À l’affiche Deux aînées participent aux programmes de jour et de long terme à l’Inuvik Regional Hospital dans les Territoires du Nord-Ouest. © L’Assemblée des Premières nations, Bryan Hendry Soigner les patients autochtones : offrir des services culturellement appropriés Par Nadine Caron, MD, MPH, FRCSC Une fois, j’ai demandé à une aînée ojibwa ce que sa famille attendait, selon elle, des professionnels de la santé qui la traitent. « Eh bien, de fournir les soins que les médecins pensent nécessaires », a-t-elle simplement répondu. J’ai insisté : « Qu’attendraient-ils de plus? » « Du respect qu’on leur doit en tant que personnes », a-t-elle vite rétorqué. Nous sommes restées silencieuses pendant un moment, puis elle a dit doucement : « Non, non, ils ne s’y attendraient pas, mais ils le voudraient. » Perspectives du Collège royal, volume 3, numéro 2, automne 2006 19 À l’affiche « On a besoin de peu de paroles pour dire la vérité. » — Chef Joseph (Nez Percé) La compétence sur le plan culturel est devenue un sujet d’intérêt dans le domaine de la santé en Amérique du Nord et dans les ouvrages d’enseignement médical — un thème dont l’importance se compare à celle des disparités en matière de soins de santé, de la qualité des soins et de l’accès rapide aux soins. Les soins culturellement appropriés impliquent des éléments touchant à la relation patient-médecin qui devraient être enseignés à tous les médecins exerçant au Canada, qui devraient à leur tour les refléter dans la pratique. Le respect, la confiance et la compréhension sont les premiers résultats d’une relation professionnelle culturellement appropriée; le résultat est simple, mais il a un profond impact : de meilleurs services de santé. Nos croyances, nos traditions et nos valeurs peuvent avoir un important impact non seulement sur nos perceptions de la santé et de la maladie, mais également sur nos attentes et nos choix de soins de santé. Un médecin dont les soins sont culturellement appropriés est un médecin respectueux de la culture lorsqu’il discute avec ses patients et leur fournit avis et traitement médicaux. Il communique avec eux de manière efficace pour leur permettre de comprendre les choix de traitement qui s’offrent à eux. Fort de cette compréhension, le patient joue un rôle actif dans les soins médicaux qu’il reçoit. La communication culturellement appropriée donne aux patients le sentiment que nous comprenons leurs préoccupations, qu’une relation de confiance s’est établie et que, surtout, nous les avons traités avec respect. Nous devons, en tant que médecins, apporter chaque jour de nombreuses modifications à notre façon de communiquer avec nos patients pour leur fournir des soins qui tiennent compte de leurs diverses particularités culturelles reflétées par la mosaïque multiculturelle de notre pays. L’étendue de la diversité au Canada Le Canada est l’un des pays qui renferme la plus grande diversité culturelle au monde : 18 p. 100 de nos concitoyens sont nés à l’étranger — un taux qui augmente, selon le recensement de Statistique Canada de 2001. Un nombre croissant de Canadiens sont originaires de pays non européens, ce qui accroît la diversité des cultures qui composent le paysage 20 culturel canadien. Dans l’ensemble, 13 p. 100 de la population canadienne se compose de minorités visibles, avec certaines villes, comme Toronto et Vancouver, dont plus de 35 p. 100 de la population appartient à cette catégorie. Plus de 3 p. 100 de la population canadienne est autochtone et les membres de ce groupe diversifié ont trop souvent été victimes de stéréotypes qui ne tiennent pas compte de leur diversité culturelle. Nul besoin d’examiner les cultures issues de l’immigration pour voir le défi qui consiste à nous comprendre les uns les autres. Dans notre pays, les Métis, les Inuits et les différents groupes des Premières nations sont des peuples dont l’histoire, les défis, les besoins et les systèmes de croyances sont différents les uns des autres, ce qui fait que les soins culturellement appropriés demeurent un objectif inaccessible pour de nombreux médecins. Nous sommes plus éloquents lorsque nous ne disons mot La communication non verbale est un élément clé des soins culturellement appropriés, bien que nous en tenions peu compte lorsque nous nous efforçons de communiquer concrètement avec nos patients. C’est la forme de communication la plus difficile puisqu’il y a diverses attentes, en fonction des cultures, concernant les éléments non verbaux, tels que le contact visuel, l’espace personnel, le langage corporel, la perception du temps, l’égalité des sexes, le volume de la voix, le ton et le débit. Prenons un exemple simple : dans certaines cultures autochtones, une personne ne regarde pas une autre dans les yeux. Les yeux sont les « fenêtres de l’âme » et le contact visuel est considéré comme irrespectueux; éviter cette violation témoigne évidemment de respect, sans qu’il soit nécessaire de parler. Dans la culture nord-américaine, toutefois, le contact visuel témoigne de l’intérêt, de la sollicitude et de l’honnêteté. Alors que l’absence de contact visuel peut être considérée chez les patients autochtones comme le signe du plus grand respect envers leur médecin, il peut être interprété par ce dernier comme venant d’une personne indigne de confiance ou indifférente. Soigner les patients autochtones : offrir des services culturellement appropriés À l’affiche Le chef national de l’Assemblée des Premières nations, Phil Fontaine, et le ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, Danny Williams, à la réunion du Council of the Federation à Cornerbrook au mois de juillet. © L’Assemblée des Premières nations, Bryan Hendry Le ton doux et la voix calme d’un patient autochtone sont aussi des signes de respect, plutôt que des signes de manque d’intérêt ou de confiance. De même, un changement de ton et de volume d’un médecin sensible et averti peut être interprété comme le reflet d’un respect envers le patient. Il arrive souvent qu’un patient autochtone parle délibérément doucement et réponde à une question du médecin par une histoire qui peut sembler tortueuse, mais qui renferme non seulement la réponse, mais aussi l’émotion ou le message qu’il serait autrement difficile d’exprimer. Nous les médecins, avec nos téléavertisseurs accrochés à la hanche et nos emplois du temps de cabinet chargés, apprécions la brièveté et l’efficacité, mais nous devrions être conscients de cet écart entre les styles de communication et nous adapter en conséquence — sinon, notre nom pourrait être à jamais associé à l’image du « docteur indifférent ». En reconnaissant de telles différences et en adaptant notre style de communication non verbale en conséquence, nous pouvons créer un espace de communication confortable pour nos patients autochtones et établir avec eux une relation médecinpatient plus fructueuse et plus respectueuse. Communication verbale « On a besoin de peu de paroles pour dire la vérité. » — Chef Joseph (Nez Percé) Malgré l’importance de la communication non verbale, nous avons tendance à penser exclusivement aux échanges oraux lorsque nous évaluons nos aptitudes à la communication. Dans les facultés de médecine, on nous apprend quoi demander sur les antécédents médicaux d’un patient. Les expressions « l’histoire de la maladie actuelle », les « antécédents médicaux » et « l’examen des symptômes » deviennent rapidement très courantes, même chez les tout nouveaux étudiants en médecine. Cependant, ce qu’on n’enseigne pas clairement (ou pas du tout) c’est comment obtenir ces renseignements cliniques vitaux d’un patient qui ne comprend pas nos questions ou qui n’en saisit pas l’objet à cause des barrières culturelles ou linguistiques. Soigner le patient, pas la maladie La communication traditionnelle chez les Autochtones est mesurée et requiert une réciprocité quant à l’échange des renseignements. Le chef national de l’Assemblée des Premières nations, Phil Fontaine, explique qu’il est souvent utile aux médecins de poser des questions qui leur permettront d’en savoir plus sur tout ce qui concerne le patient, plutôt que sur la maladie seulement. Les médecins pourraient, eux aussi, en « dire un peu plus sur eux-mêmes » afin que l’échange de renseignements soit plus équilibré. La plus grande partie de la médecine traditionnelle des Premières nations repose sur la philosophie de l’équilibre, souvent symbolisée par la roue médicinale. Le véritable bien-être comprend non seulement les éléments physiques, mais également les éléments mentaux, émotionnels et spirituels. Toutefois, les médecins ont tendance à n’interroger les patients que sur les « éléments physiques » — leur principal objet de préoccupation. Plus la maladie est grave, plus nous négligeons de considérer la personne en entier. Reconnaître ces différences fondamentales dans la philosophie du bien-être est un bon point de départ pour les médecins, afin qu’ils acquièrent la compréhension si nécessaire pour soigner les patients des Premières nations. Par ailleurs, l’égalité de tous les membres du groupe est implicite dans de nombreuses cultures des Premières nations; le statut n’est pas déterminé par les titres, le niveau d’études ou le revenu, ce qui est en totale contradiction avec la culture nord-américaine au sein de laquelle de tels éléments impliquent puissance et prestige. Les traditions, telles que les « cercles de la parole » qui donnent à tout individu qui tient le bâton, la plume ou la pierre d’orateur le temps et l’espace pour parler et se faire entendre sans interruption, sont fondées sur cette égalité convenue. Alors qu’il est important pour les patients et les familles d’écouter l’opinion de leur médecin, il est tout aussi important pour eux de faire part de la leur. Perspectives du Collège royal, volume 3, numéro 2, automne 2006 21 À l’affiche Le mot juste Une condition fondamentale de la communication verbale réside dans l’équivalence des connaissances de la langue utilisée. Par ailleurs, le manque d’interprètes médicaux professionnels constitue une barrière à la communication efficace. Bien que le recours au personnel hospitalier ou aux parents du patient pour traduire l’information médicale et les avis professionnels puisse sembler une solution tentante, le fait de compter sur quelqu’un qui ne possède pas l’expertise appropriée pour traduire les diagnostics et autres détails concernant les consultations entre médecin et patient peut, en fait, entraver la communication et compromettre la confidentialité des renseignements concernant le patient, qui est à la base de nos normes professionnelles. Cela dit, avec 50 langues autochtones au Canada, veiller à ce que l’avis médical soit compris demeure toujours un grand défi. Combler les lacunes de la communication interculturelle peut s’avérer particulièrement difficile, notamment quand les barrières linguistiques entravent la transmission de messages importants. Dans un article publié dans Circumpolar Health, en 2003, sous le titre « How clients’ choices influence cancer care in northern Aboriginal communities » (Comment les choix des clients influencent le traitement du cancer dans les communautés autochtones), les auteurs s’expriment de manière très simple : « Pensez, par exemple, combien il peut être difficile de discuter avec un patient oji-cri de son cancer du pancréas quand il n’y a aucun mot dans la langue ojicri qui désigne le pancréas. » Les sujets personnels abordés dans le cadre de soins médicaux peuvent accentuer cette difficulté si ces sujets suscitent l’embarras, la peur ou s’ils sont tabous. Concilier médecine traditionnelle et médecine moderne « Mon médecin m’a dit que j’avais un cancer qui était à un stade trop avancé. Il me restait six mois à vivre, mais notre guérisseur m’a donné des plantes médicinales et il a organisé des cercles de guérison. J’ai assisté à une cérémonie dans notre hutte à sudation. Quatre ans se sont écoulés et je suis encore en vie. » Pourquoi ne croirions-nous pas à une telle histoire, alors que nous nous émerveillons en entendant des histoires semblables dans les salles de consultation de nos propres médecins? « C’était un cancer au stade IV. Certaines personnes n’auraient même pas suivi une chimiothérapie, mais nous avons entrepris un traitement et le patient y a répondu. La dernière tomodensitométrie ne montrait aucune trace de cancer! » 22 Y a-t-il une histoire qui relève du mythe et l’autre de la réalité? Le premier pas pour atténuer les divergences culturelles consiste peut-être à reconnaître qu’il n’y a pas de dichotomie entre les deux histoires. Évoquer la médecine traditionnelle comme une médecine de « remplacement » implique l’obligation de choisir entre les deux. Pourquoi ne pas considérer les médecines traditionnelle et occidentale comme des médecines complémentaires? Ce n’est pas à nous de convaincre les patients que la médecine qui a bénéficié de la confiance de leur peuple durant des siècles n’est pas celle dont ils ont besoin; d’abord nous n’avons pas de fondement pour le faire et nous n’y parviendrions vraisemblablement pas. De plus, si nous arrivions à le faire, nous saperions une croyance fondamentale de leur culture. Rejeter la confiance que le patient a en ses traditions revient à risquer de susciter sa colère, sa méfiance et son hostilité. Ce que nous pouvons faire, c’est expliquer clairement et de manière efficace ce que nous recommandons en le justifiant. Nous pouvons étayer nos recommandations à l’aide d’études et de statistiques appuyées par la médecine occidentale. Nos connaissances et notre expertise, communiquées d’une manière appropriée culturellement, seront évidentes et aideront à créer la confiance et la compréhension que nous recherchons chez tous nos patients. Nous pourrons alors aider les patients à concilier leurs choix traditionnels et les traitements que nous leur recommandons, en nous renseignant sur les traitements complémentaires qu’ils comptent entreprendre et en maintenant une bonne communication. Il est déjà assez difficile pour les patients de choisir un traitement et c’est d’autant plus difficile quand ce choix est en contradiction avec les croyances culturelles et les traditions. Marcher un mille dans leurs mocassins Nous devons connaître l’histoire pour comprendre le présent. Quand il s’agit de membres des Premières nations et de leurs familles, l’angoisse que nous Soigner les patients autochtones : offrir des services culturellement appropriés À l’affiche © 2006 123rf.com compréhension qui permet d’administrer des soins culturellement appropriés. Les chefs autochtones accueilleraient avec enthousiasme notre volonté d’apprendre l’histoire de leur peuple, qui nous aiderait à mieux comprendre les problèmes de santé des patients autochtones et à surmonter les difficultés de communication avec nos patients autochtones. percevons dans nos cabinets pourrait venir d’autre chose que de la maladie. La tristesse, la colère ou l’indifférence du patient des Premières nations reflètent les luttes menées par les générations qui l’ont précédé et peuvent être liées à une question qui n’est pas encore réglée. Réfléchissons à l’histoire ternie de générations d’Autochtones canadiens racontée dans notre pays. Lorsqu’on a interrogé le chef national, Phil Fontaine, sur la façon de rapprocher les patients des Premières nations et les professionnels de la santé qui les traitent, il s’est empressé de recommander de « connaître notre histoire — notre vraie histoire, pas celle que l’on enseigne à l’école ». Puis, il a vite mentionné les pensionnats, les agents des sauvages et les générations perdues, tout en soulignant que la sensibilité à cette partie de l’histoire et sa compréhension ne devraient pas être facultatives. Cette recommandation faite aux médecins pour les inciter à connaître les effets de la colonisation sur la santé et le bien-être des peuples autochtones est clairement exprimée dans la déclaration de principe de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC), intitulée : « Guide à l’intention des professionnels de la santé travaillant chez les peuples autochtones : Contexte socioculturel des peuples autochtones du Canada. » Comment pouvons-nous améliorer les soins culturellement appropriés? D’abord, il faut connaître les cultures qui prédominent dans les régions où nous exerçons et en apprendre davantage sur leur histoire, leurs valeurs, leurs croyances et leurs opinions concernant les questions de santé. Il faut ensuite adapter en conséquence les programmes d’études des facultés de médecine, les programmes de résidence et de formation continue. Par ailleurs, les commentaires des aînés, des chefs et des patients peuvent être essentiels pour acquérir la En outre, il faut travailler à définir les aptitudes, les attitudes et les connaissances culturellement appropriées qu’il faudrait acquérir pour soigner les patients autochtones. Le fait de naître au sein d’une culture ou d’y être élevé ne signifie pas forcément qu’on la comprend ou qu’on adhère à ses valeurs et à ses croyances. La personnalité de chaque patient, ses expériences et les influences externes auxquelles il est exposé peuvent, autant que la culture à laquelle il appartient, déterminer ce qui suscite son intérêt et son respect. Il est impératif pour nous, médecins, d’éviter la généralisation et les suppositions concernant nos patients. Il est important de connaître la culture d’origine, mais le fait d’observer et de poser des questions peut dissiper les doutes. Même si la compréhension des diverses cultures de notre pays peut paraître une tâche très ardue pour les médecins, le fait de faire de petits efforts dans ce sens, en recourant à la communication et à l’apprentissage, leur permettra de réduire les écarts culturels à un niveau qui soit acceptable dans le milieu médical. La compétence sur le plan culturel est un outil nécessaire à la gestion des situations médicales aujourd’hui. Rappelez-vous la réponse de l’aînée ojibwa, lorsque je lui ai demandé ce que sa famille attendait des professionnels de la santé : « Du respect qu’on leur doit en tant que personnes. » Nous pouvons le faire. Nous devons le faire. Nadine Caron est chirurgienne généraliste et endocrinologue à Prince George, en Colombie-Britannique. Elle s’occupe de promouvoir la santé des Autochtones et est la première femme autochtone à avoir obtenu un diplôme de médecine de l’Université de la Colombie-Britannique. Elle a également obtenu une maîtrise en santé publique de l’Université Harvard avant de s’inscrire au programme de médecine du Nord de l’Université de la Colombie-Britannique. Elle adresse ses remerciements au chef national, Phil Fontaine, pour avoir bien voulu partager sa sagesse. Perspectives du Collège royal, volume 3, numéro 2, automne 2006 23