009 . approche liberale de l`economie de marche

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Approche libérale de l’économie de marché
J.DURR 01/10
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APPROCHE LIBERALE DE L’ECONOMIE DE MARCHE
On envisagera ici l’économie de marché à travers l’approche libérale. La théorisation du système du marché est l’œuvre
du courant néoclassique. Celui-ci débute dans le dernier tiers du XIXème siècle et se prolonge jusqu’à aujourd’hui. Il
succède à l’école classique - qui est libérale aussi - et s’en distingue par l’utilisation d’outils conceptuels nouveaux. Il a
été amené à s’appuyer largement sur les mathématiques.
A - LIBERALISME ECONOMIQUE ET INDIVIDUALISME
Le libéralisme économique s’inscrit dans une conception individualiste de la société.
• Sur le plan philosophique, l’individualisme affirme le primat de l’individu par rapport à la société.
- La liberté souveraine de l’individu est une valeur. La liberté des uns ne connaît qu’une limite : la liberté des autres.
- L’individu est le meilleur juge de ses intérêts.
• Du point de vue de la psychologie, pour les libéraux l’être humain est mû naturellement par la recherche de son intérêt
personnel et par le désir d’obtenir la maximum de satisfaction.
- Implications économiques : laisser le maximum de champ libre aux individus permettra de dynamiser au
maximum l’économie, puisque la recherche de l’intérêt personnel est le ressort de l’action individuelle. Ainsi
le souci de soi peut servir l’intérêt général. Cf. la fable des abeilles (1705) de B. MANDEVILLE (1670-1733). Pour
A. SMITH (1723-1790) la vanité des individus peut servir l’intérêt général parce qu’elle les motive à travailler, à
investir et à produire (Traité des sentiments moraux, 1759).
- Implications morales : morale de l’égoïsme ? Pour la morale utilitariste - une des morales majeures du libéralisme
- J. BENTHAM (1748-1832) - J. S. MILL (1806-1873) - le principe est bien que l’action vise le bien-être individuel
(eudémonisme), mais ce bien-être n’est pas conçu de façon asociale : l’intérêt de chacun y est conçu comme
identique à l’intérêt de tous - lequel est défini comme la somme des satisfactions individuelles. Cette conception a fait
l’objet de critiques (not. J. RAWLS 1921-2002)
• Juridiquement, le Droit protège les individus par :
- la propriété privée - J. LOCKE (1632-1704) : le droit à la jouissance de ses biens est un domaine de l’inviolabilité
de la personne humaine.
- la liberté contractuelle : le contrat est une source d’obligations qui n’entrave pas la liberté des contractants parce
qu’ils y ont librement consenti.
B - LE MARCHE
Le marché est le lieu où des agents économiques libres entrent en relation entre eux et nouent des contrats qui sont
source d’échanges. Sur les marchés, le lien social est un lien contractuel. A la limite, le libéralisme radical confond la
société et le marché.
La théorie libérale vise à démontrer que le marché assure le fonctionnement de l’économie le meilleur et le plus juste.
A condition que la concurrence y soit parfaite. Alors l’intérêt individuel est en accord avec l’intérêt général.
1) Le marché est régulateur
• Sur le marché les acteurs sont libres. Leurs projets ne concordent pas a priori. Il y a régulation si des mécanismes
conduisent à un ajustement des décisions qui assure le fonctionnement de l’économie, càd qui évite blocages et
contradictions. Deux approches de la régulation s’inscrivent dans la tradition néoclassique :
- l’offre et de la demande s’y ajustent par le prix du marché, qui conduit à un équilibre (tradition walrasienne).
- les interactions qui s’y opèrent entre acteurs permettent à chacun d’apprendre à s’adapter aux autres de façon
progressive et efficace (approche hayekienne).
La liberté ne débouche donc pas sur le désordre. Le marché est porteur d’ordre.
a) l’autorégulation du marché
• Sur le marché d’un bien l’offre et la demande s’ajustent par le prix. Si l’offre est supérieure à la demande, la
concurrence du côté de l’offre fait baisser le prix jusqu’à l’égalité entre l’offre et la demande, au prix d’équilibre. A
l’inverse, si c’est la demande qui est excédentaire, la concurrence entre les demandeurs conduit à la hausse du prix
jusqu’à l’équilibre.
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L’équilibre du marché est stable : si le prix s’en écarte, les forces du marché le ramènent à sa position d’équilibre.
Sur ce graphique on voit le point d’équilibre du marché : prix PxE et quantité.
L’équilibre d’un marché est appelé équilibre partiel, parce que sa réalisation
suppose que ses incidences sur les autres marchés sont négligeables.
A. MARSHALL (1842-1924) a analysé les équilibres partiels. On lui doit
notamment la représentation en termes de courbes d’offre et de demande (cicontre)
Cependant l’hypothèse d’indépendance d’un marché par rapport aux autres
n’est pas toujours possible. Ex. l’équilibre partiel sur le marché du pétrole aurait
de telles conséquences sur les autres marchés qu’il serait remis en cause.
Il faut alors envisager la question de l’équilibre général de tous les marchés.
• L’équilibre général a été théorisé par L. WALRAS (1834-1910) dans « Eléments d’économie politique pure » (1874).
Il construit un modèle mathématique : les relations entre les variables qui caractérisent les différents marchés sont
mises en équations, compte tenu de certaines hypothèses. L’ensemble de ces relations constitue un système d’équations,
au cœur duquel les prix (des biens et des facteurs de production) sont les variables d’ajustement. Le système admet une
solution unique - il existe donc un ensemble de prix qui assure l’équilibre général.
Ce modèle présente des insuffisances qui ont donné lieu à de nombreux travaux. On retiendra succinctement deux
problématiques, pour marquer des repères ;
- A quelles conditions existe-t-il un équilibre général ? Le modèle de Walras repose sur des hypothèses qui n’ont
été dégagées de façon précise qu’en 1953 par K. ARROW et G. DEBREU (respectivement prix Nobel d’économie en
1972 et en 1983). Ces conditions sont très restrictives, et ne montrent d’ailleurs que la possibilité d’un équilibre général.
En fait, dès le départ, le modèle de Walras n’a pas de prétentions réalistes : le propos est normatif. Il s’agit de montrer
que sous certaines conditions, un système de marché permet la coordination des choix individuels par les prix.
- Comment cet équilibre est-il atteint ? Walras imagine un équilibrage par tâtonnement. Des prix sont annoncés à la
criée par un commissaire-priseur (« crieur de prix »). Des projets d’offre et de demande se manifestent alors, ce qui
conduit le commissaire à ajuster les prix pour ajuster offre et demande (comme sur un marché boursier fonctionnant à la
criée). Aucune transaction effective n’a lieu avant d’avoir atteint l’équilibre. Ce processus converge-t-il forcément vers
un point d’équilibre ? Des travaux, au début des années 70, montrent que la convergence n’est pas assurée - et donc
remettent en cause l’unicité et la stabilité de l’équilibre général (théorème de SONNENSCHEIN).
b) La régulation comme apprentissage.
Comme on vient de la voir, l’approche walrasienne implique l’intervention d’un agent extérieur aux marchés, qui
calcule les prix d’équilibre en fonction des offre et des demandes, et qui annonce publiquement ces prix (le
commissaire-priseur) Elle débouche donc sur une contradiction : l’harmonieux fonctionnement d’une économie
parfaitement décentralisée a besoin de l’intervention d’un agent central situé au-dessus des marché pour faire
fonctionner l’ensemble. L’économie de marché implique une organisation centralisée.
F. HAYEK (1899-1992) pense autrement le fonctionnement du marché : n’y opèrent que des centres de décision
individuels, qui doivent apprendre à s’ajuster sans arbitre central - mandataire a priori de l’ordre idéal du marché. Son
approche part d’une conviction de philosophie politique : l’ordre social n’a pas de finalité latente - il n’y a pas un « bon
gouvernement » de la société, qui mènerait celle-ci selon une direction existant a priori. L’ordre de la société est un
ordre spontané, auto-poïétique - càd capable de produire les moyens de sa propre transformation, spontanément, càd par
hasard. Et donc imprévisible par nature.
NB - Un système auto-poïétique s’oppose à un système allo-poïétique, qui produit des éléments qui ne le transforment
pas : ex. une usine qui produit des biens qui ne la transforment pas.
Non intentionnel et imprévisible par constitution, la société partage ce caractère avec l’ensemble du vivant (systèmes
biologiques en évolution non finalisée et imprévisible par nature). La société est « ouverte » : elle évolue par les
interactions aléatoires d’acteurs égoïstes (càd myopes, dépositaires d’une seule vérité : la leur) dotés de mémoire et
suffisamment rationnels pour interpréter des signaux de leur environnement, et agir dans leur intérêt propre. Certes tout
champ d’interaction n’est pas producteur d’ordre. Selon l’auteur, un minimum de règles (« nomos » : règles de droit et
prescriptions morale) est nécessaire pour qu’un ordre émerge et évolue. C’est par le processus d’apprentissage des
comportements efficients que ces règles s’érigent petit à petit en traditions, et s’imposent efficacement.
Le marché, lieu de liberté, de contacts et d’échanges - lieu « ouvert » - apparaît ainsi comme le terrain sur lequel les
individus font l’apprentissage les uns des autres, et d’où émerge un ordre économique et social spontané, en continuelle
évolution.
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2) La marché assure une régulation optimale
• On a envisagé jusqu’à présent la régulation comme un mécanisme qui ordonne la vie économique parce qu’il assure
un équilibre. Pour les néoclassiques la liberté individuelle ne mène pas au chaos, les intérêts des acteurs privés
s’harmonisent. Une « main invisible » agit, qui concilie les intérêts privés en un intérêt général (A. SMITH). Le marché
- où des libertés se rencontrent, se combattent ou s’accordent - fonde un plan supérieur, un au-delà du jeu spontané des
acteurs, où des fonctions collectives se dessinent, qui élèvent le tout au dessus de la somme des parties.
Ex. l’ajustement de la production de biens aux besoins exprimés, de l’épargne à l’investissement, de la demande
d’emploi à l’offre d’emplois, etc.
En tant que processus régulateur, le marché assure donc le fonctionnement de l’économie. Il répond aux trois questions
fondamentales de tout système économique :
- que produire ?
- comment produire ?
- pour qui produire ?
• Mais pour la pensée libérale, le marché concurrentiel n’est pas seulement un régulateur quelconque de l’économie, il
assure aussi sa meilleure régulation possible, parce qu’il oriente au mieux l’affectation des ressources rares aux besoins
de la population. En quoi ?
On retiendra ici deux argumentations qui jalonnent le discours néoclassique. Les démarches sont très différentes.
- L’une s’inscrit dans les convictions du libéralisme. Ses prémisses sont des principes, des a priori idéologiques.
- L’autre est inverse. Ses postulats se refusent à être l’expression d’une inspiration. Ils se posent en fondements
logiques de l’ordre du marché - en axiomes logiques et non en principes idéologiques. La démarche est donc
mathématique. Le renversement est épistémologique : la formulation mathématique ne décrit pas, elle fonde (ainsi G.
Debreu construit le système de marché comme un système logique abstrait, qui s’écarte des inspirations du libéralisme.
Ce qui est recherché ici c’est la configuration logique du système du marché).
a) Dans la perspective du libéralisme, la liberté ne peut être réelle que si elle s’accompagne de l’égalité entre les
participants au marché. A l’image de la compétition sportive, il faut qu’il y ait égalité des chances au départ. Les acteurs
doivent être tous soumis aux mêmes règles. La concurrence pure et parfaite repose sur certaines conditions.
- L’atomicité du marché : les acteurs sont nombreux et de poids égal. Ainsi aucun n’a assez de poids pour peser sur
le marché.
- l’homogénéité des biens, càd l’impossibilité de les différencier.
- La transparence de l’information : elle est à la portée de tous.
- L’absence de barrières à l’entrée, pour éviter les positions acquises
- la mobilité des facteurs de production, pour qu’aucun offreur ne subisse d’entrave à la production.
Si la concurrence est pure et parfaite, aucun agent ne peut orienter le marché à son profit. Chacun est preneur de prix « price-taker » - aucun n’a la possibilité d’être faiseur de prix - « price-maker ».
Ces conditions sont l’expression de l’idéal libéral. Cependant, elles sont trop vagues pour étayer une analyse rigoureuse
du marché. Ce que permet l’approche mathématique.
b) La formulation mathématique du marché (initiée par Walras, continuée par Arrow, Debreu, etc.) repose sur des
conditions qui sont en quelque sorte une axiomatique du marché. Le problème de l’équilibre y est celui de la possibilité
de trouver une solution à un système d’équations, où les prix sont les inconnues. Dans cette perspective, la possibilité
d’un équilibre général a bien été démontrée, même si la manière de l’atteindre reste problématique. D’autre part cet
équilibre est un optimum au sens de PARETO (1848-1923).
• Qu’est-ce qu’un optimum de Pareto ?
Il n’est pas possible de définir l’optimum économique de façon absolue. Pour deux raisons majeures.
- Le point d’équilibre des marchés dépend des dotations initiales des agents, qui sont exogènes par rapport au jeu du
marché.
- Les agents ne sont pas légitimement hiérarchisables - ils se valent l’un l’autre.
D’où une définition relative de l’optimum : l’optimum de Pareto. Une situation est Pareto-optimale s’il n’est pas
possible d’améliorer le bien-être d’un agent sans détériorer celui d’au moins un autre agent. Une économie contient une
infinité d’optimums de Pareto possibles, qu’on ne peut pas hiérarchiser.
• Le modèle de Walras, revu par Arrow et Debreu, démontre que tout équilibre général en concurrence pure et parfaite
est un optimum de Pareto (premier théorème du bien-être).
Ainsi, non seulement le marché de CPP permet la coordination des plans des individus dans des conditions égalitaires,
mais l’équilibre ne reste pas en deçà de la possibilité de satisfaire leurs intérêts au maximum, puisqu’il est impossible
d’améliorer la situation de l’un d’entre eux, sans détériorer celle d’un ou plusieurs autres.
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NB - Tout équilibre général en CPP est un optimum de Pareto, mais la réciproque n’est pas vraie : un équilibre Paretooptimal n’est pas forcément un équilibre en CPP. Ainsi, à l’équilibre, une économie dominée par des monopoles est en
situation d’optimum de Pareto, car une amélioration des avantages de certains membres de la population (salariés,
consommateurs, par ex.) ne peut se faire qu’au détriment des monopoleurs. L’équilibre général en CPP est une
condition suffisante de l’optimalité parétienne, mais pas une condition nécessaire.
3) Le marché et la justice
Efficace et rationnel, le marché concurrentiel est-il juste ? Quel rapport entretient-il avec la justice dans la répartition
des biens ? On examinera ici trois réponses à cette problématique.
• Dans un marché de CPP les règles sont égales pour tous. Aucun acteur ne peut se prévaloir d’un poids exorbitant dans
la concurrence. Mais les dotations initiales des acteurs ne sont pas égales. Elles sont exogènes par rapport au jeu de la
concurrence.
L’équilibre est, certes, un optimum de Pareto, mais la répartition qu’il détermine est forcément fonction des dotations
initiales. En ce sens, la CPP, processus égalitaire, garde la trace des inégalités de départ.
• En situation concurrentielle, les facteurs de production (FP) sont rémunérés à leur productivité marginale (Pm),
comme le montre la théorie néoclassique.
La productivité marginale d’un input est l’augmentation de la production qui résulte de l’utilisation d’une unité
supplémentaire de cet input. Intuitivement, on comprend que tant que la productivité marginale d’une unité d’intrant (ce
qu’il permet de produire en plus) est supérieure à son coût (son prix), le producteur a intérêt à l’engager dans la
production, parce qu’il en tire un profit supplémentaire.
Si l’on admet la loi des rendements décroissants, selon laquelle la
productivité marginale d’un facteur de production diminue quand son emploi
augmente, alors il existe un niveau au-delà duquel l’usage d’une unité
supplémentaire a un coût supérieur à sa productivité. En situation de CPP les prix
des biens et des facteurs de production étant donnés pour les producteurs, ceux-ci
ont intérêt à fixer leur production en ce point d’égalité du prix des intrants avec
leur productivité marginale.
Dans le cas du travail, la quantité de travail employée QL s’établira au niveau
d’équilibre QLE où la productivité marginale du travail PmL est égale au taux de
salaire w du marché (cf. fig. ci-contre).
Si les facteurs de production sont rémunérés à leur productivité marginale, la répartition des revenus relève d’une
conception implicite de la justice : « à chacun selon son apport à la production » - variante économique du principe de
justice commutative : « à chacun selon son mérite » - qui s’oppose à celui de la justice distributive : « à chacun selon
ses besoins ».
• F. HAYEK, lui, rejette ce qu’il appelle « le mirage de la justice sociale », càd la redistribution des revenus au bénéfice
des défavorisés. On retiendra deux raisons majeures (cf. supra).
- Il récuse l’idée d’un ordre social objectif auquel pourrait se référer une instance collective, pour définir des
principes de justice sociale. Une telle instance ne pourrait qu’imposer indûment une conception parfaitement arbitraire
de la justice.
- La répartition spontanée issue du marché peut être parfois perçue comme injuste, mais dans tous les cas elle informe
les acteurs de ce qu’il faut faire ou éviter de faire. Elle oriente positivement les individus. Toute intervention
redistributive fausserait cette fonction
C - LE ROLE DE L’ETAT
Si l’économie de marché s’autorégule de façon optimale, quel peut être le rôle de l’Etat ? On s’en tiendra ici à des idées
très générales qui seront précisées ailleurs. Selon les libéraux, l’Etat doit intervenir pour deux raisons principales.
- L’Etat doit assurer le fonctionnement des marchés. La liberté du marché et la concurrence ont besoin d’être
construites et protégées. Par des réglementations, par des politiques (par ex. assurer la stabilité de la monnaie, etc.).
- L’Etat doit assumer certaines fonctions collectives qui ne peuvent pas être prises en charge par le marché (sécurité,
défense, certaines infrastructures nécessaires mais non rentables, etc.) Les limites de ce domaine sont variables selon les
courants de pensée (par ex. pour A. SMITH l’Etat doit aussi veiller à l’éducation de la jeunesse).
Cet Etat, dont le rôle doit rester limité, est appelé « Etat gendarme ».
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