335_340_Baudier.fm Page 335 Mardi, 28. août 2007 10:38 10 Éducation thérapeutique du patient et disease management : pour une 3e voie « à la française » ? Patient education and disease management: a potential third avenue, “French-style”? Il y a un peu plus de dix ans, nous étions quelques-uns à penser que le développement de l’Éducation thérapeutique du patient (ETP) était un enjeu majeur pour améliorer l’offre de santé dans notre pays et la qualité de la prise en charge des patients atteints de pathologies chroniques. C’est au sein du Comité français d’éducation pour la santé (CFES, actuel Institut national de prévention et d’éducation pour la santé - INPES), que nous agissions dans ce sens auprès des institutions, syndicats ou sociétés savantes concernés. Les échos étaient positifs mais une certaine prudence était affichée pour un domaine encore mal identifié entre « soins » et « prévention ». Un rapport qui détonne Aujourd’hui, le processus s’accélère. Nous nous en réjouissons. Santé publique 2007, volume 19, n° 4, pp. 335-340 Successivement les nouvelles orientations de l’Assurance maladie en la matière (Convention d’objectif et de gestion signé avec l’État en 2006) [8], la publication (2007) du plan ministériel sur les maladies chroniques [11] et la sortie prochaine du guide de la Haute autorité de santé et de l’INPES sur le sujet, donnent progressivement un cadre référentiel et de développement à l’ETP. Pourtant dans ce paysage très français, le disease management (DM) a fait une entrée remarquée au cours de l’été 2006. Elle s’est produite suite à la publication d’un rapport de IGAS [6]. Comme souvent, lorsque l’on propose des innovations inspirées des pays anglo-saxons, ce document a suscité des positions très tranchées entre, d’un côté, la méfiance et le rejet, et de l’autre, la fascination et l’adhésion. Et si la réponse était plus nuancée ? Un intérêt partagé DM et ETP ne recouvrent pas exactement les mêmes concepts d’intervention et des champs d’activités entièrement superposables. Pourtant, il apparaît des liens évidents entre ces deux approches, car dans les deux cas, l’objectif est d’améliorer la prise en charge des maladies chroniques. (1) Médecin et directeur. Union régionale des caisses d’assurance maladie (URCAM) de Franche-Comté, 1 bis rue Delavelle, 25000 Besançon. (2) Médecin. Direction régionale du service médical (DRSM) de Bourgogne Franche-Comté. Correspondance : F. Baudier DOSSIER ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE François Baudier (1), Gilles Leboube (2) 335_340_Baudier.fm Page 336 Mardi, 28. août 2007 10:38 10 F. BAUDIER, G. LEBOUBE Les principales spécificités de l’ETP s’appliquent de la même façon au DM et peuvent se résumer de la façon suivante : – L’ETP (et le DM) devient une priorité dans le contexte de « la transition épidémiologique » : de maladies aiguës guérissables d’une durée limitée, on est passé à des affections chroniques plus longues et qui peuvent être stabilisées. De ce fait, l’ETP (et le DM) est une vraie nécessité pour répondre de façon adéquate aux besoins actuels de la population en matière de soins. – L’ETP (et le DM) se situe à la lisière de deux domaines : le curatif et le préventif. Son développement est donc une perspective prometteuse pour que les médecins généralistes s’investissent de façon plus formalisée dans une démarche de prévention structurée. – L’ETP (et le DM) nécessite une véritable « révolution culturelle » dans la relation de soins : • du point de vue du soignant, car elle le situe dans une position de partage de connaissances, d’accompagnement et de délégation d’une partie de sa démarche de soins ; • du point de vue du patient, car elle lui demande d’entrer dans un processus actif qui nécessite de sa part un investissement, allant bien audelà du respect de la simple injonction thérapeutique et du constat d’une observance plus ou moins suivie. – Une ETP (et un DM) de qualité ne peut se mettre en œuvre que dans un cadre très précis. Il y a là comme ailleurs (en médecine), des recommandations de bonnes pratiques (générales pour l’ensemble de ce processus thérapeutique et plus spécifiques à chacune des pathologies concernées). Elles reposent sur son efficacité démontrée pour plusieurs maladies chroniques. Deux d’entre elles servent en général de « modèle » : l’asthme et le diabète. En effet, pour ces affections, il y a des bénéfices démontrés en termes de réduction de mortalité, de morbidité et d’amélioration de la qualité de vie [1, 7, 10]. Au total, l’ETP (et le DM) a un triple intérêt : – sanitaire, – au niveau de la qualité de vie : un patient éduqué, donc acteur et responsable de sa santé, améliore la maîtrise de sa maladie en développant ses propres compétences, – économique : de nombreuses études montrent que des réductions de coûts sont obtenues surtout grâce à la diminution des hospitalisations [1, 7, 10]. Mais des différences liées à des histoires singulières Pour l’Éducation thérapeutique du patient De nombreux médecins ou autres soignants ont le sentiment de réinventer à travers l’éducation du patient, une discipline de bon sens, qu’ils pratiquent depuis toujours [2]. Pourtant, c’est au cours des années 80 et 90 que ce domaine émerge réellement dans une forme plus conceptualisée. Ce mouvement s’est fait à la faveur du rapprochement de deux champs Santé publique 2007, volume 19, n° 4, pp. 335-340 336 335_340_Baudier.fm Page 337 Mardi, 28. août 2007 10:38 10 UNE TROISIÈME VOIE ? 337 d’intervention en santé relativement éloignés : le traitement des pathologies chroniques et l’éducation pour la santé. Pour le premier, il concerne principalement la prise en charge de deux maladies bien connues, l’asthme et le diabète. En effet, les patients concernés vont être obligés de vivre pendant toute leur existence avec ces affections qui touchent souvent des sujets jeunes. Les spécialistes de ces deux pathologies ont donc été rapidement confrontés à des populations d’enfants pour lesquelles la démarche éducative est à la fois une nécessité, mais aussi une opportunité, à un âge où le cursus scolaire facilite l’inscription des individus concernés dans une posture d’apprenant. L’autre champ d’intervention est celui de l’éducation pour la santé. Dans les années 80 et 90, il est l’objet de profondes évolutions structurelles, conceptuelles et méthodologiques. Une des conséquences de ces changements sera le rapprochement de deux univers de professionnels ayant peu l’habitude de réfléchir et de travailler ensemble, la prévention et le soin. En effet, comment intéresser les soignants à une approche de santé souvent très collective où les enjeux débordent largement le champ médical ? L’éducation du patient a donc été une opportunité pour faire travailler ensemble les hommes et les institutions, afin de tracer de nouvelles voies d’intervention en santé. Le Comité français d’éducation pour la santé – CFES – (B. Sandrin Berthon), la Direction générale de la santé (sous l’impulsion de Joël Ménard) mais aussi des équipes francophones pionnières à Paris (J.-F. d’Ivernois et R. Gagnayre), Genève (J.-Ph. Assal), Louvain (A. Deccache)… ont permis de fédérer des dynamiques, de rapprocher les structures et les individus. Par ailleurs un séminaire (Mialaret) [13], un colloque (à l’Hôpital Georges Pompidou) [9] et une production de l’OMS [12] ont joué un rôle fondateur dans cette démarche innovante. Santé publique 2007, volume 19, n° 4, pp. 335-340 Le champ ciblé par l’ETP est donc celui retenu par l’OMS en 1998 : « L’éducation thérapeutique a pour objectif de former le malade pour qu’il puisse acquérir un savoir faire adéquat, afin d’arriver à un équilibre entre sa vie et le contrôle optimal de sa maladie. L’éducation thérapeutique du patient est un processus continu qui fait partie intégrante des soins médicaux. L’éducation thérapeutique du patient comprend la sensibilisation, l’information, l’apprentissage, le support psychosocial, tous liés à la maladie et au traitement. La formation doit aussi permettre au malade et à sa famille de mieux collaborer avec les soignants ». (OMS, traduction du Professeur JP Assal – janvier 1999) [12]. Pour le disease management Le récent rapport de l’IGAS reprend l’histoire du DM [6]. Elle est sensiblement différente de celle de l’ETP. En effet, si les premières initiatives dans ce domaine se situent à la même période (années 90), dans le cas du DM, ce sont les entreprises pharmaceutiques qui sont à l’origine de ces programmes, avec le souci d’améliorer la compliance des patients aux traitements médicamenteux. Par la suite, de nombreuses sociétés aux USA ont construit des programmes et proposé une offre de service en DM aux assureurs, créant ainsi une nouvelle discipline et un nouveau métier. 335_340_Baudier.fm Page 338 Mardi, 28. août 2007 10:38 10 338 F. BAUDIER, G. LEBOUBE Dans le même rapport, les auteurs précisent l’objet du DM. Il se résume de la manière suivante : « Le DM a pour objectif principal de favoriser une meilleure prise en charge par les malades eux-mêmes de leur pathologie. Il développe une démarche d'éducation thérapeutique visant à améliorer les connaissances et les compétences des patients. Il vise aussi, en soutenant leur motivation (coaching) à aider les patients à adopter des comportements adaptés soit en termes d'observance des traitements, soit en termes de style de vie (diététique, exercice physique, tabagisme...). Les programmes visent également à favoriser la coordination des soins (aide à l'orientation du patient, préparation des consultations, planification des soins). Enfin, dans certains cas et pour certains patients, à travers des dispositifs de monitoring à domicile, le DM intervient comme un système d'alerte ». Par ailleurs, la définition de l’Association américaine du disease management (DMAA) est particulièrement explicite (citée dans [6] ) : « Le DM est un système coordonné d’interventions en matière de soins, dirigé vers des populations pour lesquelles les efforts des patients euxmêmes ont un impact significatif. Le domaine des maladies chroniques est pour cela un champ privilégié. Le DM : – soutient la relation médecin-patient dans le cadre d’un plan de soins ; – se concentre sur la prévention des complications en utilisant des recommandations scientifiquement fondées et des stratégies visant a accroître les capacités des patients a se prendre en charge (ETP et coaching) ; – évalue ses résultats dans le but d’améliorer la santé des patients ». Ces quelques rappels historiques et définitions montrent bien que l’ETP et DM ont des origines très différentes : – pour la première (ETP), elle est le fruit de la rencontre de l’éducation pour la santé et du soin dans un contexte de prise en charge relativement traditionnel (en dehors du cadre spécifique des réseaux) [3] ; – pour la seconde (DM), elle s’est centrée sur l’efficience de la prise en charge des malades chroniques dans un cadre budgétaire contraint et avec l’objectif de toucher le plus grand nombre possible de patients. Dans la perspective d’une 3e voie « à la française », quatre éléments doivent être pris en compte : 1. l’objectif commun (à l’ETP et au DM) est d’améliorer la prise en charge des patients atteints de maladies chroniques ; 2. la réforme de l’Assurance maladie fournit des leviers essentiels pour agir : médecin traitant, accords et contrats conventionnels… ; Santé publique 2007, volume 19, n° 4, pp. 335-340 Deux approches convergentes au sein d’un nouveau modèle français 335_340_Baudier.fm Page 339 Mardi, 28. août 2007 10:38 10 UNE TROISIÈME VOIE ? 339 3. les acquis du développement actuel de l’ETP en France (relativement naissant et souvent limité au monde hospitalier et aux réseaux de santé) commencent pourtant à donner toute sa légitimité et ses premiers résultats probants à ce domaine d’intervention ; 4. les perspectives et techniques d’intervention identifiées dans le cadre le DM (difficilement applicables telles quelles dans notre pays) proposent des méthodes efficientes pour rejoindre une population importante de malades – plusieurs millions. Après avoir étudié le DM dans plusieurs pays, dont principalement les USA, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, le rapport de l’IGAS propose les recommandations suivantes : – le modèle mis en œuvre aux USA (même s’il n’est pas unique) semble le plus prometteur ; – dans ce dispositif, le rôle des infirmières et du suivi par téléphone sont deux éléments clefs ; pour être appliqués ou adaptés en France, une évolution très significative des mentalités de la part des professionnels de santé et des patients sera nécessaire. Santé publique 2007, volume 19, n° 4, pp. 335-340 En revanche, dans ce rapport, deux dimensions sont relativement peu prises en compte, alors qu’elles pourraient être des facteurs de réussite essentiels pour une 3e voie « à la française » : – la place du médecin traitant : il doit être non seulement le déclencheur du processus de prise en charge mais aussi celui qui établit un lien thérapeutique fort pour la continuité du processus de soin ; c’est à cette condition qu’il pourra accepter en toute confiance (avec son patient), l’intervention d’un autre professionnel de santé (en l’occurrence une infirmière) ; – l’existence d’une offre d’aval en éducation thérapeutique du patient : elle doit être consolidée et activée en relais avec le médecin traitant et/ ou de la démarche de DM. Au total, il nous semble qu’il n’y a pas d’incompatibilité majeure entre ces deux démarches, sous réserve qu’elles soient développées dans un souci de complémentarité réciproque. On peut même penser que l’amélioration équitable de la prise en charge de millions de patients atteints de maladies chroniques passe par ce processus partagé. Comme nous le souhaitions il y a quelques années, plusieurs initiatives ou dispositifs devraient donner rapidement une place effective à cette démarche nouvelle de soins dans notre pays. Trois nous paraissent devoir être relevées : – la mise en place d’une expérimentation à grande échelle par l’Assurance maladie d’un programme d’accompagnement des patients diabétiques [5] ; – les dynamiques régionales favorisant un développement structuré de l’ETP à travers les Plans régionaux de santé publique, les Schémas régionaux d’organisation des soins de 3e génération et les Programmes régionaux communs de l’Assurance maladie (voir dans ce même numéro l’article pp. 303-311) ; – les recommandations récentes ou à venir de la Haute autorité de santé. 335_340_Baudier.fm Page 340 Mardi, 28. août 2007 10:38 10 340 F. BAUDIER, G. LEBOUBE Pour demain, l’enjeu majeur sera que ces nouvelles offres profitent à tous afin que les solidarités en matière de santé et de prévention soient effectives quelque soit son lieu d’habitation et ses revenus [4]. BIBLIOGRAPHIE Santé publique 2007, volume 19, n° 4, pp. 335-340 1. ANAES. Recommandations pour la pratique clinique. Éducation thérapeutique du patient asthmatique adulte et adolescent. Synthèse des recommandations, Juin 2001:3 p. 2. Baudier F, Leboube G, Prigent A. L’éducation du patient : une nouveauté ? des opportunités… Concours Médical 2004;126-02:112-6. 3. Baudier F. Les réseaux de santé : un apport essentiel pour le développement de l’éducation thérapeutique. Santé de l’Homme 2004;(369):51 p. 4. Baudier F. Santé et prévention : un enjeu éthique et financier. Espace Social Européen 2007;(809):15 p. 5. Bismuth C. Un projet d’accompagnement des diabétiques pour apporter des conseils en santé et aider à orienter dans le système de soins. 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