La violence, parasite nocif des urgences

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santé
Cette page Magazine santé
est réalisée en collaboration
avec l’Hôpital du Jura et le
Service cantonal de la santé
publique.
La violence, parasite nocif des urgences
V HÔPITAL Dans un service d’urgences, la violence, sous ses formes les plus diverses et pernicieuses,
est fréquente. Tour à tour, citoyens et personnel soignant peuvent en être victimes
V
iolence. Derrière ce mot se
cache une multitude de brutalités allant de l’agression
verbale aux harcèlements
moral ou physique. Quatre syllabes
qui, du mot blessant au coup porté,
font mal.
Dans un hôpital, le service des urgences, porte d’entrée des trois quarts
des admissions de malades, est particulièrement exposé à la violence. Celle
subie par une personne venue se faire
soigner, ou celle endurée par le personnel médical ou soignant face à des
patients menaçants. Dans l’un ou l’autre cas, cette violence reste intolérable
et doit être dénoncée. Rencontre avec
Frédéric Duplain, infirmier-chef du
service des urgences de l’Hôpital du
Jura.
– Comment se définit la violence
dans un service d’urgences?
Frédéric Duplain: – De manières très
diverses, allant du spectaculaire à l’invisible. Dans le cas d’une altercation physique, par exemple, une personne peut
venir ou être amenée chez nous parce
qu’elle a été victime de violence et doit
être soignée. Ce cas est le plus simple:
les choses sont dites et la raison du traumatisme clairement identifiée. Outre
les soins, notre travail est alors de
constater les coups et blessures et de faire un rapport. Il peut être utilisé ou non
par le patient dans le cas de poursuites
judiciaires ou dans la constitution d’un
dossier de plainte.
Bien plus difficile à déceler, la violence est souvent cachée. Dans le cas d’une
agression sexuelle, de violence conjugale ou familiale, la brutalité n’est pas forcément révélée. La victime peut avoir
peur des représailles, honte de sa situation… Il n’est pas rare qu’une personne
arrive pour une fracture soi-disant due à
une chute. Après examen, nous voyons
bien que la blessure se révèle être la
conséquence d’un coup. Il nous faut
alors être très prudents et ne pas brusquer encore plus le patient, essayer de
lui apporter de l’aide sans rien lui imposer. Parfois, une personne violentée est
dans un tel déni qu’elle ne se sent
même plus victime.
– Quels sont les cas de violence cachée les plus fréquents aux urgences?
– Malheureusement les cas de femmes battues. Depuis le début de l’année, elles sont une quinzaine à être venues directement pour coups et blessures. Courageuses d’avouer leur situation, ces femmes ne représentent certainement que la partie émergée de l’ice-
Depuis le début de l’année, une quinzaine de femmes sont venues aux urgences pour coups et blessures. Elles ne représentent certainement que la partie émergée de l’iceberg et cachent toutes
celles qui n’ont pas le courage de parler.
berg et cachent toutes celles qui n’ont
pas le courage de parler.
Le viol ou l’agression sexuelle sont
une autre forme de violence que nous
devons constater aux urgences par
des examens médicaux. Ces situations sont extrêmement pénibles
pour la victime, qui vit souvent cette
consultation comme une seconde
agression, et aussi pour le personnel
soignant tenu de faire l’examen.
La violence peut aussi être psychique. Nous voyons des personnes victimes d’humiliation permanente, de
privation de liberté ou d’agression
verbale continue. Souvent, ce type de
victimes vient aux urgences et demande à voir un psychiatre car elle se
sent peu en forme, fatiguée et un peu
dépressive. En la questionnant un
peu, il n’est pas rare de déceler une
violence morale à l’origine de ces
maux.
Certaines personnes malades s’automutilent. D’autres acceptent la violence dans certaines pratiques déviantes, mais consenties. Là aussi, la
FLes urgences à l’Hôpital du Jura
A l’Hôpital du Jura, le service des urgences est organisé en
trois unités sur les sites de Delémont, Porrentruy et Saignelégier. Au total, 58 professionnels travaillent directement
ou sont partiellement rattachés à ces unités de soins.
Il s’agit principalement d’infirmiers, dont plusieurs sont
diplômés en soins d’urgences ou ambulanciers, de médecins internistes et de chirurgiens. «Selon la situation, nous
pouvons à tout moment faire appel à un autre spécialiste
de permanence», explique Fréderic Duplain, infirmier-chef
du service des urgences de l’Hôpital du Jura. Si une urgence
ne peut être traitée dans le canton, le patient est transféré
vers un autre hôpital, le plus souvent vers Bâle, Berne ou
Lausanne, selon la pathologie.
Chaque mois, 1000 personnes passent par le service des
urgences de Delémont, 500 à Porrentruy et une cinquantaine à Saignelégier. A cela s’ajoutent encore, sur le site de
Delémont, près de 700 consultations en urgence de pédiatrie et de maternité. Ces dernières années, dans le Jura
comme ailleurs, les courbes de sollicitation des urgences
sont en hausse. PF
12 | Mercredi 18 avril 2012 | Le Quotidien Jurassien
reconnaissance de la violence est difficile à établir, même s’il y a séquelles
physiques.
Pour moi, une personne qui arrive
en burnout au service des urgences à
cause d’une pression professionnelle
trop importante subit aussi une violence cachée, professionnelle cette
fois.
– Vous évoquez beaucoup la violence envers les femmes. Qu’en est-il de
celle dont sont victimes les enfants et
les hommes?
– Repérer un enfant victime de violence est aussi compliqué. Une fois de
plus, la brutalité est souvent cachée
derrière une chute, une bagarre avec
un copain, ou autre excuse bancale.
Et, malheureusement, lorsqu’un enfant violenté arrive jusqu’aux urgences, la situation est souvent grave. Si
nous avons un doute sur le cas de l’enfant, nous faisons automatiquement
appel au médecin-pédiatre, qui décidera de la suite à donner. Contrairement à l’adulte, légalement responsa-
ble de sa personne et consentant, l’enfant et sa famille ne peuvent refuser
une dénonciation en cas de violence.
Pour les hommes, si la brutalité
conjugale existe, elle est marginale.
Par contre, ils ne sont pas épargnés
par la violence morale. Mais c’est plus
à l’occasion de bagarres, souvent liées
à l’alcool, que nous les soignons aux
urgences. Dans ces cas-là, la violence
se tourne parfois vers le personnel
soignant lorsqu’ils arrivent à l’hôpital.
– Comment gérez-vous un patient
violent aux urgences?
– Pour réagir de la manière la plus
appropriée qui soit, tout le personnel
des urgences suit une formation sur
la gestion de la violence. Cet apprentissage lui permet de garder son
calme et d’agir le plus posément possible.
Nous pouvons aussi compter sur
l’aide de la police qui intervient sur
simple appel. Lorsqu’un patient est
amené par les services d’ordre suite à
une altercation, les policiers restent
souvent sur place pour voir si tout se
passe bien. Le plus difficile, c’est lorsqu’un deuxième acteur du différend
arrive aussi aux urgences et que les
coups continuent dans nos locaux!
Là, nous sommes obligés d’intervenir
physiquement, voire de calmer médicalement un surexcité ou de l’enfermer dans une pièce d’isolement spécialement prévue à cet effet.
– Ces cas restent extrêmes, non?
– La violence verbale dirigée
contre un membre précis du personnel ou envers le service en général
est de plus en plus fréquente et aiguë
dans les termes. Les urgences sont le
reflet de la société: si elle devient
plus violente et «tolérante» envers
les insultes, nous en supportons les
conséquences ici. Plusieurs fois par
semaine quelqu’un se fait agresser
verbalement dans le service. Les cas
de violence physique envers le personnel sont, fort heureusement,
rares.
PEGGY FREY
«On ne ferme la porte à personne aux urgences»
Claudine Moser,
infirmière-ambulancière aux urgences
de Delémont, évoque
la violence dans
son métier
Dynamique, Claudine Moser n’est pas du genre à se laisser faire. Un tempérament
sans doute utile dans sa profession d’infirmière au service
des urgences de l’Hôpital du
Jura. Lorsqu’on lui parle de
violence, la jeune femme pense directement à celle qu’elle
voit chez les autres, ces patients «abimés» par la brutali-
té, ces épouses cassées par les
coups du mari. «En tant que
femme, je supporte mal de
voir qu’une femme se laisse
violenter. Le pire, c’est que je
n’ai pas le droit de dénoncer la
chose si elle ne le veut pas…
Parfois, je me sens prise entre
l’ange et le démon.» Toujours
dans le dialogue et l’instauration d’un rapport de confiance, Claudine se montre alors
patiente, écoute ce qu’une victime voudra bien lui dire, lui
propose une aide adaptée.
«Souvent, la violence n’est
pas là où on croit et on se fait
surprendre, explique la jeune
femme. Dans ce domaine, il
est très difficile de savoir ce
qui se passe vraiment et d’agir
en conséquence. Une fois
qu’une victime se déclare, les
choses sont souvent plus graves qu’on ne l’imagine.»
Lorsqu’on l’agresse verbalement, Claudine a appris à garder son calme. Et si la situation devient intolérable, elle
sait qu’elle peut compter sur
ses collègues. Car aux urgences, «on ne ferme la porte à
personne et on travaille toujours en équipe».
PF
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