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Lettre d’information et d’analyse sur l’actualité bioéthique
N°76 : Avril 2006
Destruction ou adoption des embryons congelés : quelle solution ?
Le nombre d’embryons humains
congelés dans le monde augmente
chaque jour et se compte par centaines
de milliers. Aux Etats-Unis, on
dénombre 400 000 embryons congelés,
dont 11 000 qui ne font plus l’objet d’un
projet parental ; en France, il y aurait
plus
de
80 000
embryons
surnuméraires, en Belgique, 24 000…
La question de leur devenir prend une
dimension mondiale et urgente.
Aux Etats-Unis par exemple, l’adoption
d’embryons se développe mais elle n’a
rien de gratuit ni d’anonyme. Selon
certains programmes d’adoption, les
familles génitrices peuvent définir les
critères de la famille adoptive et les
familles sont invitées à rester en
contact tout au long de l’éducation de
l’enfant.
Appel éthique
Le père Alain Mattheeuws, jésuite,
docteur en théologie morale et
sacramentaire de l’Institut catholique de
Toulouse, professeur dans différentes
facultés et spécialiste de la recherche
bioéthique en théologie morale répond
aux délicates questions qui entourent la
congélation, l’implantation et l’adoption
d’embryons créés par fécondation in
vitro1. Il lance un « appel éthique » pour
que soit respecté l’embryon congelé
qu’il nomme « enfant embryonnaire
congelé ».
Congélation des embryons
La congélation des embryons humains
permet d’augmenter l’efficacité des
différentes techniques de reproduction
médicalement assistée et vise à éviter
des prélèvements répétés d’ovocytes.
Si l’on considère ces cellules
embryonnaires comme un matériau
biologique, un embryon potentiel, leur
congélation ne pose que des
problèmes juridiques et techniques : à
qui appartiennent ces embryons
confiés à la clinique, abandonnés ou
oubliés dans un hôpital ? Leur
destruction accidentelle peut-elle
entraîner une responsabilité, des
dommages et intérêts, etc. ?
En revanche, si l’on considère qu’il faut
respecter l’être humain dès sa
conception, la congélation de l’embryon
est inacceptable et moralement illicite.
L’instruction Donum Vitae de la
Congrégation pour la Doctrine de la
Foi, en 1987, s’exprimait ainsi : « La
congélation des embryons, même si
elle est réalisée pour garantir une
conservation de l’embryon en vie
constitue une offense au respect dû
aux êtres humains, car elle les expose
à de graves risques de mort ou
d’atteinte à leur intégrité ; elle les prive
au moins temporairement de l’accueil
et de la gestation maternelle et les
place dans une situation susceptible
d’offenses et de manipulations
ultérieures. »
Responsabilité des parents
Le père Mattheeuws souligne que les
parents n’ont pas un droit absolu sur
leurs « enfants embryonnaires » ; en
revanche, ils en sont responsables. Les
centres de Procréation Médicalement
Assistée (PMA) font en général signer
certains documents aux parents. Cette
signature est un engagement civil qui
ne correspond pas toujours à la loi
inscrite dans les cœurs. Ainsi, comme
parents, ils ne peuvent pas
« moralement signer une décharge
totale des embryons issus de leur
corps et de leurs personnes ». Les
parents ne sont pas habilités à donner
leurs enfants embryonnaires comme
des objets, ils ne peuvent pas être
déchargés de la responsabilité qu’ils
ont prise en concevant ces embryons,
même avec l’aide de médecins.
Ajouter un mal à un autre mal ?
Il revient aux parents d’éviter que l’on
ajoute un mal à un autre mal. Créer des
embryons surnuméraires et les
congeler est un mal, les maintenir dans
cet état en est un autre, de même que
la décision d’en faire un matériau pour
la science. Les parents doivent veiller à
protéger la dignité de leurs enfants
embryonnaires congelés dans ce qu’ils
sont et ce qu’ils peuvent devenir. Dans
l’état de congélation, on enlève à
l’embryon une qualité inhérente à ce
qu’il est : son temps et son devenir.
Son statut, par nature fragile, est fixé
dans la fragilité.
Adoption d’embryons congelés :
quels enjeux ?
La femme qui « adopte » un embryon
congelé accueille l’enfant pour le porter
et le mettre au monde. Cet embryon,
qui lui est génétiquement étranger, ne
sera pas porté par ou pour une autre
femme, comme c’est le cas pour une
mère porteuse ; l’enfant est accueilli
pour lui-même. Il n’en reste pas moins
que la femme n’a pas un droit absolu
sur son corps. « Son être est
essentiellement personnel, corps, cœur
et esprit et cette unité personnelle ne
peut devenir un pur instrument de
survie de l’embryon congelé ». La
femme accepte alors, dans l’intimité de
son corps, l’enfant issu d’une autre
relation ; cet acte l’instrumentalise,
qu’elle
le
veuille
ou
non.
Corporellement, la femme qui accueille
en elle un enfant embryonnaire congelé
pose un acte qui n’est pas le sien :
l’acte d’une autre et d’un couple. Or cet
acte ne peut être délégué ; il y a une
« unité insécable » entre la conception
Gènéthique - n°76 – avril 2006
et la gestation. L’adoption des
embryons congelés révèle une
intention généreuse, mais l’objet de
l’acte (faire accéder ces embryons à la
vie terrestre) contredit le respect qui est
dû à tout être humain, en l'occurrence à
la femme.
Concilier respect des embryons et
respect de la femme
Pour le Père Mattheeuws, il ne s’agit
pas de condamner les femmes qui
généreusement proposent d’adopter
ces embryons mais de faire réfléchir :
pourquoi promouvoir une pratique qui
n'est pas juste ? Prendre conscience
du caractère sacré de la vie est un
impératif moral en toutes circonstances
mais l’aveu d’une impuissance
humaine n’est pas toujours une
faiblesse ou un manque de générosité :
il peut être le signe d’une humilité vraie,
celle qui cherche à trouver la vérité de
toute vie et à respecter le plan de Dieu
dans l’histoire. Il nous faut peut-être
admettre que nous ne pouvons pas
sauver les embryons congelés.
Pas d’acharnement thérapeutique
Il reste à faire le bien possible en
assumant la condition absurde de ces
embryons congelés et le Père
Mattheeuws conseille de « les retirer du
froid où ils sont emprisonnés, de les
rendre aux conditions temporelles qui
sont les leurs, de ne pas utiliser de
moyens disproportionnés pour les
sauver ou de moyens qui ne respectent
pas leur dignité ou la dignité des
personnes désireuses de les aider.
L’enseignement
du
Magistère
catholique au sujet du refus de
l’acharnement thérapeutique trouve ici
une nouvelle actualité. Il ne s’agit pas
d’une euthanasie, mais du refus de
prendre un moyen disproportionné et
inadapté pour tenter de les faire
survivre.»
1 - Zenit, 23-24 mars 2006 (www.zenit.org)
Le rapport Claeys demande la légalisation du clonage
L’Office parlementaire d’évaluation des
choix scientifiques et technologiques a
organisé le 22 novembre 2005 des
auditions publiques dirigées par le
député Alain Claeys, en vue de rédiger
un rapport. Ce rapport a été publié le 5
avril 20061.
Des auditions biaisées
Si ce rapport est officiellement
consacré aux recherches sur les
cellules souches autorisées par la loi,
son objectif vise essentiellement à
légaliser le clonage thérapeutique. Lors
des auditions, tous les intervenants
étaient des scientifiques acquis à la
cause et des représentants de sociétés
de biotechnologie.
Cette « mise en scène » marquait
l'alliance objective du scientisme et du
business ainsi que l'absence totale de
réflexion humaniste sur un sujet aussi
grave.
Le critère exclusif de la faisabilité
Dès l’introduction des auditions confiée
à Ketty Schwartz, vice-présidente du
conseil d’administration de l’Inserm et
présidente du conseil scientifique de
l’AFM, le ton était donné : il faut
autoriser le clonage. Affirmation reprise
en chœur par les intervenants suivants
et par le député Alain Claeys,
rapporteur. Nul besoin de débattre sur
le terrain biologique ou éthique, tous
les intervenants sont d'accord entre
eux. La seule question est de savoir
pourquoi le clonage n’est toujours pas
autorisé puisqu’il est désormais
faisable depuis les expérimentations
coréennes ? (Depuis ces auditions
parlementaires, les résultats coréens
ont été reconnus comme étant
frauduleux.)
Pas de perspective thérapeutique
Contrairement à ce qu’ils n’ont cessé
de proclamer pendant des années pour
obtenir l'autorisation de recherche sur
l'embryon, censé guérir les patients de
tous leurs maux, ces chercheurs
reconnaissent aujourd’hui qu'on ne
trouvera pas de thérapie grâce au
clonage. Mais ils maintiennent leur
volonté de faire du clonage pour des
raisons lucratives et pour faire avancer
leur propre connaissance. Ils ne parlent
plus de clonage thérapeutique mais de
clonage scientifique ou clonage de
recherche.
L’importance des marchés
Les marchés considérables dans le
domaine pharmaceutique (criblage par
des milliers de molécules de cibles
génétiquement identifiées) et dans celui
de la toxicologie prédictive ont été mis
en avant tant par les marchands que
par les scientifiques. C’est ainsi qu’on a
pu voir le Pr. Peschanski défendre le
clonage avec ferveur pour les intérêts
de la cosmétique. Par rigueur
marketing,
pour
faciliter
la
transformation des embryons clonés en
marchandises présentables, il est
d’ailleurs décidé de ne plus parler de
clonage mais de « transposition
nucléaire ».
La création d’embryons malades
Non seulement, le clonage ne guérira
pas les malades mais il permettra de
créer des embryons malades.
L'argument consiste à pouvoir cloner
des embryons malades pour mieux les
étudier. Multiplier les malades avec des
pathologies sur mesure pour l'intérêt
des chercheurs...
Vers un marché des ovocytes ?
Pour développer le clonage, les
scientifiques consultés reconnaissent
néanmoins une difficulté : la nécessité
de disposer d’ovocytes en grande
quantité, compte tenu du faible taux de
réussite
de
la
« transposition
nucléaire ». « Cette nécessité fait
planer une menace très réelle de
commercialisation des ovocytes et,
partant, de leur marchandisation, à
laquelle il faut très résolument
s’opposer ».
1 - Auditions publiques du 22 novembre 2005 à
lire sur le site de l'Assemblée Nationale.
Lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune - 31 rue Galande 75005 Paris
Directeur de la publication : Jean-Marie Le Méné - Rédacteur en chef : Aude Dugast
Contact : Aude Dugast – [email protected] -Tel : 01.55.42.55.14 - Imprimerie PRD S.A. – N° ISSN 1627 - 4989
Gènéthique - n°76 – avril 2006
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