Étude PIAF : Insuffisance placentaire et le flux isthmique aortique Jean-Claude Fouron, M.D. Bonjour chers collègues, Je tiens à vous remercier très sincèrement d’avoir accepté de participer à notre étude multicentrique sur l’importance clinique de l’enregistrement du flux aortique isthmique au cours de l’insuffisance circulatoire placentaire. Ce projet a pour objectif primaire l’identification de la valeur seuil de l’index du flux isthmique au-dessous de laquelle un fœtus souffrant d’insuffisance placentaire deviendrait à risque d’atteinte hypoxique cérébrale intra-utérine. Le projet se déroulera en trois phases. La première phase vise à assurer une uniformité de tous les centres impliqués tant dans le choix des sites vasculaires que dans la technique d’enregistrement des tracés Doppler. La deuxième phase est celle de la collecte des données obstétricales et néonatales. Et enfin, la phase finale implique l’évaluation du développement neurologique à l’âge de 2 ans. Le site que vous regardez actuellement a été conçu essentiellement pour faciliter la phase I qui est celle du transfert de connaissances. Au préalable, il me semble fondamental de justifier notre hypothèse de travail concernant l’isthme. Dans ce but, un retour physiologique s’impose. Les Instituts de recherche en santé du Canada ont contribué financièrement à ce travail (numéro de référence du financement : 97986) 1 Étude PIAF : Insuffisance placentaire et le flux isthmique aortique Jean-Claude Fouron, M.D. Pourquoi l’isthme aortique fœtal? Deux éléments fondamentaux singularisent la dynamique circulatoire fœtale : premièrement, la disposition en parallèle des deux ventricules et de leur voie de sortie artérielle et, deuxièmement, la présence de shunts. La disposition en parallèle des ventricules fœtaux, bien démontrée expérimentalement, se vérifie quotidiennement en clinique cardiologique fœtale où l’on peut observer les deux pompes cardiaques perfusant en parallèle la circulation systémique : le ventricule gauche via l’arche aortique et le ventricule droit via l’arche pulmonaire formé du tronc pulmonaire principal et du canal artériel. Par ailleurs, trois shunts sont classiquement décrits : le ductus veineux d’Arantius ou ductus venosus, le foramen ovale et le canal artériel. Par définition, un shunt dévie de son trajet normal une portion du flux sanguin vers un circuit offrant moins de résistance. Chez le fœtus, le ductus venosus correspond bien à la définition d’un shunt puisque la veine ombilicale se vide normalement dans le système porte drainant vers le foie, mais Les Instituts de recherche en santé du Canada ont contribué financièrement à ce travail (numéro de référence du financement : 97986) 2 Étude PIAF : Insuffisance placentaire et le flux isthmique aortique Jean-Claude Fouron, M.D. qu’une partie de ce sang qui devrait se rendre au foie est déviée vers la veine cave inférieure qui a une résistance plus faible. Il en est de même du foramen ovale qui permet le passage du sang de l’oreillette droite vers l’oreillette gauche, alors que normalement il devrait se rendre au ventricule droit. En revanche, le concept d’une circulation fœtale faite de deux pompes cardiaques disposées en parallèle est tout à fait incompatible avec l’identification du canal artériel comme un shunt. En effet, décrire un shunt de droite à gauche entre l’artère pulmonaire et l’aorte thoracique signifie logiquement que la destination normale du sang éjecté par le ventricule droit dans l’artère pulmonaire serait les poumons et que, par la suite, ce sang se rendrait au cœur gauche. En d’autres termes, il s’agirait d’une circulation en série comme classiquement décrit en période post-natale. Donc, d’une part, affirmer que durant la période fœtale les deux pompes cardiaques et leur voie de sortie artérielle respective sont disposées en parallèle et, d’autre part, décrire du même souffle le flux à travers le canal artériel comme un shunt de droite à gauche, est tout à fait irrationnel. Selon le schéma suivant, on peut très facilement comprendre que l’arche aortique et l’arche pulmonaire formée du tronc pulmonaire et du canal artériel perfusent de façon parallèle la circulation systémique. Considérant ce schéma, les artères pulmonaires droite et gauche durant la vie fœtale sont deux branches de l’arche pulmonaire au même titre que les carotides et la sous-clavière gauche sont des branches de l’arche aortique. On peut aussi facilement conclure sur ce schéma que l’isthme aortique, pas le canal artériel, est le seul shunt artériel dans la circulation fœtale établissant un shunt entre les deux voies artérielles parallèles. Les Instituts de recherche en santé du Canada ont contribué financièrement à ce travail (numéro de référence du financement : 97986) 3 Étude PIAF : Insuffisance placentaire et le flux isthmique aortique Jean-Claude Fouron, M.D. En systole, l’orientation du shunt isthmique vers la tête ou les pieds dépendra à la fois de la fonction ventriculaire gauche qui a une influence antérograde sur ce shunt, et de la fonction du ventricule droit qui influence de façon rétrograde le shunt isthmique. Il existe plusieurs exemples de malformations qui démontrent très bien ce phénomène en clinique. En diastole, alors que les valves pulmonaire et aortique sont fermées, l’orientation du shunt isthmique dépendra essentiellement de l’équilibre entre les circulations supradiaphragmatique, excluant celle du poumon, infradiaphragmatique. On comprend alors pourquoi durant la vie fœtale normale, on note une diminution progressive du flux diastolique antérograde puisque avec l’avancement de la grossesse, la résistance vasculaire cérébrale diminue alors qu’à partir des deuxième et troisième trimestres, un plateau est observé au niveau des résistances placentaires. Il est important de noter qu’à partir du troisième trimestre, on voit apparaître sur les courbes de vélocité mesurées dans l’isthme, une petite incisure télésystolique rétrograde qui Les Instituts de recherche en santé du Canada ont contribué financièrement à ce travail (numéro de référence du financement : 97986) 4 Étude PIAF : Insuffisance placentaire et le flux isthmique aortique Jean-Claude Fouron, M.D. s’accentue progressivement jusqu’à la fin de la grossesse. Il s’agit là d’un phénomène physiologique lié à la prépondérance du volume sanguin ventriculaire droit éjecté en fin de grossesse et qui influence à la toute fin de la systole, de façon rétrograde, le flux dans l’isthme. Le fait que ce bref flux rétrograde survienne durant la systole est bien illustré par l’enregistrement simultané des flux dans l’isthme et le canal artériel. On remarque que l’influence antérograde ventriculaire gauche s’arrête un peu avant la fin de la systole et laisse la place à l’influence ventriculaire droite via le canal artériel. Ce point est important pour l’interprétation des tracés pathologiques. Enregistrement simultané du flux dans l’isthme aortique et du flux dans le canal artériel Isthme aortique Canal artériel En présence d’une augmentation de la résistance placentaire, comme c’est le cas dans l’insuffisance placentaire, on note une disparition du flux diastolique dans l’artère ombilicale puis, très vite, l’apparition d’un flux rétrograde d’abord télédiastolique, et en phase plus sévère, holodiastolique. Ces changements du profil Doppler observés au niveau de l’artère ombilicale sont également enregistrés au niveau de l’isthme. Les Instituts de recherche en santé du Canada ont contribué financièrement à ce travail (numéro de référence du financement : 97986) 5 Étude PIAF : Insuffisance placentaire et le flux isthmique aortique Jean-Claude Fouron, M.D. Enregistrement du flux dans l’isthme aortique 1) Cas normal, diastole antérograde, 2) Diastole absente, 3) Diastole rétrograde, 4) Cas sévère, diastole rétrograde dominante Un index du flux isthmique a été proposé, basé sur le rapport des intégrales des vélocités systolique et diastolique et corrigé pour les vélocités systoliques. Dans les cas normaux, cet index du flux isthmique est toujours au-dessus de 1,2 quelque soit l’âge gestationnel. En présence d’une augmentation de résistance placentaire, cinq types d’IFI peuvent être alors observés : - Type I : IFI > 1, témoignant d’un flux diastolique antérograde toujours présent quoique diminué; - Type II : IFI = 1, le flux diastolique est absent; - Type III : IFI devient une fraction de 1 mais plus grande que 0, ce qui reflète l’apparition d’un flux diastolique rétrograde mais avec un flux antérograde dominant; - Type IV : IFI = 0, les débits antérograde et rétrograde isthmiques sont égaux, équivalant à une absence effective de flux dans l’isthme; - Type V : IFI < 0, le flux rétrograde diastolique est prédominant, l’index étant alors négatif. Les Instituts de recherche en santé du Canada ont contribué financièrement à ce travail (numéro de référence du financement : 97986) 6 Étude PIAF : Insuffisance placentaire et le flux isthmique aortique Jean-Claude Fouron, M.D. Les Instituts de recherche en santé du Canada ont contribué financièrement à ce travail (numéro de référence du financement : 97986) 7 Étude PIAF : Insuffisance placentaire et le flux isthmique aortique Jean-Claude Fouron, M.D. En terminant, il serait important de rappeler les limites des différents tracés Doppler actuellement utilisés pour décider d’accoucher un fœtus avec retard de croissance par insuffisance circulatoire placentaire. Ces limites sont bien illustrées dans ce schéma tiré d’un travail d’Hecher. Ce graphique illustre bien les critères qui influencent en bout de ligne la décision d’accoucher. Indices de pulsatilité (artère ombilicale, ductus venosus, aorte descendante, veine cave inférieure, artère cérébrale moyenne), indice de liquide amniotique et variations à court-terme Hecher K et al. Ultrasound Obstet Gynecol 2001; 18: 564-570 Les Instituts de recherche en santé du Canada ont contribué financièrement à ce travail (numéro de référence du financement : 97986) 8 Étude PIAF : Insuffisance placentaire et le flux isthmique aortique Jean-Claude Fouron, M.D. En effet, dans l’axe des Y se trouve les écarts-types des valeurs des différents paramètres. Toutes les valeurs entre +2 et -2 sont considérées dans les limites de la normale. Dans l’axe des X, il s’agit des jours qui ont précédé l’accouchement, la date de l’accouchement correspondant au jour 0. Ces fœtus ont été suivis pendant plus d’un mois avant l’accouchement. Il est très facile de constater dès le départ que l’enregistrement Doppler dans l’artère ombilicale est anormal de même que celui dans l’aorte abdominale. Sont également anormaux d’emblée, l’indice du volume du liquide amniotique de même que l’indice de pulsatilité dans l’artère cérébrale moyenne qui témoigne d’un phénomène de compensation à l’hypoxémie pour maintenir un débit cérébral adéquat et éviter l’hypoxie cérébrale. Pendant la majeure partie de la période d’observation, le flux dans le ductus venosus, la veine cave inférieure de même que les variations à court terme de la fréquence cardiaque sont demeurés dans les limites de la normale. Ce n’est que cinq à six jours avant l’accouchement que ces variables deviennent anormales. On sait maintenant que l’apparition d’altérations dans le ductus venosus ou dans la veine cave traduit un état d’hypoxie sévère qui entraîne une dysfonction myocardique diastolique. Le myocarde étant de loin plus résistant à l’hypoxie que le cerveau, ceci permet de prévoir à coup sûr une atteinte du système nerveux central d’origine hypoxique. Il n’est pas étonnant d’observer, par ailleurs, que les anomalies du flux veineux sont associées quasi-simultanément à la détérioration et la disparition de la variation normale à court terme de la fréquence cardiaque fœtale. On sait bien que cette variation est sous l’influence du système nerveux central. En d’autres termes, les critères actuellement utilisés pour décider de l’accouchement d’un fœtus souffrant d’insuffisance circulatoire placentaire sont basés sur des signes d’atteinte cérébrale. À l’évidence, le critère idéal est celui qui devrait permettre d’accoucher ces fœtus ni trop tôt ni trop tard, mais juste avant l’apparition de ces phénomènes de décompensation. Les Instituts de recherche en santé du Canada ont contribué financièrement à ce travail (numéro de référence du financement : 97986) 9 Étude PIAF : Insuffisance placentaire et le flux isthmique aortique Jean-Claude Fouron, M.D. Cette dernière image illustre bien pourquoi l’isthme semble être potentiellement le site idéal dans l’évaluation du degré d’hypoxémie fœtale secondaire. En effet, en présence d’une augmentation de résistance circulatoire placentaire, l’hypoxémie entraîne une vasodilatation cérébrale et coronarienne. L’équilibre entre les résistances supradiaphragmatique et infradiaphragmatique est rompu et l’isthme devient d’emblée anormal. Il a été bien démontré que le degré d’hypoxémie ne peut être évalué par l’indice de pulsatilité au niveau de l’artère ombilicale. Cet indice ne nous renseigne que sur le degré de résistance d’un seul lit vasculaire qui est celui du placenta, sans nous signaler ce qui se passe dans tout l’organisme fœtal. En revanche, le flux dans l’isthme aortique va être influencé non seulement par l’augmentation de résistance placentaire mais également par une augmentation de résistance au niveau d’un réseau vasculaire extrêmement important, celui du réseau artériel mésentérique. Ce dernier est le siège d’une vasoconstriction hypoxique parfois Les Instituts de recherche en santé du Canada ont contribué financièrement à ce travail (numéro de référence du financement : 97986) 10 Étude PIAF : Insuffisance placentaire et le flux isthmique aortique Jean-Claude Fouron, M.D. très intense et ce schéma explique bien pourquoi le degré de changement du flux diastolique dans l’isthme devrait pouvoir refléter fidèlement le degré d’hypoxémie. Il est intéressant de noter qu’un flux rétrograde dominant peut être observé chez un fœtus avec retard de croissance ce qui, au niveau de l’artère ombilicale, est évidemment tout à fait incompatible avec la vie fœtale. Au nom de mes collègues de travail et également au nom de toute l’équipe qui nous a permis de produire ce site, je tiens à vous remercier tous pour votre attention. Les Instituts de recherche en santé du Canada ont contribué financièrement à ce travail (numéro de référence du financement : 97986) 11