Troubles dépressifs dans les pathologies neurologiques - 2e Partie DOSSIER 2 Dépression et accidents vasculaires cérébraux Une prise en charge balbutiante n La dépression post-AVC est une séquelle grave des accidents vasculaires cérébraux, qui n’a fait l’objet d’études systématiques que depuis peu. Son étude reste difficile et son traitement encore balbutiant. Néanmoins, des études récentes font espérer une meilleure prise en charge dans un avenir proche. Quelle Fréquence ? quelles caractéristiques ? • Au cours des 15 dernières années, des études à large échelle ont tenté de préciser la prévalence de la dépression post-AVC à partir d’étude menées lors de l’hospitalisation initiale, au cours de séjours en rééducation, mais également après retour à domicile. Si les chiffres avancés varient de 15 à 65 %, la synthèse de ces études amène à considérer qu’environ un tiers des patients ayant présenté un AVC développe une dépression dans l’année qui suit (1) : dans la revue systématique à partir de 51 études publiées entre 1977 et 2002, le taux estimé de dépression après un AVC était de 33 % (IC 95 % : 29-36) (2). Il faut noter que la plupart de ces études ont exclu les patients aphasiques ou porteurs de troubles cognitifs préalables, compte tenu des difficultés diagnostiques évidentes. • La littérature n’est pas homogène en ce qui concerne la période la plus à risque de surve*Service de Neurologie et Neurovasculaire Groupe Hospitalier Paris Saint Joseph 56 Mathieu Zuber* nue de la dépression. Un certain nombre d’études longitudinales a suggéré que l’incidence était plus importante dans le 1er mois que pour le reste de la 1re année (3). Cette survenue précoce de la dépression pourrait, en retardant la rééducation, avoir d’importantes répercussions sur les séquelles à distance de l’AVC. • Le risque de survenue de la dépression, une fois retourné à la vie active, a été souligné par d’autres travaux (3) et correspond à une réalité maintes fois vérifiée par les praticiens en charge du suivi de patients AVC. • Quelques études se sont attachées à quantifier la gravité de la dépression : en utilisant les critères du DSM-IV de dépression majeure et mineure, leur fréquence apparaît comme à peu près équivalente, soit environ de 15 % pour chacune des deux présentations (1). • Par ailleurs, il existe des relations étroites entre la présence d’une symptomatologie anxieuse et la survenue d’une dépression au décours d’un AVC (4). • Enfin, la dépression post-AVC entretient aussi des liens étroits et encore mal compris avec la fatigue post-AVC. Le diagnostic Les outils diagnostiques Le manque de précision des chiffres de dépression au décours d’un AVC repose au moins en partie sur la variété des outils diagnostiques. Ont en effet été utilisés, selon les études : • des critères standards (DSM-III puis DSM-IV) à partir d’entretiens psychiatriques ; • des échelles psychiatriques, développées en général pour d’autres affections ; • des autoquestionnaires de dépression. De toutes les échelles recensées (près d’une vingtaine pour la dépression post-AVC), celles de Montgomery Asberg (MADRS) et de Hamilton (HDRS) ont été de loin les plus utilisées, suivies de la Beck Depression Inventory (BDI) (2). Les comparaisons systématiques entre ces échelles ont montré qu’elles représentaient globaNeurologies • Février 2012 • vol. 15 • numéro 145 lement de bons outils de repérage (sensibilité : 80 à 90 %), mais porteuses d’une spécificité médiocre (de l’ordre de 60 % seulement) (5). Compte tenu de la fragilité des patients au décours d’un AVC, il est généralement conseillé de se concentrer sur des échelles pouvant être réalisées en un temps court au lit du patient, telles que la BDI ou la HDRS. La symptomatologie de la dépression post-AVC Elle est dominée par l’humeur dépressive, suivie de près par l’anhédonie. La perte d’énergie, les difficultés de concentration et la lenteur psychomotrice sont également fréquentes, ainsi que les signes organiques que représentent la perte d’appétit et l’insomnie. A l’inverse, les sentiments de culpabilité et idées suicidaires sont généralement au second plan (2). Les troubles du langage consécutifs à l’AVC représentent bien entendu un point particulier de difficulté du diagnostic. Peu d’études se sont intéressées au sujet. Il a été montré que les résultats d’échelles visuelles analogiques telles que la Visual Analogue Mood Scale étaient mal corrélés à ceux des échelles classiques, et que le jugement de l’entourage sur l’éventualité d’une dépression du patient était, lui aussi, mal corrélé à des critères objectifs dans une forte proportion de cas (6). Les facteurs favorisants Facteurs Liés à la lésion cérébrale L’une des questions les plus controversées concerne l’éventualité d’un lien entre l’hémisphère Neurologies • Février 2012 • vol. 15 • numéro 145 touché et le risque de dépression post-AVC. Certaines études ont suggéré un lien particulier entre l’atteinte des régions frontales et/ ou des noyaux gris centraux dans l’hémisphère majeur et l’apparition d’une dépression majeure. Quelques études (moins nombreuses) ont établi un tel lien avec une lésion droite. Une méta-analyse, publiée en 2000 dans le Lancet (7), n’a pas montré de localisation préférentielle de l’AVC. Il est souhaitable que les études à venir sur le sujet ne relèvent pas exclusivement des données topographiques, car leurs résultats pourraient être modifiés par des paramètres temporels : les mécanismes qui sous-tendent la dépression pourraient différer totalement entre la phase initiale et après quelques mois. Par exemple, certains ont suggéré que la dépression post-AVC précoce pourrait découler d’une atteinte du métabolisme glutamatergique, en cas d’AVC touchant les régions frontales (8). paré l’impact du sexe sur la dépression post-AVC ont suggéré une fréquence accrue chez la femme. L’âge semble également jouer un rôle, avec un risque plus important avant 70 ans. D’autres facteurs tels qu’un niveau d’éducation faible ou un isolement social pourraient aussi intervenir. Les patients aux antécédents psychiatriques semblent plus exposés que les autres (2). facteurs Liés à l’atteinte neurologique A côté de cette “théorie réactionnelle”, une “théorie lésionnelle” (ou encore moléculaire) de la dépression post-AVC a vu le jour, malgré l’absence de lien clair entre l’atteinte d’une région cérébrale précise et la survenue de la dépression (cf supra). Selon cette théorie, une lésion hémisphérique aiguë telle qu’un AVC pourrait perturber les circuits monoaminergiques ascendants, et se rendre ainsi responsable d’un dysfonctionnement cortico-limbique favorisant l’apparition d’une symptomatologie dépressive (10). Les dépressions d’apparition tardive pourraient aussi trouver leur place dans le cadre de cette théorie lésionnelle, en raison des réorganisations fonctionnelles qui surviennent à la phase cicatricielle. Comme prévu, la survenue d’une dépression est favorisée par la sévérité du handicap séquellaire à l’AVC. Mis à part l’aphasie et les troubles cognitifs (dont on a vu qu’ils constituaient principalement des facteurs de non-inclusion dans les études), la dépression post-AVC a été plus particulièrement corrélée dans les études à (3) : • la gravité de la dépendance physique ; • l’existence de troubles de la marche ; • l’incontinence urinaire. facteurs Liés au patient La plupart des études qui ont com- les Hypothèses étiopathogéniques Il est classique de décrire l’installation d’un cercle vicieux au décours de l’AVC, où handicap et dépression se renforcent l’un l’autre et contribuent à accroître la dépendance (9). La dépression post-AVC est, sans aucun doute, en partie la conséquence des réactions psychologiques engendrées par la survenue d’une perturbation brutale et durable des relations d’un sujet avec son environnement. 57 DOSSIER 2e Partie - Troubles dépressifs dans les pathologies neurologiques Troubles dépressifs dans les pathologies neurologiques - 2e Partie Quel pronostic ? DOSSIER Globalement, et quelle que soit l’évolution de l’épisode dépressif lui-même, la présence d’une dépression post-AVC doit être considérée comme un facteur de mauvais pronostic au décours d’un AVC (11). En effet : • la mortalité est multipliée par 3,5 par rapport à celle de patients sans dépression ; • le délai de récupération et l’importance des séquelles sont accrus ; • la qualité de la vie est significativement réduite (avec poids accru porté par l’entourage). Il reste à déterminer si la mise en route d’un traitement précoce de la dépression pourrait influencer ce pronostic défavorable. Le traitement En 2005, Hackett et al. ont publié une revue systématique sur les essais thérapeutiques contrôlés menés pour traiter ou prévenir la dépression post-AVC (12). Les critères de jugement étaient clairement disponibles pour 7 études sur le traitement (n = 615) et 9 études de prévention (n = 479). Si les traitements ont permis de réduire certains symptômes dépressifs, il n’a pas été clairement démontré un effet de rémission sur la maladie dépressive dans les groupes traités. Les études de prévention n’ont pas apporté de résultats plus probants. Les résultats les plus encourageants ont été observés avec les inhibiteurs sélectifs de la recapture sérotoninergique, en grande partie du fait d’effets secondaires peu significatifs ou absents. En 2009, le Cochrane Stroke Group retenait 16 études de traitement de la dépression post-AVC (13), avec un bénéfice des médicaments, toutes classes thérapeutiques confondues (OR : 0,47 ; IC 95 % : 0,22-0,98), mais au prix d’une augmentation également significative des effets secondaires enregistrés (0R : 1,96 ; IC 95 % : 1,19-3,24). Les auteurs recommandent une grande prudence dans l’utilisation des traitements antidépresseurs après un AVC, par crainte notamment de crises épileptiques, de chutes et de confusion chez ces patients fragilisés (13). Postérieurement à cette revue, l’essai multicentrique français FLAME (n = 118) a montré pour la première fois une augmentation à 3 mois du score moteur (FuglMeyer Motor Score) sous fluoxétine 20 mg par jour, soit une amélioration significative du critère de jugement principal (14). En outre, le taux de patients ayant un score de Rankin inférieur à 3 donc correspondant à une autonomie pré- servée (critère de jugement très souvent utilisé dans les études thérapeutiques en neurovasculaire) s’est avéré très significativement augmenté sous fluoxétine : 26,3 % contre 8,9 % (p = 0,015). Toujours dans le groupe traité, il a été enregistré une baisse significative de patients étiquetés dépressifs (p = 0,002) et une réduction de 3 points (p = 0,032) du score de la MADRS. Si les résultats de cet essai mené selon une méthodologie rigoureuse sont confirmés, ils pourraient ouvrir la voie à de nouveaux traitements visant à agir sur la plasticité cérébrale (donc la récupération post-AVC) en parallèle n à la dépression post-AVC. Correspondance : Pr Mathieu Zuber Groupe Hospitalier Paris Saint-Joseph Service de Neurologie et Neurovasculaire 185, rue Raymond Losserand 75674 Paris Cedex 14 Tél. : 01 44 12 34 09 Fax : 01 44 12 32 95 E-mail : [email protected] Mots-clés : Accident vasculaire cérébral, Dépression, Comorbidité, Epidémiologie, Echelles diagnostiques, Anhédonie, Troubles du langage, Facteurs favorisants, Pronostic, Prévention, Traitement, Antidépresseurs, Inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine, Fluoxétine Bibliographie 1. Robinson RG. Poststroke depression: prevalence, diagnosis, treatment, and disease progression. Biol Psychiatry 2003 ; 54 : 376-87. 2. Hackett ML, Yapa C, Parag V et al. 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