Des pancréas artificiels à la régulation artificielle du métabolisme des hydrates de carbone Le traitement du diabète NID doit prendre en compte la spécificité de cette maladie: il ne suffit pas de restaurer un pancréas fonctionnel pour guérir un diabétique NID car celui-ci est, dans une large mesure, insensible à l’insuline qu’il produit! C’est toute la régulation métabolique qu’il faut reconstruire en incluant production régulée d’insuline et restauration de la sensibilité à cette hormone, et dans cette optique l’utilisation de modèles du vivant prend toute sa dimension. LES MODELES DU VIVANT Ils représentent les bases méthodologiques de la connaissance stratégique de l’organisme humain au plan structural et fonctionnel et permettent de développer nos connaissances et d’envisager de nouvelles thérapies. Une des caractéristiques marquante de la biologie contemporaine est d’être passée d’une vision contemplative du vivant, orientée vers la description et la classification des différentes formes de vie, à une approche privilégiant l’essence du vivant, sa structure moléculaire. D’objet d’étude, l’être vivant est devenu sujet d’expérience. Une révolution majeure doit s’opérer dans nos systèmes de pensée car, grâce aux connaissances et aux techniques modernes, le vivant, de sacré, est devenu malléable. L’animal fournit donc un réactif, cultivé, modifié, standardisé, cloné. Il est une base indispensable à l’étude du fonctionnement de la cellule et de l’organisme entier. Il faut d’ailleurs constater que l’absence d’un modèle animal pour une pathologie donnée freine considérablement la recherche, ce qui se constate dans des pathologies aussi variées que le SIDA ou la maladie de Creutzfeld Jacobs. L’utilisation de modèles cellulaires, qu’ils soient d’origine animale, humaine ou transgénique, s’est généralisée. Cela permet d’étudier commodément les molécules du vivant par le fonctionnement de son unité de base, la cellule mais les études de maladies métaboliques ou de situations complexes comme le vieillissement, le cancer, l’athérosclérose, le diabète... réclament conjointement l’étude d’organismes entiers reproduisant les réactions de l’organisme humain. Au plan purement scientifique, le meilleur modèle animal est celui qui se rapproche le plus de l’être humain. Hormis celui ci, il s’agit donc des grands primates (chimpanzés). Pourtant, ce singe est très rarement utilisé. L’utilisation d’un modèle animal donné ne correspond pas uniquement à des critères scientifiques mais aussi économiques, éthiques et pratiques. Pour une étude donnée, on doit déterminer quel est l’animal qui répond le mieux aux critères: - scientifiques en développant une pathologie reproduisant au mieux celle que l’on veut étudier chez l’Homme - économiques tels que le prix de l’animal, les locaux et le personnel affecté à son entretien - pratiques tels que les dimensions, la rareté, l’alimentation, la prolificité et la disponibilité de réactifs adaptés à l’animal. L’ensemble de ces facteurs a conduit à l’utilisation généralisée de rongeurs en tant que modèles animaux pour l’étude de la physiologie humaine. UN PANCREAS ARTIFICIEL POUR LA PRODUCTION ENDOGENE ET REGULEE D’INSULINE Dans un premier temps, des pompes automatiques d’administration d’insuline ou de dérivés plus actifs, équipés de biocapteurs spécifiques, remplaceront les injections d’insuline et pallieront les insuffisances du pancréas endocrine dont les cellules B sont détruites ou insuffisamment actives. Ces dispositifs pourront ajuster en permanence la concentration en glucose plasmatique en libérant la quantité appropriée d’insuline. Ces appareils pourront être implantés (se posera alors le problème de la recharge en insuline) ou fixés sur la peau. Un implant idéal contiendrait des cellules insulaires saines protégées des réactions immunes de l’organisme. Cependant, même avec des implants à longue durée de vie, on se retrouve confronté à la difficulté d’approvisionnement en cellules saines. Le déséquilibre entre la demande en tissu pancréatique humain et la quantité de tissu disponible peut être contourné: soit par l’utilisation d’animaux transgéniques produisant des îlots xénobiotiques mais tolérés soit par la maîtrise de la différenciation en cellules endocrines de cellules embryonnaires humaines ou rendues “humaines” par transgenèse. Les expérimentations actuelles de greffe xénobiotique butent sur les problèmes du rejet et de l’efficacité du greffon. Les îlots porcins injectés dans la veine porte (et s’installant dans le foie) ou implantés dans la capsule rénale sont fonctionnels mais se révèlent incapables de corriger le métabolisme du glucose. L’implantation d’îlots adultes permet une production immédiate d’insuline, contrairement à l’injection de cellules foetales. Le contrôle du rejet impose une thérapie lourde (les meilleurs résultats ont été obtenus avec une combinaison de trois molécules: cyclosporine, leflunomide et mofetil mycophénolate). L’utilisation de membranes poreuses permettant le passage des nutriments et de l’O2 mais isolant des cellules encapsulées des molécules du système immunitaire constitue une autre voie pour éviter le rejet. La tolérance du matériau isolant et la viabilité des cellules du greffon restent cependant à caractériser. Il est possible d’introduire des cellules B fonctionnelles dans des membranes biodégradables. Ces “capsules” peuvent être injectées sous la peau ou dans la cavité abdominale (1g de cellules B porcines permettant de suppléer le déficit de production d’insuline chez un diabétique de type 1). Ainsi, des cellules B de vaches sont restées actives chez des chiens pendant 6 semaines. Des études préliminaires sur d’autres animaux ont établis que les cellules encapsulées peuvent survivre quelques mois. On peut cependant envisager un remplacement périodique des cellules du greffon qui ne seraient plus assez efficaces. Des souches cellulaires modifiées génétiquement de façon à moins exprimer leurs antigènes de surface permettraient aussi de diminuer le phénomène de rejet. Bien que ces techniques soient surtout utilisées dans le but de corriger de diabète ID, elles pourraient également mener à la restauration de l’insulino-sécrétion dans le diabète NID. Néanmoins, il semble bien que pour le fonctionnement et surtout la prolifération des cellules endocrines pancréatiques, l’environnement cellulaire et extracellulaire soit d’une extrême importance. Les multiples liens structuraux et fonctionnels existant entre cellules endocrines et exocrines pancréatiques, ainsi que le rôle fondamental de la matrice extracellulaire, peuvent expliquer les difficultés à obtenir par greffe une correction de l’état diabétique NID dans lequel il ne faut pas seulement restaurer une population cellulaire mais rétablir les communications entre plusieurs tissus. Le principal problème est de s’assurer de la viabilité à long terme des cellules greffées, qui se révèle généralement très insuffisante. La mise au point de cellules B animales transgéniques synthétisant de l’insuline humaineaugmenteraitl’efficacitédugreffon,maisl’utilisationdecellulesanimalestransgéniques pose le problème de la transmission à l’homme de virus animaux “dormants” dans le génome des cellules transplantées et pouvant inopinément se réactiver. Des lignées cellulaires particulières conjuguant sécrétion insulinique en réponse au glucose et bonne capacité de prolifération ont pu être isolées. Ainsi, des cellules murines de la lignée βTC3 ont été intégrées dans des billes d’alginate. Elles ont pu s’y développer, se disposer à l’intérieur des billes et sont demeurées fonctionnelles et gluco-répondantes malgré de fortes variations de la teneur en glucose de leur environnement. Une autre voie consiste à explorer les phénomènes de transdifférenciation et à provoquer artificiellement la régénération d’îlots pancréatiques fonctionnels à partir de cellules exocrines pancréatiques. Ces phénomènes, obtenus dans plusieurs modèles animaux de diabète et caractérisant certaines pancréatites, sont à explorer plus en détail. Artificiellement, il est possible de provoquer la différenciation de cellules hépatiques en cellules insulinosécrétrices: la transfection d’hépatocytes murins avec le gène PDX1 (gène homeobox pancréatique et duodénal) aboutit à l’expression des gènes 1 et 2 de l’insuline et de la proinsuline convertase. L’insuline produite au niveau hépatique est fonctionnelle et a prouvé sa capacité à améliorer l’état diabétique. Le gène PDX1 possède donc la capacité de reprogrammer un tissu différencié vers la production d’insuline, ce qui ouvre la voie à une thérapie génique de remplacement des cellules B par transdifférenciation dirigée. La nécessité de fournir un support aux cellules implantables ainsi que de nombreux projets de chirurgie de remplacement ou de cultures cellulaires ne pourront aboutir que si l’on parvient à mettre au point des polymères biocompatibles, voire biodégradables, ayant à la fois une résistance mécanique et une grande surface par rapport à leur volume. Les progrès récents de la science des matériaux laissent augurer la mise au point prochaine de tels composés, comme par exemple le polyméthacrylate HEMA-MMA. Les techniques d’encapsulation de cellules sélectionnées devront également être perfectionnées. L’APPORT DE LA CYBERNETIQUE Il serait cependant inexact de limiter le champ des modèles du vivant à l’utilisation d’animaux ou de cellules comme ersatz d’êtres humains: nous voyons poindre actuellement une importante révolution conceptuelle due à l’émergence de modèles informatiques du vivant. Un modèle est donc largement défini comme étant un système organisé régi par des lois connues ou inconnues mais semblables à celles de l’être à modéliser et régissant à une action ordonnée (l’expérience) provenant de l’extérieur de ce système. Cette approche informatique est couramment utilisée pour l’étude des populations biologiques et de leur évolution. Des approches similaires décrivent l’évolution d’une population biologique en terme d’effectifs, de localisation, d’évolution démographique... ces modèles sont utilisés en écologie, paléontologie et sciences de l’évolution. D'autres modèles informatiques permettent, par le biais de réseaux neuronaux, de copier l’architecture de systèmes nerveux simples, d’en étudier les réactions puis ensuite d’utiliser les résultats de ces modélisations pour réaliser une copie cybernétique d’un organe. C’est ainsi que l’on a obtenu une organisation électronique mimant le fonctionnement de la rétine. Ces réseaux neuronaux, qui sont des modèles informatiques du vivant, peuvent également simuler le comportement d’organismes simples (comme certains mollusques marins). Ils sont également utilisés dans l’industrie pour optimiser divers procédés, par le biais d’une algorythmique reproduisant les processus de sélection naturelle à l’oeuvre dans le monde vivant. L’étude et la modélisation des pathologies humaines nécessitent, quant à elles, l’utilisation de cellules ou d’animaux. Cependant, l’étude du fonctionnement cellulaire peut tirer profit d’une modélisation informatique: la société IBM a ainsi entrepris l’élaboration d’un modèle permettant l’étude de la transcription du génome en protéines, autrement dit d’élucider un pan entier du métabolisme cellulaire. Certains chercheurs ont également mis au point des modèles mathématiques décrivant la sécrétion d’insuline par les cellules B pancréatiques en réponse aux variations du taux de glucose. Ce modèle décrit les interactions du transport du glucose, de la dynamique des ions calcium, de l’exocytose des granules de sécrétion et du comportement électrophysiologique de la membrane cellulaire. Ces modèles se révèlent particulièrement féconds dans la description des membranes cellulaire et de leur état électrique en réponse à des flux d’ions. Ils permettent donc l’étude des phénomènes de sécrétion. Les cellules endocrines pancréatiques constituant une population aux interactions fréquentes, celles-ci peuvent être modélisées. On peut ainsi décrire leur comportement, obtenir des prévisions en fonction des modifications de leur environnement. On peut ainsi faire apparaître des propriétés émergentes des modèles, qui pourront être utilisées avec les autres données obtenues in vivo et in vitro pour programmer la reconstruction des fonctions endocrines pancréatiques. LA THERAPIE GENIQUE PERMET EGALEMENT DE LUTTER CONTRE L’INSULINORESISTANCE Des adénovirus recombinants peuvent être utilisés comme vecteurs transportant des gènes régulateurs du métabolisme jusqu’à des cibles précisément identifiées comme les hépatocytes ou les cellules B, et ce in vitro et in vivo. Ils présentent l’avantage de posséder une bonne efficacité quant à l’intégration du transgène dans la cellule. En effet, les adénovirus sont adaptés à des cellules à faible taux de prolifération, comme les cellules B, ce qui n’est pas le cas des rétrovirus qui nécessitent une division cellulaire pour intégrer les transgènes. Des raisons de sécurité, de taille suffisante des transgènes et d’efficacité (70 % sur les cellules B) font donc utiliser les adénovirus pour transfecter une large variété de cellules in vitro et in vivo. Le métabolisme du glycogène en particulier semble une cible idéale pour tenter de corriger les dysfonctionnements, hépatiques et non hépatiques, liés à l’état diabétique. Il devrait être possible d’intervenir à ce niveau pour diminuer le développement de l’hyperlipidémie et de l’insulino-résistance qui résultent en partie d’un dysfonctionnement de la régulation de l’activité d’enzymes hépatiques de la glycolyse, comme la glucose 6 phosphatase en particulier. Une autre approche consisterait à surexprimer le récepteur à insuline dans les tissus insulino-sensibles. Toute la voie de signalisation intracellulaire de cette hormone constitue d’ailleurs une cible pour une surexpression permettant de rendre leur sensibilité à l’insuline aux tissus musculaires et adipeux. Dans un futur proche, la confluence des approches moléculaires, métaboliques et cybernétiques du diabète NID, rendue possible par les progrès décisifs obtenus grâce aux techniques de transgenèse, aujourd’hui injustement décriées, et par l’étude des modèles animaux toujours indispensables permettra de prolonger l’état de santé des diabétiques, de lutter avec plus d’efficacité contre les complications de leur pathologie et finalement de restaurer à long terme de façon artificielle un fonctionnement acceptable de l’homéostasie glucidique. Ceci ne sera cependant possible que grâce à l’amélioration de nos connaissance fondamentales résultant pour une bonne part des progrès de nos techniques d’investigations. Pour le diabète comme pour d’autres pathologies, nos progrès ne seront limités que par les moyens humains et techniques dont nous disposerons.