TECHNIQUE CHIRURGICALE Progrès en Urologie (2001), 11, 145-148 Apport des techniques chirurgicales utilisées en transplantation hépatique pour traiter les tumeurs du rétropéritoine Rabi TIGUERT (1), Gaetano CIANCIO (1), Vincent RAVERY (2), Mark S. SOLOWAY (1) Department (1) of Urology, University of Miami School of Medicine, Miami, USA, Urologique, CHU Bichat, Paris, France (2) Clinique RESUME Nous décrivons la technique chirurgicale adoptée en transplantation hépatique et son utilisation pour traiter les tumeurs rétropéritonéales. Cette technique comporte la mobilisation primaire du foie avec un contrôle vasculaire aisé. Cette technique, utilisée chez 29 patients, est simple, facilite l'exposition des gros vaisseaux qui peuvent être contrôlés et permet une excellente exposition pour les cas difficiles. L’analyse des suites opératoires permet de souligner l’absence de complications hépatiques et rénales comme en témoignent la normalisation de la fonction rénale et des enzymes hépatiques. L’utilisation de cette technique pour la chirurgie rénale et surrénalienne, permet d’éviter la circulation extra-corporelle et la voie thoraco-phréno-abdominale limitant ainsi les complications propres à ces deux voies. Mots clés : Rein, surrénale, cancer, chirurgie. Les volumineuses tumeurs rénales avec ou sans envahissement vasculaire, les phéochromocytomes malins, les tumeurs de la surrénale et les tumeurs rétropéritonéales avec envahissement des organes de voisinage sont des cas de chirurgie urologiques difficile compte tenu de leur difficulté d’exérèse. nal. Une IRM est pratiquée lorsqu’une extension thrombotique veineuse est présente pour mieux visualiser l’étendue du thrombus et l’aspect pariétal de la VCI. Après l’instauration de l’anesthésie générale, une sonde de Swan-Ganz est mise en place pour apprécier les paramètres hémodynamiques durant le temps opératoire. Une sonde nasogastrique et une sonde vésicale de Foley ont été mises en place. Le traitement chirurgical des tumeurs rétropéritonéales est plus facile quand la voie d'abord permet une bonne exposition de la tumeur, un contrôle vasculaire satisfaisant, et la possibilité d'accéder aux organes adjacents et de les réséquer en cas de besoin. Parmi les techniques chirurgicales décrites pour aborder la région rétropéritonéale supérieure (la voie antérieure sous-costale, la lombotomie, la médiane, la paramédiane et la thoraco-phréno-laparotomie), nous avons utilisé la technique dérivée de prélèvement hépatique [2, 3, 4, 6, 7, 9, 10]. Ce choix nous a été dicté par le souhait de pouvoir bénéficier d’un abord facile et d’une bonne exposition de la région rétropéritonéale avec un contrôle sûr de la veine cave inférieure (VCI). DESCRIPTION Le patient est installé en décubitus dorsal avec les bras le long du corps. Le thorax, l'abdomen, l'aisselle gauche et l’aine sont badigeonés et exposés par des champs stériles. Une incision bi-sous costale est effectuée, agrandie du côté de la lésion. Une incision en T partant de la ligne mediane, rejoint la xyphoïde est pratiquée pour permettre une bonne exposition de la face antérieure du foie et du diaphragme (Figure 1). A l'ouverture de l'abdomen, le ligament rond du foie est sectionné entre deux ligatures et le ligament falciforme Manuscrit reçu : juin 2000, accepté : octobre 2000. Adresse pour correspondance : Dr. V. Ravery, Service d’Urologie, 46, rue Henri Huchard, 75018 Paris. e-mail : [email protected] L’évaluation préopératoire a comporté systématiquement un examen tomodensitométrique thoraco-abdomi- 145 R. Tiguert et coll., Progrès en Urologie (2001), 11, 145-148 Figure 3. Vue opératoire montrant la dissection du foie de ses attaches. est incisé afin d'exposer les ligaments coronaires et le diaphragme. A ce point, l'écarteur de Rochard (ou d’Olivier) est mis en place (Figure 2). La traction sur les chaines de l’écarteur permet l'élévation des rebords costaux et l'applatissement du diaphragme pour exposer au mieux le foie. tent d'exposer la face antérieure de la portion sous diaphragmatique et supra-hépatique de la veine cave inférieure (photo 3). Puis le petit epiploon est sectionné, exposant la petite courbure de l’estomac. Il faut être prudent car l'artère hépatique gauche peut naître de l'artère gastrique gauche. La veine cave inférieure sous-hépatique est exposée entre le confluent rénocave et le lobe caudé du foie. En général, le tour de la VCI peut se faire sans danger à cet endroit car il n’y a pas de branches veineuses lombaires. La veine surrénalienne droite qui se draine dans la VCI à sa face postéro-latérale est sectionnée entre 2 ligatures. Le lobe droit du foie est mobilisé postérieurement en incisant la réflection péritonéale entre le foie et le rein. Finalement, le reste de la VCI est libéré de ses attaches latérales et antérieures jusqu’au niveau du diaphragme. L’attention sera dirigée vers les veines diaphragmatiques qui parcourent cette région. Le foie droit peut être mobilisé sur le côté gauche en enfouissant le lobe gauche, ce qui permet une bonne exposition de la partie rétro-hépatique de la VCI. Le contrôle du thrombus est pratiqué en faisant le tour de la VCI sus-hépatique et sa mise en place sur lac vasculaire au niveau de la limite supérieure du thrombus, puis le clampage de la VCI est effectué après s’être assurer de l’absence de perturbation hémodynamique du patient. De même un contrôle et clampage de la VCI jusqu’à la limite inférieure du thrombus est assurée. La veine rénale gauche est aussi clampée. Nous ne conseillons pas cette technique pour extraire des thrombus envahissant l’oreillette droite car en l’absence de contrôle vasculaire, le risque de migration du thrombus tumoral est important. La mobilisation et la rotation du foie est effectuée selon la méthode utilisée pour faire une hépatectomie lors du prélévement hépatique [9]. Les ligaments triangulaires droit et gauche sont sectionnés et permet- Une anticoagulation classique par héparine est instaurée en post-opératoire jusquà la sortie de l’hôpital. Un bilan sanguin standard et un bilan hépatique sont pratiqués en salle de réveil et avant la sortie. Figure 1. Voie d’abord. Tracé de l’incision cutanée. Figure 2. Vue opératoire après mise en place de l’écarteur de Rochard. 146 R. Tiguert et coll., Progrès en Urologie (2001), 11, 145-148 stabiliser l’état cardi aque sans êt re exposé aux risques rencontrés lors de la sternotomie avec la CEC. RESULTATS Cette technique d’exposition a été utilisée chez 29 patients (18 hommes et 11 femmes) d’un âge moyen de 59.4 ans (extrêmes 18-84 ans). Parmi ces 29 patients, 2 avaient des adénopathies rétropéritonéales nécessitant une exérèse, 16 avaient un cancer du rein avec envahissement de la VCI (sont opérés avec clampage de la VCI au dessus et au dessous du thrombus et de la veine rénale gauche), 10 avaient un volumineux cancer rénal droit, et un avait une tumeur de la surrénalienne droite. Deux patients sont décédés en post-opératoire: un patient était en hémodialyse depuis 5 ans et est décédé à la suite d’une embolie pulmonaire et l'autre patient avait de lourds antécédents cardiaques. Aucun des patients n'a eu d’insuffisance hépatique post-opératoire. CONCLUSION L’utilisation de la voie de transplantation hépatique en chirurgie rétropéritonéale a plusieurs avantages: Elle offre une sécurité identique à la thoracophrénolaparotomie avec une morbidité moindre, elle permet une bonne exposition du champ opératoire et permet l’exérèse de volumineuses tumeurs rétropéritonéales avec un contrôle vasculaire satisfaisant. En présence de tumeurs rénales avec envahissement vasculaire, la chirurgie est rendue plus sûre avec un bon contrôle de la VCI et de la veine rénale gauche et évitant ainsi les complications propres à la CEC. DISCUSSION REFERENCES La voie thoraco-phréno-abdominale, qui a été décrite il y a plus d'un siècle est, actuellement la plus utilisée pour l’exérèse des volumineuses tumeurs du rein avec ou sans envahissement vasculaire [4]. Malgré sa popularité la thoraco-phréno-laparotomie n’est pas dénuée d’inconvénients. Elle nécessite une résection de côte, l’ouverture de la cavité pleurale avec là de fortes douleurs post-opératoires et de complications pulmonaires [2, 4]. La voie sous costale occasionne des douleurs et des complications pulmonaires moindre que la médiane. L’agrandissement de la voie sous-costale telle qu’elle a été décrite précédemment est utilisée en transplantation hépatique et pour certains cas urologiques [3]. Les transplantés hépatiques tolèrent bien l’incision bi-sous costale. Malheureusement il n’y a aucune étude prospective permettant de comparer la bi-sous costale et la sous costale. L’incision bi-sous costale a plusieurs avantages: l’absence de résection de côte et d’ouverture pleurale et une bonne exposition du haut abdomen. 1. BELIS J.A., LEVINSON M.E., PAE Jr., W.E. Complete radical nephrectomy and vena caval thrombectomy during circulating arrest. J. Urol., 2000, 163, 434-436. 2. BRAUD F., SOULIÉ M., SOULA P., TOLLON C., PONTONNIER F., PLANTE P. L’adénocarcinome rénal avec thrombus cave rétrohépatique: place de la circulation extra-corporelle sur une serie de 10 cas. Prog. Urol., 1999, 9, 642-648. 3. GARCIA-VALDECASAS J.C., ALMENARA R., CABER C., DE LACY A.M., SUST M., TAURÀ P. et al. Subcostal incision versus midline laparotomy in gallstone surgery: a perspective and randomized trial. Brit. J. Surg., 1988, 75, 473-47 4. CHUTE R., SOUTTER L., KERR W.S. Jr. The value of the thoracoabdominal incision in the removal of kidney tumors. New Engl. J. Med., 1949, 241, 951-956. 5. COULANGE C., RAMBEAUD J.J. Cancer du rein de l’adulte: comment traiter un thrombus cave. Prog. Urol., 1997, 7, 864-873. 6. DUFOUR B., CHOQUENET Ch. La voie d’abord antérieure transpérit onéale sous costale en urologie. J. Urol. (Paris), 1981, 118: 363-368. 7. GIBERTI C., SCHENONE M. Voie d’abord antéro-latérale transabdominale de Giuliani avec séparation musculaire et préservation nerveuse pour abord des tumeurs du rein. Prog. Urol., 1999, 9, 562566. Nous avons utilisé cette technique chez 16 patients avec envahissement vasculaire dont 10 avaient un envahissement de la VCI rétro-hépatique. En aucun cas nous n’avons été amené à pratiquer une thoracotomie pour l’ablation du thrombus tumoral. Pour les tumeurs rénales avec envahissement de la VCI rétro-hépatique, la sternotomie avec CEC doit être évitée car elle n’est pas dénuée de complications. Les complications rencontrées lors de la CEC sont variables: décompensation de coronaropathie, insuffisance respiratoire, embolie pulmonaire, insuffisance rénale aigue, CIVD, hépatite aigue [1, 2, 5, 8]. 8. LEBRET T., BOHIN D., RICHARD F., BOTTO H. Tumeur rénale avec thrombus s’étendant à la totalité de la lumière de la veine cave inférieure: indication chirurgicales, technique et résultats. Prog. Urol., 1998, 8, 352-357. 9. MARSH C.L., LANGE P.H. Application of liver transplant and organ procurement techniques to difficult upper abdominal urological cases. J. Urol., 1984, 151, 1252-1256. 10. THOMALLA J.V., FRIEND P.J. Modified cruciate incision for transabdominal radical nephrectomy. J. Urol., 1991, 145, 1245-1247. La technique décrite ci-dessus est d’utilisation courante au cours de la transplantation hépatique, mais nous l’avons adopté pour les tumeurs rétropéritonéales jugées difficiles. La collatéralité vasculaire en cas d’envahissement de la VCI en dessous des veines hépatiques permet le retour vei neux nécessaire pour Commentaire de Eric L echevallier, Ser vice d’Urologie, Hôpital Salvator, Marseille. Ce travail souligne le challenge que peuvent poser à l’urologue les thrombi caves. L’extension cave (T3 b-c) concerne 4 à 10% 147 R. Tiguert et coll., Progrès en Urologie (2001), 11, 145-148 des tumeurs du rein. Seule la chirurgie peut prétendre à un taux de survie notable à ce stade. La néphrectomie avec thrombectomie cave est indiquée en l’absence d’adénopathie métastatique (N-) ou de métastase à distance (M-). Dans la plus récente série publiée, la survie à 5 ans de ces stades opérés est de 34% pour les M- et 39% pour les N-. La survie à 2 ans des M+ opérés est de 26% [7]. Cette survie spécifique est dans la plupart des séries actuelles indépendante du niveau distal du thrombus veineux. Par contre, la mortalité péri-opératoire des thrombus caves susdiaphragmatiques est supérieure à celle des thrombi moins extensifs. Par ailleurs, en cas d’exérèse incomplète, et notamment de marges caves positives, la survie spécifique est faible, 3/3 décès à 36 mois parmi les 59 cas M- de Staehler [7]–. L’immunothérapie adjuvante est inefficace [5]. L’ensemble de ces données montre que la chirurgie des thrombus caves des cancers du rein doit être complète et chirurgicalement sûre [2]. hépatique habitué à la transplantation hépatique est recommandée en cas de thrombus cave rétro-hépatique et sus-hépatique. 1. BELIS J.A., LEVINSON M.E., PAE W.E. Complete radical nephrectomy and vena caval thrombectomy during circulatory arrest. J. Urol., 2000, 163, 434-436. 2. BRAUD F., SOULIE M., SOULA P., TOLLON C., PONTONNIER F., PLANTE P. L’adénocarcinome male avec thrombus cave rétrohépatique : place de la circulation extra-corporelle sur une série de 10 cas. Prog. Urol., 1999, 9, 642-648. 3. FUJIOKA T., SUGIMURA J., HASEGAWA M., TANJI S., SASAKI R., KOMODA K. Combined total replacement of the suprarenal inferior vena cava with PTFE tube graft and hepatic vein reconstruction for renal cell carcinoma. J. Urol., 2000, 163, 18611862. 4. LEBRET T., BOHIN D., RICHARD F., BOTTO H. Tumeur rénale avec thrombus s’étendant à la totalité de la lumière de la veine cave inférieure : indications chirurgicales, techniques et résultats. Prog. Urol., 1998, 8, 352-357. La technique de thrombectomie doit être planifiée en pré-opératoire. C’est l’extrémité distale du thrombus qui conditionne la tactique opératoire. Elle doit être évaluée par une IRM de profil suivie pour les thrombi distaux d’une échographie transoesophagienne et d’une échographie cardiaque [4, 6]. La cavographie garde son intérêt pour apprécier le réseau veineux collatéral. L’envahissement pariétal est difficilement prédictivle [2]. 5. MOTZER R.J., RUSSO P. Systemic therapy for renal cell carcinoma. J. Urol., 2000, 163, 408-417. 6. SIGMAN D.B., HASNIN J.U., DELPIZZO J.J., SKLAR G.N. Real time transesophageal echocardiography for intrao perative surveillance of patients with renal cell carcinoma and vena caval extension undergoing radical nephrectomy. J. Urol., 1999, 161, 36-38. Les thrombi à moins de 5 cm de la confluence réno-cave peuvent être abordés par voie abdominale et extraits par clampage cav e sous-hépatique latéral ou total. 7. STAEHLER G., BRKOVIC D. The role of radical surgery for renal cell carcinoma with extension into the vena cava. J. Urol., 2000, 163, 1671-1675. Les thrombi à plus de 5 cm de la confluence réno-cave nécessite la collaboration d’un chirurgie hépatique pour les thrombi rétro-hépatiques et d’un chirurgien cardiaque en bloc cardiologique pour les thrombi sus-hépatiques [1]. ____________________ SUMMARY Role of surgical techniques used in liver transplantation to treat retroperitoneal tumours La voie d’abord des thrombi rétro-hépatiques n’est qu’un des problèmes posés par ce type de thrombus. Si la mobilisation hépatique complète est en général aisée en cas de thrombus cave d’origine rénale, la dissection vave rétro-hépatique peut être difficile (veines collatérales, veines hépatiques accessoires, envahissement cave). La thrombectomie peut nécessiter un clampage cave prolongé, un clampage porte et hépatique, un by-pass veineux fémoro-axillaire si le clampage porte est supérieur à 30 mn). L’extension locale du thrombus peut nécessiter une résection cave (caillot adhérent, veine cave dilatée) avec remplacement cave prothétique (defect après cavectomie supérieur à la moitié de la circonférence, parois fines, pas de réseau collatéral), une réimplantation des veines sus-hépatiques, une hépatectomie [2, 3, 4, 7]. En outre, ces temps opératoires nécessitent des protocoles anesthésiques spécifiques à la chirurgie hépatique. The authors describe the surgical te chnique used in liver transplantation and its application to treat retroperitoneal tumours. This technique comprises primary mobilization of the liver with easy vasc ular c ontrol. This technique , use d in 29 patients, is simple, facilitates exposure of great vessels which can be controlled and allows exce llent exposure in dif ficult cases. Analysis of the postoperativ e course emphasized the absence of hepatic and renal c omplications, as reflected by normal re nal function and liv er enzymes. The use of this te chnique for renal and adrenal surgery avoids the need for extracorporeal circulation and a thoracophrenoabdominal approac h, thereby limiting the specific complic ations related to these two procedures. Key-Words: Liver transplantation, organ harvesting, renal can cer, surgical techniques. A notre sens, pour ces raisons la collaboration d’un chirurgien ____________________ 148