réhabilitation Rééducation vasculaire du patient artériopathe Rev Med Suisse 2012 ; 8 : 302-5 L. Calanca A. Alatri N. Junod C. Theurillat L. Mazzolai Drs Luca Calanca, Adriano Alatri, Nicolas Junod et Clément Theurillat Pr Lucia Mazzolai Service d’angiologie CHUV, 1011 Lausanne [email protected] [email protected] [email protected] Vascular rehabilitation of patients suffering from peripheral arterial disease Rehabilitation programs represent an impor­ tant and valuable tool for patients suffering various diseases. Supervised exercise pro­ grams for patients with peripheral arterial di­ seases have been shown to be efficacious in ameliorating walking performances and qua­ lity of life of such patients. With this regards the angiology service of the CHUV in Lausan­ne has established a multidisciplinary supervi­sed program of vascular rehabilitation. This arti­ cle describes organisation and characteristics of such a program. 302 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 8 février 2012 06_09_36254.indd 1 Les programmes de réhabilitation font partie des mesures dont le corps médical dispose pour la prise en charge de certaines pathologies. Les programmes supervisés d’entraînement à la marche sont efficaces pour les patients souffrant d’une artériopathie oblitérante des membres inférieurs. C’est dans ce contexte que le service d’angiologie du CHUV a mis en place un programme multidisciplinaire de rééducation vasculaire pour les patients artériopathes. Cet article en décrit l’organisation et les caractéristiques. introduction L’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI) est l’une des expressions de l’athérosclérose systémique et con­ fère un risque très élevé de morbidité et mortalité cardiovas­ culaires. L’AOMI est une pathologie en pleine expansion dans tous les pays industrialisés en raison du mode de vie et du vieillissement de la population. Aux Etats-Unis, elle concerne environ huit millions d’adultes et, de manière plus générale, touche environ 30% de la population de plus de 70 ans.1 Plusieurs facteurs de risque cardiovasculaire participent à la survenue et à l’évolution de l’AOMI, qui peut être considérée comme un marqueur du risque cardiovasculaire. En effet, les patients artériopathes ont non seulement une qualité de vie diminuée, mais aussi un risque significativement accru de ma­ ladie coronarienne ou cérébrovasculaire (environ quatre fois par rapport à quel­ qu’un avec les mêmes facteurs de risque mais sans AOMI), et ceci indépendam­ ment du caractère symptomatique ou non de la maladie.2 D’un point de vue phy­ siopathologique, cela s’explique par le fait que l’athérosclérose est une pa­thologie artérielle systémique et donc l’atteinte vasculaire des membres inférieurs peut être associée à celle d’autres territoires, principalement cardiaque et cérébral. L’AOMI symptomatique est notamment caractérisée par une claudication inter­ mittente, définie comme une douleur des membres inférieurs survenant à la marche, obligeant le patient à s’arrêter pendant quelques minutes après une dis­ tance variable en fonction de la gravité de l’atteinte artérielle. La prise en charge de l’AOMI symptomatique comprend la correction des facteurs de risque cardio­ vasculaire associés et, selon le stade et la gravité de la maladie, un traitement conservateur ou un geste de revascularisation sont proposés. L’exercice physi­que, et l’entraînement à la marche en particulier, joue un rôle fondamental dans la prise en charge du patient artériopathe ayant bénéficié ou non d’un geste de re­ vascularisation. Les effets bénéfiques de l’exercice sont bien connus. Une récente revue Cochrane a montré que l’exercice améliore la distance de marche sans dou­ leur (DMA), ainsi que la distance de marche maximale parcourue (DMM) d’au moins 100% chez le patient avec AOMI.3 Au sein d’une même population, l’exer­ cice diminue également significativement la mortalité totale et cardiovasculaire.4 Enfin, les effets bénéfiques d’un entraînement ont aussi été démontrés pour des patients artériopathes asymptomatiques.5 Les mécanismes physiopathologiques à l’origine des effets bénéfiques de Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 8 février 2012 0 02.02.12 08:43 l’exercice physique chez les patients avec AOMI ont récem­ ment été décrits.6,7 Le but de cet article est de réviser les données disponibles concernant le type et les modalités d’exercices. quel type de programme d’entraînement ? En général, trois différents modèles d’organisation sont décrits dans la littérature : 1) une simple recommandation à l’entraînement à la marche (EM) ; 2) un programme d’exer­ cices supervisés (PES) et, récemment, 3) un programme détaillé d’exercices que le patient va exécuter d’une ma­ nière autonome à la maison (home-based exercise program, HEP). De nombreuses études cliniques ont évalué l’efficacité d’un PES chez les patients avec AOMI.8-10 Deux récentes méta-analyses, qui ont examiné un total de dix-neuf étu­des cliniques et 1080 patients, ont montré les bénéfices d’un programme supervisé avec une amélioration de la DMA et de la DMM L 100%.9,10 Les études considérées étaient très hétérogènes, la plupart de petite taille et, enfin, réalisées dans des centres hospitaliers spécialisés. Ce dernier point représente la principale limite du PES car il ne peut satis­ faire toutes les demandes de participation au programme et engendre des coûts de déplacement supportés par les patients. Un modèle alternatif peut être un PES directement au domicile du patient, réalisé par un réseau de physiothé­ rapeutes. Dans l’étude multicentrique EXITPAD,11 304 pa­ tients souffrant d’AOMI de stade II selon Fontaine, éligi­ bles pour un traitement conservateur, ont été randomisés dans l’un des trois groupes suivants : EM, PES et PES avec vérification quotidienne du travail par un podomètre. Le programme de réhabilitation durait douze mois. Par rapport au groupe EM, les patients des deux groupes supervisés ont montré une augmentation significative de la DMM (EM : 110 mètres ; PES : 310 mètres et PES contrôle : 360 mètres, p l 0,001) et une amélioration de la qualité de vie, évaluée par trois questionnaires différents. A noter qu’un PES fait partie des recommandations de plusieurs sociétés scienti­ fiques par rapport au traitement des patients avec AOMI symptomatique : ACC/AHA (American College of Cardiology/ American Heart Association),12 TASC II (Inter-Society Con­sen­ sus for the Management of Peripheral Arterial Disease),13 ESC/EAS (European Society of Cardiology/European Athe­ rosclerosis Society).14 La supervision permet de bien améliorer la participa­ tion des patients au programme d’exercices et d’augmenter l’intensité des entraînements.7 Il est important de mention­ ner que les effets bénéfiques de l’exercice persistent long­ temps après la fin du programme de réadaptation. Dans l’étude de Ratliff et coll.,15 202 patients ont effectué un PES de douze semaines avec une amélioration de la DMA et de la DMM, par rapport au début de l’étude, de 237% et 242% respectivement (p l 0,001). Au contrôle à trois ans, tous les patients avaient préservé l’amélioration obtenue. Ces ré­ sultats ont été récemment confirmés.16 Enfin, le PES a mon­tré un rapport coût/bénéfice très favorable.17,18 Malgré cela, un programme supervisé n’est pas toujours disponible et n’est pas forcément remboursé par les cais­ ses maladie. Très récemment, deux études cliniques ont proposé un nouveau modèle qui se base sur un program­me 0 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 8 février 2012 06_09_36254.indd 2 détaillé d’exercices que le patient exécute d’une manière autonome (HEP), mais avec des séances de supervision ponctuelles.19,20 Dans une étude longitudinale de cohorte, Fakhry et coll. ont testé l’efficacité d’un HEP chez 142 pa­ tients souffrant d’AOMI symptomatique versus 75 traités par un PES avec un suivi de douze mois.19 67% des patients ont terminé l’étude. Les résultats montrent une efficacité significativement supérieure du PES par rapport au HEP en ce qui concerne les paramètres fonctionnels (DMA et DMM). Gardner et coll., quant à eux, ont évalué 119 patients dans une étude clinique randomisée qui comparait trois traite­ ments : HEP (n = 29), PES (n = 33) et EM (n = 30).20 Les buts principaux étaient d’améliorer la DMA et la DMM à la fin des douze semaines de traitement. L’adhérence aux deux programmes d’exercices était similaire (p = 0,712) et supé­ rieure à 80%. Les deux programmes ont montré la même efficacité et une supériorité significative par rapport à l’EM (p l 0,001). A noter que les patients du programme à do­ micile ont montré une plus grande augmentation, mais non significative, de l’activité physique quotidienne par rap­ port au PES. quel type d’exercice physique ? L’entraînement sur tapis roulant est la méthode la plus utilisée dans les études cliniques. L’intensité et le type d’en­ traînement peuvent varier selon qu’il s’agit d’une AOMI symptomatique ou asymptomatique et en fonction de la présence ou non de maladies concomitantes (cardiopathie, pneumopathie, etc.).7 Plusieurs études ont évalué des approches alternatives d’exercices. Récemment, l’efficacité des exercices d’endu­ rance des membres supérieurs a été démontrée suite à un entraînement sur cycloergomètre à bras (figure 1), avec une amélioration des performances de marche chez les patients souffrant de claudication. Cette modalité d’exercice est particulièrement appropriée pour des patients souffrant de difficultés à marcher sur un tapis roulant.21,22 En ce qui concerne l’intensité de l’effort, deux modali­ Figure 1. Ergocycle à bras Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 8 février 2012 303 02.02.12 08:43 tés sont proposées. La première consiste en un effort à une intensité et une vitesse modérées et constantes, d’une du­ rée plus ou moins longue. La deuxième option consiste à effectuer un effort à une intensité plus importante, jusqu’à ressentir la symptomatologie de la claudication, puis à ar­ rêter temporairement l’effort afin de permettre la dispari­ tion des douleurs, avant de recommencer l’exercice. Ce dernier type d’entraînement est l’option privilégiée à ce jour, conformément aux directives émanant de la Société suisse d’angiologie (SSA). Par ailleurs, un nouveau schéma d’entraînement d’endurance de type fractionné a été éva­ lué (période de travail sous-maximal suivi d’une période de récupération active). Les résultats semblent positifs, mais cette étude pilote se base sur un nombre limité de patients et les auteurs préconisent une confirmation à plus large échelle.23 directives de la société suisse d’angiologie La SSA a émis un document décrivant les critères néces­ saires pour obtenir la reconnaissance d’un centre de ré­ éducation vasculaire pour les patients souffrant d’une AOMI symptomatique, sur la base de recommandations et de di­ rectives internationales. Les détails de ce document sont accessibles sur le site : www.angioweb.ch/fr/regelungen.php Les points fondamentaux de ces directives sont les sui­ vants : • la direction médicale du programme est sous la respon­ sabilité d’un médecin spécialiste en angiologie ou en car­ diologie (dans ce cas la coparticipation d’un angiologue est obligatoire), au bénéfice d’une formation spécifique en ré­ habilitation cardiovasculaire. Les séances d’exercices sont menées par des thérapeutes (physiothérapeutes ou maî­tres de sport) spécifiquement formés. • Les médecins et les thérapeutes doivent avoir suivi des cours de formation et/ou de mise à jour des mesures de réanimation (qui comprennent l’utilisation du défibrillateur). • Les patients suivent un examen médical d’entrée, une consultation d’angiologie (tests de marche, examens vas­ culaires) avec profil complet des facteurs de risque cardio­ vasculaire au début et à la fin du programme. • Le programme d’entraînement doit comprendre : – une partie théorique d’éducation du patient relative à sa maladie, au contrôle des facteurs de risque cardiovas­ culaire, à l’arrêt du tabagisme et au bienfait d’une alimen­ tation équilibrée. – Une partie pratique sous forme de trois séances hebdo­ madaires d’exercices physiques, dont au moins deux tiers sous forme d’entraînement à la marche pour un total de 36 séances pendant douze semaines. Le programme de réadaptation vasculaire remplissant les critères cités est actuellement pris en charge par l’assu­ rance-maladie de base. conclusion L’AOMI est une pathologie en pleine expansion. Elle se caractérise par une réduction de la qualité de vie et une augmentation significative du risque cardiovasculaire. L’exer­ 304 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 8 février 2012 06_09_36254.indd 3 Echauffement (10 min) Séance de marche (35 min) Marche avec ou sans bâtons de Nordic Walking Séance de renforcement (35 min) Exercices de renforcement des membres inférieurs, exercices de coordination et d’équilibre, jeux avec composante de marche Retour au calme (5 min) Etirements des membres inférieurs, automassage des membres inférieurs Figure 2. Séance type du programme de réadaptation vasculaire du Service d’angiologie du CHUV cice physique est associé à une réduction de la morbidité et de la mortalité cardiovasculaires. Un traitement de réédu­ cation vasculaire par l’exercice physique devrait toujours être préconisé chez les patients avec une indication au traitement conservateur, également chez ceux ayant déjà bénéficié d’un geste de revascularisation, afin de préserver les bénéfices obtenus. Des études montrent même qu’une revascularisation, associée à un programme d’exercices phy­ si­ques, pourrait être plus efficace qu’une revascularisation seule concernant les bienfaits sur la distance de marche. En ce qui concerne le modèle d’organisation, le pro­ gramme supervisé d’entraînement à la marche a montré son efficacité et les bénéfices persistent même après la fin du programme. Dans ce contexte, depuis octobre 2011, le Service d’angiologie du CHUV a mis en place ce type de programme de réadaptation vasculaire, actuellement pris en charge par l’assurance-maladie de base (figure 2). Implications pratiques > L’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI) peut être associée à une atteinte coronarienne, voire cérébrovasculaire, et nécessite une prise en charge stricte > Le traitement d’une AOMI doit comprendre de l’exercice physique, principalement l’entraînement à la marche > Les programmes supervisés de réadaptation vasculaire avec entraînement à la marche ont démontré leur efficacité > Le Service d’angiologie du CHUV offre un tel programme supervisé de réadaptation vasculaire Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 8 février 2012 0 02.02.12 08:43 Bibliographie 1 Selvin E, Hirsch AT. Contemporary risk factor con­ trol and walking dysfunction in individuals with peripheral arterial disease : NHANES 1999-2004. Atherosclerosis 2008;201:425-33. 2* Diehm C, Allenberg JR, Pittrow D, et al. Mortality and vascular morbidity in older adults with asymptomatic versus symptomatic peripheral artery disease. Circulation 2009;120:2053-61. 3 Watson L, Ellis B, Leng GC. 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