Le système économique international est-il capable de se

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Le système économique international est-il réformable ?
Notes pour une intervention à la conférence organisée par la Chambre de
commerce de Tripoli et le Centre universitaire franco-libanais
Tripoli, novembre 2010
C. Malone
Administrateur invité
ENAP Québec
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Le système économique international est-il réformable ?
Début octobre 2010, les médias du monde entier diffusèrent l’image du
Directeur général du Fonds Monétaire international, Dominique Strauss-Kahn,
en conversation avec le gouverneur de la Banque centrale de Chine, Zhou
Xiaochuan, au début des instances conjointes du FMI et de la Banque
mondiale, avec la mention : échec des échanges à Washington pour mettre
fin à la guerre des devises. Un mois plus tôt, réunis en sommet à l’ONU à
New York, les dirigeants de la planète ne purent que constater que l’objectif
qu’ils s’étaient fixés au début du millénaire, soit d’éradiquer plusieurs des
manifestations de la pauvreté globale, ne serait pas atteint. Toutes les
réunions récentes des instances de l’Organisation mondiale du Commerce ne
font que confirmer ce que tous les observateurs savent depuis des années :
la ronde de Doha est dans un coma profond et le protectionnisme rode à
l’échelle de la planète. Seul motif d’espoir apparemment, dans les corridors
discrets à Bâle de la Banque des Règlements internationaux (BRI) les grands
banquiers des pays qui comptent dans l’univers progressent lentement sur la
voie d’une meilleure régulation du système bancaire mondial, par la voie
notamment d’un accroissement de leurs réserves obligatoires.
Ce tableau peu reluisant se présente alors que la planète est toujours en
proie à plusieurs manifestations de la crise la plus grave qu’elle ait connue
depuis celle des années trente. Les déséquilibres internes et externes en
termes de croissance et de revenus s’accroissent. Les déficits publics
explosent dans nombre de pays. On a recours aux mêmes armes de défense
économique que celles qui ouvrirent la voie au deuxième grand conflit
mondial. Les accords de Bretton Woods de 1944, que vinrent compléter les
Accords de Marrakech de 1995 (dans la mise en oeuvre desquels la BRI
s’insérera sans bruit à partir des années soixante-dix) étaient censés mettre
l’humanité à l’abri d’une faillite du système économique global. Ces accords,
naquirent essentiellement
de réflexions et d’échanges entre économistes
américains et britanniques (Keynes et Harry White)) avant et pendant la
dernière guerre. Ils doivent leur existence aussi à une volonté de fer chez
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quelques grands décideurs, comme Roosevelt, de ne plus voir se reproduire
les situations vécues au cours des années trente. On parvint, enfin, à les
conclure, parce que les Américains et, dans une bien moindre mesure, les
Britanniques avaient la capacité d’imposer leurs solutions à une communauté
internationale exsangue. La conjugaison de ces facteurs fit en sorte qu’un
ensemble cohérent de structures avec des mandats précis fut mis en place
progressivement, à partir de 1945.
Les quatre piliers du système et leurs dysfonctionnements
Ce système s’appuyait sur trois pôles : la gestion du système monétaire
international, confiée au Fonds monétaire international (FMI) ; la gestion du
relèvement de l’Europe dévastée par la guerre dans des conditions
totalement différentes de celles qui avaient été prévues à Versailles (le vaincu
payera), confiée à la Banque internationale pour la reconstruction et le
développement (BIRD), devenue la Banque mondiale; la gestion du système
commercial international, confiée à une Organisation internationale du
Commerce. Mort-née à La Havane en 1947, on la remplacera de manière
plus ou moins convaincante par l’Accord général des tarifs et du commerce,
le GATT, accord intergouvernemental ne pouvant prétendre au statut de
traité, qui put être mis en œuvre sans passer sous les fourches caudines du
Sénat américain.
L’Organisation mondiale du commerce (OMC) que nous connaissons
aujourd’hui, ne fera renaître le troisième pôle de Bretton Woods qu’un demisiècle plus tard. Le système, le FMI surtout, avait moins de dents que Keynes,
notamment, ne l’aurait souhaité. Sa proposition d’adopter une nouvelle devise
de réserve internationale, le Bancor, ne sera jamais acceptée par les
Américains, qui entendaient bien voir le dollar remplir ce rôle. Mais il avait le
mérite de la cohérence et d’une logique basée sur les leçons multiples
apprises pendant la grande crise.
Le problème majeur, c’est que le système n’a jamais fonctionné tel que ses
pères l’avaient conçu. Du fait de la non convertibilité quasi-absolue de toutes
les devises en 1945, y compris la Livre Sterling, le système de régulation de
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celles-ci, prévu dans Bretton Woods, basé sur la convertibilité du dollar à 35$
l’once d’or, ne put voir le jour que pendant un période chaotique allant de
1958 (avec le retour à la convertibilité des principales devises européennes) à
1971. Le « Nixon Shock » mit alors fin au taux de convertibilité établi par
Roosevelt et toutes les monnaies se mirent à flotter les unes par rapport aux
autres, le FMI n’ayant plus pour vocation que de fonctionner comme simple
centre d’études.
La Banque mondiale n’a pas financé la reconstruction de l’Europe, les
Américains préférant finalement assumer cette tâche par le biais plurilatéral
du Plan Marshall. On peut affirmer que la BIRD n’a vraiment commencé à
fonctionner, c'est-à-dire à prêter de l’argent à des Etats pour le financement
de projets de développement, qu’à partir des années cinquante, lorsque les
tous premiers prêts seront accordés au Kenya (encore colonie) et à plusieurs
États latino-américains. Les plus grands emprunteurs de la Banque seront
d’ailleurs les Japonais et les Chinois, très loin du Rhin !
Le GATT, dénué de tout pouvoir exécutoire (ses décisions étaient prises par
consensus) connut des débuts très modestes au cours des années cinquante,
avant de fournir, aux pays de l’OCDE principalement, une enceinte productive
(la notion clef étant celle du principe de la nation la plus favorisée – la NPF)
qui permit, à travers le démantèlement des barrières douanières, à la
mondialisation contemporaine des échanges commerciaux de prendre son
envol.
La Banque des Réglements internationaux (BRI), pour sa part, avait été créée
au cours des années vingt pour gérer le mécanisme du remboursement des
dettes allemandes issues du Traité de Versailles, financé largement par des
emprunts aux Etats-Unis. En 1945, la Banque était dans une situation de
disgrâce quasi-totale, du fait de son rôle dans les échanges entre l’Allemagne
nazie et le reste du monde pendant la guerre. Mais ce cénacle des banquiers
centraux trouva rapidement des raisons d’exister comme lieu de concertation
entre grands décideurs bancaires, à l’abri des oreilles indiscrètes, au fur et à
mesure que l’économie mondiale se transforma sous l’effet de sa
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financiarisation. L’objet principal des échanges internationaux au jour le jour
deviendrait, en effet, le dollar (et quelques autres devises) au début du XXIe
siècle.
À la recherche de vocations
Des quatre piliers du système, la BRI est certainement celui qui a su le mieux
coller aux besoins des acteurs et aux exigences de gestion des diverses
crises vécues à partir du premier choc pétrolier de 1973. On peut situer le
point de départ de ce processus, pour des fins anecdotiques, à la volonté du
Président Kennedy de réduire la fuite des fonds des grandes entreprises
américaines vers l’Europe, en imposant une taxe sur les sorties de capitaux.
La Banque pour l’Europe du Nord (banque soviétique bien connue, russe
aujourd’hui) chercha à éviter que ses avoirs en dollars à New York soient
saisis, en ouvrant des comptes en dollars à Londres, les premières
eurodevises non domiciliées aux États-Unis.
Les années soixante-dix furent extrêmement mouvementées sur le plan
financier. Outre la dénonciation de la convertibilité du dollar, on assista à deux
chocs pétroliers brutaux. Malgré l’importance de ces perturbations, les
grandes puissances économiques préférèrent ne pas confier aux organes
formels du système le règlement des problèmes, si ce n’est sous l’angle de la
gestion de la situation des pays en voie de développement. Le FMI se vit
essentiellement confier le rôle de gérer la crise des pétrodollars et ensuite ses
conséquences, par le biais notamment des fameux plans d’ajustement
structurels à volets multiples. A l’abri de majorités indisciplinées et de
discours tiers-mondistes, des mécanismes comme le G5, devenu ensuite le
G7, puis le G8, permettaient aux principaux protagonistes de trouver entre
eux des solutions imposables au reste du monde, au besoin : les Accords du
Plaza de 1985 constituent un prototype de ce genre de mesure.
La Banque mondiale, pour sa part, tout en poursuivant son activité de prêteur
à des pays solvables, s’est trouvée une nouvelle vocation à travers
l’Association internationale pour le développement (AID), financée par des
contributions
volontaires
des
pays
riches,
en
vue
de
soutenir
le
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développement socio-économique des pays les moins avancés. (PMA).
Progressivement cependant, la Banque a perdu son autonomie par rapport au
Fonds monétaire international, en devenant l’agent d’exécution des plans
d’ajustement,
imposés
comme
condition
d’attribution
d’interventions
financières du Fonds dans les pays en développement. On sait que ces
plans, conçus selon les préceptes et la logique de l’économie libérale la plus
classique, allaient avoir pendant longtemps (jusque l’arrivée de M.
Wolfensohn à la tête de la Banque) un effet destructeur sur les appareils
gouvernementaux
des
récipiendaires,
diminuant
leur
capacité
d’agir
notamment dans les domaines de politiques sociale et éducative. Un peu
comme le feront dans les années 1990 et 2000 les banques américaines avec
leurs clients, le FMI et la Banque ont poussé, dans un premier temps,
(recyclage des pétrodollars) au recours au crédit ; dans un second temps, ils
ont imposé de sévères cures d’austérité, qui n’ont pas manqué, dans nombre
de cas, d’aggraver la situation des « malades ».
Au fil des années cependant (surtout à partir de 2000), la croissance de
plusieurs pays émergents, le Brésil et l’Argentine en sont des exemples, leur
donna les moyens de s’affranchir des fourches caudines des institutions
financières internationales. L’accumulation rapide et importante de leurs
réserves en devises leur permit de rembourser par anticipation leur dettes et
de ne plus traiter avec « G Street » (siège de la Banque à Washington). Des
sources alternatives de financement, beaucoup moins tatillonnes quand aux
conditionnalités politico-économiques, comme les fonds souverains des pays
pétroliers ou surtout la Chine, en Afrique, donnèrent même à des États sans
surface financière importante, comme le Gabon, les moyens de contourner le
système mis en place par le G8 au cours des décennies précédentes. Vers
2004-2005, on en était à se poser la question de fond à savoir quelle était
l’utilité résiduelle des Institutions financières internationales (IFI), qui :
-
n’avaient jamais rempli leur mandat initial ;
-
avaient fonctionné comme le bras séculier des pays développés vis-àvis du Sud ;
-
qui se cherchaient désormais des raisons d’exister ;
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-
cela dans un contexte où l’assez forte diminution d’activités de
financement en direction des pays émergents, pour diverses raisons
(la Chine est désormais trop développée pour accéder aux fonds de la
Banque mondiale, par exemple), privait les IFI des revenus dont elles
avaient besoin pour fonctionner.
Les nouvelles activités de la Banque en matière d’aide et de financement des
investissements privés, vis une succursale spécialisée, ou l’arbitrage
commercial international, étaient loin de combler par ailleurs ses besoins en
financement et ses réserves se mirent à tarir. « Mutatis mutandis », le FMI
commençait à traverser une crise de même nature, en plus d’avoir perdu sa
vocation première, soit la régulation du système.
Une gouvernance déficiente
La situation des IFI paraissait d’autant plus préoccupante que leur mode de
gouvernance devenait tout à fait anachronique. A Bretton Woods, la
domination de l’économie américaine sur le reste du monde était une
évidence telle que les États participant à la conférence n’avaient d’autre choix
que d’attribuer à Washington une majorité des votes aux Conseils
d’administration du Fonds et de la Banque. Cette situation dominante, confère
encore aujourd’hui à Washington un droit de véto dans les instances des
deux organisations (grâce à une minorité de blocage), alors que les
Américains ne disposent plus que d’environ 17% des droits de vote. Le reste
des parts du capital fut distribué en fonction d’une évaluation de la richesse
supposée des États en 1938, ce qui donna à la Belgique, par exemple, 3%
des droits de vote.
Les instances dirigeantes des IFI correspondaient aux rapports de forces
dans un paysage international où une cinquantaine d’États existaient à côté
de vastes empires coloniaux de puissances européennes comme la GrandeBretagne ou la France. La décolonisation, l’irruption des pétromonarchies, la
diminution progressive du poids des continents nord et sud-américains
conduisirent à des réaménagements mineurs de la composition des instances
dirigeantes. Mais les rapports de force au sein de celles-ci ne reflètent
qu’imparfaitement les réalités économiques du nouveau siècle, au moment
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même où des blocages similaires font que le Conseil de Sécurité des Nations
Unies, doté de la même structure qu’en 1945, ne reflète pas non plus les
réalités politiques contemporaines.
Pendant longtemps, les principaux intervenants, l’administration et le Congrès
américain au premier chef, ont estimé qu’il n’était pas vraiment nécessaire de
« secouer le cocotier » au sein des IFI, car le règlement des problèmes
économiques de fond devait se traiter dans des enceintes où se retrouvaient
d’abord les pays développés. Le G8 est la quintessence de cette approche,
qui permit pendant trente ans à un groupe restreint d’États de se donner
l’impression de régir l’économie mondiale, les IFI ayant tout au plus des
fonctions d’exécutants, en promouvant une mondialisation rapide des
échanges de biens, de services, de capitaux et, dans une bien moindre
mesure, de personnes.
Cet accroissement des échanges, largement facilité par la réussite des cycles
successifs de négociations au GATT et ensuite à l’OMC, la libéralisation des
mouvements de capitaux (concertée à l’origine à l’OCDE) et les flux énormes
d’investissements étrangers, un développement technologique stupéfiant fut
le moteur d’une croissance réelle et spectaculaire dans certains cas, à la
base même de la mondialisation. Il fut cependant aussi à l’origine de
l’apparition de nouvelles inégalités internes et externes aux États. À partir de
la dynamique conférée à sa naissance à l’OMC par les accords de
Marrakech, le nouveau cycle de négociations lancé à Doha en 2002 devait
permettre un élargissement et un approfondissement très significatif du
champ couvert par la régulation commerciale mondiale. Mais force est de
constater que ce nouveau cycle se heurta assez rapidement à de sérieux
écueils qui font que le bloquent à toutes fins pratiques à l’heure actuelle,
quoique que Pascal Lamy veuille bien nous faire croire.
Du club fermé qu’était le GATT où Américains et Européens échangeaient
concessions et avantages selon une logique libérale policée, on en est arrivé
avec l’OMC à une assemblée mondiale où les divergences de perception et
d’intérêts sont considérables et réelles. De plus, de nombreux États
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participants ont éprouvé de sérieuses difficultés en termes de capacité
d’analyse et de négociations dans le cadre d’assises où des dizaines de
tables différentes traitent en même temps de sujets très, très complexes et
pointus pour lesquels la plupart des pays ne possèdent que très peu
d’expertise. Pour accroître encore les difficultés de l’OMC, il faut bien
constater l’irruption d’une nouvelle réalité à l’échelle globale : la volonté
politique et l’intérêt des grandes multinationales envers le cycle actuel de
négociations sont d’autant plus mesurés que la financiarisation de leur activité
économique diminuait l’importance de la plupart des domaines traités à
Genève. Même entre Américains et Européens, les acteurs les plus
enthousiastes des origines, le cœur n’y était plus. Dès 2004-2005, le
protectionnisme permanent qui anime le Congrès américain devint de plus en
plus virulent, au fur et à mesure que les effets des déséquilibres économiques
externes de l’économie américaine faisaient sentir leurs effets.
Seule la BRI, largement à l’abri des débats Nord-Sud, où se retrouvait le club
des banquiers centraux, désormais quelque peu élargi à des convives comme
l’Arabie Saoudite, poursuivait, mais au ralenti, son activité de régulation
bancaire. Les paramètres qui encadraient leurs échanges paraîtront
cependant bien timides bientôt, eu égard au séisme qui allait frapper la
communauté bancaire mondiale à partir de 2008/2009. Tout au plus, dans
leurs rapports à la diffusion confidentielle et au langage feutré, les dirigeants
de la BRI soulignèrent-ils régulièrement la gravité des déséquilibres
économiques du moment.
On constate donc qu’au moment où se déclenche la plus grande crise
économique que le monde ait connue depuis de nombreuses décennies, les
structures et le fonctionnement que la communauté internationale s’était
donnés pour éviter le renouvellement des erreurs des années trente étaient
pour le moins décrépis. L’apparition sur le devant de la scène du G20,
résultant d’un élargissement du cadre du G8 à des pays émergents disposant
d’un poids économique significatif, témoignait certes d’une prise de
conscience de la nécessité de repenser des structures et des approches de
plus en plus inadéquates. Mais il faut bien constater que les états de service
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du G20 jusqu’ici, au-delà du fait que son existence témoigne de la
reconnaissance partagée par tous qu’il faut changer la gouvernance du
système économique mondial (comme celui de l’ONU, par ailleurs) n’inspire
pas beaucoup confiance, surtout si l’on devait se fier à la rencontre de
Toronto, beaucoup plus marquée par l’arrestation de deux mille manifestants
que par des décisions économiques et politiques concrètes.
La crise
Or, la crise a frappé et nous en sommes, pour reprendre l’expression d’un
éditorialiste du « Monde » à l’heure de tous les dangers. La crise du système
peut être attribuée à de multiples facteurs, les mauvais résultats des IFI ne
figurant que parmi bien d’autres. Mais on peut en résumer les causes de
manière succincte :
-
la déréglementation du système bancaire américain à partir de la
présidence Reagan ;
-
le déficit colossal du commerce extérieur américain et la présence
d’immenses quantités de dollars partout dans le monde chez les
créanciers des USA (les 2/3 des dollars en circulation se trouvent à
l’extérieur des États-Unis) ;
-
la frénésie de consommation des Américains et la liquidation de leur
épargne ;
-
le mode de développement adopté par la Chine, fondé sur l’exportation
et la valeur sous-évaluée du Renminbi ;
-
les politiques économiques du régime Bush ;
-
le mode de fonctionnement du système hypothécaire américain ;
-
le court-termisme des fonds spéculatifs et le préjugé général chez les
principaux décideurs économiques à l’effet que la finance avait
remplacée le commerce des biens et services – le dollar étant
désormais le produit le plus échangé ;
-
la cupidité absolue de nombreux acteurs et l’ampleur des fraudes et
malversations en tous genres que rien de venait équilibrer, ni la loi,
encore moins la morale ;
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-
le tout sur fond de globalisation des échanges, de disparition des
barrières, d’apparition de nouveaux acteurs et de transfert graduel du
cœur économique de l’univers de l’Atlantique vers le Pacifique.
Cette liste, qui est loin d’être exhaustive, permet tout de même de se rendre
compte de la gravité des problèmes qui ont précipité le monde développé
dans la crise que l’on traverse actuellement. La marginalité des IFI et de
l’OMC dans ce tableau saute aux yeux. On constate cependant que les
exigences de stabilisation du système ont réintroduit le FMI parmi les acteurs
importants. Le cas de la Turquie est intéressant à cet égard, mais celui de la
Grèce est encore plus connu. Alors que le FMI n’est pratiquement plus
intervenu dans les pays développés depuis la fin des années soixante, le
sauvetage in extremis de la Grèce a été largement confié au FMI, s’appuyant
sur des fonds européens, bien entendu. Le FMI tire d’ailleurs sa force de la
faiblesse des Européens, une constante de la réalité politico-économique des
dernières années.
Les États membres ont consenti au FMI des avances de fonds (qu’ils ont
accepté d’ailleurs de transformer en achat de capital) beaucoup plus
importantes que par le passé en reconnaissance de la probabilité
d’éclatement d’autres crises du type grec (en Irlande, suivie par le Portugal et
l’Espagne). Le Fonds fait preuve désormais d’une certaine témérité à l’égard
des principaux pays du Nord, les États-Unis notamment, en osant critiquer
plusieurs aspects de leurs politiques, tout en se gardant de revenir aux
préceptes éculés du libéralisme d’antan, le passage à la tête du Fonds de
Dominique Strauss Kahn étant peut-être pour quelque chose dans cette
approche plus sophistiquée de la réalité politique et économique.
La BRI, pour sa part, voit, dans les communiqués du G8 et G20, son
importance stratégique désormais reconnue publiquement, alors que les
travaux qui y ont eu court visent à asseoir à l’échelle globale la solvabilité des
institutions en les obligeant à accroître, dans le cadre des accords dits de
Bâle III, leur réserves obligatoires de manière substantielle ; il faut s’attendre
à des difficultés de mise en œuvre dans plusieurs pays. Cette démarche ne
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contribue pas à court terme, par ailleurs, à accroître la disposition des
banques à faire crédit dans de nombreux pays. Mais ces mesures, pour
douloureuses qu’elles peuvent paraître, sont difficilement contournables et
constituent une des rares bonnes nouvelles sur la scène économique
mondiale actuellement.
Quelle sortie de crise pour le système financier ?
Cette scène continue d’être marquée par des comportements à haut risque
de plusieurs acteurs, aux Etats-Unis notamment. Alors que l’économie
américaine semble atone et que de nombreux observateurs s’attendent à une
récession de longue durée (dix ans), les spéculateurs ont repris leur travail
(sur un terrain jonché, il est vrai, de nombreux cadavres) et provoquent de
nombreuses fluctuations non justifiables des cours des matières premières
par exemple, dont le prix, selon plusieurs études récentes, dépend désormais
plus des mouvements d’humeur des spéculateurs que de leur coût de revient.
Nul besoin de souligner la dureté des guerres des devises en cours, qui
commencent à rappeler celles des années trente. Le Brésil taxe les entrées
de capitaux, la Corée protège le Won, les Etats-Unis regardent d’un bon œil
leur dollar se dévaluer vis-à-vis de toutes les devises, au grand dam surtout
des Européens, qui voient l’Euro s’envoler. Les mesures sournoises de
protectionnisme se multiplient, comme la décision chinoise de punir le Japon
en arrêtant ses exportations de minéraux rares en contravention flagrante des
dispositions du GATT. D’une certaine façon, retour à la case départ des
années trente et la dernière guerre.
Au point de départ de toute réforme du système figurent bien entendu une
réforme et une remise en cause en profondeur des cadres et politiques
économiques des États-Unis. Malgré son affaiblissement relatif, l’Amérique,
avec son PIB de l’ordre de 12 000 milliards de dollars et une devise qui
assure encore la majorité des transactions internationales (en excluant les
transactions intra-européennes), une capacité d’innovation technologique
sans équivalent et des gains de productivité industriels constants, les ÉtatsUnis demeureront dans un avenir prévisible l’acteur le plus important du
système, même si la Chine, sur certains plans, se rapproche de lui.
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Or, la crise a mis en lumière des dysfonctionnements en grand nombre au
sein de l’économie américaine et des habitudes difficiles à perdre.
L’administration Obama a commencé à mettre en place des réformes
sectorielles importantes (dans le secteur bancaire, dans celui du crédit à la
consommation, par exemple). Mais les agissements de plusieurs acteurs,
comme les grandes maisons de finance type Goldman Sachs, laisse entrevoir
que les comportements à haut risque se poursuivent et que les prévisions de
certains économistes selon lesquelles la prochaine crise majeure se
reproduira d’ici cinq ans pourraient se réaliser. Les résultats des élections à
mi-parcours aux États-Unis pourraient rendre encore plus difficile la
réalisation de réformes internes, les Républicains se montrant en réalité
chauds adeptes du retour aux politiques type « reaganomics », du laisserfaire intégral.
Sur le plan global, l’administration Obama a besoin que l’Europe et la Chine
relancent leur consommation intérieure, ce dont ni l’un ni l’autre, pour des
raisons différentes, ne veulent entendre parler. Elle a aussi besoin, comme
noté plus haut, d’un dollar faible, ce dont Chinois et Européens ne veulent
pas, non plus. Elle est disposée, par contre, à lâcher du lest en ce qui
concerne la gouvernance des IFI. Il paraît désormais acquis que, pour la
première fois, le prochain directeur général du FMI, succédant à Dominique
Strauss Kahn, sera un non-Européen, répondant ainsi à une revendication de
longue date des pays du Sud. Washington est désormais en faveur d’un
réaménagement de la participation au capital des pays du Nord et du Sud à la
Banque et du FMI, les Européens abandonnant deux de leurs neuf sièges au
Conseil d’administration du Fonds en faveur de pays du BRIC (les Russes et
les Saoudiens devant aussi faire un effort en ce sens). Obama (pas le
Congrès nécessairement) est prêt à laisser le FMI évaluer les besoins en
redressement des pays en difficulté, sans obligatoirement imposer, comme à
l’époque Bush, des cures d’austérité débridées, destructrices de la capacité
d’agir des pouvoirs publics (encore que les mesures imposées à la Grèce
n’ont rien à envier à celles imposées aux pays africains, il y a 20 ans).
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Mais ces nouvelles dispositions et les quelques réformes parcellaires qui en
ont découlé ne suffisent pas du tout à faire face à la situation. Le rôle des
différentes instances en place, au sommet la triade - FMI-G8-G20 – reste
toujours aussi imprécis. On a l’impression, à s’en ternir strictement aux
discours des ministres des finances, que c’est le G-20 qui doit prendre les
grandes décisions. Il en a été ainsi pour quelques-unes d’entre celles-ci,
comme la décision de 2008 de s’en prendre enfin sérieusement aux moutons
noirs que sont les abri fiscaux type Saint-Kitts-et-Nevis, Jersey ou même la
Suisse. Mais, par la suite, on n’a pu que constater que le G20 était largement
paralysé par les différends de fond :
- sur la nécessité ou non de la relance,
-la nécessité de réformer plus profondément les systèmes bancaires
nationaux (le Canada a joué un rôle très néfaste à cet égard à la
réunion du G20 à Toronto),
-à propos des mécanismes de régulation des Hedge Funds et des
transactions financières internationales (instauration de taxes comme
le Taxe Tobin),
-pour ne pas mentionner l’impasse complète à l’OMC,
-et les divergences réelles (malgré un langage apparemment unanime)
à propos du traitement des déséquilibres en matière de finances
publiques.
Les discours traitant de la gestion globale du développement au sein du G20
sont surtout caractérisés par le non respect généralisé des promesses que
l’on y fait. On a l’impression que chacun (à l’exception du traitement de
quelques problèmes, comme les abris fiscaux) tire à hue et à dia, en
s’adressant presque exclusivement à ses publics nationaux.
Dans ces conditions, un certain scepticisme paraît être de rigueur. Une
multitude de réunions et de concertations au sommet des responsables
économiques, dans le cadre du G20 et du FMI, ont lieu ces semaines-ci,
notamment à Shanghai, qui a d’abord accueilli les banquiers centraux à la mioctobre. Le G20 a été convoqué en sommet à Séoul à la mi-novembre. Les
pronostics des spécialistes ne sont pas bons, alors qu’ils insistent sur le
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climat de tension grandissante existant entre Asiatiques et Américains, qui
accusent les premiers de manipulation de leurs devises et qui disposent
désormais d’une législation du Congrès qui permet de sanctionner ce type de
comportement. On ne voit donc pas, du moins à court terme, d’initiative
porteuse de réformes productives du système économique international, avec
tous les risques que cela comporte pour l’ensemble de l’économie mondiale.
Il n’y a pas lieu cependant d’abandonner tout espoir. Les rencontres des
ministres des Finances et des banquiers centraux du G20 au cours de la fin
de semaine du 23 octobre
permettent de croire que l’inquiétude réelle
ressentie par de nombreux États peut conduire à un début de sagesse. Ainsi
les pays de l’OCDE acceptèrent-ils de remettre au BRIC et autres
intervenants du Sud non pas 4, mais 6% du capital du FMI pour redistribution
entre eux. Les Européens, comme prévu, acceptèrent d’abandonner deux de
leurs neuf sièges en faveur des pays du Sud. Au lieu de prêter de l’argent au
Fonds, les membres acceptèrent d’acheter des actions de l’institution, lui
permettant de disposer avec plus de souplesse des 500 milliards de fonds
nouveaux mis à sa disposition. Enfin, le Fonds devrait recevoir le mandat de
revoir le fonctionnement de l’ensemble du système économique mondial, en
vue de présenter des propositions de réforme, d’ici quelques mois. Si l’on
ajoute à ces bonnes nouvelles (qui devront être confirmées à Shanghai
cependant) l’accord intervenu entre Européens à propos de la régulation des
Hedge Funds, on peut penser que les voies du progrès ne sont pas
totalement obstruées. Mais que de chemin encore à parcourir et que
d’obstacles à franchir !
C. Malone
ENAP Québec
Novembre 2010
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