŽdecins nutritionnistes. Le troisime niveau se dŽfinit
comme le second recours nutritionnel dans lequel le mŽdecin nutritionniste agirait dans
le cadre dÕune Žquipe pluridisciplinaire disposant de capacitŽs dÕexplorations
nutritionnelles spŽcialisŽes (dŽpense ŽnergŽtique par calorimŽtrie indirecte et
composition corporelle par absorptiomtre bioŽnergŽtique ou plŽthysmographie). Il
coordonnerait ainsi les actions territoriales en santŽ publique (capacitŽ de collaborations
rŽgionales et interrŽgionales).
Nous considŽrons que les mŽdecins nutritionnistes sont des spŽcialistes de la
nutrition clinique et que, au-delˆ de la nŽcessitŽ de dŽterminer les diffŽrents modes et
niveaux de possibilitŽs dÕexercice ou dՎtablir une check List des maladies susceptibles
dՐtre concernŽes par la nutrition, il est nŽcessaire avant tout de dŽlimiter et de dŽfinir
clairement pour la nutrition clinique, avec les ŽlŽments suivants :
1. Son objet dՎtude.
2. Son domaine de connaissance.
3. LÕobjectif de sa pratique.
Cette dŽfinition implique la possibilitŽ dՎtablir un noyau de compŽtences de la
nutrition clinique. Cette caractŽristique permettra de donner une identitŽ ˆ cette
discipline et dÕhomogŽnŽiser les contenus de formation des futurs spŽcialistes. Ces trois
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caractŽristiques, ainsi que la caractŽrisation de la nutrition clinique comme science,
Žtablies par nos soins, ont fait lÕobjet dÕune publication dans le Journal de la sociŽtŽ
europŽenne de nutrition clinique Clinical Nutrition (Annexe 2). Ici, nous avons montrŽ
que la transformation de la notion de nutriment a ŽtŽ l«un des facteurs clŽ du
dŽveloppement de la discipline. En effet, dŽsormais, il est possible de nourrir des
patients dans certaines situations cliniques extrmes qui auparavant conduisaient ˆ des
dŽcs faute de nutriments. Dans ce contexte, le domaine de la nutrition clinique peut se
dŽfinir par la malnutrition, l'alimentation, le mŽtabolisme, la santŽ et la maladie. En
effet, la nutrition clinique porte sur tous ces aspects, mais il y en a un qui le dŽfinit
prŽcisŽment : la malnutrition. CÕest le principal problme abordŽ par la nutrition
clinique. Cela signifie que les connaissances et la pratique sont censŽes aider ˆ lutter
contre la malnutrition, dans le cadre du processus de soins nutritionnels. LÕobjectif est
donc d'appliquer les principes du support nutritionnel (i.e. nutriment artificiels) dans le
cadre de soins nutritionnels, ceci afin d'assurer l'Žtat nutritionnel et de moduler d'autres
fonctions biologiques pour influencer positivement le traitement des patients et la
guŽrison.
La formation de ces spŽcialistes doit tre en accord avec cette conception de la nutrition
clinique. Elle met en Žvidence la souffrance de la faim et de la malnutrition et permet
ainsi de dŽlimiter le cadre dÕaction relatif ˆ la relation patient-mŽdecin.
Une dernire considŽration est nŽcessaire. Le titre de Ç nutritionniste È ne doit pas
tre octroyŽ exclusivement ˆ des mŽdecins. Dans la mesure o le mŽtier de diŽtŽticien
Žvolue et entre dans le cadre de formation universitŽ LMD, la spŽcialitŽ de nutritionniste
pourrait tre envisageable. De la mme manire, les infirmires ou les pharmaciens
aprs une formation spŽcialisŽe, pourraient intŽgrer ce corps professionnel et devenir,
par exemple, des infirmiers Ç nutritionnistes È.
Ces diffŽrents professionnels seraient amenŽs ˆ travailler dans des unitŽs
transversales de nutrition clinique (UTNC). Ces Žquipes multidisciplinaires sont
formŽes afin d«offrir un support nutritionnel spŽcialisŽ de qualitŽ. Elles ont pour mission
principale dՎvaluer l'Žtat nutritionnel des patients, de prescrire les besoins nutritionnels
et de rŽduire l'incidence des complications mŽtaboliques ˆ travers un suivi rŽgulier.
Elles ont ŽtŽ crŽŽes en France par la circulaire du 29 mars 2002 relative ˆ lÕalimentation
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et ˆ la nutrition dans les Žtablissements de santŽ1. Cette structure organisŽe autour dÕun
mŽdecin nutritionniste reconnu a Žgalement comme mission de dŽvelopper
lÕenseignement et la recherche. Autour de ces Žquipes pourraient se regrouper des
moyens humains venus de disciplines diverses, principalement des infirmiers, des
diŽtŽticiens et des pharmaciens, mais aussi des psychologues, des kinŽsithŽrapeutes et
dÕautres professionnels susceptibles dÕintervenir, offrant ainsi une pluralitŽ de
compŽtences. Ce travail collaboratif permettrait une approche globale de ces patients.
Ces UTNC existent dans des pays anglo-saxons depuis les annŽes 70, ainsi quÕen
Allemagne, en Suisse, au Portugal et depuis les annŽes 90 dans certains pays
dÕAmŽrique latine comme la Colombie. Elles ont montrŽ une vŽritable efficacitŽ en
termes de diminution des risques dans lÕutilisation du support nutritionnel pour le
patient et de diminution des cožts globaux des soins de santŽ2.
Dans le cadre de la politique nutritionnelle du PNNS, huit unitŽs expŽrimentales ont
ŽtŽ crŽŽes en mars 2008 aux CHU de Caen, Lille, Lyon, Nancy, Paris (Joffre-Dupuyrien
et Necker), Rouen et Toulouse. Cette stratŽgie a ŽtŽ considŽrŽe par les dŽcideurs
politiques comme une pratique thŽrapeutique innovante : elle permet une traabilitŽ
efficace des actes, la structuration transversale de la prise en charge de la dŽnutrition et
des troubles nutritionnels, la valorisation des stratŽgies de prise en charge et la
promotion de la pluridisciplinaritŽ. Or, malgrŽ ce constat, ˆ ce jour, force est de
constater que le nombre de ces groupes nÕest pas en progression en France. La situation
est similaire aux Etats-Unis, o ils ont diminuŽ malgrŽ lÕexistence de ces Žquipes depuis
plus de 40 ans3.
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1
Circulaire DHOS/E1 n¡ 2002-186 du 29 mars 2002 relative ˆ l'alimentation et ˆ la nutrition dans les
Žtablissements de santŽ. http://sante.gouv.fr/fichiers/bo/2002/02-16/a0161475.htm
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3
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Ç The State of Nutrition Support Teams and Update on Current Models for Providing Nutrition Support
Therapy to Patients È, Nutrition in Clinical Practice 2010, vol. 25, p. 76-84.
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Figure 25. Evolution de nombre dÕUTNC aux Etats Unis.
Il est important de souligner quÕil existe de nombreuses Žtudes qui soulignent
lÕefficacitŽ et la pertinence de ces Žquipes, en particulier en ce qui concerne leur impact
sur les rŽsultats cliniques, le bon usage du support nutritionnel ainsi que sur la rŽduction
des cožts de santŽ. MalgrŽ cela, il y a eu une diminution constante du nombre de NST
formelle au cours des dernires annŽes (65% des h™pitaux en 1995 ˆ 42% en 2008), les
h™pitaux et d'autres organisations de soins de santŽ cherchant des moyens de rŽduire les
cožts de santŽ1. Des raisons ŽvoquŽes pour ne pas mettre en place des UTNC sont :
- Le manque de soutien des mŽdecins (22%).
- Les questions de financement.
- Le manque de soutien administratif.
CÕest ainsi que le dŽveloppement de la profession de mŽdecin nutritionniste pourrait
favoriser le dŽveloppement de ces Žquipes.
Ce mŽtier se justifie alors, dÕune part, par lÕaugmentation des maladies ˆ
dŽterminisme nutritionnel (maladies chroniques) et par lÕimportance de la dŽnutrition
dans les h™pitaux et les autres Žtablissements de soins qui exigent que les mŽdecins
doivent mettre en place des interventions et des conseils nutritionnels dŽcoulant des
politiques et des stratŽgies de santŽ publique. DÕautre part, il sÕagit de rŽpondre ˆ la
responsabilitŽ de nourrir lÕhomme malade, ce qui implique de faire Žvoluer le statut de
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
D. Seres, GS. Sacks, CA. Pedersen, Ç Parenteral nutrition safe practices: results of the 2003 American
Society for Parenteral and Enteral Nutrition surveyÈ, J Parenter Enteral Nutr 2006, vol. 30, p. 259-265.
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p. 62-67.
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ces mŽdecins nutritionnistes et de les considŽrer comme ayant de vŽritables spŽcialitŽs
mŽdicales.
Ainsi, lÕexigence Žthique de nourrir lÕhomme malade nous a amenŽ ˆ questionner les
pratiques professionnelles de santŽ, en particulier celles des mŽdecins et des
diŽtŽticiens. Il sÕavre nŽcessaire de faire Žvoluer les pratiques en dŽfinissant mieux
leurs compŽtences et leur champ dÕexercice. Dans ce contexte, le r™le des institutions
est essentiel : elles doivent crŽer les conditions et lÕespace pour que la nutrition clinique
franaise puisse trouver son identitŽ.
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Conclusion GŽnŽrale
La question essentielle de notre travail Žtait de savoir quelle est la place de la
nutrition au sein de la pratique de la mŽdecine. Autrement dit, le problme Žtait de
montrer que la nutrition, comme objet Žthique, est enfin en mesure de se prŽsenter
lŽgitimement comme un soin dans la pratique mŽdicale. Pour cela trois approches,
ŽpistŽmologique, Žthique et institutionnelle, ont ŽtŽ privilŽgiŽes pour mener notre
recherche et vŽrifier nos hypothses. Il nous para”t nŽcessaire ˆ prŽsent dÕexposer les
rŽsultats de ces analyses en reprenant le cheminement de notre rŽflexion.
LÕapproche ŽpistŽmologique a ŽtŽ fondamentale dans la mesure o la nutrition ne
doit pas tre conue comme une somme de connaissances au croisement de champs
scientifiques distincts, sans domaine propre. Bien au contraire, il sÕagit dÕune science
autonome, dotŽe dÕun objet prioritaire, ˆ savoir lՎtat nutritionnel, dÕune mŽthode
appliquŽe ˆ lՎtude des nutriments et dÕun noyau de connaissances spŽcifiques
constituŽes ˆ partir dÕun domaine multidisciplinaire. Bien que ces connaissances se
soient faonnŽes depuis lÕAntiquitŽ, nous considŽrons que la nutrition ne devient une
discipline pleinement autonome quÕau XXme sicle, lorsquÕil est possible de concevoir
de manire scientifique son objet propre. LՎtat nutritionnel est dŽterminŽ ˆ partir de la
somme des rŽponses donnŽes par divers systmes de lÕorganisme (digestif,
neurologique, circulatoire, respiratoire, cardiovasculaire, endocrinien, immunologique,
etc.) Plus prŽcisŽment, il dŽsigne une rŽponse Ç systŽmique È ou globale, qui est
dŽterminŽe principalement par lÕingestion de nutriments ou lÕalimentation. Cela suppose
de considŽrer la nutrition comme une fonction Ç intŽgrale È et, plus rigoureusement, de
dŽfinir la nutrition comme lÕensemble des ŽlŽments biologiques auxquels sÕajoutent les
dimensions sociales et affectives de lÕacte de manger.
CÕest ainsi que la nutrition conduit ˆ apprŽhender la personne dans ses multiples
dimensions sans rŽduire cette fonction ˆ la seule dimension biologique. Cela est
particulirement vrai lorsquÕest diagnostiquŽe une altŽration de lՎtat nutritionnel
comme, par exemple, la dŽnutrition ou lÕobŽsitŽ. Si les critres diagnostics et la prise en
charge de ces altŽrations sont principalement Žtablis ˆ partir dÕarguments biologiques
quantitatifs comme lÕIMC, le poids, la taille, ceux-ci doivent davantage intŽgrer des
dŽterminants sociaux, affectifs et psychologiques de ces maladies (ressources
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Žconomiques, activitŽ professionnelle, aides familiales, troubles du comportement
alimentaire etc.).
Il sÕensuit que la reconnaissance de lՎtat nutritionnel comme lÕobjet de la nutrition
se prŽsente comme la condition permettant de rapprocher nutrition et mŽdecine. En
effet, il existe ici une action rŽciproque : lՎtat nutritionnel dŽtermine lՎtat de santŽ et
lՎtat de santŽ dŽtermine lՎtat nutritionnel. Le constat de cette interdŽpendance et de ses
consŽquences pour la recherche permet de dŽterminer une nouvelle discipline : la
nutrition clinique. Cette dernire ne doit pas tre considŽrŽe simplement comme
lÕapplication de la nutrition au domaine de la clinique ou comme la prolongation de la
diŽtŽtique dans le champ mŽdical. Il sÕagit bel et bien dÕune nouvelle discipline rŽsultant
de cette interaction qui implique une Žvolution du concept de Ç nutriment È. CÕest dans
ce cadre que nous proposons la dŽfinition suivante :
La nutrition clinique est une science interdisciplinaire, concernŽe par la malnutrition (dŽnutrition /
surpoids obŽsitŽ / carences). Son objectif est d'appliquer les principes du support nutritionnel (i.e.
nutriment artificiel) dans le cadre de soins nutritionnels afin d'assurer l'Žtat nutritionnel et de
moduler d'autres fonctions biologiques pour influencer positivement le traitement des patients et la
guŽrison.
Autrement dit, cette science permet de savoir comment nourrir lÕhomme malade.
Pour cela, le support nutritionnel apparait comme Žtant le moyen pour administrer les
besoins en nutriments, relativement ˆ toute situation mŽdicale. Dans ce contexte, le
nutriment ne rŽpond plus ˆ la mme notion. En raison de son mode de production et
dÕadministration, il est dŽsormais qualifiŽ dÕartificiel. Cette Žvolution traduit une
volontŽ de rapprocher la notion de nutriment (ce qui nourrit) du concept de mŽdicament
(ce qui guŽrit). Bien que lÕambition consistant ˆ confŽrer un statut de mŽdicament aux
nutriments soit manifeste tout au long de lÕhistoire de la mŽdecine, ce nÕest quÕau
XXme sicle que cela devient effectif. Cela est dž au fait que des produits spŽcifiques,
comme les pharmaconutriments, les produits de nutrition entŽrale et les complŽments
alimentaires, sont classŽs comme Ç aliments diŽtŽtiques destinŽs ˆ des fins mŽdicales
spŽciales È et que la nutrition parentŽrale est conue comme un mŽdicament. Ces
classifications doivent tre considŽrŽes comme une vŽritable avancŽe de la mŽdecine
dans la mesure o le patient est dŽsormais protŽgŽ contre les Žventuels risques induits
par ces techniques, gr‰ce au protocole de Ç pharmaco È vigilance et ˆ un encadrement
mŽdical obligatoire, ce qui implique une expertise mŽdicale spŽcifique.
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Or sÕil est vrai que lÕexistence de ces produits est considŽrŽe comme un progrs de la
mŽdecine, le fait de les concevoir exclusivement comme des mŽdicaments soulve des
questionnements Žthiques lorsquÕil sÕagit de nourrir lÕhomme malade. Pour rappel, nous
avons dŽterminŽ, pour la nutrition clinique, un cadre de rŽfŽrence spŽcifique inscrit dans
lÕinteraction patient-mŽdecin (soignant). Cela est fondamental dans la mesure o la
nutrition clinique permet de dŽlimiter un champ dÕaction professionnel dans lequel
sÕinscrivent ces questionnements Žthiques. CÕest ainsi que lÕapproche Žthique, au moyen
de lÕanalyse de quatre cas reprŽsentatifs et dÕune revue de la littŽrature, met en jeu, dans
lÕexercice de la nutrition clinique, le niveau Ç prudentiel È du jugement mŽdical. Sur ce
point, trois problmes Žthiques sont ˆ retenir : tout dÕabord, on insiste sur lÕabsence de
diagnostic de la dŽnutrition. LorsquÕun patient souffre de dŽnutrition et quÕil nÕest pas
pris en charge adŽquatement, la souffrance est ˆ la fois physique et morale. Pour lever
cette difficultŽ, il est nŽcessaire de confŽrer le statut de maladie ˆ la dŽnutrition et de
reconnaitre la vulnŽrabilitŽ de ces patients. Celle-ci se caractŽrise ˆ la fois, du point de
vue physique, par lÕaltŽritŽ du corps dŽnutri, lÕaffaiblissement, la perte de lÕautonomie et
la possibilitŽ de perdre la vie et, du point de vue moral, par une atteinte ˆ sa dignitŽ, ˆ
son statut de personne, ˆ son intŽgritŽ. CÕest pourquoi le fait de nourrir le patient dŽnutri
ou soumis ˆ un risque de dŽnutrition est une exigence Žthique, un devoir pour le
mŽdecin dans la mesure o il doit rŽpondre ˆ cette double vulnŽrabilitŽ : lÕabsence de
diagnostic et la souffrance physique et morale. Il est donc nŽcessaire de concevoir le
support nutritionnel comme un vŽritable soin. Il nÕy a pas de place ici pour un clivage
entre cure et care. LÕacte de nourrir lÕhomme malade doit tre ŽvaluŽ dans la
perspective du care et participer ˆ la guŽrison (cure) du patient. Le mŽdecin doit donc
intŽgrer des soins nutritionnels dans la prise en charge globale du malade considŽrant
que la nourriture nÕest pas seulement un moyen mais une fin, au sens o lÕon a du plaisir
ˆ manger,
Ç La vie ne consiste pas ˆ rechercher et ˆ consumer les carburants fournis par la respiration et la
nourriture, mais, si lÕon peut dire, ˆ consommer des nourritures terrestres et cŽlestes. (É) Ce dont
nous vivons ne nous asservit pas, nous en jouissons1.È
Le fait dÕadministrer lÕaliment, mme par voie artificielle, reconstitue une force mais
nourrit aussi une vie et soutient le sentiment dÕexister de la personne. Nourrir lÕhomme
malade nŽcessite un engament Žthique qui se conoit comme la mise en Ïuvre dÕune
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1
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E. Levinas, TotalitŽ et infini, Paris, Le livre de Poche, 2010, p. 117-118.
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pratique des soins nutritionnels, mais aussi comme une Ç attention soutenue ˆ lՎgard de
lÕautre È : les soins nutritionnels se prŽsentent comme un vŽritable soin.
Le deuxime problme Žthique concerne la pratique des soins nutritionnels et il met
en jeu la question du droit ˆ lÕalimentation dans la mesure o ce droit est susceptible
dÕinfluencer les dŽcisions dans la prise en charge nutritionnelle. Le droit ˆ
lÕalimentation et ˆ la nutrition doit guider lÕaction des soignants mais, au-delˆ de
lÕexigence de se nourrir, il doit tre conu comme le droit de toute personne malade ˆ Ç
tre nourrie È. Plus prŽcisŽment, les mŽdecins doivent veiller ˆ que les besoins
nutritionnels lui soient administrŽs dans un contexte qui prenne en charge lՎmotionnel,
le symbolique et la dimension sociale de lÕalimentation. En ce sens, la nutrition
participe au respect de la dignitŽ des patients. Cela se traduit, au niveau du jugement
prudentiel, par la possibilitŽ pour le mŽdecin de mettre en Ïuvre un soin nutritionnel
adaptŽ au patient, en Žvaluant les bŽnŽfices, au regard du respect du principe de
bienfaisance et des risques potentiels. Cette possibilitŽ concerne Žgalement lÕarrt de
tout soin artificiel, dans le respect du principe de non-malfaisance, et le fait de lui
substituer lÕalimentation orale lorsquÕelle est possible et pertinente. Cette pratique ne
peut devenir dŽraisonnable et les souhaits du patient et de la famille ne peuvent tre
ignorŽs ou nŽgligŽs. Les bŽnŽfices du support nutritionnel sont cliniques, certes, mais ils
influencent Žgalement la qualitŽ de vie. Cela exige la constitution de savoirs techniques
tels que le pronostic de la maladie, la dŽtermination des besoins de certains nutriments
et la connaissance de lÕhistoire personnelle et familiale du patient, de ses souhaits, de
ses attentes et de son projet de vie.
A cela sÕajoute le troisime problme Žthique qui se prŽsente dans le cas de lÕobŽsitŽ
et de la vulnŽrabilitŽ que cela entra”ne. DÕune part, la mŽdecine, en privilŽgiant le
traitement par des techniques chirurgicales, expose le patient ˆ des complications
nutritionnelles et de santŽ non nŽgligeables et ˆ un taux dՎchec significatif. Cela est
dÕautant plus inacceptable quÕil sÕagit en grande mesure dÕune pathologie causŽe par des
dŽterminants socio-culturels qui ne sont pas pris en compte. Le nombre de chirurgies
bariatriques rŽalisŽes sans encadrement multidisciplinaire et sans suivi mŽdiconutritionnel est considŽrable et cette situation est alarmante. DÕautre part, ces patients
sont la principale cible de certaines stratŽgies commerciales visant ˆ diffuser sur le
marchŽ diffŽrents produits et rŽgiments amaigrissants, qui ne renvoient ˆ aucun
fondement scientifique. Or la nutrition ne doit, en aucun cas, tre lÕobjet dÕun marchŽ, la
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santŽ et le bien-tre doit primer sur la rentabilitŽ Žconomique et les profits privŽs. Ainsi,
il est possible de conclure quÕen interrogeant la dimension Žthique des soins
nutritionnels, nous interrogeons, plus largement, les valeurs du soin.
Toutefois, cette exigence Žthique quÕimplique lÕacte de nourrir lÕhomme malade ne
peut se concevoir pleinement sans une approche institutionnelle. En effet, si cette
analyse est apparue essentielle pour notre recherche, cÕest parce quÕelle cherche ˆ savoir
si les politiques actuelles et les institutions sont en mesure de dŽfinir et de favoriser les
conditions nŽcessaires pour que les soins nutritionnels existent rŽellement. Trois
constats attirent notre attention : en premier lieu, la politique nutritionnelle franaise est
centrŽe sur le concept de Ç bien manger È pour des raisons de santŽ. Or, pour tre
pertinente, une telle position ne peut exclure la pluralitŽ des significations relatives ˆ
lÕalimentation pr™nŽes par la sociŽtŽ actuelle. Ensuite, cette politique, bien quÕelle
sÕintŽresse au traitement des pathologies de la nutrition, reste largement focalisŽe sur la
problŽmatique de lÕobŽsitŽ et nŽcessite ainsi dՐtre restructurŽe afin de mieux intŽgrer
dÕautres pathologies comme la dŽnutrition et le trouble du comportement alimentaire.
Dans ce contexte, la prioritŽ donnŽe au Ç bien manger È doit sÕaccompagner dÕune autre
prioritŽ qui rŽside dans lÕexigence dÕ Ç tre nourriÈ. Enfin, malgrŽ le lien Žvident entre
mŽdecine et nutrition, ces deux sciences ne se trouvent pas associŽes dans la formation
des mŽdecins, ce qui exclut la nutrition des spŽcialitŽs mŽdicales. La nutrition doit tre
effectivement intŽgrŽe ˆ la formation du mŽdecin et soumis ˆ un systme dՎvaluation.
Les contenus de cet enseignent doivent se fonder sur la conception de la nutrition
comme une discipline multidisciplinaire, et se focaliser sur le noyau propre des
connaissances de la nutrition ainsi que sur certaines connaissances biologiques,
phycologiques et sociales. Par ailleurs, la nutrition clinique doit tre reconnue comme
une vŽritable spŽcialitŽ. De ce point de vue, il est primordial de crŽer le DES de
nutrition en considŽrant les connaissances de la nutrition clinique comme rŽfŽrence.
Ainsi, ce quÕil convient de retenir de notre rŽflexion, cÕest lÕidŽe que la nutrition
clinique doit tre au centre des prŽoccupations de la mŽdecine. Il en est ainsi parce que
lÕacte de nourrir constitue en lui-mme une exigence Žthique. Cela ne peut tre possible
quՈ condition que les politiques intgrent la nutrition comme un vŽritable soin et que,
dans ce cadre, les dŽcideurs donnent aux mŽdecins les moyens de se former pour
rŽpondre ˆ ces enjeux Žthiques. CÕest ˆ ce prix quÕil deviendra possible de tendre
rŽellement vers des institutions justes qui prŽservent la dignitŽ de la personne malade.
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Table des figures
Figure 1. Relation entre dŽnutrition et maladie.
136
Figure 2. Impact Žconomique de la dŽnutrition.
138
Figure 3. Impact de la dŽnutrition.
140
Figure 4. LÕarbre conceptuel de la malnutrition.
146
Figure 5. Les voies du support nutritionnel.
168
Figure 6. LÕorganisation des soins nutritionnels et le processus du care.
182
Figure 7. Cercle vicieux de dŽnutrition et dŽmence.
192
Figure 8. Distribution des types de complŽments alimentaires impliquŽs dans des
signalements recevables dŽclarŽs spontanŽment en 2013 (anses 2013)
229
Figure 9. Distribution des types dÕeffets dŽclarŽs en 2013 (anses 2013).
229
Figure 10. Technique du gastroplastie ou sleeve. (dÕaprs has 2009)
238
Figure 11. Technique du by-pass gastrique (dÕaprs has 2009)
239
Figure 12. Adaptation du modle de soins palliatifs de lÕassociation canadienne de soins
palliatifs.
258
Figure 13. Cadre rglementaire de la nutrition clinique.
288
Figure 14. Principales sources dÕinformation sur la nutrition, selon le sexe.
301
Figure 15. Les principales difficultŽs rencontrŽes par les mŽdecins gŽnŽralistes sur les
questions de nutrition
303
Figure 16. RŽponse ˆ la question : vous sentez-vous ˆ l'aise pour donner des conseils
nutritionnels ?
304
Figure 17. Raisons rapportŽes par les mŽdecins et infirmiers pour expliquer lÕabsence de
pratique nutritionnelle dans les h™pitaux scandinaves. (trois rŽponses par personne
306
au maximum).
Figure 18. Obstacles pour la pratique des conseils nutritionnels dans les soins primaires.
308
Figure 19. Formations et ressources utilisŽes par les mŽdecins pour lÕapprentissage de la
nutrition.
308
Figure 20. MultidisciplinaritŽ de la science de la nutrition.
331
Figure 21. Les Žtudes de mŽdecine et lÕenseignement fragmentŽ de la nutrition.
336
Figure 22. RŽpartition des heures dÕenseignement de nutrition dans les Žcoles de
mŽdecine aux usa.
338
Figure 23. Contribution dÕautres disciplines au noyau de connaissances de la nutrition.
341
Figure 24. InterdisciplinaritŽ de la nutrition clinique
343
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ANNEXES
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Annexe A
Let not thy food be confused with thy medicine: The Hippocratic misquotation, Clinical
Nutrition e-SPEN Journal, 2013, 8(6): p. e260-262.
Annexe B
What is Clinical Nutrition? Understanding the epistemological foundations of a new
discipline, Clinical Nutrition ESPEN, 2016, (11): p. e63-62.
Annexe C
Letter to the Editor: The Ethical Foundations of Nutritional Care: a viewpoint on the
recent ESPEN guidelines. In Press.
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Annexe A
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Annexe B
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Annexe C
Letter to the Editor of Clinical Nutrition
The Ethical Foundations of Nutritional Care: a viewpoint on the recent
ESPEN guidelines
N.E.P. Deutz, MD, PhD
Center for Translational Research in Aging & Longevity,
Department of Health & Kinesiology,
Texas A&M University,
College Station, Texas 77843-4253, U.S.A.
Dear Editor,
The recently published ÔGuidelines on ethical aspects of artificial nutrition and
hydrationÕ on the journal Clinical Nutrition (June 2016) by Druml Ch. et al. (1) are of
high importance to bioethicists, physicians and caregivers in nutritional care.
However, we have a fundamental concern about the ethical framework of the
Guidelines. These are defined within the four principles approach, mainly founded on
respect for autonomy, which has undoubtedly influenced tremendous clinical practices.
Nevertheless, we think this approach is insufficient for defining ethical guidelines
especially with regard to the issue of artificial nutrition and hydration (ANH). We
propose that these guidelines be given a broader framework, by putting the ethics of
care, the ethics of vulnerability and the notion of dignity at the core of the discussion.
First of all, care - defined by Tronto as a Òpractice and a dispositionÓ - is an ongoing
process consisting in 4 phases that can be integrated in the nutrition care process as we
propose in figure 1 (2). This approach values and makes caring for others the essential
element of ethics. This approach may be used to shed light on certain disagreements or
tensions among decision makers and can help view the appearance of a dilemma as the
product of muddled thinking rather than a real principled opposition or an opposition in
moral values. For example, from an ethical and legal point of view, there is no
distinction between withholding and withdrawing ANH when it is a disproportionate
treatment, but caregivers may see the two processes as being different and consider
withdrawal of treatment to be more morally difficult than withholding treatment. The
difference here is in the focus of the care Ð between beneficence or non-maleficence
from a utilitarian perspective, or within a relationship of care.
Second, malnutrition, which is the main object of ANH therapy, implies a Òdouble
vulnerabilityÓ for the patient: one being that of physical and mental detriment, and
another being the high unawareness and lack of education about ANH among care
givers. Thus, physicians and caregivers are faced with the responsibility to respond to
the specific needs that this double vulnerability implies, i.e. the nutrient requirements,
and the symbolic and emotional significance of feeding. Recognizing the complexity of
this double vulnerability would help, for example, to integrate the concept of Òcomfort
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feedingÓ that the guidelines propose. Moreover, institutions ought to evolve to improve
nutrition education for physicians and caregivers.
Finally, the Kantian notion of dignity, defined as the intrinsic value of each human
being, must be put at the heart of the discussion as it is possible to demonstrate how the
absence of optimal nutritional care can constitute an offence against human dignity and
can be considered as a violation of a fundamental human right (3).
In conclusion, to contribute to the progress on the ethical debates over the use of this
medical intervention, ethics in ANH must be studied broadly by studying the ethics of
nutrition care.
Figure 1. The four phases of ethics and their four moral elements integrated to the nutrition
care process as defined by Lacey K et al. (4). The bold type represent the phases of care and the
italics are the moral elements required in each phase
References:
1. Druml CH, Ballmer PE, Druml W, Oehmichen F, Shenkin A, Singer P, Soeters P,
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Table des Matires
REMERCIEMENTS ...................................................................................................... 4
LISTE DES ABREVIATIONS ...................................................................................... 5
INTRODUCTION GENERALE ................................................................................... 6
PREMIERE PARTIE ................................................................................................... 15
APPROCHE EPISTEMOLOGIQUE DE LA NUTRITION.................................... 15
INTRODUCTION ............................................................................................................. 16
CHAPITRE 1 : LA NUTRITION PRƒSCIENTIFIQUE ......................................................... 17
1.1 LA DIƒTƒTIQUE ET LA NUTRITION : DÕHIPPOCRATE Ë GALIEN ............................. 17
1.1.1 La diŽtŽtique hippocratique ............................................................................ 17
1.1.2 Platon et le souci de soi .................................................................................. 26
1.1.3 Aristote et la thŽorie biologique de la nutrition .............................................. 27
1.1.4 La place de la nutrition dans la mŽdecine galŽnique ...................................... 32
1.1.5 La mŽdecine galŽnique ................................................................................... 36
1.2 LA NUTRITION DE GALIEN JUSQUÕAU XVIIIéME SIéCLE ......................................... 38
1.2.1 Les fonctions de la nutrition ........................................................................... 38
1.2.2 La fonction de la digestion ............................................................................. 39
1.2.3 La thse chimique sur la fonction digestive ................................................... 41
1.2.4 La thse mŽcaniste de la fonction digestive ................................................... 44
1.2.5. La fonction circulatoire ................................................................................. 48
1.2.6 La synthse des thses mŽcaniques et chimiques ........................................... 51
1.2.7 Le vitalisme .................................................................................................... 54
1.2.8 Lavoisier et le mŽtabolisme ............................................................................ 56
1.3 LE RƒGIME ENTRE OPTION THƒRAPEUTIQUE ET PRƒCEPTE MORAL .......................... 58
1.4 LA MORALISATION DE LA DIƒTƒTIQUE .................................................................... 65
CHAPITRE 2 : LA PƒRIODE SCIENTIFIQUE .................................................................. 70
2.1 LA NUTRITION ET LA DIƒTƒTIQUE DANS LA MƒDECINE CLINIQUE DE BICHAT Ë
BROUSSAIS. .................................................................................................................. 70
2.1.1 La mŽdecine clinique de Pinel ........................................................................ 72
2.1.2 La mŽdecine clinique de Broussais ................................................................ 75
2.2. LA PHYSIOLOGIE DIGESTIVE .................................................................................. 78
2.2.1. La nutrition et la physiologie de Claude Bernard .......................................... 79
2.2.2 La fonction du glycogense ............................................................................ 81
2.2.3 La fonction calorifique ................................................................................... 82
2.2.4 Le systme nerveux ........................................................................................ 83
2.2.5 Le Normal et le Pathologique ......................................................................... 83
2.2.6 LÕhomme normal de QuŽtelet ......................................................................... 85
2.3 LA NUTRITION Ë LÕHïPITAL .................................................................................... 86
2.4 Ç DIS-MOIS CE QUE TU MANGES, JE TE DIRAI CE QUE TU ES È .................................. 92
2.5 NIETZCHE ET LA VOLONTƒ DE PUISSANCE .............................................................. 94
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CHAPITRE 3 : LE NOUVEL ESPRIT SCIENTIFIQUE ...................................................... 97
3.1 LE CONCEPT DE NUTRIMENT AU CÎUR DE LA NUTRITION ....................................... 97
3.2. LA NUTRITION ARTIFICIELLE .............................................................................. 100
3.3 DE LA DIƒTƒTIQUE Ë LA NUTRITION CLINIQUE ...................................................... 101
3.3.1 Le nutriment au-delˆ de la fonction de nutrition : lÕimmunonutriment ........ 106
3.3.2 Une nouvelle approche : la pharmaconutrition............................................. 110
3.3.4 La nutrigŽnomique : le dŽpart dÕune nouvelle notion de nutriment ............ 114
3.4 LE RïLE DE LÕINDUSTRIE ...................................................................................... 116
3.5 DIFFƒRENTES RATIONALITƒS DE LA NUTRITION .................................................... 117
CONCLUSION ......................................................................................................... 120
DEUXIEME PARTIE ................................................................................................ 122
LES FONDEMENTS ET LES ENJEUX ETHIQUES DE LA NUTRITION
CLINIQUE .................................................................................................................. 122
INTRODUCTION..................................................................................................... 123
CHAPITRE 1 ............................................................................................................ 124
1.1 Le problme de la mŽthode en Žthique ............................................................ 124
1.1.1 Le principisme .............................................................................................. 126
1.1.2 La casuistique ............................................................................................... 129
1.1.3 Le choix de cas ............................................................................................. 131
CHAPITRE 2 : ETUDES DE CAS ................................................................................. 134
2.1 Cas No. 1 : Les enjeux Žthiques autour du diagnostic de lՎtat nutritionnel ... 134
2.1.1 La prŽvalence et lÕimpact de la dŽnutrition .................................................. 134
2.1.2 La question Žthique ....................................................................................... 141
2.1.3 La dŽnutrition comme vulnŽrabilitŽ ............................................................. 150
2.1.4 La dŽnutrition : maladie ou facteur de risque ? ............................................ 153
2.2 Cas No. 2 : Nourrir lÕhomme malade : quels enjeux Žthiques ? ...................... 164
2.2.1 Le problme Žthique ..................................................................................... 165
2.2.2 La nutrition artificielle, entre soin et thŽrapeutique ..................................... 166
2.2.3 Le support nutritionnel, un vŽritable soin ..................................................... 176
2.2.4 Le Ç care È ou le souci de lÕautre .................................................................. 179
2.3 Cas No. 3 : Nutrition clinique et dignitŽ humaine ........................................... 190
2.3.1 Le problme Žthique ..................................................................................... 191
2.3.2 Le support nutritionnel dans la dŽmence ...................................................... 194
2.3.3 Nourrir lÕhomme malade et la question de la dignitŽ humaine .................... 205
2.3.4 Le droit ˆ lÕalimentation et le droit Ç ˆ tre nourri È .................................... 209
2.4 Cas n¡. 4 : Enjeux Žthiques de la chirurgie bariatrique ................................... 218
2.4.1 Le problme Žthique ..................................................................................... 219
2.4.2 Enjeux Žthiques des rŽgimes diŽtŽtiques ...................................................... 219
2.4.3 Enjeux Žthiques des complŽments alimentaires ........................................... 226
2.4.5 LÕobŽsitŽ est-elle une maladie ou Žtat adaptatif auto-infligŽ ? ..................... 240
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2.4.6 Enjeux Žthiques de la chirurgie bariatrique .................................................. 249
CHAPITRE 3 : NUTRITION ET SOINS PALLIATIFS ...................................................... 257
3.1 Questions Žthiques des soins nutritionnels en situation palliative : la position du
mŽdecin.................................................................................................................. 257
3.2 Revue systŽmatique de la littŽrature. MŽthodologie ....................................... 266
3.3 RŽsultats et analyse de la littŽrature .............................................................. 268
TROISIEME PARTIE ............................................................................................... 274
LE ROLE DES INSTITUTIONS DANS LA NUTRITION.................................... 274
INTRODUCTION..................................................................................................... 275
CHAPITRE 1. CADRE LƒGISLATIF ET POLITIQUES DE SANTƒ PUBLIQUE DANS LE
DOMAINE DE LA NUTRITION ........................................................................................ 276
1.1 La politique nutritionnelle en France ............................................................ 276
1.2 La place de la nutrition dans lÕenseignement de la mŽdecine du XVIIIme au
XIXme sicle ....................................................................................................... 289
1.3 LՎtat actuel de lÕenseignement en nutrition dans les Žcoles de mŽdecine ˆ
lՎtranger ................................................................................................................ 296
1.4 LÕattitude et les compŽtences des mŽdecins en nutrition .............................. 299
CHAPITRE 2. LES CONSƒQUENCES D«UNE FORMATION INSUFFISANTE DE MƒDECINS EN
NUTRITION .................................................................................................................. 314
2.1 La compŽtence en nutrition : plus quÕune qualitŽ technique, une notion
morale. ................................................................................................................... 314
2.2 ConsŽquences Žthiques de la formation insuffisante de mŽdecins en Žgard aux
principes de bioŽthique .......................................................................................... 318
2.3 Les risques de thŽrapies complŽmentaires et les dŽrives sectaires ............... 322
CHAPITRE 3. LÕENSEIGNEMENT DE LA NUTRITION .................................................. 329
3.1 Le problme .................................................................................................. 329
3.2 Les limites intra et interdisciplinaires de la nutrition.................................... 331
3.3 Le mŽtier de nutritionniste : un problme ˆ rŽsoudre, une exigence ˆ
accomplir ............................................................................................................... 355
CONCLUSION GENERALE .................................................................................... 363
BIBLIOGRAPHIE...................................................................................................... 369
TABLE DES FIGURES ............................................................................................. 385
ANNEXES ................................................................................................................... 386
TABLE DES MATIERES .......................................................................................... 396
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RŽsumŽ
Les progrs de la mŽdecine permettent aujourdÕhui de nourrir par nutrition artificielle
toutes les personnes malades ds lors quÕelles ne peuvent pas sÕalimenter par ellesmmes. Toutefois, la malnutrition se prŽsente dans le cadre clinique comme une
maladie dÕune haute prŽvalence. Est-il alors possible de faire de la nutrition un sujet
Žthique de telle sorte qu'elle soit considŽrŽe en mŽdecine comme un vŽritable soin ?
Pour rŽpondre ˆ cela, lÕapproche ŽpistŽmologique montre que la nutrition est une
science autonome ayant ses origines dans lÕAntiquitŽ. Elle se diffŽrencie de la nutrition
clinique, une discipline nŽe au XXme sicle et qui a recours aux techniques de
nutrition artificielle ayant le statut de mŽdicament. Sur le plan Žthique, cela pose de
vraies difficultŽs lorsque la nutrition artificielle sÕapplique ˆ des situations cliniques
particulires. En effet, alimenter les patients devient un soin mais aussi un traitement.
Cela conduit alors ˆ interroger les valeurs du soin et ˆ Žlaborer des normes
universalisables possŽdant une vŽritable lŽgitimitŽ dans le champ mŽdical. Dans ce
contexte, nous avons identifiŽ une double vulnŽrabilitŽ des patients dŽnutris,
caractŽrisŽe par lÕaltŽritŽ du corps dŽnutri, mais aussi par la vulnŽrabilitŽ induite par
lÕabsence de diagnostic et de formation des soignants en nutrition. Pour rŽpondre ˆ ces
enjeux, il devient alors nŽcessaire de penser des institutions justes qui, dans les
politiques de santŽ, intgrent la nutrition en la concevant comme un soin et en proposant
une formation mŽdicale adaptŽe ˆ de tels dŽfis.
Mots-clŽs : dŽnutrition, nutrition, rŽgime, soin, traitement, vulnŽrabilitŽ.
Summary
Medical advances now allow to feed all sick people by artificial nutrition when they
cannot feed themselves. However, malnutrition is still highly prevalent. Is it possible to
make nutrition an ethical subject so that it be considered as real medical care? To
respond to this, an epistemological approach shows that nutrition is an autonomous
science that has its origins in Antiquity. It differs from Clinical Nutrition, a discipline
born in the twentieth century and uses artificial nutrition techniques having the status of
a drug. Ethically, this poses actual difficulties when artificial nutrition applies to
particular clinical situations. Indeed, feeding patients becomes a form of care but also of
treatment. This leads us to question the values of care and envision universalizable
standards with a true legitimacy in the medical field. In this context, we have identified
a double vulnerability of malnourished patients, characterized by the otherness of the
malnourished body, but also a vulnerability induced by the lack of diagnosis and
training of caregivers in nutrition. To meet these issues, it becomes necessary to
conceive of just institutions, that by health policy, integrate nutrition as a care and
provide medical training adapted to these challenges.
Keywords: malnutrition, nutrition, diet, care, treatment, vulnerability.
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