pour une 3e voie « à la française»?

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Éducation thérapeutique du patient
et disease management :
pour une 3e voie « à la française » ?
Patient education and disease management:
a potential third avenue, “French-style”?
Il y a un peu plus de dix ans, nous étions quelques-uns à penser que le
développement de l’Éducation thérapeutique du patient (ETP) était un enjeu
majeur pour améliorer l’offre de santé dans notre pays et la qualité de la
prise en charge des patients atteints de pathologies chroniques. C’est au
sein du Comité français d’éducation pour la santé (CFES, actuel Institut national de prévention et d’éducation pour la santé - INPES), que nous agissions
dans ce sens auprès des institutions, syndicats ou sociétés savantes concernés. Les échos étaient positifs mais une certaine prudence était affichée pour
un domaine encore mal identifié entre « soins » et « prévention ».
Un rapport qui détonne
Aujourd’hui, le processus s’accélère. Nous nous en réjouissons.
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Successivement les nouvelles orientations de l’Assurance maladie en
la matière (Convention d’objectif et de gestion signé avec l’État en 2006) [8],
la publication (2007) du plan ministériel sur les maladies chroniques [11] et
la sortie prochaine du guide de la Haute autorité de santé et de l’INPES sur
le sujet, donnent progressivement un cadre référentiel et de développement
à l’ETP.
Pourtant dans ce paysage très français, le disease management (DM) a fait
une entrée remarquée au cours de l’été 2006. Elle s’est produite suite à la
publication d’un rapport de IGAS [6]. Comme souvent, lorsque l’on propose
des innovations inspirées des pays anglo-saxons, ce document a suscité des
positions très tranchées entre, d’un côté, la méfiance et le rejet, et de l’autre,
la fascination et l’adhésion.
Et si la réponse était plus nuancée ?
Un intérêt partagé
DM et ETP ne recouvrent pas exactement les mêmes concepts d’intervention et des champs d’activités entièrement superposables. Pourtant, il
apparaît des liens évidents entre ces deux approches, car dans les deux cas,
l’objectif est d’améliorer la prise en charge des maladies chroniques.
(1) Médecin et directeur. Union régionale des caisses d’assurance maladie (URCAM) de Franche-Comté, 1 bis
rue Delavelle, 25000 Besançon.
(2) Médecin. Direction régionale du service médical (DRSM) de Bourgogne Franche-Comté.
Correspondance : F. Baudier
DOSSIER
ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE
François Baudier (1), Gilles Leboube (2)
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Les principales spécificités de l’ETP s’appliquent de la même façon au DM
et peuvent se résumer de la façon suivante :
– L’ETP (et le DM) devient une priorité dans le contexte de « la transition
épidémiologique » : de maladies aiguës guérissables d’une durée limitée,
on est passé à des affections chroniques plus longues et qui peuvent
être stabilisées. De ce fait, l’ETP (et le DM) est une vraie nécessité pour
répondre de façon adéquate aux besoins actuels de la population en
matière de soins.
– L’ETP (et le DM) se situe à la lisière de deux domaines : le curatif et le
préventif. Son développement est donc une perspective prometteuse
pour que les médecins généralistes s’investissent de façon plus formalisée dans une démarche de prévention structurée.
– L’ETP (et le DM) nécessite une véritable « révolution culturelle » dans la
relation de soins :
• du point de vue du soignant, car elle le situe dans une position de partage de connaissances, d’accompagnement et de délégation d’une partie
de sa démarche de soins ;
• du point de vue du patient, car elle lui demande d’entrer dans un processus actif qui nécessite de sa part un investissement, allant bien audelà du respect de la simple injonction thérapeutique et du constat d’une
observance plus ou moins suivie.
– Une ETP (et un DM) de qualité ne peut se mettre en œuvre que dans un
cadre très précis. Il y a là comme ailleurs (en médecine), des recommandations de bonnes pratiques (générales pour l’ensemble de ce processus
thérapeutique et plus spécifiques à chacune des pathologies concernées). Elles reposent sur son efficacité démontrée pour plusieurs maladies chroniques. Deux d’entre elles servent en général de « modèle » :
l’asthme et le diabète. En effet, pour ces affections, il y a des bénéfices
démontrés en termes de réduction de mortalité, de morbidité et d’amélioration de la qualité de vie [1, 7, 10].
Au total, l’ETP (et le DM) a un triple intérêt :
– sanitaire,
– au niveau de la qualité de vie : un patient éduqué, donc acteur et
responsable de sa santé, améliore la maîtrise de sa maladie en
développant ses propres compétences,
– économique : de nombreuses études montrent que des réductions de
coûts sont obtenues surtout grâce à la diminution des hospitalisations
[1, 7, 10].
Mais des différences liées à des histoires singulières
Pour l’Éducation thérapeutique du patient
De nombreux médecins ou autres soignants ont le sentiment de réinventer
à travers l’éducation du patient, une discipline de bon sens, qu’ils pratiquent
depuis toujours [2]. Pourtant, c’est au cours des années 80 et 90 que ce
domaine émerge réellement dans une forme plus conceptualisée. Ce
mouvement s’est fait à la faveur du rapprochement de deux champs
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d’intervention en santé relativement éloignés : le traitement des pathologies
chroniques et l’éducation pour la santé.
Pour le premier, il concerne principalement la prise en charge de deux
maladies bien connues, l’asthme et le diabète. En effet, les patients
concernés vont être obligés de vivre pendant toute leur existence avec ces
affections qui touchent souvent des sujets jeunes. Les spécialistes de ces
deux pathologies ont donc été rapidement confrontés à des populations
d’enfants pour lesquelles la démarche éducative est à la fois une nécessité,
mais aussi une opportunité, à un âge où le cursus scolaire facilite
l’inscription des individus concernés dans une posture d’apprenant.
L’autre champ d’intervention est celui de l’éducation pour la santé. Dans
les années 80 et 90, il est l’objet de profondes évolutions structurelles,
conceptuelles et méthodologiques. Une des conséquences de ces changements sera le rapprochement de deux univers de professionnels ayant peu
l’habitude de réfléchir et de travailler ensemble, la prévention et le soin. En
effet, comment intéresser les soignants à une approche de santé souvent très
collective où les enjeux débordent largement le champ médical ?
L’éducation du patient a donc été une opportunité pour faire travailler
ensemble les hommes et les institutions, afin de tracer de nouvelles voies
d’intervention en santé. Le Comité français d’éducation pour la santé – CFES –
(B. Sandrin Berthon), la Direction générale de la santé (sous l’impulsion de
Joël Ménard) mais aussi des équipes francophones pionnières à Paris (J.-F.
d’Ivernois et R. Gagnayre), Genève (J.-Ph. Assal), Louvain (A. Deccache)… ont
permis de fédérer des dynamiques, de rapprocher les structures et les
individus. Par ailleurs un séminaire (Mialaret) [13], un colloque (à l’Hôpital
Georges Pompidou) [9] et une production de l’OMS [12] ont joué un rôle
fondateur dans cette démarche innovante.
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Le champ ciblé par l’ETP est donc celui retenu par l’OMS en 1998 :
« L’éducation thérapeutique a pour objectif de former le malade pour qu’il
puisse acquérir un savoir faire adéquat, afin d’arriver à un équilibre entre sa
vie et le contrôle optimal de sa maladie. L’éducation thérapeutique du
patient est un processus continu qui fait partie intégrante des soins
médicaux. L’éducation thérapeutique du patient comprend la sensibilisation,
l’information, l’apprentissage, le support psychosocial, tous liés à la
maladie et au traitement. La formation doit aussi permettre au malade et
à sa famille de mieux collaborer avec les soignants ».
(OMS, traduction du Professeur JP Assal – janvier 1999) [12].
Pour le disease management
Le récent rapport de l’IGAS reprend l’histoire du DM [6]. Elle est
sensiblement différente de celle de l’ETP. En effet, si les premières initiatives
dans ce domaine se situent à la même période (années 90), dans le cas du
DM, ce sont les entreprises pharmaceutiques qui sont à l’origine de ces
programmes, avec le souci d’améliorer la compliance des patients aux
traitements médicamenteux. Par la suite, de nombreuses sociétés aux USA
ont construit des programmes et proposé une offre de service en DM aux
assureurs, créant ainsi une nouvelle discipline et un nouveau métier.
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Dans le même rapport, les auteurs précisent l’objet du DM. Il se résume de
la manière suivante :
« Le DM a pour objectif principal de favoriser une meilleure prise en charge
par les malades eux-mêmes de leur pathologie. Il développe une démarche
d'éducation thérapeutique visant à améliorer les connaissances et les compétences des patients. Il vise aussi, en soutenant leur motivation (coaching)
à aider les patients à adopter des comportements adaptés soit en termes
d'observance des traitements, soit en termes de style de vie (diététique,
exercice physique, tabagisme...). Les programmes visent également à favoriser la coordination des soins (aide à l'orientation du patient, préparation
des consultations, planification des soins). Enfin, dans certains cas et pour
certains patients, à travers des dispositifs de monitoring à domicile, le DM
intervient comme un système d'alerte ».
Par ailleurs, la définition de l’Association américaine du disease
management (DMAA) est particulièrement explicite (citée dans [6] ) :
« Le DM est un système coordonné d’interventions en matière de soins,
dirigé vers des populations pour lesquelles les efforts des patients euxmêmes ont un impact significatif. Le domaine des maladies chroniques est
pour cela un champ privilégié.
Le DM :
– soutient la relation médecin-patient dans le cadre d’un plan de soins ;
– se concentre sur la prévention des complications en utilisant des
recommandations scientifiquement fondées et des stratégies visant a
accroître les capacités des patients a se prendre en charge (ETP et
coaching) ;
– évalue ses résultats dans le but d’améliorer la santé des patients ».
Ces quelques rappels historiques et définitions montrent bien que l’ETP et
DM ont des origines très différentes :
– pour la première (ETP), elle est le fruit de la rencontre de l’éducation
pour la santé et du soin dans un contexte de prise en charge
relativement traditionnel (en dehors du cadre spécifique des réseaux)
[3] ;
– pour la seconde (DM), elle s’est centrée sur l’efficience de la prise en
charge des malades chroniques dans un cadre budgétaire contraint et
avec l’objectif de toucher le plus grand nombre possible de patients.
Dans la perspective d’une 3e voie « à la française », quatre éléments
doivent être pris en compte :
1. l’objectif commun (à l’ETP et au DM) est d’améliorer la prise en charge
des patients atteints de maladies chroniques ;
2. la réforme de l’Assurance maladie fournit des leviers essentiels pour
agir : médecin traitant, accords et contrats conventionnels… ;
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Deux approches convergentes au sein d’un nouveau modèle
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3. les acquis du développement actuel de l’ETP en France (relativement
naissant et souvent limité au monde hospitalier et aux réseaux de santé)
commencent pourtant à donner toute sa légitimité et ses premiers
résultats probants à ce domaine d’intervention ;
4. les perspectives et techniques d’intervention identifiées dans le cadre le
DM (difficilement applicables telles quelles dans notre pays) proposent
des méthodes efficientes pour rejoindre une population importante de
malades – plusieurs millions.
Après avoir étudié le DM dans plusieurs pays, dont principalement les USA,
la Grande-Bretagne et l’Allemagne, le rapport de l’IGAS propose les
recommandations suivantes :
– le modèle mis en œuvre aux USA (même s’il n’est pas unique) semble le
plus prometteur ;
– dans ce dispositif, le rôle des infirmières et du suivi par téléphone sont
deux éléments clefs ; pour être appliqués ou adaptés en France, une
évolution très significative des mentalités de la part des professionnels
de santé et des patients sera nécessaire.
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En revanche, dans ce rapport, deux dimensions sont relativement peu
prises en compte, alors qu’elles pourraient être des facteurs de réussite
essentiels pour une 3e voie « à la française » :
– la place du médecin traitant : il doit être non seulement le déclencheur
du processus de prise en charge mais aussi celui qui établit un lien
thérapeutique fort pour la continuité du processus de soin ; c’est à cette
condition qu’il pourra accepter en toute confiance (avec son patient),
l’intervention d’un autre professionnel de santé (en l’occurrence une
infirmière) ;
– l’existence d’une offre d’aval en éducation thérapeutique du patient :
elle doit être consolidée et activée en relais avec le médecin traitant et/
ou de la démarche de DM.
Au total, il nous semble qu’il n’y a pas d’incompatibilité majeure entre ces
deux démarches, sous réserve qu’elles soient développées dans un souci de
complémentarité réciproque. On peut même penser que l’amélioration
équitable de la prise en charge de millions de patients atteints de maladies
chroniques passe par ce processus partagé.
Comme nous le souhaitions il y a quelques années, plusieurs initiatives ou
dispositifs devraient donner rapidement une place effective à cette démarche
nouvelle de soins dans notre pays. Trois nous paraissent devoir être
relevées :
– la mise en place d’une expérimentation à grande échelle par l’Assurance
maladie d’un programme d’accompagnement des patients diabétiques
[5] ;
– les dynamiques régionales favorisant un développement structuré de
l’ETP à travers les Plans régionaux de santé publique, les Schémas
régionaux d’organisation des soins de 3e génération et les Programmes
régionaux communs de l’Assurance maladie (voir dans ce même numéro
l’article pp. 303-311) ;
– les recommandations récentes ou à venir de la Haute autorité de santé.
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Pour demain, l’enjeu majeur sera que ces nouvelles offres profitent à tous
afin que les solidarités en matière de santé et de prévention soient effectives
quelque soit son lieu d’habitation et ses revenus [4].
BIBLIOGRAPHIE
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13. Sandrin Berthon B, Aujoulat I, Ottenheim C, Martin F, dir. L’éducation pour la santé en médecine générale.
Vanves : Éditions du CFES, 1997:176 p.
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