Place de l’Aide Inspiratoire en péri-opératoire chez l’adulte Yannaël Coisel, Matthieu Conseil, Julie Carr, Gérald Chanques, Boris Jung, Daniel Verzilli, Samir Jaber Unité de Réanimation et Transplantation, Département d’AnesthésieRéanimation B (DAR B), Hôpital Saint Eloi - CHRU Montpellier, 80, avenue Augustin Fliche, 34295 Montpellier Cedex 5. E-mail : s-jaber@ chu-montpellier.fr Introduction Lors d’une anesthésie générale, la ventilation artificielle au bloc opératoire est assurée par un ventilateur, qui apporte de l’oxygène, retire le dioxyde de carbone et selon le type d’anesthésie choisie apporte également des gaz halogénés. Le ventilateur peut permettre ces échanges gazeux grâce à un générateur de flux (turbine, piston, soufflet ascendant ou descendant selon les machines d’anesthésie [1]). Ce flux va ensuite être délivré au patient via le circuit interne du ventilateur qui comporte des valves inspiratoire et expiratoire. La totalité des ventilateurs d’anesthésie disponibles sur le marché propose au clinicien de choisir si ce flux devra être délivré dans un mode en Volume (mode dit « volumétrique » : Ventilation Contrôlée, Ventilation Assistée Contrôlée dans lequel le débit délivré est fixe, constant ; il est dit « carré ») ou dans un mode en Pression, mode dit « barométrique » : Pression Contrôlée, Pression Assistée Contrôlée, Aide Inspiratoire [1-3] dans lequel le débit délivré est d’emblée maximal puis diminue ; il est dit « décélérant », (Tableau I). Parmi ces modes en pression c’est-à-dire dans lequel la machine régule la pression délivrée dans les voies aériennes en fonction d’un algorithme, l’aide inspiratoire (VS-AI ou AI ou pression assistée) a constitué une révolution dans le monde de la ventilation artificielle en réanimation. Ce mode de Ventilation Spontanée en Aide Inspiratoire est très développé en réanimation où il constitue le principal mode de sevrage des patients intubés [4], mais son utilisation reste encore confidentielle au bloc opératoire alors qu’il est disponible sur toutes les principales machines de dernière génération (lors d’une étude réalisée en 2006 sur plus de 2800 patients sous anesthésie générale endormis dans près de 50 centres en France, seuls 15 d’entre eux étaient ventilés en AI [5]). L’objectif de ce texte est de rappeler les principes de fonctionnement de l’AI et d’évoquer sa place au bloc opératoire chez l’adulte lors des différentes phases de l’anesthésie. 28 MAPAR 2013 Tableau I Différences fondamentales entre un mode volumétrique et un mode barométrique Paramètres ventilatoires Mode volumétrique Mode barométrique (VC, VAC…) (PC, PAC, VS-AI…) Volume Courant (VT) Fixe (assuré) Variable Pression des voies aériennes Variable Fixe (assurée) Débit Carré (constant) Décélérant Alarmes à surveiller Pression maximale Pression de plateau VT minimal Ventilation minute EtCO2 1. Principes de fonctionnement de l’AI L’AI est un mode ventilatoire qui est à la fois simple et compliqué. Il est considéré comme le mode le plus physiologique parmi les modes largement utilisés car il est le seul qui permet au patient d’imposer son temps inspiratoire à la machine. C’est un mode de ventilation en pression (où le clinicien règle une pression d’insufflation ou niveau d’aide inspiratoire et surveille le volume courant (VT) délivré) qui est défini comme « assisté ». Il ne peut donc s’appliquer que chez les patients ayant une activité respiratoire spontanée préservée. Dans le cas où il est utilisé chez un patient qui avait initialement une activité inspiratoire spontanée puis secondairement une dépression respiratoire (par exemple relargage de morphinique ou d’hypnotique suite à une anesthésie générale intraveineuse), le ventilateur bascule en général dans un mode dit « ventilation d’apnée » ou « backup de sécurité » qui est alors une ventilation contrôlée (soit en pression ou en volume). Il est donc important de s’assurer des réglages de la ventilation d’apnée de sécurité sur la machine. L’AI est également défini comme un mode « partiel » où une partie de l’effort inspiratoire est réalisée par le patient, l’autre partie étant réalisée par le ventilateur. En effet, le début de l’insufflation est déclenché par le patient (notion de « trigger inspiratoire ») lorsque le ventilateur détecte une activité inspiratoire du patient. Il s’ensuit une pressurisation des voies aériennes plus ou moins rapide (notion de « pente inspiratoire ») qui va se maintenir pendant toute la durée du temps inspiratoire au niveau d’AI fixée par le clinicien (fermeture de la valve expiratoire). A la fin de la phase inspiratoire (définie par le « trigger expiratoire »), la pression retombe à 0 cmH2O ou au niveau de pression expiratoire positive (PEP) réglée par le clinicien (ouverture de la valve expiratoire) (Figure 1). Pression (Paw) Niveau d'aide inspiratoire 5 < Al < 20 cmH2O Pente = 0,2 s Trigger expiratoire (cyclage I/E) 1,0 < Ti max < 1,2 s 5 < PEP < 10 cmH2O Temps Trigger inspiratoire -1 à -2 l.min-1 Figure 1 : Principaux éléments à régler en Aide Inspiratoire Médecine péri-opératoire 29 1.1.Le trigger inspiratoire (« trigger » = gâchette en anglais) : Le déclenchement du cycle inspiratoire n’a lieu que lorsque le ventilateur a pu détecter une activité inspiratoire du patient. Cette phase de détection, commune à l’ensemble des modes assistés, qu’ils soient volumétrique (Volume Assisté Contrôlé) ou barométrique (Pression Assistée Contrôlée, AI), peut être réalisée par 2 systèmes pneumatiques : le « trigger en pression » ou le « trigger en débit ». Le trigger en pression est déclenché lorsque la pression des voies aériennes mesurée par le ventilateur passe en dessous d’un seuil prédéfini par le clinicien. La compréhension du trigger en débit nécessite l’explication préalable du « flow-by » : il s’agit d’un débit de gaz frais minime (à peine 1 l.min-1) circulant en permanence dans les circuits du ventilateur entre la branche inspiratoire du ventilateur et la branche expiratoire du ventilateur. S’il n’y a pas de mouvement inspiratoire du patient ni de fuite au niveau du circuit du ventilateur, la différence entre ces 2 débits est nulle. Dès l’instant où le patient inspire, une partie de ce débit va se « perdre » dans le patient ; le ventilateur détecte une différence entre le débit qui passe par la branche inspiratoire du ventilateur et celui qui passe par la branche expiratoire. Lorsque cette différence est supérieure à un seuil prédéfini par le clinicien, le trigger en débit est déclenché. La majorité des études comparant les 2 types de trigger rapporte un bénéfice à l’utilisation du trigger en débit car l’effort demandé au patient est moindre qu’avec un trigger en pression, d’autant plus si le patient présente une hyperinflation dynamique (patient atteint de BPCO par exemple) [6, 7]. Avec ces 2 types de trigger, il faut régler le trigger au maximum de sa sensibilité (pour éviter que le patient ne s’épuise à faire des efforts qui ne seraient pas récompensés : ce sont les « efforts inefficaces »), sans pour autant entraîner des auto déclenchements (déclenchements intempestifs non liés à un mouvement respiratoire du patient : mouvements cardiaques, choc contre le circuit patient…). 1.2.La pente inspiratoire Elle caractérise la vitesse de pressurisation des voies aériennes par le ventilateur une fois que le début d’inspiration du patient a été détecté. Si la pente inspiratoire n’est pas assez raide, le patient va avoir l’impression de manquer d’air, quel que soit le niveau d’AI réglé. A l’inverse, si elle est trop raide, le patient risque de tousser. Il faut donc trouver le juste milieu, 0,1 à 0,2 seconde semblant un réglage correct pour la majorité des patients. 1.3.Le niveau d’AI ou niveau d’assistance Comme dans tout mode barométrique (en pression), le clinicien règle la pression d’insufflation et « subit » le VT délivré. Il faut impérativement régler les alarmes de VT et de Ventilation Minute minimales et maximales. Un réglage d’AI trop faible entraînera une hypercapnie par « rebreathing » du CO2 venant d’être expiré et une augmentation de la fréquence respiratoire du patient (pour rappel, la ventilation en AI est un mode assisté dans lequel le patient garde la possibilité de déclencher son ventilateur). Un réglage d’AI trop élevé risque d’entraîner un barotraumatisme et/ou un volotraumatisme, mais également des asynchronies patient-ventilateur de type « effort inspiratoire inefficace » (en réduisant le niveau d’AI trop élevée, le VT et le temps inspiratoire sont diminués, ce qui permet d’allonger le temps expiratoire et de limiter l’auto-PEP [8, 9]. Au final, il y a moins d’efforts inefficaces). 30 MAPAR 2013 1.4.Le trigger expiratoire Le cyclage inspiratoire/expiratoire (moment où le ventilateur passe de l’inspiration à l’expiration) est l’élément clé de la ventilation en AI. C’est en effet le seul mode conventionnel dans lequel le patient « choisit » son temps inspiratoire et donc son VT. Dans les modes volumétriques tels que le VC ou le VAC, le temps inspiratoire est la conséquence directe du rapport entre le VT et le débit inspiratoire (par exemple avec VT = 500 ml et débit inspiratoire à 1 l.s-1, on obtient Ti = 500 ml / 1 l.s-1 = 0,5 s). Dans les modes barométriques tels que la PC ou la PAC, le temps inspiratoire est directement réglé par le clinicien. En AI, l’insufflation s’arrête lorsque le débit inspiratoire décélérant atteint un seuil, habituellement quand il chute en dessous de 25 % du débit inspiratoire maximal. Ce seuil est défini comme le trigger expiratoire qui peut être fixé par le clinicien sur certaines machines : pour les patients ayant besoin d’un temps expiratoire prolongé (BPCO avec une hyperinflation dynamique importante par exemple), ce trigger expiratoire pourra être déclenché plus tôt (on pourra régler ce trigger vers 40 ou 50 % du débit inspiratoire maximal), ce qui diminuera le temps inspiratoire et majorera le temps expiratoire. De la même façon, en cas de fuites importantes avec un masque laryngé (dont le débit serait supérieur à 25 % du débit inspiratoire maximal), le trigger expiratoire ne serait jamais déclenché et l’insufflation se poursuivrait jusqu’à atteindre un temps inspiratoire maximal de sécurité réglé par défaut entre 2 et 4 secondes. Le changement de valeur du trigger expiratoire vers une valeur plus élevée (vers 40 ou 50 % également) permettra de stopper l’insufflation plus tôt. Par ailleurs, un réglage adéquat du temps inspiratoire maximal améliorera la situation du patient en cas de fuites (entre 1 et 1,2 seconde). 1.5.La PEP L’application d’une PEP externe peut limiter l’apparition d’atélectasies et favoriser le déclenchement du ventilateur chez les patients présentant une PEP intrinsèque élevée [9, 10]. Le niveau de réglage optimal de la PEP externe n’est pas clairement défini, mais il doit rester en dessous du niveau de PEP intrinsèque et doit s’adapter au cas par cas. Une valeur de 5 cmH2O peut être retenue comme la valeur minimale à utiliser chez la majorité des patients au bloc opératoire, et on peut être amené à utiliser des niveaux de PEP de 10 voire 15 cmH2O chez certains patients (notamment en chirurgie bariatrique). 1.6.Les alarmes Comme dans tout mode barométrique, en cas d’altération des conditions mécaniques respiratoires (augmentation des résistances ou baisse de la compliance), la pression consigne des voies aériennes sera maintenue mais les volumes ne seront pas assurés. Ainsi il est fondamental de régler minutieusement les alarmes de VT, ventilation minute et fréquence respiratoire. 2. Pourquoi utiliser l’AI au bloc opératoire ? L’anesthésie générale induit des modifications de la mécanique et du contrôle ventilatoire [11], essentiellement marquée par une diminution des volumes et capacités pulmonaires. Il peut en découler de cette hypoventilation l’apparition ou la majoration d’atélectasies entraînant une hypoxémie variable selon les sujets (plus marquée chez les sujets obèses) [12-14]. Le maintien d’une activité Médecine péri-opératoire 31 diaphragmatique spontanée pourrait permettre de réduire les atélectasies des bases pulmonaires [15, 16]. De plus, la présence d’une sonde d’intubation majore les résistances des voies aériennes. Par rapport à un patient en ventilation spontanée sans aide, l’adjonction d’une faible AI (entre 5 et 10 cmH2O) permet de compenser la surcharge de travail respiratoire provoquée par la présence de la sonde d’intubation et à une moindre mesure la valve inspiratoire [17]. Actuellement, les ventilateurs d’anesthésie de nouvelle génération sont tous dotés d’un mode AI efficace, avec une qualité de déclenchement et de pressurisation aussi efficace que les ventilateurs lourds de réanimation (figures 2A et 2B [2, 18]). ∆P ∆P (cmH2O) Z = PEEP 0 P = PEEP 5 Anesthésie SER VO -I T DX L EXT EN EVI TA X 500 EVI TA V S ZEU IMU S PR FLO W-1 FEL IX DT (ms) DT Réanimation Figure 2 A : Qualité de déclenchement (triggering) des ventilateurs de réanimation et d’anesthésie : intensité de la dépression nécessaire au déclenchement (ΔP) et délai de déclenchement (DT). Plus ΔP et DT sont petits, plus le déclenchement du ventilateur est performant. MAPAR 2013 PTP300 (cmH2O, s) 32 PTP300 Z = PEEP 0 P = PEEP 5 Anesthésie SER VO -I DX T L EN EXT EVI TA X 500 EVI TA V S IMU PR FLO W-1 FEL IX PTP500 (cmH2O, s) PTP500 Réanimation Figure 2B : Qualité de pressurisation des ventilateurs de réanimation et d’anesthésie : produit temps-pression obtenu à 300 ms (PTP 300) et à 500 ms (PTP 500) du début de l’inspiration. Plus PTP 300 et PTP 500 sont élevées, plus la pressurisation du ventilateur est performante. 3. Place de l’AI en préopératoire L’AI présente des avantages en préparation à une chirurgie de résection pulmonaire (diminution significative des dysfonctions pulmonaires postopératoires et de la durée de séjour hospitalière) lorsqu’elle est utilisée en Ventilation Non Invasive (VNI) dans les 7 jours préopératoires et les 3 jours postopératoires [19]. L’AI peut aussi présenter des avantages lors de l’induction : •Du fait de VT conservés, l’AI permet d’obtenir une anesthésie plus profonde avec un meilleur score à l’intubation [20] et une diminution de la capnie télé expiratoire dans le cadre de fibroscopies sous propofol en AIVOC pour intubation difficile [21]. •Les travaux plus récents de Delay et al. [22] ont également pu confirmer que la VNI utilisant l’AI en pré-oxygénation chez les patients obèses morbides permettait d’obtenir une pré-oxygénation plus rapide avec une fraction expirée en O2 plus élevée qu’en ventilation spontanée sans AI. Médecine péri-opératoire 33 4. Place de l’AI en peropératoire L’AI peut présenter également des avantages au cours de l’intervention [23] : •En améliorant la synchronisation patient / ventilateur, le patient ne lutte plus contre le ventilateur, les besoins en agents anesthésiques sont d’autant diminués (et le coût de l’anesthésie pour la même raison). •En diminuant les atélectasies par le maintien d’une activité diaphragmatique et en améliorant l’oxygénation de patients en surpoids modéré [24]. •En diminuant les fuites lors de l’utilisation d’un masque laryngé (le temps inspiratoire est variable et adapté au patient en AI, alors qu’il est fixe en PC ou PAC [25]) et le risque d’insufflation gastrique. 5. Place de l’AI en postopératoire L’AI peut enfin présenter des avantages à la fin de l’intervention [23] : •Dès l’arrivée en salle de réveil pour les patients intubés encore endormis mais ayant conservé (ou déjà récupéré) une ventilation spontanée. •Pour traiter un syndrome d’apnée hypopnée du sommeil en attendant le relais en chambre avec l’appareil de Pression Positive Continue du patient. •Pour prévenir l’apparition d’une insuffisance respiratoire aiguë postopératoire en faisant de la VNI prophylactique dès la salle de réveil chez les patients sensibles. •Pour traiter une insuffisance respiratoire aiguë postopératoire chez un patient venant d’être extubé. Conclusion Grâce à des ventilateurs d’anesthésie de nouvelle génération performants, l’aide inspiratoire peut être utilisée au bloc opératoire chez l’adulte : •En préopératoire pour faciliter une induction ou réaliser une intubation sous fibroscopie nasale. •En peropératoire pour maintenir une ventilation spontanée, lutter contre les atélectasies ou améliorer la synchronisation patient/ventilateur. •En postopératoire immédiat pour assister le patient le temps qu’il se réveille complètement, pour lutter de façon prophylactique ou curative contre une insuffisance respiratoire aiguë (VNI prophylactique). Références bibliographiques [1] Otteni JC, Beydon L, Cazalaa JB, Feiss P, Nivoche Y. [Anesthesia ventilators]. Ann Fr Anesth Reanim 1997;16:895-907 [2] Jaber S, Tassaux D, Sebbane M, et al. Performance characteristics of five new anesthesia ventilators and four intensive care ventilators in pressure-support mode : a comparative bench study. 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